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Travail

activité qui permet la production de biens et services

Au sens économique usuel, le travail est l'activité rémunérée qui


permet la production de biens et services. Avec le capital, c'est un
facteur de production de l'économie. Il est essentiellement fourni
par des employés en échange d'un salaire et contribue à l'activité
économique. Le processus d'entrée et de sortie de l'emploi se fait
par le marché du travail.

Le travail non rémunéré joue un rôle non négligeable dans la


production nationale. On peut citer à ce titre, le travail domestique
des femmes, celui des enfants qui aident leurs parents dans
l'activité familiale et le travail de jardinage. Les estimations
statistiques ont montré que, dans les anciens pays communistes
(l'URSS ou la République Démocratique d'Allemagne), le travail
familial était plus productif (en termes de qualités produites par
personne) que le travail dans les établissements nationaux.

Un paysan et un artisan travaillent pour eux-mêmes, en ajustant


de manière indépendante la durée et l'intensité du travail (quantité
de travail par unité de biens ou de services produite). Pendant la
féodalité, les paysans et les artisans pouvaient également être
contraints de travailler pour le seigneur féodal.

Sous l'esclavage, l'esclave et les moyens de travail étaient réunis


en tant que propriété du propriétaire de l'esclave, ce qui créait une
dépendance personnelle du travailleur vis-à-vis de celui qui
s'appropriait les résultats de son travail. Dans une économie de
marché libre, la principale forme de travail est celle d'un employé
sous contrat de travail. À ce niveau, on peut distinguer deux types
de contrats. Le contrat à durée indéterminée (CDI) d'une part, qui
peut durer jusqu'à l'âge de la retraite ou même à vie comme c'est
le cas dans certains pays à faible natalité ou au sein de certaines
activités où le travail n'existe pas en quantité suffisante
(l'Allemagne, les Pays du Sud-Est Asiatique ou le Japon) ; d'autre
part le contrat à durée déterminée (CDD) où la durée est limitée (le
contrat de travail peut prendre fin avant l'âge de la retraite),
d'avance, dans le temps. Ici, le type de travail n'est pas insuffisant.
L'établissement peut trouver un travailleur plus facilement. Avant
la révolution industrielle des XVIIIe et XIXe siècles, les intellectuels
constituaient une catégorie de personnes numériquement
limitées qui avaient un véritable monopole sur le travail mental.
Mais ensuite, la « production spirituelle » est devenue une sphère
de travail de masse. La généralisation de l'enseignement aux
enfants de toutes les catégories socio-professionnelles et sa
démocratisation en France (les grandes écoles de commerce,
d'ingénieurs et les universités prestigieuses ne sont plus élitistes,
l'enfant de l'ouvrier peut devenir ingénieur ou pharmacien) ont
abouti à une banalisation du travail intellectuel. Si dans les années
1950 ou 1960, celui qui avait un diplôme du baccalauréat pouvait
facilement avoir un CDI avec un salaire relativement élevé et des
avantages sociaux largement suffisants, actuellement, étant
donné que ce diplôme est accessible à tous, la personne qui ne l'a
pas est stigmatisée, ou marginalisée[1].

Son étude économique est faite par l'économie du travail, son


étude sociologique correspond à la sociologie du travail, et son
cadre juridique est le droit du travail. Il est fêté le 1er mai dans
certains pays.

Étymologie et histoire du mot


Article détaillé : tripalium.

L'étymologie de travail est discutée et ne fait pas l'unanimité.


Selon la linguiste Marie-France Delport, il est possible que ce
terme dérive des mots hispaniques médiévaux trabajo (= travail)
et trabajar (= travailler) (qui eux-mêmes dériveraient des termes
latins tripalium puis tripaliare croisés avec une forme à élément
vocalique [a][2]), ce qui exprimerait une tension qui se dirige vers
un but et qui rencontre une résistance[3],[4],[5]. D'autres explications
sont présentées ci-après.

En grec, ergon veut dire travail. On retrouve cette racine dans


chirurgien, énergie, synergie, allergie, ergo-thérapie, erg. Une
racine commune plus ancienne est à l’origine des mots : organe,
organisme, organiser, organisation, organique, orgue, orgie,
Panurge, et du mot anglais work[6].

On trouve la notion de travail en indo-européen dans les racines


PAG- et PAK- qui signifient « fixer matériellement et moralement »
et qui donneront une foison de mots tant dans le sens matériel
(PAG-) que dans le sens moral (PAK-) : ainsi, les mots pages, pieu,
paysan, paysage, empaler, paix, pacte, pacifique, etc. Ces deux
dernières racines proviendraient de la racine paç- en sanskrit qui
signifie le lacet, le piège[7].

Antiquité et Moyen Âge

Durant l'Antiquité, le terme bas latin trepalium (attesté en 582) est


une déformation de tripalium, un instrument formé de trois pieux,
auquel on attachait les animaux pour les ferrer (travail a ferrer) ou
les soigner, ou les esclaves pour les punir.

Ensuite, le mot travail apparaît au xiie siècle, selon Alain Rey[8]


pour qui il s'agit d'un déverbal de travailler, issu du latin populaire
tripaliare, signifiant « tourmenter, torturer avec le trepalium ». Au
xiie siècle, le mot désigne aussi un tourment psychologique ou
une souffrance physique (le travail d'accouchement). On trouve
aussi le verbe latin tribulare « presser avec la herse, écraser (le
blé) » ou, en latin ecclésiastique, au sens figuré de « tourmenter ;
torturer l'âme pour éprouver sa foi »[9]. Du Cange relève le mot
tribulagium qui dénomme une corvée due au seigneur, qui
consistait à battre le blé ou à broyer des pommes pour produire
du cidre. Le mot vient du mot latin tribulum qui désigne une herse
destinée à cet effet[10].

Une autre hypothèse avancée pour expliquer l'évolution du mot


travail vers son sens moderne avance une origine chrétienne du
mot. En effet, le christianisme et le monachisme, très influents au
haut Moyen Âge, auraient grandement contribué à diffuser une
représentation du travail actif, vu cependant comme une
conséquence du péché originel. D'où la règle édictée par saint
Benoît destinée à organiser et à régler la vie des moines
bénédictins autour de trois activités : l'office divin, la louange et le
travail manuel effectué en commun. Cette activité — dénommée
travail — vise à la fois à œuvrer pour permettre la subsistance de
la communauté, pour développer le bien commun (par exemple :
réaliser des défrichages), mais aussi à expier le péché originel.
L'expression « un travail de bénédictin » passée dans le
vocabulaire commun avec la signification d'un « travail
considérable et minutieux »[11] confirme l'idée que cette
innovation monastique a pu contribuer à forger et diffuser un sens
nouveau au mot travail.

Une étude de Marie-France Delport en 1984 semble infirmer la


thèse du "travail-trepalium". En partant des mots hispaniques
"trabajo" et "trabajar", elle met en avant la notion de passage issue
du préfixe trans: « on pourrait bien reconnaître la même image
d'un obstacle à franchir, d'une limite à transgresser, de quelque
chose qui se met en travers d'un parcours et qu'il faut
outrepasser. Ainsi, traba/trabar évoque l'idée d'un élément mis en
travers des jambes ou des pattes pour rendre difficile ou
impossible la marche»[12]. Plus tard, en 2008, une étude d'André
Eskénazi énonce ni plus ni moins que « l'étymon tripalium est une
chimère ; le prétendu dérivé tripaliare n'a donc pas plus de
consistance"[13]. Cette controverse n'oppose pas seulement deux
thèses étymologiques entre elles, mais aussi deux conceptions du
travail qui, dès lors, peut être à la fois un outil pour traverser des
obstacles comme une source de souffrance.

Époque moderne

Selon l'historien Georges Lefranc[14], c'est à partir du xve siècle,


xvie siècle que le mot commence à prendre l'acception que nous
lui connaissons aujourd'hui, à savoir celui d'activité productive.
Cependant, les représentations marquent davantage la distinction
entre le Labor (travail châtiment, peine au travail, conséquence du
péché) et l'Opus » (travail création, activité naturelle). Par la suite,
le terme travail remplace progressivement les deux termes usités
au Moyen Âge : labeur et ouvrage. Relevons enfin qu'au xvie siècle
travail prend aussi le sens de « se donner de la peine pour ». C'est
un signe que l'artisan paraît aux esprits novateurs de la
Renaissance et de la Réforme plus « utile » que le noble ou le
clerc [réf. nécessaire].

Épanouissement au travail
Dans un sens plus restreint, le travail peut être défini comme
l'action de produire de la valeur — des biens et/ou des services —
à destination d'autrui. Ce périmètre inclut les tâches ménagères,
mais exclut par exemple la toilette. Pour Henri Wallon (1879-
1962), travailler c’est « contribuer par des services particuliers à
l’existence de tous, afin d’assurer la sienne propre »[15].

Depuis le rapport Stiglitz (du nom du prix Nobel d'économie,


l'américain Joseph Stiglitz), les économistes insistent sur le fait
que le travail n'est pas seulement le travail rémunéré, l'activité
productrice des travailleurs : il comprend aussi le bénévolat et le
travail domestique.

Jacques Freyssinet, économiste français, sépare les différents


types de travail en travail libre, travail salarié et travail forcé, dans
le cadre d'activités marchandes ou non-marchandes[16].

En 1984, Marie Jahoda distingue dans son livre Wieviel Arbeit


braucht der Mensch? cinq aspects constructifs du travail[17],[18] :

1. Donne une structure temporelle à la vie ;


2. Crée des contacts sociaux hors de la famille et des amis ;
3. Donne des objectifs indépendants de ses besoins propres ;
4. Définit une identité et une utilité sociale ;
5. Force à l'action.

Dominique Méda (Le Travail, coll. « Que sais-je ? ») explique que la


notion de travail est historique et que le terme actuel est le
résultat de la sédimentation de trois couches de signification :

le travail facteur de production (xviiie siècle) ;


le travail-essence de l'homme (début xixe) ;
le travail pivot de la distribution des revenus, des droits et des
protections caractéristiques de la société salariale (fin xixe).

Pour Méda, « quand le travail vient à manquer, les communautés


se délitent, les liens se distendent, les hommes et les femmes se
retrouvent désoeuvrés au sens propre. Le travail est l'activité
princeps celle qui définit l'identité individuelle et collective au plus
haut point[18]. »

Des dimensions contradictoires coexistent et fondent la diversité


des interprétations du travail et des conflits sur la définition du
travail. Dans certains pays touchés par le chômage de masse, on
rencontre également des revendications sous la forme d'un « droit
au travail ». Le travail est un élément important pour
l'appartenance des individus à une société, ce qui explique le
désarroi d'une partie des chômeurs involontaires.
« La double dimension contradictoire du travail, à la
fois source d'aliénation et acte social porteur
d'émancipation. »

— Les Économistes atterrés, Faut-il un revenu


universel ? p. 13, 2017 (ISBN 978-2-7082-4533-4)

Histoire

Antiquité

L'esclavage a été utilisé au cours de l'Antiquité pour accomplir les


tâches les plus dures[19].

En Grèce antique, la notion de travail n'existe pas en tant qu'unité


conceptuelle. L'activité agricole y est davantage valorisée que
l'artisanat et le commerce, pour des raisons religieuses et morales
(travailler la terre revient à avoir une activité autarcique). Le travail
est conçu de manière ambivalente, pouvant être apprécié (ainsi
Ulysse fabriqua lui-même son lit, Athéna et Héphaïstos, adorés
notamment à Athènes, protègent les artisans, l'oisiveté est
réprimée par des lois) ou décrié (l'esclavage est sans doute à
l'origine d'une telle conception, certaines cités réservent la
citoyenneté à ceux qui ne travaillent pas, Aristophane se moque
du fils d'une vendeuse de légumes et d'un tanneur)[20].
Du Moyen Âge à la Période moderne (xixe siècle -
xxe siècle)

En Europe occidentale, pendant le Haut Moyen Âge, le mouvement


monastique s'est fondé en grande partie sur le travail (voir Règle
de saint Benoît), donnant au travail un but de fraternité du point de
vue communautaire et aussi d'épanouissement dans la
participation au bien commun (pensé en rapport à la création
divine).

Jusqu’alors le travail est un signe évident de servitude mais


Benoît décide de le faire entrer dans l’éthique chrétienne
permettant la plénitude de l’opus dei. Les moines construisent
une société chrétienne autant par le travail de leurs mains que par
le travail de leur esprit. À la fois centre culturel voué à l’instruction
des clercs et à la diffusion des rites officiels et entreprise
économique, le monastère bénédictin connaît un succès
considérable encouragé par les autorités politiques qui voient
dans les ordres monastiques de fidèles alliés pour pacifier et
réguler la vie sociale des royaumes barbares[21].

Parallèlement au travail libre, existait le servage, lequel instaurait


une obligation de travail pour les paysans envers leurs seigneurs.
En France, le servage a quasiment disparu après la guerre de Cent
Ans, et, persistant localement, il a d'abord été aboli dans tout le
domaine royal par Louis XVI (en 1779), puis définitivement
pendant la Révolution française. Avant la révolution industrielle
(dans les sociétés precapitalistes).

Robert L. Heilbroner (économiste américain), considère que, dans


les sociétés précapitalistes (d'avant la révolution industrielle de
1789), le travail n'est pas une marchandise à vendre librement
dans un marché[22]. Dans les compagnes, le travail du serf à
l'égard de son supérieur (appelé le seigneur) est un devoir est non
pas un droit : le travailleur est attaché à vie à son seigneur. À côté
du travail domestique, le serf a le devoir de le protèger par le port
des armes lorsqu'il est menacé, de l'extérieur, par d'autres
seigneurs plus puissants. En ville, le travail des apprentis envers
leurs maîtres est strictement réglementé par les corporations et
aucune liberté, ou innovation, n'est admise[22].

Période Contemporaine (xixe siècle - xxe siècle)

Elle est caractérisée par la généralisation du salariat.

Réglementation du travail
Article connexe : Déréglementation.

Les règles du travail sont déterminées par le code du travail et


s'imposent aux employeurs comme aux salariés. Chacun se doit
de respecter les lois et la réglementation du travail.
Il existe un certain nombre de règles ayant valeur internationale,
dans les conventions de l'Organisation internationale du travail
(OIT) ou dans le cadre du droit européen.

Le droit du travail s'est progressivement constitué sous pression


du mouvement ouvrier (à partir du milieu du dix-neuvième siècle)
avec l'élimination du travail des enfants, la lutte pour la baisse du
temps de travail, pour l'amélioration des conditions de travail et la
reconnaissance du syndicalisme.

En France, le corps de l'inspection du travail est chargé de veiller à


ce respect, au besoin en faisant appel à la Justice. Employeurs ou
salariés du privé peuvent aussi faire appel au conseil de
prud'hommes pour trancher un litige.

Les prescriptions du droit du travail ne sont respectées que dans


les pays occidentaux. Les salariés y sont démocratiquement
représentés dans les syndicats ouvriers et dans les comités de
leurs représentants au sein des établissements d'emploi
(entreprises privées ou organisations publiques). De plus, les
juridictions du travail appliquent les lois de façon scrupuleuse.
Inversement, ces dispositions ne sont pas équitablement
appliquées dans les pays pauvres. Dans la plupart des cas, les
syndicats et les représentants des salariés ne défendent pas
fidèlement leurs adhérents et ne sont pas généralisés à tous les
établissements. Bien que la législation du travail existe, ses
dispositifs sont appliqués de façon discriminatoire. La corruption,
le clientélisme et les privilèges des personnes censées appliquer
ces lois et des représentants des salariés eux-mêmes, ajoutés à
l'intimidation des victimes en cas de dépassements, font que
l'application de ces lois reste très arbitraire et dépend, dans la
plupart du temps, de la volonté des responsables juridiques et de
leurs complices.

Critique radicale du travail


Au xixe siècle, alors que les effets négatifs de l'industrialisation
deviennent manifestes (exploitation des enfants, accidents, usure
et mortalité…) certains écrivains, tels le Français Émile Zola
(notamment dans ses romans Germinal, 1885 et, surtout,
L'Assommoir, 1877, qui a rendu l'écrivain célèbre), et certains
philosophes dénoncent les conditions de travail dans les usines.
Au premier rang d'entre eux, vient l'Allemand Karl Marx (et son
ami, Friedrich Engels) : partant de l'analyse de ces conditions, il
développe une critique de l'ensemble du système capitaliste et
affirme que le salariat constitue intrinsèquement la source de la
domination de la bourgeoisie sur le prolétariat.

D'autres, plus rares, se livrent à une critique du travail lui-même,


dès lors qu'il est vécu non plus seulement comme une simple
contrainte mais comme une véritable aliénation. Notamment Paul
Lafargue, gendre de Karl Marx (et ce dernier lui-même), qui publie
Le Droit à la paresse en 1880. Au début du xxe siècle, le cinéaste
Charlie Chaplin décrit cette aliénation dans son film Les Temps
modernes (1936). Plus tard, divers sociologues, notamment les
Français Georges Friedmann[23] et Jacques Ellul, s'attachent à
analyser le sens de cette aliénation. Ils avancent que, bien que la
productivité ait explosé au cours du xxe siècle, cela ne s'est que
faiblement répercuté sur la quantité de travail à fournir[24]. Ils
considèrent que le travail « moderne » est déconnecté de sa
finalité : le travailleur devient un simple rouage d'un système qui le
dépasse totalement[25], il est exhorté à produire toujours plus,
alors que l'on baigne dans la surproduction d'objets superflus et
que l'on consomme beaucoup trop d'énergie au détriment de
l'équilibre écologique de la planète[26]. Ellul estime que, malgré les
dommages qu'il cause, le travail continue d'être universellement
érigé en valeur et qu'il en est ainsi parce qu'il est vécu comme une
« promesse de bonheur », plus précisément de confort matériel, la
quête de confort primant désormais sur toutes les valeurs
traditionnelles, à commencer la liberté[27]. S'étant livré à une
exégèse de la pensée de Marx[28], il considère que l'analyse de
celui-ci, pertinente au xixe siècle, ne l'est plus au xxe siècle : ce
n'est pas le capitalisme qu'il faut remettre en cause mais aussi le
communisme, qu'il assimile au capitalisme d'État et, de façon plus
globale, le productivisme[29]. Et ce n'est plus seulement le travail
qu'il faut démystifier, mais ce qui démultiplie l'efficacité produite
autrefois par le travail (et qui du coup dévalue celui-ci de facto) : la
technique[30].
La critique radicale du travail a également été théorisée par Guy
Debord (la fameuse armée de l'arrière travail de la société du
spectacle qui disait « Ne travaillez jamais »), le groupe allemand
Krisis (Le manifeste contre le travail) ou Serge Latouche (pour les
critiques des notions de croissance et de développement) : ils
peuvent se rencontrer chez des partisans de la décroissance,
chez les marxistes hétérodoxes, les marxiens voire chez les
anarcho-communistes. Pour le groupe Krisis (et le reste des
auteurs de la « nouvelle critique de la valeur », comme Anselm
Jappe, Moishe Postone ou Jean-Marie Vincent), le travail tel qu'il
se présente sous le capitalisme ne doit pas être considéré comme
l'essence de l'homme, naturelle et transhistorique. Ces auteurs
pensent que le travail n'est pas d'abord une activité, mais que,
sous le capitalisme, il est un rapport social très particulier au
cœur social du fonctionnement du capitalisme. Il est certes un
« travail concret » (le fait de produire une valeur d'usage), mais
cette dimension est intérieurement constituée par une autre
dimension, totalisante et qui la domine : le « travail abstrait ».
Celui-ci est considéré par ces auteurs comme l'essence sociale de
la société capitaliste. Il est d'abord issu de la fonction de
médiation sociale entre les hommes, qu'a le travail dans le type de
socialisation produite par le capitalisme : c'est par le travail que
j'obtiendrai les produits fabriqués par d'autres. Mon travail se
reflète alors sur l'ensemble du travail social global. C'est ainsi que
le travail que l'on fait chaque jour serait du « travail abstrait ». Mais
ce n'est pas le fait de faire quelque chose qui n'a pas de sens, le
« travail abstrait » est ce que le travail est structurellement devenu
dans le capitalisme, une forme de socialisation abstraite, qui
capte et structure l'agir des individus. Cette abstraction du travail
s'accomplit journellement, non pas par le moyen de la conscience,
de l'imaginaire ou d'une « idéologie du travail », mais dans le
déroulement même de la production sociale (il est alors une
« abstraction réelle » particulièrement difficile à dépasser). Loin
d'opposer le travail et le capital comme le fait le marxisme
traditionnel, au contraire, ces auteurs pensent qu'ils « ne sont que
deux étapes successives dans la métamorphose de la même
substance : le travail abstrait »[31]. À l'opposé de la traditionnelle
théorie de la valeur-travail développée par l'économie politique
classique et le marxisme traditionnel, ce courant développe une
théorie de la forme sociale de la valeur. La valeur est la
représentation du « travail abstrait » (en tant que forme sociale), et
apparaît au moment de l'échange marchand. Pour Krisis, il ne faut
donc pas libérer le travail du capital (par la politique et le retour de
l'État social, en le moralisant, en lui donnant des règles, etc.)
puisqu'il lui est intrinsèquement lié, mais se libérer du travail en
lui-même. Abolir le travail dont la forme sociale et la trajectoire
sont la composante fondatrice du procès de la valorisation du
capital, pour inventer à la place de nouveaux rapports sociaux.
Chez Serge Latouche[32], la critique du travail est différente : il
s'attache d'abord à montrer que la domination du travail serait une
domination de « l'idéologie du travail » et passerait aussi par
l'imaginaire social. Il propose alors, par un retour sur nos actes et
notre conscience, de « décoloniser l'imaginaire ». En France, la
critique radicale du travail s'exprime essentiellement aujourd'hui à
travers le mouvement de la décroissance, dont Latouche est l'un
des principaux animateurs.

Le féminisme matérialiste et sa lecture marxiste des relations


entre les sexes a également contribué à politiser de façon radicale
le travail et à élargir son questionnement[33]. En montrant que ce
qui compte comme du travail est un enjeu primordial dans le
processus de production des hiérarchies sociales et sexuées, il a
permis de dénaturaliser la catégorie travail, la partition des
sphères privée et publique sur laquelle elle repose, et les
exclusions qu’elle produit. La formulation de la notion de travail
domestique, qui recouvre l’ensemble des services domestiques
effectués au sein du foyer, de l’éducation des enfants aux
relations sexuelles en passant par les tâches ménagères, a
contribué à révéler le fonctionnement patriarcal de la famille qui
s'appuie sur l'appropriation du travail gratuit des femmes[34].
Contestant l’opposition et la hiérarchisation naturalisée entre une
sphère masculine liée à la production marchande de biens et de
services et une sphère féminine consacrée à la reproduction
biologique de l’être humain et de sa force de travail, elle met en
évidence ce qui relève d’une division sexuée du travail au cœur
des rapports sociaux entre les sexes[35].
Différentes analyses critiques du travail ont ainsi été publiées
durant les années 1980-1990[36].

Notes et références
1. Jean-Pierre Delas, Économie contemporaine, Faits, concepts,
théories, Paris, éditions Ellipses, 751 p.
2. Marie-France Delport, « « Trabajo-trabajar(se) » : étude lexico-
syntaxique », Cahiers d'Études Hispaniques Médiévales,‎1984,
9, p. 99-162 / V. p. 100
(DOI 
https://doi.org/10.3406/cehm.1984.943 (https://dx.doi.org/https%3
, lire en ligne (https://www.persee.fr/doc/cehm_0396-9045_19
84_num_9_1_943)  [archive])
3. Marie-France Delport, « « Trabajo-trabajar(se) » : étude lexico-
syntaxique », Cahiers d'Études Hispaniques Médiévales,‎1984,
9, p. 99-162 / V. p. 162
(DOI 
https://doi.org/10.3406/cehm.1984.943 (https://dx.doi.org/https%3
, lire en ligne (https://www.persee.fr/doc/cehm_0396-9045_19
84_num_9_1_943)  [archive])
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p://www.reseau-salariat.info/ad500f7ce534212085c25a6151f
229db?lang=fr)  [archive], sur reseau-salariat.info, 11 mai 2017
(consulté le 21 septembre 2019)
5. Franck Lebas, « L’arnaque de l’étymologie du mot travail » (htt
p://www.reseau-salariat.info/ad500f7ce534212085c25a6151f
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(consulté le 19 janvier 2020)
6. La Lettre du Cardiologue / No 416 juin 2008 Denis Chemla,
Philippe Abastado C. Damour-Terrasson
7. H. K. L. et R. Grandsaignes d'Hauterive, « Dictionnaire des
racines des langues européennes (grec, latin, ancien
français, français, espagnol, italien, anglais, allemand) »,
Books Abroad, vol. 24, no 1,‎1950, p. 49 (ISSN 0006-7431 (http
s://www.worldcat.org/issn/0006-7431&lang=fr) ,
DOI 
10.2307/40088942 (https://dx.doi.org/10.2307/40088942) ,
lire en ligne (https://dx.doi.org/10.2307/40088942)  [archive],
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page&q=tribulagium&f=false)  [archive]
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12. DELPORT Marie-France, Trabajo-trabajar(se) » : étude lexico-
syntaxique. N°9, 1984., Cahiers de linguistique hispanique
médiévale, pp. 99-162
13. ESKÉNAZI André, L'étymologie de Travail, In: Romania, tome
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14. Georges Lefranc, Histoire du Travail et des travailleurs, Paris,
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Yves Clot et Michel Gollac ; ANACT ; publié le 14/10/14
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21. monachisme chrétien, université de Toulouse (http://w3.multi
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4l.htm#III)  [archive]
22. Jean-Pierre Delas, ..., p. 14
23. Georges Friedmann, Le travail en miettes : dans cet ouvrage,
l'auteur adresse un ensemble de critiques au taylorisme.
24. Jacques Ellul, Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?
25. Georges Friedmann, Le travail en miettes : Spécialisation et
loisirs, Gallimard, 1956
26. Jacques Ellul, Le bluff technologique, 1988. Troisième édition,
Fayard/Pluriel, 2012
27. Jacques Ellul, Métamorphose du bourgeois, 1967. Deuxième
édition, La Table ronde 1998
28. Jacques Ellul, La pensée marxiste. Cours professé à l'Institut
d'études politiques de Bordeaux de 1947 à 1979, La table
ronde, 2003
29. Jacques Ellul, Changer de révolution. L'inéluctable prolétariat,
1982. Deuxième édition, La Table ronde 2015
30. Jacques Ellul, La Technique ou l'Enjeu du siècle, 1954.
Troisième édition, Economica, 2008
31. Anselm Jappe et Robert Kurz, Les habits neufs de l'Empire.
Remarques sur Negri, Hardt, Ruffin, Léo Scheer, 2003
32. Serge Latouche, L'invention de l'économie, 2005
33. Annie Bidet-Mordrel, Elsa Galérand et Danièle Kergoat,
« « Analyse critique et féminismes matérialistes. Travail,
sexualité(s), culture » », Cahiers du Genre,‎2016, p. 5-27
34. Christine Delphy, L’Ennemi principal, t. 1, Économie politique du
patriarcat, Paris, Syllepse, 1998, 262 p.
35. Anaïs Albert, Clyde Plumauzille et Sylvain Ville, « Déplacer les
frontières du travail », Tracés. Revue de Sciences humaines,
no 32,‎18 mai 2017, p. 7–24 (ISSN 1763-0061 (https://www.wo
rldcat.org/issn/1763-0061&lang=fr) , lire en ligne (http://journa
ls.openedition.org/traces/6822)  [archive], consulté le
12 décembre 2018)
36. Par exemple : Réflexions sur écologie… industrialisme… travail
(http://cf.geocities.com/hemeis2003/pi91_industrialisme.htm
l)  [archive] dans Le Point d'Interrogations (http://cf.geocities.c
om/hemeis2003/index.html)  [archive], L'abolition du travail
(The abolition of work) (http://cf.geocities.com/hemeis2003/In
t_jui_90.html)  [archive] de Bob Black traduit en français dans
la revue Interrogations…

Voir aussi

Bibliographie

Histoire générale du travail (Tomes 1 à 4) publiée sous la


Direction de LH Parias, Éd. Nelle Librairie de France
Le travail en miettes : Spécialisation et loisirs, par Georges
Friedmann, Gallimard, 1956
Histoire du travail et des travailleurs par Georges Lefranc, Paris
1957, Lib Ernest Flammarion
Ils travaillaient la France, Métiers et mentalités du 16e au 19e
siècle, par Albert Poitrineau, Éd. Armand Colin Paris 1992
Inconcevable critique du travail, analyse sociologique des
conséquences de l'activité humaine, par Christophe Dargère, Éd.
L'Harmattan Paris 2012
les marchés du travail en Europe, IRES (collectif), Éd. la
découverte collection Repères paris 2000
Les politiques de l'emploi par Liem Hoang-Ngoc, Éd. du Seuil
Paris 2000
le Travail dans vingt ans, Rapport de la Commission présidée par
Jean Boissonnat, Éd. Odile Jacob / la documentation Fse Paris
1995
Pourquoi nous travaillons, par Jean Fourastié, Éd. PUF / Que
sais-je no 818 Paris 1970
Travailler et vivre, Compte rendu de la 85° Session des
Semaines Sociales de France, novembre 2000 Bayard
La machine et le chômage, Progrès technique et Emploi, par
Alfred Sauvy, Éd. Dunod / Bordas Paris 1980
Du temps pour vivre La semaine de 4 jours à la carte, par Pierre
Larrouturou, Éd. Flammarion 1995
L'allergie au travail, par Jean Rousselet, Éd. du Seuil 1974.
La fin du travail par Michel Drancourt, Éd. Hachette Collection
« Pluriel », 1984
Le droit à la paresse par Paul Lafargue (présentation nouvelle de
Maurice Dommanget), Éd. Petite Collection Maspero Paris 1972
Travailler deux heures par Jour par Adret (collectif d'auteurs), Éd.
du Seuil Paris 1977
Le chômage créateur, postface à la Convivialité par Ivan Illich, Éd.
du Seuil Paris 1977
Le travail, par Dominique Méda, Ed. PUF Collection Que sais-je ?,
2007
Le travail. Une valeur en voie de disparition ?, par Dominique
Méda, Ed. Champs Actuel, 2010
Réinventer le travail, par Dominique Méda et Patricia Vendramin,
Ed. PUF, Collection Le lien social, 2013
Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?, par Jacques Ellul
(compilation d'articles), La Table ronde, 2013
Le travail, histoire d'une idéologie, par Guillaume Borel, Ed.
Utopia, Paris, 2015
"Déplacer les frontières du travail (https://journals.openedition.o
rg/traces/6821)  [archive]", dossier coordonné par Anaïs Albert,
Clyde Plumauzille et Sylvain Ville,Tracés. Revue de Sciences
humaines (https://journals.openedition.org/traces/)  [archive],
2017.
Cédric Perrin, « L’artisanat, un ordre économique sans
machine ? Penser et repenser l’artisanat et la société française
au XXè siècle », L’homme et la société, n°207, 2017.
Bande dessinée
Platon La Gaffe - Survivre au travail avec les philosophes, du
philosophe Charles Pépin, en collaboration avec Jul, Dargaud,
2013
Filmographie

Critique du travail

Attention danger travail, film documentaire de Pierre Carles


J'ai très mal au travail, film documentaire de Jean-Michel Carré
Volem rien foutre al païs[2] (http://www.rienfoutre.cabrule-lefilm.
com/)  [archive], film documentaire de Pierre Carles, Christophe
Coello, Stéphane Goxe

Articles connexes

Économie
Capitalisme Employé entre travail et
Coût du travail Entreprise capital)

Croissance Fonction publique Plein emploi


économique Marché du travail Productivisme
Décroissance - marché du Rémunération
(économie) travail en France Salaire à vie
Division du travail Partage de la Taux d'emploi
Économie du valeur ajoutée
Salariat
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travail
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Liens externes

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Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
Britannica (https://www.britannica.com/topic/labor-in-economics)
·
Dictionnaire historique de la Suisse (http://www.hls-dhs-dss.ch/textes
·
Dizionario di Storia (http://www.treccani.it/enciclopedia/lavoro_(Dizio
·
Treccani (http://www.treccani.it/enciclopedia/lavoro)  [archive] ·
Universalis (https://www.universalis.fr/encyclopedie/travail/)  [archiv
Ressource relative à la santé :
(en)  Medical Subject Headings (https://meshb.nlm.nih.gov/record/u
Organisation Internationale du Travail (OIT) (http://www.ilo.org/
global/lang--fr/index.htm)  [archive]
Jean-Pierre Baudet, Critique du travail marginal et de sa place
dans l'économie spectaculaire (http://www.lesamisdenemesis.c
om/?p=162)  [archive].
Les Amis de Némésis, Voyage en Giménologie (http://www.lesa
misdenemesis.com/?p=50)  [archive] (discussion à propos du
dépassement du travail dans l'Espagne libertaire de 1936).

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