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Le transhumanisme

par Sandrine Aumercier

Pour comprendre le transhumanisme, il est nécessaire d´en lire les théoriciens – intellectuels
ou activistes – mais aussi les acteurs et les techniciens, ceux-qui au jour le jour le mettent en
œuvre à différents niveaux d´implémentation. Lorsqu´une personne dit sans penser à mal qu
´« on finira bien par trouver une solution (technique) », elle s´en remet implicitement aux
nouvelles technologies, lesquelles sont intrinsèquement devenues la rampe de lancement du
transhumanisme.

Il n´est pas possible de comprendre les enjeux du transhumanisme en se contentant de


quelques sarcasmes journalistiques.

Qui sont ceux qui promettent la « singularité », la « mort de la mort », la fin de la binarité des
sexes, l´éradication des prédateurs, la terraformation de planètes extraterrestres, la
colonisation de la planète mars, la géo-ingénierie du climat terrestre, la connectivité
ubiquitaire et universelle, l´ « augmentation » humaine, etc. ? Sont-ils simplement une
poignée de délirants ? Que veulent-ils ? Quel pouvoir ont-ils de mettre en œuvre leurs idées ?

Non seulement nous nous sommes tous, de longue date, habitués à de telles promesses, mais
elles ne sont que l´aboutissement et le dernier avatar de l´idéologie du progrès. Beaucoup de
gens qui ne savent pas forcément ce qu´est le transhumanisme considèrent l´un ou plusieurs
des projets énumérés ci-dessus comme souhaitable ou réalisable. D´autres persistent à n´y
voir que des idées farfelues qui n´ont rien à voir avec leur quotidien, bien qu´ils utilisent – et
financent indirectement en tant qu´utilisateurs – des plateformes qui poursuivent
explicitement de tels projets. Ils sont également citoyens d´États qui soutiennent cette
évolution, non pas parce que ces États sont gouvernés par des représentants particulièrement
maléfiques, mais parce que cette évolution est inscrite dans les gènes du capitalisme.

Considéré ainsi, à savoir non pas comme une expertise technique confidentielle ni comme le
délire d´une secte isolée, mais comme une croyance largement répandue en les pouvoirs de la
technoscience, on peut dire que le transhumanisme est la pointe fine du capitalisme tardif,
celui que Marx avait prédit sous le titre de general intellect, mais qui loin de nous offrir les
perspectives d´émancipations auxquels certains marxistes continuent de croire, s´avère
creuser tous les jours un peu plus notre tombe collective.

Prises dans la tourmente d´une concurrence toujours plus sauvage, les nouvelles technologies
semblent à la fois offrir en permanence de nouveaux débouchés pris de vitesse par leurs
concurrents, et à la fois promettre une optimisation des coûts dont la figure idéale serait le
remplacement intégral de l´activité humaine par des machines, y compris l´activité
intellectuelle, artistique, symbolique et relationnelle. Si la disparition pure et simple du travail
est une sorte d´utopie négative propre à la société du travail et irréalisable en tant que telle,
toutefois la tendance du travail productif à se raréfier conduit le capitalisme à saper sa propre
base de reproduction et à provoquer – contrairement à ses annonces sensationnelles –
toujours plus de misère et de destruction au niveau global.

Le transhumanisme apparaît ainsi comme le discours décomplexé de cette machine de


destruction, qui continue néanmoins de se vendre comme la fleur du progrès. Le
transhumanisme n´est donc pas le seul délire personnel des rois du numérique qui font la une
des journaux ; c´est ce que nous consentons collectivement à laisser advenir en continuant de
soutenir la société de concurrence, du travail et de marchandise. A l´intérieur de cette société,
chacun, quidam ou représentant politique, technicien ou ingénieur, citoyen ou consommateur,
concourt à laisser advenir le pire par le fait même de ne pas élever la critique au niveau
requis, c´est-à-dire au niveau des catégories fondamentales du capitalisme. Celui-ci ne
pouvait, une fois lancé, rien engendrer d´autre que le transhumanisme, qui n´est qu´un
lointain rejeton de ce que les Lumières avaient théorisé sous le nom de perfectibilité. Nous l
´entérinons à chaque fois que nous professons négligemment, tel un mantra religieux, qu
´ « on n´arrête pas le progrès ». Aussi il ne suffit pas de s´en prendre aux prétendus acteurs du
désastre pour en être quitte de la propre participation à cette dynamique aveugle. C´est
désormais la totalité de la société mondiale qui tombe sous le coup de cette dynamique
sociale et la reproduit à son corps défendant, et c´est elle, et elle seule, qui devrait s´éveiller
de son sommeil de plomb et se mettre à refuser radicalement et collectivement un état de
choses qui conduit au pire. Personne ne viendra nous sauver. Aucun prophète, aucun
démiurge, aucun héros, aucune loi de la nature, aucune eschatologie scientifique ne viendra
nous tirer de là.

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