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L'humanisme face aux défis de l'avenir

Publié le 23 décembre 2017 | Écrit par Claude Delbos

[…] QU’EST DEVENU L’HUMANISME AU 21ème SIÈCLE ? Avec la philosophie des


Lumières, le 18ème siècle a ouvert l’ère de l’humanisme universaliste. Mais à la fin du 19ème
siècle, le mot humanisme, dénaturé par les progrès d’un scientisme déshumanisé, ne
recouvrait plus finalement, qu’un appel au respect de la personne humaine. L’humanisme,
s’attachant à la mise en valeur de l’homme « par les seules forces humaines », était compris
comme une théorie philosophique excluant toute transcendance. En réaction, cette conception
provoquait le rejet de l’humanisme, par ceux qui sont attachés à la conception religieuse, ou
même simplement spiritualiste, de l’homme.
Dans ces conditions, l’humanisme universaliste, restait-il la valeur sur laquelle miser, pour le
bonheur de l’être humain et l’harmonie des sociétés humaines ?
Après la 2ème Guerre Mondiale, on parla d’humanisme marxiste et d’humanisme
existentialiste. Mais, de plus en plus, d’humanisme chrétien, ou religieux, comme alternative
au marxisme communiste. L’humanisme se diversifiait et perdait sa valeur universaliste.
À la fin du 20ème siècle, le postmodernisme proposait carrément le rejet de l’humanisme des
Lumières. Face au communautarisme religieux, au relativisme, au différentialisme [10], face à
toutes ces oppositions postmodernes, à l’universalisme humaniste, où trouver la clé de la
relation pacifique à l’Autre ?
Cette désaffection du concept d’humanisme, conduit à son réexamen, et à poser cette
question : L’humanisme « dans une forme universaliste », fidèle à l’esprit des Lumières, peut-il
être une éthique pour l’avenir ?
En réponse à la question de la religion, il faut admettre que l’on peut avoir une religion et être
humaniste. Mais admettre aussi que l’on peut être humaniste, sans avoir de religion. La
spiritualité est déterminée par la nature métaphysique des questions qui occupent la pensée,
et non par les réponses qui leur sont données. Ces réponses peuvent être celles d’une
religion, mais elles peuvent aussi, être personnelles. Une conception humaniste de la
spiritualité, consiste dans la reconnaissance, et la tolérance, de la liberté absolue de
conscience. Une vie morale sans religion, fondée sur un humanisme éclairé, est donc possible
!
Alors, à la prospective extrapolant la dérive postmoderne de nos sociétés, est-il
possible d’opposer une utopie universaliste, fondée sur les principes de l’humanisme ? Dans
l’histoire de l’humanité on peut voir une constante de son évolution, en considérant que, de
siècle en siècle, l’humanité a fini par imposer la primauté de l’autonomie individuelle, sur toute
autre valeur [1]. Toutefois, compte tenu de l’augmentation démographique de l’humanité, de
son urbanisation, et de sa globalisation, l’organisation sociale et la solidarité, devraient être
ressenties comme de plus en plus nécessaires, en même temps que la liberté individuelle.
Désormais, dans un État régi par l’humanisme, la conduite de l’individu devrait se répartir dans
trois sphères : La sphère de sa vie privée, personnelle, qu’il serait seul à gérer en totale liberté

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de conscience. La sphère publique, citoyenne, où pour sa relation avec l’Autre, il serait soumis
aux règles impératives, établies par la loi de l’État, inspirées en principe de l’humanisme. Et
entre les deux, la sphère associative, où il se plierait de sa propre volonté à des règles
particulières, celles de la communauté de son choix, ou à des prescriptions religieuses
librement acceptées.
Pour faire régner la paix dans les relations humaines, l’avènement d’une spiritualité humaniste,
plaçant la valeur de la dignité humaine au-dessus de toute autre, s’impose absolument. C’est
pourquoi « Les principes de l’humanisme doivent être placés à la base de toutes les valeurs
spirituelles, de toutes les initiatives et [de toutes] les actions humaines [2] … »
Dans ces conditions, il convient de redéfinir pour l’avenir, les principes de
l’Humanisme, d’une façon acceptable, aussi bien par les spiritualistes, religieux ou non, que
par les athées : Aujourd’hui et pour l’avenir, il est possible de redéfinir l’humanisme, comme
l’attitude éthique, prenant pour déterminant de tous les actes, de toutes les réalisations, de
toutes les lois… Ce qui est bon pour l’être humain en tant qu’individu, et en même temps bon
pour l’humanité dans son ensemble et pour son avenir.
Et il faut insister sur l’indissociabilité de trois composantes de l’humanisme, que sont : La
volonté d’autonomie de l’individu, L’universalité des principes qui doivent régir la morale
publique, Et la finalité humaine qui doit être celle de tous les actes [3].
Enfin, ajouter trois conditions d’application : La fonction humaniste de la direction politique des
sociétés. Une éducation libérale de la jeunesse, fondée sur la connaissance de l’humain, et
l’apprentissage de la raison soumise à l’éthique. La tolérance pour toutes les conceptions
métaphysiques, communautaires ou individuelles, par le respect de la liberté absolue de
conscience.

C’est cette conception de l’humanisme qu’il faudra opposer aux possibles dérives
déshumanisantes, de la techno-science.
FACE AUX DÉFIS DE L’AVENIR, aux menaces que les développements techniques
de la science, semblent faire peser sur la nature humaine, quelle défense ?
Le transhumanisme est le plus inquiétant des défis de l’avenir. Les transhumanistes affirment
leur conviction que le perfectionnement de l’être humain, par les sciences et les nouvelles
technologies, va dans le sens de son amélioration. Qu’il s’agit désormais d’augmenter les
capacités physiques et intellectuelles des individus, par l’application combinée des
nanotechnologies, de la biologie, de l’informatique et des sciences cognitives. Jusque-là,
l’humaniste n’a pas objections ; sinon qu’il manque à ce projet, une attention aux dimensions
morale et spirituelle, de l’humain. Mais les transhumanistes les plus extrêmes pensent qu’il
viendra un moment où l’homme, devra s’effacer devant des entités plus intelligentes que lui,
qui prendront le pouvoir. Car un jour, pensent-ils, ces entités non biologiques seront même
pourvues de conscience.
Avec le transhumanisme on assiste, dès le principe, à la remise en cause des valeurs
humaines, car il part de la conception d’un avenir déterminé par la technoscience. L’esprit et la
conscience ne sont pour lui, que des neurones que l’on peut remplacer par des neurones
artificiels. Ce qui conduit au mépris de la dimension spirituelle de l’être humain. L’avenir serait
ainsi guidé par un déterminisme scientifique, conduisant à la rupture produite par la «
singularité », intervenant au moment où la machine dominerait l’homme. Le transhumanisme
rompt avec la philosophie humaniste de la Renaissance, si bien résumée par la formule de
Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Il remet en cause la dignité
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humaine définie, depuis Pic de la Mirandole, comme la possibilité pour chaque être humain,
grâce à sa liberté et à la prééminence de sa raison, d’être ce qu’il devient et de devenir ce qu’il
se fait. Ce qu’il se fait ! Et non, ce que l’on fait de lui !
Avec le deep-learning, l’apprentissage profond et les algorithmes à réseaux neuronaux,
l’intelligence artificielle progresse. Elle devient un outil plus performant que l’homme. Et elle
pourrait aller jusqu’à acquérir une certaine forme de conscience, pour évoluer vers une
capacité de décision et d’action, autonomes.
L’humaniste admettra qu’il est bon de repousser les limites de l’humain en utilisant le progrès
scientifique. Face au progrès technique, il ne demandera pas le retour en arrière, le retour à la
nature originelle. Mais il refusera d’accepter que l’intelligence artificielle impose à l’être humain
des décisions, dont sa conscience n’aurait pas délibéré, et dont il ne se sentirait pas
responsable. Il objectera qu’en raison du caractère potentiellement déshumanisant du progrès
technique, il est nécessaire de lui fixer des limites. Et qu’il est urgent dans cette perspective de
susciter de la part des scientifiques, des études approfondies, pour déterminer : Les critères,
du maintien de la nature humaine de l’être. Enfin, la direction politique des sociétés devra
veiller, à ce que le progrès de l’intelligence artificielle n’altère pas : L’autonomie et la liberté de
conscience de l’individu. C’est pourquoi les humanistes doivent faire admettre : La fonction
humaniste de la politique. Cela, afin de fixer les limites des transformations acceptables.
L’intelligence artificielle, associée à la robotisation, est un autre danger pour l’humain.
L’évolution est déjà en marche, avec les robots travailleurs, mais aussi avec des robots tueurs,
comme les drones de combat ! Ces robots disposeront d’une intelligence artificielle de plus en
plus élaborée, leur donnant une capacité de décision et d’action autonome. C’est une
évolution qui pourrait conduire à la déshumanisation du monde. Il devient nécessaire d’édicter
des règles, concernant la nature, la destination et l’emploi des robots. Le robot doit rester sous
le contrôle d’un humain responsable.
En outre, l’hybridation entre l’être humain et la machine intelligente, est susceptible de
produire le « cyborg », l’organisme cybernétique. Jusqu’où est-ce acceptable ?
Pour éviter que la conscience humaine perde son autonomie, il faudra sans doute penser, au
niveau mondial, au contrôle des applications de l’intelligence artificielle, et à une « charte
éthique des robots ».
Quant à la dégradation écologique de la planète et aux autres menaces qui pèsent sur
l’avenir de l’être humain … Les transhumanistes ont la certitude que la résolution de ces
grands problèmes de l’humanité, passera par les avancées de l’intelligence artificielle. Et
certains ajoutent, que ces avancées devront être soutenues par une philosophie politique,
excluant toute règlementation édictée par des autorités politiques.
Ici l’humaniste sera d’accord sur la nécessité d’utiliser toutes les ressources de la science,
pour sauver la planète et l’humanité. Mais il insistera au contraire, sur la nécessité d’un
contrôle humaniste, assuré par l’autorité politique, et cela jusqu’au niveau mondial.
Une évolution à craindre, serait la division de l’humanité, entre des transhumains maîtrisant
l’intelligence artificielle, vivant dans un environnement robotisé, et une sous-humanité
marginalisée. À cette solution, l’humaniste préfèrera un autre choix de civilisation, plus
conforme à la dignité de l’être humain : la participation de tous, à la vie d’une même société,
dans l’acceptation de la diversité.

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Une course est ainsi engagée, entre le développement des applications de
l’intelligence artificielle, et la sagesse capable de les gérer. Les généticiens et les maîtres de
l’intelligence artificielle, doivent être soumis, à la sagesse humaniste.
Pour les humanistes, il s’agit donc, d’influencer les politiques. Afin qu’ils veillent, à ce que les
applications de la science servent à l’amélioration de l’être humain et de ses conditions de vie,
dans le cadre d’une société pacifique, harmonieuse, et dans l’universalité. Pour l’humaniste, le
progrès scientifique et technique n’est un progrès, que s’il est un progrès pour l’humain. Et un
progrès de l’humain en tant qu’humain, et non en tant que machine. Dans les projets des
transhumanistes, tout ce qui aboutirait à dénaturer l’être humain, pour en faire quelque chose
comme une machine, doit être exclu. Il y a des choses que l’intelligence permet de faire… Et
qu’il ne faut pas, faire.
Mais l’un des obstacles au règne d’une éthique humaniste, est décelable dès aujourd’hui.
C’est la combinaison de l’individualisme et de l’économisme. L’individualisme, qui porte le
détenteur du pouvoir à ne se préoccuper que du maintien et de l’accroissement de sa
puissance ; excluant toute solidarité avec le reste de l’humanité. Et l’économisme, qui tend à
développer une oligarchie des puissances économiques privées, dessaisissant
progressivement les autorités politiques de tout pouvoir réel, en dehors du maintien de l’ordre.
Ces puissances économiques cherchent en même temps, à être les seules détentrices, des
connaissances commandant les facteurs de la rupture : codes de la nature, code génétique, et
code-source de l’intelligence artificielle notamment. Devant ces perspectives inquiétantes, il
est donc urgent de distinguer ce qu’il est possible de faire, et ce qu’on s’interdit de faire.
Il faut universaliser une éthique, susceptible de permettre à l’humanité de maîtriser son avenir
! Renforcer les valeurs donnant du sens à la vie ! Se souvenir qu’il n’y a de véritable progrès,
que s’il aboutit à plus de bonheur humain ! En bref, il s’agit de se recentrer sur l’Homme.

Pour prévenir le phénomène de déshumanisation, il faudrait déjà, donner à toute la jeunesse


du monde, une éducation humaniste. C'est-à-dire : Outre les connaissances scientifiques :
Une éducation à l’usage de la raison soumise aux règles de l’éthique. Et un enseignement de
la connaissance de l’humain, étendu à la connaissance des dimensions culturelle,
psychologique, morale et métaphysique, de l’être humain.
En conclusion, je rappellerai pour mémoire, que le progrès scientifique et technique est
à l’origine une composante du progrès humain et donc de l’humanisme. Ce sont la science et
les techniques qui en découlent, qui ont permis à l’être humain de créer les conditions d’une
amélioration de sa vie. L’action volontariste sur la nature est l’un des éléments de la prise en
mains de son destin, par l’humanité elle-même. Les sociétés qui ont mis ces idées en pratique,
sont celles qui ont évolué le plus favorablement au bien-être de l’humain, en mettant en œuvre
l’aptitude de l’homme à construire son destin.
En même temps, les sciences et les techniques ont donné à l’homme des possibilités accrues,
pour assouvir ses emportements destructeurs et pour faire du mal : à ses congénères, à la
nature et à lui-même. La science n’est bonne ou mauvaise que par l’usage qu’en fait l’être
humain. Et le véritable progrès humain ne se trouve que dans l’élévation de la conscience de
l’être humain.
La science donne aujourd’hui à l’homme des outils d’une capacité telle, que leur impact sur la
société humaine risque d’être une rupture qualitative, produisant un changement de nature de
la vie humaine, de l’être humain lui-même, et des sociétés humaines. Ces perspectives
d’évolution, sont perçues comme effrayantes, car le libéralisme économique tout-puissant,

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conjugué avec l’impuissance des autorités politiques, porte à craindre que l’évolution
scientifique à venir, ne soit pas maîtrisée au plan de l’éthique.
C’est pourquoi, les humanistes rappelleront que pour avancer dans le sens d’un «
progrès vraiment humain » ce n’est pas vers l’homme augmenté qu’il faut aller, mais vers
l’homme amélioré ! Amélioré dans ses capacités intellectuelles et physiques, oui ! Mais aussi
au plan de la culture, de la psychologie et de la spiritualité.
La vocation des humanistes, est d’inciter les scientifiques à travailler à cette amélioration de
l’humain, et de l’humanité, dans le sens d’une élévation de son niveau de conscience. Ainsi
qu’à la recherche des modalités pacifiques, de la coexistence de cultures diverses,
progressant vers une commune civilisation.
Enfin, pour agir contre les effets pervers de l’évolution des sciences et techniques, et maintenir
de l’humain dans l’espèce, la seule solution serait la généralisation d’une éducation des
individus à l’humanisme. Il faut donc que les humanistes parviennent à conduire la société à
adopter des lois humanistes, des lois qui encadrent le scientifique par l’éthique humaniste.
C'est-à-dire : Une éthique prenant pour déterminant de tous les actes, de toutes les
réalisations, de toutes les lois, ce qui est bon pour l’être humain en tant qu’individu, et en
même temps bon pour l’humanité dans l’universalité de son ensemble et pour son avenir.
Une éthique, il faut le redire, qui impose d’assurer : Le respect de la volonté d’autonomie de
l’individu. L’universalité des principes qui doivent régir la morale publique. Et la finalité
humaine, qui doit être celle de tous les actes.
Une éthique dont la mise en œuvre, nécessite de veiller au maintien de trois conditions
d’application : L’exercice de sa fonction humaniste par la direction politique des sociétés.
L’éducation libérale de la jeunesse, fondée sur l’apprentissage de la raison soumise à
l’éthique, et la connaissance de l’humain. Enfin la tolérance pour toutes les conceptions
métaphysiques, qu’elles soient communautaires ou individuelles, par le respect de la liberté
absolue de conscience.
La pérennité de l’humain ne pourra être assurée, face aux défis de l’avenir, que par la prise de
conscience de la nécessité, d’universaliser une telle éthique humaniste.
Claude J. DELBOS

[1] D’après : « Une brève histoire de l’avenir » de Jacques Attali.


[2] Slavy Boyanov : « L’humanisme ou la grande espérance ».
[3] Tzvetan Todorov, « L’esprit des Lumières », Robert Laffont, Paris 2006.

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