Vous êtes sur la page 1sur 1

ÉCONOMIE

Le Soir Mercredi 4 décembre 2013

20
L’hôtel de Crillon
à Paris, en travaux,
a signé un contrat
de gestion avec
l’opérateur de luxe
US Rosewood. © D.R.

L’Afrique aimante nos occasions


AUTOMOBILE Que deviennent nos voitures une fois que l’on s’en débarrasse ?
Plus de 500.000 pour dépasser la barre des
Les 10 destinations les plus populaires

LE SOIR 04.12.13 SOURCE: BNB/Commerce exterieur


500.000. Des chiffres qu’il faut
voitures d’occasion ont
été exportées depuis
néanmoins nuancer. D’abord de nos vieilles voitures en 2012
parce qu’ils comprennent les voi- 31.000
tures belges mais aussi les voi- Anvers
la Belgique en 2012. Allemagne
tures immatriculées dans
Les deux destinations d’autres pays européens qui tran- Anvers
rs Belgique
les plus prisées : le Bénin sitent via Anvers pour être en-
et la Libye. voyées en Afrique. Elles sont très Bruxelles France
nombreuses puisque Bruxelles
24.000

Q
ue devient notre voiture est devenue la plaque tournante
une fois revendue ? On en Europe du commerce de voi- 20.000
ne s’en soucie en général tures d’occasion vers ce conti-
guère lorsqu’on cède ses nent. Ensuite, parce que beau-
clés à un négociant ou un gara- coup d’exportations via la route 45.000
giste, trop impatient de découvrir ne sont pas déclarées.
la petite nouvelle. On serait pour- Sur le terrain, Pierre Hajjar n’a
tant parfois bien surpris des des- pas constaté de boom en 2012, Tunisie
tinations exotiques empruntées alors qu’il dirige l’une des princi-
par nos véhicules. Selon les sta- pales sociétés d’exportation de
tistiques officielles de la Banque Belgique vers l’Afrique. Au
nationale de Belgique basées sur contraire, l’activité a même eu
les déclarations des exportateurs tendance à ralentir en 2012. En Libye
et les chiffres des douanes belges, cause ? La faiblesse du dollar, qui
un demi-million de voitures d’oc- a permis aux voitures d’occasion
casion ont pris le chemin de américaines de faire leur appari-
l’étranger en 2012. Certaines tion en Afrique et de venir AFRIQUE
n’iront pas plus loin que la France concurrencer les européennes.
ou l’Allemagne. Mais la grande En réalité, rien ne semble frei-
majorité embarqueront sur un ner l’afflux de voitures usagées –
bateau à Anvers à destination de parfois de vraies épaves – en 13.500
l’Afrique. Afrique et ce malgré les mesures

« En Afrique, la voiture d’occasion, c’est l’opium Guinée Benin


du peuple » PIERRE AJJAR, PATRON DE SOCAR Nigeria
17.000 Ghana
L’année dernière, 57 % d’entre restrictives prises par certains Cameroun
elles (soit 293.800 voitures) se pays au nom du respect de l’envi-
sont retrouvées sur les routes ronnement et de la sécurité rou-
d’Afrique de l’Ouest (voir info- tière. Sous la pression populaire, 173.000
graphie). Porte d’entrée princi- la plupart des gouvernements ont Congo
pale ? Le port de Cotonou au Bé- dû renoncer ou assouplir les lois
nin, qui a fait de la voiture d’occa- fixant un âge maximum au-delà
sion sa spécialité. Les autorités duquel il est interdit d’importer 23.000
locales ont investi dans de gigan- des voitures. Ce fut encore ré-
tesques parkings de 25.000 cemment le cas au Gabon qui, en 15.500
places. Des milliers de personnes septembre, a tenté d’interdire 9.500
travaillent dans le secteur. A lui l’importation de voitures vieilles
seul, ce petit pays attire un tiers de plus de 3 ans. Après une se-
des véhicules exportés depuis la maine de protestations, il a sus-
Belgique. Ce n’est bien sûr pas pendu sa décision. L’année der-
pour assouvir ses appétits. nière, le Sénégal a rehaussé l’âge
« Toutes les voitures expédiées sur maximal de 5 à 8 ans. Le Nigeria
Cotonou sont destinées directe- avait fait de même en 2010. En 2012,
ment ou indirectement au Nige- « Ces mesures restrictives n’ont
ria, le plus grand marché aucun impact et sont aussitôt
les
d’Afrique avec ses 160 millions contournées, explique Pierre Haj- exportations
d’habitants », explique Pierre jar. Un matabiche (NDLR : pot- belges ont bondi
Hajjar, l’un des pionniers de l’ex- de-vin) suffit pour faire rentrer
portation de voitures d’occasion un véhicule dans un pays. Ce n’est de 74 %
en Afrique et patron de l’entre- pas non plus dans l’intérêt de ces
prise Socar. Les ports du Ghana, Etats. La voiture d’occasion crée
du Cameroun, et de la Guinée de l’emploi et constitue pour cer-
sont également des portes d’en- tains leur plus grosse rentrée fi-
trée à succès. nancière (paiement des droits
Autre débouché majeur des d’importation). Tant qu’il n’y au-
voitures exportées depuis An- ra pas d’usines d’assemblage sur
vers : la Libye. Avec 45.000 véhi- place – ce qui est compliqué vu
cules, c’était en 2012 la destina- l’instabilité politique –, les Afri-
tion la plus populaire après le Bé- cains resteront à la merci de la
nin. On est ici face à un épiphéno- voiture d’occasion ». ■ L’entrée du port de Cotonou, au Bénin. © D.R.
mène lié au printemps arabe. Les JEAN-FRANÇOIS MUNSTER
exportations y ont été multipliées
par cinq en un an. En cause ? La
chute du régime de Kadhafi qui
cadenassait sévèrement les im-
portations de voitures d’occasion.
La Belgique, plaque tournante de l’exportation
« Le nouveau régime a voulu a Belgique est, depuis la fin « Deux tiers environ des 30.000 hiver, la neige. En 1979, j’ai réussi débouchés, raconte Pierre Hajjar. santé de ce secteur puisque l’ex-
donner plus de liberté aux gens,
en leur disant qu’ils pouvaient
L des années 70, la plaque
tournante en Europe du com-
voitures qui partent chaque mois
d’Anvers proviennent de l’exté-
à convaincre l’armateur italien
Grimaldi de venir jusqu’à An-
J’ai ouvert une succursale dans le
quartier africain de Paris et on a
port soutient les prix de l’occa-
sion, fait remarquer Pierre Haj-
acheter autant de véhicules qu’ils merce de voitures d’occasion à rieur de la Belgique », explique vers. Personne n’avait osé aupa- commencé à prospecter l’Afrique jar. Quand votre garagiste vous
voulaient, explique Pierre Hajjar. destination de l’Afrique. Toute Pierre Hajjar. ravant. Et pour cause, il s’agis- de l’ouest. Pour créer un appel propose une valeur de reprise
En Afrique, la voiture d’occasion, l’activité de négoce et d’export se Ce Libanais connaît le secteur sait de bateaux d’une capacité de d’air, on a balancé des voitures un pour votre voiture, il a souvent
c’est l’opium des peuples. Les gou- concentre à Cureghem, quartier comme sa poche. C’est lui qui est 500 voitures. Il fallait du vo- peu partout dans les ports : passé avant un coup de fil à Cure-
vernements l’ont bien compris ». bruxellois défavorisé situé à à l’origine de son développement. lume ! » Douala (Cameroun), Matadi ghem pour se renseigner sur les
Selon lui, l’ouverture du marché proximité de la gare du midi. Ses « Tout a débuté en 1976, suite à la Pari réussi. Très vite, cette nou- (RDC)… sans même chercher à les prix à l’exportation ». Attention,
libyen explique aussi la forte pro- garages et entrepôts drainent guerre au Liban, se souvient-il. velle route maritime s’impose. vendre ». Le phénomène a pris les critères d’évaluation de la va-
gression des exportations de voi- chaque jour des centaines de voi- Comme il n’y avait plus de trans- leur du véhicule pour l’export
tures vers la Tunisie (+138 %). tures d’occasion en provenance ports en commun là-bas et que les En Afrique, ce sont surtout les voitures asiatiques sont différents de ceux utilisés
« Les ports libyens étaient débor- de toute la Belgique mais aussi du taxis étaient jugés trop dange- qui ont la cote. Les allemandes, en revanche… pour la Belgique. Les voitures qui
dés à un point tel qu’il a fallu sud des Pays-Bas, du nord de la reux, les gens voulaient des voi- se vendent le mieux en Afrique ne
faire rentrer les voitures par le France jusqu’à Paris, de toute une tures d’occasion pour transporter Les exportations s’étendent à l’ampleur que l’on connaît, à tel sont pas les plus belles mais celles
pays voisin ». partie de l’Allemagne (Rhéna- leurs proches… A l’époque, les voi- l’Egypte mais, en 1983, ce pays point qu’aujourd’hui, on parle en qui se réparent le plus facilement.
Selon les statistiques officielles, nie), de Suisse, d’Autriche… Des tures belges étaient envoyées à ferme ses frontières suite à la pro- Afrique « des voitures belges » Les asiatiques sont de loin les
les exportations belges de voi- acheteurs africains s’y trouvent Marseille ou à Messine pour em- messe faite par GM au gouverne- pour désigner les occasions ve- plus appréciées. Les allemandes,
tures d’occasion ne se seraient ja- en permanence pour faire leur barquement vers le Liban. Ce tra- ment local de construire une nant de toute l’Europe. en revanche, n’ont pas du tout la
mais aussi bien portées. Elles au- shopping. Avant que les voitures jet était cher et compliqué. En été, usine d’assemblage. « Grimaldi « Les Belges le savent peu, mais cote… ■
raient bondi de 74 % en 2012 ne soient envoyées à Anvers. il y avait les embouteillages. En voulait absolument de nouveaux ils bénéficient indirectement de la J.-F. M.

)G 20

Vous aimerez peut-être aussi