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SOT]S LA DIRE(]TIOi\{ DE

PHILIPPE CORCUFF

CHRISTIAI{ LE BART

FRANqOIS DE SII\CLY

UrNDrvrDrl
¡t;JouRD'Hul
Débats sociologiques

et contrepoints philosophiques

de cerisy
@ilfuln* Ccóiloque
1fl

La question de I'individu au JaPon

Emmanuel LozEMIvD

n On voit l) oü il ny a rien ) voir et on ne voit pas ce qu il y a i voir. ,


Francis Afergan.

plus d'un siécle, dans l'archipel comrne dans l'hexagone, dans le dis-
comme dans I'opinion courante, il est une évidence presque únani-
reconnue: auJapon I'individu est comme absorbé dans le groupe auquel
€nt. Renongons cependant un instant aux images qui affiuent (fourmis ?
et approchons d'un peu plus prés Ia réalité historique du mythique pays
'ar's et des geishas. Dans cette
narion réputée traditionnelle, holiste,
lale, vers 1850, avant I'arrivée des canonniéres de Perry au ccuf de la
commerciale d'Ósaka, dans une de ces écoles privées qui parsernaient
itoire, des étudiants apprennenr le hollandais. Dans un prémier remps
¡émorisé une grammaire, puis ils sont passés au syst¿me des < séances de
n. Six fois par mois environ, on fixe un passage d'un ouvrage
-couective
originale. Les étudiants se préparent seuls (ils font li
qu.,.. toute la
consulter les rares dictionnaires
disponibles) et, le jour dit, .h"c.m .rt
É irtour de róle, sous
Ie .or,,rÁ1.¿ ur,'J;¿. ¡ii';;;;;á;;Ji.;;^;;;"r-
et si I'on est le meilleur pendant rrois mois, on
,fi,l_t:
n' Lhomme
passe ¿u ¡iveau
q"i..fiiq".le
fonctionnemenr de..,,.'*r5, ti" Z."ji¿,
.:TP. normal l'entraide et I'amitié régnaient dans l'établissemenr,
"o
l'i:l
||1:o:l;
p'.p"l",t"" ¿. ..;,."*.fi;Jiffi ( comprer que sur ses
awa, 2007 , p. I2Z) .Ainsi, au .cu, d'un.'vie par aílleurs
re' :_jt"ly
illt existait bel et bien
unindividualisme forcené: chacun piogressait á
*t
--" capacités. Et
\qHdLrrss. r_L rc rilcrne homme
nomme oe qeplofer ,r, j.r ilu,
pltls loin
loll
;:::l une éducation Ie méme
d^,^- de déplorer un peu
o modernisée , sous I'influence des'con'ceptions
i"i:::t
ñ:'^11systéme de masse qui traite les étudiants de maniére indiftéren-
adieu holism.,
,rlái¡J, et féodaliré ?
un second détour, dans le
Ptt^ Japon du milieu du XX. siécle,
"i;1"
ft il.ff .'.::.,::;lf ll,il*1;ntH:;":1ff.::,',J1,;l:iff .i
139
INTERROGER LUNIVERSALITÉ DE DE IINDIVIDU AU JAPON
QUESTION

Mais revenons plus


avant sur les concepts eux-mémes. Dumont, on le sait,
contre certaines maladies. La médecine d'origine chinoise, réputée z
l. sujet empirique de la parole, de la pensée, de la volonté, échantillon ú
fut marginalisée. Or quelques décennies plus tard, á I'occasion du mouv .^.. n r¡l
N
anri-occidental qui accompagne le tournant vers le militarisme des années o
,l

on redécouvre certaines ( tradirions asiatiques u. C'est ainsi qu á paftir de.


,l
r¡.1

Omodaka Hisayuki commence á I'université d'État d'Ósaka un cours de ¡ z


sophie dans lequel il affirme: o Selon les méthodes de la médecine chinr ¿
¿
la plus grande importance á I'individualité du patient ' (Macé,
d

"..ord.
p. ll2). Letteur de Bergson, il se refuse en effet I réduire le malade i une
e*istence physique, il lui reconnait une n vie consciente n. Il se situe ain
.rn .orr."rrt critique ) l'égard des manques de la médecine occidentale, ¿
de soigner les maladies plus que les personnes. Aprés la fin de la seconde
mondiale, malgré une vague d'occidentalisation éradicarrice, la médecine
"to- d. .ri'I.trrc individualistes' I'individu humain > (Dumont, 1983,
fut sauvée, et reconnue par l'État. totalité sociale et néglige ou subordonne
",,,
On pourrait multiplier les exemples, comme autant de petits caillorx i i o,303) est-elle si transparente que cela? Car qu'est-ce que cette ( totalité )?
dans lei chaussures de ceux qui marchent allégrement au rythme d'une o h l'éuid.n.., de nombreuses sociétés mettent I'accent sur des dimensions rela-
tion binaire entre sociétés n holistes o (traditionnelles, non occidentales) et tionnelles ou collectives de l'étre humain, mais sans que cela implique nécessai-
rement la valorisation d'un tclut( ), aussi abstrait en réalité que I'individu pris
vidualistes n (modernes, occidentales).
isolément. En japonais moderne il a certes fallu inventer un néologisme (hojin)
pour traduire la notion d'o individu >, mais au méme moment il a aussi fallu en
Holisme zs individualisme ?
inventer un autre (shahai) pour traduire la notion de o société n. De son c6té,
le sociologue Fei Xiaotong démontre qu'en Chine, comme le sens des intéréts
Le sentiment d'une insuffisance du couple n holisme/individualisme o
supérieurs de la collectivité, de la nation ou de l'État est peu développé, la faible
parfois. Franqois Dubet écrit par e*e-ple dans une note d'un article de
définition de I'individu er de ses droits n'implique pas auromariquement une
nLa question de savoir si les sociétés traditionnelles, holistes, sont intégration de type holistique (Shen, 1997).
d'individus ou d'exemplaires de la communauté est hors de ma En outre les sociétés n froides D ne sont pas sans histoire et pour résister
On peut cependant penser que I'individu y est peut-étre moins absent aux modifications de leur structure, n'ont-elles pas structurellement besoin de
supposent les récits obligés de la modernité et que le holisme est plus une recourir á des individus valorisés en tanr que tels, les tricksters par exemple,
théorique commode qu une réalité anthropologique. , (Dubet) dont la singularité méme est nécessaire dés qu'un déséquilibre survient ? De

Et en réalité, Louis Dumont lui-méme encourageait déjáL ses lecteurs I


son cdté, Philippe
Descola esrime o possible di parler de valeurs individualistes
d¡s sociétés pré-moderne, .orrr-. celle dei
cer sa célébre distinction. Dans une note de Homo aequalis, )r propos ¡ans Jivaros n, qui oscillenr ( entre
t anarch.ie
remarque d'un commentateur sur les sociétés musulmanes, présentées tempérée des temps ordinaires et une solidarité faciionnelle fomentée
Pa¡ un homme dont I'autoiité est bornée
< égalitaires > mais n non individualistes n, il précise: par les circonstances )), en temps de
Exerre (Descola, 2006, p.322-323). Sans nier I'exisrence d'une dynamique
n IJanalyse que je propose de I'idéologie moderne ne dépend pas de I d'individualir"iior, .n Occident, il convient donc de désubstantialiser
salité du holisme dans les sociétés complexes non modernes: il suffit que
l!':ilg*
vetttablement
individu et société (Elias, 1997, p. T0-72) afin de mieux étudier les
existe pour que le contraste puisse étre établi et utilisé; I'existence urrerentes
configurations de leur interdépendance. Les processus d'indiuiduaüonl
troisiéme type compliquerait sans doute la question, peut-étre de fagon
et je fais mention dans le texte du fait que I'ef[ort actuel représente se{er+
l]i.tesSuels se constiruent les < agen; empiriques , ,..orm par Dumont
étre totalement indépeñd"nts de to.rt. ,..o.rnaissance symbolique
commencement d'une étude comparative... , (Dumont, 1985, p.237) Íli]t^l"t\
-''a shgularité individuelle,
i donc de toute indiuidualisation?
Sa suggestion est restée lettre morte, semble-t-il, si bien que ses alfirrla
tranchée!-- n Les idéologies traditionnelles indienne, chinoise, iaponaise
holistes o (Dumont, I98í, p' 17) - ont plus marqué les esprits que son invi
i l'étude. La multiplicatio¡rdes discours sur I'individualisme ociidental s'es
accommodée d'un vaste angle mort' 141
INTERROGER LUNIVERSALITE AU JAPO¡
pp LINDI\4DU

. -^ héros de ces récits ne sont pas nécessairement des nobles ou des


!
Des copieurs ? z
11 le
7*'rln*"nent Profi,t,finllcrer (Saikaku,
1990) et
f.euvent,Plac¡r
r!
A partir du milieu du XIX'siécle les Japonais ont acclimaté i*,r, drleurs valeurs. Un phénoméne comparable eut lieu sur les scé-
N
J
les concepts et institutions occidentales, telles que la démocratie
religieuse. Bien qu appartenant ir une société holiste, ils auraient eu la i
,fo¡ e-.rgarent de véritables n tragedies bourgeoises o (Chikamasu, J
t¡l

valorisant les sentiments et subjectivité. Arts, sciences et


la religions z
de pouvoir rapidement nous ( copier o. Cette maniére de voir posi d'une libération du regard et des consciences par rapport ¿
.u* 2
probléme. Elle n explique pas d'oü les Japonais onr tiré certe mystéri .
"urri
,1. .ensée hérités'
d

á imiter, tout en laissant peser un doute persistanr sur la sincérité et l¿


¿lji i"ditidualjsme de marché o s'élabore chez les gueriers-un -" i-ndi
de leur démarche 2. Cette fable orientaliste ne nous retiendrait guére, au contróle de soi et i la recherche de buts
de l'honn.,tt ,, favorable
également fort répandue au Japon méme oü elle nourrit une la prise de risques individuelle d'autre part (Ikegami,
m. d'un. part, á
l'égard de I'o individualisme occidental >. Deux types de discours
ilO- lE t) . Un certain_2 r 0 c e s us de c i-u i lis ati o n acco mp agnerait donc
s

sont souvent affrontés au long du XX'siécle. Un mouvement de rei


d'u., ..rr*in esprit du cdpitalisme. A partir de ces prémices, le Japon
d'une idéologie assimilée i un égoisme s'est doublé de I'affirmation
in,., progr.ttivement en place ) partir du dernier tiers du XIX" siécle les
de valeurs collectives, orientales3 ou japonaisesa. A I'inverse, de rces matérielles, iuridiques, institutionnelles et symboliques qui rendent
voix ont fait le constat douloureux d'une insuffisante autonomie l'émergence d'individus dont la particularité est précisément d'exister
moderne, (Joly, 2007;Mizubayashi, 1986), désignée comme que tels o (Yatabe, 2002, p.76) ' Parmi elles, on peut disdnguer l'accés
dérive militariste. Tous les écrivains et intellectuels ne se laissérent pas piiété privée, le devenir-citoyen des propriétaires, la mise en place d'un
enfermer dans cette alternative réductrice. Certains, comme F de protection sociale. Aprés la Seconde Guerre mondiale une société
(Lozerand, 2010), Mori Ógai (Lozerand, I994b) ou Natsume Sóseki t intégrée, octroyant de fortes identités statutaires et légitimes, arrive á
2004), cherchérent á la contourner ou á Ia dépasser. . Au début des années 1990 en revanche, I'image standardisée de I'in-
japonais éclate, travaillée par des forces qui poussent á davantage de dif- .
Une autre modernité ion, comme la quéte feminine d'une nouvelle intériorité, I'apparition
culturels déphasés, un rapport plus distancié au travail et i la famille
Sans remonter aux modalités de la subjectivation aristocratique 2002, p. 110-127).
de Heian (Pigeot, 2006), ni á la constitution médiévale d'espaces d' est bien une varianre japonaise du grand récit de I'individualisarion qui
(Amino, 2009) , on repére au ccur de l'époque d'Edo ( 1 6 1 5 -1867), et ne ici. Son avanrage inestimable est de restituer une dynamique de
culier au XVIII" siécle, des éléments qui témoignent d'un processus d' tisation autonome I une partie du monde frappée, comme tant d'autres,
lisation indiscutable, bref d'une forme de modernité bien réelle, mais déni d'histoire. Son inconvénient est de phqü.t sur I'histoire du
Japon
dentale. On constate parallélement une urbanisation massive, le ies, et plus encore la forme méme, de notre grand récit, p"r tt"i,t..
d'un capitalisme marchand et d'une économie monétaire, un accés i u€.
la population ) la lecture et á l'écriture, la construction d'un État
Sur le plan philosophique, Ogyü Sorai travaille á dissoudre les individus
pensée néo-confucéens, dominés par l'éthique. Il aboutit á une auton
k paradigme individualiste
simultanée des sphéres du politique et du privé (Maruyama, 1996). est polysémique (Le Bart, 200g, p.24).Il recou-
sées bourgeoises apparaissent aussi, comme celle d'IshidaBaigan qtti
Llg** nombre de problématiqu.r, áigrri.e de la personne, auronomie
Ia recherÁe de I'ini¿rét (Lévi-Strauss, 1990, p. 19), ou de Kaiho Sr .ilPj,.lqu.., ."pa.iÉ d'expression ,inguiié.e du sujei, authenticité, respect
rmtté, intériorité,
promeut une analyse contractuelle des liens sociaux. Dans le champ isolement, réflexivi"té, travail súr soi (moral or., .rrÉéri-
les exemples abondent. Le genre romanesque s'épanouit d'une maniet iuii ii'"\iiiL)ffi',n"
p".r,. qrl. I'on songe á the rlse of nouel caraitéristique de l'Angleterre de ),iJ !,aPanese collectiuism, distinctiue organizational characteristics, and exotic
'!"tr!Ikn (Ikegami, ló 95, p.3-4),essayons i rebours d'identifier cerraines
."
de l'individu. úermite et I'excentrique, le lettré ou le voyageur
2. Jacques Attali par exemple n'hésite pas ) écrire que le Japon de l'avenir o ne réussira pas I farre d
individuelle sa valeur dominante " ((Ine bréue histoire de I auenir, Paris, Livre de Poche, 2008, P"
,ljlllt:t:. s'inscrire en regard de I'entreprerr.,rr, du petit propriétair., áe I'ar-
3. Voir la Déclaration de Bangkok en 1 993. - qq cltoyen'
",,'li]t:t les mémes traits d'individualité.
4.Ala6ndesannéeslgS0,onapuvoirdansnl'hommerelationnel,(hanjin)-biendifférentde
sans partager pour aurant
t42 [séparé] , (hojin) occidental - L paradigme de la modernité japonaise (iHovaNN, 2008, p.
1 t43
INTERROGER I]UNIVERSALITÉ, pB TJINDIVIDU AU JAPON

Méme si I'entrée en religion bouddhique équivaut par principe i o


r:--s hisroriques et structurels entre ces figures mériteraient d'étre précisés, z
11 maison o (shuhke), un idéal érémitique se développa plus particul "::;;. retiennent d'emblée l'attention: la construction d'es- ¿
Japon du Moyen Áge. Des textes célébres comme les Notes dt ma
rj.'í) dimensions ou imaginaires, (a)ménagés pour de I'individualisation

N
rcmps, réels ¡l
ou les Heures oisiues (Urabe, 1987) mettent ainsi en scéne un véri par ailleurs g:*t. collectif impérieux ; la valorisa-
li""t¿r¿ qui impose "."
F.l
P
d'existence )r l'écart du monde, sous la forme d'une retraite spirituello dans des limites á définir, comme si les normes savaient z
ilfrouo.",iorr,
méditation sur I'impermanence. Mais l'amour des lettres, les plaisirs
onr b.toin d'étre
contestées'
et de la vie pastorale, le goüt méme de la solitude, le disputent au r¡l

dans la Voie, de sorte que la n retraite dans la quiétude ) constitue


objet de fascination, un mode de vie élégant, détaché de I'instinct
vulgaire. Alors méme qu'un marché du livre prenait son essor au
formadon de soi constitue sans doute une pierre angulaire de ces diffé-
les Heures oisiues connurent un grand succés de librairie, parallél
nror.rrur d'individualisation. En apparence, les detx courants intellectuels
vaste ensemble de publications valorisant ( ceux qui ont fui le ,Lu6 d. la civilisation japonaise sont des ennemis de I'individu. Le boudd-
n vivent reclus ,. La figure du renonEant japonais trouva donc trés de I'idéal du non-moi, ne lutte-t-il pas contre les illusions
, i la recherche
une dimension intramondaine, au moins sur le plan imaginaire5. Au ? Et le confucianisme ne met-il pas l'accent sur les relations sociales qui
cle, ce sont les Wes d'excentriques qui attirérent I'attention d'un large l'individu dans leurs rets ? Sans doute, mais la réalité est plus complexe
valorisaient les comportements divergents, le goüt pour l'étrange, la íy parút de Prime abord.
démesure, qui incarnaient I'idéal de n I'homme inutile >, détaché des r du bouddhisme est intentionnel: á qui est attaché aux choses,
contraintes du monde. La figure du n vieil homme qui vendait du thé u que celles-ci sont une illusion, mais i qui s'attache á la vacuité des choses,
2005) en offre un exemple cardinal. que celle-ci est á son tour vide. Si le bouddhisme est effectivement en
Sans aller aussi loin, guerriers et bourgeois adoptérent des forrnes contre le ( petit moi u, relatif et étriqué, il est en revanche á la recherche
de retraite lettrées, en se faisant construire de simples pavillons moi infini, d'un u grand moi u. Non content de reposer sur une conception
ils se pensaient métaphoriquement les maitres. Chez les moins fo iduelle de la rétribution des actes (harma), qui autorise une forme de per-
lieux n'avaient qu'une existence virtuelle. Ils y menaient une vie au fil des réincarnations, il implique également un travail sur soi, seul
injonctions sociales dominantes, en fonction de leurs propres valeurs de conduire ) une conscience supérieure de I'univers. Celle-ci offre alors
et de divertissement, en relation constante avec des figures du sibilité de faire jouer un < moi social , qui serait comme o un doublet non
chinoises, comme avec leurs compagnons d'ivresse. Gráce á la pratique du moi profond u (Girard, 1994, p. 123).
lettrés (Lozerand,1994-a), qu ils pouvaient multiplier et modifier á De son c6té, congue dans la Chine ancienne á, I'intention du souverain, dont
fonction de leurs engagements dans les differentes voies, ils se construi nce doit d'abord étre intérieure avant de rayonner dans le monde, la
identité plurielle. Le poéte fournit une magnifique illustration de la de soi o va concerner perit á petit I'ensembie des élites, mais aussi les
voyageur. u Lambeau de nuage cédant á I'invite du vent o, ce dernier se du commun. Présentant ü.r. do,rbl. dimension u raffiner le corps ,
rrir la vie , elle ne peur s'accomplir que dans une - et
dans l'écart méme qu il prend par rapport aux assignations territoriales -, rransformation de ¡oi
sujet connaissant. Il
sous I'influence du o dieu de la bougeotte o) et sociales (. quant á moi ne s'agit a.r *a.n cas d'aller vers un < moi secr€t >,
au contraire
ni moine ni laic, entre I'oiseau et le rat, mon nom est chauve-souris o)' vers une forme de o naturel o. En cessant d'étre un individu
dit clairement cette constitution de soi dans I'acte du départ: ;:l:.ul peut tendre ). la n sagesse ,, devenir pure réactivité (Feuillas,
2007; Graziani, 2006).
C.tte-dim.nsion de la formation de soi entre
o Voyageur sera
utt. tradition occidentale aujourd'hui minorée, celle des exercices
Mon nom je le souhaite "u!.
s' On retrouve
ainsi chez Goethe cette idée d'un dépassement du moi
Premiéres averses , (Bash6, 1984, p. 37,46, 69)
permerranr d'aboutir i un regard d'en haut sur I'ordre cosmique
:l::!i"l
t' 2008, p.87-162).
Bash6 fut le chef d'une école de haikai qui eut de nombreuses Elle nest peut-éire pas non plus sans rapporr avec
) travers tout le pays, longtemps aprés sa mort. Son idéal constitue conceptions
d'une identité construite :
repére essentiel pour de vastes couches de la population.
[L. Japon] ne préte certes pas au sujet une importance comparable á
^-,," que
:t:te lui accorde l'Occident [...] Mais il ne semble pas non plus que ce
sujet,
la pensée japonaise I'annihile: au lieu d'une cause, elle en fait un résultat.
t44 5. Remerciements ) Frangois Lachaud 145
INTERROGER fUNlv¡nSRI-ltE OE I p¡, fINDIVIDU AU JAPON

ltl La philosphie occidentale du sujet est centrifuge: tout part de lui. La


la pensée japonaise congoit le sujet est plutót centripéte. [... EIle] met
bout de course. , (Lévi-Strauss, 1990, p.20).
'i*rio
but thefamily., Dans la foulée, individualisme et traditionalisme
*^¡" dans la main dans I'archipel. Au momenr méme oü I'on discu-
a
z
d
lJ]
")llo d: indiyidus, en 18e0, des
N
o
rlo¡c' _9'-1' :t11tj:l1ll$11:'_,:,x1"
Si ces affirmations mériteraient une discussion serrée, ne trouvent réactionnaires commencérent á magnifier une image fantasmée de ,f!
,-.¡

néanmoins quelques résonances immédiates dés qu'il s'agit de réfléchir japonaise.


z
duction des centres de gravité dans les arts martiaux (Doganis, 2006), _ Bn ,r focalisant sur I'individualisation de soi, la recherche n a guére accordé
s¿
tités sexuelles ou des cyborgs? á individualiser autrui. Lanthropologie tente pourrant r¡l
,ortanceálacapacité
Alors que la pensée courante de l'individu reste prisonniére d'un lr., d'un. situation les n individus disparaissent derriére les typei o á une

assez pauvre (individu-cerise a¡ individu-oignon), d'autres figures, ¡.ru. so,rci.ute de n faire entendre les voix des autres , (De I'Estoile, 2007,
ncud, du pli, de la machine, de la cristallisation ou du surgissement $,ng,. Eil. N'est-il pas nécessaire en effet de regarder ces autres comme des
ple, ne mériteraient-elles pas d'étre I leur tour explorées ? vidus singuliers pour reconnaitre leur individualisme, lui aussi singulier8 ?
combien connaissons-nous réellement d'individus des sociétés holistes ?
de noms propres ? Combien de récits de vie, d'autobiographies, de
Une hotte de voyage
intimes ?
La véritable étude comparative appelée de ses vaux par Louis - Peut-on décemment aller vers les autres avec la logique du u Parlement
o, si joliment caractérisée par Peter Sloterdijk, c'est-á-dire en nous pen-
est qu ) commencements (Lozerand, á paraitre en 2011). A I'orée
ses
qui s'annonce, serrons quelques idées dans notre besace. seuls détenteurs d'une forme politique juste et aboutie, la démocratie fondée

I - Dans une version dégradée, la vision holiste des sociétés I'individualisme ? Sans renoncer á nos valeurs, ne serait-il pas plus judicieux
tales entre en écho avec des fantasmes comme celui du péril jaune, qui attentif ) certaines de leurs limites, voire de leurs dérives (Flahault, 2006,
? De préter I'oreille aux résonances des musiques inédites qui pourraient
sent I'existence de masses inhumaines, indiftrenciées et menagantes.
de dialogues politiques avec d'autres peuples ? Au )OX. siécle, on I'a bien
et thériomorphes, ces fantasmes présupposent un Orient dépourvu
ié, de nombreux voyageurs voyaient ainsi dans la Chine un pays o démocra-
individualisme.
: o (Delmas-Marry er \7ill, 2007). Devons-nous en rester étirnellerpent I la
2 - Le déni d'individualité est toujours corrélatif d'un déni d
du n.despotisme oriental )), entée sur I'affirmation d'Aristote selon laquelle
soient pergues comme u holistes , ou o traditionnelles > aussi bien nos
peuples d'Asie-sont par leur caracrére naturellement plus serviles
d'auant la modernité que les sociétés autres, qu'il s'agisse des sociétés < que ceux
re. , ? I a définition par Emerson
ou des empires orientaux u endormis ), montre bien que ces peuples de la démocratie comme selfteliance,
té qu'a chacun de juger du bien et de refuser un
trop souvent placés sous le signe de u I'empire de la durée o (Reich der pouvoir qui ne respecte
qropres.principes > (Laugier, 2004), est-elle absolument sans rappórt avec
lequel Hegel caractérisait la Chine. 1s
3 - La naissance post-révolutionnaire et romantique du mythe d'un
uestion de la formation
de *i? Er au conract de cette derniére, la ligirimiré
e u (Rosanvallon, 2008) par exemple ne pourrait-elle se "reriforcer
originel, avec ses diftrentes déclinaisons (du type Gemeinschafi us Ges ?

bien connue. On sait moins comment ces conceptions sont venu€s s'
le couple Orient/Occident. Dumont lui-méme, s'il nous a utilement
I rejeter l'évidence d'une conception universelle de I'individu, n a-t-il liberté dans le
son magistral décentrement sur une description de la société indienne i)_tlj "-a" Japon médiéval o, trad. p L{VELLE, dans Le Monde comme
n émique o qu il n y parait ? N'est-elle pas en effet informée en protott h|:':|*r.no sciences rrurna'nes
humaines e' sociales auJapo/',
et soc'arcs C. \t!
au Japon, L' GAI_AN et A. GONON (dir.),
ir, pi.q;;;;";;;:;.^
t* p.rrré. ,r"di,iotrniiste d'un René Guénon (Audier, 2008;-Lardinoj
:t
IJ:-: ' La Pensée anti-t968,paris,La Découverte, 2008.
;J;.;";i., -"i, jumelle, de la pensée individualiste occidentale6
?
'LiJ::*'y:.deuoyge, vad. par R. STEFFERT, Auri[ac, poB 1984.
Le préjugé anti-individualiste de l'Occident á propos du Japon set

raitre pour la premiére foisT dans Zhe Soul of tbe Far Eastde Percival
p*,'"j:^:aNIA A. (dir.), Indiuidu et pouuoir dans les pa1,s islamo-méditerranéens,
Maisonneuve
1888; ,, In thi Far East the social unit, the uhimate molecule of exi * i"r.*, iooy.
quÉ
6. Pour Dumont, par ailleurs, le holisme demeure un horizon indépassable de la vie en société
individualiste a simplement rendu clandestin. in,-r,___
7.En1865,dans L"J)pon,ChrlesdeMontblancinsistaitpourtantsur(cettevaleurindividuell€ üitfj;,;.t¡-""U.s contemporains ne cessent de protester contre la n simplification excessive de leurs
l4() si profondément fles Japonais] de leurs voisins les Chinois >. -""slnent qualifiées de communautaires (Cf¡nRI¡ et HÉNIA, 2009).
" 147
INTERROGER LUNIVERSALITE DE TINDIVIDU AU JAPON

du o
CHIKAMATSU M., Les Tiagédies bourgeoises, trad. R. SIEFFERT, 4 vol., D E., n Regards sur le nom et la signature au Japon >, Mots. Les langages z
11 199r-1992.
o'^',l,jour,
n' 63 (,, Noms propres ,), Lyon, Ens éditions, juillet 2000. t
14
N
DELMAS-MARTY M. et'$7ILL P.-É. (dir.), La Chine et la démocratie, l!.i'^k, E., u Un individu moderne, ses ombres et ses paradoxes. Sur quelques asPects o
J
2007. de Fukuzawa Yulctchi u, Mémoire et fction. Détire le passé dans Ie Japon ,-.1
?"'."r¿roir.r ,¡]
"iw
DE LESToILEB., Le Goút des aunet. De l'Exposition cohniale aux Arts
Flammarion, 2007. "*t,,p.lo$Y
(9,T.):.{1."
l.::t:: 39t9 G.,"'p'::::).
, ,.
o E. (dir.), Dróles d'indiuidu.s. De l'indiuidu dans les sociétés o holistes ,. Actes
. r_
^.,. des
z
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