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SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

13 | SOCIOLOGIE DU TRAVAIL - LE TRAVAIL ET L’EMPLOI

1 . S O C I É T É S A L A R I A L E E T D É S A F F I L I AT I O N - L E S F R O N T I È R E S D U T R AVA I L

1.1. CERNER LE TRAVAIL

Délimitation difficile : les frontières du travail et du hors travail ne sont jamais évidentes à délimiter ; une seule et
même activité peut relever du travail dans certains cas et pas dans d’autres. Plus que le contenu même des activités,
c’est le contexte dans lequel elles se déroulent qui détermine leur dénomination comme «travail».

Le travail c’est quoi ? La définition dépend du contexte socio-historique et du mode dominant d’organisation
sociale. Cela peut être à la fois ce par quoi les individus sont exclus de la vie de la cité et ce par quoi ils y sont
intégrés. Plusieurs définitions du «travail» ont été proposées sans qu’aucune ne fasse totalement consensus.

Étymologie de «travail» : en Français le mot travail vient du bas latin trepalium ou tripalium ; composé de trois pieux
(tripalis), l’outil servait à immobiliser les grands animaux - les boeufs ou les chevaux - pour mieux les ferrer. Par
extension, le travail se fait «instrument de torture» et est assimilé à celui qui souffre au XIe siècle. L’accouchement
acquiert un tel statut au XIIe siècle. La religion établit le travail comme une punition imposé par dieu depuis que Eve a
fauté. On a donc longtemps associé le travail à la douleur, à la souffrance et à l’absence de liberté.

Hannah Arendt (1958) - distinction travail, oeuvre et action : 1) Travail, une activité physique visant à assurer la
survie et dont les produits sont consommés immédiatement. 2) Oeuvre, activité productive qui nécessite la référence à
un modèle présent avant la fabrication et qui subsiste après elle. 3) Action, capacité à innover et qui inclut une
imprévisibilité des conséquences.

Problème de la distinction : en dehors des sociétés dites «primitives», les produits du travail ne sont que rarement
destinés à une consommation immédiate, mais à la survie des individus en dépendent néanmoins. Il s’agit donc d’une
vision restrictive.
11-12e siècle : Le « travail » associé à la douleur, la souffrance et l’absence de liberté
1.2. DU TRAVAIL AU SALARIAT seulement 16e siècle : Le « travail » comme source de subsistance et d’utilité

Max Weber : le fait d’entrer progressivement dans une valorisation du travail est une stratégie des églises protestantes
selon Max Weber. Le travail se transpose au centre de l’héritage judéo-chrétien en Europe.
le travail comme fin en soi et garant d’une vie éternelle avec la Réforme protestante (15e-16e)
Société préindustrielle ou féodale : elles connaissent le travail essentiellement sous la forme de la production
agraire, de l’artisanat et du commerce à l’échelle locale. Les travailleurs possèdent leurs outils de travail (les terres) et
une économie de subsistance (transforme les matières premières pour leurs besoins ou pour vendre à proximité). Il n’y
a qu’une minorité qui vit sur le travail des autres par les rentes. Production en vue de l’autosuffisance, Peu d’accumulation de capitaux
Les espaces de production ne sont pas séparés des autres espaces sociaux (14e => 18e)
Évolution de la vision du travail : au XXe siècle l’accès au travail est vu comme préalable aux diverses étapes de la
vie d’adulte, principalement pour les hommes. En 1970 on retrouve, en corollaire de la montée du chômage, une
modification du statut du travail qui devient un élément essentiel d’intégration sociale des individus. Dès lors que le
travail vient à manquer et qu’on se rend compte de la fonction qu’il remplit pour intégrer les individus dans des
réseaux, pour avoir une reconnaissance sociale. - Source de rattachement à des collectifs de vie (communautés, corporations)
- Source de construction d’une identité sociale

Travail comme facteur d’intégration sociale : cette vision du travail comme fondement des identités et ciment de
la solidarité sociale est tout à fait récente dans l’histoire de la pensée occidentale. Comme le démontre Robert Castel
(1995), le travail n’a pas toujours été considéré comme une activité sociale importante et valorisée. Aujourd’hui encore
certains sociologues contestent la «centralité du travail» dans nos sociétés. Le salariat comme condition indigne

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Nombre de gouvernements n’ont qu’un objectif central : la croissance économique
avec essentiellement deux réponses
1. La flexibilisation accrue du travail et de l’emploi: une précarisation générale des contrats de travail
- Contrats à durée déterminé
- Salaires « flexibles »: salaire brut bas et possibilité de
primes
- Externalisation et sous-traitance
- Temps de travail annualisé
- Flexibilité fonctionnelle (interchangeables --> plus
facile de licencier)
- « l’uberisation » des rapports de travail : faire passer des employés pour des indépendants – pas de protection sociale

2. L’attentisme: s’en remettre à la capacité de la révolution technologique à booster la productivité et à relancer une nouvelle vague de croissance
2 réponses insatisfaisantes car:
- Les politiques de flexibilisation du travail et de l’emploi sont loin d’avoir les effets escomptés
Aucune relation de cause à effet fermement établie entre flexibilisation du marché du travail et baisse de chômage
- La flexibilisation des marchés du travail s’est accompagnée d’une paupérisation accrue des travailleurs les plus fragiles
- la part des travailleurs pauvres en zone euro est passée de 7,3% en 2006 à 9,5% en 2016 (Office européen de la statistique, 2018).
→ ces politiques génèrent des inégalités sociales

L’attentisme relève d’une confiance aveugle dans les progrès technologiques:


- Rien ne dit que le boom prévu aura lieu
- les partisans de la révolution technologique ne posent jamais
- la question des inégalités sociales : a qui profitera l’hypothétique
croissance ?
- la question écologique : quid des effets des nouvelles technologies sur l’environnement?
- consommation mondiale de matières + élevée que jamais
Ex : l’informatique et le numérique - exploitation des ressources -
consommation énergétique - production de déchets
Ordinateurs, data centers, réseaux... 10 % consommation mondiale d’électricité. En augmentation.
- croissance économique bienfaits, progrès, maux, dégradations. dégâts /patrimoine naturel, cohésion sociale, travail.

• rapport au travail -choix politiques -enjeux actuels ?


en relation avec :
- La question de la protection sociale : quels services collectifs car
considérés comme socialement utiles ?
- La question de la production : que produire et pour quoi ? Quelle
conception de la richesse pour quelle société ? Purement économique ? Elargie aux enjeux sociaux ?
Þ Quel avenir pour le travail dans nos sociétés ?
Þ Quels fondements pour nos sociétés ? Différentes solutions
- Réformes libérales
- Salariat à vie
- Salaire minimum de base...

Quel avenir pour le travail dans nos sociétés ? Quels fondements pour nos sociétés ?
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Travail dans l’Antiquité : dans la Grèce antique, on retrouve la «sphère de la liberté» versus la «sphère de la
nécessité», le statut des esclaves étant directement associé à cette dernière. Toutes les formes de travail (manuel)
n’étaient pas forcément méprisées mais tout individu qui devait travailler pour survivre était considéré comme «ignoble»
et était d’emblée exclu des activités démocratiques de la cité antique. Seuls les individus (de sexe masculin) qui
n’avaient pas besoin de travailler pour survivre pouvaient voter.

Salariat avant le 19e siècle (Castel) : le «travail» était source de rattachement à des collectifs de vie (corporations,
communautés villageoises, etc.) alors que le «salariat» (le fait de vendre sa force de travail a autrui) fut longtemps une
situation incertaine, indigne, misérable. C’est la révolution industrielle qui va changer cette vision en cloisonnant le
travail par rapport aux autres sphères de la vie quotidienne. En parallèle à cela on retrouve la relation salariale qui va
devenir le principal mécanisme d’intégration sociale des individus, spécialement les hommes. Avant le salariat organise
le travail de ceux qui n’ont rien et passe à une relation de travail entre un patron et des salariés.
Essor du capitalisme industriel invente le salariat comme forme particulière de travail

«On était salarié lorsqu’on n’avait rien d’autre à échanger que la force de ses bras. On ‘tombait’ dans le salariat (ruine
de l’artisan), état de dépendance contraignant à vivre au jour le jour, sous l’emprise du besoin» (cité dans Alternatives
économiques, n° 21, 2005).

Les métamorphoses de la question sociale - une chronique du salariat : Castel analyse en détail l’avènement
de ce qu’il appelle la «société salariale». La construction du salariat est vue comme voie d’accès la plus directe à un
ensemble de protections contre les risques sociaux (accidents, maladie, chômage, vieillesse, etc.). Du débat du 20e
siècle jusque dans les années 60 on est passé du salariat précaire au salariat comme matrice de l’intégration dans la
société, notamment grâce aux droits sociaux accordés aux salariés et à leurs familles et grâce à une bonne situation
du travail. Après la crise la situation change.

Handicapologie : on distingue les bons et les mauvais pauvres. On le voit dans les oeuvres de charité ; qui sont ceux
qui méritent qu’on soit généreux avec eux. Cela correspond aussi aux aides sociales ; à qui on va verser des aides. On
distingue ceux qui ne peuvent pas travailler de ceux qui ne sont pas obligés de travailler (étudiant, femme enceinte) et
de ceux qui sont oisifs par choix.
Le salariat a joué un rôle central dans la stabilité (et la richesse) des sociétés industrielles occidentales du 20e
1.2.1. Conditions de passage à la «société salariale» (Castel) (début 20e => années 1960)
« Une société dans laquelle l'identité sociale se fonde sur le travail salarié plutôt que sur la propriété
• Distinguer les membres actifs : distinguer clairement la population active des autres membres de la société («oisifs
légitimes»).
• Fixation / séparation : fixer le travailleur à son poste et séparer aussi rigoureusement que possible le temps de
travail du temps de loisir.
• Promotions de biens : promouvoir l’accès à de nouvelles formes de consommation par l’intermédiaire du salaire,
par exemple le rêve américain. Le salariat comme voie d’accès à la protection contre les risques
sociaux => Création de l’Etat social
• Mobilisation collective des travailleurs : mobilisation collective des travailleurs (y compris ceux qui sont
provisoirement privés d’emploi) en faveur de nouveaux droits sociaux (retraite, allocations chômage, salaire minimum,
conditions décentes de travail, etc.). La façon dont on décide d’accorder progressivement des droits aux individus
dépend des revendications des salariés.
• Droit de travail pour tous : l’émergence d’une revendication en faveur d’un droit au travail pour tous (et toutes?)
alors que le travail devient le socle de l’organisation sociale et la principale source d’identité et d’intégration sociale.
Cela implique alors une idée péjorative de ceux qui ne travaillent pas.
Une extension du salariat à tous les types de travailleurs

Le salariat comme synonyme de sécurité et nouvelle condition normale du travailleur: le « travail » devient ainsi source de richesse, de réalisation de soi
socle de la cohésion sociale dan les sociétés occidentales contemporaines

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Salariat = Matrice de l'intégration dans la société, grâce au plein- emploi et aux droits sociaux garantis aux travailleurs salariés et à leur
famille
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Statut des femmes : jusque dans les années 50 les femmes pouvaient être intégrées socialement sans participer au
salariat à condition d’être mariées et/ou mères de famille. Quand on est mariée on bénéficie de droits sociaux que le
Le modèle de la « société salariale » se fissure sous l’influence de la
mari acquière dans son travail. mondialisation et des mutations économiques et technologiques
- Crises économiques et financières
- Flexibilisation et précarisation de l’emploi et du travail
- Division internationale du travail
1.3. DE LA SOCIÉTÉ SALARIALE À LA DÉSAFFILIATION - Enjeux de développement durable
- Automatisation et intelligence artificielle
- Nouvelles aspiraBons au travail
Castel défend la thèse de la nécessaire « centralité du travail »
Deux dimensions de la société salariale (Castel) : 1) la participation dans la division du travail, 2) la participation
aux réseaux de sociabilité. Castel insiste sur le fait qu’il n’y a pas forcément de corrélation entre les deux - l’exclusion
du travail peut être compensée par la densité des réseaux sociaux par exemple.

«Processus de désaffiliation» : la cause du processus de désaffiliation est la déstabilisation et la vulnérabilité d’une


masse croissante de salariés. Castel en vient à distinguer trois formes de cohésions sociales

Formes de cohésion sociale : 1) la forme dite «d’intégration» associe le travail stable et une insertion relationnelle
solide, 2) la forme dite de «désaffiliation» associe l’absence de participation à toute activité productive et l’isolement
relationnel, 3) la forme dite de «vulnérabilité sociale» est une forme intermédiaire, instable, qui conjugue la précarité du
travail et la fragilité des relations.

Deux ordres qui fondent la société salariale : 1) l’ordre «contractuel», un accord entre individus indépendants et
autonomes, comme dans le cas du contrat de travail, 2) l’ordre «statuaire», couvrant un ensemble de droits et
d’obligations associées à des collectifs de travail. Castel appelle au maintien de ces deux ordres et voit dans cette
combinaison une protection contre la concurrence marchande et l’individualiste, qui menacent la cohésion sociale. On
peut dire qu’avec Robert Castel on défend la thèse que le travail doit être central dans les sociétés actuelles pour
accéder aux droits sociaux. C’est une vision positive du travail qui permettrait de protéger contre la désaffiliation.
D’autres sociologues contemporains du travail comme Dominique Meda proposent des approches différentes du
travail. Castel montre que même le « salariat » n’a pas de sens univoque : synonyme de précarité ou de marginalisation, synonyme de
stabilité « d’intégration » et de cohésion sociale (surtout quand il s’adosse à un « Etat providence »).
MAIS les sociétés occidentales n’ont pas d’autre choix que de « sauver la société salariale », puisque leur stabilité en dépend.
1.4. LE TRAVAIL : UNE VALEUR EN VOIE DE DISPARITION ?

Meda D. - Le travail, une valeur en voie de disparition (1995) : comment est ce que «certaines activités ont-elles
isolées et distinguées, rassemblées et mélangées pour aboutir à notre conception moderne de travail» et comment «la
sociologie a procédé pour faire du travail l’activité humaine par excellence», comme moyen d'accomplissement de soi.
Elle démontre que le 20e siècle n’est pas tant le siècle du travail que celui de l’emploi.

Les trois dimensions du travail de Meda : à la fois contradictoire et incompatible mais articulée ; 1) le travail
comme facteur de production de richesses, 2) le travail comme condition de réalisation de soi, d’expression de
«l’essence de l’Homme» et de sa créativité, 3) le travail comme voie privilégiée d’accès aux revenus, au système de
protection sociale et à la citoyenneté. Ces trois dimensions renvoient à l’idée que quand on travaille on produit, on
s’épanouit et se construit un accès à des droits impossible autrement. Les attentes qui découlent de cette articulation
de ces trois dimensions posent problème et ne permettent pas de profiter du fait que la productivité augmente. Vu
cette augmentation on pourrait réduire le temps de travail, or le problème est qu’en ne régulant pas le temps de travail
par rapport à la productivité on crée le problème du chômage qui menace la cohésion sociale.
« Chômage structurel » de masse

Solution de Meda : contrairement à Castel qui veut que tout le monde ait un travail, il faudrait une réorganisation
radicale de la société de manière à «remettre le travail à sa place» et à dissocier les trois attributs habituellement
associés au travail. La réalisation de soi, l’expression de la créativité des individus pourraient passer par autre chose
que l’activité «travail». Si les individus pouvaient accéder à un ensemble de protection sociale autrement que par le
travail comme cela a été historiquement fait pour les femmes mariées le chômage ne serait plus un drame social mais
une sorte de libération. Elle propose une autre organisation du contrat social qui ne rendrait pas les individus
Le travail aujourd’hui
UNIL 2014-2015 Trois dimensions majeurs pour les personnes 72/102
- Un source de revenus
- Un moyen de s’inscrire dans la société - intégration – statut + espace de socialisation
- Un lieu de construction identitaire /source de souffrances
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dépendant de l’activité salariale. La citoyenneté et les activités de «réalisation de soi» pourraient alors assurer la
cohésion sociale.

Centralité du travail ? Ces débats sociologiques autour de la centralité du travail touchent le fondement même de
l’organisation des sociétés contemporaines. La plupart des sociologues s’accordent sur l’idée que la société salariale
est en train de se fissurer, ne fonctionnent plus. Faut-il défendre la « société salariale » à tout prix (Castel), ou envisager
d’autres formes d’organisation sociale, moins caractérisées par la « centralité
du travail » (Méda) ?
1.4.1. La place du travail dans les identités (Garner, Meda, Sénik, 2006)

Enquête : développement sur la question de la place du travail dans les identités, basées sur des données
quantitatives (tentative de reconstruction de leurs histoires de vie), on cherche à mettre en évidence la place
qu’occupe le travail parmi les différents éléments constitutifs de l’identité, l’importance qui lui est accordée.

Le travail est-il un sacrifice de son temps ou un mode de réalisation de soi ? «Considérer le travail simplement
comme un sacrifie donc comme source de valeur, comme prix payé par les choses et donnant du prix aux choses
suivant qu’elles coûtent plus ou moins de travail, c’est s’en tenir à une définition purement négative [...] Le travail est
une activité positive, créatrice» (Marx 1857-1858). Penser le travail comme activité créatrice et positive n’est pas
forcément une donnée qu’on peut supposer commune à tous les individus.

Dans quelle mesure le travail constitue-t-il l’élément principal de l’identité des personnes et comment
s’articule-t-il avec les autres sphères d’activités ? «L’identité n’est autre que le résultat, à la fois stable et
provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation
qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions» (Dubar, 1991). L’identité n’est donc pas
figée mais en permanence renégociée, avec une part qu’on peut objectiver et une part subjective d’auto-perception de
son identité. Cette définition met l’accent à la fois sur la dimension personnelle et collective.

Pourquoi mettre le travail au centre de l’analyse ? La sociologie du travail construit son modèle d’analyse à partir
de la possibilité de manque de travail. C’est la situation des individus sans travail qui fait prendre conscience de la
centralité du travail. Les travaux nous montrent que la perte du travail n’est pas seulement associée à une perte de
revenus mais aussi d’estime de soi, de capacité à faire des projets, des collègues, des relations sociales. C’est une
capacité de se projeter dans l’avenir (Jahoda, Lazarfeld, Zeisel, 1971).

«Déliés de leur travail, sans contact avec e monde extérieur, les travailleurs ont perdu toute possibilité matérielle et
psychologique d’utiliser ce temps (...) La forme d’utilisation la plus fréquente du temps chez les hommes est «ne rien
faire». Le temps perd son rôle de structuration de la vie quotidienne. »

Les cinq fonctions du travail (Jahoda, 1984) : en plus de l’apport de revenu le travail qui renvoie à la structure
temporelle de la vie quotidienne ; (1) impose une structure temporelle de la vie, (2) crée des contacts sociaux en
dehors de la famille, (3) donne des buts dépassant les visées propres, (4) définit l’identité sociale, (5) force à l’action.
Ce type d’approche n'intègre pas la concurrence que les autres instances de socialisation peuvent faire au travail. Le
problème de la sociologie du travail est qu’en se focalisant sur un groupe d’individu ayant perdu son emploi est
désocialisé et va en conclure que le travail est l’instrument principal de socialisation alors qu’on peut arriver à des
conclusions plus nuancées, comme les résultats de Meda. La place du travail dans l’identité des personnes est
essentielle mais seconde.

Méthode : demander aux personnes, au terme d’un entretien qui aborde chacun des grands domaines de leur vie
(situation familiale, nationalité, généalogie, parents, lieux, politique religion, emploi, loisirs, santé, relations avec les
autres) quels sont les trois thèmes qui leurs correspondent le mieux, qui permettent de dire qui ils sont.

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Ulrich Beck

La première modernité :
• Chaque pays pense son organisation socio-économique interne à partir de son Etat nation;
• Les femmes (mariées / mères) sont massivement exclues du marché du travail et cantonnées dans des activités non rémunérées de « care »;
• La stabilité des familles nucléaires participe à la reproduction de la force de travail de « l’homme pourvoyeur principal des ressources »;
• Des rapports de classe sont fondés sur deux espaces relativement fermés de « modes de vie », bourgeois ou ouvriers;
• Une distinction hiérarchique entre exécutants et « experts »

La fin de la première modernité :


• Les principes associés à la «première modernité» sont aujourd’hui en phase terminale
• Période de transition entre la «première modernité» à la « seconde modernité »
• Nouveaux principes d’organisation (ou de désorganisation) sociale, qui bouleversent aussi les « équilibres » antérieurs
• Processus d’individualisation, qui crée de nouvelles aspirations quant à l’élaboration de « projets de vie »

La deuxième modernité : à partir de la fin du 20e siècle :


• caractérisée par une mondialisation croissante • les inégalités sociales augmentent
• Le monde du travail formel - stable, à temps plein et à vie - connaît une crise sans précédente
• Le système de protection sociale qui est associé au travail est également concerné
• L’expérience collective des risques globalisés (ex. réchauffement climatique, terrorisme international, maladie contagieuse) amène à une remise
en question progressive de la légitimité des « expert·e·s », avec l’émergence de nouveaux mouvements citoyens
→ Quel impact sur le travail ?
Le travail devient un espace « d’insécurité endémique »
(DE)REGULATION DE L’EMPLOI
- Ouverture des marchés et concurrence internationale
- Dérégulation du marché de l’emploi
- Essor de la pluriactivité
- Effacement des frontières entre travail et hors travail
vLe problème du nouveau régime du risque n’est pas le fait qu’il crée des « gagnants et des perdants », mais plutôt:
« the fact that the rules of winning and losing become unclear and hard for individuals to grasp » (Beck, 2000: 85).

Réponses politiques et perspectives :


lI est impossible de « sauver la société salariale » dans le contexte global actuel; « la société du travail tire à sa fin » (Beck, 2000: 2).
Que faire pour rétablir les règles collectives du vivre ensemble en l’absence du socle de la société salariale?
1. Réduction radicale du temps de travail pour toutes les personnes en activitéàmeilleure répartition
2. Développement massif du « travail civique », fondé sur l’engagement volontaire des individus dans des activités politiques, bénévoles, de
proximité;
—> diversification des activités
3. L’obtention de droits sociaux (assurance maladie, retraites, etc.) passe indifféremment par le biais du travail salarié, des activités domestiques
de care ou des activités « civiques »;
4. L’institutionnalisation d’une « pluriactivité séquentielle » pour les hommes et les femmes, leur permet de naviguer entre les activités productives,
les activités reproductives, les activités « civiques » (dites « du tiers secteur ») (Beck, 2000: 6-7)
—> démocratisation des droits sociaux
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Résultats : (1) le travail (métier, situation professionnelle ou études) vient en deuxième position, loin derrière la famille,
(2) 60% des personnes interrogées ne font pas figurer le travail dans les thèmes choisis, (3) en premier choix 76% des
personnes choisissent la famille, 7% leurs métiers.

Catégories qui mettent plus souvent le travail en 1er : actif occupé, diplômé, appartenant aux 10% des revenus
les plus élevés, la catégorie des cadres et profession intellectuellement supérieurs ou indépendants et sans enfant.

Catégories citant peu le travail comme constitutif de l’identité : inactif, profession intermédiaires, ouvriers et
employés, parents de jeunes enfants.

Suite des résultats : quand on demande aux individus si le travail est plus ou moins important que d’autres
dimensions de leur vie (familiale, sociale, personnelle), 9/10 répondent moins importants. Par contre, l’importance
accordée au travail 1) augmente avec l’âge, 2) varie avec la profession (cadre et indépendant). La profession est un
meilleur prédicteur de l’importance relative accordée au travail que le niveau de revenu ou de diplôme (progression
permettant l’expression de soi, lien entre le travail créatif et importance accordée au travail, horaires longs, propriété de
l’outil de travail). L’importance varie également avec le fait d’avoir des enfants, surtout pour les femmes.

Spécificité pour les personnes issues d’immigration : (notamment issues de l’immigration maghrébine), les
immigrés accordent plus d’importance au travail que les Français nés de parents français. Les personnes issues de
l’immigration lui accordent une importance relative moindre (attentes déçues). Globalement, on retrouve une
relativisation du travail par rapport aux autres activités ou valeurs. Cela relève plutôt de conditions d’emploi peu
propices à la valorisation du travail et des conditions de vie nécessitant un arbitrage temporel.
être salarié·e est devenu le facteur essentiel de l’intégration sociale.
1.5. CONCLUSIONS PROVISOIRES • Cette vision de la ‘relation salariale’ n’est pas partagée par l’ensemble des sociologues
àdifférentes manières de penser le travail, sa fonction et sa centralité

Débat sociologique : on retrouve un débat entre les sociologues sur la question de la centralité du travail et cela
touche aux fondements mêmes des sociétés contemporaines. Le modèle de «société salariale» est en train de se
fissurer. Une part importante des «problèmes sociaux» contemporains sont liés à la «crise» du modèle moderne du
travail. Le débat entre Castel,Méda,Beck porte plutôt sur la question si le salariat peut être sauvé et ainsi sur le type de réponses politiques à apporter à cette érosion.

Solution 1 : le débat (qui a évidemment des implications politiques immédiates) consiste désormais à savoir si ce
modèle peut être «sauvé» des effets combinés des avancées de la productivité et de la mondialisation (globalisation
des lieux de production de biens et de services), par le biais des politiques publiques (coûteuses) de lutte contre la
flexibilisation du travail, de lutte contre le chômage de masse, de lutte contre les délocalisations et les différentes
formes de «désaffiliation». Il n’existe actuellement pas d’alternatif crédible à la société salariale.

Solution 2 : ou s’il est préférable d'abandonner carrément ce modèle, en faveur d’autres mécanismes d’intégration
sociale, fondés notamment sur les activités extraprofessionnelles (bénévolat, travail familial, etc.), en accordant une
protection sociale complète à l’ensemble des membres d’une société, quel que soit leur rapport au travail salarié.

2. SOCIOLOGIE DES GROUPES PROFESSIONNELS

La sociologie du travail mobilise des paradigmes variés et dont certains travaux sont devenus des travaux centraux de
la sociologie générale. L’ouvrage de Dubar et Tripier est le premier ouvrage de synthèse francophone sur la sociologie
du travail. On retrouve une pluralité théorique de la sociologie du travail.

Les trois propositions structurantes (Dubar et Tripier) : selon eux, la pluralité théorique recouvre trois
«propositions structurantes» qui sont communes à l’ensemble des auteurs ; (1) le développement et l’organisation des
professions sont au coeur des sociétés modernes. Ils se focalisent sur l’organisation sociale des activités du travail ; (2)
elles assurent une fonction essentielle, à savoir la cohésion et la moralisation du système social ; (3) elles représentent

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une alternative à la domination du monde des affaires, du capitalisme concurrentiel et de la lutte des classes. On
s’intéresse à la façon dont est structuré le monde du travail et à la place des différents groupes professionnels.

2.1. DURKHEIM ET LES FONCTIONNALISTES

Travaux de Durkheim : la question centrale de son travail est celle de la cohésion sociale, dans un contexte marqué
par la solidarité organique et avec la division du travail. Il s’inquiète en s’intéressant au développement de la misère
sociale du milieu ouvrier et du développement de l’individualisme et craint un risque d’anomie

2.1.1. La place des professions dans la sociologie d’Émile Durkheim

Mise en avant des conditions de maintien de la cohésion sociale : Durkheim se préoccupe avant tout des
conditions de maintien de la cohésion sociale, dans un contexte marqué par la solidarité organique (développement de
la division du travail et de la coopération volontaire).

Risque d’anomie : il s’inquiète de l’extension de la misère ouvrière, des conflits sociaux et de l’individualisme, sources
de menace à l’égard des liens sociaux. Il propose de remobiliser les anciennes corporations pour assurer la cohésion
sociale et l’intégration des individus. Il attribue un pouvoir moral aux groupes professionnels. Cette mobilisation a pour
objectif de créer du collectif, il réfléchit en ces termes là car il conçoit les groupes professionnels dotés d’un pouvoir
moral seul capable de contenir les égoïsmes individuels. La forme modèle des corporations devrait permettre de
protéger l’apprenti de son maître, qu’il ne soit pas soumis à un individu mais à la profession.

Les professions devraient permettre de compenser «la disparition progressive de tous les groupes sociaux
intermédiaires entre l’individu et l’État» (Durkheim, 1902)

Rôle des professions dans le processus de socialisation (secondaire) et d’intégration sociale des
individus : dans une période ou le modèle familial se complexifie, les gens se déplacent les réseaux historiques de
socialisation sont en péril, les espaces professionnels vont devenir centraux dans la socialisation. Une fois qu’on est
dans l’âge adulte la socialisation continue et la socialisation professionnelle permet d’intégrer les individus dans des
espaces qui ont des normes propres. La famille n’assume plus son rôle de régulateur social notamment car elle n’a
plus la même taille et plus instable par les veuvages et les divorces. On va chercher cette régulation dans la sphère du
travail. Pour Durkheim les groupes professionnels apparaissent comme les seules possibilités contre l’anomie juridique.
Il appelle au rétablissement de la régulation professionnelle qui permet aux professionnels de se donner des règles qui
vont permettre des prescriptions aux individus. Cette régulation doit s’inscrire au coeur des activités économiques car
celle-ci introduit toutes les sphères de la vie. L'école est essentielle pour apprendre les normes morales aux enfants
mais pour intégrer la société une fois adulte le travail est nécessaire.

Durkheim et le fonctionnalisme en France : Durkheim a laissé un héritage important à la sociologie et a beaucoup


influencé la sociologie américaine mais moins française. Talcott a une influence durkheimienne qui reprend l’idée que le
travail a un sens central dans la socialisation. En France ce n’est pas le cas à cause du contexte des années 1940 et
de l’occupation allemande. Cette période de l’occupation et du régime de Vichy est marquée par l’instauration des
groupes professionnels avec l’instauration d’une charte du travail qui donne aux professions une charge
prépondérante dans la collaboration. Le rôle positif que Durkheim avait attribué aux formes modernes de coopération
professionnelle est entaché par cette période difficile de l’histoire. Le second élément est que la sociologie française
met en avant l’idée que la lutte des classes constitue le moteur principal du capitalisme industriel. La perspective de
Durkheim qui insiste sur le rôle potentiel de régulation et de pacification des groupes professionnels apparaît comme
normative voire régulatrice aux yeux des Français après la guerre.

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2.1.2. Approche fonctionnaliste - Talcott Parsons

Talcott Parsons - définition profession : Il adopte une définition plus restrictive que Durkheim de ce que définit une
profession ; une «profession» se définit comme une activité professionnelle de quatre types ; la médecine, la
technologie (ingénierie), le droit et l’enseignement. Il attribue à ces professions un certain nombre de traits communs.
C’est une approche localisée avec une définition restrictive qui permet d’attribuer à ces professions différents traits
communs. Il va fonder son analyse sur des études de terrains non pas pour en faire une description ethnographique
mais dans une approche de démonstration déductive.

Traits communs des quatre professions : (1) une opposition entre les «entrepreneurs», les «administrateurs» et les
«professionnels» (désintéressés). Il définit les professionnels comme ceux chargés de rendre des services performant à
des patients/clients de manière désintéressée ; (2) l’autorité des professionnels ; fondée sur «une compétence
technique dans un domaine défini et particulier, dans un champ de connaissance et de qualification clairement délimité
qui fait que le professionnel n’a d’autorité que dans ces étroites limites. Le client ne peut et ne doit faire confiance au
prof que dans le champ limité de ses compétences ; (3) la «neutralité affective» du professionnel, pas de mélange entre
le travail et l’affect ; (4) une «orientation vers la collectivité». La relation contractuelle de type professionnelle opposée
au commercial ou l’administratif n’est pas orienté vers le profit pour soi-même ni vers le respect dune règle anonyme
mais la satisfaction d’un client par les ressources de valeurs impersonnelles.

Principe de relation thérapeutique : elle illustre l’activité professionnelle car révèle comment elle est structurée
comme fondé sur l'institutionnalisation des rôles et permet la cohésion sociale et la reproduction des rôles sociaux. Le
champ médical lui paraît comme important dans les sociétés modernes car touche beaucoup de niveaux différents
(santé, psychologique, normes sociales, etc.) C’est le paradigme type du professionnel.

Le rôle de malade implique au moins quatre normes sociales (Parsons) : être malade est un rôle social car cela
renvoie à un ensemble d’attente. Il identifie quatre normes sociales du patient ; 1) l’obligation de ne pas travailler, de
«rester au lit», sous peine de désapprobation morale. Dans la loi quand on se déclare malade on est tenu d’être
joignable à notre domicile, il y a une attente de la part de l’état qui fait peser sur le malade certaines attentes. ; 2)
l’obligation d’accepter une aide professionnelle, de reconnaître qu’on ne peut se guérir seul. Cela se traduit dans le fait
qu’il faut un certificat médical une fois qu’on retourne au travail ; 3) l’obligation de vouloir aller mieux, reconnaître que la
maladie est bien un «état indésirable» ; 4) l’obligation de trouver un médecin, de lui être fidèle (au moins pendant un
temps), de «coopérer avec lui».

«Situation sociale de malade» : 1) il/elle n’est pas responsable de son état, 2) il/elle est incompétente pour s’en
sortir seule, 3) il/elle est dans un état de vulnérabilité émotionnelle. C’est ce qui structure le rôle du malade, elle est
complémentaire de celle du rôle du médecin.

«Structure du rôle social du médecin» : 1) reconnaître l’état de malade de son patient (et l’attester le cas échéant),
2) l’aide à guérir, 3) mettre en oeuvre toutes ses compétences techniques et scientifiques pour y parvenir, 4) coopérer
avec son patient pour remplir les meilleures conditions de guérison. On retrouve une réciprocité des rôles entre celui de
médecin et de malade qui explique l’institutionnalisation de la relation thérapeutique. La différence entre les deux est
qu’on ne hiérarchise par les choses de la même manière ; le professionnel met en avant le prestige alors que les non
professionnels mettent en avant l’intérêt économique.

Influence de Parsons : les travaux de Parsons vont inspirer un nombre considérable de recherches empiriques,
surtout aux États-Unis, autour des principaux «traits» de l’activité professionnelle ; 1) la compétence, techniquement et
scientifiquement fondée et attestée par des diplômes ou qualifications, 2) l’acceptation d’un code déontologique ou
éthique commun. Ces recherches qui s’en inspirent et qui étudient les corps professionnels en eux-mêmes et pas
vraiment dans la place qu’ils ont dans la structure sociale. Ces approches parsonienne se focalisent plutôt sur la

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rhétorique de ces groupes professionnels, se baser sur ce que les individus leurs racontent de leurs groupes
professionnels. L’un des objets de prédilection des fonctionnalistes est de se demander par quels mécanismes
certains obtiennent le statut de professionnels à part entière.

2.1.3. Approche fonctionnaliste - Robert Merton

Processus de professionnalisation : identification du processus par lequel les groupes professionnels parviennent à
obtenir le statut de « profession » à part entière. Il souligne le mécanisme central de la constitution des professions qui
est l’organisation d’une filière spécifique de l’université. Tant qu’il n’y a pas de filière qui délivre un diplôme qui sert
d’accès à la profession on n’est pas, dans une approche fonctionnaliste, dans une activité professionnelle. Il faut
pouvoir témoigner qu’on a été légitimé par l’institution scolaire pour dire qu’on est professionnel.

Institutionnalisation de la médecine : analyse des étudiants en médecine pour tenter de formaliser l’histoire de
l’institutionnalisation de la médecine, en opérant une distinction entre les « fonctions manifestes » et les « fonctions
latentes » du monde médical. Les fonctions manifestes sont de dire qu’on a sélectionné les individus les plus aptes à
exercer la profession. Les fonctions latentes sont la différenciation des individus dans des spécialités médicales qui
sont différentes (prestige, statut) - mécanisme de différenciation des individus dans leurs processus de préparation au
monde professionnel.

Définition fonctionnaliste du professionnel : activité qui va transformé en profession car elle se donne un cursus
universitaire qui va transformer des données empiriques acquises par expérience en savoir académique qui s’apprend
de manière abstraite et évaluée de manière abstraite. Dans l’histoire de l’université les juriste, les médecins et
enseignants sont les premiers a recevoir la reconnaissance des autorités publiques. Elles ont servi à stabiliser les
territoires et les états. Les fonctionnalistes s'interrogent par rapport à cette histoire de cette institutionnalisation qui
sont les seules professions à recevoir ce titre de profession.

2.1.4. Approche fonctionnaliste - Wilensky (1964)

Conditions pour qu’une activité soit considérée comme profession : 1) être exercée de manière exclusive, à
plein temps ; 2) comporter des règles communes d’activité (règles collectives régulatrices) ; 3) comprendre une
formation spécialisée ; 4) posséder des organisations professionnelles ; 5) comporter une protection légale du
monopole ; 6) avoir établi un code de déontologie commun.

Pour qu’il y a ait reconnaissance d’une spécialité professionnelle comme discipline universitaire, il faut qu’il y ait une
institutionnalisation de la formation. Le moment où on définit une préparation universitaire pour accéder à une
profession est un moment clé qui rend improbable la spécialisation de n’importe quoi. Cela exclut le classement de
plusieurs espaces de travail en terme de profession. Certaines activités peuvent devenir des professions établies. On
est dans une approche qui juge ce qui est une profession et ce qui peut l’être. Les interactionnistes critiquent cette
approche. Les fonctionnalistes pensent l’état comme une institution centrale dans l’organisation des professions car
c’est lui qui reconnaît et formalise des professions d’or et déjà établies.

2.2. L’APPROCHE INTERACTIONNISTE

École de Chicago : les travaux s’intéressent à une palette variée de métier avec l’idée d’analyser leurs rôles dans
l’intégration sociale des individus, dans une perspective durkheimienne mais au lien d’entrer par les structures mais
cette des interactions. On se pose la question de la cohésion et la régulation sociale. Ils s’intéressent à des réalités
professionnelles complètement disparates mais sans oublier les professions établies comme la médecine.

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Fonctionnalistes et interactionniste : les fonctionnalistes tentent de distinguer des groupes professionnels avec
des caractéristiques spécifiques qui ont des rôles régulateurs dans la société et comment ces professions ont
participer à la transformation des sociétés modernes. Ils valorisent donc les professions établies par rapport à d’autres.
On a l’idée qu’ils sont les piliers de l’ordre social (l’élévation du niveau d’éducatif par exemple). Dans les approches
interactionnistes on a tendance a les opposés aux fonctionnalistes. Les interactionnistes pensent que l’approche
fonctionnaliste peut servir de base à une approche plus large.

«En basant son étude sur un terme conventionnel, tel que ‘profession’, on peut être amené à regrouper et observer
uniquement des activités qui, comme celles des professions, chérissent et affichent une image stéréotypée
d’elles-mêmes, se lançant ainsi dans la dissimulation. Le spécialiste des sciences sociales peut devenir dupe de
cette dissimulation, d’autant plus qu’il se présente lui-même comme un professionnel» (Hughes, 1957).

Critique des fonctionnalistes : Hugues critique les fondements de l’approche fonctionnaliste en mettant en
évidence les biais qui traversent cette approche. Le risque est de se laisser séduire par les rhétoriques des différents
professionnels, en tombant dans le sens commun en se contentant de reproduire le discours des acteurs. Pour
Hugues les professionnels ont intérêt de se convaincre de cette différence fondamentale car elle permet des
différences de statut et de revenus. Les sociologues devraient se méfier des discours portés par les membres de ces
professions érigées par les fonctionnalistes.

« Il nous faut nous débarrasser de toutes les notions qui nous empêchent de voir que les problèmes fondamentaux
que les hommes rencontrent dans leur travail sont les mêmes, qu’ils travaillent dans un laboratoire illustre ou dans la
cave d’une conserverie. Les recherches dans ce domaine n’auront pas abouti tant que nous n’aurons pas trouvé un
point de vue et des concepts qui nous permettront de faire des comparaisons entre un ferrailleur et un
professeur, sans vouloir rabaisser l’un ou traiter l’autre avec condescendance ». (Hughes, 1951)

Double point de vue commun à toutes les activités du travail : Il souligne l’importance du processus de
distanciation par rapport à l’objet. Pour échapper à cela il propose d’adopter un double point de vue ; (1) penser les
activité du travail comme processus subjectivement signifiants (biographie), qu’ils ont un sens pour les individus mais
qui n’est pas forcément le même pour tous ou pour nous même dans le temps. On est dans le rapport de l’individu
dans son travail ; (2) comme relations dynamiques avec les autres activités de travail (interaction). Jusque-là les
fonctionnalistes insistent sur le rôle des professionnels dans l’organisation sociale globale. Les interactionnistes
privilégient les activités professionnelles comme des formes d’accomplissement de soi. On analyse l’activité travail
comme un processus à la fois biographique (subjectif) et identitaire.

« Le métier d’un homme est l’une des composantes les plus importantes de son identité sociale, de son moi et
même de son destin dans une existence qui ne lui est donnée qu’une fois. En ce sens, le choix d’un métier est
presque aussi irrévocable que le choix d’un partenaire. » (Hughes, 1951)

Thèse de centralité du travail : en ce sens, les interactionnistes sont fidèles à l’idée de Durkheim de la centralité des
groupes professionnels dans les sociétés modernes. Il faut comprendre les logiques à l’oeuvre dans les orientations
professionnelles mais aussi dans les logiques concrète d’un métier. Ils s’intéressent à l’expérience que les individus
font de leur travail. Ils privilégient les entretiens biographiques pour comprendre la rhétorique professionnelle, comment
il met en scène l’espace professionnel dans lequel il évolue.

Dynamique temporelle de l’activité professionnelle (Dubar & Tripier) : l’essentiel est de pouvoir restituer une
activité professionnelle dans une dynamique temporelle, dans une vie de travail qui inclut ; l’entrée dans le métier ou
l’emploi, le déroulement de l’activité, les bifurcations (turning points), les anticipations, les réussites et les échecs. Nul

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mieux que la personne concernée ne peut le faire, notamment lors d’un entretien biographique. Il permet de demander
à la personne de revenir sur son histoire professionnelle.

Dimension biographique articulée à un deux points de vue : il faut considérer toute activité professionnelle
comme relationnelle et interactive (activité professionnelle comme une relation), c’est-à-dire produite par un groupe de
pairs, orientée vers la création d’un ordre interne, provisoire mais nécessaire. C’est ce que Hugues appelle l’ordre de
l’interaction qui appliqué à un champ pro donné peut être vu comme un résultat contingent.

2.2.1. Synthèse de l’approche interactionniste par Dubar et Tripier (1998)

1- Logique de clôture totale ou partielle : les groupes professionnels résultent des processus d’interactions qui
conduisent les membres d’une même activité professionnelle à s’auto-organiser, à défendre leur autonomie et leur
territoire et à se protéger de la concurrence, c’est-à-dire d’ériger des barrières à l’entrée de la profession, selon les
logiques de «clôture» totale ou partielle.

2- Processus biographique : la vie professionnelle est un processus biographique qui construit les identités tout au
long du déroulement du cycle de vie, depuis l’entrée en activité jusqu’à la retraite (et parfois au-delà), en passant par
tous les tournants de la vie (turning points).

3- Relations d’interdépendance : les processus biographiques et les mécanismes d’interaction sont dans une
relation d’interdépendance : la dynamique d’un groupe professionnel dépend des trajectoires biographiques (careers)
de ses membres, elles-mêmes influencées par les interactions existantes entre eux et avec l’environnement.

4- Recherche de reconnaissance : les groupes professionnels cherchent à se faire reconnaître par leurs partenaires
en développant des rhétoriques professionnelles ou légales. Certains y parviennent mieux que d’autre grâce à leur
place dans la division morale du travail et à leur capacité à se coaliser. Mais tous aspirent à obtenir un statut
protecteur.

2.2.2. Quatre moments du processus de socialisation professionnel selon Hughes

Fonctionnalistes versus interactionnistes : les fonctionnalistes considèrent que le statut spécifique des
professions établies (juridiquement parlant) est une contre partie logique et légitime du fait que leurs rôles est
socialement importants. Pour les interactionnistes au lieu de considérer la situation d’ensemble, on va interroger le
processus de construction de cette légitimité juridique. Dans l’analyse de l’école de Chicago on s’intéresse aux valeurs
professionnels ; on retrouve une socialisation professionnelle qui permet le développement de connaissances
spécifiques et dès lors on peut imposer une sorte de souveraineté territoriale (monopole spatial). Dans toutes les
professions la question de ce monopole se pose mais il ne s’applique pas sur le même registre. On remarque aussi
une capacité de négociation et de construction de différents réseaux sociaux. Les interactionnistes cherchent à entrer
dans une approche de la banalité du quotidien, de fonder leurs analyses sur la façon dont les acteurs donne sens à
leurs actions. Hughes décide de revenir à un groupe professionnel plus reconnu alors que les interactionnistes
s’intéressent plus aux activités dites «banales».

La fabrication d’un médecin (1955) : Hughes identifie quatre moments essentiels du processus de socialisation
professionnelle, qui constitueront par la suite la trame des analyses interactionnistes d’autres groupes professionnels.
Contrairement aux fonctionnalistes ce qu’il cherche à faire c’est de démontrer comment la formation des médecins
peut être analysée pour comprendre les processus biographiques d’entrée dans le monde professionnel. La formation
des médecins ne repose pas seulement sur des connaissances scientifiques mais surtout sur l’acquisition d’une
culture professionnelle commune. Merton insistait sur les apprentissages purement universitaires comme base de la

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socialisation professionnelle du médecin. Hughes insiste sur la nécessité d’être initié au rôle médical et donc de se
convertir à cette vision du monde.

1- Moment de séparation : la séparation du futur professionnel avec le monde profane et qui conditionne la
possibilité de rompre avec les aspects de la culture profane qui sont incompatibles avec la (future) vie professionnelle.
Quelles sont les dimensions du savoir commun à tous nécessaire pour avoir une posture spécifique à sa profession.

2 - «Passage à travers le miroir» : le moment d’un développement d’une vision particulière du monde ; c’est
désormais avec les yeux d’un médecin - et non pas d’un profane - que les étudiants en médecine doivent apprendre à
voir les malades (devenus clients potentiels), les maladies (devenus sources de revenus), les hôpitaux (devenus lieux
d’exercice). En bref, il s'agit de voir le monde à l’envers.

3 - Le dédoublement de soi : constitue à une autre étape incontournable de la socialisation professionnelle puisque
les étudiants doivent apprendre à intégrer et à gérer les deux «cultures» (médicales et profanes) en fonction de leurs
espaces et temps de vie. Ils/elles doivent adhérer à la culture médicale quand ils sont en situation de travail, sans pour
autant abandonner la «culture profane» qui est à la base des interactions au quotidien, notamment avec leurs proches.

4 - La gestion des crises et les dilemmes identitaires : ils constituent une dernière étape du processus ; une
identification progressive au rôle professionnel nécessite le renoncement à certains aspects des identités antérieures. Il
y a risque de perte d’identité, notamment pendant la période où les anciennes bases identitaires sont détruites en
cours de formation, alors que les nouvelles ne sont pas encore installées.

2.2.3 Quelques concepts clés de l’approche interactionniste

Licence et mandate (Hughes) : il forge ces premiers concepts dès 1958. La licence signifie l’autorisation d’exercer
tandis que le mandate est l’obligation d’une mission (circonscrire ce qui fait parti de l’activité professionnelle ou pas).
Selon lui, tout métier (occupation) entraîne une revendication d’être autorisé (licence) à exercer certaines activités que
d’autres ne pourront pas exercer, à s’assurer d’une certaine sécurité d’emploi en limitant la concurrence. Quand un
groupe stabilise son «territoire» il peut alors se prévaloir - du moins pour un temps - d’être professionnel.

Carrière (Hughes) : tout groupe professionnel offre des «parcours biographiques d’évolution» à ses membres. La
«carrière» peut donc se concevoir comme «une suite d’alternatives conditionnées par la division du travail, elle-même
évolutive». La sociologie des groupes professionnels doit repérer et comprendre les diverses manières de construire ce
que Hughes appelle les «filières» et qui permettent les anticipations de carrière des individus.

Segments professionnels (Bucher & Strauss) : contrairement aux fonctionnalistes - qui insistent souvent sur l’unité
interne et la stabilité des professions dans le temps - les interactionnistes s’intéressent davantage aux «conflits
d’intérêts» et aux changements qui caractérisent les groupes professionnels. D’après Bucher et Strauss (1961), il y a
toujours des processus de segmentation interne à l’oeuvre dans les groupes professionnels, créant de la
confrontation, la concurrence et des conflits internes. Il faut apprendre à s’adapter à la culture du sous-groupe
lorsqu’on change de segment professionnel.

Mondes sociaux (Becker & Strauss) : la contribution de Howard Becker à l’analyse interactionniste des groupes
professionnels porte essentiellement sur le concept de «mondes sociaux», soit «des univers cognitifs et relationnels»
qui existent au sein même d’un groupe professionnel donné, à un moment donné de son existence. C’est à la fois la
façon dont il se projette et comment il interagit avec les autres. Selon Becker, les mondes sociaux sont à la fois des
«schémas conventionnels» (systèmes de croyances partagées) et des «réseaux de chaînes de coopération» (ensemble
coordonné d’individus).

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Ordre négocié (Strauss) : développe et affine le concept de «mondes sociaux» via une enquête collective sur deux
hôpitaux psychiatriques. Il affirme que l’organisation de ceux-ci peut être conçue comme un «ordre négocié». Ainsi
l'hôpital apparaît ; 1) comme un lieu géographique où s’agencent des carrières professionnelles et des destins
individuels ; 2) comme un espace relationnel, producteur de règles informelles par la négociation permanente entre
tous les acteurs qui y sont impliqués.

3 . L A D I V I S I O N S E X U E L L E D U T R AVA I L

1. Les effets de la transition au capitalisme industriel sur la répartition des activités productives et reproductives entre les catégories de sexe.
2. La variabilité des modalités d’organisation de la division sexuelle du travail selon les périodes historiques et les contextes sociétaux.
3. La situation suisse en matière de division sexuelle du travail

3.1. PROPOS INTRODUCTIFS - TROIS SPHÈRES DÉTERMINANT LES FORMES D’ACTIVITÉ FÉMININE ET
MASCULINE

Sphère politique : comme par exemple avec les politiques familiales, fiscales, de l’emploi. etc. qui définissent le cadre
de l’action et des normes sociales. Cette sphère définit le cadre de l’action.

Sphère du marché : c’est la sphère du marché du travail et des pratiques de gestion des ressources humaines des
entreprises, qui offrent des positions et des possibilités de carrière variables aux hommes et aux femmes.

Sphère des normes sociales : la sphère des normes sociales de la répartition des activités dites de «care» qui
déterminent la «disponibilité» relative des hommes et des femmes pour le travail rémunéré. On retrouve une séparation
de plus en plus forte entre la sphère du travail et celle du l’habitat.

Trois pôles de régulation du travail : au niveau macro social, pour comprendre la situation de la division du travail il
faut s’intéresser à trois pôles ; l’Etat (politiques publiques), les formes et normes familiales ainsi que le marché du
travail et de l’emploi.

3.2. FACTEURS CONDITIONNANT LES VARIATIONS DU CONTRAT DE GENRE

1 - Normes traditionnelles : la nature de l’organisation de la production agraire qui précède le début de


l’industrialisation, donc les normes d’organisation familiale et la place traditionnelle des femmes au sein de la société
rurale.

2 - Modalités de l'industrialisation : (1) le moment historique du début de l’industrialisation, au regard du


développement rural et des institutions étatiques, (2) le fait que l’industrialisation se soit inscrite dans la continuité des
structures sociales, économiques et culturelles agraire ou se soit, au contraire, opérée par une rupture radicale par
rapport aux structures de la société traditionnelle. Dans quelle mesure l’industrialisation va modifier ou pas les normes
traditionnelles.

3 - Le système de valeurs : (notamment du point de vue de la répartition sexuée des tâches) de la classe ou de la
strate sociale qui a joué le rôle le plus important dans ce processus de transition vers le capitalisme industriel.

3.2.1. Exemple de la comparaison Finlande - Allemagne (Pfau-Effiger, 1993)

Allemagne Finlande
Industrialisation précoce (19e siècle) Industrialisation tardive (début 20e siècle)
Rupture radicale avec la société agraire (urbanisation) Continuité avec les structures sociales de la société agraire
Rôle moteur de la bourgeoisie financière et urbaine Rôle moteur des petits propriétaires agricoles (sylviculture)
Conception de l’État providence à partir du modèle du «male breadwinner» Conception de l’État providence à partir du modèle du «dual breadwinner»

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3.3. LES INDICATEURS EMPIRIQUES DU «CONTRAT DE GENRE»

Sphère principale d’intégration : quels sont les champs sociaux qui constituent les sphères principales d’intégration
sociale des hommes et des femmes (l’activité professionnelle, la famille, le bénévolat, etc.). On va comparer pour les
hommes et pour les femmes qu’elles sont les sphères de la vie sociale qui sont les plus importantes dans leurs
conceptions de leurs identités.

Institutionnalisation des politiques d’égalité : quel est le degré d'institutionnalisation des politiques d’égalités,
d’inégalités ou de la complémentarité entre les sexes (congé parental par exemple). Comment l’État providence, en
fonction des types de prestations sociales, il légitime le type de contrat de genre.

Prise en charge et éducation des enfants : le champ social auquel la prise en charge et l’éducation des enfants et
autres personnes dépendantes sont assignées de manière prioritaire (sphère familiale, publique, marchande).

Importance vie de couple : l’importance relative de la vie en couple (surtout le mariage) comparée à d’autres modes
de vie (familles monoparentales, célibat, vie de type communautaire, etc.).

3.3.1. Trois modèles du «contrat de genre»

Male breadwinner / female carer : modèle typique de référence, l’homme pourvoyeur de travail et la femme de
soin. Ce modèle est fondé à la fois sur la séparation et la spécialisation des sexes en fonction des sphères d’activités.
Il renvoie à l’assignation prioritaire des hommes à la sphère publique (activité économique rémunérée, sphère politique)
et les femmes à la sphère privée (travail domestique et s’occuper des enfants). Il n’a jamais existé à l’état pur en
Europe mais il va agir sur l’idéal type de la société. C’est le modèle traditionnel qui va influencer l'organisation du travail
et de la famille.

Dual breadwinner / dual carer : répartition des tâches, modèle de la bi-activité. Les activités sont partagées à parts
égales entre les sexes ou alors prises en charge par la collectivité. Dans ce modèle, si ce n’est pas la mère qui prend
soin des enfants c’est d’autres femmes qui vont s’en charger. Ce modèle ou au sein de la famille il y a une égalité dans
le partage des tâches dès qu’on l’extertionnalise les charges de «care» reviennent en grande partie aux femmes.

Modified malebreadwinner : on retrouve l’activité à temps partiel qui permet de maintenir le rôle de la femme dans
les activités des «care».

3.4. LA VARIABILITÉ DE LA DIVISION SEXUELLE DU TRAVAIL (COMPARAISON)

Conséquence du contrat de genre : la manière dont s’élabore un «consensus social» quant aux assignations
sociales des hommes et des femmes se traduit dans un ensemble d’indicateurs empiriques ; on retrouve parfois une
spécialisation et une répartition des rôles en fonction du sexe mais ce n’est pas toujours le cas. Pour caractériser la
manière dont s’élabore un consensus social par rapport aux assignations sociales légitimes des hommes ou des
femmes on peut regarder différents types d’indicateurs ;

- Les taux d’activités homme / femme

- Les taux d’activité père / mère


- Les écarts de salaire selon le sexe

- Les taux de chômage


- Les taux d’activité à temps plein / temps partiel

3.5. Les caractéristiques de l’emploi féminin (et masculin) en Suisse)

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• Des taux d’activité féminine relativement élevés et en hausse constante


• Des taux de travail à temps partiel parmi les plus élevés d’Europe pour les femmes
• Un «effet de maternité» extrêmement fort sur les taux et modalités d’activités des femmes
• Une série de dispositifs politiques qui s’avèrent incitatifs à l’activité professionnelle des femmes à temps partiel court
(surtout quand elles ont des enfants à charge)

3.5.1. Une évolution des durées du TTP en Suisse

Baisse du taux d’occupation des femmes actives entre 1991 et 2007 : de 51% de femmes actives à temps plein
en 1991, on passe à 43% en 2007, avec une stabilité des temps partiel à temps réduit (27% des actives à moins de
50% d’un temps plein) et une augmentation des temps partiels à durée intermédiaire (c’est-à-dire 50-60% d’un temps
plein).

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14 | LA SOCIOLOGIE URBAINE

1 . L A V I L L E E T L E S E S PA C E S U R B A I N S

1.1. LE FAIT URBAIN DANS L’HISTOIRE DE LA SOCIOLOGIE

Notion d’urbain : qualifie les faits culturels, sociaux, économiques. Des exemples de phénomènes actuels qualité
d’urbain seraient internet, la maison individuelle, certaines musiques, les incivilités, la mendicité, le bruit, les transports,
etc.

Quel est le propre de la ville dans ces phénomènes : «la ville est marquée par la concentration de populations, de
produits, d’entreprises, alors que la campagne s’illustre par leur éparpillement» (Fijalkow). On retrouve une opposition
spontanée entre le monde rural et la ville (caractérisée par la concentration à la fois des populations mais aussi des
produits).

Les villes - formes spatiales : il s’agit de l’expression des cultures qui les ont produites. La ville est un produit
culturel qui peut à son tour devenir un moule culturel et devenir un «état d’esprit». Elle est donc à la fois produit culturel
et cadre culturel (Fijalkow). On ne produit pas les mêmes structures urbaines selon les différentes histoires culturelles.
Le mode de vie européen fait par exemple qu’on se repère par rapport à la gare, la cathédrale, l'hôtel de ville, etc. La
ville en tant que produit culturel peut également se transformer en sorte de moule culturel, il devient notre cadre de
pensées spontanées. C’est à la fois un produit culturel et un cadre culturel.

Rôle causal au début de la sociologie : au moment où la sociologie naît comme discipline le fait urbain est
parfaitement perceptible comme en train de se faire, les premiers sociologues vont imputer un rôle causal dans la
transformation des rôles sociaux par l’urbanisation.

Ferdinand Tönnies (1887) : il identifie le passage de la communauté, fondée sur les relations de proximité, des
interactions d’interconnaissance et des liens du sang (Gemeinschaft) à la société, organisée sur la base de l’anonymat
du contrat (Gesellschatf). Ce passage d’une organisation en communauté à société est lié au phénomène
d’urbanisation qui caractérise la plupart des sociétés européennes dès la fin du 18e. L’essor des villes va servir de
moteur aux changements sociaux mais aussi le résultat de processus de modernisation des sociétés occidentales
(double processus circulaire). Tönnies, comme d’autres de ses contemporains, perçoit la ville comme une menace
caractérisée par le fait que les fondements sociaux et moraux des sociétés traditionnelles se désintègrent ; les relations
sont dépersonnalisées, le contrôle à travers les normes est plus compliqué et diffus.

Georg Simmel : la ville est vu comme le lieu (1) du marché, (2) de l’économie monétaire, (3) de la division du travail et
de la spécialisation des tâches professionnelles. L’échange marchand et l’usage généralisé de la monnaie entraînent
une «dépersonnalisation» des liens entre les individus. C’est un processus de «désocialisation», i.e. de relâchement
des liens avec le groupe d’origine auquel l’individu est affectivement rattaché (famille, communauté). Il interroge
l’influence de l’environnement urbain sur le mode de vie des individus. On retrouve une stratégie de protection (se
montrer blaser) qui se pose en réponse au fait qu’il est difficile de répondre à toutes les interactions que la ville suscite.

Maurice Halbwachs : «les formes matérielles de la société agissent sur elle non point en vertu d’une contrainte
physique (...) mais par la connaissance que nous en prenons ; il y a là un genre de pensée ou de perception collective
qu’on pourrait appeler une donnée immédiate de la connaissance sociale.» Même si on n’en a pas conscience le type
d’espace dans lequel on évolue nous conduit à produire des schémas qui sont liés à cette organisation de l’espace. Il
faut regarder comment, collectivement, on se représente l’espace et comment cela renvoie au sentiment commun de
la société. Cela mène à une analyse en terme de morphologie sociale. Il met en évidence le fait que les prix fonciers

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sont déterminés par l’anticipation des vendeurs et des acheteurs mais aussi par un prix d’opinion qui renvoie à la
représentation que les acteurs ont de l’espace.

« Si, entre les maisons, les rues et les groupes de leurs habitants, il n’y avait qu’une relation tout accidentelle et de
courte durée, les hommes pourraient détruire leurs maisons; leur quartier, leur ville, en reconstruire sur le même
emplacement, une autre, suivant un plan différent; mais si les pierres se laissent transporter, il n’est pas aussi facile de
modifier les rapports qui se sont établis entre les pierres et les hommes. » (Halbwachs, 1968: 135)

Question de la mémoire urbaine : certains bâtiments sont plus protégés que d’autre grâce à l’image que les
individus ont de ces bâtiments. Lorsqu’on cherche à modifier l’espace urbain on se heurte souvent à la mémoire
urbaine. Le lieu reçoit l’empreinte du groupe mais le groupe aussi reçoit l’empreinte du lieu ; on se trouve dans un
schéma durkheimien on les individus sont «victimes» de contraintes qui les préexistent.

« Lorsqu’un groupe humain vit longtemps en un emplacement adapté à ses habitudes, non seulement ses
mouvements, mais ses pensées aussi se règlent sur la succession d’images matérielles qui lui représentent les objets
extérieurs. » (Halbwachs, 1968: 135).

Utilisations différentes des espaces : on peut constater par exemple que dans l’espace urbain, il existe une
division sexuée de l’utilisation de l’espace ; les femmes traversent l’espace urbain tandis que les hommes l’occupent.

1.2. L’ÉCOLE DE CHICAGO : DES MODÈLES DE DÉVELOPPEMENT URBAIN

«Écologie urbaine» : l’histoire de la sociologie urbaine contemporaine est marquée par les travaux des premières
générations de chercheurs de l’École de Chicago aux USA. Entre 1920 et 1940, Robert Park, Ernest Burgess et Louis
Wirth développent une approche du fait urbain qui marquera durablement la sociologie urbaine du 20e.

1.3. L’URBANISATION DE LA SUISSE

Les indices de l’OFS : l’OFS identifie quatre tendances concernant l’évolution socioculturelle de la population suisse
entre 1990 et 200, particulièrement fortes dans les villes ; (1) hausse du statut social, (2) individualisation, (3)
allophonie, (4) vieillissement.

2. DÉVIANCE ET CRIMINALITÉ

2.1. PROPOS INTRODUCTIFS ET DÉFINITIONS DE DÉPART

Vision de la ville comme propice à la criminalité : on pense le contexte urbain comme nuisible contre la cohésion
sociale. Les sociologues s’intéressent aux comportements individuels et collectifs dans le contexte urbain avec comme
focale la transgression des normes. On voit la ville comme propice à la criminalité par le fait qu’il y a plus d’individus
mais aussi car on est plus difficilement identifiable.

Déviance : «non conformité à un ensemble de normes qui sont acceptées et tenues pour légitimes par une part
importante de la population d’une société ou d’une communauté» (Giddens). Cette notion couvre un champ plus large
que celui du crime puisqu’on peut avoir un comportement déviant sans enfreindre la loi même si cela peut provoquer
des sanctions sociales.
la déviance et la criminalité ne constituent pas des synonymes, bien que les deux soient susceptibles de se confondre dans certaines situations sociales.
Crime : «un comportement déviant qui est sanctionné en droit» (Giddens). Un comportement peut être criminel dans
un contexte et pas dans un autre, il faut introduire une notion de relativité.

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• Urbanisation = un phénomène qui bouscule les structures, normes et interactions sociales des sociétés ‘traditionnelles’ rurales
• Individualisation = un phénomène qui permet aux individus d’échapper au contrôle social de proximité
Un intérêt des 1ers sociologues pour les ‘extravagances et bizarreries’ (Simmel) des comportements individuels et collectifs dans le contexte urbain
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2.1.1. L’analyse sociologique de la déviance et de la criminalité

1 - Définition des normes : définis quelles sont les normes qui régissent les comportements sociaux (en se rappelant
le postulat de Durkheim selon lequel une norme est une injonction à se comporter de telle ou telle manière et dont la
transgression implique des sanctions). alors que la 2ème modernité (cf. Beck) se caractérise par la coexistence de groupes sociaux
ou individus qui sont susceptibles d’adhérer à des normes plus ou moins distinctes
2 - Portée des normes : déterminer à quel point les normes sont partagées par l’ensemble de la population d’une
société (à un moment donné de son histoire) ou à quel point elles sont source de tensions et de conflits.
les normes changent au fil du temps (elles ne sont pas rigides)
3 - Sanction légale : identifier les normes dont la transgression implique une sanction légale.

Sanctions formelles : elles sont imposées par les autorités légitimes (juges, policiers, parlement, etc.). Cela peut être
par exemple une amende à la suite d’un dépassement de vitesse sur l’autoroute.

Sanctions informelles : généralement imposées de manière plus spontanée par des individus de son entourage
immédiat. C’est par exemple une interdiction parentale de sortir le samedi soir à la suite d’un mauvais bulletin de notes
ou encore une marginalisation au sein de sa classe à cause d’un comportement jugé trop déférent à l’égard des
enseignants.
comprendre pourquoi certains individus se conforment aux
normes sociales alors que d’autres les transgressent
2.2. LES APPROCHES DES FONCTIONNALISTES
(explications sociologiques de la criminalité)

la déviance et la criminalité révèlent un manque de régulation (morale) dans une société (= des ‘ratés’ de la socialisation)
2.2.1. Émile Durkheim - Déviance nécessaire et inévitable pour renforcer la cohésion sociale
déviance ou criminalité ≠ résultat de ‘problèmes psychologiques’ ou de ’dérèglements individuels’ (nécessitant soins ou sanctions).
—> phénomènes sociaux.
À partir du moment où on est dans des sociétés complexes basées sur une solidarité organique la déviance est
normale. L’anomie est considérée comme un fait social qui se manifeste dans un ensemble de comportements
spécifiques et qui est considéré comme normal. anomie : les individus sont livrés à eux-mêmes, sans pouvoir se référer aux règles de
conduite suffisamment contraignantes pour cadrer leurs choix et comportements
Déviance nécessaire I : la déviance remplit la fonction «adaptative», elle introduit de nouvelles manières de faire et de
penser et constitue donc un moteur de changement social et de l’adaptabilité aux situations nouvelles.

Déviance nécessaire II : la déviance suscite une mobilisation collective pour réaffirmer les frontières entre les «bons»
et les «mauvais» comportements d’une société. La transgression d’une norme (sous forme de déviance ou de
criminalité) renforce la solidarité sociale dans la mesure où elle permet d’élaborer ou de renforcer un consensus social
à propos des comportements jugés «acceptables» ou «inacceptables» dans un contexte social donné.

Déviance inévitable I : aucune société moderne (donc complexe) n’est en mesure d’imposer des «règles
communes» de vie à l’ensemble de ses membres - sauf bien évidemment à recourir à un degré inacceptable de
contrôle social dans un régime politique démocratique.

Déviance inévitable II : l’individualisme et la valorisation des «choix individuels» qui caractérisent la «modernité» vont
nécessairement produire un certain degré de non-conformité aux normes collectives. 2e modernité de Beck
la déviance et la criminalité ne sont pas forcément connotées négativement dans ce
paradigme.
2.2.2. Robert King Merton néo-fonctionnaliste Elles sont appréhendées comme des moteurs indispensables du changement social
cherche à développer une explication sociologique des comportements criminels
Norme dominante de l’american dream : Merton adapte la théorie de l’anomie de Durkheim pour insister sur les
tensions que les normes sociales créent chez les individus. Il cherche à expliquer les comportements criminels aux
États-Unis. Les normes dominantes de la société américaine des années 50 sont celles de la réussite matérielle
individuelle. Cette réussite économique se traduit par deux valeurs complémentaires ; un emploi rémunéré mais aussi
des signes extérieurs de richesse (american dream). L’idée est que la capacité à réussir est censée être distribuée de
manière égale entre les individus ; si tu veux tu peux. En même temps, dans la réalité sociale de l’époque on se rend
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Présenter la déviance [voire la criminalité] comme un phénomène ‘normal’ ou même ‘positif’ dans nos sociétés heurte
de front notre perception immédiate (sens commun) de ces phénomènes
Seule l’examen empirique des aspirations et motivations des déviant·e·s ou des criminel·le·s permet de déterminer et de valider telle ou telle
interprétation sociologique de ces comportements.
Enjeux définitionnels et analytiques

l’acceptabilité sociale et la légalité d’un comportement évoluent mais pas au même rythme

Une certaine déviance à l’égard des normes établies constitue l’un des mécanismes du changement social
• Il en va de même en ce qui concerne la criminalité

• Un comportement peut être jugé ‘déviant’ (inapproprié) dans certains milieux sociaux, mais être positivement sanctionné dans d’autres
milieux (ex. évasion fiscale)
• Il peut même être criminalisé, tout en constituant une norme qui s’imposent à certains groupes sociaux (minoritaires? marginalisés? ou plutôt
dominants?).
Ex. le fait d’expérimenter avec la consommation de drogues ‘douces’ à l’Uni (selon la filière d’études).

La notion de criminalité ne pose pas les mêmes difficultés définitionnelles, précisément parce que la Loi s’imposent à toutes et tous...
Mais, elle évolue bien au fil du temps, laissant penser que la définition de la ‘légalité’ est également l’objet de tensions / conflits sociaux

• Plus les sociétés deviennent ‘complexes’ (et globalisées), plus les individus sont amenés à négocier entre plusieurs registres normatifs,
potentiellement contradictoires
• Ils/elles doivent parfois arbitrer entre différents types de sanctions, voire même à en accepter certaines pour en éviter d’autres...
Les notions de déviance et de criminalité renvoient toujours à des questions de pouvoir.
Identifier les groupes sociaux qui sont en mesure d’imposer leurs normes aux autres, voire de les traduire en sanctions formelles (juridiques) =
un indicateur empirique de pouvoir.
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compte qu’il n’est pas probable que tous les individus, indépendamment de leurs origines, réussissent
économiquement de manière égale. Il n’y pas les moyens ni les possibilités de réussir collectivement à modifier ses
conditions d’existences. Or on ne peut faire pleinement partie de la société américaine qu’en réussissant alors que
tous les individus ne peuvent atteindre cette réussite. une condition de leur intégration + reconnaissance sociales (ils sont stigmatisés +
sanctionnés en cas d’échec)
Conséquences : les groupes qui sont en tensions entre normes et réalité sont susceptibles de passer par des
pratiques non usuelles pour réussir à adhérer à la norme dominante. La déviance et la criminalité apparaissent comme
le produit direct d’une tension entre les normes et une réalité sociale objective.
décalage entre injonctions normatives et réalités sociales objectives
2.2.3. Différents positionnements selon Merton

Les conformistes : (de loin le groupe le plus majoritaire dans l’enquête de Merton) vont à la fois reconnaître la
légitimité des normes dominantes de réussite sociale et accepter la légitimité des moyens institutionnels qui
doivent permettre de s’y conformer. Malgré leur peu de chances objectives de «réussir», ils vont continuer de
croire que cette forme de réussite est souhaitable et de penser que leurs difficultés à y parvenir tiennent à un
manque de travail ou de sobriété de leur part (se renvoient la responsabilité). cf. idée de la violence symbolique chez Bourdieu
Les innovateurs : ils reconnaissent eux aussi la légitimité des normes dominantes de réussite sociale, mais
mobilisent des moyens illégitimes, voire illégaux pour y parvenir. Ces individus privilégient les «fins» sur les
«moyens». Ici, l’illégalité des comportements ne traduit nullement un rejet des normes sociales dominantes (bien au contraire).
Les ritualistes : ils se conforment aux standards de comportement les plus valorisés socialement, mais ils ne
savent plus tellement pourquoi ils le font (i.e. ils n’ont qu’une vague idée des valeurs collectives qui sous-tendent
les normes de réussite sociale).
Les retranchés : sont distanciés à la fois des normes de compétition et d’avancement personnel et des moyens
Ils/elles adoptent des comportements illégitimes ou illégaux, mais pas du tout en vue d’atteindre les objectifs socialement valorisés
légitimes d’y parvenir. Ils/elles vont privilégier des modes de vie collectifs alternatifs, quitte à subir une forme de marginalisation sociale
Les rebelles : rejettent à la fois le système de valeurs dominant et les moyens légitimes pour atteindre les
objectifs de « réussite ». Ils cherchent à leur substituer de nouvelles normes et de nouvelles valeurs.
il montre que la 'déviance’, voire la ‘criminalité’, peut traduire une forme ultime d’intégration sociale et de conformisme normatif, mais que cela n’est pas forcément le ca
Sentiment de privation relative : Merton insiste sur le sentiment de privation relative comme Tocqueville. Il insiste sur
le fait que le sentiment de privation relative est tout aussi important pour comprendre les comportements sociaux que
la mesure objective de la pauvreté ou de la richesse. il croise le rapport des individus
• aux cultural goals, qui peuvent être acceptés ou rejetés, et
• aux institutionalised means (moyens institutionnalisés pour atteindre ces buts), qui
2.3. LES APPROCHES INTERACTIONNISTES peuvent aussi être acceptés ou rejetés.

saisir les mécanismes sociaux qui mènent à une définition collective (+ ou – consensuelle et
2.4.1. Howard Becker durable) de certaines pratiques sociales comme ‘normales’ ou ‘déviantes’, voire de ‘criminelles’.

L’outil conceptuel principal - la «théorie de l’étiquetage» (Becker) : d’après cette approche, la déviance ne peut
pas être définie simplement comme le comportement de tel ou tel individu ou groupe social au regard d’un ensemble
de normes sociales. Ce qui est au coeur de la problématique de la déviance et de savoir comment certains groupes
ou comportements arrivent à être désignés (i.e. étiquetés) comme «déviants», alors que d’autres ne le sont pas.
Becker insiste sur les rapports de pouvoir qui sous-tendent le processus d’étiquetage ; certains groupes sociaux ont la
possibilité d’imposer une définition particulière de la «moralité conventionnelle» aux autres. Ce sont les groupes qui
disposent d’un pouvoir légitime (cf. Max Weber). La mise en place de ces étiquettes dépend de la perception que l’on
a de l’autre.

Définition de la déviance : Becker définit le comportement déviant comme un comportement que les individus
définissent comme tel. On est dans la relativité de la catégorisation en fonction du contexte et des interactions. Cette
définition le conduit à dire que ce que les individus font concrètement n’a pas tellement de rapport avec comment on
Question de recherche: Quels processus sociaux (d’étiquetage) permettent:
a) de catégoriser certain·e·s individus ou comportements
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comme déviant·e·s (ou pas) et
b) de faire accepter cette catégorisation comme légitime?
Hypothèse: Le sens attribué à tel ou tel comportement ne découle pas directement de l’acte, mais bien de l’étiquette
qui est associée à l’individu qui pratique l’acte.
établie à partir de son apparence physique, son allure vestimentaire, son statut social, son pays d’origine, la couleur de
sa peau, etc., et moins au regard de ce qu’il fait
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va l’étiqueter. Le processus d’étiquetage dépend d’une appréciation subjective de l’individu à partir de ces
perceptions. Cela signifie que s’il n’y a pas d’interaction il n’y a pas de déviance.

Distinction entre déviance primaire et secondaire : on cherche à comprendre comment certains individus qui
adoptent des comportements socialement répréhensibles vont se sentir déviants ou pas. Dans une société, à un
moment donné, chaque membre va être amené à transgresser des normes de vie commune. Cependant tous les
individus ne sont pas perçus comme déviant et ils ne vont pas intégrer de la même manière cette pratique
objectivement déviante de la même manière. Dans la plupart des pratiques transgressives (déviance primaire) passe
inaperçue dans la vie de tous les jours, voire tolérer de manière implicite. Certains actes déviants sont normalisés.
Dans d’autres cas le processus de normalisation de la transgression n’a pas lieu et donc on considère l’individu
comme criminel. On est dans la déviance secondaire, une déviance qui mène à conséquence dans la perception que
les autres ont de nous et dans la perception que l’on a de soi même. Si on est étiqueté comme déviant cela renforce la
probabilité de rentrer dans une sorte de spirale de la criminalité. ‘amplification de la déviance’
ajuster son comportement en fonction des attentes de son nouvel entourage social (‘déviant’)
Différence avec les fonctionnalistes : on voit ici la différence avec les fonctionnalistes qui se demandent quelles
sont les raisons qu’ont les individus de respecter ou pas les normes. Les interactionnistes se demandent comment et
par qui les règles sont mises en oeuvre.

2.4. LES APPROCHES STRUCTURALISTES

Auteurs d’inspiration marxiste comme Stuart Hall veulent démontrer : (1) comment le système juridique est
orienté en faveur de la protection des intérêts des groupes les plus privilégiés dans la une société (ex. tolérance sociale
plus forte à l’égard de la criminalité dite «col blanc». (2) comment la non-conformité à la légalité peut constituer une
stratégie de résistance de la part des groupes sociaux qui se trouvent exclus des espaces de pouvoir.

Distinction avec fonctionnalistes et interactionnistes : la déviance n’est pas juste le résultat d’un processus
social d’étiquetage ni le résultat indirect d’un décalage entre les aspirations socialement valorisées d’une société et
d’un décalage des moyens. On peut considérer que la déviance est le moyen dont disposent les individus pour lutter
contre le système. Cette perspective s’inspire en partie des perspectives interactionnistes mais en allant plus loin pour
démontrer que le système juridique est orienté. la déviance est interprétée comme une forme active de résistance des ‘dominé·e·s’ à
l’égard des injustices du système social (capitaliste)
Panique morale : elle permette de masquer l’inégale répartition du pouvoir et des ressources économiques et à
dévier l’attention des individus, surtout des médias, sur d’autres sujets.
privilégiés
Système juridique : il servirait à protéger les intérêts de certains groupes avec par exemple une tolérance envers la
«criminalité à col blanc» vis-à-vis par exemple des banques. On cherche à déconstruire l’égalité des individus dans le
processus juridique en montrant que le fait de ne pas se conformer à la légalité peut être une stratégie de résistance.
Le système juridique est un enjeu de domination et de contestation de cette domination via la transgression des
normes. Ils insistent sur les effets plus néfastes des crimes des puissants, les crimes des puissants ne donnent que
rarement lieu à la criminalisation des coupables. Ils sont plus néfastes d’un point de vue collectif que les délits typiques
des groupes défavorisés. Ces petits délits sont plus sévèrement et systématiquement traités comme des menaces à la
cohésion sociale. Il faut analyser les processus qui mènent à la pénalisation de certains groupes sociaux alors qu’on
retrouve des pratiques d’invisibilisation des déviances des groupes sociaux plus élevés.
La tolérance collective à l’égard de tel ou tel comportement reflète l’état des rapports de pouvoir dans une société

L’évasion fiscale est moins fréquemment et moins systématiquement criminalisée que le vol à l’étalage alors que c’est plus grave
Les ‘petits délits’ sont plus sévèrement et plus systématiquement traités dans les médias
Les ‘petits délits’ sont perçus et présentés comme des menaces pour la morale collective et pour la cohésion sociale
Quand on en parle, les ‘crimes des riches’ sont présentés comme des transgressions individuelles d’un code de conduite légitime

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• Il convient donc d’analyser les enjeux sociaux de la criminalisation systématique de certains groupes sociaux
(toxicomanes, prostituées, réfugiés, pauvres, etc.)
• Et de l’invisibilisation d’autres pratiques criminelles
• Il s’agit aussi de reconnaître les actes délictueux ou
criminels comme des actes politiques de la part de
groupes sociaux qui ont conscience de ce double standard
• Leurs actes = des formes de contestation de ‘la normalité’ NB: On n’est alors pas très loin de l’analyse néo- fonctionnaliste
(Merton): criminalité comme signe potentiel d’intégration sociale et/ou comme signe de marginalisation sociale ou de
contestation de la ‘normalité’...

Conclusions
Selon la problématisation [=perspective théorique] de la déviance adoptée par les sociologues:
• Les outils conceptuels élaborés sont spécifiques
• Les questions de recherche peuvent varier
• Les dispositifs méthodologiques peuvent varier
Toutefois, aucune de ces perspectives ne revient à ‘déresponsabiliser’ les criminels comme certains critiques de la
sociologie le suggèrent (cf. Lahire, 2016).
Comprendre les mécanismes sociaux à l’œuvre lors de la transgression des normes sociales n’équivaut, ni à approuver une
telle transgression, ni à l’excuser.
Penser la migration comme un exemple paradigmatique du processus d’intégration sociale, autour de trois textes historiques, fondateurs
de la sociologie nord-américaine
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3 . M O B I L I T É E T M I G R AT I O N S

3.1. THOMAS & ZNANIECKI (1919) : «LE PAYSAN POLONAIS EN EUROPE ET AMÉRIQUE»

3.1.1. Le théorème de Thomas délinquance et migration sont traités en parallèle

Cet ouvrage: « cherche à comprendre ce qui arrive quand un nombre considérable d’individus se déplacent depuis les campagnes de la Pologne
aux grandes villes américaines. »
«Si les hommes définissent des situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences» (Thomas,
« un fait social est une combinaison de valeurs collectives et 1928) « les comportements individuels ne peuvent être expliqués
d’attitudes individuelles » à partir de la réalité, mais seulement à partir de la manière
dont la réalité est définie par les individus »
Sociologie compréhensive : si on ne se demande pas quel est le sens que les individus donnent à leurs actions, on
n’a qu’une partie de la réalité. Il faut comprendre pourquoi les individus font ce qu’ils font. On est dans une approche
les comportements individuels s’expliquent
proche de Weber et qu’on retrouve dans la sociologie compréhensive.
autant par la perception de la réalité que par la
réalité elle-même.
Manifestation du théorème selon Merton : (1) «les prophéties auto-réalisatrice» (self-fulfilling prophecies), un fait
qui, bien que ne devant pas se réaliser, devient vrai parce que les individus croient qu’il va advenir ; (2) les «prophéties
auto-destructrices», un fait qui devrait se réaliser mais qui ne réalise pas parce que les croyances des individus les
amènent à modifier leur comportement. Les comportements individuels ne peuvent être expliqués par la réalité mais
seulement par la manière dont les individus définissent la réalité.

Vis-à-vis des migrants : les pratiques sociales observées chez les migrants polonais étaient associées à un
caractère polonais. L'état mental des immigrants n’est pas lié à un problème psychologique mais aux changements
sociaux intervenus dans leurs vies quotidiennes. les comportements (ethniques ou raciales) observées
trouvaient leur fondement dans des différences
3.1.2. Désorganisation et réorganisation sociale culturelles ou psychologiques

Ils illustrent le processus d’adaptation des migrants polonais à un nouvel environnement à travers l’étude des étapes qui jalonnent tout processus migratoire

Organisation sociale : selon Thomas et Znaniecki, une organisation sociale est un ensemble de conventions,
d’attitudes et de valeurs collectives qui l’emportent sur les intérêts individuels d’un groupe social.

Désorganisation sociale : à l’inverse, la désorganisation sociale qui correspond à un déclin de l’influence des règles
sociales sur les individus, se manifeste par un affaiblissement des valeurs collectives et par un accroissement et une
valorisation des pratiques individuelles. Les règles n’ont plus d’emprise sur les individus car on retrouve un manque de
régulation sociale. Ce processus s'amplifie quand une société subit des changements rapides.
• Park rejette l’hypothèse selon laquelle l’unité nationale (la
3.2. LE CYCLE DES RELATIONS ETHNIQUES CHEZ PARK (1921) cohésion sociale) exigerait une homogénéité ethnique / culturelle.
étudier le processus de désorganisation – réorganisation qui jalonne les interactions [urbaines] entre les groupes sociaux autochtones et les groupes immigrants.
quatre étapes dans ces interactions, chacune représentant une progression par rapport à la précédente
La compétition : elle organise la répartition géographique des migrants et leur place dans la division du travail.
entre groupes ethniques
Le conflit : il est inévitable, en raison de la compétition qui règne entre les populations différentes. Il crée une solidarité
au sein des groupes minoritaires, ce qui leur permet de prendre place dans l’ordre politique du pays d’accueil.

L’adaptation : «peut être considérée comme une conversion religieuse, comme une sorte de mutation». Elle
représente l’effort que doivent faire les individus des groupes migrants pour s’ajuster aux conditions créées par la
compétition et le conflit. Pendant la phase d’adaptation, il y a une coexistence entre des groupes qui demeurent des
rivaux potentiels mais qui acceptent leurs différences. Les relations sociales sont organisées dans le but de réduire les
conflits, de contrôler la compétition et de maintenir la sécurité des personnes. (ex. le passage de gangs rivaux (West Side
Story) aux associations culturelles de quartier).

L’assimilation : fait «naturellement suite à l’adaptation et correspond à l’étape au cours de laquelle les différences
entre les groupes se sont estompées, et leurs valeurs respectives mélangées. Les contacts entre membres des
groupes se multiplient et deviennent plus intimes.
ce processus est freiné par les préjugés de la part de la population autochtones à l’égard des groupes migrants les plus récents
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« la personnalité de l’individu se transforme:Il y a interpénétration et fusion, au cours desquelles les individus acquièrent la mémoire, les sentiments
et les attitudes de l’autre, et, en partageant leur expérience et leur histoire, s’intègrent dans une vie culturelle commune. »
Mobilités / migrations / intégration
Rappel: Rôle de l’identification d’un problème social par les décideurs socio-politiques comme préalable à la définition des objets de
recherche des sociologues et à la possibilité concrète qui leur est donnée de poursuivre des recherches (accès au terrain, recueil de
données, diffusion des résultats, etc.).
Première étape d’une recherche sociologique: reformuler les termes du débat public en questionnement sociologique.
> Illustrations de ce processus à différentes périodes...

Comme l’indique Coulon, les sociologues Nord-américains ont été rapidement encouragés à s’intéresser au processus d’intégration des
populations migrantes:
« La question de l’intégration et de l’assimilation des immigrants aux États-Unis fut évidemment centrale dans
un pays qui s’est progressivement constitué sur plusieurs sédiments migratoires, particulièrement au cours du XIXe siècle et pendant les deux
premières décennies du XXe siècle, au cours desquelles s’est instauré un débat politique intense sur la question de l’américanisation des
immigrants
anciens »

3.1
Développe l’usage des récits de vie pour étudier l'organisation sociale et l'évolution du groupe minoritaire / immigré dans la société d’accueil.
Cet ouvrage propose une approche tout à fait novatrice du phénomène migratoire, sur deux plans:
• outils conceptuels
• démarche méthodologique
L’analyse porte tout autant sur l’organisation de la société paysanne en Pologne au début du XXe siècle (situation de départ des migrants) que
sur les conditions d’installation des migrant·e·s aux USA.
La thèse défendue: impossibilité à comprendre les processus d’adaptation des migrant·e·s aux USA sans tenir compte des conditions de leur
départ.

Posture théorique novatrice: l’analyse sociologique doit tenir compte non seulement des pratiques sociales (ce que les gens font), mais aussi
des:
• Valeurs sociales, qui sont ‘les éléments culturels objectifs
de la vie sociale’
• Attitudes individuelles, qui sont ‘les caractéristiques
subjectives des individus du groupe social considérés’
Ainsi; « un fait social est une combinaison de valeurs collectives et d’attitudes individuelles »

Posture théorique novatrice: aucune analyse de phénomènes sociaux ne peut être complète sans une prise en compte des significations que
les acteurs attribuent à leurs pratiques.
Cette manière d’insister sur l’importance du sens subjectif que les individus attachent à leurs des pratiques sociales sera aussi théorisée par
Max Weber et constituera le cœur de ce que l’on appellera par la suite la sociologie compréhensive.

3.1.1
Thomas & Znaniecki: « ont fortement contribué à rejeter ce réductionnisme [naturalisme], en montrant que l’état mental des immigrants n’était
pas lié à un problème psychologique mais était directement lié aux changements sociaux intervenus dans leur vie quotidienne. »

3.1.2
Hypothèse [novatrice à l’époque]: l’immigration est motivée par une désorganisation des structures sociales de la société d’origine des migrant·e·s, elle
s’amplifie donc lorsqu’une société connaît des changements rapides:
« La désorganisation de la société polonaise ne provient pas de l’immigration, c’est l’immigration qui est un indicateur de l’état de désorganisation de la
société polonaise. »

Le départ revêt donc d’un caractère de nécessité pour les migrant·e·s.


Il n’empêche, l’arrivée dans un nouveau contexte socio- culturel [ici, les USA] se manifeste toujours, au niveau
individuel, par un phénomène de démoralisation, avant de laisser place à un processus progressif de réorganisation sociale dans la société
d’installation.

D’après Thomas & Znaniecki, le processus de réorganisation sociale prend nécessairement du temps, et passe par des étapes qui sont absolument
indispensables à une intégration / assimilation culturelle des populations migrantes à terme:
« La réorganisation prend une forme mixte, et passe par la constitution d’une société américano-polonaise, c’est-à-dire qui ne soit plus tout à fait
polonaise, ni complètement encore américaine, mais qui constitue la promesse d’une assimilation des générations futures »

Implications pratiques / politiques: « C’est pourquoi il faut encourager l’avènement de ces formes mixtes et provisoires [d’intégration], en encourageant
le développement d’institutions multiples qui nouent un lien de continuité avec le passé, avec la culture que l’immigrant est en train de quitter:
associations diverses, fêtes, scolarisation bilingue, etc. » (Coulon, 2012: 33).
Autrement dit, un lien fort avec sa culture d’origine n’empêche nullement l’assimilation de la culture du pays d’accueil, bien au contraire....

D’après Thomas & Znaniecki: « L’assimilation, c’est l’inverse de la démoralisation individuelle »


Celle-ci nécessite une période de transition qui est favorisée (et non pas freinée) par le maintien de liens forts (y compris linguistiques) avec la culture
d’origine. (Coulon, 2012: 34).
Conclusion: Des idées assez éloignées des discours politiques dominants à propos des conditions optimales d’intégration des migrant·e·s, et qui
imposent souvent une rupture radicale avec les pratiques culturelles / religieuses / alimentaires du pays d’origine (cf. ressources complémentaires en fin
de ce cours).

Ce postulat n’est pas sans rappeler le cours précédent sur la sociologie de la déviance autour de l’article de Dietmar Loch (2008) « Pourquoi n’y a-t-il
pas d’émeutes urbaines en Allemagne? », Swiss Journal of Sociology, 34 (2): 281-306.
Comme nous l’avions vu, l’auteur s’inspire de l’héritage de l’École de Chicago, en analysant les effets pervers d’une
rupture radicale avec la culture d’origine, surtout quand les pratiques culturelles adoptées et les attentes subjectives que ces jeunes développent à
l’égard de leur pays d’accueil ne se traduisent pas par des chances équitables d’insertion scolaire / professionnelle.
L’un des premiers sociologues issus de la communauté noire aux USA
S’intéressant aux effets du racisme sur les structures familiales Analysant les conflits de classe au sein même de la communauté noire
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

3.3. ACCULTURATION, ASSIMILATION ET AMALGAME (FRAZIER, 1939) distinction entre acculturation et assimilation

L’acculturation : est un processus par lequel un individu acquiert la culture du pays d’installation.

L’assimilation : est un processus qui englobe l’acculturation, mais qui suppose surtout une complète identification de
l’individu aux valeurs dominantes du pays d’installation. Il suppose que les individus aient totalement adhéré aux
ce processus est assez facilement réussi chez les immigrants européens qui s’américanisèrent
valeurs dominantes du pays d’installation. rapidement, mais qu’il est, en revanche, freiné chez les Noirs, notamment par la discrimination et la
ségrégation dont ils font l’objet
L’amalgame : représente la dernière étape du processus d’intégration; le stade suprême d’une population migrante
qui est assimilée au point de ne plus être identifiable comme groupe minoritaire et dont une partie des valeurs ou
pratiques culturelles ont été adoptées par la société d’installation (ex. pizzerias, bar à tapas, plats cuisinés indiens dans
les supermarchés, etc.).
Mais, quand le racisme persiste, un groupe minoritaire peut être parfaitement culturellement acculturé et assimilé, sans pour autant être pleinement intégré...
3.4. LES VIOLENCES URBAINES DES JEUNES «ISSUS DE L’IMMIGRATION»

Recherche : L’auteur cherche à remettre en contexte la situation des minorités dans ces deux pays. On cherche à
identifier comment se construisent les mouvements sociaux. Qui apparaît, se produit çà et là et d'une manière irrégulière.

Les manifestations de violences urbaines


France Allemagne
«Émeutes» régulières dans les banlieues des grandes Violences sporadiques au sein de groupes de jeunes ou
villes entre bandes de jeunes
Initiées par une jeunesse multiethnique, surtout d’origine Conflits intra-ethniques ou inter-ethniques avec des
maghrébine groupes de jeunes se revendiquant «racistes»
Violences dirigées contre l’État et ses institutions
Forte visibilité publique et médiatique Peu de visibilité

Frustration relative : on explique ces deux types de violences urbaines par la frustration relative ; on retrouve une
tension entre les attentes des jeunes et la situation réelle et le ressenti que les jeunes en ont.

Intégration scolaire et professionnelle des jeunes issus de l’immigration


Mauvaise intégration scolaire (filières d’études courtes et
Bonne intégration scolaire (filière d’études longues)
techniques)
Inadéquation entre filières d’études et marché de
Bonne adéquation entre études et marché de l’emploi
l’emploi
Taux de chômage très élevé Taux relativement faible de chômage
«Ascenseur scolaire» en panne «Ascenseur social» en bon état de marche
Ségrégation spatiale des jeunes issus de l’immigration
France Allemagne
Forte concentration des populations migrantes dans les Dissémination plus grande des quartiers marginalisés
quartiers déshérités des grandes villes ; forte dans le tissu urbain. Taille réduite des concentrations
stigmatisation socio-spatiale urbaines de populations immigrées.
Renforcement mutuel des discriminations ethniques, Distinction des discriminations ethniques, économiques
économiques et spatiales. et spatiales.

UNIL 2014-2015 90/102


SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

Répartition spatiale : en France on a une forte concentration dans des quartiers dont on sait que l’immense majorité
de la population vient des mêmes pays, on retrouve un biais de stigmatisation urbaine qui renforce les discriminations.
En Allemagne, ces poches de concentrations de migrants sont plus dissimulées dans les milieux urbains.

Politiques d’immigration et d’intégration/assimilation


France Allemagne
Politiques fortes d’assimilation sur le modèle républicain Politique faible d’assimilation, tolérance du caractère
de la «culture française une et indivisible» «multiculturel» de la société
Contexte post-colonial ; «droit de sol» et obtention aisée Contexte de migration économique et transitoire : «droit
de la nationalité française du sang», accès difficile à la nationalité
Jeunes «sur-intégrés» mais frustrés par les Jeunes ayant peu d’attentes à l’égard de la société
discriminations de fait d’installation, mais «intégrés» de fait
Rapports au pays et à la culture d’origine
France Allemagne
Peu d’intérêt pour les questions politiques ou culturelles Intérêt maintenu pour les débats et enjeux politiques
dans les pays d’origine dans les pays d’origine (Turquie)
Peu de structures associatives conçues sur le modèle De nombreuses structures intermédiaires (tiers secteur)
de la diversité culturelle conçues sur le modèle de la diversité culturelle
Rupture radicale avec les valeurs culturelles du pays
Liens étroits avec les valeurs du pays
d’origine

Conclusion : on peut voir que des contextes différents vont produire des situations d’intégrations très différentes pour
les individus. Il faut tenir compte des conditions matérielles de départ mais aussi des attitudes et des représentations
de situations qui accompagnent et qui vont déterminer en grande partie les comportements des populations
migrantes.

Conclusions générales
• Ces apports livresques permettent donc de comprendre l’ancienneté des préoccupations des sociologues avec les
phénomènes désignés comme des ‘problèmes sociaux’ majeurs de notre époque
• Ils illustrent le processus de ‘rupture’ avec les idées reçues [de son époque] qui est nécessaire pour la production d’outils
analytiques novateurs
• Ils montrent aussi la complexité des mécanismes de l’intégration sociale, surtout dans des sociétés ouvertes et globalisées,
dites ‘multiculturelles’

UNIL 2014-2015 91/102


SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

15 | LES CADRES CONCEPTUELS DE LA SOCIOLOGIE

1. FONCTIONNALISME

1.1. PROPOS INTRODUCTIFS

Merton - approche théorique de moyenne portée : selon Merton, l’adoption d’une approche théorique «de
moyenne portée» implique de : (1) renoncer à tout expliquer ; (2) produire des interprétations de la réalité sociale qui
sont vérifiables à l’aide d’enquêtes et de données empiriques ; (3) être suffisamment généralisable pour expliquer
différents phénomènes sociaux, au-delà de celui pour lequel il a été élaboré.

1.2. LES PARADIGMES DÉTERMINISTES

Deux propositions : l’approche déterministe se fonde essentiellement sur deux propositions. (1) La première postule
que tout fait social ne s’expliquer que par des phénomènes sociaux (collectifs) qui lui sont antérieurs ou préexistants.
(2) La seconde, déduite logiquement de la première, conclut au caractère extérieur de ces phénomènes que l’individu
intériorise et qui orientent, par conséquent, son action (De Coster, 2002).

Durkheim (1895) : «Le système de signes dont je me sers pour exprimer ma pensée, le système de monnaie que
j’emploie pour payer mes dettes, les instruments de crédit que j’utilise dans mes relations commerciales, les pratiques
suivies dans ma profession, etc., fonctionnent indépendamment des usages que j’en fais»

Délimiter un ensemble de faits sociaux : «voilà donc des manières d’agir, de penser, et de sentir qui présentent
cette remarquable propriété qu’elles existent en dehors des consciences individuelles. Non seulement ces types de
conduite ou de pensée sont extérieurs à l’individu mais ils sont doués d’une puissance impérative et coercitive en vertu
de laquelle ils s’imposent à lui, qu’il ne veuille ou non» (Durkheim) Faits sociaux = Extériorité + Contrainte

1.3. LES POSTULATS DU FONCTIONNALISME RADICAL (MALINOWSKI)

Postulat d’un fonctionnalisme universel : «dans la société, tout a un sens ou une fonction, qu’il s’agisse de rites,
des traditions, des usages, des institutions, des groupes sociaux et que ces éléments apparaissent comme les plus
démodés, les plus inutiles ou les plus dépourvus de signification.»

Postulat de l’unité fonctionnelle de la société : «le sens ou la fonction ne peuvent être saisis au seul niveau du
système local dans lequel les éléments sont insérés ; ils doivent être rapportés à l’ensemble du système plus général
qui l’environne».

Postulat de nécessité : «enfin, chaque élément est indispensable au fonctionnement de la totalité du système
général de la société»

Le fonctionnalisme de Malinowski : la démarche ethnographique trouve son accomplissement dans une enquête
exhaustive sur une société singulière qui, par nécessité de méthode, ne peut être que de petite dimension. La
méthode même qu’il préconise implique de concevoir chaque société/culture comme un tout fonctionnel. Le fait de
vouloir comprendre la vision du mon de l’indigène s’inscrit dans l’holisme méthodologique. Selon lui un trait culturel ne
saurait être étudié isolément car c’est la relation qu’il entretient avec les autres éléments constitutifs de l’ensemble
culturel auquel il appartient qui lui donne un sens. Il parle «d’utilitarisme» de la culture qui a pour première fonction de
répondre aux besoins primaires. Le mariage par exemple répond aux besoins primaires (sécurité affective et de

UNIL 2014-2015 « Plutôt que de partir des conditionnements sociaux qui déterminent le déroulement de l’action, le fonctionnalisme renverse 92/102
l’explication en partant des finalités de l’action qui amènent son déroulement »

« Ce fonctionnalisme radical cultive une analogie organiciste entre la société et le corps humain, résumée en la métaphore du corps social, en ce que
chaque organe possède sa fonction et devient indispensable à la vie du système dans lequel il est intégré »
• Cette analogie organiciste permet de rendre compte des ‘dysfonctionnements’ sociaux, sur le modèle
des maladies corporelles.
• Le fonctionnalisme propose donc une vision plutôt harmonieuse de la société, où toute chose à une
fonction et où toute fonction est nécessaire au maintien de l’équilibre du système social
• Les ‘besoins’ d’une société sont perçus de manière relativement stable dans le temps. Le changement
social est abordée seulement en termes ‘d’adaptation’ des structures et pratiques sociales aux influences
exogènes.

Les critiques les plus sérieuses adressées à l’orthodoxie fonctionnaliste:


• Celle-ci ne permet guère de penser le changement social, puisque l’ordre et la stabilité sont au
fondement du raisonnement fonctionnaliste, qui « suppose que toute chose ou toute action répond
nécessairement à un besoin »
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

descendance) et à des besoins dérivés (domaines religieux et juridique, nécessité d’organiser vie sociale). Cette
méthode entraîne des généralisations/simplifications tout aussi arbitraires que celles reprochées aux évolutionnistes ; il
présuppose l’universalité des besoins primaires ou dérivés qu’il énumère.

1.4. LE STRUCTURO-FONCTIONNALISME DE PARSONS ET SES CRITIQUES

Delas & Milly (2005) : «L’acteur oriente son action en direction d’une fin, et il en choisit les moyens, mais dans un
cadre en partie contraint, car il ne dispose que d’un contrôle partiel sur son environnement. Les ‘conditions de
l’action’ (sur lesquelles l’acteur ‘n’a pas de prise’) étant données, il oriente principalement son action en fonction de
normes, instituées chez Parsons au rang de facteur explicatif majeur.»
« les actions sont comprises au regard de leur fonction dans la structure sociale, d’où le nom de structuro- fonctionnalisme »

1.4.1. Les fonctions essentielles des structures du système social selon Parsons

• Fonction de stabilité normative (socialisation) : les structures de socialisation (famille) assurent le maintien des
modèles.

• Fonction de coordination et cohésion (intégration) : l’intégration est assurée par les structures judiciaires.

• Fonction de réalisation des buts : les structures politiques réalisent la fonction de réalisation des buts.

• Fonction d’adaptation : la fonction d’adaptation est assurée par les structures économiques (ressources et
environnement). Chacune de ces fonctions étant destinée à être analysée dans les différentes sous-branches des sciences sociales.

Le modèle de Parsons insiste sur l’importance du système social, mais toujours en


1.4.2. Trois niveaux du social (culture, société, personnalité) se référant aux trois niveau du social (personnalité, culture, société):

Culture : valeurs acquises par la socialisation. La culture est un ensemble de valeurs et de symboles communs aux
acteurs.

Social : fonction d’intégration, à travers les normes sociales.

L’individu : les acteurs sont «motivés selon une tendance à rechercher un optimum de satisfaction», même si leur
situation est définie et médiatisée par un «système de symboles, organisés par la culture à laquelle ils participent». On
peut comprendre la situation et l’action des individus uniquement en s’intéressant à leurs environnements culturels et
aux outils dont ils disposent pour s’exprimer. On renvoie au contexte la compréhension des actions des individus.
La personnalité est vue à travers la notion de rôle qui est un système d’attentes et d’obligations réciproques (père, enfant, époux, chef, etc.)
1.4.3. Principales critiques du structuro-fonctionnalisme de Parsons (Delas & Milly)

Légitimation de l’ordre établi : «en insistant sur la fonction de «maintien des modèles» (stabilité normative), Parsons
en souligne le rôle intégrateur et consensuel, et laisse penser que tout ordre existant est légitime», voir même
nécessaire». « Le jugement de valeur consiste en ceci que l’on entend involontairement par fonction les activités d’une partie seraient ‘bonnes’ pour le tout, parce
qu’elles contribuent au maintien de l’intégrité d’un système social existant. Les activités humaines qui n’y contribuent pas ou ne semblent pas y
contribuer sont qualifiées de ‘dysfonctionnelles’. »
Statisme : le deuxième reproche que l’on fait à Parsons (comme à l’ensemble des fonctionnalistes) est celui de ne pas
prêter assez attention aux mécanismes du changement social, en insistant sur la «stabilité» du système social et aux
mécanismes d’intégration. Il contribue à ce que C. Wright Mills appelle: « l’élimination magique du conflit »

Ethnocentrisme et évolutionnisme : Parsons a tendance à confondre ce qui est avec qui doit être. Il présente, par
exemple, la société américaine des années 1950 comme le «modèle du stade supérieur de l’évolution», tant cette
société illustre les différents éléments de son cadrage théorique.

UNIL 2014-2015 93/102


Exemples de thématiques typiquement fonctionnalistes abordées dans les cours précédents:
Ø L’émergence de la famille nucléaire comme forme familiale majoritaire dans les sociétés capitalistes (Parsons, Bales & Zeldich)
Ø Les fonctions sociales de la déviance ou de la criminalité (Durkheim)
Soit, des objets d’analyse qui renvoient à l’échelle macrosociale et à une logique de généralité.
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

Le caractère non vérifiable de son abstraction théorique : Parsons livre un bel exemple de «théorie» dont le
caractère général et le niveau d’abstraction où elle se situe empêchent la vérification de ses affirmations. Son modèle
rend impossibles les mécanismes de vérification/réfutation scientifique. « Il reste, bien évidemment, que toute spéculation de ce type n’est
pas sans intérêt... », mais elle ne correspond pas aux exigences des
théories de ‘moyenne portée’ »
Le peu de place laissée aux individus : dans sa compréhension du «système général d’action sociale», les
systèmes et les structures sont marqués par les normes, les valeurs, les traditions culturelles, les institutions, qui
pèsent un poids très lourd sur l’individu. « La notion d’action sociale, et la place centrale que Parsons lui ménage dans sa théorie,
ne doit pas nous abuser au point de classer cet auteur parmi les sociologues de l’action.

1.5. LE FONCTIONNALISME DE MOYENNE PORTÉE DE MERTON


voir 1.1 Si Merton s’inscrit dans la lignée de Parsons, dont il a suivi les cours à Harvard, il critique
1.5.1. Fonctions manifestes et fonctions latentes néanmoins les « excès de la démarche conceptuelle abstraite » de celui-ci.

« La distinction entre fonctions manifestes et fonctions latentes s’est imposée pour échapper à la confusion involontaire qui guette les sociologues entre les motivations conscientes d’un
comportement social et ses conséquences objectives »
Fonction manifeste : les fonctions manifestes sont comprises et voulues par les participants du système.

Fonction latente : les fonctions latentes sont celles qui ne sont ni comprises, ni voulues.

Exemple : la figure du boss, le politicien local tout puissant, souvent accusé de corruption, remplit d’après Merton
diverses fonctions latentes ; centralisation d’un pouvoir émietté, dernier recours des personnes défavorisées,
arrangements administratifs, passe-droits pour certains groupes sociaux, voie d’ascension sociale pour les exclus du
système local.
l’idée selon laquelle la société est bien organisée en fonction de besoins relativement stables, mais il reconnaît que ces besoins fonctionnels puissent être satisfaits de plusieurs manières
1.5.2. Groupe d’appartenance et groupe de référence

PROCESSUS D’EMBOURGEOISEMENT DES OUVRIERS BRITANNIQUES (GOLDTHORPE &


LOCKWOOD, 1963)
Groupe de référence
Groupe
Adhésion aux normes de la classe Adhésion aux normes de la classe
d’appartenance
ouvrière moyenne
Position «non-intégrée» (B) Ouvrier coupé de son milieu (C) Ouvrier aspirant à une promotion sociale
Position «intégrée» (A) Ouvrier traditionnel (D) Ex-ouvrier assimilé à la classe moyenne

Processus d’embourgeoisement : il se décompose en trois mouvements, de A à B, de B à C, de C à D.

A : l’ouvrier est d’abord intégré à son groupe et adhère à ses normes, ses manières de vivre.

B : il se coupe de son milieu mais continue à adhérer aux normes ouvrières. Se couper est nécessaire pour arriver au
troisième stade (C).

C : il aspire à une promotion sociale et adhère aux normes de la classe moyenne. À ce stade, il n’est pas encore
intégré. Mais s’identifier au nouveau groupe et une précondition pour s’intégrer, et cela suppose aussi des chances
réelles de mobilité.

D : il est assimilé à la classe moyenne, c’est son nouveau groupe d’appartenance et de référence.

Pour mieux saisir les mécanismes de l’intégration sociale, Merton s’intéresse au cas spécifique des individus ayant des aspirations d’ascension sociale.
Il aborde donc ici la question du changement social, puisque dans la logique fonctionnaliste initiale, une telle mobilité sociale ne devrait (logiquement) pas exister, puisque l’individu est censé
être socialisé aux ‘normes et valeurs’ de son groupe d’appartenance et est censé, donc, souhaiter y rester

Exemple: Besoin de conformité aux valeurs dominantes de la société d’appartenance


Ø Emergence de pratiques illicites (criminalité) chez des individus qui sont privés des moyens licites de vivre une mobilité sociale ascendante et/ou d’accumulation de
signes extérieurs de richesse;
Ø Analyse de la criminalité comme la traduction d’une adhésion forte de ces individus ‘déviants’ aux valeurs dominantes de la société en question, et donc de leur
bonne intégration sociale. (cf. Cours sur la déviance).

UNIL 2014-2015 94/102


Merton insiste sur les mécanismes de ce qu’il appelle
une socialisation anticipatrice:
• l’intégration à un nouveau groupe social suppose une telle
identification au préalable aux valeurs de celui-ci. Pourtant, à défaut de réelles chances de mobilité sociale (effet
de structure), il y aura un dysfonctionnement, car:
« L’individu qui ne peut se faire accepter par le groupe auquel il aspire à entrer risque de se faire rejeter par son
ancien groupe » (Merton, 1957: 227).
Déclinaison ultérieure: Ces concepts ont été mobilisés pour analyser l’intégration sociale des jeunes issus de
l’immigration en France et Allemagne

3. Self-fulfilling prophecy (prédiction auto- réalisatrice)


Merton fait un usage fréquent de cet outil de compréhension des ‘effets réels’ des systèmes de
croyance socialement partagés.
Il est plus attentif que Parsons aux tensions qui caractérisent les relations sociales.
Il reste néanmoins fidèle à une vision des conflits comme source de réajustements. Le système social
arrivant toujours à un point d’équilibre, par la réintégration des déviant·e·s ou marginalisé·e·s...

CONCLUSIONS INTERMEDIAIRES
Le paradigme fonctionnaliste peut donc être caractérisé par l’attention qu’il accorde à la cohérence et
la cohésion globale d’un ‘système’ social, qui préexiste aux individus qui y trouvent place.
Il a tendance à assimiler le conflit au rang de
« manifestation périphérique de pathologie sociale » (de Coster et al, 2002: 77).
Il a tendance à penser que ‘la société’ est composée de groupes sociaux remplissant des fonctions (ou
rôles sociaux) complémentaires et, surtout, nécessaires au bon fonctionnement de l’ensemble du
système.
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

2. STRUCTURALISME DE MARX

2.1. INFLUENCE MARXISTE SUR LA PENSÉE SOCIOLOGIQUE


Principe de base: le « holisme » (du grec holos, entier), qui consiste à penser la société comme une totalité régie par un certain nombre de règles structurelles de base.
Influence de matérialisme méthodologique : l’analyse du capitalisme et le matérialisme historique marxiens ont
laissé des influences durables sur la sociologie, dont une représentation du social comme déterministe et matérialiste,
une méthode (holisme), des concepts tels que l’État, l’aliénation, les classes sociales, l’idéologie, etc.

« Dans la production sociale de leur existence, les hommes existent en des rapports déterminés, nécessaires,
indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé
de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure
économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique, et à quoi
répondent des formes déterminées de la conscience sociale. »

Infrastructure : désigne l’organisation économique d’une société - niveau de développement des forces productives
et rapports de production (esclavagisme, féodalisme, capitalisme, socialisme) - c’est l’instance décisive.

Superstructure : regroupe les institutions sociales (religion, idéologie, droit, institutions politiques) dont la fonction est
de protéger, de reproduire, les rapports sociaux existants, par exemple défendre la classe des exploiteurs contre celle
des exploités.

Superstructure Idéologie et institutions


Rapports sociaux de production, division sociale du travail
Infrastructure
Base technique ; mode de production et forces productives

Conflits d’intérêts capitalistes/travailleurs : le conflit d’intérêts entre capitalistes et travailleurs repose sur la
disjonction entre (1) la valeur d’échange de la force de travail (salaires) et (2) la valeur d’échange des produits de travail
(prix de vente des biens et des services).

2.1.1. La théorie des classes selon Marx

Une classe «en soi» : définie par les conditions objectives de rapport de ses membres aux moyens de production
capitaliste, indépendamment des sentiments d’appartenance de classe.

Une classe «pour soi» : définie par une conscience subjective des intérêts partagés avec les autres membres de
cette classe, permettant de développer une solidarité dans la lutte contre le système capitaliste en tant que tel.

2.3. LE CAPITAL DU XXE SIÈCLE (PIKETTY, 2013)

Distinction Piketty-Marx : (1) Marx fait l’hypothèse que l’accumulation du capital privé conduit à concentrer les
richesses et le pouvoir. (2) Piketty interroge l’évolution de la répartition des richesses (revenus et patrimoines) depuis le
18e siècle et dans plus de vingt pays. On ne retrouve pas des structures profondes du capital et des inégalités.

2.3.1. Principaux résultats

Histoire de la répartition des richesses, histoire du politique : dans les années 1900-1910 on retrouve une
réduction des inégalités dans les pays développés. Entre 1950 et 1960 on retrouve les conséquences des guerres et
les politiques publiques qui en découlent. Depuis les années 1970-1980 on retrouve une augmentation des inégalités,

UNIL 2014-2015 95/102


2.1 Le structuralisme est sans conteste le courant de pensée qui a le plus influencé la sociologie francophone, surtout dans la
période 1960-1980 (avec un certain ‘retour’ à l’heure actuelle dans certains domaines thématiques).
Karl Marx, père fondateur d’un courant de pensée qui s’est quelque peu émancipé de son influence au cours du temps. il
n’affirme aucune
ambition à fonder une nouvelle discipline scientifique.
Il cherche à caractériser un système social spécifique (le capitalisme industriel) dans le moindre détail, essentiellement dans
l’idée de mieux le combattre.
Les structures permettent d’expliquer les phénomènes sociologiques (pour marx, c’est dans la structure économique)
Marx (avec Engels) est à l’origine du matérialisme
historique, une posture théorique qui affirme que l’organisation matérielle de la société est à l’origine des représentations
subjectives des individus.
Autrement dit, que les « idées » n’ont aucune existence autonome par rapport aux dimensions matérielles de la vie sociale, et
notamment le système productif capitaliste.
Ce matérialisme traduit donc un déterminisme radical (Delas & Milly, 2005: 122), qui s’illustre dans cette phrase maintes fois
citée de Marx :
« Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle.
Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine
leur conscience »
Place occupée dans la division sociale du travail à l’origine de notre vision du monde et de notre conscience sociale
spécifique.
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

en partie due aux changements de politiques fiscales et financières. Dans les années 60 il y a un retour de l’héritage
en Europe et aux États-Unis.

«L’histoire des inégalités dépend des représentations que se font les acteurs économiques, politiques, sociaux, de ce
qui est juste et de ce qui ne l’est pas, des rapports de force entre ces acteurs, et des chocs collectifs qui en
découlent ; elle est ce qu’en font tous les acteurs concernés»

Principale force de convergence : il s’agit de mécanismes poussant vers la réduction et la compression des
inégalités. Le processus de diffusion des connaissances et d’investissement dans les qualifications et la formation est
la principale force de convergence.

Principales forces de divergence : il s’agit de l’amplification des inégalités. On retrouve un décrochage des plus
hautes rémunérations et un «processus d’accumulation et de concentration des patrimoines dans un monde
caractérisé par une croissance faible et un rendement élevé du capital.

2.3.2. Inégalités des revenus du travail

Sociétés les plus égalitaires - pays scandinaves (1970-1980) : «les 10% de la population adulte recevant les
revenus du travail les plus élevés reçoivent à peine plus de 20% de la masse totale des revenus du travail (deux fois le
salaire moyen), les 50% les moins bien payés (...) environ 35% et les 40% du milieu environ 45% du total.»

Inégalités de revenu moins fortes que les inégalités de capital partout : dans les pays scandinaves des années
1970-1980, 10% des plus riches possèdent 50% du capital et 50% des plus pauvres possèdent 10% du capital.

Inégalité des rendements du capital : 6-7% pour les plus grosses fortunes, 2-3% pour les plus petites fortunes.

Augmentation du nombre de milliardaires : la planète comptait 5 milliardaires pour 100 millions d’habitants adultes
en 1987 contre 30 milliardaires/100 millions d’habitants en 2013.

Depuis 1980 : au niveau mondial les patrimoines progressent plus vite que les revenus et les patrimoines élevés
beaucoup plus vite que la moyenne des patrimoines.

2.3.3. Réguler le capital au 21e siècle

Un impôt progressif sur le capital : repenser le «rôle de la puissance publique dans la production et la répartition
des richesses et de la construction d’un État social adapté au 21e siècle». Piketty propose le développement de
politiques sociales (éducation, santé, retraites, chômages et minima sociaux). Les deux derniers représentent des
dépenses insignifiantes pour les deux dernières). L’État fiscal est doit être vu comme un état social.

Évolution des politiques fiscales : au 19e siècle les impôts représentaient moins de 10% du revenu national (peu
d’implication de l’État dans la vie économique). Dans les années 1920-1930 jusqu’en 1970-1980 on retrouve un
accroissement de la part du revenu national consacré aux impôts puis une stabilisation entre 1980 et 2010 (30% USA,
45% Allemagne, 50% France, 55% Suède).

2.3.4. La redistribution moderne

Logique des droits : Piketty se base sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) qui nous dit que
«les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits». Il se demande jusqu’où doit aller l’égalité des droits ?
Selon lui l’état social offre un droit à l’éducation, à la santé et à la retraite ; «les distinctions sociales ne peuvent être
fondées que sur l’utilité commune».

UNIL 2014-2015 96/102


SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

«Les inégalités sociales ne sont acceptables que si elles sont dans l’intérêt de tous, et en particulier des groupes
sociaux les plus désavantagés»

2.4. DU MARXISME AU STRUCTURALISME

Principes fondamentaux du matérialisme historique : même si tous les sociologues structuralistes ne se


réclament pas directement de Marx, ils adhérent tous é deux des principes fondamentaux du matérialisme historique :

1 - L’idée selon laquelle les structures sociales déterminantes existent en dehors de la conscience que les
individus peuvent en avoir.
il oppose 2 groupes (ceux qui ont les forces de production et ceux qui travaillent)
2 - L’idée selon laquelle ces structures forment un système traversé de conflits d’intérêts objectifs.
Cette attention au caractère conflictuel des rapports sociaux = ce qui distingue les structuralistes des fonctionnalistes
Si le structuralisme trouve des débouchés dans différentes branches des sciences humaines et sociales, c'est avant
tout dans le marxisme qu'il va connaître son envol le plus spectaculaire. Cette intégration du structuralisme se fait
toutefois dans différentes directions : soit elle conduit à une relecture du marxisme qui ne s'écarte pas trop du
marxisme originel (Althusser, Poulantzas, Sebag, etc.), soit elle s'oriente vers des approches synthétiques qui tentent
de réconcilier diverses disciplines ou courants (Bourdieu, Touraine, Giddens, etc.). Pour ces derniers auteurs, la rupture
avec la sociologie marxiste orthodoxe est consommée, bien que les auteurs ne cachent pas l'influence qu'a pu avoir le
marxisme sur leurs théories. Quant au structuralisme, il est généralement reformulé ou réadapté. Bourdieu par exemple
le transforme en structuralisme génétique tandis que Giddens insiste sur la dualité du structurel. (Wikiversity)

2.4.1. Louis Althusser (1918-1986)

Relacture de Marx par Althusser : Althusser se propose d'effectuer une relecture de Marx à la manière de celle que
Jacques Lacan fait de Freud. Il veut pour cela rompre avec la philosophie hégélienne et idéologique des écrits du jeune
Marx afin de redonner sa scientificité au marxisme. Il cherche par ailleurs à atténuer le déterminisme économique du
marxisme, ce qui va le conduire à insister sur la constitution idéologique des rapports de domination au sein des
sociétés. Il distingue trois sphères hiérarchisées constitutives des sociétés humaines, qui entretiennent entre elles des
relations dialectiques : l'économique, le juridico-politique et l'idéologico-culturel. Cette distinction amène Althusser à
découvrir le poids déterminant des appareils idéologiques d'État (église, famille, école, partis politiques, ...) dans la
reproduction des rapports de production. Les appareils idéologiques d'État modèlent en effet les consciences, à la
différence des appareils répressifs d'État (police, justice, armée, etc.) qui assurent la cohésion de la société et leur
propre cohésion en recourant à la violence directe et à la répression. On retrouve indirectement ici la notion de violence
symbolique, abondamment utilisée par Bourdieu et Passeron dans leurs premiers écrits sur le système scolaire et sur
la reproduction. Il est vrai que les travaux de Althusser ont l'avantage de dévoiler un type de violence beaucoup plus
sournois, qui œuvre par le biais de l'argumentation, du langage et de mécanismes affectifs. (Wikiversity)

Reproduction des rapports de production - idéologie : la reproduction des rapports de production (système
capitaliste) est assurée l’aide d’appareils idéologiques d’États fonctionnant sur des registres différents.

1 - Appareils répressifs d’État : (police, armée, justice), ils recourent essentiellement à la violence pour imposer les
intérêts des capitalistes par la force, y compris la force du droit.

2 - Appareils idéologiques : (école, médias, partis politiques, syndicats), ils recourent en priorité à la manipulation
idéologique en faisant du capitalisme «le seul système possible».

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2.4. Du marxisme aux structuralisme
« Le structuralisme a connu une véritable vogue dans les années 1960 [...] On peut citer des auteurs aussi variés que Claude
Lévi-Strauss en anthropologie, Jean Piaget en psychologie, Louis Althusser et Michel Foucault en philosophie, Jacques Lacan
en psychanalyse, Roland Barthes en sémiologie, Pierre Bourdieu en sociologie [notamment via la revue Actes de la recherche
en sciences sociales]
« Si le ‘soufflé’ est aujourd’hui tombé [cela dépend où...], la renommée mondiale de certains d’entre eux demeure
considérable. » (Delas & Milly, 2005: 297).

Postulats spécifiques de l’analyse structurale :


1. « La cohérence nécessaire des éléments, ce qui revient à leur attribuer une fonction précise; (point commun avec
fonctionnalisme)
2. « L’existence d’une structure [sociale], dont ni la genèse, ni le devenir n’ont d’importance;
3. « La primauté absolue du tout, la structure, sur les parties, l’individu étant réduit à un simple ‘support de structure’,
incapable d’actions intentionnelles car il ne peut accéder à la conscience de la véritable finalité de ses actes qui est
déterminée par le système. »

La métaphore du jeu d’échecs permet d’illustrer les principes de l’analyse structurale:


1. Chaque pièce du jeu ne prend sens que dans sa position relative aux autres;
2. Changer la forme des pièces n’a aucune incidence sur le jeu, seuls leur agencement et la régulation de leurs déplacements
(règles du jeu) comptent;
3. Il suffit de connaître les règles pour connaître l’essentiel du jeu, sa genèse n’a aucune importance. (pas besoin de
comprendre l’histoire de la structure mais seulement ce qu’elle est là mtn pour comprendre comment l’individu voit le monde)
(Delas & Milly, 2005: 298)

Ainsi, une démarche peut être caractérisée de structuraliste, dès lors que:
« [l’auteur] s’intéresse aux structures cachées et donne la primauté à la synchronie [ensemble d'événements
considérés comme simultanés].
Cette analyse part du postulat qu’il existe une infrastructure et qu’elle échappe à la conscience des acteurs. Tout échange
social (économique, culturel, matrimonial, etc.) est considéré comme réductible aux règles de la linguistique, qui est un
échange de signes. » (Delas & Milly, 2005: 299).

L’exemple le plus souvent cité d’une telle approche


structuraliste est celui adoptée en anthropologie par Claude Lévi-Strauss, quand il affirme qu’il existe, dans toute société
humaine, une structure [i.e. règle universelle] immuable de parenté, d’après laquelle:
« le mariage doit se faire en dehors du groupe » (Delas & Milly, 2005: 300-301).
Dans Les structures élémentaires de la parenté, publié en 1949, Lévi-Strauss fait de cette règle universelle la condition
d’émergence de la société.
D’après Lévi-Strauss: « Le mariage est une alliance de
deux lignages [...] si les règles matrimoniales se ressemblent partout, c’est parce qu’il n’existe qu’un nombre limité de
solutions impliquant que le choix du conjoint permette de contracter alliance.
« La prohibition de l’inceste – ‘tu n’épouseras pas ta sœur, ni ta mère’ - est universelle car elle a une implication positive: c’est
la condition pour avoir des beaux-frères, c’est-à-dire des alliés. »
(cité par Delas & Milly, 2005: 300).
Principes analytiques:
Les sociétés occidentales tendent à privilégier les explications ‘scientifiques’ (risques de la consanguinité) de la prohibition de
l’inceste, alors que d’autres sociétés se réfèrent à des motifs religieux, magiques, cosmologiques...
« Mais, elles présentent toutes un point commun, le respect de la règle selon laquelle le mariage doit se faire en dehors
du groupe. C’est quand les membres du groupe se soumettent volontairement à des règles [sans connaître leur raison d’être]
que l’on passe de la horde à la société »

Principes analytiques:
• Autant chez Marx que chez les philosophes et anthropologues qui ont élaboré les principes de base du structuralisme, les
structures immanentes des pratiques et représentations sociales sont au cœur de ce paradigme.
• Peu importe de savoir ce que les individus pensent de ce qu’ils font; peu importe l’intentionnalité de leurs actes, puisque ces
actes sont déterminés par la logique des structures sociales, que les acteurs n’ont pas besoin de connaître pour s’y
conformer.
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

2.4.2. Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure

«Il existe, au-delà du sens que les individus donnent à leur discours ou à leurs actions, des «structures» sous-jacentes
qui fixent le cadre de leur expression»

Analyse structurelle : «il s’agit donc d’observer la cohérence entre plusieurs aspects d’un phénomène. Par exemple,
un type de donnée de règles matrimoniales a de grandes chances d’être associé à un certain type de règles de
résidence. Il s’agit d’une corrélation statistique, une régularité dont on pense qu’elle forme sens» (Delas & Milly)

Analyse structurale : «une démarche plus spécifique, qui remonte aux linguistiques suisses Ferdinand de Saussure
(...) qui montre qu’une langue n’est pas un simple ensemble d’éléments juxtaposés (sons, mots, etc.), mais un
système abstrait de signes, de relations entre ses éléments. L’étude de son histoire (diachronie) n’apprend rien, il suffit
de l’analyser à un moment donné (synchronie)».

Métaphore du jeu d’échecs : (1) chaque pièce ne prend son sens que dans sa position relative aux autres ; (2)
changer leur forme n’a aucune incidence, seuls leur agencement et les règles du jeu comptent ; (3) il suffit de connaître
les règles pour connaître l’essentiel du jeu, sa genèse n’a aucune importance.

2.4.3. Postulats de l’analyse structurale

1 - «La cohérence nécessaire des éléments, ce qui revient à leur attribuer une fonction précise».

2 - «L’existence d’une structure immanente dont ni la genèse, ni le devenir n’ont d’importante».

3 - «La primauté absolue du tout, la structure, sur les parties, l’individu étant réduit à un simple «support de structure»,
incapable d’actions intentionnelles car il ne peut accéder à la conscience de la véritable finalité de ses actes qui est
déterminée par le système.

2.5. STRUCTURALISME DE BOURDIEU - L’HÉRITAGE CONCEPTUEL DE BOURDIEU

Structuralisme de Bourdieu : l’œuvre de Pierre Bourdieu est construite sur la volonté affichée de dépasser une série
d’oppositions qui structurent les sciences sociales (subjectivisme/objectivisme, micro/macro, constructivisme/
déterminisme), notamment par des innovations conceptuelles. Les concepts d’habitus, de capital ou de champ ont
été conçus, en effet, avec l’intention d’abolir de telles oppositions. Ainsi, dans Choses dites, Bourdieu propose de
donner à sa théorie sociologique le nom de « structuralisme constructiviste » ou de « constructivisme structuraliste».
Dans ces expressions s’affiche cette volonté de dépassement des oppositions conceptuelles fondatrices de la
sociologie : en particulier ici celle opposant le structuralisme, qui affirme la soumission de l’individu à des règles
structurelles, et le constructivisme, qui fait du monde social le produit de l’action libre des acteurs sociaux. Bourdieu
veut ainsi souligner que, pour lui, le monde social est constitué de structures qui sont certes construites par les agents
sociaux, selon la position constructiviste, mais qui, une fois constituées, conditionnent à leur tour l’action de ces
agents, selon la position structuraliste. On rejoint ici, par d’autres termes, ce que la sociologie anglo-saxonne appelle
l’opposition «structure/agency» (agent déterminé entièrement par des structures le dépassant/acteur créateur libre et
rationnel des activités sociales) dont la volonté de dépassement caractérise particulièrement le travail conceptuel de
Bourdieu. (Wikipedia)

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2.5
Pierre Bourdieu est l’héritier le plus direct de ce paradigme dans la sociologie francophone, mais il cherche néanmoins à
s’éloigner les principes les plus déterministes du structuralisme originel.
Bourdieu développe un cadrage théorique qui repose sur l’idée que les acteurs (agents) sociaux sont mus par des logiques qui
échappent très largement à leur conscience.
—> structuralisme génétique

Il est habituel de situer les travaux de Bourdieu à la croisée des influences des trois « pères fondateurs » de la discipline:
Durkheim, Marx et Weber.
De chacun de ces auteurs, il va retenir quelques principes, tout en cherchant à élaborer une perspective d’analyse qui lui est
propre et qui constitue, nécessairement donc, une
« entorse » aux postulats de base de chacun d’entre eux. Cette démarche explique sans doute en partie l’importance accordée
aux travaux de Bourdieu dans la formation des générations entières de sociologues: en passant par ses écrits, on peut:
« réviser ses classiques »...

Du fait de ce triple héritage, Bourdieu cherche à prendre des distances à l’égard de l’orthodoxie marxiste, en affirmant sans
cesse la nécessité de mieux prendre en compte l’intentionnalité des acteurs sociaux.
• C’est la raison qui explique que ses travaux soient parfois qualifiés de post-structuralistes (Ansart, 1990).
• Il n’empêche, la plupart des critiques adressées à l’approche bourdieusienne (ou bourdivine, pour ses détracteurs) portent
précisément sur le déterminisme structuraliste qui caractérise son approche.

« A la tradition durkheimienne, il faut attribuer non la reprise des problématiques précises (l’intégration, l’anomie), mais une
conception de la sociologie.
• « Bourdieu partage l’ambition de constituer la sociologie comme science et de la différencier des illusions comme des
opinions.
• Comme Durkheim, Bourdieu insiste sur le principe d’une objectivation du social » (Ansart, 1990: 31).
—> D’où une attention soutenue de sa part à la démarche sociologique en tant que telle (réflexivité / auto-socio- analyse du
chercheur / de la chercheuse)
—> Et son souci à défendre la caractère ‘scientifique’ de la démarche sociologique.

Quant à l’héritage de Marx, il se situe dans l’importance accordée au caractère conflictuel de la réalité sociale:
• « Sans ambiguïté, les analyses de Bourdieu [...] conduisent à mettre en relief le conflit de classe.
• « Les enquêtes sur les pratiques et connaissances culturelles des étudiants (1964), comme les enquêtes sur la fréquentation
des musées (1966) ou sur les grandes écoles (1989), font apparaître une répartition des pratiques fortement différenciées
selon l’origine et l’appartenance de classe » (Ansart 1990: 30)

Enfin, l’héritage de Weber se retrouve dans l’attention que Bourdieu accorde (contrairement à Marx) au sens que les individus
attribuent à leurs pratiques:
• « Le déplacement le plus net, et qui exclut sans doute de caractériser [les analyses de Bourdieu] comme ‘marxistes’, réside
dans l’importance qui sera accordée aux rapports de sens, aux bien symboliques, à la domination symbolique dans les
rapports de classe. » (Ansart, 1990: 30).
3.1.1
Bourdieu vise à découvrir les structures cachées des phénomènes sociaux et en cela il reste fidèle aux principes du
structuralisme orthodoxe:
• Les individus (leurs pratiques, idées, goûts, choix, préférences, etc.) sont déterminés par leurs positions objectives dans la
hiérarchie sociale.
• Les individus peuvent tout ignorer des règles de fonctionnement du système social dans lequel ils vivent, mais néanmoins s’y
conformer (cf. interdiction de l’inceste chez Lévi-Strauss: pas besoin de connaître la ‘vraie’ raison de l’interdit pour le respecter,
et même possibilité de respecter l’interdit pour de ‘mauvaises’ raisons).

Cela donne aux sociologues un rôle très important dans l’interprétation des phénomènes sociaux:
• C’est aux sociologues, par un effort permanent
d’objectivation, de découvrir la nature des structures
sous-jacentes et de mesurer leurs effets sur les individus • Individus désignés comme des ‘agents sociaux’ et non pas
comme des ‘acteurs’.
—> Pris à la lettre, ces principes peuvent mener à une
sociologie quelque peu surplombante (pour ne pas dire prétentieuse...), qui affirme mieux comprendre les individus que les
individus ne se comprennent eux- / elles-mêmes.

D’après Bourdieu, le/la sociologue « voit » des logiques sociales qui échappent le plus souvent à la perception / conscience des
agents.
• La structure sociale est décrite comme un système de positions et de relations MAIS, elle n’est pas ramenée exclusivement à
la position des individus à l’égard du système de production économique (contra Marx).
• Bourdieu « envisage l’espace social comme un système de marchés (champs) possédant chacun ses lois et bien spécifiques
(notamment symboliques: prestige,
honneur) » (Delas & Milly, 2005: 309).

Au cœur de la théorie de Bourdieu se trouve une ‘économie de biens symboliques’.


« [Bourdieu] envisage l’espace social par analogie avec la démarche économique et en empruntant son vocabulaire.
Chaque champ peut se comprendre comme un espace dont les trois dimensions principales sont définies par:
1. Le volume de capital
2. La structure du capital
3. L’évolution du volume et de la structure du capital » dans le temps (Delas & Milly, 2005: 309).

• Chez Bourdieu, la société est donc conçue comme un espace divisé en autant de marchés [spécifiques] d’accumulation de
capitaux [spécifiques], chacun fonctionnant selon une logique spécifique (mais structurellement similaire) de compétition et de
conflit.
• Dans ce contexte, un capital se définit comme un « ensemble de ressources et de pouvoirs effectivement utilisables ».
Bourdieu distingue: le capital économique, le capital culturel, le capital social et le capital symbolique »

Formes de capitals
Les différentes formes de capital sont, au moins partiellement, convertissables entre elles.
• Le capital économique peut être converti en capital culturel ou en capital social, puisqu’il faut généralement du temps pour
acquérir du capital culturel sous sa forme incorporée ou institutionnalisée et des moyens financiers pour acquérir des biens
culturels.
• Néanmoins, pour Bourdieu, la logique des champs ne peut jamais être ramenée à une pure logique économique.
3.1.1. La démarche de Bourdieu : l’analogie économique
Orthodoxie / hétérodoxie dans le champ de la mode:
• « Les anciens (dominants) ont des stratégies de
conservation ayant pour objectif de tirer profit d’un
capital progressivement accumulé.
• Les nouveaux entrants ont des stratégies de
subversion orientées vers une accumulation de capital spécifique qui suppose un renversement plus ou moins radical de la table des valeurs [...] et, du même coup, une
dévaluation du capital détenu par les dominants. »
Avec l’exemple de la mode, Bourdieu cherche donc à saisir les enjeux spécifiques au champ de la haute couture, en analysant les critères d’excellence esthétique qui
structurent le positionnement des individus dans la hiérarchie interne du champ.
• Les dominés (faiblement pourvus en capitaux spécifiques) n’ont d’autre solution que de subvertir les règles du jeu internes, en cherchant à imposer de nouveaux
critères d’excellence (créativité, inventivité, « trash »).
Toutefois, quel que soit le champ, il y a des limites à leurs stratégies de subversion, dans la mesure où les dominé·e·s partagent avec les dominant·e·s un intérêt commun
à la survie du champ en tant que tel.
• Ainsi, les dominé·e·s sont donc contraint·e·s d’adhérer, au moins partiellement, aux valeurs communes du champ et à maintenir la frontière symbolique entre ‘haute
couture’ et ‘prêt-à-porter’, sous peine de voir leurs investissements dans l’acquisition du capital spécifique du champ anéantis
par la disparition du champ en lui-même.

Même si chaque champ est traversé par des tensions et de conflits entre orthodoxes et hétérodoxes, il est néanmoins toujours caractérisé par un consensus relatif à
propos de son existence comme espace social légitime et autonome.
• Ce qui explique la capacité de mobilisation collective des membres d’un champ face à une menace à l’égard de leurs intérêts communs, en dépit des
‘luttes intestines’ qui les opposent en temps normal. Ex. Capacité des psychologues (psychanalystes,
comportementalistes, cognitivistes) à défendre une position ‘commune’ face aux critiques venant d’autres disciplines.

• Le fonctionnement de n’importe lequel champ nécessite qu’il y ait des individus ’prêts à jouer le jeu’ spécifique du champ (ex. de la psychologie);
• C’est-à-dire, doté·e·s des dispositions nécessaires à leur fournir une adhésion d’apparence spontanée aux valeurs du champ.
• C’est le concept de habitus qui permet à Bourdieu de construire le lien entre les espaces structurels (champs) et les individus (agents) qui vont investir ces espaces
avec l’ensemble de capitaux qu’ils possèdent (ou sont susceptibles de posséder).

Pour Bourdieu:
« Comme, d’une part, les structures du monde social
sont intériorisées dans les structures mentales et, d’autre part, les contraintes objectives limitent le champ des possibles, la liberté des agents n’est pas contradictoire
avec un résultat statistique global marqué par la reproduction. La ressemblance des comportements n’implique donc pas ‘l’obéissance à des règles‘ »
Ce concept d’habitus est la clé de voûte de l’ambition théorique de Bourdieu:
• « Lever l’opposition entre libre arbitre et déterminisme, individu et société, programmation par la structure sociale et interaction des stratégies individuelles. » (Delas &
Milly, 2005: 311).
« Parmi les éléments constitutifs de l’habitus, Bourdieu privilégie la classe [origine sociale]: plus les individus appartiennent à des groupes sociaux proches, plus leurs
habitus se ressemblent. »

CRITIQUES DU STRUCTURALISME GENETIQUE


L’approche de Bourdieu n’échappe pas aux critiques habituellement adressées au structuralisme.
• On lui reproche son « excès déterministe et son holisme simpliste »
• Une critique majeure concerne un certain « fatalisme de l’habitus », qui remplace un déterminisme externe à l’individu par un déterminisme intériorisé.
• Sur le plan de la démonstration empirique, certains sociologues contemporains (ex. Lahire) reprochent à Bourdieu de simplifier la réalité sociale et de ne retenir que les
données qui vont dans le sens de sa « (trop belle) mécanique interprétative ».

CONCLUSIONS
D’ailleurs, on pourrait dire que le parcours biographique de Bourdieu lui-même, issu d’un milieu social relativement modeste et néanmoins parvenu au pinacle du champ
universitaire (Professeur eu Collège de France): « a offert tour à tour une démonstration éclatante et un cinglant démenti à ses propres théories sociales » (Wacquant,
2003, cité par Delas & Milly, 2005: 301).
Nous verrons plus en détail les critiques faites au structuralisme génétique de Bourdieu en analysant les postulats de base de l’individualisme méthodologique dans la
suite du cours.
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

3.1.1. La démarche de Bourdieu : l’analogie économique le structuralisme génétique

«J’appelle un champ un espace de jeu, un champ de relations objectives entre des individus ou des
institutions en compétition pour un enjeu identique. L’enjeu (pouvoir, prestige, revenu) n’entraîne la compétition,
qui fonde le champ en transformant l’espace social en un lieu où s’affrontent des intérêts, qu’à la condition que les
individus s’investissent (et investissent leurs capitaux) pour le conquérir. Cela suppose qu’ils soient victimes de la
«magie sociale» des institutions, qui érigent en intérêt les enjeux liés au fonctionnement du champ
considéré» (Bourdieu, raisons pratiques, 2005)

formes de capital coexistent avec le capital économique et font l’objet d’une « économie symbolique ».
Capital économique * : «ensemble de facteurs de production, des biens économiques et du revenu. Son
fonctionnement est spécifique à chaque société : la logique des récoltes antérieures oppose, par exemple, les sociétés
agraires au calcul rationnel du capitalisme». l’influence de la pensée marxiste, à la différence près que Bourdieu reconnaît que tous les rapports
sociaux ne sont pas nécessairement régis par une logique d’accumulation de capital économique.

Capital culturel : ensemble de dispositions et qualifications intellectuelles, mais aussi des biens culturels acquis au
cours de la formation et de l’histoire individuelle de socialisation. Il existe trois formes distinctes de capital culturel ; (1)
incorporé, dispositions de l’individu, hexis corporel, (2) objectivé, biens culturels possédés, (3) institutionnalisé, titres
scolaires.

Capital social : «réseaux de relations sociales d’un individu. Son volume dépend de l’étendue des liaisons qu’il peut
effectivement mobiliser et du volume du capital (économique, culturel ou symbolique) possédé en propre par chacun
Son accumulation dépend des institutions qui favorisent les échanges légitimes entre les membres
de ceux auxquels il est lié» (Delas & Milly) du groupe (clubs, rallyes) et du travail de sociabilité. La sociabilité repose sur des processus
d’inclusion / exclusion dans des réseaux en fonction des capitaux dont les individus disposent.
Capital symbolique : «biens symboliques comme l’honneur, le prestige, la réputation, dont l’accumulation et la
reproduction motivent tout autant les individus et les groupes que celle des biens matériels ou des titres scolaires. La
notion de légitimité est ici centrale» (Delas & Milly). la forme de capital la plus légitime dans un champ donné, à un moment donné

La structure des champs : chaque champ social possède sa hiérarchie interne, qui reflète le volume et la
composition du capital qui y fait fonction de capital symbolique. Chaque champ est également traversé par des
rapports de pouvoir, entre ceux que Bourdieu appelle les «orthodoxes» et les «hétérodoxes».

• Les orthodoxes : les dominants, ceux qui possèdent le plus de capital valorisé dans ce champ et qui sont en
mesure d’imposer la légitimité de leurs dominations aux autres «joueurs» du champ.

• Les hétérodoxes : les dominés, moins bien dotés en capital spécifique. Ils se conforment souvent à la logique du
champ, mais peuvent aussi essayer d’en changer la table des valeurs.

«À partir des positions que les différents agents ou institutions occupent dans la structure du champ et qui, en ce cas,
correspondent assez étroitement à leur ancienneté, on peut prévoir, et en tout cas comprendre, leurs prises de
position esthétique (...) : plus on va du pôle dominant au pôle dominé, plus il y a de pantalons dans les collections ;
moins il y a d’essayages ; plus la moquette grise, les monogrammes sont remplacés par des vendeuses en minijupes
et de l’aluminium ; plus on va de la rive droit à la rive gauche.» (Bourdieu, Questions de sociologie, 1984)

Structure du champ de la haute couture ; termes identifiés dans la presse féminine


Pôle dominant Pôle dominé
Luxueux Super-chic
Exclusif Kitsch
Prestigieux Drôle
Traditionnel Rayonnant
Raffiné Fonctionnel
Equilibré Humoristique/sympathique

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*
Bourdieu reconnaît (contre Marx) que le capital économique n’est pas toujours la forme dominante de
capital dans tous les espaces sociaux [champs]. Néanmoins, il insiste sur le fait que le capital économique
offre souvent la possibilité d’obtenir d’autres formes de capital, par des logiques de conversion.
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

Habitus : système de dispositions durables acquis par l’individu au cours du processus de socialisation. Il s’agit donc
à la fois du produit de conditions sociales passées et du principe générateur de pratiques et de représentations que
l’individu va mobiliser dans ces stratégies. Bourdieu y voit un moyen de dépasser l’opposition entre objectivisme (effets de la structure sociale) et
subjectivisme (idée de liberté absolue des agents).

4. INDIVIDUALISME MÉTHODOLOGIQUE

4.1. LES PRINCIPES DE L’ACTIONNISME

«Expliquer un phénomène social, c’est toujours en faire la conséquence d’actions individuelles. [...] De
manière générale, on dira qu’on a affaire à une méthodologie individualiste lorsque l’existence ou l’allure d’un
phénomène P est explicitement analysée comme une conséquence de la logique du comportement des individus
impliqués par ce ou ces phénomènes» (Boudon & Bourricaud, 1982)

4.2. LA FILIATION WÉBÉRIENNE

Influence wébérienne : les travaux de Weber ont surtout influencé la sociologie dans trois domaines ; la
méthodologie interprétative, la rationalisation des sociétés contemporaines, la théorie de la stratification sociale.

Définition wébérienne de la sociologie : «la sociologie est une science qui se propose de comprendre par
interprétation l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets. Nous entendons par
activité un comportement humain quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif».

Détermination de l’activité sociale : selon Weber, l’activité sociale peut être déterminée de différentes manières ;
traditionnelle, affectuelle, rationnelle en valeur, rationnelle en finalité.

«L’expression individualisme méthodologique désigne littéralement une méthode d’analyse du social, mais elle
recouvre généralement aussi une conception théorique donnant aux acteurs sociaux des marges non
négligeables d’autonomie et justifiant la saisie «compréhensive» du sens qu’ils donnent à leurs actions.
Pour marquer leur éloignement à l’égard de l’utilitarisme de l’économie néolibérale, certains sociologues, notamment
en France, préfèrent parler d'actionnisme ou de sociologie de l’action»

4.3. L’ACTIONNISME DE RAYMOND BOUDON

Critique de Bourdieu : «Le succès de la théorie bourdieusienne de l’habitus provient de ce qu’il a pour effet de
naturaliser l’individu, de le traiter comme objet soumis à des forces qui lui seraient extérieures. Elle permet de
faire de la culture une seconde nature ; de voir l’individu comme le jouet passif de cette seconde nature ; de
transformer le sujet en objet et par la suite de le rendre accessible au scalpel. C’est pourquoi certains y ont vu
la pierre philosophale permettant de faire de la sociologie une science à part entière, voire une super-science capable
de décrypter les secrets ultimes du social» (Boudon)

Principes de base de l’individualisme méthodologique : afin de dépasser les limites perçues des paradigmes
déterministes, Boudon pose les principes de base de l’individualisme méthodologique ;

- Il faut analyser les phénomènes sociaux comme la somme d’actions individuelles soumise à des contraintes.
- Il faut poser que les acteurs sociaux sont rationnels dans la plupart des situations.
- Le travail sociologique se fait via la construction de modèles, des schèmes d’analyse et d’idéaux types

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SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

Explications des phénomènes sociaux : cet ensemble de propositions conduit Boudon à représenter le schéma
explicatif de tout phénomène social selon un modèle simple ; «tout phénomène (M) est le produit agrégé du
comportement (m) des individus soumis à des contraintes de situation (S) dépendant de variables macro sociales
(M’)».

Homo sociologicus : (1) peut suivre des valeurs, ou des normes intériorisées (et qui ne sont pas forcément celles de
la maximisation des gains) ; (2) peut ne pas (toujours) discerner le meilleur choix à effectuer pour atteindre ses
objectifs ; (3) ses préférences dépendent de l’environnement et de son histoire ; (4) sa rationalité est limitée ; (5) il doit
répondre aux attentes sociales liées aux rôles qui lui sont assignés.

«On souligne alors que, en fait, les rôles ne sont pas aussi rigoureusement définis que les laisserait penser l’approche
fonctionnaliste ; les normes sont souvent contradictoires et, de plus, chacun joue pratiquement plusieurs rôles
sociaux. Tous ces aspects font qu’une dimension stratégique est toujours garantie à l’acteur et qu’une marge
d’autonomie lui est assurée. La tâche de l’individualisme méthodologique sera donc, non de recenser les rôles
imposés, mais d’examiner comment les individus assument leurs rôles, arbitrent entre les «sous rôles» qui
leur sont proposés, et avec quelles conséquences d’ordre général.» (Ansart, 1990)

«Je défends un individualisme de type non atomique mais structurel. Les systèmes sociaux ont une structure. Cette
structure fixe des contraintes sous lesquelles les individus agissent. Ces contraintes définissent pour les
agents du système les limites du possible. Mais elles ne suffisent généralement pas à déterminer leur
comportement» (Boudon, 2005)

Les phénomènes d’émergences : un effet émergent est un effet qui n’est pas explicitement recherché par les
agents d’un système et qui résulte de leur situation d’interdépendance (Boudon).

4.4. CRITIQUES DU PARADIGME ACTIONNISTE

Critique du postulat de l’utilitarisme/rationalité limitée : «les individus sont-ils motivés par la seule matrice des
gains individualisables, n’obéissent-ils pas aussi à un système de normes et de valeurs dont le respect détermine une
vaste plage d’actions non explicables par la seule recherche de l’intérêt ? (Delas & Milly)

5. INTERACTIONNISME

5.1. L’INTERACTIONNISME SYMBOLIQUE

Principes à l’origine : (1) les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens qu’ils attribuent à ces
choses ; (2) ce sens est dérivé ou provient de l’interaction sociale que chacun a avec autrui ; (3) ces sens sont
manipulés dans, et modifié via, un processus interprétatif utilisé par la personne pour interagir avec les choses
opposé à la conception durkheimienne du social et de l’acteur
rencontrées» (Blumer) n’existerait-il pas de faits sociaux extérieurs aux individus. divergences : la conception de l’acteur et de sa
capacité à donner sens à la réalité sociale qui l’entoure
et qu’il participe à fabriquer.

Cadre primaire : «est primaire un cadre qui nous permet dans une situation donnée, d’accorder du sens à tel ou tel
de ses aspects, lequel autrement serait dépourvu de significations. Les cadres primaires nous permettent de localiser,
de percevoir, d’identifier et de classer un nombre apparemment infini d'occurrences entrant dans leur champ
d’application». sʼopposer autant à lʼindividualisme utilitariste quʼau holisme déterministe
et objectiviste […]
« [Ces approches] refusent les approches culturaliste,
l’individu est un acteur
fonctionnaliste et structuraliste qui considèrent des
interagissant avec les éléments sociaux et non un
agents façonnés par leurs conditions de vie, contraints
agent passif subissant de plein fouet les structures
par les structures et conditionnés par les institutions,
sociales
UNIL 2014-2015 mais aussi les excès de l’individualisme 101/102
méthodologique, qui n’envisage le social que sous
l’angle des motivations utilitaristes individuelles »
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE A TITAŸNA KAUFFMANN

Deux types de cadres primaires : (1) les cadres naturels permettent d’identifier des occurrences purement
physiques. (2) Les cadres sociaux permettent de comprendre des événements animés par une volonté ou un objectif.

Mode : «ensemble de conventions par lequel une activité donnée, déjà pourvue d’un sens par l’application d’un cadre
primaire, se transforme en une autre activité qui prend la première pour modèle mais que les participants considèrent
comme sensiblement différente. On peut appeler modalisation ce processus de transcription.

Cinq rubriques de modes fondamentaux : (1) le «faire semblant», (2) certaines compétitions sportives, (3) les
cérémonies, (4) les réitérations techniques, (5) les détournements.

Quatre canaux d’activité secondaires : (1) le canal de distraction, (2) le canal de direction, (3) le canal de
superposition, (4) le canal de dissimulation.

5.2. L’ETHNOMÉTHODOLOGIE

«La proposition centrale de l’ethnométhodologie est qu’il faut considérer les faits sociaux comme des
accomplissements pratiques. Ce sont des procédés ordinaires appuyés sur un stock de savoirs, qu’utilisent les
membres dans leurs activités de la vie quotidienne que Garfinkel décide de qualifier d’ethnométhodes».

UNIL 2014-2015 102/102

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