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La génération labyrinthe : désorientée ?

Tentatives d’analyse et de compréhension


Par
Florine ROUSSELEAU
Synthèse du TFE présenté en vue de l’obtention du titre d’Assistante en Psychologie
(Haute Ecole Léonard de Vinci – Institut Libre Marie Haps, Août 2021)

« Dans une course effrénée pour aller sans cesse plus vite, plus
loin, il n’y a plus de place pour les méandres. On veut fabriquer
vite, simple, éphémère. Oubliant que chacun, en réalité, passe
l’essentiel de sa vie à aller le plus lentement possible de la
naissance à la mort, dans l’espoir d’y accomplir un nombre
illimité de détours. »

Jacques Attali

ccepter que l’aiguille magnétique de notre boussole ne fonctionne guère, accepter de se perdre,
A oser se montrer vulnérable et assumer ses fragilités sont des réels défis pour la jeunesse
d’aujourd’hui. “ On a tout, mais il nous manque quelque chose ”. Cette remarque d’un jeune de vingt-
huit ans a été l’un des points de départ de notre mémoire et met en lumière avec justesse les
questions que nous nous sommes posées.

La question du sens se montre de plus en plus cruciale dans nos sociétés actuelles, dans un monde
entré en mutation depuis plusieurs décennies - où il faut toujours aller plus vite, toujours plus loin.

Nous connaissons toutes et tous une personne, de près ou de loin, qui a pu être désorientée. Des
personnes en quête de connaissance de soi, perdues face à des injonctions paradoxales, familiales
ou sociétales. Des jeunes, par exemple, qui après avoir décroché un diplôme, décident de ne pas
commencer à travailler et préfèrent arpenter les routes du bout du monde à la recherche de l’ultime
sortie qui procurerait un sens à leur vie.

Nous avons envie d’adopter un autre regard sur cette génération, souvent soumise aux critiques et
qui semblerait porter le poids du monde sur ses épaules. La jeunesse, appelée d’après le philosophe
Michel Serres Petite Poucette, appelle à être envisagée. Si l’ère postmoderne paraît menaçante, elle
est néanmoins créatrice de nouvelles opportunités que les jeunes ne demandent qu’à saisir.

Comment les milléniaux des sociétés occidentales contemporaines, ces membres de la génération Y
nés entre 1981 et 2000, peuvent se réaliser et devenir eux-mêmes dans un monde où les possibilités

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sont infinies ? « Faut-il s’y adapter, tenter de le changer, chercher des échappatoires, construire une
alternative ? » (de Gaulejac, 2017, p. 38).

Cette recherche exploratoire aux allures labyrinthiques a pour vocation, non pas d’élucider les causes
précises de la désorientation des jeunes Y, mais de tenter de comprendre par le biais d’une analyse
préliminaire et incomplète, ce véritable phénomène sociétal, psychologique, sociologique, culturel,
philosophique voire ontologique.

Le dessein de ce travail réside dans sa portée réflexive. Un sujet d’une telle complexité n’a pas la
prétention d’obtenir davantage de réponses que de questions. Au vu des caractéristiques qualifiant
de notre point de vue notre travail, nous avons dû effectuer des choix en sélectionnant des
informations et en entamant un travail de deuil concernant les nébuleux concepts de postmodernité et
identité. Comme le dit le sociologue Guy Bajoit (2003), « dire des choses compliquées en termes
simples, c’est toujours un défi ».

Nous avons décidé d’analyser la question de la désorientation à travers sa portée existentielle. La


recherche exploratoire théorique fut alors une voie pertinente (parmi d’autres sans doute) pour
entamer le travail. Cette méthodologie de recherche n’est pas une revue de littérature systématique,
mais une recherche exploratoire non-exhaustive et non systématique de la littérature. La
bibliographie consultée se veut volontairement plurielle, au confluent de plusieurs disciplines :
psychologie, psychologie sociale, psychosociologie, sociologie, philosophie, etc.

Premier chapitre – quel tableau pour une société post-moderne ?

À travers le premier chapitre et au vu de la question de recherche du mémoire, il paraissait primordial


de remettre en perspective l’environnement postmoderne dans lequel vivent actuellement les jeunes
Y afin de comprendre le phénomène de désorientation. Dès lors, nous avons humblement tenté de
peindre le portrait global et non exhaustif d’une société post-moderne.

Le terme de société postmoderne fait entre autres référence aux sociétés occidentales comme nous
le précise le sociologue polonais Zygmunt Bauman dès les premières lignes de l’un de ses ouvrages :
« Un certain nombre de ruptures se sont produites ou sont en train de se produire dans le monde,
dans sa zone « développée » du moins. Toutes ces ruptures étroitement liées entre elles créent un
contexte neuf dans lequel les individus doivent affronter une série de défis sans précédent »
(Bauman, 2007, p. 6). 

Il n’a pas été aisé de définir ce concept - complexe - aux appellations diverses et variées. De
nombreuses caractéristiques sont associées à cette période dite de désenchantement. Tout d’abord,
l’effritement des structures institutionnelles, sociales et spirituelles selon Tapia aurait été causé par le
déclin de l’Occident qui n’aurait pas su trouver de réponses aux multiples questions philosophiques,
religieuses et sociales soulevées lors du XIXème siècle (2012, p. 17).

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Alain Ehrenberg se pose la question de savoir si l’on peut parler d’une société du malaise ou bien
d’un malaise dans la société. Selon lui, « le malaise se résume dans la double idée que le lien social
s’affaiblit et qu’en contrepartie l’individu est surchargé de responsabilités et d’épreuves qu’il ne
connaissait pas auparavant » (Ehrenberg, 2011, p. 555).

Si nous devions associer un mot clé à une société postmoderne, cela pourrait être celui de la
contradiction. L’individu fait face à de nombreuses injonctions paradoxales. À la fois il doit être lui-
même, heureux et performant mais tout en ayant le poids d’une responsabilité - pouvant le rendre
tout à fait vulnérable (de Gaulejac, 2017, p. 27). En cas d’échec, la faute est souvent attribuée à
l’individu, ce qui ne manque pas d’entraîner des répercussions psychologiques et d’éventuellement
déstabiliser son identité. (op. cit.)

La société paradoxante pousse les individus à l’excès et/ou au manque avec une intensité qui
ne cesse de s’accentuer. Il faut apprendre à être dans plusieurs endroits en même temps, se
concentrer sur une tâche tout en en menant d’autres de front, se reposer en étant hyperactif,
faire plus avec moins, mettre des limites pour mieux les dépasser, affirmer sa liberté dans un
univers de contraintes et de contrôles de plus en plus sophistiqués, être solidaire dans un
contexte d’individualisation maximale, dire une chose et son contraire sans être illogique, tenir
des discours insensés sans perdre la raison, cultiver son stress pour le rendre productif,
transformer ses peurs et ses angoisses en énergie positive... (de Gaulejac, 2017, p. 35)

Les individus ne disposant pas des mêmes ressources juridiques, affectives, cognitives et sociales,
ne réagiront pas de la même manière face à ce lot de contradictions. Tandis que certains jeunes
réussiront à s’adapter et à cheminer dans ce gigantesque labyrinthe que représente notre monde
occidental aujourd’hui, d’autres auront peut-être davantage de difficultés.

Pour Richard Sennett, « avec le développement de l’individualisme, le moi de chaque individu est
devenu son principal fardeau » (Sennett, 1979, cité dans de Gaulejac, 2017, p. 27). En évoquant ce
fait - trente-huit ans avant Vincent de Gaulejac - nous pourrions être amenés à penser que Richard
Sennett était un réel visionnaire.

Quant à Ardenne, il évoque le terme de “ surenchère ” pour caractériser l’hypermodernité. Il faut de la


démesure, aller vite et toujours plus vite, vers un idéal qui ne cesse de se mouvoir avec le temps. Le
but recherché est poussé à l’inédit et à l’extrême. (Tapia, 2012, p. 18). L’hypermodernité ne teinte pas
uniquement la sphère sociétale. Elle touche aussi aux domaines artistiques, littéraires,
philosophiques, politiques, économiques, culturels ainsi que médiatiques (op. cit.).

Une société se voulant tellement rentable que les individus qui la composent en seraient à gérer leur
vie privée de la même manière qu’ils dirigent une entreprise ? Nous pourrions nous demander alors si
l’arrivée fulgurante des livres et techniques de développement personnel et « des traitements des
manques et des frustrations par des procédés diversifiés englobant le coaching, la méditation, le
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yoga, divers soins de beauté, etc. » (Tapia, 2012, p. 22) ne serait pas une des conséquences de
l'ascension de ce modèle néo-libéral ?

Le bien-être est devenu une valeur fondamentale des temps modernes » ; ils y voient une
« attitude mentale » en rupture autant avec l’ascétisme de l’épargne qu’avec la dilapidation
luxueuse ; « ce qui est nouveau, pensent-ils, ce n’est pas seulement l’aspiration collective et
égalitaire au bien-être, c’est le bien-être comme fondements de la vie (Morin et Cazes, 1961
cité dans Ehrenberg, 1995, p. 88).

Il paraît tout à fait déroutant de réfléchir à la manière dont les individus cherchent à être “ sereins ”, “
sages ” tout en étant les contributeurs de ce mode de vie effréné, abondant et complexe (Decrop,
2008, p. 93).  Les techniques de développement personnel pourraient se présenter comme des soins
palliatifs à ce rythme de vie effréné, mais ne devrait-on pas essayer d’agir sur les causes ?
Cependant, il est possiblement plus aisé de s’installer dans un déni de la réalité plutôt que d’y faire
face.

La logique de capitalisme fonctionne avec une logique de performance. Selon Portets, la


« performance prend son sens contemporain : « per-former les choses ». Pas uniquement les
transformer, mais travailler avec la perfection même de la transformation, « l’optimiser, [soit]
l’accélérer » (Portets, 2012, p. 28). Ainsi, Vincent de Gaulejac parle de « psychologisation des
problèmes sociaux », c’est-à-dire que les hautes exigences de performance induites par certaines
entreprises rendent les travailleurs responsables des troubles induits par la surperformance et le
surinvestissement. Par exemple, le stress ou les maladies professionnelles comme le burnout seront
plutôt du ressort de l’individu, au psychisme fragile plutôt que du ressort de l’entreprise et de son
système managérial (de Gaulejac, 2017, p. 29).
Il serait donc de la responsabilité de l’individu de s’adapter au travail et non pas à l’organisation de
s’adapter à l’individu – seulement l’individu hypermoderne a-t-il les épaules assez fortes pour
assumer ce poids ?

Vincent de Gaulejac illustre à merveille la manière dont les individus d’aujourd’hui sont tiraillés,
malgré eux. Cela rejoint la question du mémoire : Comment les jeunes d’aujourd’hui peuvent-ils se
frayer un chemin dans cette société aux multiples paradoxes ?

De Gaulejac se pose des questions constituant l’essence de notre recherche  :


Comment advenir comme sujet lorsqu’on est ballotté par des exigences contradictoires ?
Comment restaurer ses capacités réflexives lorsque la culture de l’urgence et l’hyperactivité
empêchent de penser ? Comment lutter contre ses pulsions schizoïdes et paranoïdes dans un
contexte qui sollicite des comportements pervers ? Comment agir pour transformer les
organisations paradoxantes de l’intérieur alors qu’elles réduisent ceux qui y travaillent à
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l’impuissance ? Comment vivre dans un univers paradoxant ? Faut-il s’y adapter, tenter de le
changer, chercher des échappatoires, construire une alternative ? (de Gaulejac, 2017, p. 38)

Marc Moulin a écrit un essai en 1997 qui s’intitule « La surenchère (l’horreur médiatique) ». Cet
ouvrage dénonce le caractère excessif de nos sociétés à travers plusieurs symptômes tels que : le
consumérisme, l’émergence d’une confusion entre réalité et fiction, la crise de la finalité, la
simplification culturelle ainsi que la peur. Selon Moulin, l’« horreur médiatique » survient dans les
années 1980 et elle renvoie à l’idée d’un « toujours plus ». Toujours plus fort, toujours plus loin
(Verriest, 2020).

D’une certaine manière, l’ère de l’information dans laquelle nous sommes entrés démultiplie les
possibilités de contact entre personnes ; paradoxalement, elle conduit aussi à de plus en plus
d’isolement. D’une part, les ordinateurs, le téléphone mobile et la télévision interactive nous
permettent d’être en permanence en contact avec nos proches aux quatre coins du monde.
D’autre part, ces mêmes technologies amènent à une déshumanisation des relations
humaines. (Decrop, 2008). 

Cette déshumanisation des relations humaines se manifesterait à travers le terme de « solitude


interactive » selon Dominique Wolton. À la fois les êtres sont de plus en plus connectés, mais qu’en
est-il du lien ?

Du point de vue de Moulin, nous sommes arrivés à un point de non-retour où le spectateur de cette
surenchère médiatique est en danger puisque s’il ne sait pas trier et hiérarchiser les informations. De
ce fait, son sens critique pourrait éventuellement s’amoindrir (Verriest, 2020).
Or, adopter une démarche réflexive nous paraît être essentiel afin de différencier le vrai du faux, le
réel du virtuel. En somme, nous ne pouvons y échapper. De notre point de vue, l’ère postmoderne
aurait la force et la puissance d’une catastrophe naturelle - incontrôlable - menaçante et entraînant
des vagues de grandes transformations sur son passage – et qui à la fois permettrait une
reconstruction ou en tout cas une remise en question de notre Être.

Selon Guy Bajoit, de nombreuses tensions contradictoires sont présentes au sein d’une société
hypermoderne. Ces tensions ne permettent pas, selon le sociologue, de se construire et pourraient
même parfois détruire l’individu. (2000, p. 24). Ce propos, quelque peu déterministe, est relativisé par
des auteurs comme de Gaulejac qui avance l’idée que nous pouvons transformer des paradoxes
destructeurs en forces de création (de Gaulejac, 2017, p. 39) et que ceux-ci offrent une occasion
d’être l’agent de son propre changement (Ehrenberg, 2011, p. 569). Le néo-libéralisme s’immiscerait
aussi dans la sphère privée, exigeant l’individu de performer au sein de cette dernière (Tapia, 2012,
p. 21).

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Le relativisme semblerait aussi être une composante à part entière des sociétés postmodernes.
Selon Decrop, les jugements, valeurs et comportements de l’individu sont relatifs. « L’individu
postmoderne se libère de tout et de tous ; il se suffit à lui-même, fixe ses propres normes et ne se
sent plus responsable face à la société et ses groupes d’appartenances classiques (famille, école,
paroisse, etc.) » (Decrop, 2008, p. 86). 

De notre point de vue, si l’individu rencontre des difficultés à trouver sa capacité d’agir par lui-même,
cela peut engendrer des souffrances psychologiques. Avant, ces problématiques psychiques étaient
attribuées aux institutions, aux acteurs organisés. Maintenant, cela est du ressort de l’individu lui-
même (Ehrenberg, 1995, p. 23). La défaillance du système social engendre un sentiment de perte de
repères puisque la société ne fixe pas de limites à sa responsabilité. L’individu est de plus en plus
sollicité et devient alors plus avide de reconnaissance et de sens (Ehrenberg, 1995, p. 23-24). 

Guy Bajoit (2012) rejoint l’idée d’Ehrenberg selon laquelle l’avenir pour la plupart des individus se
rapproche davantage d’une perspective opaque plutôt que transparente et claire.

Selon lui, être jeune face à un avenir incertain constitue un challenge. En effet, cette incertitude est
causée par une injonction entre la société d’un côté, qui donne aux jeunes l’espoir de s’accomplir, et
de l’autre côté un modèle économique et social néo-libéral qui, par la dominance de la compétitivité
et la performance, ne leur permet pas de s’accomplir et fragilise leur construction identitaire (Bajoit,
2012).  L’individu est livré à lui-même, il est sa propre boussole mais la société est moins
structurante, celle-ci ne lui offre plus de repères définis (Bajoit, 2000, p. 38). L’avenir incertain peut
représenter un réel défi pour de nombreux jeunes qui ont des difficultés à répondre à la question «
Où te vois-tu dans dix ans ? ». L’instant présent semble primer sur le futur.

À ce titre, l’hédonisme a pris une place prépondérante au sein de nos sociétés. Les jeunes
recherchent le plaisir, à travers le loisir et ce dans plusieurs sphères de leur vie. Le droit au plaisir
semblerait même substituer la recherche même de plaisir (Martineau & Roult, 2021, p. 8).

Confectionner de la musique techno en faisant déraper les vieux trente-trois tours de rock’n
roll en vinyle, créer des world music, métissage de roots africaines et de jazz contemporain,
de rap des cités et de folklore celtique, aller manger indien le midi et tex-mex le soir, jeter sur
sa tenue moulante en skaï un vieux châle hippie à impression cachemire, porter une main de
fatma avec une croix chrétienne, collectionner les vieux souvenirs et parsemer son logis
d’objets obsolètes qui défient les canons du « bon goût » sont autant de petits signes qui
paraissent bien anodins, anecdotiques même, et qui pourtant peuvent être lus comme des
manifestations du postmodernisme ambiant (Fournier, 2012, p. 293).

Malgré tous les points évoqués dans le premier chapitre qui peuvent paraître sombres, une société
post-moderne pourrait aussi offrir des bénéfices à l’individu. En effet, le fait que tout soit à réinventer
représente une réelle opportunité pour les jeunes Y (Tapia, 2012, p. 19).
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La chanson Society, issue de la bande originale du film Into the Wild, fruit de la collaboration d’Eddie
Vedder et Michael Brook pourrait illustrer l’aigreur palpable d’un certain nombre d’individus
postmodernes. Ce merveilleux film relate l’histoire réelle de Christopher McCandless qui a pris le parti
de s’extraire de la société moderne pour entrer en communion avec Autrui et la nature et ainsi aspirer
à de meilleures perspectives de vie.

You think you have to want


Tu penses que tu dois avoir
More than you need
Plus que ce dont tu as besoin
Until you have it all, you won’t be free
Jusqu’à tout posséder, sans aucune limite

Society, you're a crazy breed


Société, tu es vraiment invivable
I hope you're not lonely without me
J'espère que tu n'es pas seule, sans moi

When you want more than you have


Quand tu veux plus que ce que tu as
You think you need
Tu penses que c'est un besoin
And when you think more than you want
Et quand tu penses plus que tu ne le veux
Your thoughts begin to bleed
Tes pensées montrent des signes de faiblesses [traduction libre] (Vedder, 2007)

Deuxième chapitre – le trajet de vie des jeunes Y

L’intention du deuxième chapitre était de pointer l’ambivalence créée par, d’une part, les promesses -
explicitées dans le premier chapitre de ce mémoire - non tenues par la société et d’autre part, le
principe de réalité d’une vie, d’une identité et d’une place - labyrinthiques. Comme évoqué dans le
premier chapitre, plusieurs auteurs définissent à leur manière notre société. Bauman par exemple
utilise le terme de “ société liquide ”. « À l’état liquide, rien n’a de forme fixe, tout peut changer »
(Bauman, 2010 cité dans Desmarais, 2013, p.11). Puisque la société en elle-même n’a pas de forme
fixe selon l’auteur, et que tout est volatile, changeant, on peut alors s’imaginer que l’itinéraire des
jeunes d’aujourd’hui le sera aussi.

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Face à ce monde dominé par l’incertitude, le « trop », le consumérisme à outrance, nous avons vu
qu’il pouvait être difficile de se repérer. Si dans le passé, les trajectoires de vie étaient plus linéaires,
aujourd’hui les parcours sont davantage individualisés puisque nous vivons dans un monde où tout
est possible et incertain (Bajoit, 2012, p. 1).

Le concept de désorientation fait allusion à la perte du sens de l’orientation chez les jeunes Y. Il fait
référence à la notion de « se perdre » explicitée à maintes reprises à travers la métaphore du
labyrinthe, illustrée à merveille par Jacques Attali (1996, p. 208).

Nomadiser, faire face, se perdre, s’accepter, persévérer, se souvenir, danser, jouer, ruser, élucider :
l’homme qui parvient à réunir toutes ces qualités a toutes les chances d’avancer, même après
d’innombrables erreurs, vers la réponse à la seule question qui vaille : « Qu’est-ce que je veux
devenir ? » (Attali, 1996, p. 208).

Le terme d’itinéraire labyrinthique peut ainsi être éclairant pour réfléchir autour de la question d’une
éventuelle désorientation. Les trajets de vie des jeunes Y semblent être davantage composés de
chemins et voies sans issues par rapport aux anciennes générations où les parcours pouvaient
davantage sembler à des autoroutes. « L’autoroute elle-même cessera d’être en ligne droite : celle-ci
provoque plus d’embouteillages, plus d’accidents dus à la somnolence, que le dédale qui multiplie les
chemins allant d’un point à un autre et permet de mieux répartir la circulation. » (Attali, 1996, p. 141).

Selon Guy Bajoit, la société dictait aux individus ce qu’ils devaient faire alors qu’aujourd’hui elle leur
demande de se réaliser et d’être eux-mêmes (Aka, 2017, p. 7). Peut-être disposaient-ils aussi de
davantage de ressources afin de se réaliser ? (Ghoul, 2017, p. 3).

Parce que nous ne sommes pas des sages, nous cherchons toujours à aller voir du côté de, à
essayer. Parce que vivre, c’est risquer, traverser des dangers, autre façon de dire l’expérience.
Pour cela aussi, parce que nous sommes simplement vivants, humains, nous entourons les
générations à venir. Aller vers, tendre à, c’est le propre de l’homme. L’homme cherche et
jusqu’au bout de sa vie, se cherche. Pour cela, il passe par les autres, nécessairement.
Découvre des façons de faire, des façons de dire. Il se les approprie pour se constituer. Il
donne aussi pour se constituer. Dans le faire et dans l’agir, l’homme se vit. Porté par son désir,
faire ne suffit pas. Il lui faut parfaire. Y ajouter son empreinte, s’y reconnaître (Portets, 2012, p.
27).

La société et les trajets de vie peuvent être représentés comme des labyrinthes où plusieurs voies et
issues cohabitent. C’est ainsi par l’expérience, que le jeune Y modèle son propre chemin de vie
(Portets, 2012, p. 27).

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Selon Boutinet, la question de l’orientation est devenue une injonction. Le jeune doit définir lui-même
son avenir à travers la mise en place d’un projet : « qu’est-ce-que tu as envie de faire plus tard ? Tu
comptes t’orienter vers quoi ? As-tu pensé à ce que tu veux faire après ? » (Boutinet, 2007, p. 2). Ces
questions peuvent générer du stress autant pour le jeune que pour son environnement familial qui
n’utilise pas la même temporalité. En effet, les jeunes d’aujourd’hui vivent dans un monde incertain et
adoptent de ce fait une vision court terme tandis que leurs parents visent à anticiper à moyen ou long
terme (op.cit.). « Les jeunes quant à eux ébauchent des temporalités de l’immédiateté, de la
transition, voire de l’échéance à très court terme, temporalités devenues pour eux familières parce
qu’elles sont celles qui régissent la conduite ordinaire de leur existence. » (op. cit.).

Génération en quête de sens, dans un monde hyper-mondialisé, hyper-connecté, comment se


détacher du superflu pour explorer et s’approcher au plus près de la quintessence même de notre
être ? 

Nous avons tenté de peindre le portrait de la génération « Why » en gardant à l’esprit qu’elle se
construit en parallèle de son contexte sociétal postmoderne actuel. La génération serait définie
comme une portion d’individus qui partage les mêmes changements sociétaux, idéologiques et
références communes selon Lagrée (1996, p. 74). Le concept de génération prendrait racine à
l’adolescence, car c’est à ce moment que la construction identitaire débute réellement (Attias Donfut
et al. 2004, p. 6). Du point de vue de Le Flanchec et Mullenbach, elle est prénommée Y car la
génération X la précède et du fait que ce serait une génération en perpétuel questionnement refusant
souvent la contrainte, Y signifiant « Why » en anglais. (2016, p. 109). « Cette génération, donnant lieu
à de nombreux débats empiriques ainsi qu’à un engouement extraordinaire en termes de littérature
académique comme professionnelle est également appelée “ Millenials” (Dudezert et al., 2008 cités
dans Le Flanchec et Mullenach, 2016, p. 109). L’incertitude de l’avenir semblerait être le point
commun majeur des individus qui composent la génération Y (Grand’Maison, 2002, p. 118). Les
jeunes Y ont un rapport au monde différent des anciennes générations (Serres, 2012, p. 6). Ils
sembleraient interconnectés et flexibles.

Au vu du changement de paradigme opéré dans les années 2000 mettant au premier plan la fragilité
des incertitudes, l’individu doit faire preuve de flexibilité et de capacité d’adaptation pour (sur)vivre
(Verriest, 2021). « Ces enfants des divorces, des familles recomposées, de l’entrée dans la vie par le
chapelet des stages et des contrats précaires, mais aussi de l’ère numérique et de ses innovations
permanentes ont été élevés à l’école de la flexibilité » (Fournier, 2012, p. 8)

Souvent vu comme des « geeks autistes scotchés à leur écran de smartphone » pour reprendre
l’expression de Martine Fournier, les jeunes Y disent utiliser les réseaux pour développer leurs
relations interpersonnelles à travers l’échange de conseils. Les réseaux sociaux semblent constituer
l’outil principal d’une « solidarité générationnelle, dans laquelle l’entraide est devenue centrale pour

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déjouer les obstacles et inventer un système D dans un monde qui ne leur fait pas de cadeau »
(Fournier, 2012, p. 8).

De nouvelles formes de liens semblent désormais apparaître (Fournier, 2012, p. 8). Les jeunes Y
semblent rechercher plutôt des liens multiples qu’un lien unique qui les aliéneraient (de Singly, 2003,
p. 21). Par l’hédonisme, ils profitent de l’instant présent et saisissent de nouvelles opportunités, peut-
être pour compenser l’opacité des années à venir ? (Martineau & Roult, 2021, p. 8).

Avant, les anciennes générations avaient la capacité de se projeter, ce qui apportait un brin d’espoir
quant à l’avenir. La dynamique temporelle était pacifiste. Seulement, aujourd’hui et de notre point de
vue, il serait tout à fait erroné de dire que nous vivons dans un monde pacifiste puisque le poids des
tensions économiques, de la situation écologique, du creusement des inégalités pèse sur les épaules
des jeunes d’aujourd’hui. Certains n’étant plus dotés d’un optimisme naturel, c’est au jour le jour qu’ils
doivent se battre pour les combats qu’ils jugent nécessaires (Grand’Maison, 2002, p. 118).

Selon Grand’Maison, les générations passées s’enchaînaient sans s’affronter grâce aux nombreux
élans de solidarité. Aujourd’hui, nous pouvons observer une certaine dichotomie entre l’ancienne
génération et la nouvelle : jeunes VS vieux, ce qui est générateur de conflits. Cette désolidarisation
générationnelle a entraîné des inégalités et un effacement de l’avenir contre un durcissement du
présent (Grand’Maison, 2002, p. 118).

La génération Y est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre. « Beaucoup d’inquiétudes et de
reproches semblent être adressés à cette génération qui déstabilise bien des adultes, rend perplexes
les sociologues et inquiète souvent le monde du travail ». (Fournier, 2012, p.8).

À travers des compétences telles que la flexibilité, l’indépendance, l’humour, les jeunes Y tentent tant
bien que mal de dessiner un avenir qui aspire à davantage d’optimisme. « Ils savent qu’ils seront
bientôt aux commandes de la société, et inventent, avec les nouvelles formes de communication, un
nouveau rapport au monde ». (Fournier, 2012, p. 8). La souplesse post-moderne ambiante ouvre à la
fois à plus de liberté (dans nos manières de faire des choix, de penser etc.) mais aussi à plus de
fatigabilité. L’individu est en permanence mobilisé afin de s’adapter à un nouvel environnement.
(Verriest, 2021).

Nous avons voulu évoquer la thématique du trajet de vie des jeunes Y à travers le concept
indéterministe de parcours. Certains jeunes parviennent à se construire dans un monde en perte de
repères et d’autres ont davantage de difficultés. C’est ce que l’on a essayé de comprendre à travers
l’étude de la thématique de l’identité et de la post-adolescence. La post-adolescence se situe entre
l’adolescence et l'âge adulte. Si par le passé, la jeunesse était vue comme une étape de préparation
avant le grand saut dans la vie adulte, ce n’est plus le cas aujourd’hui (Anatrella, 2003, p. 41-42). Le
terme utilisé par Anatrella est Les adulescents. « La catégorie désigne aujourd’hui des jeunes qui,

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entre 24 ans et le début de la trentaine, cherchent à devenir psychologiquement autonomes »
(Anatrella, 2003, p. 37).

Day rejoint la pensée d’Anatrella, « l’incertitude de notre temps et de nous, les adultes, remet en
question la définition de la limite entre l’adolescence et l’âge adulte. Aujourd’hui l’identité d’adulte
n’est que partiellement définie : elle est remise en question, ses limites ont été bousculées » (2000, p.
93).

La construction de soi n’est pas facilitée par la vision pessimiste ambiante de l’échec (de Gaulejac,
2017, p. 27). Pourtant, se perdre paraît être essentiel selon Jacques Attali (1996, p. 166). Les
parcours semblent imprévisibles et les crises sont nécessaires au développement de l’identité et de
soi. Seulement, les jeunes Y ne disposent pas des mêmes ressources et outils pour y faire face et
tous ne sont pas égaux devant la satisfaction de leurs besoins (Bajoit, 2003). Il n’est donc pas
étonnant que cela puisse faire naître des malaises identitaires et des questions existentielles – qui
rendront probablement la route plus sinueuse. Si la construction identitaire est similaire à la quête du
Graal selon de Singly, la tâche de devenir adulte aujourd’hui semblerait être également une véritable
mission (Verriest, 2021).

Les parcours résultent donc de multiples mutations sociétales – externes - mais aussi de dimensions
plus internes à l’individu. En effet, Longo précise que les choix et les processus de décision sont
propres à chaque individu (2016, p. 49). Comme évoqué à plusieurs reprises tout au long du chapitre
1, le poids de responsabilité reposant sur les épaules des individus aujourd’hui s’avère lourd. Trop
lourd ?
Une épée Damoclès semble être suspendue au-dessus de la tête des jeunes d’aujourd’hui. Non
seulement, ils sont responsables de leur destinée, de leurs choix de vie – parfois difficiles à assumer
– mais il semblerait qu’ils portent aussi le poids de la responsabilité de révolutionner un monde qui a
été drastiquement modifié par les anciennes générations. Cela accentuerait-il la pression,
littéralement le stress, qu’ils peuvent ressentir ?

Un monde marqué en profondeur par l’obsolescence des valeurs, des objets, des techniques,
voire même des hommes, rend difficile la transmission aux jeunes générations des repères
susceptibles de fonder durablement le sentiment de sa valeur propre d’individu. Le passage
propice et incontestable vers l’âge d’homme n’est plus octroyé d’emblée par la naissance et le
fait de grandir. Nulle évidence sociale ne garantit au jeune à ce moment de son histoire que son
existence a une signification et une valeur. Sa liberté n’est plus bornée par des impératifs
sociaux rigoureux, nous ne sommes plus une société d’héritiers. Les adolescents d’aujourd’hui
ne dépendent plus de traditions, de chemins tout tracés ou d’idéologies susceptibles de donner
d’emblée sens et orientation à leurs difficultés personnelles. Les aînés ont largement perdu leur
autorité en la matière. Dans le contexte individualiste de nos sociétés, les adolescents sont les
artisans de leur existence. Ils sont dans la nécessité, pour le meilleur ou pour le pire, d’inventer
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leurs croyances, leurs lignes d’orientation. Les seules autorités sont celles qu’ils se choisissent,
nul ne vient leur dicter leur conduite (Le Breton, 2005, p. 588).

Selon Longo, les jeunes d’aujourd’hui seraient également responsables de leur identité (2016, p. 49).
Quelle tâche ! Être responsable de sa construction identitaire dans un monde éclaté ! « Le vertige
peut saisir l’individu devant les réglages qu’il doit opérer pour se construire, et qu’il exige de la part
des individus qu’il fréquente » (De Singly, 2003, p. 81).
Pour certains, cela pourrait être une opportunité. Pour d’autres, cela pourrait être source de
vulnérabilité et de désaffiliation. Pour d’autres encore, être responsable de sa construction identitaire
pourrait être tant une opportunité qu’une importunité. La génération « désorientée » fait allusion aux
jeunes ayant des difficultés à naître et à être dans un contexte sociétal postmoderne tel que présenté
à travers certaines caractéristiques présentées dans le premier chapitre. Dès lors, comment favoriser
la transition vers l’âge adulte dans notre société postmoderne ? Comment trouver des réponses aux
nombreuses questions que se posent les jeunes ? Par quels moyens les jeunes Y peuvent vivre le
plus sereinement possible dans une société se voulant anxiogène ? Comment faire de leur
désorientation, un tremplin vers l’émerveillement ?

Troisième chapitre – quel devenir pour la génération Y ?

Face à une société en perte de repères, les jeunes tentent de réagir et de s’adapter face aux
nombreuses incertitudes et injonctions paradoxales. Guidés par les valeurs et les ressources dont ils
disposent, construisent et développent, les jeunes Y n’y réagissent pas de la même façon. Guy
Bajoit, afin de cerner leurs conduites, a distingué six logiques de comportement (mobilité, intégration,
authenticité, hédoniste, pragmatique et anomique).. La démarche n’étant pas de catégoriser et de
rentrer les individus dans des cases – mais de construire une grille d’analyse de leurs conduites
(Bajoit, 2005). Celles-ci sont des logiques d’adaptation autant à la société actuelle qu’à celle de
demain. Tandis que certains chercheraient la reconnaissance sociale ou l’autoréalisation personnelle,
d’autres semblent figés, désorientés et voguent dans une sphère indécise.

Selon Guy Bajoit, les jeunes ne devraient pas écouter les propos pessimistes énoncés à l’égard de
leur génération (il s’agirait d’une cohorte de chômeurs dénués de valeurs). Guy Bajoit affirme que les
différentes générations n’ont inévitablement pas les mêmes priorités (2003). De notre point de vue, il
paraît primordial comme évoqué plus haut, de nouer une alliance dialectique entre les générations :
échanger, discuter, se nourrir mutuellement, dans une réciprocité dialogale. « Dans les labyrinthes
des déserts de demain, la solitude recréera ce besoin de solidarité, d’entraide, d’appartenance, de
spiritualité. Ce besoin d’un Dieu transportable ou de son simulacre technologique » (Attali, 1996, p.
222).

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Selon Guy Bajoit, il serait impératif de faire prendre conscience aux générations antérieures que le
monde a changé et que chacun fait de son mieux avec les ressources qu’il tient à sa disposition,
dans un monde en mutation (2003).

Guy Bajoit propose aux jeunes de ne pas s’inquiéter vis-à-vis de l’incertitude de leurs projets,
d’accepter qu’aujourd’hui, ne pas savoir quoi faire est une norme et que l’expérience est essentielle
afin de pouvoir décider soi-même, en toute âme et conscience des choix décisifs d’une vie. Le
sociologue insiste également sur l’aspect éducationnel (2003). La formation continue paraît être un
pilier pour le développement de l’esprit critique. Bajoit recommande, tout comme Attali, d’explorer, de
se tromper, de se perdre. De son point de vue, il n’y a pas de destinée tracée, de type fataliste
(2003). Une fois de plus, la dimension expérientielle prend toute sa place. « Devenir soi-même », en
expérimentant, en cherchant, en se trompant, en recommençant » (Bajoit, 2003).

La réalisation de projets de vie nécessite, selon Bajoit (2003), du travail. Être lucide quant à la
difficulté de cette tâche pourrait la rendre davantage aisée. « Même les plus grands artistes ont
besoin de 90% de transpiration pour 10% d’inspiration » (Bajoit, 2003). Dans la perspective de
construire sa vie, Bajoit préconise aux jeunes adultes d’apprendre à être autonome, à ne dépendre
que de soi (2003). Cette autonomie serait bénéfique entre autres pour la construction de l’identité
adulte. D’ailleurs, l’autonomie est l’une des tâches développementales décrite par Michel Roy à
laquelle le jeune adulte doit faire face lors notamment d’une étape sans égale de sa construction
identitaire : la période d’études (Verriest, 2021).

Selon l’enquête internationale Les jeunesses face à leur avenir réalisée par Kairos Future dont la
préface a été rédigée par François de Singly, Anna Stellinger, Raphaël Wintrebert proposent quatre
impératifs à mettre en place afin de favoriser l’avenir des jeunes : l’autonomie, la participation,
l’équilibre et le projet commun. De leurs points de vue, les politiques ne sont pas en mesure de
reprocher aux jeunes d’être en manque de repères s’ils ne leur fournissent pas un minimum de cadre.
La jeunesse d’aujourd’hui semblerait être en attente que ses besoins soient réellement pris en
compte. Ceci se constate à plusieurs niveaux : politique, climatique, sanitaire, etc. Mettre en place
ces quatre points de repères permettrait aux jeunes d’être entendus et considérés. (Steelinger &
Wintrebert, 2008).

Selon Stellinger et Wintrebert, il est primordial de responsabiliser les jeunes en favorisant leur
autonomie, tout en les accompagnant de manière globale (2008, p. 170-171). Même si les jeunes
d’aujourd’hui semblent fort se méfier des institutions, ils ont néanmoins un désir d’engagement fort.
De nouvelles formes de participations apparaissent, telles que l’adhésion à des associations à
fonctionnement horizontal, c’est-à-dire peu hiérarchisé. Les politiques auraient tout intérêt à accepter
ces nouvelles formes de participation, qui ont le mérite d’exister, afin de valoriser la contribution de
jeunes à nos sociétés (2008, p. 171-172).
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Les jeunes sont également à la recherche d’un équilibre, notamment entre la vie professionnelle et la
vie privée. Ainsi, mettre en place un temps de travail adapté aux préoccupations personnelles, serait
pour les politiques, un moyen de reconnaître les besoins de la jeunesse (op. cit.). Enfin, les politiques
sociétales auraient tout à leur avantage d’offrir un cadre et une dynamique par la mise en place d’un
projet commun. Cela pourrait conférer davantage d’optimisme aux jeunes, porteurs de projets
individuels. Ce type de projets communs, pour être véritablement porteur de sens, devrait être
renouvelé et repensé afin de permettre aux jeunes de croire en eux et de croire en la société de
demain (Stellinger & Wintrebert, 2008, p. 173).

Cinq boussoles facilitant la traversée du labyrinthe ont été explorées en fin de rédaction du mémoire.
Nous avons choisi la métaphore de la boussole. En effet, donnant un repère, le nord, elle ne contraint
aucune direction mais offre toutes les possibilités. Nous la considérons comme un véritable outil de
liberté. Elle permet de se perdre, de se retrouver, d’explorer…
L’éducation, par le biais du développement de l’esprit critique – autant à l’école que dans la famille
semble être réellement un repère pour s’orienter (De Koninck, 2010). À l’ère du « prêt-à-penser », de
l’accélération du temps et du flux tendu, il peut être parfois difficile de s’arrêter pour prendre le temps,
pour réfléchir et développer son esprit critique (Verriest, 2021). Il semblerait fondamental de
remplacer le crédo « J’ai / je fais donc je suis » par « J’éprouve donc je suis ».

Selon nous, il paraît pourtant urgent de remettre l’Humain au centre et de lui permettre de conjuguer
le verbe être de façon à ne faire qu’un avec les émotions qui l’habitent. « L’éveil et la formation du
jugement impliquent l’éveil à la condition humaine en toute son immense complexité, à commencer
par l’être que nous sommes et le monde dans lequel nous agissons » (De Koninck, 2010, p. 227).

« À force d’empêcher l’enfant de manifester ses émotions on lui enlève toute volonté personnelle. En
détachant l’être humain de ses sentiments, on l’empêche d’être lui-même. Or le manque de confiance
en soi est la pire des infirmités pour la vie à venir, de l’esprit comme du coeur » (De Koninck, 2010, p.
50).
Aussi, être en projet permettrait non seulement de s’ancrer dans la réalisation de soi de manière
authentique mais aussi de surmonter différents obstacles survenus sur le trajet de vie.

Malgré les difficultés à rester parfois optimiste dans un monde qui aurait comme couleur le
désenchantement, l’adoption d’une posture optimiste pourrait faciliter l’orientation progressive des
jeunes. L’ère postmoderne offre aussi de réelles opportunités telle que l’incitation à l’introspection par
le biais de retours sur expériences. L’ouverture sur le monde laisse entrevoir de nouvelles formes de
socialisation et de créations de projets.

Se perdre, pour mieux se trouver, ne serait-elle pas finalement la définition de la désorientation ?


Comment se trouver ? Loin de répondre de manière universelle à cette question ontologique,
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reprendre sa vie sous la forme narrative de manière accompagnée, permettrait peut-être, ajouté aux
pistes évoquées ci-dessus, d’extraire la quintessence de soi via la traversée de parcours de vie
labyrinthiques.

L’émerveillement, créé par différentes sources de plaisir, semble faire défaut à l’ère postmoderne et
pourtant, il permettrait de remplir son réservoir émotionnel, psychique et corporel et de mener
l’individu vers un mieux-être.

Alors émerveillons-nous, « sans trève », pour reprendre les mots de Charles Baudelaire. Cette
expression est issue d’un de ses poèmes tiré du recueil Le Spleen de Paris édité en 1869, qui prend
tout son sens, à cet instant précis du parcours labyrinthique, que fut la rédaction de ce mémoire :

Enivrez-vous
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau
du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude
morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez
au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout
ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la
vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : « Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas
les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à
votre guise. (Baudelaire, 1869).

Résumé

Les jeunes issus de la génération Y communément appelés les milléniaux, nés entre 1981 et 2000
semblent désorientés au sein de nos sociétés postmodernes. La postmodernité, concept issu du
domaine des sciences sociales et apparu en 1980, renvoie aux nombreuses tensions et mutations
dont le monde d’aujourd’hui est témoin. Saisis par des changements culturels, économiques et
sociaux considérables, les jeunes Y essayent tout de même de trouver leur chemin dans les vastes
labyrinthes que sont leurs trajets de vie et nos sociétés. Appréhender ces transformations sociétales
permet de comprendre ces parcours de vie si singuliers. Face à un monde teinté d’incertitudes, les
jeunes Y essayent de se construire à travers l’expérience et l’exploration de différents parcours, non
sans difficultés. Trop souvent stigmatisés, ces jeunes sont soumis à de grandes pressions familiales
et sociétales, ce qui contribue parfois à fragiliser considérablement leur construction identitaire et leur
passage à l’âge adulte. Une vision – subjective, non déterministe et optimiste – est adoptée dans ce
travail exploratoire et théorique car il nous semble urgent d’envisager et de considérer les membres
de cette génération. Comme le permet une boussole – accepter de se perdre pour se trouver,

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façonner sa libre pensée, s’émerveiller, être en projet, se raconter – peuvent être des directions
envisageables que les jeunes Y peuvent choisir afin de s’orienter.

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