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Margaret Maruani

Emmanuèle Reynaud

Sociologie
de l’emploi
QUATRIÈME ÉDITION
DES MÊMES AUTEURS

Margaret MARUANI et Emmanuèle REYNAUD (éditeurs)


France-Allemagne : débats sur l’emploi, Syros, Paris, 1987.
La Flexibilité en Italie (en coll. avec Cl. ROMANI), Syros-Alternatives, Paris, 1989.
Chroniques internationales du marché du travail et des politiques d’emploi (en coll. avec P.
AUER), La Documentation française, Paris, 1990.
L’Emploi en Espagne. Marchés du travail et relations professionnelles (en coll. avec Ch.
GUITTON), Syros-Alternatives, Paris, 1991.
Margaret MARUANI
Les Syndicats à l’épreuve du féminisme, Syros, Paris, 1979.
Le Temps des chemises. La grève qu’elles gardent au cœur (en coll. avec A. BORZEIX), Syros,
Paris, 1982.
Mais qui a peur du travail des femmes ? Syros, Paris, 1985.
Au labeur des dames. Métiers masculins, emplois féminins (en coll. avec Ch. NICOLE), Syros-
Alternatives, Paris, 1989.
La Flexibilité à temps partiel. Conditions d’emploi dans le commerce (en coll. avec Ch. NICOLE-
DRANCOURT), La Documentation française, Paris, 1989.
Les Nouvelles Frontières de l’inégalité. Hommes et femmes sur le marché du travail (éd.), La
Découverte, Paris, 1998.
Travail et emploi des femmes, La Découverte, coll. « Repères », Paris, 2000.
Les mécomptes du chômage, Bayard, Paris, 2002.
Emmanuèle REYNAUD
Le Pouvoir de dire non. Les corporatismes en entreprise, L’Harmattan, Paris, 1991.

Catalogage Électre-Bibliographie
MARUANI, Margaret et REYNAUD, Emmanuèle
Sociologie de l’emploi — 4e éd. — Paris : La Découverte, 2004. — (Repères ; 132)
ISBN 2-7071-4448-7
Rameau : emploi : aspect social : France
Dewey : 306.4 : Anthropologie sociale et culturelle.
Sociologie des activités économiques et du travail
Public concerné : Public motivé. Niveau universitaire

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© Éditions La Découverte & Syros, Paris, 1993, 1999, 2001.


© Éditions La Découverte, Paris, 2004.
Dépôt légal : octobre 2004
Introduction

Les débats sur l’emploi et le chômage, qu’ils soient scientifiques


ou médiatiques, intellectuels ou politiques, se placent spontané-
ment sur un registre d’abord et avant tout économique : choix
économiques entre des contraintes économiques, options poli-
tiques appuyées sur des thèses économiques. Le social semble
occuper ici un rôle second — un supplément d’âme auquel on fait
appel lorsque l’économique ne peut plus rien, ou lorsque l’on veut
rendre compte de variables résiduelles qui échappent à l’analyse
d’ensemble.
Ce primat de l’économie ne saurait cependant faire oublier le
poids du social. Les recompositions de la population active sont
aussi des processus sociaux qui prennent leur source dans l’évolu-
tion de la société et les comportements des acteurs sociaux. Les
formes de chômage tout comme les catégories de population
concernées, les types d’emploi, de sous-emploi, ou de non-emploi
sont des éléments qui se constituent socialement, c’est-à-dire en
fonction de normes et de règles sociales. Le partage de l’emploi
est la répartition d’un bien rare entre des catégories sociales ; les
options qui président à ce partage sont le fruit d’un raisonnement
en termes de légitimité sociale autant que d’un calcul écono-
mique. Les politiques d’emploi mises en œuvre procèdent d’arbi-
trages entre des groupes sociaux.
Notre propos dans cet ouvrage visera donc à mettre le social — et
par là même le sociologique — au centre de l’analyse. Non pas pour
en faire le seul déterminant, mais pour le remettre à sa « juste »
place : à la croisée des mouvements de recomposition de la popu-
lation active, au cœur des mécanismes de répartition de l’emploi
et de production du chômage. C’est un sujet sur lequel les problé-
matiques scientifiques ont beaucoup évolué, de sorte qu’il n’est
plus possible de réduire les analyses sociologiques de l’emploi et du
chômage à celle des conséquences des mouvements de l’économie.
4 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Les recherches les plus récentes, qu’elles viennent d’économistes


ou de sociologues, obligent à penser l’emploi comme ce qui ressort
de la confrontation de déterminants économiques et sociaux en
même temps qu’elles nous donnent certains moyens de le faire.
En d’autres termes, la sociologie, aujourd’hui, ne se place plus
seulement sur le terrain des « conséquences » ou sur le registre du
« vécu ». Les processus sociaux sont créateurs de chômage et de
mouvements d’emploi : telle est l’hypothèse qui fonde l’existence
et la pertinence d’une sociologie de l’emploi.
À l’intersection de la sociologie du travail et de l’économie du
travail, la sociologie de l’emploi traite des rapports sociaux de
l’emploi. Ses objets centraux : les mouvements de recomposition
de la population active, les mécanismes sociaux de répartition de
l’emploi et de production du chômage. Avec la sociologie du
travail, elle partage la conviction fondamentale que l’activité labo-
rieuse constitue l’« expérience sociale centrale » [Erbès-Séguin,
1988]*. Mais elle en déplace l’épicentre : du travail (compris comme
l’activité de production de biens et de services, et l’ensemble des
conditions d’exercice de cette activité) vers l’emploi (entendu
comme l’ensemble des modalités d’accès et de retrait du marché
du travail ainsi que la traduction de l’activité laborieuse en termes
de statuts sociaux [Decouflé et Maruani, 1987]). À l’économie du
travail, elle emprunte un de ses champs d’investigation privilégiés :
le marché du travail. Mais elle y ajoute la prégnance du social et
la pression des acteurs sociaux : elle analyse les mouvements de
l’emploi et du chômage comme des constructions sociales et non
comme des mécanismes économiques ; elle étudie les conséquences
des modalités d’accès et de retrait du marché du travail sur les
statuts professionnels et sociaux, réintroduisant ainsi l’emploi au
cœur de ce qui construit la stratification sociale.
La sociologie du travail, telle qu’elle s’est développée en France
depuis les années 1950, s’est très largement confondue avec celle
des travailleurs. Centrée sur l’entreprise, l’atelier, le métier, foca-
lisée sur l’analyse des groupes, communautés et relations de travail,
elle a fonctionné à partir du postulat implicite que le fait de
travailler était une donnée intangible des sociétés contemporaines.
Depuis le début des années 1980, deux événements sociaux sont
venus modifier ce paysage :
— les transformations de la population active : l’afflux massif
des femmes sur le marché du travail, d’une part, le rétrécisse-
ment, aux deux extrémités, de la pyramide des âges, d’autre part,

* Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin de volume, p. 114.


INTRODUCTION 5

ont profondément modifié la composition sociale de la population


active. Les travailleurs ne sont plus ceux qu’ils étaient ;
— la crise de l’emploi : l’irruption d’un chômage massif et la
multiplication des « formes particulières d’emploi » ont produit
une situation de rationnement et de déstabilisation de l’emploi qui
affecte l’ensemble des actifs. Le travail n’est plus ce qu’il était.
Ces deux événements sociaux ont fini, avec quelque retard, par
peser sur les problématiques et les objets sociologiques en entraî-
nant le redéploiement d’un certain nombre de recherches.
Comment rester centré sur l’entreprise quand une bonne part des
tensions se déroulent aux frontières de celle-ci, à l’entrée et à la
sortie ? Par ailleurs, si le travail est toujours l’« expérience sociale
centrale », que dire et que faire de ceux qui n’en ont pas ? Enfin, si
le travailleur est l’acteur social par excellence, comment intégrer
la figure du chômeur ou de l’inactive ? En d’autres termes,
comment analyser le fonctionnement de sociétés durablement et
structurellement marquées par le « rationnement du travail »
[Vincens, 1987], de sociétés dans lesquelles tous, actifs et inactifs,
chômeurs et travailleurs, sont touchés par la déstabilisation de
l’emploi ? Quelles que soient les fluctuations de la croissance et de
l’emploi, le chômage demeure une obsession majeure.
Placer l’emploi au centre de l’analyse sociologique, ce n’est pas
sacrifier à l’actualité qui en fait le problème social numéro un, c’est
affirmer l’idée que le statut de l’emploi structure le statut du travail
et contribue ainsi à la définition du statut social, de la stratification
et des classes sociales. C’est penser la répartition et le partage de
l’emploi comme des constructions sociales.
I / La population active

Vingt millions d’actifs dans la France des années 1960, plus de


26 millions à l’aube du XXIe siècle. Huit cent mille chômeurs en
1975, 2,3 millions en 2002. Avant 25 ans et après 55 ans, de moins
en moins de gens au travail. La population active 1 se resserre dans
quelques tranches d’âge en même temps qu’elle se féminise. L’acti-
vité change de visage, d’âge et de profil. L’inactivité aussi : parmi
les adultes, hier, les femmes y étaient dominantes ; aujourd’hui,
ce sont les personnes âgées. Enfin et surtout, une situation de plein
emploi qui, brutalement mais durablement, cède le pas à une
société de rationnement du travail.
Comment lire, comprendre, analyser ces faits et chiffres qui ont
bouleversé les contours du marché du travail et redéfini les fron-
tières entre l’activité, l’emploi et le chômage ? À l’origine de ces
mouvements, il y a bien évidemment la récession issue des « chocs
pétroliers », les mutations du système productif, les restructura-
tions industrielles, la mondialisation et les délocalisations, etc.
Mais il y a également une évolution en profondeur des normes
sociales qui président à la définition de ce qu’est un emploi, de
ceux qui y ont légitimement droit et de ceux qui y ont effective-
ment accès ; de ce que l’on considère comme du chômage, du non-
emploi ou de l’inactivité et de ceux que l’on admet comme
ressortissants à telle ou telle catégorie.

1. Les concepts d’activité, d’emploi et de chômage sont ici utilisés dans leur acception
habituelle :
— le chômage concerne les personnes sans travail et à la recherche d’emploi ;
— l’emploi regroupe les « actifs occupés », c’est-à-dire ceux qui exercent une activité
professionnelle rémunérée ;
— l’activité regroupe les personnes qui ont un emploi et celles qui en cherchent un.
Ce concept englobe donc les deux premiers: les chômeurs et les actifs occupés consti-
tuent la « population active ».
LA POPULATION ACTIVE 7

Une « population active » n’est pas la simple addition des indi-


vidus en état de travailler : elle est composée des personnes et des
catégories socialement légitimes, socialement capables, sociale-
ment mobilisées. Ceux qui ont le droit d’avoir un emploi, ceux qui
sont reconnus capables de l’occuper, ceux qui en recherchent effec-
tivement ne sont pas les mêmes. Ils diffèrent selon les périodes et
les configurations sociales.
Qui sont-ils aujourd’hui ?
L’élargissement de la population active de la France, passée de 20
à 26 millions en l’espace de quarante ans, n’est pas le produit d’une
simple addition. Elle résulte de deux mouvements inverses : une
soustraction et une addition. L’addition, ce sont les femmes : près
de 6 millions d’actives supplémentaires entre 1962 et 2002. La
soustraction est double : le nombre des actifs de moins de 25 ans
et de plus de 55 ans a considérablement diminué.
La diminution de l’activité des jeunes et des travailleurs âgés
obéit, pour partie au moins, à des options, à des politiques sociales
bien précises : l’élévation de l’âge de la scolarité obligatoire, d’une
part, l’abaissement de l’âge de la retraite, d’autre part. La crise de
l’emploi a ensuite pris le relais et amplifié le mouvement : l’allon-
gement de la période de scolarisation s’est doublé d’une extension
du temps de l’insertion professionnelle ; le rajeunissement de l’âge
de la retraite a été prolongé par la multiplication de préretraites de
plus en plus précoces jusqu’à ce que l’on mette un cran d’arrêt à ce
mouvement. La réforme des retraites instaurée en 2003, en allon-
geant la durée des années de cotisation nécessaires, constitue un
véritable revirement : les départs précoces en retraite deviennent
un handicap pour la société.
Pour les femmes, en revanche, on assiste à une lame de fond
parfaitement autonome : la spectaculaire croissance de l’activité
féminine, dont personne n’avait prévu l’ampleur et la fermeté, ne
procède d’aucune option de politique économique ou sociale.
En dépit de ces différences, il s’agit, dans les deux cas, de phéno-
mènes qui ont une logique sociale forte : ce sont les normes
sociales de l’âge et du sexe de l’activité qui se sont modifiées, rapi-
dement, profondément et sans doute durablement.

L’âge du travail

L’étude des transformations de l’âge au travail implique de


distinguer d’emblée deux notions : l’« âge de travailler », c’est-
à-dire les périodes de la vie où l’on a légalement le droit de
travailler, et l’« âge des travailleurs », c’est-à-dire les taux d’activité
8 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

réels par tranche d’âge. Considérée sur une longue période, à


l’échelle de deux siècles, c’est l’évolution de l’âge de travailler qui
frappe par son ampleur. Dans la période récente, au cours des deux
dernières décennies, c’est l’âge des travailleurs qui a singulière-
ment diminué. De sorte qu’on en arrive aujourd’hui à une situa-
tion où l’écart entre ces deux âges est de plus en plus grand : à
18 ans comme à 55 ans, on est en âge de travailler. Mais de moins
en moins de gens travaillent à 18 ou à 55 ans.

L’âge de travailler

La « population en âge de travailler », qui est déterminée par


l’âge légal au travail et qui constitue la norme par rapport à laquelle
se définit la « population active », a été régulièrement soumise à
d’importantes variations.
Cette population, aujourd’hui, est délimitée par deux bornes : un
plancher (l’âge de la scolarité obligatoire) et un plafond (l’âge du
retrait d’activité). Tout au long du XIXe siècle et jusqu’au milieu du
XXe siècle, la population en âge de travailler se définit uniquement
par son plancher : elle a plus de 10 ans jusqu’en 1841, plus de 13 ans
de 1881 à 1936, plus de 14 ans de 1946 à 1955. Ce n’est qu’au début
des années 1960 que l’on voit apparaître un plafond dont la hauteur
n’a cessé de s’affaisser, passant de 74 ans en 1962 aux 64 ans que l’on
connaît depuis les années 1980 [Marchand et Thélot, 1997].
En l’espace d’un siècle et demi, l’âge de travailler est donc passé
des plus de 10 ans aux 17-64 ans. Dans les quatre dernières
décennies, du début des années 1960 à la fin des années 1990, la
population en âge de travailler a perdu treize ans.
On comprend dès lors qu’une part importante des évolutions
de la population active réside dans les fluctuations de cette norme
statistique construite par la législation et les pratiques sociales.

L’âge des travailleurs

Mesuré en taux d’activité par tranche d’âge, l’âge réel au travail


montre une évolution encore plus accusée. La tendance générale
est à la baisse depuis la fin du XIXe siècle, mais c’est dans la seconde
moitié du XX e siècle que le mouvement connaîtra toute son
ampleur : les taux d’activité des jeunes hommes de 15 à 24 ans,
tout comme ceux de leurs aînés de plus de 55 ans ont été divisés
par deux, voire par trois, passant de 77 % en 1954 à 34 % en 1996
pour les premiers, de 58 % à 19 % pour les seconds.
La tendance est sensiblement la même pour les femmes, même
si la chute est moins forte : on part de taux d’activité nettement
Taux d’activité des hommes par âge
(en %)

Âge au 1er janvier Hommes


1
15-24 ans 25-39 40-54 25-54 55-59 60-64 65 ans 55 ans
ans ans ans ans ans ou plus ou plus

1896 96 95 96 95 87 83 54 71
1911 101 97 95 96 87 77 51 68
1921 101 96 96 96 90 80 54 71
1931 94 97 95 96 87 76 48 66
1936 93 97 94 96 82 69 43 60

Âge atteint 15-19 20-24 15-24 25-39 40-54 25-54 55-59 60-64 65 ans 55 ans
au cours de l’année ans ans ans ans ans ans ans ans ou plus ou plus

1954 61 91 77 97 96 96 84 72 36 58
1962 49 88 66 97 95 96 85 71 28 55
1968 43 83 62 97 95 96 83 66 19 47
LA

1975 29 82 55 96 95 96 82 54 11 34
1982 24 79 51 95 94 95 77 39 5 31
1990 14 67 41 96 95 96 70 21 3 23
2
1996 9 58 34 95 95 95 70 16 2 19
POPULATION

1. Il s’agit en fait du nombre total d’actifs de moins de 25 ans rapporté à la population de 15 à 24 ans : comme l’âge moyen d’entrée en activité
était alors nettement inférieur à 15 ans, il n’est pas surprenant que, pour les garçons, les taux soient parfois supérieurs à 100 %.
ACTIVE

2. Taux tirés de l’enquête Emploi et recalés sur ceux des recensements.


Source : [Marchand et Thélot, 1997] (données arrondies).
9
10

Taux d’activité des femmes par âge


(en %)

Âge au 1er janvier Femmes


1
SOCIOLOGIE

15-24 ans 25-39 40-54 25-54 55-59 60-64 65 ans 55 ans


ans ans ans ans ans ou plus ou plus
DE

1896 60 47 48 47 49 45 24 36
1911 67 47 48 47 49 42 23 34
L’EMPLOI

1921 63 43 45 44 47 42 23 34
1931 61 42 41 41 42 38 20 30
1936 60 42 40 41 39 35 18 27

Âge atteint 15-19 20-24 15-24 25-39 40-54 25-54 55-59 60-64 65 ans 55 ans
au cours de l’année ans ans ans ans ans ans ans ans ou plus ou plus

1954 44 57 51 40 46 43 42 35 13 25
1962 36 62 47 42 44 43 43 34 11 23
1968 31 62 46 44 45 45 42 32 8 20
1975 22 66 44 58 50 54 43 28 5 15
1982 17 67 42 68 58 64 45 22 2 15
1990 9 60 35 77 71 74 46 17 1 13
2
1996 5 49 28 81 78 79 50 15 1 12

1. Taux tirés de l’enquête Emploi et recalés sur ceux des recensements.


Source : Ibid.
LA POPULATION ACTIVE 11

et notamment à celles qui ont précédé la


Si les évolutions concernant la seconde généralisation du salariat : « L’idée même
moitié du XXe siècle peuvent être quanti- de distinguer, de définir et de mesurer
fiées avec beaucoup de certitude, en une population active est liée à l’exten-
revanche celles qui concernent les sion d’un marché du travail salarié […].
périodes précédentes doivent être lues Les définitions nécessaires pour le comp-
avec beaucoup de prudence. La reconsti- tage statistique des actifs occupés, actifs
tution de séries statistiques longues, à non occupés et inactifs sont impensables
l’échelle de deux siècles, telle qu’elle a indépendamment du salariat. » [Desro-
été entreprise par Claude Thélot et sières, 1992.] En d’autres termes, c’est la
Olivier Marchand [1991], pose en effet notion même d’ordre de grandeur qui est
une série de problèmes d’interprétation récusée au nom de la relativité de la caté-
non résolus. Matière à débats et objets gorie « population active » : ce n’est pas
de controverses, ces statistiques méritent seulement parce que « le contenu de
d’être présentées comme telles. Selon cette population active est dissemblable,
leurs auteurs [Marchand et Thélot, mais aussi parce que la nature de son
1992], elles procèdent de la nécessité de identification, et donc de sa délimitation
fournir des « ordres de grandeur des et de sa mesure éventuelle, n’est plus du
évolutions » sans se laisser obséder par tout la même » [Desrosières, 1992].
l’« archéologie du savoir statistique ». Ordres de grandeur utiles et néces-
D’autres, statisticiens [Desrosières, 1992], saires en dépit de leur caractère approxi-
historiens ou sociologues [Topalov, matif ou, au contraire, reconstruction
1992], s’interrogent, à juste titre, sur périlleuse d’une réalité d’antan avec les
l’« anachronisme des séries longues ». La catégories du présent : le débat a le mérite
question de fond est la suivante : « Est-il d’inciter à la réflexion sur la construction
légitime d’appliquer au passé les caté- de cette catégorie aujourd’hui devenue
gories de représentation du présent ? » évidente qu’est la « population active ».
Est-il pertinent de « postuler comme Cela étant, les données relatives à la
possible l’utilisation rétroactive sur deux seconde moitié du XXe siècle ne tombent
siècles de notre définition moderne du pas sous le coup des critiques adressées
travail et de notre usage moderne du à la tentative de constitution de séries
nombre » [Topalov, 1992] ? longues de deux cents ans. Elles puisent
Ces critiques prennent tout leur sens aux sources fournies par les enquêtes
lorsqu’il s’agit de compter le nombre des annuelles sur l’emploi de l’INSEE ainsi
actifs, produit de la statistique contempo- qu’aux résultats des recensements de la
raine qu’il est particulièrement difficile population. Ce sont elles qui fournissent la
d’appliquer à des périodes plus anciennes matière des comparaisons internationales.

moins élevés (51 % chez les 15-24 ans, 25 % chez les plus de 55 ans
en 1954) pour arriver aujourd’hui à des chiffres qui se rapprochent
des taux masculins (respectivement 28 % et 12 %).

Comparaisons internationales

Car le phénomène n’est pas propre à la France : la quasi-totalité


des pays de l’OCDE connaissent depuis trente ans la même
tendance au raccourcissement du temps de l’activité. Mais c’est en
France que le mouvement a été le plus accéléré et les effets les plus
marqués. De tous les pays de l’OCDE dont les données sont
12 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Évolution des taux d’activité par âge dans quelques pays de l’OCDE
(en %)

Hommes Femmes

15-24 25-54 55-64 65 15-24 25-54 55-64 65


ans ans ans et + ans ans ans et +

France
1965 65 96 76 28 50 43 37 12
1970 60 97 75 20 47 50 40 9
1975 56 96 69 14 46 57 36 6
1980 53 96 69 8 43 63 40 3
1985 48 96 50 5 40 69 31 2
1990 40 95 46 4 31 73 31 2
1995 32 95 42 3 27 77 31 1
2000 33 94 42 2 26 78 33 1
2002 34 94 47 2 27 79 37 1
Allemagne
1965 78 97 85 24 69 46 30 7
1970 72 97 82 20 62 48 30 7
1975 66 95 68 11 59 52 25 5
1980 62 94 66 7 53 54 27 3
1985 63 94 58 5 56 59 23 2
1990 61 90 56 5 57 63 25 2
1995 57 93 54 4 50 73 31 2
2000 55 94 53 5 48 77 34 2
2002 53 93 52 4 48 78 34 2
Japon
1965 59 97 87 56 52 56 45 22
1970 58 97 87 49 53 55 44 18
1975 50 97 86 44 46 52 44 15
1980 43 97 85 41 44 57 45 16
1985 43 97 83 37 43 60 45 16
1990 43 98 83 37 45 64 47 16
1995 48 98 85 37 47 65 49 16
2000 47 97 84 34 47 67 50 15
2002 46 97 83 31 45 67 49 13
1
Espagne
1972 74 97 84 26 48 25 22 8
1975 72 97 80 19 49 28 23 6
1980 70 95 76 13 48 31 21 4
1985 65 95 67 6 44 35 20 2
1990 62 94 63 4 48 47 19 2
1995 53 93 55 3 43 56 20 2
2000 54 93 61 3 43 63 23 1
2002 52 92 62 2 41 64 24 1
Suède 1
1965 72 96 88 38 61 56 39 12
1970 67 95 85 29 59 64 45 9
1975 72 95 82 20 66 74 50 6
1980 72 95 79 14 70 83 55 4
1985 67 95 76 11 67 89 60 3
1990 69 95 75 12 69 91 66 5
1995 53 92 71 14 53 87 64 5
2000 53 91 73 15 51 86 66 6
2002 53 90 75 15 54 86 69 6
LA POPULATION ACTIVE 13

Hommes Femmes

15-24 25-54 55-64 65 15-24 25-54 55-64 65


ans ans ans et + ans ans ans et +
1
Royaume-Uni
1972 78 96 88 18 62 57 40 6
1975 75 96 88 16 62 61 40 5
1980 80 95 82 10 71 63 39 4
1985 83 95 69 9 70 68 35 3
1990 84 95 68 9 72 73 39 3
1995 74 93 62 8 65 74 41 3
2000 74 92 63 8 66 76 43 3
2002 72 91 65 8 65 77 46 4
1
États-Unis
1965 71 96 83 27 44 45 40 9
1970 72 95 81 26 51 50 42 9
1975 73 94 75 21 57 55 41 8
1980 75 93 71 18 62 64 41 8
1985 73 94 68 16 64 70 42 7
1990 72 93 68 16 63 74 45 9
1995 70 92 66 17 62 76 49 9
2000 69 92 67 18 63 77 52 9
2002 66 91 69 18 61 76 55 10

1. 16-24 ans pour la première tranche d’âge.


Source : OCDE, Statistiques de la population active, 1969-1989,
et Statistiques de la population active, 1982-2002.

disponibles, la France est en effet celui où les taux d’activité sont


les plus bas aussi bien chez les jeunes de 15 à 24 ans que chez les
travailleurs de 55 à 64 ans. Nulle part on ne retrouve la même confi-
guration ni la même intensité. En Allemagne et en Espagne, la
tendance est peut-être semblable, mais la pente beaucoup plus
douce. Au Japon, l’activité des 55-64 ans, hommes ou femmes, est
stable depuis le milieu des années 1960. Aux États-Unis, on observe
des tendances toutes différentes : stagnation de l’activité des jeunes
hommes et forte augmentation de celle des jeunes femmes ; diminu-
tion sensible de l’activité des hommes de 55 à 64 ans et augmenta-
tion de celle des femmes du même âge. Au Royaume-Uni, l’activité
des moins de 25 ans fluctue à des niveaux très élevés pendant que
celle des 55-64 ans diminue fortement pour les hommes et augmente
légèrement pour les femmes. La Suède, enfin, s’est longtemps carac-
térisée par une remarquable stabilité des taux d’activité masculins
pendant que les taux d’activité féminins augmentaient fortement
dans toutes les classes d’âge (hormis les plus de 65 ans). À partir des
années 1990, on voit se produire une chute brutale des taux d’acti-
vité des hommes et des femmes âgés de moins de 25 ans.
Derrière chacun de ces chiffres se lisent, en creux, des options de
politique économique et sociale, des dispositifs de lutte contre le
14 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

chômage, des systèmes de formation et de protection sociale, et


c’est ce qui rend la comparaison bien difficile à interpréter. Le
mérite de la juxtaposition de ces ordres de grandeur — la notion
prend ici tout son sens —, c’est de montrer que la pente n’est pas
évidente, que le resserrement de la population active aux âges
moyens peut prendre des formes, des allures et des modalités toutes
différentes de celles que nous connaissons en France.
On retrouve, certes, dans l’ensemble des pays industrialisés la
même tendance à un raccourcissement de l’âge de l’activité. Mais,
au total, ce qui frappe, c’est plutôt la diversité des configurations
auxquelles on aboutit. Celles-ci sont le produit des mesures pour
l’emploi, tout autant que de dispositifs qui, a priori, n’ont rien à
voir avec le marché du travail, mais qui façonnent directement la
composition de la population active. En ce sens, l’évolution des
comportements d’activité est l’aboutissement, à un moment
donné, d’un compromis social : sur qui choisit-on de faire peser
le rationnement de l’emploi ? Pour la France, en tout cas, il est
clair que les arbitrages se sont faits tout au long des trois dernières
décennies du XX e siècle en faveur de l’activité des 25-55 ans.
Ailleurs, les choix ont été différents : au Royaume-Uni et aux
États-Unis, l’activité des moins de 25 ans n’a pas été stoppée ; au
Japon, c’est celle des 55-64 ans que l’on a laissée quasi intacte.

Développement des préretraites et insertion différée des jeunes

Les évolutions concernant l’âge de l’activité ont donné lieu à de


nombreuses recherches. Dans la plupart des cas, il s’agit de travaux
sur l’activité de telle ou telle catégorie d’âge plutôt que d’investi-
gations globales sur les effets des transformations de l’âge au travail
sur la composition de la population active.
S’agissant des jeunes, les années 1980 ont vu s’opérer un revire-
ment des tendances de la recherche : les interrogations sur la crise
des valeurs et sur l’« allergie au travail » [Rousselet, 1974] qui
avaient marqué les années 1970 ont cédé le pas à une réflexion
sur les difficultés de l’insertion professionnelle (les modalités
d’accès au marché du travail) et sur les problèmes de l’exclusion (le
chômage). Plusieurs orientations se sont structurées, qui toutes trai-
tent d’une manière ou d’une autre des « formes et transforma-
tions de l’entrée dans la vie adulte » [Galland, 1985]. Certaines se
sont focalisées sur la « transition professionnelle » [Rose, 1984 ;
Méhaut et al., 1987], c’est-à-dire sur les formes sociales de mise au
travail. D’autres, traitant sensiblement des mêmes questions, se
sont centrées sur une approche en termes de « socialisation profes-
sionnelle » [Dubar, 1987] qui analyse les dispositifs d’insertion
LA POPULATION ACTIVE 15

comme un espace social structuré par des organismes de forma-


tion et d’orientation. Cette réflexion sur la problématique insertion
professionnelle des jeunes a poussé certains chercheurs à mettre en
évidence une sorte de « socialisation à l’exclusion » [Lagrée et Lew
Fai, 1985] qui culmine dans la « galère » [Dubet, 1987], pendant
que d’autres tentaient de revisiter l’idée de précarité en l’analysant
comme l’une des « stratégies d’adaptation » des jeunes aux turbu-
lences du marché du travail [Nicole-Drancourt, 1992 et 1994].
Cette même période a vu également la multiplication des études
appuyées sur la reconstitution de trajectoires professionnelles,
sociales et familiales des jeunes [Bouffartigues, 1988] ainsi que le
développement de réflexions sur leur rapport au syndicalisme et à
l’action collective [Linhart, 1978].
En dépit de leur diversité, ces travaux présentent au moins deux
points communs. Tout d’abord, ce sont des processus que l’on
étudie, à travers des trajectoires, des parcours et des itinéraires :
« La jeunesse n’est rien d’autre qu’une transition entre deux âges,
auxquels sont associés des statuts professionnels et sociaux diffé-
rents. » [Baudelot, 1990.] En second lieu, quel que soit leur point de
départ, tous finissent par aborder d’une manière ou d’une autre la
question de l’insertion professionnelle, du statut social lié à l’acqui-
sition d’un emploi ou à l’expérience du chômage : les « problèmes
de la jeunesse » sont des problèmes d’emploi.
Sur les travailleurs « âgés », les recherches ont été moins
nombreuses et plus centrées : partant d’une réflexion sur l’« inven-
tion du troisième âge » [Lenoir, 1979], elles se sont interrogées sur
l’incidence des politiques publiques sur l’âge de sortie de l’activité.
Dans ce cadre, Anne-Marie Guillemard a traité des « redéfinitions
sociales de la vieillesse et de la retraite » pendant que Xavier Gaul-
lier soutenait l’hypothèse que « la politique de la vieillesse est une
politique de l’emploi » [1990]. Ces travaux contribuent à montrer
que, pour les salariés, les sorties définitives de la vie professionnelle
s’étalent désormais sur une période de dix à quinze ans (50-65 ans)
et que, de plus en plus souvent, les mises à la retraite empruntent
des chemins de traverse : avant la retraite, nombreux sont ceux qui
passent par des périodes de chômage, de préretraite, d’invalidité ou
d’inactivité contrainte.
En fait, à chaque extrémité de l’échelle des âges, ce sont les consé-
quences des évolutions du temps de l’activité pour chaque caté-
gorie d’âge qui ont retenu l’attention des sociologues, plus que leurs
effets macroéconomiques ou macrosociaux sur la recomposition de
la population active. C’est donc en mettant bout à bout cet ensemble
de résultats de recherche et un certain nombre de constats statis-
tiques que l’on parvient à avoir une vision globale de ce mouvement
16 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

de déplacement des normes sociales qui, jusqu’au début des


années 2000, situe le temps légitime du travail entre 25 et 55-60 ans.
Au-delà des transformations du marché du travail qu’elles impli-
quent, ces « nouvelles normes » prennent à rebours les valeurs tradi-
tionnelles du monde du travail et les régulations sociales qui en
découlent. Ainsi en est-il de l’ancienneté qui, en matière d’emploi,
joue désormais en défaveur des salariés. Ainsi en est-il également de
la jeunesse que la législation du travail a, des décennies durant,
voulu préserver d’une entrée trop précoce dans l’univers profes-
sionnel et que tous les dispositifs d’emploi s’acharnent aujourd’hui
à insérer le moins tard possible sur le marché du travail.
On comprend mieux, dans ce contexte, l’émoi suscité par la
réforme des retraites engagée en 2003. En instaurant un allonge-
ment du temps de travail nécessaire pour avoir droit à une retraite
à taux plein, les pouvoirs publics imposaient, de fait, un brusque
revirement : après des décennies où l’inactivité des « travailleurs
âgés » avait été présentée comme un progrès social, voilà que la
prolongation de l’activité des « seniors » devient un objectif écono-
mique prioritaire — et une « nouvelle norme » sociale.

Le sexe de l’emploi

La période qui a vu fondre l’activité des moins de 25 ans et des


plus de 55 ans est aussi celle qui a connu une croissance sans précé-
dent de l’activité professionnelle des femmes. Depuis le début des
années 1960, en France comme partout en Europe, les taux d’acti-
vité féminins se sont envolés. Précisons : il ne s’agit pas d’inventer
une quelconque nouveauté du travail féminin. Historiens, écono-
mistes et sociologues s’accordent au moins sur ce point : les
femmes ont toujours travaillé [Schweitzer, 2002], toujours et
partout. Avec le temps, ce qui a changé, ce sont les modalités de
cette activité, sa traduction en statuts socialement définis et, de ce
fait, socialement visibles. La nouveauté, ce n’est donc pas le travail,
mais l’emploi et le salariat féminins.

La féminisation de la population active et du salariat

Pour autant qu’on puisse la mesurer avec un minimum de préci-


sion, l’activité féminine est marquée, en France, par une grande
constance : les femmes ont toujours constitué une part impor-
tante de la population active de ce pays. Les données concernant
la première moitié du XXe siècle doivent, là aussi, être regardées avec
beaucoup de circonspection. Plus encore que celle des hommes,
LA POPULATION ACTIVE 17

l’activité des femmes durant la période qui a précédé l’extension


du salariat est insaisissable. De fait, c’est surtout la mesure du travail
agricole qui pose problème — en général et tout particulièrement
pour elles : la paysanne du début de ce siècle était-elle agricultrice
ou femme d’agriculteur ? Pour un même labeur, elle pouvait être
recensée dans l’une ou l’autre case, c’est-à-dire comme active ou
inactive [Fouquet, 2004]. De la même façon, le travail à domicile
qui a soutenu une bonne part de la croissance du travail féminin
durant la seconde moitié du XIXe siècle [Lallement, 1990] pose de
sérieux problèmes de comptage. Les historiens s’accordent en
général pour créditer les statistiques de la première moitié du
XXe siècle d’une sous-estimation systématique de l’activité féminine.
Cela étant, à partir des statistiques disponibles, de grandes
tendances sont repérables. Durant toute la première moitié du
XXe siècle, on assiste à une baisse régulière de l’activité des femmes.
La « chute » commence après 1921 et se poursuit lentement mais
sûrement jusqu’en 1962. À partir de cette date, la tendance à la
baisse va s’inverser pour céder le pas à une remontée spectaculaire.

La population active de la France de 1901 à 1999

Effectifs, en millions
Recensements
Hommes Femmes Ensemble

1901 12,6 7,0 19,6


1906 12,7 7,1 19,8
1911 12,9 7,1 20,0
1921 12,9 7,2 20,1
1926 13,4 6,9 20,3
1931 13,5 7,0 20,5
1936 12,7 6,6 19,3
1946 12,6 6,7 19,3
1954 12,8 6,6 19,5
1962 13,2 6,6 19,7
1968 13,6 7,1 20,7
1975 13,9 8,1 22,0
1982 14,2 9,6 23,8
1990 14,2 11,1 25,3
1999 14,3 12,2 26,5

Source : INSEE, Données sociales 1984 et 1993 et recensement 1999.

Depuis le début des années 1960, le nombre des actives n’a cessé
de croître de façon massive pendant que celui des actifs restait rela-
tivement stable : en 1962, 6,6 millions de femmes et 13,2 millions
d’hommes étaient actifs ; trente-sept ans plus tard, au recensement
18 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

de 1999, 12,2 millions de femmes et 14,3 millions d’hommes le


sont. Ces quatre chiffres nous disent l’ampleur et la rapidité du
mouvement qui a affecté la population active féminine : en
l’espace de quatre décennies, près de 6 millions d’actives
supplémentaires.
Ils nous indiquent également la part des femmes dans les recom-
positions qui ont affecté le marché du travail. C’est à elles que l’on
doit l’essentiel de la croissance des forces de travail de ce pays
depuis plus de quarante ans : pendant que la population active
augmentait de près de 6 millions de femmes, elle ne s’accroissait
que d’un million et demi d’hommes.
On observe une tendance encore plus forte du côté du sala-
riat : de 1970 à 2002, le nombre d’hommes salariés a augmenté
de 1 million pendant que celui des femmes salariées passait de
5,7 millions en 1970 à 10 millions en 2002.

Évolution du salariat en France


(effectifs, en millions)

1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2002

Hommes 10,2 10,6 10,6 10,1 10,4 10,3 11,1 11,3


Femmes 5,7 6,5 7,1 7,5 8,2 8,7 9,6 10,0
Ensemble 15,9 17,1 17,8 17,6 18,6 19,0 20,7 21,3

Source : OCDE, Statistiques de la population active 1970-1990


et INSEE, Enquêtes emploi 1995 à 2002.

Emploi et chômage, Europe des Quinze, 1975-2000


(effectifs, en millions)

1975 1985 1990 1995 2000

Hommes
Population en âge
de travailler
(15-64 ans) 101,0 110,4 114,0 122,1 123,7
Emploi total 86,6 82,8 86,6 86,5 95,1
Chômage total 2,9 7,9 5,7 9,0 6,7
Femmes
Population en âge
de travailler
(15-64 ans) 105,4 113,6 115,6 122,6 124,1
Emploi total 45,9 51,2 57,2 61,4 71,7
Chômage total 2,1 6,7 6,2 8,8 6,5

Source : L’Emploi en Europe 1996 pour la période 1975-1995


et L’Emploi en Europe 2002 pour l’année 2000.
LA POPULATION ACTIVE 19

Ces phénomènes ne sont pas propres à la France. Dans


l’ensemble des pays de l’Europe, la montée de l’emploi féminin
constitue l’élément moteur de la croissance de la population active
totale. Dans l’Europe des Quinze, entre 1975 et 2000, le nombre
d’hommes ayant un emploi a stagné entre 86 et 95 millions ;
pendant le même laps de temps, le nombre de femmes au travail a
très fortement augmenté, partant de 45,9 millions en 1975 pour
arriver à 71,7 millions en 2000.

Crise de l’emploi et prospérité de l’activité féminine

Amorcé au début des années 1960, le mouvement de fémini-


sation de la population active se maintient en dépit de la crise de
l’emploi et de l’installation d’un chômage massif. Entre 1975 et
1999, la population active de la France a grossi de 4,5 millions de
personnes… dont 400 000 hommes et 4,1 millions de femmes. Ce
qui est vrai de la France se vérifie, là encore, à peu près partout en
Europe. Qu’elles soient au chômage ou qu’elles aient un emploi,
les femmes sont plus actives. L’inactivité féminine sombre pendant
que l’emploi masculin est frappé d’immobilisme ou de déclin.
De cet ensemble de données se dégage une conclusion claire :
au-delà des clivages géographiques traditionnels (le Nord contre le

Taux d’activité* par âge de 1968 à 1999 en France


(en %)

Âges Hommes Femmes

1968 1975 1982 1990 1995 1999 1968 1975 1982 1990 1995 1999

15-19 ans 43 29 24 14 8 11 31 22 17 9 5 6
20-24 ans 83 82 79 68 58 57 62 66 67 60 48 48
25-29 ans 95 95 93 94 92 91 51 63 71 80 82 82
30-34 ans 97 97 96 97 97 96 42 55 67 76 81 82
35-39 ans 97 97 97 97 97 97 41 51 65 76 81 82
40-44 ans 97 97 96 97 97 96 43 49 62 76 80 82
45-49 ans 95 95 95 96 95 95 45 50 58 72 80 80
50-54 ans 91 92 91 91 92 92 45 48 54 63 70 75
55-59 ans 82 82 77 70 69 71 42 42 45 46 51 53
60-64 ans 66 54 39 21 17 16 32 28 22 17 15 14

* Il s’agit des taux d’activité recalés sur les recensements et,


pour 1999, des taux d’activité du recensement (chiffres arrondis).
Source : Marie-Madeleine Bordes et Christine Gonzalez-Demichel,
« Marché du travail — Séries longues », INSEE Résultats,
Emploi-revenus, nº 138-139, juin 1998 et recensement de 1999.
20 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Sud) et quelle que soit l’époque considérée (période de chômage


ou de plein emploi), les femmes sont l’élément le plus actif du
marché du travail. Depuis quarante ans, ce sont elles qui ont assuré
l’essentiel de l’augmentation des forces de travail de l’Europe. Les
années 2000 voient donc la confirmation et le renforcement des
tendances observées au cours des années 1960 : les taux d’activité
féminins sont en hausse constante pendant que les taux d’activité
masculins diminuent ou stagnent.

L’évolution des comportements d’activité

L’évolution différente des taux d’activité masculins et féminins


s’explique par la conjonction de deux phénomènes :
— la baisse de l’activité chez les jeunes et chez les travailleurs
âgés a fait chuter les taux d’activité de tous, hommes et femmes ;
— pour les femmes, cette chute a été compensée et dépassée par
l’explosion des taux d’activité entre 25 et 49 ans. Ce sont ces classes
d’âge qui ont concentré l’essentiel de l’augmentation de l’activité
féminine.
Ce qui s’est passé en France n’a, de ce point de vue, rien
d’original. Le mouvement y est probablement plus ancien et sans
doute plus prononcé. Mais il se retrouve, pour la période récente,
dans tous les pays de l’Europe des Quinze, avec un « effet de rattra-
page » dans ceux où, traditionnellement, le niveau de l’activité
féminine était plus bas (Espagne, Grèce, Italie, Pays-Bas et Irlande).
Ce mouvement peut s’analyser de différentes façons. Il montre
tout d’abord une évolution significative du poids relatif du travail
masculin et féminin dans l’activité économique, une sorte de
rééquilibrage de la part des sexes sur le marché du travail. En
France, selon les données des enquêtes Emploi, les taux d’activité
des hommes sont passés de 79 % en 1963 à 62 % en 2002 pendant
que ceux des femmes évoluaient de 37 % à 49 % (toutes classes
d’âge confondues).
Il traduit également une tendance à l’homogénéisation des
comportements d’activité masculins et féminins. Les trajectoires
professionnelles des femmes sont de plus en plus continues, beau-
coup moins interrompues par les maternités que dans le passé. De
fait, les charges familiales pèsent de moins en moins sur les
comportements d’activité des femmes. En France, en 2002, parmi
les femmes de 25 à 49 ans, les taux d’activité sont de 88 % sans
enfant, 86 % avec un enfant, 77 % avec deux enfants et 53 % avec
trois enfants et plus. De ce point de vue, le chemin parcouru depuis
les années 1960 est impressionnant : à cette époque, c’est au
premier enfant que se faisait la coupure entre activité et inactivité.
LA POPULATION ACTIVE 21

Taux d’activité des femmes de 25 ans à 49 ans,


Europe des Quinze, 1983 à 2002
(en %)

1983 1987 1991 1994 1996 2000 2002

Europe des 12 – 61 66 69 – – –
Europe des 15 – – – – 71 74 75
Allemagne 58 62 68 75 75 75 79
Autriche – – – – 76 79 81
Belgique 59 64 68 72 73 78 75
Danemark 86 88 89 84 84 85 85
Espagne – 43 51 58 60 66 67
Finlande – – – – 83 85 86
France 68 72 75 78 79 80 80
Grèce 45 51 52 57 60 65 67
Irlande 38 43 49 56 60 68 70
Italie 48 53 57 56 58 61 64
Luxembourg 45 51 55 59 59 68 69
Pays-Bas 45 56 62 68 70 76 78
Portugal – 66 74 76 78 80 80
Royaume-Uni 63 69 74 75 75 77 77
Suède – – – – 87 85 86

Source : Eurostat, Enquêtes sur les forces de travail.

La majorité des femmes était donc concernée par cette disconti-


nuité de la vie professionnelle. Aujourd’hui, la césure se fait au troi-
sième enfant, c’est-à-dire pour une toute petite minorité d’entre
elles. Au-delà des taux d’activité, il s’agit là d’une véritable rupture
sociologique, d’un déplacement des normes sociales qui régissent
les comportements vis-à-vis du marché du travail.
Plus encore que les taux, ce sont les courbes qui nous rensei-
gnent sur le sens et la portée de l’évolution des comportements
d’activité féminins. On peut, schématiquement, caractériser trois
modèles d’activité féminine.
1) Une courbe à une seule crête dessine un modèle d’inactivité
dominante : seules les femmes de 20 à 25 ans, célibataires pour la
plupart, ont des taux d’activité élevés. Après le mariage ou la mater-
nité, les femmes cessent définitivement de travailler.
2) Une courbe « bimodale » (ou en M) dépeint un modèle d’acti-
vité discontinue : ici, la majorité des femmes s’arrête de travailler
entre 25 et 40 ans lorsqu’elles ont des enfants, puis retravaillent
lorsque ceux-ci sont grands.
3) Une courbe en U renversé caractérise un modèle où l’activité
continue domine : dans ce cas de figure, les femmes cumulent acti-
vité et obligations familiales. La majorité d’entre elles ne s’arrêtent
22 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

pas de travailler lorsqu’elles ont des enfants. Cette courbe est aussi
celle qui se rapproche du modèle masculin. Elle traduit une homo-
généisation des comportements d’activité féminins et masculins.
La France des années 1960 était, pour les femmes, celle de l’acti-
vité discontinue. Depuis le début des années 1980, la courbe a
changé de forme et c’est désormais la continuité qui constitue le
modèle dominant.
Cette évolution du rapport à l’emploi des femmes marque le
passage d’un modèle à un autre. Dans la France des années 2000,
le modèle dominant n’est plus celui du choix (travail ou famille), ni
celui de l’alternance (travailler-s’arrêter-retravailler), mais celui du
cumul : pour une mère de deux enfants, il est désormais devenu
« normal » de travailler alors qu’il y a trente ans il était tout aussi
« normal » de s’arrêter dès la première naissance.
Or, c’est ce basculement des normes sociales de l’activité fémi-
nine qui a assuré la croissance de la population active totale : en
France, depuis quarante ans, la seule catégorie dont les taux d’acti-
vité ont augmenté est précisément celle des femmes de 25 à 49 ans.
Ainsi les « mères de famille » ont-elles assuré le renouvellement et
l’élargissement de la population active.

La sociologie de l’activité féminine, du travail à l’emploi

Du point de vue de la croissance des forces de travail, la montée de


l’activité féminine est bien l’« événement principal » des quatre
dernières décennies : le fait est statistiquement bien établi. L’a-t-on
pour autant sociologiquement compris, sociologiquement analysé ?
La réponse, ici, est plus incertaine. Face aux envolées de l’emploi
féminin, la sociologie du travail est longtemps restée perplexe.
Depuis le début des années 1980, les statistiques ont dessiné des
courbes d’activité ascendantes, ont aligné des pourcentages et des
taux en expansion. Elles ont fixé des faits, énoncé des corrélations,
mesuré des progressions. Ce sont les travaux de l’INSEE qui, les
premiers, ont établi les transformations des comportements d’acti-
vité féminins [Huet, 1982]. Les économistes, en analysant le fonc-
tionnement du marché du travail, ont souligné la place et le poids
des femmes dans les mouvements de main-d’œuvre, dans l’exten-
sion du salariat [Bouillaguet-Bernard, Gauvin-Ayel et Outin, 1981].
Ces constats ont permis d’esquisser les contours d’un phéno-
mène social majeur, mais n’expliquent pas pour autant les méca-
nismes sociaux qui l’ont produit. Qu’est-ce qui a fait basculer les
comportements d’activité féminins ? Pourquoi la main-d’œuvre
féminine ne fonctionne-t-elle pas (ou plus) comme une armée de
réserve ? Pourquoi l’emploi féminin est-il en pleine croissance alors
LA POPULATION ACTIVE 23

Courbes d’activités féminines 1963-2002


%
90
80 2002
19901998
70 1982
60 1975
50 1968
40 1963

30
20
10
0
- 19 -24 -29 -34 -39 - 44 -49 -54 -59 -64 -69 -74 +
15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 Classe d'âge

Lecture : Il s’agit des taux d’activité des femmes par âge quinquennal,
observés au sens du recensement.
Source : INSEE, Enquêtes emploi.

que nous sommes en pleine crise ? Pourquoi le rapport à l’emploi


des femmes s’est-il aussi profondément transformé ? Quels sont les
processus qui sont à l’œuvre, quels sont les rapports sociaux en
cause ? En d’autres termes, les statistiques nous ont permis de
cerner les signes extérieurs de l’évolution du rapport à l’emploi des
femmes.
La sociologie des rapports sociaux de sexe, telle qu’elle s’est déve-
loppée en France depuis la fin des années 1970 [Collectif, 1984], a
été pour sa part centrée sur l’analyse de la reproduction de la divi-
sion sexuelle du travail beaucoup plus que sur l’étude de l’accès
des femmes à l’emploi. Les mécanismes sociaux qui ont produit
le bouleversement des comportements d’activité féminins, les
processus de transformation du rapport à l’emploi ont été très
largement laissés pour compte. On a pris acte de ces mutations sans
analyser réellement comment et pourquoi elles se sont faites. Car,
de fait, la notion de division sociale et sexuelle du travail [Kergoat,
1982] est tout entière construite autour du concept du travail. Son
apport est de redéployer ce concept en deux dimensions, profes-
sionnelle et domestique, en reliant les sphères de la production et
celles de la reproduction, le monde professionnel et l’univers du
travail domestique. Mais, dans sa définition comme dans son utili-
sation, la division sexuelle reste circonscrite au champ du travail,
centrée sur les problèmes de qualification, d’organisation et de
conditions de travail, de répartition sexuée des tâches, des métiers,
des fonctions. Le marché du travail, l’emploi et le chômage ont
été très largement absents de ce courant de recherche [Decouflé et
24 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Maruani, 1987], focalisé sur les modalités du travail féminin, sur les
mouvements de déqualification/surqualification, sur la non-mixité
du monde du travail plus que sur l’évolution du rapport à l’emploi
et des comportements d’activité féminins.
Il a fallu attendre les années 1990 pour qu’émerge une socio-
logie de l’emploi et du chômage féminins qui analyse la place des
femmes sur le marché du travail et non plus seulement leur posi-
tion dans l’univers professionnel, qui traite de la division sexuelle
du marché du travail et non plus seulement de la division sexuelle
du travail. La plupart de ces travaux, qui se situent au croisement
de la sociologie et de l’économie, s’appuient sur des comparaisons
internationales et notamment européennes [Hirata-Sénotier, 1996 ;
Maruani, 1998 et 2000 ; Rubery et al., 1998 ; Meulders, Plasman
et Vander Stricht, 1993 ; Plasman, 1994 ; Gustafsson et Meulders,
2000].
Dans le champ de la sociologie, les réflexions sur l’âge au travail
et le sexe de l’emploi présentent de fortes similitudes. Longtemps
reléguée à la périphérie de la sociologie du travail « classique »,
l’analyse des mouvements d’activité en fonction de l’âge et du sexe
devient aujourd’hui centrale pour la constitution d’une sociologie
de la population active.
En ce sens, étudier les évolutions de l’âge au travail et les muta-
tions des comportements d’activité féminins, ce n’est pas
s’adonner à une sociographie des catégories de main-d’œuvre
« spécifiques ». C’est se donner les moyens de repérer les change-
ments structurels qui ont produit les transformations de la popu-
lation active. C’est analyser les logiques sociales qui sous-tendent
les recompositions du monde du travail.
II / Le chômage

Problème de société brûlant, le chômage demeure un objet socio-


logique relativement périphérique. Dans la période récente, le
chômage a été largement plus présent dans le débat social et la
polémique politique que dans la discussion sociologique.
Comment expliquer ce paradoxe ?
Le chômage a toujours été un objet embarrassant pour la socio-
logie du travail. Est-ce par sa trop grande proximité avec un objet
social tout différent, la pauvreté, par son éloignement du monde
de la production ? Est-ce par la difficulté à ranger les chômeurs
dans une des cases communément établies : ni travailleur ni oisif,
mais tout cela à la fois ? Là est peut-être l’obstacle majeur. Le
chômage est l’envers du travail, son contraire et son absence. Mais
le chômeur est un « actif ». Même privé d’emploi, il est comptabi-
lisé dans ce que l’on nomme la population active. De fait, la socio-
logie du chômage et des chômeurs échappe aux cadres établis de la
sociologie du travail et des travailleurs.
Longtemps, le noyau dur du sujet, c’est-à-dire les mécanismes
de production du chômage, a été « abandonné » aux écono-
mistes. Tout se passe comme si une division du travail entre disci-
plines s’était établie de fait : aux économistes, la théorie du
chômage et les déterminants de la pénurie d’emploi, aux socio-
logues, le « vécu » des chômeurs et les conséquences de la privation
d’emploi.
Le regain d’intérêt pour une sociologie du chômage qui ne se
réduise pas à son « vécu » est venu d’une réflexion historique sur
l’émergence de la catégorie « chômage ». Dans la foulée de la
découverte de l’invention du chômage, on a vu émerger de
nombreuses réflexions sur le concept de chômage, ses contours et
frontières, son histoire et sa genèse — réflexions qui ne se confon-
dent pas avec les interrogations sur la mesure du phénomène.
26 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Il n’en demeure pas moins que la question du chômage est


presque inévitablement précédée d’interrogations sur l’identifica-
tion et le comptage des chômeurs : qui sont-ils, combien sont-ils ?
Sont-ils tous vraiment chômeurs ou, à l’inverse, les a-t-on vérita-
blement tous recensés ? Questions sans réponse définitive ni
unique : le débat est à la fois politique, statistique, économique et
sociologique.

Sociographie des chômeurs

Les statisticiens qui, de longue date, se sont interrogés sur la


mesure du chômage [Marchand et Thélot, 1983 ; Malinvaud, 1986 ;
Dubois et Lucas, 1991 ; Cornilleau, 1991] en conviennent
aujourd’hui : « Le fond du problème est qu’il n’existe pas une
“bonne” mesure du chômage, valable en tous lieux et en tous
temps. » [Marchand, 1991.]

La mesure du chômage

Pour la France, trois types d’instruments de mesure cohabitent,


qui sont autant de systèmes d’inclusion/exclusion du non-emploi
dans l’activité : un chômeur est un actif privé d’emploi, mais tous
les sans-emploi ne sont pas des chômeurs.
La première définition, le chômage au sens du BIT, repose sur la
norme statistique établie par le Bureau international du travail.
C’est celle qui est utilisée pour les comparaisons internationales,
notamment par l’OCDE et Eurostat. En France, c’est l’enquête
Emploi de l’INSEE (enquête annuelle) qui permet de calculer ces
chiffres : ils sont très souvent utilisés pour l’analyse économique et
permettent le calcul des taux de chômage (nationaux, par caté-
gorie, par secteur d’activité). Cette base conventionnelle commune
à de nombreux pays s’appuie sur des critères très restrictifs. Pour
être un « chômeur au sens du BIT », il faut être strictement sans
travail, ce qui exclut toute personne ayant travaillé quelques heures
durant la période de référence (la semaine précédente). Il faut par
ailleurs être absolument disponible pour travailler et pouvoir
attester de démarches effectives de recherche d’emploi.
Sur les mêmes éléments, l’INSEE construit aussi la PSERE (popu-
lation sans emploi à la recherche d’un emploi), sous-ensemble du
chômage au sens du BIT qui exclut les cas de personnes sans emploi
mais en ayant trouvé un qui commencera ultérieurement.
LE CHÔMAGE 27

Trois définitions du chômage

Chômage au sens Chômage au sens Demandes d’emploi


du BIT du recensement en fin de mois
(DEFM)

Définition — Être sans travail — Se déclarer — Être sans emploi


théorique (au sens du BIT). chômeur et ne (sauf activité
pas déclarer réduite).
qu’on ne
recherche pas
d’emploi.
— Être disponible — Être disponible
pour travailler pour travailler.
(dans un délai OU
déterminé).
— Rechercher — Se déclarer mère — Être inscrit sur
effectivement de famille, femme les listes de l’ANPE
un travail. au foyer ou comme
retraité et déclarer recherchant
rechercher un un emploi.
emploi.

Source INSEE (enquête INSEE ANPE.


Emploi). (recensement de
la population).

Périodicité Annuelle (tous Tous les sept ans Mensuelle.


les mois de mars environ jusqu’en
jusqu’en 2002, 1999. Annuel
moyenne tournant depuis
annuelle à partir 2004.
de 2003).

Une deuxième définition, les demandes d’emploi en fin de mois


(DEFM), vient de l’ANPE. Elle mesure les inscrits sur les listes de
l’ANPE comme demandeurs d’emploi. On les voit cités tels qu’ils
ont été enregistrés ou, le plus souvent, « désaisonnalisés » : certains
mouvements constatés — on a pu observer leur régularité — ne
sont pas dus à des mouvements du chômage lui-même, mais aux
effets, par exemple, du calendrier scolaire, les « promotions » de
jeunes étant destinées à se résorber.
Depuis juin 1995, les DEFM, souvent citées par la presse comme
le « chiffre du chômage » mensuel, s’expriment sous deux formes :
la catégorie 1, la plus usitée, qui exclut les demandeurs d’emploi
ayant eu une activité réduite de plus de 78 h et les catégories 1 + 6
qui les incluent.
Ce double chiffre répond à une double préoccupation : en élimi-
nant les demandeurs d’emploi qui ont eu une activité réduite
28 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

importante (proche d’un mi-temps), mieux distinguer chômage


« véritable » et emploi à temps partiel court et, en même temps,
permettre la comparaison avec les chiffres antérieurs à 1995
(l’ancienne catégorie 1 les incluait) et ne pas diminuer « artificiel-
lement » les chiffres du chômage. De fait, cette nouvelle présenta-
tion exclut le sous-emploi.
Il existe une troisième définition, le chômage au sens du recense-
ment, qui renforce les effets de déclaration « subjective » : dans les
recensements de la population effectués par l’INSEE, on considère
comme chômeurs tous ceux qui se déclarent spontanément
comme tels sans demander de précisions ni sur leur disponibilité
pour travailler ni sur leurs démarches de recherche d’emploi. On y
inclut de ce fait des catégories qui, selon les définitions du BIT, ont
toutes les chances d’être classées comme inactives : les « mères de
famille », « femmes au foyer » et « retraités » qui se déclarent à la
recherche d’un emploi.
La définition du BIT exclut donc ceux qui ont travaillé — même
très peu — la semaine précédente : c’est le cas de tous ceux qui
occupent des emplois précaires. Or, ceux-ci sont majoritairement
des jeunes. Ils sont alors classés comme « actifs occupés ». En
revanche, ceux qui, au chômage depuis longtemps, se découragent
et n’entreprennent plus de recherches vraiment actives sont classés
comme « inactifs » au sens du BIT. C’est, bien sûr, le cas de beau-
coup de chômeurs âgés et peu qualifiés. L’ANPE a créé pour eux
une catégorie « dispensés de recherche d’emploi » (DRE), en forte
augmentation depuis 10 ans : elle juge que leurs chances de retour
à l’emploi sont inexistantes dans l’état du marché du travail et que
leur absence de recherche est légitime. Ils ne sont donc pas exclus
de leurs droits à indemnisation, même s’ils sont radiés de la liste
des demandeurs d’emploi et ne sont donc plus comptés comme
chômeurs mais comme inactifs.
Ces différentes définitions produisent des écarts statistiques qui
sont loin d’être anecdotiques. En novembre 1999, on comptait
(après le dernier recensement) : 2 840 000 chômeurs au sens du
BIT (enquête Emploi), 2 628 600 DEFM de catégorie 1,
3 145 300 DEFM de catégories 1 + 6 (ANPE) et 3 402 000 chômeurs
au sens du recensement.
Entre la plus ouverte et la plus fermée de ces définitions, l’écart
est de plus ou moins 773 400 : il ne s’agit donc pas d’une paille. Ce
n’est pas une question d’imprécision statistique, mais une affaire
de conventions, elles-mêmes étant le produit des logiques institu-
tionnelles et de jugements sociaux.
Il ne s’agit pas non plus de défauts dans les instruments de
mesure, mais d’un problème de balisage des frontières. Les chiffres
LE CHÔMAGE 29

du chômage ne sont pas le simple enregistrement du nombre des


personnes sans travail : c’est un tri, à partir de cet ensemble, de
ceux qui sont légitimement chômeurs, c’est-à-dire involontaire-
ment privés de travail. On exclut alors, selon les cas, ceux qui
travaillent, même très peu, ceux qui ne vont pas tarder à travailler
(les jeunes qui viennent de finir leurs études), ceux qui ne pour-
ront pas travailler (chômeurs de longue durée âgés, affectés d’un
handicap…).
En fait, deux questions doivent ici être distinguées :
— la part d’incertitude qui est inhérente aux critères de définition
du chômage : le fait de ne pas occuper d’emploi est un critère de
situation, le fait de rechercher un emploi est un critère de compor-
tement [Freyssinet, 2002] ;
— la part de construction sociale des frontières entre activité et
inactivité. Selon les critères utilisés, on l’a vu, une mère de famille
ou un retraité peuvent être classés parmi les chômeurs, et donc
définis comme actifs, ou être rangés parmi les inactifs. Dans les
deux cas, le critère implicite est celui de la légitimité sociale de la
quête d’emploi, légitimité variable selon les groupes sociaux :
imaginerait-on une catégorie « pères de famille » susceptible d’être
exclue ès qualités des statistiques du chômage ?
L’écart entre les différentes définitions du chômage n’est donc
pas purement quantitatif. Certes, selon l’instrument de mesure
utilisé, il y a plus ou moins de chômeurs. Mais surtout, selon la
définition retenue, certaines catégories de population passent du
statut d’actif à celui d’inactif (et inversement). Au même âge et
dans la même situation, on peut être actif, chômeur ou inactif.

Hétérogénéité, diversité, inégalités

Selon que l’on utilise l’une ou l’autre de ces définitions du


chômage, les différences entre catégories de chômeurs sont plus ou
moins fortes. De fait, les définitions les plus « extensives » (celle
du recensement, notamment) creusent les inégalités devant le
chômage. Ainsi en est-il des différences entre chômage féminin et
masculin qui sont plus accentuées lorsque les taux sont calculés
d’après les critères utilisés dans les recensements ou par l’ANPE.
Ainsi en est-il également des taux de chômage des plus de 50 ans
que les critères du BIT atténuent singulièrement. Dans les deux cas,
c’est la définition des frontières entre le chômage et l’inactivité qui
est en cause.
Cela étant, quel que soit l’instrument de mesure que l’on
utilise, ces disparités demeurent. Elles sont même une des
30 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Taux de chômage* par âge et sexe en France, 2002


(en %)

Hommes Femmes Ensemble

15-24 ans 18,2 22,8 20,2


25-49 ans 7,3 9,6 8,3
50 ans et + 5,7 7,1 6,3
Total 7,9 10,1 8,9

* Chômage au sens du BIT.


Source : INSEE, Enquête emploi, 2002.

Taux de chômage* selon le diplôme et le sexe, France, 2002


(en %)

Hommes Femmes Ensemble

Diplôme supérieur 5,4 6,0 5,7


Baccalauréat + 2 6,0 5,4 5,6
Baccalauréat, brevet professionnel 7,0 9,3 8,2
CAP, BEP 5,9 10,7 7,8
BEPC seul 9,3 11,5 10,4
Aucun diplôme ou CEP 13,0 15,4 14,1
Total 7,9 10,1 8,9

* Chômage au sens du BIT.


Source : INSEE, Enquête emploi, 2002.

Taux de chômage* selon le sexe et la CSP en France, 2002


(en %)

CSP Hommes Femmes Ensemble

Agriculteurs exploitants 0,1 0,3 0,2


Artisans, commerçants,
chefs d’entreprise 2,8 4,7 3,4
Cadres, professions intellectuelles
supérieures 4,0 3,5 3,8
Professions intermédiaires 4,9 5,9 5,4
Employés 9,8 10,7 10,5
Ouvriers 10,2 16,0 11,4
Total 7,9 10,1 8,9

* Chômage au sens du BIT.


Source : INSEE, Enquête emploi, 2002.

caractéristiques du chômage contemporain : général mais inégal,


massif et ségrégatif. Le taux de chômage global (8,9 % à l’enquête
emploi de 2002) masque une fourchette qui va de 7,3 % pour les
LE CHÔMAGE 31

Taux de chômage* masculins et féminins, Europe des Quinze


(en %)

Hommes 1983 1987 1992 1995 2000 2002 2003

Europe des 12 8,7 8,7 7,0 8,8 7,0 7,3 7,7


Europe des 15 – – 7,8 9,0 6,7 6,9 7,2
Allemagne 6,1 5,3 5,1 7,0 7,5 8,7 9,6
Autriche – – – 3,1 3,1 4,1 4,2
Belgique 8,7 7,4 5,1 7,6 5,6 6,7 7,8
Danemark 8,1 4,4 8,0 5,6 4,1 4,4 5,2
Espagne 16,5 16,8 11,7 14,9 7,9 8,0 8,2
Finlande – – 13,6 15,7 9,1 9,1 9,2
France 6,3 8,2 8,1 9,5 7,6 7,7 8,3
Grèce 5,8 5,1 5,0 6,2 7,2 6,6 6,1
Irlande 14,6 17,4 15,1 12,2 4,3 4,6 4,9
Italie 5,8 7,4 6,3 8,8 8,0 7,0 6,8
Luxembourg 2,6 1,8 1,7 2,0 1,8 2,1 2,7
Pays-Bas 11,2 7,5 4,1 5,5 2,2 2,5 3,5
Portugal 5,3 5,1 3,6 6,5 3,3 4,2 5,6
Royaume-Uni 11,8 10,8 11,5 9,9 5,9 5,6 5,5
Suède – – 6,6 9,7 5,9 5,3 5,8

Femmes 1983 1987 1992 1995 2000 2002 2003

Europe des 12 11,8 13,1 11,5 13,1 10,5 9,9 10,2


Europe des 15 – – 10,5 11,7 9,2 8,7 8,9
Allemagne 8,1 7,9 8,2 9,4 8,1 8,4 8,9
Autriche – – – 5,0 4,3 4,5 4,6
Belgique 19,1 17,5 10,0 12,7 8,5 8,2 8,5
Danemark 10,4 6,9 9,2 8,1 4,8 4,7 5,9
Espagne 20,9 27,7 21,0 25,3 16,7 16,4 15,9
Finlande – – 9,6 15,1 10,6 9,1 8,9
France 10,8 13,3 12,4 13,5 11,2 10,0 10,6
Grèce 11,7 11,4 12,9 14,1 16,7 15,0 14,1
Irlande 16,6 19,2 16,0 12,5 4,3 4,0 4,2
Italie 14,5 16,9 13,0 16,1 14,3 12,2 11,7
Luxembourg 5,3 3,7 2,8 4,3 3,1 3,9 5,0
Pays-Bas 14,8 14,1 7,2 8,1 3,8 3,0 3,9
Portugal 11,8 9,3 5,1 8,2 5,1 6,1 7,5
Royaume-Uni 9,8 9,9 7,5 6,7 4,8 4,5 4,4
Suède – – 4,4 7,8 5,3 4,6 5,1

* Chômage au sens du BIT.


Les chiffres donnés pour les années 1983-1987 et 1992-2003
sont issus de deux séries longues d’Eurostat.
Source : Eurostat, Enquêtes sur les forces de travail.
32 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

hommes de 25 à 49 ans à 22,8 % pour les femmes de moins


de 25 ans.
Ces chiffres nous donnent ainsi la mesure de deux des princi-
pales inégalités devant le chômage, l’âge et le sexe, auxquelles il
faut immédiatement ajouter la catégorie socioprofessionnelle et le
niveau de diplôme.
Du point de vue du niveau d’instruction, peu de surprise : plus
on est diplômé et moins on a de chance de se retrouver au
chômage.
En ce qui concerne les catégories socioprofessionnelles, deux
groupes sont particulièrement exposés au chômage : les employés
et les ouvriers. Parmi ces derniers, ce sont les femmes qui connais-
sent les taux de chômage les plus élevés : 16 % pour les ouvrières
(contre 10,2 % pour les ouvriers).
Lorsque l’on observe l’évolution du chômage dans les quinze
pays de l’Europe, deux constantes apparaissent. À l’exception de
l’Allemagne, de la Finlande, du Royaume-Uni, de la Suède et de
l’Irlande, les taux de chômage féminins sont systématiquement plus
élevés que les taux de chômage masculins. Systématiquement et

Taux de chômage* par classe d’âge, Europe des Quinze, 2002


(en %)

Hommes Femmes

15-24 25-49 50-64 15-64 15-24 25-49 50-64 15-64


ans ans ans ans ans ans ans ans

Europe
des 15 14,3 6,0 5,7 6,9 15,0 8,2 6,4 8,7
Belgique 16,0 5,8 3,1 6,3 15,2 7,4 4,9 7,8
Danemark 8,8 3,5 3,9 4,3 5,2 4,5 3,4 4,4
Allemagne 11,1 8,0 9,9 8,8 7,2 7,7 10,4 8,3
Grèce 18,7 5,6 3,6 6,4 33,7 14,0 5,7 14,9
Espagne 16,9 6,8 5,6 7,7 27,7 15,2 11,0 16,3
France 17,5 6,9 5,7 7,8 20,8 9,2 6,7 9,8
Irlande 8,7 4,2 3,0 4,7 6,7 3,3 2,3 3,8
Italie 23,7 6,1 3,7 7,1 31,5 11,7 4,8 12,7
Luxembourg 5,2 1,9 – 1,9 8,9 3,4 – 3,6
Pays-Bas 4,3 2,0 1,9 2,3 4,8 2,5 2,1 2,9
Autriche 7,8 4,5 6,1 5,2 6,5 4,2 4,8 4,6
Portugal 9,0 3,2 3,6 4,1 12,2 5,0 3,7 5,7
Finlande 28,6 7,4 8,3 10,7 27,8 7,4 6,5 10,2
Suède 13,4 4,4 4,3 5,4 12,4 3,8 3,3 4,7
Royaume-Uni 12,8 4,5 4,1 5,6 8,8 3,9 2,7 4,4

* Chômage au sens du BIT.


Source : Eurostat, Enquête sur les forces de travail, 2002.
LE CHÔMAGE 33

régulièrement : la moyenne européenne s’établissait en 1983 à


8,7 % pour les hommes et 11,8 % pour les femmes ; en 2003, elle
est de 7,2 % pour les uns et de 8,9 % pour les autres.
Ces inégalités se retrouvent à tous âges. La structure du chômage
par tranche d’âge est sensiblement la même pour les deux sexes,
mais, à l’exception des cinq pays cités, les taux sont toujours plus
élevés pour les femmes. C’est chez les moins de 25 ans que le
chômage des jeunes femmes, cumulant les effets de l’âge et du sexe,
atteint des sommets impressionnants : en France, avant 25 ans,
20 % des femmes sont au chômage. En Finlande, en Grèce, en
Espagne et en Italie, c’est le cas de près du tiers d’entre elles.
À l’autre extrémité de la pyramide des âges, chez les plus de
50 ans, les taux de chômage sont très faibles : le non-emploi, dans
ces classes d’âge, prend la forme de retraites anticipées et se traduit
ainsi en inactivité.

Aux frontières du chômage

Chômage ou inactivité ? Loin d’effacer la question, les compa-


raisons internationales ne font que renforcer la nécessité d’une
réflexion sur les chevauchements entre ces deux situations.
L’analyse du chômage féminin est, de ce point de vue, tout à
fait éclairante tant le problème du flou des catégories est aigu.
Comment interpréter les écarts entre chômages féminin et
masculin ? Comment comprendre les disparités entre pays ? Une
part non négligeable des réponses aux questions que l’on se pose
réside dans la façon, variable selon les pays et les époques, dont le
non-emploi se traduit en chômage ou en inactivité.
Il y a là un problème de comptage statistique de première impor-
tance : la façon dont on recense le non-emploi des femmes pèse
fortement sur le niveau de chômage global de chaque pays. Mais
il y a aussi une question plus fondamentalement sociologique :
comprendre la façon dont se constitue la notion de chômage
pour les femmes, c’est saisir la manière dont se délimitent les
frontières entre l’activité, le non-emploi et l’inactivité. En ce
sens, l’importance du chômage féminin est un indicateur double :
il nous renseigne sur les difficultés de l’accès des femmes au marché
du travail (un indicateur de discrimination) en même temps
qu’il témoigne de la forte présence des femmes sur le marché du
travail et du déclin de l’inactivité féminine (un indicateur de
l’homogénéisation des comportements d’activité masculins et
féminins).
Du fait de cette dualité, les statistiques européennes du chômage
féminin présentent une série d’énigmes sociologiques non
34 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

résolues. Si le Royaume-Uni est un des rares pays d’Europe où les


taux de chômage des femmes sont, depuis vingt ans, systématique-
ment inférieurs à ceux des hommes, est-ce parce que le marché du
travail y est moins discriminant — moins « sélectif » — ou est-ce
parce que certaines catégories de femmes n’ont pas la possibilité
ou la volonté de se comptabiliser comme chômeuses ? Qu’en est-il
notamment de toutes celles qui auparavant exerçaient une acti-
vité à temps très partiel (moins de quinze heures hebdomadaires),
comme il en existe au Royaume-Uni, c’est-à-dire qui ne bénéfi-
cient d’aucune protection sociale et dont les revenus ne sont pas
soumis à l’impôt ? Ou bien encore, troisième hypothèse, est-ce
justement la présence de nombreux petits emplois à temps partiel,
de fait réservés aux femmes, qui permet à celles-ci de trouver plus
facilement du travail ? [Hegewisch, 1998].
Les mêmes questions se posent à propos de la durée du chômage.
En matière de chômage de longue durée (12 mois et plus), la
moyenne européenne place les femmes avant les hommes.
Mais dès que l’on fait éclater cette moyenne pour regarder la
situation pays par pays, des différences significatives apparaissent
et deux groupes se distinguent. Dans la majorité des pays, le
chômage de longue durée touche plus les femmes que les hommes.
Dans de nombreux cas cependant, c’est l’inverse. Ainsi en Irlande,
en Suède, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Finlande et au

Part du chômage de longue durée dans l’Europe des Quinze, 2002


(en %)

Pays Hommes Femmes

Europe des Quinze 38,5 41,8


Belgique 45,9 53,6
Danemark 17,1 22,4
Allemagne 46,0 50,3
Grèce 46,9 55,7
Espagne 29,7 37,6
France 31,0 34,4
Irlande 36,0 17,9
Italie 58,2 60,1
Luxembourg 28,6 26,5
Pays-Bas 26,8 26,4
Autriche 17,4 24,4
Portugal 34,8 36,1
Finlande 23,3 18,8
Suède 22,1 17,3
Royaume-Uni 26,8 17,1

Source : Eurostat, Enquête sur les forces de travail, 2002.


LE CHÔMAGE 35

Royaume-Uni, la part de chômage de longue durée est nettement


moins importante chez les femmes que chez les hommes.
Comment interpréter ces données ? S’agit-il, dans ces pays, d’une
plus grande capacité des femmes à retrouver du travail ou, au
contraire, d’une dilution du chômage de longue durée dans
l’inactivité ?
Plus que d’autres, la question du chômage féminin, on le voit
ici, porte en germe celle de l’inactivité contrainte : entre le
chômage découragé et l’inactivité forcée, où se situent les fron-
tières ? Comment se fait-il qu’une « femme qui ne travaille pas »
soit, dans tel pays et à telle époque, considérée comme chômeuse
alors qu’ailleurs ou en d’autres temps elle serait inactive ? Quelle
est la part de norme sociale qui, au-delà des règles d’indemnisa-
tion et d’inscription au chômage, pousse les femmes à se présenter
comme chômeuses ou à se définir comme inactives [Gauvin,
1998] ?
Questions sans réponses fermes ni définitives, mais qui ont le
mérite d’interroger sociologiquement les catégories statistiques, de
pointer les angles morts plutôt que de se focaliser sur les défauts
d’harmonisation. Savoir combien et qui sont les chômeurs n’est
pas seulement, n’est pas essentiellement un problème de comp-
tage. C’est avant tout une affaire de conventions : qui sont les
chômeurs ? Quelles sont les formes de non-emploi que l’on comp-
tabilise comme chômage ?
Par ailleurs, la question des frontières entre catégories ne se pose
pas aux marges. Elle est au cœur du sujet. Comme le souligne
Jacques Freyssinet [2002], une des caractéristiques essentielles de
la période actuelle réside précisément dans cette indétermina-
tion : « S’il est difficile de mesurer le chômage, c’est principale-
ment parce que des franges importantes de la population se
trouvent dans des positions intermédiaires entre l’emploi, l’inacti-
vité et le chômage. » En d’autres termes, le problème de la mesure
est indissociable de celui de la qualification et de l’identification du
phénomène [Maruani, 2002].
Ainsi on peut remarquer que, en mars 2002, la part des
personnes en « activité réduite », c’est-à-dire la différence entre
les deux modes de calcul des DEFM de l’ANPE, est de
403 500 personnes. Au-delà des conventions de mesure, cette diffé-
rence pointe une évolution sociale : la forte croissance, dans les
vingt dernières années, de situations d’emploi complexes, combi-
nant emploi à temps réduit ou très réduit, limité dans le temps,
et chômage (partiel ou total sur certaines périodes). Ce que
confirme aussi le développement du sous-emploi qui touche, en
2002, 1 361 000 personnes.
36 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

L’évolution du sous-emploi en France, 1993-2002


(effectifs en milliers)

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

Hommes 463 451 476 495 452 457 484 410 392 355
Femmes 887 1 010 1 047 1 077 1 164 1 164 1 132 1 106 1 062 1 006
Ensemble 1 350 1 461 1 523 1 572 1 616 1 621 1 616 1 516 1 454 1 361

Source : INSEE, Enquêtes emploi.

Sociologie du chômage

L’histoire de la sociologie du chômage est celle d’une série de


paradoxes qui témoignent d’une sorte de perplexité face à un objet
déroutant. Jusqu’à une période récente, le chômage n’a pas occupé
une place de premier rang dans les préoccupations et les probléma-
tiques sociologiques. Plus que tout autre problème social, il révèle
les difficultés de la sociologie du travail à sortir d’une approche du
monde du travail réduite à l’exercice d’une activité professionnelle.
Du point de vue de la sociologie du travail, le chômage demeure
une « situation sociale atypique » [Ledrut, 1966].

Marienthal, la tragédie du chômage

Marienthal, 1931 : tel est le lieu de la première enquête sociolo-


gique de renom sur le chômage. Ses auteurs : Paul Lazarsfeld, Marie
Jahoda, Hans Zeisel. Le lieu et la date n’ont, en soi, rien d’éton-
nant. Quoi de plus évident, dans l’Autriche des années 1930, que
d’étudier la situation des chômeurs ? Tout le reste l’est : les auteurs,
la méthode, le résultat. Que le tenant de l’objectivisme le plus
absolu, connu pour ses plaidoyers en faveur d’une formalisation
mathématique des faits sociaux, se penche sur le désespoir et la
révolte des chômeurs de Marienthal, voilà qui a de quoi surprendre
aujourd’hui encore.
Les Chômeurs de Marienthal constituent un ouvrage à part dans
l’œuvre de Paul Lazarsfeld. Pierre Bourdieu le souligne dans sa
préface à l’édition française, ce livre « est sans doute, de toutes les
œuvres de Paul Lazarsfeld, celle qui nous satisfait le plus
aujourd’hui, alors qu’elle est indiscutablement celle qui le satis-
fait le moins ». Lorsqu’il s’est penché sur les conditions de vie des
chômeurs, l’auteur du Vocabulaire des sciences sociales a délaissé la
volonté de démonstration mathématique pour se tourner vers
l’observation participante et l’interview biographique. Pour
LE CHÔMAGE 37

pénétrer dans la vie quotidienne des chômeurs de Marienthal, les


enquêteurs accumulent récits de vie et interviews, descriptions
minutieuses des budgets-temps et des repas, des vêtements et des
maladies, données historiques, statistiques et démographiques sur
le lieu de l’enquête.
Le résultat de ces investigations est une plongée dans l’univers
quotidien des chômeurs, un gros plan sur la fracture sociale que
produit l’irruption du chômage dans un petit village autrichien.
Désespoir, lassitude, résignation et révolte sont les mots-clefs de
cet ouvrage qui s’achève sur un plaidoyer : « C’était une démarche
scientifique qui nous avait menés à Marienthal. Nous en sommes
repartis avec un seul souhait : celui que disparaissent des occasions
d’enquête aussi tragiques. »

Chômage et plein emploi

La seconde étape marquante dans cette genèse de la sociologie


du chômage est l’ouvrage du même nom publié par Raymond
Ledrut. Parue en 1966, sa Sociologie du chômage constitue toujours
un ouvrage de référence — référence pour la définition de l’objet
plus que pour la situation décrite. Tel est en effet le second para-
doxe que de voir apparaître une sociologie du chômage en période
de quasi-plein emploi. L’ouvrage sort en 1966, mais la plupart des
données statistiques et sociologiques utilisées datent du début des
années 1960, c’est-à-dire d’une époque caractérisée par la pénurie
de main-d’œuvre plus que par le rationnement du travail.
Le chômage dont Ledrut traite n’a, a priori, rien à voir avec celui
que nous connaissons aujourd’hui : on ne peut pas penser la socio-
logie d’un chômage à 1 % de la même façon que celle d’un
chômage à 10 % de la population active. La thèse qu’il livre
demeure néanmoins d’actualité. Pour autant qu’on puisse la
résumer en quelques mots, elle nous dit ceci : le chômage est
d’autant plus sélectif qu’il est peu répandu. En période de plein
emploi, le chômage est une forme de paupérisme. Le chômeur des
temps de la prospérité est un sous-prolétaire qui cumule les
handicaps sociaux : la vieillesse, la déficience, la sous-qualifica-
tion, le fait d’être femme, etc. sont autant de facteurs d’« infério-
rité » économique et sociale, autant de conditions qui définissent
la faiblesse de l’employabilité.
À l’évidence, tout cela n’a rien à voir avec la situation actuelle.
Mais cette thèse permet de situer et de définir par différence les
caractéristiques du chômage de crise qui sévit depuis le premier
choc pétrolier. Si le chômage est devenu un problème social de
premier rang, c’est largement en raison de la prise de conscience de
38 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

sa généralité : si la figure du chômeur ne se confond plus avec celle


du pauvre, si toutes les catégories sociales sont potentiellement
concernées, alors il y a une question sociale d’envergure. Les débats
sur la sélectivité du chômage et l’employabilité différentielle des
chômeurs n’ont pas cessé [Gazier, 1990]. Bien au contraire, ces
concepts restent au centre d’une interrogation fondamentale sur
les caractéristiques sociales d’un chômage massif qui n’en demeure
pas moins sélectif : ceux qui peuvent devenir chômeurs sont
nombreux, mais tous ne le sont pas.
De l’ouvrage de R. Ledrut on retiendra, tout autant que ses thèses
et hypothèses sur la sélectivité, l’infériorité et l’employabilité,
l’affirmation de la spécificité de l’approche sociologique du
chômage : pour le sociologue, le chômage est une réalité sociale
et non un indice économique, un fait social qui concerne toute
une société même s’il n’affecte directement qu’une partie de ses
membres. De la même façon, Les Chômeurs de Marienthal conti-
nuent de désigner l’espace de la sociologie du chômage : c’est le
vide entre les « statistiques officielles » et les « impressions, tout
aléatoires, du reportage social » que Lazarsfeld et ses coauteurs ont
tenté de combler. Soixante-dix ans plus tard, il n’y a plus à propre-
ment parler de vide, mais l’espace est loin d’être totalement
comblé.

Genèse d’une catégorie

À ces deux notables exceptions près, l’analyse du chômage est


longtemps restée l’apanage de l’économie. Il a fallu attendre près
d’une dizaine d’années après le début de la montée en puissance
du chômage pour que des travaux sociologiques se développent.
Incontestablement, l’impulsion majeure est venue des approches
historiques, des réflexions sur la genèse de la catégorie
« chômage ».
La notion de chômage date du dernier quart du XIXe siècle. Au
tournant des années 1870, le terme est référé à la situation des
ouvriers involontairement privés de travail, c’est-à-dire licenciés.
Tel est le point de départ de L’Invention du chômage [Salais, Baverez
et Reynaud, 1986] qui retrace l’histoire de la construction de la
catégorie chômage. Il s’agit, pour les auteurs de l’ouvrage, de
mettre en évidence le travail de formalisation mené par les agents
économiques. À la fin du XIXe siècle, la statistique et le droit inven-
tent ainsi le contrat de travail qui lie le patron au travailleur au
sein d’une organisation économique déterminée, l’établissement.
Le chômage s’apparente alors à une suspension de travail. Durant
la crise des années 1930, l’entreprise et les institutions de gestion
LE CHÔMAGE 39

du chômage deviennent les lieux privilégiés de la construction des


catégories : la première définit l’« emploi salarié », la seconde, le
« chômeur ». Enfin, troisième phase, l’immédiat après-guerre voit
la mise en place de la « convention keynésienne de plein emploi »
qui fonde l’intervention de l’État dans le maintien du plein emploi.
L’apport essentiel de ces travaux est de montrer, à travers une
réflexion diachronique, que « le chômage, c’est une certaine
gestion sociale de l’incertain économique » : « Loin d’être une
forme naturelle que seuls les progrès de la science, économique et
sociale, auraient permis — tardivement — de découvrir, le
chômage est, au contraire, une catégorie historique et sociale,
susceptible à ce titre de transformations plus ou moins étendues. »
[Salais, 1988.]
Prolongeant cette perspective historique, Christian Topalov
[1994] étudie le rôle déterminant des réformateurs sociaux du
début du XX e siècle en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en
France. Ces travaux montrent comment notre définition
« moderne » du chômage est le produit de l’élaboration théorique
de réformateurs sociaux qui tentent de mettre en place des dispo-
sitifs d’intervention sur les « pauvres ». Dans cette optique, ce sont
les politiques sociales qui ont contribué à l’invention du chômage.
D’autres travaux, plus récents, appréhendent l’histoire du
chômage à partir de celle des institutions du service public de
l’emploi. Dans Le Pointage ou le placement, histoire de l’ANPE,
Martine Muller [1991] resitue le rôle de l’agence dans l’organisation
du marché du travail et l’émergence de la conception du « place-
ment » comme service rendu aux employeurs et aux demandeurs
d’emploi. Ses recherches mettent au centre l’analyse des normes,
règles et institutions qui gèrent le chômage et les chômeurs.
Cet ensemble de réflexions sur l’histoire du chômage, qu’il
émane de sociologues, d’économistes, de statisticiens ou d’histo-
riens, a incontestablement ouvert une brèche [Michon, 1975]. Il a
permis de rompre avec le présupposé selon lequel le chômage est
une donnée purement économique autour de laquelle la sociologie
ne peut que broder. L’idée même de genèse, d’histoire sociale d’une
catégorie porte en germe celle de construction sociale : en l’occur-
rence, elle met la sociologie en position de réfléchir à la production
du chômage tout autant qu’à ses effets.

Sociologie des formes de chômage

L’analyse du vécu du chômage demeure néanmoins un des


registres privilégiés de la sociologie. Le début des années 1980 a
vu le développement de travaux sociologiques qui ont contribué à
40 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

casser l’unicité du statut de chômeur en mettant en évidence la


pluralité des façons de vivre l’épreuve du chômage [Schnapper, 1981],
la diversité des facteurs et formes de l’expérience du chômage
[Balazs, 1983], la variété des vécus du chômage des jeunes [Le
Mouel, 1981]. Dans cet ensemble de recherches, l’accent est mis sur
les manières, différentes selon les individus et groupes sociaux, de
vivre ce « statut dérivé de l’emploi » [Schnapper, 1989].
Dans la période plus récente, à partir de la fin des années 1980,
la sociologie du chômage a élargi ses perspectives dans plusieurs
directions. De nombreux travaux sont partis de l’analyse des poli-
tiques publiques de lutte contre le chômage : évaluation de tel ou
tel dispositif public [Sibille, 1989], réflexions sur le rôle et les fonc-
tions de l’indemnisation, interrogations sur l’impact des dispo-
sitifs de lutte contre le chômage sur l’emploi de certaines catégories
d’actifs [DARES, 2003 ; Charpail, Gélot, Gubian et Zilberman in
INSEE, 1999].
Dressant le bilan des politiques de l’emploi menées de 1973 à
1998, N. Holcblat, P. Marioni et B. Roguet [in INSEE, 1999] mettent
en évidence la succession de plusieurs phases qui se distinguent par
l’importance accordée à telle ou telle catégorie de chômeurs dans la
lutte contre la sélectivité du marché du travail. Après une période
de mesures spécifiques aux deux extrémités de la vie active
(1976-1982), de 1983 à 1988, la priorité est à la lutte contre le
chômage des jeunes. La reprise économique des années 1989-1990
met en lumière les risques d’exclusion d’autres catégories, les
chômeurs de longue durée et ceux de plus de 50 ans. En 1991-1992,
le ralentissement de l’activité incite à un redéploiement des poli-
tiques de l’emploi : renouvellement de certains dispositifs visant
les jeunes chômeurs, intensification des actions en faveur des
chômeurs de longue durée, mais aussi incitations au développe-
ment des emplois de services aux personnes.
La loi quinquennale sur l’emploi (1993), la loi de Robien (11 juin
1996) et les lois Aubry (13 juin 1998 et 19 janvier 2000) ont forte-
ment mis l’accent sur la réduction du temps de travail associée, à
travers la négociation d’entreprise, à des promesses d’embauche et
à des aménagements des horaires de travail (notamment par
l’annualisation), l’État intervenant pour compenser les coûts de
telles réductions pour les employeurs. Des dispositifs spécifiques
d’accès à l’emploi (les « emplois-jeunes ») sont mis en place (1997)
dans le secteur non marchand et notamment le secteur public.
Enfin, une baisse des charges sur les salaires des moins qualifiés
tente d’agir sur l’emploi par la réduction des coûts salariaux.
La seconde tendance notable est le développement des études
sur la diversification des formes du chômage. À l’origine centrées
LE CHÔMAGE 41

Le chômage de longue durée

Le développement d’un chômage de longue durée est une caractéristique récente


de l’évolution des marchés du travail en France. En 1974 [Gauvin, 1992], les
chômeurs de longue durée représentaient 12 % des demandeurs d’emploi. En
mars 2002, 32,2 % étaient inscrits depuis plus d’un an, soit 652 600 personnes
[ANPE, in DARES, 2003].

sur le chômage de longue durée qui se développait rapidement au


début des années 1990 [Bouillaguet et Guitton, 1992 ; Benoît-
Guilbot et Gallie, 1992 ; Demazière, 1992, 1995], ces études ont
eu des conséquences théoriques importantes sur la conception
même du chômage. L’attention, détournée des seules caractéris-
tiques individuelles des chômeurs, s’est portée sur les dimensions
constituantes du phénomène lui-même et leur portée explicative
en rapport avec le marché du travail : le mode d’entrée en chômage
et la structure de la carrière professionnelle antérieure, la durée
même du chômage avec ses étapes propres, l’influence des événe-
ments jalonnant cette durée (indemnisation, passage dans les
divers dispositifs des politiques d’emploi…), le mode de sortie du
chômage et ses conséquences à moyen terme (type d’emploi,
revenu, précarité).
Ainsi, d’une conception du chômage comme indicateur des
tensions sur le marché du travail, on passe à celle d’un univers
complexe, parcouru de régulations propres, balisé par des institu-
tions spécifiques et où des individus ont à élaborer des stratégies
sur la durée. Pour forcer le trait, un univers professionnel « comme
un autre », où il est compréhensible que les individus au chômage
élaborent des stratégies complexes qui tiennent compte des
contraintes institutionnelles comme des possibilités qui leur sont
accessibles.
Des recherches conduites sur les interactions entre chômeurs et
agents de l’ANPE ont montré que les chômeurs ont un rôle actif
dans la définition de leur situation et dans leur classement dans
les différentes catégories d’intervention administrative [Demazière,
1992]. Ce rôle actif ne se limite pas, bien entendu, à un simple
ajustement à la situation extérieure et surtout pas à une unique
variable : leur niveau de revenu, qu’affecteraient de manière déter-
minante le montant et la durée de l’indemnisation du chômage.
Rappelons ici que cette indemnisation ne concerne qu’un peu plus
de la moitié des demandeurs d’emploi.
Plusieurs analyses de « panels » (c’est-à-dire d’échantillons
utilisés de manière répétitive) de chômeurs (ANPE-INSEE) [Gauvin,
1992] sont arrivées à des résultats extrêmement nuancés : les sorties
42 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

du chômage se concentrent, en effet, à l’arrêt de l’indemnisation.


Certaines de ces sorties se font vers l’inactivité (les chômeurs
renoncent). Un bon nombre se fait par les stages (la période où le
chômeur est classé « de longue durée » lui ouvre droit à des stages
de formation nombreux) d’autant plus qu’un certain nombre
d’autres stages sont enregistrés dans « retour à l’emploi » lorsqu’ils
se font sous le régime des « contrats ».

Chômage, niveaux de salaire et qualifications

Ces remarques engagent à la plus grande prudence sur l’interpré-


tation du lien entre sortie du chômage et arrêt de l’indemnisation.
Il ne s’agit en aucun cas d’un nouvel équilibre, obtenu par l’ajus-
tement « automatique » à la baisse du salaire de réservation, c’est-
à-dire du niveau d’exigence du chômeur. Ce niveau d’exigence,
soutenu par le « refus de déchoir », est pourtant — selon Philippe
d’Iribarne — ce qui en dernière instance permet d’expliquer la
permanence et l’étendue du chômage de longue durée en France
puisqu’il est un puissant mécanisme de rigidité du marché du
travail [d’Iribarne, 1990].
Outre que les recherches sur le sujet montrent au contraire qu’il
y a plutôt un lien entre hauts niveaux d’exigences et rapidité de
reclassement [Gauvin, 1992], il semble surtout que ce raisonne-
ment, trop fixé sur l’orthodoxie économique et sur le rôle à peu
près exclusif accordé aux prix dans le fonctionnement des marchés
du travail, passe à côté des stratégies effectivement conduites par
les chômeurs, comme de leur enjeu de fond : éviter la sortie du
chômage « par le bas ». Il ne s’agit pas là de refuser un « nouveau
départ dans la vie », qui pourrait se faire au prix d’une situation
temporairement moins élevée que celle qu’on occupait, mais bien
d’éviter d’amorcer une spirale de déqualification qui pourrait
aboutir à l’exclusion du marché du travail à travers des emplois
précaires successifs.
Lorsque la qualification est peu élevée, peu définie, le travailleur
ne peut que difficilement se distinguer du poste qu’il occupe : une
déqualification est, dans ce cas, à peu près irréversible. Le risque est
réel en effet. Certains travailleurs précaires qui alternent emplois
de courte durée et périodes plus ou moins durables de chômage
ne sont peut-être pas enregistrés comme « chômeurs de longue
durée » : leur niveau et leurs conditions de vie, leur statut social
sont pourtant — et cela durablement — ceux de chômeurs en voie
d’exclusion [Herpin, 1992].
Certains des « choix » qu’ont à faire les chômeurs sont lourds
de conséquences à moyen terme et c’est l’anticipation de ces
LE CHÔMAGE 43

conséquences, plus connues maintenant, qui oriente la conduite


des chômeurs et leurs décisions. Il existe bien des stratégies de
recherche d’emploi, qui utilisent les ressources de l’indemnisation
— et les droits à la formation — pour optimiser les présentations
sur le marché du travail, mais qui ne se bornent pas à s’ajuster aux
évolutions de ses montants [Reynaud, 1993].
C’est aussi une des hypothèses qui sous-tendent la mise en
œuvre, en juillet 2001, du PARE (Plan d’aide au retour à l’emploi),
après une longue négociation entre les partenaires sociaux parties
prenantes de l’Unedic et l’accord de l’État. Le PARE se compose
d’une allocation non dégressive dans le temps (pendant trente
mois puis, depuis décembre 2002, pendant vingt-quatre mois) pour
ce qui est de l’indemnisation et d’un plan personnalisé d’accès à
l’emploi (PAP), conduit par l’ANPE, qui doit faire bénéficier chaque
demandeur d’emploi de prestations (formation, bilan de compé-
tences, appui…) adaptées à sa situation par rapport au marché du
travail. Ce dispositif accentue le rôle d’intermédiation de l’Agence
entre le demandeur d’emploi et le marché du travail, comme son
contrôle sur la réalité de la recherche d’emploi du chômeur. C’est
donc la reconnaissance du fait qu’il existe de plus ou moins bonnes
stratégies de recherche et que l’intervention de l’opérateur public
consiste aussi à guider et outiller ces stratégies, quelles que soient
les évolutions du marché du travail.
III / Secteurs d’activité et formes d’emploi

Montée des activités tertiaires et multiplication des formes


d’emploi « atypiques » : ces deux tendances permettent de caracté-
riser les modalités de l’évolution de l’emploi en France et dans la
plupart des pays de l’Europe des Quinze. Les modifications de la
répartition sectorielle des emplois renvoient à une série de
tendances longues qui débouchent sur un constat unanime : la
« tertiarisation » du monde du travail. L’évolution des formes
d’emploi, en revanche, montre un parcours plus accidenté qui a
alimenté un certain nombre de controverses. Segmentation du
marché du travail, dualisme, précarisation, déstabilisation : les
termes du débat sont multiples et les réponses diverses.

Secteurs d’activité et groupes sociaux

L’histoire de l’évolution des emplois par secteur est une autre


façon d’appréhender les recompositions de la population active :
dans quels secteurs d’activité se répartissent les titulaires d’un
emploi ? À quel groupe ou catégorie sociale appartiennent-ils ?

La prédominance du tertiaire

Dans les années 1930, chacun des trois grands secteurs — agri-
culture, industrie, services — occupait un tiers des actifs [Marchand
et Thélot, 1997]. Soixante-dix ans plus tard, c’est le tertiaire qui
domine : plus des deux tiers des actifs travaillent dans les services,
26 % dans l’industrie et 5 % dans l’agriculture.
La montée des emplois tertiaires et la diminution des actifs agri-
coles constituent deux tendances longues qui se déroulent durant
tout le XX e siècle avec de fortes accélérations depuis les
années 1950. Entre 1955 et 1996, la part des emplois agricoles dans
SECTEURS D’ACTIVITÉ ET FORMES D’EMPLOI 45

l’ensemble de la population active occupée passe de 26 % à 5 %.


Pendant le même laps de temps, celle des emplois tertiaires va de
40 % à 70 %.
Le déclin de l’industrie, en revanche, est beaucoup plus récent
— il commence après le premier choc pétrolier, en 1974 — et de
bien plus faible ampleur : en 1990, 26 % des emplois se situent
dans l’industrie (y compris le BTP) contre 39 % en 1974 et 34 % en
1955.

Répartition sectorielle des emplois*, France, 1955-1996


(en % arrondis)

1955 1962 1968 1974 1980 1985 1990 1996

Agriculture 26 20 16 11 9 7 6 5
Industrie et
bâtiment 34 36 37 39 35 32 29 26
Tertiaire 40 44 47 51 56 61 65 70
Ensemble en % 100 100 100 101 100 100 100 100

* Il s’agit de la population active ayant un emploi.


Source : Marchand et Thélot, op. cit.

Répartition sectorielle des emplois, Union européenne, 2002


(en %)

Part de l’emploi dans Agriculture Industrie Tertiaire Total


et bâtiment

Europe des Quinze 4 28 68 100


Belgique 2 26 72 100
Danemark 3 24 73 100
Allemagne 2 33 65 100
Grèce (1998) 16 22 62 100
Espagne 6 31 63 100
France 4 25 71 100
Irlande 7 28 65 100
Italie 5 32 63 100
Luxembourg 2 20 78 100
Pays-Bas 2 19 69 100
Autriche 6 29 65 100
Portugal 12 34 54 100
Finlande 6 27 67 100
Suède 3 23 74 100
Royaume-Uni 2 24 74 100

Chiffres arrondis ; calculs des auteurs.


Source : Eurostat, Enquête sur les forces de travail, 2002.
46 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Cette prédominance du tertiaire n’est évidemment pas propre à


la France. Elle se retrouve dans la plupart des pays de l’Union euro-
péenne : la part de l’emploi tertiaire dans l’ensemble des activités
s’établit, en moyenne, à 68 %. Un certain nombre de pays s’écar-
tent de cette « moyenne » : l’Allemagne, où l’industrie regroupe
33 % des actifs ; la Grèce et le Portugal dans lesquels l’agriculture
occupe (encore ?) une place importante.

Cadres, employés et ouvriers

Ces évolutions ont produit de véritables bouleversements des


structures sociales qui ne se réduisent pas à la fin, mille fois
annoncée mais jamais établie, de la classe ouvrière. En 1999, en
France, la majorité des actifs se répartit entre trois groupes sociaux
d’importance comparable : les ouvriers, les employés, les profes-
sions intermédiaires (cf. tableau p. 47).
Dans la période récente (1982-1999), le nombre de cadres et de
professions intermédiaires a très fortement augmenté. Ces progres-
sions sont dues, pour une bonne part, à la croissance de l’activité
féminine dans ces catégories. Le nombre de femmes occupant
des professions intermédiaires a crû de un million (500 000
pour les hommes), celui des femmes cadres de 593 000 (575 000
pour les hommes). Du côté des employés, la progression
globale est le produit de deux mouvements différents : stagnation
pour les hommes, très forte augmentation pour les femmes
(+ 1 058 000).
Le déclin des emplois ouvriers, en revanche, est le lot de tous,
hommes et femmes, de même que celui des exploitants agricoles.
En ce qui concerne les artisans, commerçants et chefs d’entreprise
enfin, on observe une diminution plus importante chez les femmes
que chez les hommes.

La persistance des mécanismes de ségrégation

L’importante croissance du nombre de femmes parmi les cadres


et professions intermédiaires ne saurait masquer la persistance
d’une forte ségrégation, à la fois horizontale (concentration des
emplois féminins dans un petit nombre de secteurs d’activité et de
professions) et verticale (concentration des emplois féminins dans
les catégories situées au bas de la hiérarchie professionnelle).
Sur les 31 catégories socioprofessionnelles que recense l’INSEE,
6 regroupent près de 61 % des femmes actives. Il s’agit des
employés de la fonction publique, des employés administratifs
Population active ayant un emploi par catégorie socioprofessionnelle (1982, 1990, 1999)
(effectifs en milliers)

Hommes Femmes Ensemble

1982 1990 1999 1982 1990 1999 1982 1990 1999

Agriculteurs 923 625 428 546 366 199 1 470 991 627
exploitants 7,1 % 4,9 % 3,4 % 6,5 % 3,9 % 1,9 % 6,8 % 4,5 % 2,7 %

Artisans, commerçants, 1 209 1 196 1 101 610 560 425 1 819 1 756 1 526
chefs d’entreprise 9,3 % 9,3 % 8,7 % 7,2 % 5,9 % 4,1 % 8,5 % 7,9 % 6,6 %

Cadres et professions 1 400 1 804 1 975 457 800 1 050 1 857 2 604 3 025
intellectuelles 10,8 % 14,1 % 15,6 % 5,4 % 8,5 % 10,1 % 8,7 % 11,7 % 13,1 %
SECTEURS

Professions 2 287 2 489 2 778 1 526 1 963 2 540 3 813 4 452 5 318
intermédiaires 17,6 % 19,4 % 21,9 % 18,0 % 20,8 % 24,5 % 17,8 % 20,0 % 23,1 %

Employés 1 544 1 406 1 631 3 956 4 493 5 014 5 500 5 898 6 645
D’ACTIVITÉ

11,9 % 11,0 % 12,8 % 46,8 % 47,0 % 48,5 % 25,6 % 26,5 % 28,8 %


ET

Ouvriers 5 643 5 288 4 789 1 364 1 243 1 120 7 007 6 532 5 909
(y compris ouvriers agricoles) 43,4 % 41,3 % 37,7 % 16,1 % 13,2 % 10,8 % 32,6 % 29,4 % 25,6 %
FORMES

Ensemble 13 006 12 808 12 702 8 460 9 425 10 349 21 466 22 233 23 051
100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %
D’EMPLOI

Source : INSEE, recensements de 1982, 1990 et 1999 et calculs des auteurs.


47
48 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

d’entreprise, des employés de commerce, des personnels de service


aux particuliers, des instituteurs et des professions intermédiaires
de la santé.
Ce phénomène est loin d’être particulier à la France. Toutes les
recherches menées à l’échelle de l’Europe le montrent [Meulders,
Plasman et Vander Stricht, 1993 ; Maruani, 1992 ; Rubery et al.,
1998] : la majorité des emplois féminins reste concentrée dans
quelques secteurs d’activité et regroupée sur un petit nombre de
professions déjà fortement féminisées. Les possibilités d’accès à des
postes élevés dans la hiérarchie demeurent fort modestes pour la
plupart des femmes.
Du point de vue de la répartition par professions, on observe
une sorte de bipolarisation à l’intérieur de la population active
féminine :
— des emplois féminins qualifiés se développent dans certains
secteurs permettant à des femmes d’accéder à des professions intel-
lectuelles, scientifiques et techniques (cadres supérieurs du secteur
public, enseignantes, médecins, avocats, etc.) ;
— la féminisation massive et généralisée des professions admi-
nistratives se renforce en même temps que la concentration des
femmes dans les emplois peu qualifiés de l’administration et des
services.

Emplois de services ou travaux serviles ?

La tertiarisation du monde du travail, le développement des


professions et emplois de services débouchent aujourd’hui sur une
réflexion sur les bienfaits et méfaits de la « société tertiaire » : les
services, créateurs d’emplois ou producteurs de « travaux
serviles » ? Tels sont très schématiquement les termes du débat
[Lallement, 1998]. Pendant que les uns mettent en avant les « gise-
ments d’emplois » potentiels de ce secteur, voyant dans le dévelop-
pement des activités de services le « futur de l’emploi » [Gaspard,
1988], d’autres dénoncent ces prestations qui ne sont que des
« travaux de serviteurs » [Gorz, 1997].
Posé en ces termes, le débat est plus politique que sociolo-
gique. Car lorsque l’on dit « emplois tertiaires » ou « activités de
services », de quoi parle-t-on au juste ? À l’évidence, il ne s’agit pas
d’un secteur homogène — ni du point de vue des professions, ni de
celui des qualifications, et encore moins de celui des emplois : s’y
côtoient une multitude de catégories socioprofessionnelles qui ne
constituent ni un groupe social, ni une catégorie professionnelle,
ni une classe sociale.
SECTEURS D’ACTIVITÉ ET FORMES D’EMPLOI 49

Dans cette polémique, ce n’est pas l’évolution de l’ensemble du


tertiaire qui pose problème, mais l’essor de tout le secteur des
« services aux personnes ». Or, celui-ci s’effectue à travers une
transformation radicale dans la définition sociale de ce qu’est un
emploi : le développement, sous forme d’emplois de services de
certaines activités qui, traditionnellement, relèvent de la sphère
domestique (garde de personnes âgées ou de jeunes enfants,
travaux de ménage ou de restauration à domicile, etc.). La ques-
tion sous-jacente est donc celle de la légitimité de la transforma-
tion d’un certain nombre de fonctions en activités salariées. C’est
également celle de la très forte féminisation de ces emplois : la
« modernité » ne se construit-elle pas, dans ce secteur, sur la plus
traditionnelle division du travail entre les sexes [Fraisse, 1998 ;
Angeloff, 2003] ?
Pour la sociologie du travail, les activités de services demeurent
néanmoins une découverte relativement récente. Longtemps foca-
lisée sur la figure emblématique de l’ouvrier de métier, la socio-
logie du travail ne s’est intéressée que rarement au travail et aux
travailleurs du secteur tertiaire, à l’exception, notable, de Michel
Crozier [1963]. Des études portant sur des professions ou des caté-
gories professionnelles ont permis de mieux cerner ce que sont
certains métiers du tertiaire : les cadres [Groux, 1983], les employés
[Chenu, 1994 ; Alonzo, 1996], les infirmières [Kergoat et al., 1992],
etc. Ces recherches apportent des connaissances sur la nature et les
conditions du travail effectué, sur les identités professionnelles de
ces groupes de salariés, sur les types de relations professionnelles et
les formes de conflictualité qui se rencontrent dans ces secteurs.
En ce qui concerne les mouvements et formes d’emploi, c’est le
développement de recherches sur les politiques de gestion de la
main-d’œuvre dans les services [Gadrey, 1991 ; Barreau, 1995] qui a
permis d’identifier l’extrême dispersion qui caractérise ce secteur.
En matière de statut des emplois, l’hétérogénéité est totale : le
tertiaire a son noyau dur d’emplois à « statut » (fonctionnaires,
salariés des entreprises publiques), en même temps que toute la
gamme des formes d’emploi atypiques (intérim, contrat à durée
déterminée, temps partiel, stages divers, etc.). De ce point de vue,
on peut même dire que certains secteurs du tertiaire ont constitué,
depuis une dizaine d’années, une sorte de terrain d’essai des
« nouvelles formes d’emploi ». Ainsi en est-il par exemple de la
grande distribution, du nettoyage industriel, de l’hôtellerie-restau-
ration, etc. De fait, une bonne part de la réflexion sur l’évolution
des formes d’emploi s’appuie désormais sur des recherches portant
sur le secteur tertiaire.
50 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Statuts et formes d’emploi

L’analyse des formes d’emploi constitue une sorte de trait


d’union entre différentes disciplines s’intéressant à l’emploi. Pour
les juristes, l’interrogation porte sur la nature du contrat de travail,
sur l’évolution d’un droit de l’emploi qui ne se confond pas avec
le droit du travail. Pour les économistes, c’est la segmentation du
marché du travail et, plus largement, la régulation économique qui
constituent le cœur du sujet. Pour les sociologues, le développe-
ment des formes particulières d’emploi pose de nouveau toute la
question de la production des clivages sociaux et de ses consé-
quences sur le travail. En tout état de cause, l’essor des formes
d’emploi dites « atypiques », « nouvelles » ou « particulières » ne
peut se comprendre qu’en liaison avec la généralisation du salariat.

La progression du salariat

En l’espace de quarante ans, la prédominance du salariat s’est en


effet transformée en quasi-hégémonie. En 1954, les deux tiers des
actifs étaient salariés ; en 1968, c’était le cas des trois quarts d’entre
eux ; en 2002, ils sont 89 %.
Dans cette progression, une constante : développement du sala-
riat et montée de l’activité féminine vont de pair. En France, à
partir de 1975, et probablement pour la première fois dans
l’histoire du salariat, les femmes sont, en proportion, plus salariées
que les hommes. À cette date, sur 100 femmes qui travaillent, 85
sont salariées (contre 82 % pour les hommes).
Cette tendance se retrouve dans la quasi-totalité des pays euro-
péens. Pour l’ensemble de l’Europe des Quinze, le taux de salari-
sation des femmes s’établit autour de 89 %, celui des hommes
autour de 81 %. Ceci est le résultat d’un mouvement parfaite-
ment homogène : la croissance du salariat, dans les deux dernières
décennies, a été plus rapide et plus forte pour les femmes que pour
les hommes. Deux pays font cependant exception. Au Royaume-
Uni, il diminue, plus fortement pour les hommes que pour les
femmes. Au Danemark, il augmente plus vite pour les hommes que
pour les femmes tout en restant supérieur chez celles-ci. Mais dans
tous les autres pays, le mouvement de salarisation a été largement
le fait des femmes. En Allemagne, en Belgique et en Italie, le taux
de salarisation des hommes stagne ou diminue pendant que celui
des femmes continue d’augmenter. En France, au Luxembourg et
au Portugal, il augmente plus vite pour les femmes que pour les
hommes. Dans certains pays de l’Europe du Sud, on assiste à un
phénomène de « rattrapage » qui touche massivement les femmes.
SECTEURS D’ACTIVITÉ ET FORMES D’EMPLOI 51

Taux de salarisation, Europe des Quinze, 1983-2002


(en %)

Hommes Femmes

1983 2002 1983 2002

Europe des Quinze – 81 – 89


Allemagne 88 87 87 92
Autriche – 85 – 88
Belgique 82 83 81 87
Danemark 82 88 90 95
Espagne 1 71 78 67 84
Finlande – 84 – 91
France 82 87 84 92
Grèce 50 58 45 64
Irlande 70 75 86 93
Italie 70 69 74 79
Luxembourg 88 90 86 95
Pays-Bas 88 87 88 91
Portugal 1 70 71 65 75
Royaume-Uni 87 84 94 93
Suède – 85 – 94

1. Espagne et Portugal 1987 au lieu de 1983.


Source : Eurostat, Enquêtes sur les forces de travail.

Ainsi, en Grèce, le taux de salarisation croît de 19 points pour les


femmes et de 8 pour les hommes entre 1983 et 2002. En Espagne,
sur une période plus courte, de 1987 à 2002, le taux de salarisation
des femmes passe de 67 % à 84 %, celui des hommes de 71 % à
78 %.
De ces données se dégagent deux enseignements :
— la croissance de la population active féminine s’est faite, dans
une très large mesure, par le biais du salariat ;
— c’est l’activité féminine qui, dans les vingt dernières années,
a porté le mouvement de salarisation des forces de travail.
Soulignons par ailleurs que le mouvement de salarisation n’a pas
le même sens pour les hommes et les femmes. Tout d’abord, parce
que la catégorie « emplois non salariés » recouvre des réalités
sociales fort différentes. Elle regroupe les travailleurs indépen-
dants et chefs d’entreprise (qui, dans leur grande majorité, sont
des hommes) et les aides familiaux (qui, pour l’essentiel, sont des
femmes). En second lieu, la salarisation a, pour les femmes, des
implications qui vont bien au-delà de l’univers professionnel : pour
les femmes salariées, le statut professionnel ne dépend plus du
statut d’épouse. Professionnellement, les femmes salariées ne sont
52 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

plus « femme de » (commerçant, artisan, agriculteur). Pour les


hommes, il s’agit d’un changement de statut professionnel : passer
du statut de travailleur indépendant à celui de travailleur salarié.
Pour les femmes, c’est une modification du statut social : le salariat,
pour elles, est synonyme d’autonomie professionnelle et familiale.

La multiplication des « formes particulières d’emploi »

Sur cette toile de fond, constituée par la généralisation du sala-


riat, des « formes particulières d’emploi » se sont développées,
notamment depuis la fin des années 1970. Cette floraison de
formes d’emploi atypiques ne peut se comprendre qu’en liaison
avec la salarisation : les formes particulières d’emploi, dans leur
acception contemporaine, se situent pour l’essentiel à l’intérieur du
salariat. Elles englobent tous les types d’emploi qui, d’une manière
ou d’une autre, dérogent à la norme du travail sur contrat à durée
indéterminée pour une durée hebdomadaire de trente-cinq heures.
Deux sortes de formes particulières d’emploi peuvent être distin-
guées (même si elles se recouvrent parfois) :
— celles qui dérogent à la norme du point de vue de la durée
et de la stabilité du contrat de travail : ce sont les contrats à durée
déterminée (CDD), l’intérim, les divers stages, etc. ;
— celles qui se distinguent du point de vue de la norme du temps
de travail : il s’agit là du travail à temps partiel.
En France, si l’on fait le compte de l’ensemble des formes parti-
culières d’emploi, ce sont près de 6 millions d’actifs qui sont
concernés — dont 4 millions à temps partiel.
Dans les pays voisins, les formes particulières d’emploi se
développent de façon très diverse. En dépit des difficultés d’har-
monisation des données — les modalités de la diversification
des formes d’emploi sont variables d’un pays à un autre —, le
tableau des « emplois temporaires » en Europe montre de sérieuses
différences. La part des emplois temporaires dans l’emploi salarié
s’étage de 31 % en Espagne à 4 % au Luxembourg.
De la même façon, le travail à temps partiel connaît des fortunes
diverses. Une constante, cependant : qu’il soit peu ou très répandu,
le travail à temps partiel demeure le domaine réservé des femmes.
Mais si la féminisation est générale, sa pratique est inégale. Une
coupure géographique nette marque les frontières : le travail à
temps partiel est le fait des femmes de l’Europe du Nord, celles de
l’Europe du Sud n’y ayant recours que de façon marginale. Dans
cinq pays de l’Europe du Nord, plus du tiers, parfois même plus de
la moitié des femmes actives travaillent à temps partiel : c’est le cas
aux Pays-Bas, en Suède, au Royaume-Uni, en Belgique et en
SECTEURS D’ACTIVITÉ ET FORMES D’EMPLOI 53

Conditions et formes d’emploi en France

Mars Mars Mars Mars Mars


1998 1999 2000 2001 2002

Population active occupée (milliers)

Ensemble 22 479 22 672 23 261 23 759 23 942


Hommes 12 496 12 550 12 844 13 105 13 103
Femmes 9 983 10 122 10 417 10 654 10 839

Proportion d’actifs à temps partiel (%)

Ensemble 17,1 17,2 16,9 16,4 16,2


Hommes 5,6 5,5 5,4 5,0 5,1
Femmes 31,6 31,6 31,0 30,4 29,7

Statut des emplois (en milliers)

Non-salariés 2 781 2 745 2 639 2 583 2 575


Salariés dont : 19 698 19 927 20 622 21 176 21 367
Intérimaires 405 438 540 605 514
CDD 1 890 877 959 929 897
Apprentis 253 272 281 260 274
2
Contrats aidés 399 418 455 408 421

1. Contrats à durée déterminée (hors État, collectivités locales).


2. Contrats d’aide à l’emploi (CES, CIE…) et stages de la formation professionnelle classés
dans l’emploi au sens des critères du BIT.
Source : Enquêtes emploi, INSEE Première, nº 857, juillet 2002.

Part des emplois temporaires dans l’emploi salarié


Europe des Quinze, 1983-2002
(en %)

1983 1985 1987 1989 1994 1999 2002

Belgique 5,4 6,9 5,6 5,1 5,1 10,3 7,6


Danemark – 12,3 11,2 9,9 12,0 10,2 8,9
Allemagne – 10,0 11,6 11,0 10,3 13,1 12,0
Grèce 16,3 21,2 16,6 17,2 10,3 13,1 11,3
Espagne – – 15,6 26,6 33,7 32,7 31,2
France 3,3 4,7 7,1 8,5 11,0 14,0 14,1
Irlande 6,2 7,2 8,6 8,6 9,4 7,7 5,3
Italie 6,6 4,8 5,4 6,3 7,3 9,8 9,9
Luxembourg 3,3 4,7 3,5 3,4 2,9 3,4 4,3
Pays-Bas 5,7 7,5 9,2 8,5 10,9 12,0 14,3
Autriche – – – – – 7,5 7,4
Portugal – – 17,0 18,7 9,4 18,6 21,8
Finlande – – – – – 18,2 17,3
Suède – – – – – 13,9 15,7
Royaume-Uni 5,5 5,7 6,3 5,4 6,5 6,8 6,1

Source : Eurostat, Enquêtes sur les forces de travail.


54 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

L’emploi à temps partiel, Europe des Quinze, 2002

En % de En % de En % de
l’emploi total l’emploi féminin l’emploi masculin

Europe des Quinze 18 34 7


Belgique 19 38 6
Danemark 21 31 11
Allemagne 21 40 6
Grèce 5 8 2
Espagne 8 17 3
France 16 30 5
Irlande 17 31 7
Italie 9 17 4
Luxembourg 12 26 2
Pays-Bas 44 73 22
Autriche 19 36 5
Portugal 11 16 7
Finlande 12 17 8
Suède 21 33 11
Royaume-Uni 25 44 9

Source : Eurostat, Enquête sur les forces de travail, 2002.

Allemagne. À l’autre extrémité, en Grèce, en Italie et au Portugal,


ce sont autour de 15 % des actives. Entre ces deux pôles se trouvent
la France, le Luxembourg et l’Irlande.

Précarité et chômage

Ce qui réunit ces diverses formes d’emploi, ce n’est pas seule-


ment le fait qu’elles soient d’une manière ou d’une autre « hors
normes ». C’est aussi leur instabilité qui les assimile à la précarité et
qui les rapproche du chômage.
On le voit bien en France, depuis une trentaine d’années, le
développement des formes particulières d’emploi suit de très près
la conjoncture. Après la montée en puissance des années 1975, la
progression des emplois précaires marque un arrêt au début des
années 1980 (notamment en raison du durcissement de la législa-
tion sur l’intérim et les contrats à durée déterminée). La reprise
des embauches sur contrats temporaires se fait à partir de 1985 et se
poursuit jusqu’à la fin 1990. À cette date, le ralentissement écono-
mique se reporte en priorité sur les emplois précaires : les recrute-
ments sur contrats temporaires sont les premiers à reculer et les
suppressions d’emplois portent d’abord sur les salariés instables
[Goux et Maurin, in INSEE, 1993].
SECTEURS D’ACTIVITÉ ET FORMES D’EMPLOI 55

De fait, les emplois précaires sont devenus un préalable à


l’embauche en même temps qu’un prélude au chômage. De plus en
plus de recrutements se font d’abord sur une forme d’emploi
instable (CDD, intérim…) ou limitée (travail à temps partiel) pour
ensuite se prolonger, pour certains salariés, par une embauche
ferme. Mais à l’inverse, en cas de retournement de conjoncture
même locale, ce sont les salariés instables qui, les premiers, font
les frais des licenciements ou des arrêts d’embauche. Le résultat de
cette évolution se fait sentir sur le chômage : dans le recensement
des circonstances d’entrée en chômage, la fin d’emploi précaire
constitue désormais, plus que le licenciement, la cause principale.
En 2002, elle représentait 33,5 % de ces entrées. Parmi elles, la caté-
gorie « Fin de mission d’intérim » est en croissance (+ 8 % en un
an) alors que la « Fin de CDD » est stable.
Symétriquement, la reprise économique du début des
années 2000 s’est traduite non seulement par un recul du chômage
mais aussi par une augmentation de la part des CDI dans les
nouveaux emplois (ANPE, 2000).

Répartition des chômeurs* par circonstances


de la recherche d’emploi, France, 2002
(en %)

— Fin d’emploi précaire


(CDD et intérim) 33,5
— Licenciement 21,4
— Démission 6,5
— Première entrée en chômage 5,1
— Reprise d’activité 2,7
— Autre 30,7
— Total 100

* Il s’agit des DEFM de catégorie 1 recensées par l’ANPE.


Source : Premières Informations et premières synthèses,
ANPE-DARES, mai 2002.

Les formes particulières d’emploi sont-elles nouvelles ?

La présentation des tendances récentes de la diversification des


formes d’emploi ne saurait faire oublier l’ancienneté du phéno-
mène. Certes, on assiste depuis le début de la crise de l’emploi à
une recrudescence des emplois précaires. Mais ces « nouvelles
formes d’emploi » sont-elles réellement nouvelles ? Jean-François
Germe le disait fermement en 1978 : « Dès l’émergence du salariat,
on trouve simultanément une tendance à l’homogénéisation des
statuts mais aussi une tendance vers la fragmentation du statut. »
56 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

[Germe, 1978.] En d’autres termes, la différenciation des formes


d’emploi est une constante. L’instabilité de l’emploi est « au prin-
cipe même du travail salarié » [Germe, 1981].
Des recherches plus récentes sont venues relayer cette thèse par
une analyse juridique de l’évolution du statut des emplois. Selon
Bernard Fourcade [1992], qui préfère parler de « situations d’emploi
particulières », trois grandes périodes peuvent être distinguées :
— jusqu’en 1945, la « norme d’emploi » n’existe pas. La distinc-
tion majeure passe entre le travail indépendant et le travail salarié ;
— les deux décennies suivantes (1950-1970) sont celles de la
« construction juridique de l’emploi typique ». Trois éléments le
caractérisent : la durée indéterminée du contrat, l’unicité de
l’employeur, le temps plein. La stabilité de l’emploi constitue dès
lors un élément central du contrat de travail ;
— à partir des années 1970, avec le ralentissement de la crois-
sance économique et l’apparition d’un chômage massif, de
« nouvelles » situations d’emploi particulières se développent. Ces
années sont celles de la construction juridique des formes « parti-
culières » d’emploi qui, dès lors, apparaissent comme autant de
dérogations à la norme de l’emploi typique construit dans les deux
décennies précédentes.
Ces analyses débouchent sur le constat d’un fort renouvelle-
ment de la diversité des situations d’emploi particulières et propo-
sent une distinction entre les situations d’emploi particulières
« anciennes » (ouvriers agricoles, aides familiaux, apprentis, travail-
leurs à domicile) et les « nouvelles » (CDD, intérim, temps partiel,
stages non titulaires de la fonction publique). In fine, elles posent
une question qui porte sur le sens même de la multiplication des
formes d’emplois particulières : « Ne s’achemine-t-on pas vers une
période de construction d’une nouvelle pluralité des normes
d’emploi ? » En d’autres termes : les formes d’emploi atypiques
sont-elles des dérogations à la norme de l’emploi stable ou, au
contraire, ont-elles ouvert la voie à une normalisation de l’emploi
instable ?

De la segmentation à la flexibilité

La diversification des formes et statuts d’emploi continue


d’alimenter un débat qui, lui aussi, est loin d’être récent mais dont
les termes ont passablement évolué au fil des ans. Au départ centré
sur la question de la segmentation et de la dualité du marché du
travail, il s’est progressivement déplacé pour rejoindre aujourd’hui
les réflexions sur la flexibilité et le chômage.
SECTEURS D’ACTIVITÉ ET FORMES D’EMPLOI 57

Les thèses américaines de la segmentation


du marché du travail

Nées aux États-Unis dans les années 1960, les thèses de la segmentation du marché
du travail se sont constituées pour tenter d’apporter une réponse à un « défi » à la
fois théorique et politique : « Le développement, en pleine période de prospérité, de
poches de pauvreté et de chômage en expansion (les ghettos urbains, les révoltes
noires…). » [Michon, 1984.]
En 1969, Michael Piore décrivait ainsi la segmentation du marché du travail : « Les
problèmes de main-d’œuvre du ghetto urbain semblent mieux définis en termes
de dualisme du marché du travail : un marché primaire offrant un emploi stable rela-
tivement bien payé, avec de bon-nes conditions de travail, de bonnes chances de
promotion et des règles de travail gérées de façon équitable ; un marché secondaire
sur lequel sont confinés les pauvres, beaucoup moins attirant à l’égard de toutes
les caractéristiques précédentes, en concurrence directe avec le welfare et le crime
quant au maintien en activité de la main-d’œuvre potentielle. Les taux élevés de
chômage que l’on mentionne habituellement pour définir les problèmes d’emploi
des populations infériorisées sont probablement mieux interprétés en termes de
turnover élevé sur le marché secondaire du travail. » [Piore, 1969, in Michon, 1984.]

La segmentation du marché du travail

Les thèses américaines sur la segmentation du marché du travail


sont découvertes en France au début des années 1970. Progressi-
vement, la question est devenue centrale dans la réflexion des
économistes du travail durant les années 1970/1980.
Selon François Michon [1984], « la question principale de la
segmentation est la suivante : pourquoi existe-t-il des emplois
cumulant les avantages, les “bons” emplois, pourquoi d’autres
cumulent les désavantages ? Pourquoi certains salariés semblent
avoir un droit naturel sur ces bons emplois, pourquoi d’autres
semblent condamnés aux mauvais emplois ? Cela peut-il ou non
être justifié par de quelconques supériorités ou infériorités
économiques ? »
La théorie de la segmentation — ou de la dualité — du marché
du travail consiste en effet à reconnaître l’existence de deux
marchés dotés de caractéristiques opposées. Le premier se caracté-
rise par une désolidarisation relative des mouvements de l’emploi
et des aléas conjoncturels. Il offre une quasi-sécurité de l’emploi,
des rémunérations plus élevées que ce que « vaudrait » chaque
travailleur sur un marché large parce que les employeurs considè-
rent qu’il est de leur intérêt de stabiliser cette main-d’œuvre, en
raison des investissements en formation qu’ils ont consentis, par
exemple. Pour les mêmes raisons, les carrières se déroulent sur des
temps longs et l’ancienneté joue un rôle important dans la fixa-
tion du montant des rémunérations. Les salariés sont souvent
58 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

représentés et défendus par des organisations syndicales dont


l’intervention est reconnue lorsque même elles ne sont pas asso-
ciées institutionnellement à certaines décisions des directions des
entreprises. L’ensemble de ces dispositions, les institutions qui les
élaborent et qui les gèrent constituent ce qu’on appelle un marché
interne, un espace de circulation professionnelle, un marché de
l’emploi doté de ses règles propres et dont l’accès peut être éven-
tuellement contrôlé.
Le second secteur, au contraire, se caractérise par des condi-
tions instables d’emploi, la concentration de formes « particu-
lières » d’emploi (CDD, temps partiel…), des salaires bas, peu ou
pas de qualifications et de mauvaises conditions de travail et de
gestion de la main-d’œuvre. Les coûts de remplacement de cette
main-d’œuvre étant faibles (pas d’investissement en formation, pas
de coût de recherche puisque les individus sont aisément substi-
tuables), on n’y trouve aucun des avantages destinés à stabiliser
une main-d’œuvre recherchée : peu de poids à l’ancienneté, pas
de progression professionnelle, pas de gestion prévisionnelle. Les
à-coups du marché des produits sont ici répercutés directement
dans les mouvements d’emploi.
Si les caractéristiques économiques de ces deux modèles diffè-
rent fortement, ils s’opposent aussi par le comportement et les
caractéristiques sociales des acteurs sociaux qui s’y déplacent. Les
acteurs, dans certaines variantes de la théorie dualiste, ont un rôle
actif dans la mise en forme, le développement et l’opposition de
ces deux secteurs.
En effet, le premier secteur se caractérise aussi par le développe-
ment d’un système de relations professionnelles stable et étendu.
Les syndicats n’interviennent pas seulement pour défendre le
niveau de rémunération, les avantages acquis et la sécurité de
l’emploi des salariés, mais surtout pour mettre en œuvre les condi-
tions mêmes de possibilité de ces relations dans la durée. Les négo-
ciations collectives, souvent institutionnelles, traitent de tout ce
qui, dans les relations d’emploi, n’est pas l’échange ponctuel d’une
quantité de travail contre un salaire, mais bien la constitution d’un
statut professionnel pour le salarié et d’une responsabilité sociale
pour l’employeur ou, plus exactement, pour l’ensemble
d’employeurs concernés. Ce qui est ici en jeu, ce n’est donc pas
seulement une collection d’avantages pour les salariés mais
l’établissement des règles d’un échange complexe et qui se déve-
loppe dans la durée.
Le second secteur est dépourvu de ce type de régulations et les
acteurs s’y rencontrent de manière atomisée, sans médiation insti-
tutionnelle et sans capacité d’organisation autonome. Les relations
SECTEURS D’ACTIVITÉ ET FORMES D’EMPLOI 59

d’emploi y sont à peu près limitées à l’échange travail-salaire, on


peut donc s’y engager et y mettre fin plus facilement. C’est la forme
archétypique de l’emploi flexible, dégagé de toute autre forme de
lien, ajustable aux mouvements des marchés des produits. En ce
sens, les formes particulières d’emploi sont le « témoignage
reconnu » du processus de segmentation du marché du travail
[Michon, 1984].

Dualisme et inégalités

Au sein de l’économie du travail, les théories de la segmenta-


tion ont constitué, durant toute une période, la référence obligée,
le débat essentiel. Pour les sociologues, en revanche, « l’intérêt
porté à la précarisation de l’emploi ne va pas de soi » : en intitu-
lant ainsi un de ses articles, Michel Freyssenet [1981] reflète bien
l’état d’esprit dominant dans la sociologie du travail au tournant
des années 1970/1980. Pour lui, comme pour la plupart des socio-
logues, la précarisation de l’emploi et la segmentation du marché
du travail sont d’une importance seconde par rapport aux muta-
tions de l’organisation et de la division du travail.
Bien que largement partagée, cette thèse ne fait cependant pas
totalement l’unanimité. Dès le milieu des années 1970, des tenta-
tives d’analyse sociologique des processus de segmentation émer-
gent. Le point d’entrée des sociologues, qui constitue aussi le
terrain de rencontre avec les économistes, est la question des inéga-
lités produites et reproduites par la dualité du marché du travail.
Les premières incursions sociologiques sont celles de Jacques
Magaud [1974] qui étudie les rapports entre les personnels titu-
laires et non titulaires de la fonction publique. L’État employeur,
dit-il, donne l’exemple en segmentant progressivement son propre
marché de l’emploi. Il s’agit ainsi pour lui de « tenter d’acheter la
capacité de travail de certains en dehors des règles » et donc de
gérer selon des modalités différentes ses « vrais et faux salariés ».
Cette double gestion de la main-d’œuvre a, pour les salariés, deux
conséquences : la différenciation des conditions d’emploi et l’écla-
tement du collectif de travail.
D’autres travaux menés à partir d’enquêtes sur les emplois
ouvriers de différents secteurs industriels [Linhart et Maruani,
1981] viennent prolonger et nuancer cette thèse. Si l’idée d’un
marché segmenté, dissociant deux populations de salariés,
s’applique bien à la fonction publique, il en va tout différemment
dans les entreprises du secteur privé. Dans celles-ci, il y a bien deux
types d’emplois (précaires et stables), mais qui ne divisent pas les
salariés en deux populations distinctes et étanches : la majorité des
60 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

travailleurs stables peuvent à tout moment se trouver en situa-


tion de précarité ; à l’inverse, les travailleurs précaires ne sont pas
définitivement exclus d’une stabilisation momentanée ou durable
de leur emploi. En ce sens, la fonction publique n’est pas un
« exemple » parmi d’autres. Ce qui la caractérise est précisément ce
qui la distingue du secteur privé : dualité du marché du travail pour
l’une, déstabilisation de l’emploi pour l’autre.
En toile de fond de ces analyses se profilent deux questions
récurrentes :
— celle des inégalités : les populations concernées par les formes
d’emploi précaires sont-elles particulières ? Cette interrogation, qui
se fait l’écho de celle des économistes sur les cumuls d’infériorité, est
une réflexion sur la vulnérabilité de certaines catégories de main-
d’œuvre (jeunes, femmes, travailleurs immigrés, etc.) ;
— celle des conséquences sociales de la déstabilisation de
l’emploi : va-t-on vers la disparition progressive de ce que Hugues
Puel [1980] nommait le « paradigme de l’emploi », c’est-à-dire la
prégnance de l’« emploi typique » comme référence dominante ?
En effet, si l’on prend en compte, pour chacune des catégories
socio-professionnelles [Amossé, 2003], non seulement le taux de
chômage mais aussi la proportion d’emplois précaires et le taux
de sous-emplois, on se rend compte que pratiquement une
personne sur deux dans les catégories « ouvriers et employés non
qualifiés » est touchée par des difficultés d’emploi (cf. tableau
p. 61). Les effectifs des ouvriers sont en diminution depuis vingt
ans, ceux des employés en augmentation, mais on voit bien ici
que les difficultés d’emploi ne sont pas l’apanage des secteurs en
déclin économique : de nouvelles formes de précarité se créent
constamment.

Sociologie des formes d’emploi

Parallèlement à ces réflexions se sont développés des travaux qui


tentent une analyse proprement sociologique de certaines formes
d’emploi. Ces recherches ont en commun de relier l’analyse d’une
forme « particulière » d’emploi à l’utilisation d’une catégorie
« spécifique » de main-d’œuvre : les jeunes et le travail intérimaire,
les femmes et le temps partiel, etc.
Parmi les premières du genre, les recherches de Michel Pialoux
[1979] sur le travail intérimaire partent d’une réflexion sur les
conditions dans lesquelles les jeunes des banlieues et cités de
transit de la région parisienne entrent sur le marché du travail. Il
montre comment, pour une bonne partie d’entre eux, l’intérim
Évolution du monde du travail 1982-1999

Proportion en 1999 de
Taux de
Effectifs en Évolution
chômage BIT
Catégorie socioprofessionnelle emploi 1999 de 1982 à 1999 CDD, stage,
en 1999 Sous-emploi
(en milliers) (en milliers) intérim
(en %) (en %)
(en %)

Agriculteurs 627 – 839 0,6 – –

Artisans, commerçants
1 526 – 289 4,2 – –
et chefs d’entreprise

Cadres et professions intellectuelles


3 025 1 165 4,5 2,8 2,2
supérieures
SECTEURS

Professions intermédiaires 5 318 1 534 6,2 5,4 3,6

Employés 6 645 1 144 12,9 9,2 12,5


Employés qualifiés 3 819 102 10,5 8,1 6,9
D’ACTIVITÉ

Employés non qualifiés 2 826 1 042 16,0 10,7 20,1


ET

Ouvriers 5 909 – 1 134 14,9 13,6 5,2


Ouvriers qualifiés 3 490 – 195 10,3 9,2 2,6
Ouvriers non qualifiés
FORMES

2 419 – 939 22,6 22,0 10,1


et ouvriers agricoles

Ensemble 23 051 1 579 11,8 8,7 6,8


D’EMPLOI

Source : INSEE, recensements de la population 1982 et 1999 et Enquête emploi, 1999, in Amossé (op. cit.).
61
62 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

devient, à partir du milieu des années 1960, une des façons


« normales » de trouver du travail.
L’originalité de ces travaux est de mettre en évidence les logiques
sociales qui poussent cette « jeunesse sans avenir » vers le travail
intérimaire. Par une sorte de « réalisme du désespoir », ces jeunes,
issus des fractions les moins qualifiées de la classe ouvrière, trou-
vent dans la situation d’intérimaire une échappatoire au travail
non qualifié que leur proposent les grandes entreprises indus-
trielles. L’instabilité requise par le travail intérimaire fait en effet
apparaître comme « qualités positives » des comportements qui,
dans d’autres conditions de travail et d’emploi, apparaîtraient
comme des « symptômes d’inadaptation sociale ». Cette « forme
particulière de réalisme » qui pousse une partie de cette jeunesse
vers des emplois instables rencontre l’intérêt d’entreprises en quête
de souplesse — le terme de flexibilité n’étant pas encore de mise.
En ce sens, c’est bien la construction sociale d’une offre et d’une
demande de travail qu’analyse Michel Pialoux. Ce n’est pas l’utilité
économique, mais les usages sociaux d’une forme d’emploi qui
constituent le cœur du sujet.
Ce même fil conducteur se retrouve dans un certain nombre de
recherches sur le travail à temps partiel. Certes, avant d’être consi-
déré comme une forme d’emploi, le temps partiel avait été analysé
par les sociologues comme un des aspects du travail féminin,
comme une des modalités des « pratiques féminines envers le
temps travaillé » [Kergoat, 1984]. La thèse était la suivante : pour
comprendre les raisons qui poussent certaines femmes à passer du
temps complet au temps partiel, il faut étudier l’ensemble des atti-
tudes et pratiques des femmes envers le travail salarié et le travail
domestique. Dans cette perspective, le travail à temps partiel se
trouve au cœur d’une relation conflictuelle et inégalitaire, à la fois
« tentation et perversion », pour reprendre l’expression de Chantal
Nicole [1984]. Même lorsqu’il est librement choisi, le travail à
temps partiel déstabilise le rapport au travail des femmes qui le
pratiquent en même temps qu’il renforce les rôles traditionnels
dans la sphère familiale. De ce fait, la pratique du temps partiel
n’octroie pas plus de temps libre aux femmes, le temps gagné sur
le travail salarié se reportant inéluctablement sur les tâches
domestiques.
Longtemps centrées sur le rapport au travail des femmes, les
problématiques sur le temps partiel se sont progressivement redé-
ployées vers une analyse de la construction sociale d’une forme
d’emploi spécifiquement féminine.
Au point de départ de cette évolution, un constat statistique :
depuis le début des années 1980, le recours au travail à temps
SECTEURS D’ACTIVITÉ ET FORMES D’EMPLOI 63

partiel a considérablement augmenté [Belloc, 1986 ; Cézard et


Heller, 1988]. En France, on est passé de 1,6 million d’actifs à temps
partiel en 1980 à 3,9 millions dans l’Enquête emploi de 2002. Pour
l’essentiel, cette croissance est due à la multiplication des créa-
tions d’emploi à temps partiel. Cet ensemble de faits a conduit à
distinguer, derrière le terme générique de « travail à temps partiel »,
deux logiques sociales fondamentalement divergentes [Maruani et
Nicole-Drancourt, 1989] :
— la première, devenue minoritaire, est celle du « travail à
temps réduit », c’est-à-dire d’une transformation du contrat de
travail du temps plein vers le temps partiel à l’initiative du salarié.
Il s’agit là d’un aménagement du temps de travail volontaire et
réversible (exemple : le « mercredi libre » dans la fonction
publique) ;
— la seconde est celle de l’« emploi partiel », c’est-à-dire des
créations d’emploi à temps partiel à l’initiative de l’employeur, en
dehors ou contre la volonté des salariés. L’emploi partiel est une
forme d’emploi et son développement obéit à une logique du
marché beaucoup plus qu’aux demandes des salarié(e)s (exemple :
l’embauche de caissières à temps partiel).
Depuis le début des années 1980, ce sont ces créations d’emploi
qui sont devenues largement majoritaires, contribuant ainsi au
développement de ce que les statisticiens nomment le sous-emploi
[Thélot, 1983]. Les recrutements à temps partiel sont désormais
monnaie courante dans certains secteurs des services (le commerce,
la restauration-hôtellerie et le nettoyage industriel, notamment).
Les salarié(e)s à temps partiel y travaillent généralement avec des
horaires qui n’ont strictement rien à voir avec une quelconque
volonté de concilier vie familiale et activité professionnelle : travail
en « nocturnes », aux heures de déjeuner, le samedi. La
« souplesse » existe bien, mais elle est pour l’employeur [Cattaneo,
1996 ; Alonzo, 1998 ; Angeloff, 2000 ; Puech, 2004]. Dans ces
conditions, continuer de s’interroger sur les aspirations des femmes
alors que l’initiative vient massivement des entreprises ne semble
guère pertinent : si l’on s’en tient à l’analyse de la demande des
femmes, ou à la réflexion sur les modalités de l’aménagement du
temps de travail, on ne comprend tout simplement pas pourquoi,
en l’espace de dix-huit ans, on est passé de 1,6 million d’actifs à
temps partiel à 4 millions.
Mais, à l’inverse, si l’on regarde du côté du marché du travail,
on observe que le temps partiel est devenu la forme particulière
d’emploi la plus répandue. On peut resituer ce phénomène dans le
mouvement de diversification des formes d’emploi et de flexibili-
sation du marché du travail. Mais, si l’on reste sur ce registre, on ne
64 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

comprend pas pourquoi, sur ces 4 millions d’actifs à temps partiel,


il y a plus de 80 % de femmes. Car, en fait, le temps partiel s’est
développé là où il y a beaucoup de femmes, dans les secteurs qui
constituent les places fortes de l’emploi féminin. Aucune autre
forme d’emploi (aucune autre forme de chômage) n’est à ce point
sexuée.
L’extension de cette forme d’emploi ne peut donc se comprendre
que si l’on prend en compte la norme sociale qui assigne le temps
partiel aux femmes : le temps partiel est une forme d’emploi socia-
lement construite comme féminine. Il constitue un exemple de
segmentation sociale des modes d’emploi : une répartition sociale-
ment construite des conditions et formes d’emploi que l’analyse
strictement économique des mécanismes du marché ne peut
observer. Pour comprendre l’ensemble du phénomène « travail à
temps partiel », il ne suffit pas de considérer les fluctuations du
marché du travail, ni de se centrer sur les seules aspirations des
salarié(e)s — ni même de juxtaposer ces deux points de vue. C’est
l’ensemble qu’il faut mettre en relation pour rendre compte de la
construction sociale de l’offre et de la demande.

Précarité, flexibilité et protection sociale

Progressivement, les questions sur l’évolution des formes, condi-


tions et statuts d’emploi sont venues rejoindre et alimenter la
réflexion sur le rôle de l’entreprise dans la production du chômage
et des disparités sociales. L’analyse de la flexibilité comme mode
de gestion de la main-d’œuvre, l’identification de ses différentes
formes (sous-traitance, externalisation, recours aux emplois courts,
à l’intérim…) contribue à nourrir la connaissance des mécanismes
de production du chômage.
Comment ces formes d’emploi, sources de flexibilité externe
mais aussi interne pour l’employeur, interviennent-elles dans les
processus d’insertion professionnelle et dans les mécanismes de
détachement du marché du travail ? Quelles catégories de main-
d’œuvre expose-t-on au risque de sous-emploi ?
Le caractère massif de cette évolution ébranle l’association impli-
cite emploi-salaire-statut social : c’est parmi les femmes travaillant
à temps partiel qu’on trouve les revenus les plus faibles, proches du
seuil de pauvreté, ce qui peut être rapproché du développement des
working poor aux États-Unis [Concialdi et Ponthieux, 1999, Paugam,
2000].
Ce constat lui-même inspire deux questions sur les évolutions
sociales en cours :
SECTEURS D’ACTIVITÉ ET FORMES D’EMPLOI 65

— le rapprochement du montant des revenus tirés du travail


(précaire et à temps partiel) et des minima sociaux amène à s’inter-
roger sur l’existence de « trappes à pauvreté », qui empêcheraient
de fait les chômeurs les moins qualifiés de retourner à un véritable
emploi [Belorgey, 2000] ;
— la multiplication des statuts juridiques des emplois peut aller,
dans certains cas, jusqu’à modifier la répartition traditionnelle des
risques entre le salarié et l’entrepreneur : certaines formes de sous-
traitance, d’individualisation des salaires et d’association étroite
aux résultats de l’entreprise rendent le salarié aussi directement
exposé au risque économique que l’entrepreneur. Il se trouve de
fait dans la situation d’un indépendant, alors même qu’il garde son
statut subordonné [Morin, 2000].
La convergence de ces évolutions remet aussi en cause les dispo-
sitifs de protection sociale au long de la carrière des salariés : assurer
un statut et des droits à ceux-ci, à travers la diversité de leurs formes
de présence sur les marchés du travail (chômage, emplois, forma-
tion) devient une priorité. Cette préoccupation a inspiré les travaux
de juristes, comme A. Supiot [2000] qui cherche à définir un
« statut de l’actif » donnant au salarié des droits de tirage sociaux,
quelle que soit sa position d’activité. Elle a aussi été à la base du
concept de « marchés transitionnels », développés par des écono-
mistes en France et en Allemagne.
Selon Bernard Gazier [1998], les marchés transitionnels sont
« une nouvelle perspective de régulation des marchés du travail
[…]. Ils consistent en l’aménagement systématique et négocié de
l’ensemble des positions d’activité au sens large, traditionnelle-
ment considérées comme les marges de l’emploi, et qui devien-
nent ici les “transitions”… Ces périodes et ces occupations ont
pour trait commun d’associer des activités socialement utiles à une
garantie temporaire de rémunération (qui peut combiner des finan-
ceurs divers), et de constituer des passerelles vers d’autres positions
sur le marché du travail ».
Ces propositions n’ont pas encore trouvé de traductions
concrètes. Toutefois, la récurrence de ces débats depuis une quin-
zaine d’années souligne que l’évolution des formes de l’emploi
touche, en réalité, aux racines de la cohésion sociale.
IV / Politiques d’emploi et organisation
des marchés du travail

Il est important de reconnaître la diversité des catégories de popu-


lation, des conditions d’emploi, des situations de chômage. Il est
aussi nécessaire de comprendre comment elles s’organisent entre
elles et d’analyser les régulations qui les parcourent. Celles-ci ne
sont pas exclusivement économiques : les marchés du travail ne
sont pas des marchés comme les autres ; ils intègrent une part
importante d’interventions institutionnelles et de logiques
sociales.
On oppose souvent, comme deux réalités régies par des lois
distinctes, le marché du travail et les politiques d’emploi. Plus exac-
tement, on suppose une sorte de « fonctionnement idéal » du
marché du travail, régi par la loi de l’offre et de la demande, dont
la situation réelle ne serait qu’une forme dégradée, où les régula-
tions essentielles seraient gauchies, notamment parce que les
multiples interventions institutionnelles perturberaient le « jeu du
marché ». C’est ainsi que peuvent se comprendre les questions
récurrentes sur les statuts protecteurs de l’emploi dans certains
secteurs (qui « abritent » de la concurrence), sur le rôle de l’indem-
nisation du chômage (qui modifierait « artificiellement » la fixa-
tion du niveau des salaires et donc le niveau du chômage) et, bien
entendu, sur les politiques publiques à qui on reproche régulière-
ment de brider la liberté d’action et donc l’efficacité économique
des employeurs. La levée des contraintes et protections réglemen-
taires — ou même l’arrêt de certaines incitations — permettrait que
se rétablissent les équilibres « naturels » d’un fonctionnement
normal du marché.
Notre thèse est tout autre : le marché du travail n’existe pas sans
les interactions des acteurs sociaux qui le constituent, et ces inte-
ractions sont bien plus que de simples négociations de prix dans
l’instant. Elles ne sont pas non plus de simples réactions, de
simples ajustements aux mouvements de l’économie. Elles
POLITIQUES D’EMPLOI ET ORGANISATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL 67

élaborent des compromis durables, des conventions communes,


des prévisions coordonnées et contribuent à organiser en profon-
deur des systèmes d’échanges où la part du social et celle de
l’économique sont profondément imbriquées. De ce fait, les confi-
gurations des marchés du travail sont très diverses et il importe
d’identifier, dans chaque cas, les régulations à l’œuvre.

Modèle de référence et marchés spécifiques

L’étude de marchés « spécifiques » — parce qu’ils portaient la


marque de circonstances exceptionnelles, comme une économie de
guerre ; parce qu’ils apparaissaient étroitement liés à des particu-
larités de métier (marins, dockers, verriers…) ou de lieu (certains
bassins d’emploi très localisés) — n’est pas une nouveauté, mais au
contraire une tradition dans la recherche sur les marchés du travail
[Kerr, 1978]. C’est le statut de ces phénomènes qui est en discus-
sion ainsi que la nature et le poids respectif des différents éléments
qui concourent à établir ces états.
En d’autres termes, l’existence de marchés « localisés » (dans
l’espace, dans certaines branches d’activité…) est-elle une simple
exception à la règle ? Laisse-t-elle intact le modèle théorique de
référence, celui d’un marché du travail unique sur lequel l’offre et
la demande de travail trouveraient un équilibre à travers des
accords instantanés dont la composante essentielle est un prix, le
salaire ? Le marché des produits au sens où les économistes le
modélisent constitue-t-il vraiment le paradigme le plus utile pour
comprendre les mouvements de l’emploi ? Les développements de
recherches récentes permettent d’étayer et de détailler les constats
déjà formulés par Clark Kerr dans les années 1940 à propos de
l’économie de guerre : loin d’être une exception, un cas particu-
lier, les marchés « locaux », parce qu’ils sont organisés, parce qu’ils
déterminent des circulations limitées et qu’ils produisent leurs
régulations propres, constituent en réalité le cas le plus général.
Les marchés du travail ne peuvent être assimilés à des formes
dégradées du marché des produits. D’une part, parce que les condi-
tions les plus centralement nécessaires au fonctionnement d’un
marché ne sont pas, dans ce cas, réunies : l’information, la substi-
tuabilité des produits, le caractère limité, instantané des échanges
ne recouvrent ici aucune réalité. D’autre part, parce que les mouve-
ments d’emploi ne peuvent être réduits aux ajustements dans le
court terme d’agents économiques entre eux et sous des
contraintes qui leur resteraient inaccessibles. Au contraire, on
dispose de plus en plus d’arguments pour défendre et nourrir l’idée
68 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

qu’un marché du travail est un système social complexe, parcouru


par des régulations propres, balisé par des institutions spécifiques.
La part des acteurs sociaux dans l’établissement de ces régula-
tions est importante. Ils agissent par des stratégies complexes, qui
tiennent compte des contraintes, mais qui ne se résument pas à
une suite d’ajustements instantanés.

Marchés locaux : la force des réseaux sociaux

Deux éléments d’égale importance fondent la nouveauté de cette


approche : les marchés sont dotés d’organisations et de régulations
différentes qui définissent les possibilités de circulation, les condi-
tions d’accès, les avantages associés à chaque type d’emploi.
Ces régulations ne sont pas principalement celles de la théorie
économique : leur solidité, leur efficacité, leur résistance aux
retournements de conjoncture sont celles de réseaux sociaux. Les
marchés locaux, les systèmes industriels localisés, les marchés
fermés propres à certaines branches se caractérisent par une série
de dispositifs difficiles à comprendre si on en observe le fonction-
nement avec l’œil de l’économiste. Ainsi Jean Saglio [1991] a
montré comment certains comportements des industriels d’un
même secteur d’activités concentré, le « système industriel », appa-
remment non rationnels dans l’immédiat, sont en réalité parfaite-
ment justifiés pour consolider les relations socialement
indispensables à la survie à long terme du système d’échanges
sociaux qui assurent à ces entreprises la diffusion de l’innovation la
meilleure et une capacité réelle de faire face aux aléas du marché.
Par exemple, dans le système industriel d’Oyonnax, spécialisé
dans les matières plastiques, les différents entrepreneurs sont, bien
entendu, en concurrence directe. Toutefois, l’information, bien
rare et précieux puisqu’elle porte sur les avancées technologiques
en provenance de l’étranger, est systématiquement diffusée par ses
premiers détenteurs aux concurrents qui en auraient l’usage plus
qu’eux-mêmes. Les parcours qualifiants des meilleurs ouvriers sont
déterminés à travers plusieurs entreprises concurrentes, utilisatrices
de machines différentes. Enfin, des pratiques de sous-traitance réci-
proque permettent à chacune des unités de garder ses capacités de
réponse sans craindre une baisse sauvage des prix.
On peut remarquer qu’il s’agit là, en réalité, d’une réponse opéra-
toire à l’une des questions cruciales de la théorie économique :
pour que les échanges se fassent sur un marché, il faut qu’existe un
minimum de sécurité sur les produits échangés et sur les conditions
de l’échange.
POLITIQUES D’EMPLOI ET ORGANISATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL 69

Un exemple de sous-traitance

« En cas de prise de marché supérieure à ses propres capacités de production, on


constate que l’entreprise s’adresse à ses concurrents directs, ou au moins à certains
d’entre eux qui seront alors désignés comme “collègues” et non plus comme
“concurrents”. Dans le cas de petites entreprises appartenant à un même réseau
industriel, la relation de sous-traitance est réversible, ce qui signifie que, si à un
moment donné la firme A est le donneur d’ordre et la firme B sous-traitante, la
situation peut se renverser au coup suivant et A devenir le sous-traitant du donneur
d’ordre B. […] [Ceci] implique qu’aucun des deux partenaires ne se permet
d’exploiter complètement les avantages temporaires qu’il peut détenir dans le
rapport de force. Une petite firme peut ainsi prendre un marché dont elle sait perti-
nemment qu’il excède ses capacités de production, parce qu’elle sait qu’elle pourra
très rapidement sous-traiter une partie de la production à un des collègues qui ne
profitera pas de sa faiblesse passagère pour facturer des prix prohibitifs ou fournir de
la mauvaise qualité. »

Jean Saglio [1991].

Cela dépasse les questions d’information au sens strict et est


encore plus vrai dans le cas des relations d’emploi. Il est impos-
sible de vérifier, dans l’instant, si les qualités annoncées par celui
qui postule à un emploi sont effectivement détenues par lui ; et
plus encore de savoir s’il les mettra durablement et efficacement en
œuvre. La confiance est donc un élément constitutif de la capa-
cité à nouer une relation d’emploi et à la stabiliser. Tout élément
susceptible de consolider la confiance, de la faire reposer sur des
engagements croisés, d’en donner des preuves et des inscriptions
claires intervient donc directement dans ce qui est à la fois échange
économique et échange social. Les variables « sociales » ne sont pas
résiduelles et ne décrivent pas une sociabilité plus ou moins direc-
tement enracinée dans des échanges économiques autonomes dont
elles ne seraient qu’un reflet : elles constituent les conditions de
possibilité du calcul rationnel parce que ce sont elles qui produi-
sent les conditions requises pour que fonctionne un marché.
Giacomo Becattini et Arnaldo Bagnasco [1989] ont montré, par
exemple, que les « districts industriels » des régions centrales de
l’Italie devaient leur capacité d’adaptation technologique à leurs
pouvoirs de drainer des investissements, par mobilisation « capil-
laire » des épargnes locales. Les réseaux sociaux ont des ramifica-
tions familiales propres à mobiliser les réserves les mieux
dissimulées, garantissent la bonne utilisation de l’épargne et
constituent une assurance en cas de difficultés passagères de
l’entreprise. On sait que ce phénomène est loin d’être marginal en
Italie puisqu’il touche aux secteurs exposés à la concurrence
70 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

internationale (habillement, machines, etc.) à qui il a permis


d’élaborer des réponses industrielles satisfaisantes.

Marchés organisés, marchés internes

Un marché organisé ne l’est pas nécessairement sur une base


locale et n’est pas forcément limité dans l’espace : les ressources
sociales qui en constituent l’armature peuvent provenir d’un même
métier, déterminer des conditions comparables d’exercice profes-
sionnel : les professions traditionnelles étudiées par Catherine Para-
deise (la marine) et Denis Segrestin (le verre) sont dans ce cas. Jean
Saglio va jusqu’à appliquer la notion de « système industriel » à
des cas a priori éloignés de ses observations primitives comme celui
des notaires ou des pharmaciens, chez qui il distingue les éléments
cruciaux de contrôle de l’accès au marché et des mouvements
d’emploi. Dans tous ces cas, ce qui prime, ce sont les règles, les
normes sociales élaborées par l’ensemble des acteurs engagés dans
ces « marchés locaux », les ressources sociales qu’ils sont capables
de mobiliser parce qu’elles ont une efficacité économique directe.
On a déjà vu (chapitre III) comment les théories de la segmenta-
tion du marché du travail s’appuyaient sur la notion de « marché
interne », désignant ainsi un échange entre employeurs et salariés
qui s’établit dans la durée (avec des prévisions) et où la fixation du
salaire est très loin de celle d’un « prix d’équilibre ».
L’organisation d’un marché du travail ne se borne pas à trancher
entre stabilité ou instabilité de l’emploi, à déterminer le niveau des
salaires ; elle porte des conséquences sur l’ensemble des conditions
et des relations d’emploi : accès à l’emploi, mobilité profession-
nelle, rôle de l’ancienneté, qualifications…
Autre exemple de « marché interne », celui de la fonction
publique. L’accès à ce marché, on le sait, est conditionné, comme
les mouvements professionnels qui s’opèrent en son sein, par la
réussite à des concours nationaux. Ceux-ci déterminent des grades,
des niveaux de rémunération indépendants du contenu de la fonc-
tion comme de la manière dont elle est remplie. La stabilité de
l’emploi, à la fois individuelle et souvent collective (stabilité — au
moins relative — des effectifs), interdit le recours à la flexibilité
quantitative comme méthode de gestion des ressources humaines
et comme réponse aux aléas du marché lorsqu’il s’agit d’entreprises
publiques.
L’ouverture sur l’Europe et donc sur des marchés concurrentiels a
conduit à des actions de réforme pour modifier ce que ce modèle
comportait de spécificités difficilement compatibles avec les
POLITIQUES D’EMPLOI ET ORGANISATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL 71

échanges internationaux ou même l’évolution des missions du


service public et la recherche d’une plus grande efficacité.

Modernisation de la fonction publique


et changement des marchés internes

Ces tentatives de « modernisation » se sont souvent présentées


en termes tranchés, fortement idéologiques : un remède proposé
à plusieurs reprises était de rapprocher les conditions d’emploi du
secteur public de celles du secteur privé ou du moins de son image
mythique, celle d’un marché de concurrence réputé exiger des
salariés qu’ils donnent à chaque instant le meilleur d’eux-mêmes
sans pouvoir se protéger derrière des garanties statutaires.
L’exemple de France Télécom [Barreau, 1995 ; Reynaud et
Reynaud, 1996] montre bien que le débat entre ces deux modèles
est très abstrait. La sécurité de l’emploi — comprise dans le statut
de la fonction publique, comme dans bien d’autres secteurs « à
statut » — y a toujours été assortie d’une forte obligation de forma-
tion, justifiée par les évolutions technologiques constantes du
secteur. Aussi bien, les conditions préalables à une flexibilité quali-
tative, à un mouvement des qualifications et des fonctions à la
place d’un mouvement des emplois existaient avant tout effort de
réforme. Ce qu’a introduit la réforme de 1990, puis celles qui lui
ont succédé, c’est la définition de carrières, de trajectoires sur le
marché interne de l’entreprise en même temps que la modifica-
tion des conditions d’accès et de déplacements dans ces filières
comme celles de la mobilité géographique nationale : le concours
et l’ancienneté y tiennent une place moins importante, l’évalua-
tion des supérieurs, l’appréciation des besoins du service pèsent
davantage.

Règles de gestion et statut

On trouve bien une altération profonde des règles de gestion


associées au statut de la fonction publique. Est-ce pour autant
justifié de conclure, comme l’ont fait certains observateurs, qu’il
s’agit là d’un rapprochement avec les principes de gestion « du
privé », qu’on a ici instillé ce qu’on pouvait de concurrentiel, qu’on
a « ouvert » un marché de l’emploi où les pouvoirs d’intervention
des représentants des salariés apparaîtraient substantiellement
diminués ? Cette conclusion, qu’on s’en félicite ou qu’on la
dénonce, paraît inexacte parce qu’elle prend au sérieux l’opposi-
tion tranchée entre deux types radicalement différents de marchés
du travail, l’un — marché interne fonction publique — étant un cas
72 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

à part construit délibérément pour assurer la stabilité et l’indépen-


dance des missions de service public, et protéger ses ressortissants
contre les principes généraux et les régulations qui fonderaient
l’autre — le seul, le vrai —, le marché du travail ouvert et
concurrentiel.
Le passage réellement observé est tout autre, c’est plutôt le
passage d’un premier type de marché interne à un second, dont
les modes de régulation seraient différents. Le second, issu des
réformes de 1990, fait plus de place à l’évaluation et à la mobilité
professionnelle. Il faut pourtant se souvenir que la définition des
parcours (les filières, les trajectoires) professionnels se fait, au
niveau national, au sein de commissions mixtes (qui se tiennent
à côté des commissions paritaires proprement dites) associant
syndicats des salariés et directions ; au niveau individuel, l’inscrip-
tion de chaque salarié dans une filière particulière, les exigences
auxquelles il devra répondre et le rythme du déplacement devront
être négociés dans des instances locales où les institutions syndi-
cales auront leur mot à dire. L’appréciation doit donc être nuancée.
Les équilibres de pouvoir seront peut-être conservés même s’il s’agit
bien d’une modification de la nature du contrat qui lie employeur
et salariés : le premier ne peut plus se borner à garantir la sécurité
de l’emploi et un avancement faible mais automatique par le jeu
de l’ancienneté, mais doit aussi raisonner en termes de gestion
prévisionnelle, prévoir des évolutions de carrière et de contenu des
fonctions.
Le salarié quant à lui, s’il garde souvent une sécurité d’emploi,
doit admettre une distance éventuellement plus grande entre le
niveau obtenu par les procédures d’accès formalisées, le contenu
du poste et les responsabilités effectivement exercées. Il doit aussi
admettre une mobilité entre les fonctions qui soit dictée plus par
les nécessités du service que par les droits acquis des fonctionnaires
(mutations à l’ancienneté). Enfin, l’évaluation de la hiérarchie est
bien distincte, dans l’esprit, de la notation administrative qui exis-
tait antérieurement puisqu’elle trouve une traduction directe dans
le salaire. Ces évolutions complexes sont retrouvées dans la plupart
des pays d’Europe, où le secteur des télécommunications a connu
des réformes proches dans le temps comme dans les principes, à
l’exception notable de la Grande-Bretagne [Treu et Negrelli, 1993].

Politiques publiques

Le rôle des politiques publiques est décisif dans la gestion et le


contrôle des mouvements d’emploi et la définition des contours de
POLITIQUES D’EMPLOI ET ORGANISATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL 73

la population active. L’indemnisation du chômage et la définition


des droits et des obligations associés à la perception des indem-
nités sont un instrument important d’intervention sur les divers
marchés du travail. Le contrôle des conditions dans lesquelles
s’effectuent les mouvements d’emploi et la production de cadres
réglementaires sont un second mode d’intervention bien connu :
on peut, ici, rappeler l’enjeu politique et économique que repré-
sente la plus ou moins grande facilité de licencier comme les débats
qui entourent les plans sociaux, conditions d’accès aux aides de
l’État.
L’État ne se borne pas à compenser, pour les individus, les
rigueurs du marché de concurrence et à imposer, de manière exté-
rieure, des réglementations qui viendraient se surajouter ou enca-
drer — de manière plus ou moins heureuse — les mouvements
« naturels » du marché du travail.
Les interventions institutionnelles (voir, parmi elles, le tableau
récapitulatif des principales mesures) ont au contraire un rôle struc-
turant, structurant de la population active qu’elles déterminent,
modèlent et segmentent en catégories de main-d’œuvre [DARES,
2003] ; structurant des conditions d’emploi, par l’encadrement

Principales actions de la politique de l’emploi

Emploi aidé dans le secteur marchand


— allègement des charges sur les bas salaires
— exonérations à l’embauche
— revenu minimum d’activité, RMA
— contrats en alternance (qualification, orientation, apprentissage…)
Insertion par l’économique
(associations intermédiaires, entreprises d’insertion)
Emplois familiaux
Encouragement au développement d’entreprises nouvelles
— aide aux chômeurs créateurs d’entreprises ACCRE
Emploi aidé dans le secteur non marchand
— contrats emploi-solidarité CES
— contrats emploi consolidés CEC
— contrats emploi jeunes CEJ
Formation et accompagnement des chômeurs
— stage d’insertion et de formation à l’emploi SIFE
— trajectoire d’accès à l’emploi TRACE
— plan d’aide au retour à l’emploi PARE
Salariés âgés
— cessation anticipée d’activité de certains travailleurs
— indemnisation des dispensés de recherche d’emploi DRE
74 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

législatif et réglementaire, la détermination des qualifications et


des conditions d’accès aux postes ; structurant des mouvements
d’emploi et des mouvements entre emplois, par l’établissement de
circulations et des conditions financières et juridiques qui les
rendent possibles. Enfin, structurant des éléments mêmes qui
déterminent les relations d’emploi en intervenant pour redéfinir,
avec les employeurs, de nouveaux termes d’engagement.
Les directives européennes et la mise en place de politiques euro-
péennes de l’emploi ont un rôle analogue, avec des accents propres
(lutte contre les discriminations, circulation des diplômés, préven-
tion du chômage de longue durée…) [Goetschy, Pochet 2000].

Politiques de l’inactivité

Dans le cadre de la lutte contre le chômage, les administra-


tions chargées de l’emploi agissent sur la composition de la main-
d’œuvre, à travers des mesures qui favorisent le retrait de certaines
catégories ou aménagent l’accès de certaines autres. Elles ont
évolué en déterminant des groupes particuliers prioritaires, bénéfi-
ciaires successifs de ces diverses mesures. En ce sens, elles rencon-
trent — ou heurtent — les autres politiques publiques : politiques
sociales, politiques de la famille ou de l’éducation.
À côté des politiques de l’emploi, existent en effet des politiques
de lutte contre le chômage dont la caractéristique est d’inciter à
l’inactivité. En ce cas, il ne s’agit pas d’aider à passer du chômage
à l’emploi mais de faire basculer du chômage ou de l’emploi vers
l’inactivité. Même si le terme n’est jamais prononcé, il s’agit bel et
bien de politiques de l’inactivité [Maruani, 2002].
En France, deux dispositifs publics de ce type existent et ont
fonctionné depuis des années sans pour autant se nommer tels. Ils
sont ciblés sur deux catégories : les travailleurs âgés et les jeunes
mères de famille. Les premiers ont été, pendant des années, ferme-
ment invités à quitter le marché du travail par le biais de diffé-
rents systèmes de cessation anticipée d’activité. Les secondes ont
été, plus récemment, poussées à s’effacer du cercle des actifs par
le biais de l’allocation parentale d’éducation (APE). Fin 1999,
quelques 500 000 personnes âgées de 55 à 59 ans étaient en prére-
traite ou dispensées de recherche d’emploi. L’extension de l’APE
aux familles de deux enfants a fait chuter les taux d’activité des
jeunes mères de famille de quinze points.
Dans les deux cas, il s’agit de dispositifs qui concernent à la fois
des chômeurs et des actifs. Mais dans les deux cas aussi, il s’agit
de dispositions qui ont permis que des centaines de milliers de
sans-emploi soient répertoriés comme inactifs plutôt que comme
POLITIQUES D’EMPLOI ET ORGANISATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL 75

chômeurs, c’est-à-dire soient classés dans une case statistique


« neutre » (l’inactivité) plutôt que dans une catégorie politique-
ment dangereuse (le chômage).
Les effets croisés de ces politiques contribuent à segmenter la
population active (et inactive) en multiples sous-catégories en posi-
tion différente par rapport à l’emploi et dont la légitimité à y
accéder est différente.

Structures des marchés

Les politiques d’emploi interviennent directement sur certaines


des structures des marchés de l’emploi : un bon nombre des dispo-
sitifs des politiques d’emploi associent formation et stages en entre-
prise. L’extension du recours aux stages (consécutive à l’extension
du chômage de longue durée) a eu des conséquences importantes
dans les bassins d’emploi locaux, en stabilisant un « marché » de la
formation largement dépendant de la commande publique et en
associant des entreprises à cet effort de formation.
C’est ainsi que les programmes d’aide aux préretraites bénéfi-
cient essentiellement aux grands établissements industriels, le
tertiaire marchand utilisant plutôt les aides à l’emploi, surtout dans
les petits établissements (moins de 50 salariés et surtout moins de
10 salariés) [DARES, 2003].
De nouvelles circulations sont ainsi constituées sur les marchés
locaux, à travers les ponts que lancent les intermédiaires institu-
tionnels : délégations départementales et régionales à la forma-
tion professionnelle, agences locales pour l’emploi, missions
nouvelles qualifications, et les autorités régionales et locales [Bessy
et Eymard-Duvernay, 1997].

Modernisation de l’appareil productif

Les services de l’emploi interviennent aussi, de manière proba-


blement moins facilement repérable, dans les évolutions des entre-
prises : une part importante des interventions de l’ANPE, de
l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de
travail) et des Directions départementales du travail et de l’emploi
porte sur la modernisation de l’appareil productif. Elle comporte
deux objectifs complémentaires : permettre d’anticiper les consé-
quences des évolutions technologiques en termes de mouve-
ments d’emploi et de qualifications ; intervenir dans les conditions
sociales de choix, de mise en place et d’accompagnement de ces
évolutions, notamment par la modernisation négociée.
76 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

À travers l’attribution de fonds et de conseils pour l’innovation


technologique, à travers les subventions accordées aux entreprises
qui adhèrent aux conventions de conversion, il s’agit bien d’une
intervention structurante à la fois sur les comportements des entre-
prises, sur leurs modèles de gestion de l’emploi, mais aussi, plus
largement, sur les liens entre différentes entreprises dans un bassin
d’emploi, élargissant ainsi le contrat de travail à des périodes non
productives et en faisant un objet de responsabilité collective (un
bassin d’emploi, les employeurs d’une même branche) et non
limité à une transaction entre deux personnes. Cet élargissement
a d’ailleurs trouvé une première traduction à travers la proposition
d’un « contrat d’activité » qui couvrirait, pour un même salarié,
périodes de travail productif, de formation et de chômage en
préservant ses droits sociaux [Boissonnat, 1994], proposition
encore fortement discutée.
Les politiques publiques contribuent aussi à faire reconnaître
l’autonomie et la capacité de décision des entreprises, acteurs
sociaux autant qu’agents économiques.

Politiques d’emploi des entreprises

Les entreprises interviennent de manière active dans les mouve-


ments d’emploi, dans la détermination des contours de la popula-
tion employée et de celle qui se dirigera vers le chômage ou y
restera, dans la définition de l’employabilité.
Les décisions en matière d’emploi sont parfois très visibles,
lorsqu’il s’agit d’agir directement sur les effectifs. Mais elles sont
aussi la conséquence directe de choix plus en amont qui se font
sentir à long terme, les choix d’organisation du travail. On sait
l’importance que revêt, pour l’analyse du travail, de ses résultats
(productivité, qualité…) et de ses conditions, la compréhension des
principes de l’organisation mise en œuvre. Cette importance est
aussi grande pour l’emploi, même si elle est moins étudiée.
En effet, la formulation des exigences à l’embauche, la manière
de gérer les mutations technologiques, la traduction des à-coups
de l’activité économique en besoins de main-d’œuvre ne sont pas
des opérations automatiques : la même production peut être faite
par l’association d’individus de qualifications différentes ; l’adop-
tion de nouvelles techniques, la mise en place d’équipements
nouveaux peuvent, dans beaucoup de cas, s’accompagner indiffé-
remment d’un appel aux compétences extérieures — d’un mouve-
ment d’emplois — ou d’un effort de formation interne. Les
compressions de personnel ne sont pas toujours la traduction
POLITIQUES D’EMPLOI ET ORGANISATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL 77

automatique des ralentissements d’activité. Il existe toujours une


marge de manœuvre, une capacité de choix des dirigeants d’entre-
prise qui n’est pas réductible à l’enregistrement des fluctuations du
marché des produits.
Bien plus, l’organisation du travail définit des parcours internes,
des carrières, c’est-à-dire, pour les salariés, des possibilités d’enri-
chissement et de valorisation des compétences.
Le mode d’organisation du travail, la gestion de la main-
d’œuvre, le type d’exigences qui lui est adressé (appel à des qualités
d’exécution, à l’autonomie), les techniques employées, en change-
ment plus ou moins rapide et constant, agissent ainsi fortement,
sur le moyen et le long terme, pour déterminer des profils très diffé-
rents et dont les capacités de mobilité entre situations d’emploi
diverses sont radicalement différentes. Cela est connu pour les
postes « à responsabilité », postes d’encadrement, mais devient de
plus en plus important pour les emplois ouvriers.
Une part importante du contrat passé entre l’employeur et le
salarié est ainsi très peu visible et elle n’est donc pas souvent négo-
ciée [Eustache, 1986]. C’est pourtant elle qui décidera — en cas
de rupture de la relation d’emploi — de ce que pourra présenter
le salarié devenu chômeur comme arguments pour obtenir une
embauche ultérieure dans un cadre différent.

La qualification : une négociation complexe

La qualification joue, dans les analyses des mouvements


d’emploi, un rôle essentiel. Elle semble être un vecteur d’informa-
tion suffisamment complexe pour s’adapter aux différentes situa-
tions de production, bien reconnu, de portée générale et donc apte
à assurer une compréhension étendue et l’ajustement le plus fin
entre l’offre et la demande de travail.
En ce sens, les systèmes de qualification sont un élément théo-
rique déterminant pour le fonctionnement des modèles écono-
miques qui postulent l’information la plus proche de la perfection,
pour fonder le comportement rationnel des offreurs et demandeurs
de travail.
C’est aussi — apparemment — ce qui permet une prévision et
une réponse aux mutations de l’appareil productif : l’État, par la
mise en place de formations nouvelles et la reconnaissance de
diplômes nouveaux, prend une part centrale dans le modelage de
ce qui apparaît dans un premier temps comme un vecteur idéal
d’information (un langage clair) en même temps qu’une réponse
sur le fond (l’acquisition des compétences).
78 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Ces deux dernières dimensions posent pourtant de nombreux


problèmes. De quoi dispose-t-on, en effet, pour définir et recon-
naître les qualifications ?
Dans les marchés de métier (comme celui du livre ou du verre),
les qualifications sont produites pour le poste et évoluent avec lui ;
la faible généralité des compétences acquises, justifiée par la stabi-
lité de l’emploi puisqu’on n’aura pas à les transférer dans un autre
secteur d’activité, est la contrepartie d’une adaptation fine aux
exigences de la production, contrôlée par l’ensemble des acteurs au
travail.
Lorsqu’il s’agit de marchés plus étendus, la reconnaissance des
qualifications pose des problèmes plus complexes : la formulation
des compétences requises pour un poste n’est pas une évidence,
ni un reflet des exigences des machines. Elle dépend des modes
d’organisation du travail mis en place et donc d’une construction
technique et sociale. Elle n’est pas non plus, le plus souvent, une
élaboration isolée, l’œuvre d’un expert, mais l’issue d’un processus
collectif, dans l’entreprise ou la branche, conflictuel ou négocié
[Eyraud et al., 1988].
Réciproquement, la preuve de la détention d’une qualification
est difficile, dès lors qu’on ne peut la mettre aussitôt à l’épreuve,
dès lors qu’elle est plus qu’un tour de main. C’est pourquoi ont
été progressivement élaborés des « systèmes de qualifications »
ventilés en cinq ou six grands niveaux et qui tentent d’allier préci-
sion (par la reconnaissance de multiples diplômes spécifiques) et
généralité (par leur regroupement dans des classes de niveau équi-
valent comme par la standardisation des contenus des diplômes
nationaux). Ce résultat est lui aussi l’aboutissement d’un processus
long, collectif, négocié en permanence entre les instances capables
d’attribuer une reconnaissance aux formations et aux diplômes qui
les sanctionnent, en premier lieu l’Éducation nationale et les parte-
naires économiques et sociaux « utilisateurs » des qualifications,
acteurs des différents secteurs d’activité [Reynaud, 1987].
Ces procédés de construction complexes permettent de mieux
comprendre comment l’ajustement entre les exigences d’un poste
et les diplômes détenus par un salarié est tout sauf automatique,
tout sauf simple. De nombreux désajustements entre ces ensembles
peuvent se manifester, plus ou moins gravement et durablement.

La qualification et l’emploi

La progression le long de filières, au sein de l’entreprise, ne


soulève en général pas de problèmes particuliers, puisque la preuve
de la qualification se fait à l’intérieur d’une relation d’emploi,
POLITIQUES D’EMPLOI ET ORGANISATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL 79

c’est-à-dire au fil d’une construction sociale progressive, à l’inté-


rieur d’un échange d’engagements réciproques qui permettent de
faire valoir les qualifications détenues (et de manifester claire-
ment celles qui sont recherchées). Mais il n’en est pas de même
pour l’accès au marché du travail (par exemple, le premier emploi
des jeunes) ou lorsque la relation d’emploi est rompue (le
chômage). On s’aperçoit alors que la qualification apparaît, à elle
seule, comme un vecteur d’information et d’ajustement assez
faible.
Deux mouvements sont ici à l’œuvre : le premier, l’évolution
des techniques et de l’organisation productives, s’est accom-
pagné, dans les secteurs d’activité concernés de la redéfinition des
postes, des qualifications exigées et de leurs modes de certifica-
tion. L’évolution technique et la redéfinition ne sont pas stricte-
ment calées l’une sur l’autre : les employeurs continuent à
demander des qualifications disparues, qui ne correspondent pas
aux exigences réelles du travail à faire (notamment dans l’électro-
nique ou le bâtiment) ou se rabattent sur des diplômes généraux
plus élevés (notamment la certification scolaire générale), « faute
de mieux », faute de pouvoir définir et trouver les qualités précises
qu’ils souhaitent ; les salariés se détournent de certains secteurs.
C’est aussi — deuxième mouvement — une évolution propre aux
modes de gestion managériaux [Kern et Schumann, 1989]. Une
première tendance lourde a consisté à rechercher les « plus petites
qualifications possibles », c’est-à-dire à mettre en place une organi-
sation productive dérivée du taylorisme qui puisse fonctionner
avec des salariés dotés de qualifications « de base » et qui rende
donc l’entreprise moins dépendante des qualifications rares et des
exigences des travailleurs qualifiés.
Dans beaucoup de ces entreprises — quelle que soit leur taille —,
la qualification des salariés est produite en même temps que le
travail, elle suit l’ancienneté. Cette progression se fait au moindre
coût pour l’entreprise puisqu’elle ne demande pas d’investissement
spécifique en formation. Elle n’est toutefois pas, le plus souvent,
formalisée ni référée aux systèmes de qualifications à validité plus
large. Hors du « marché interne » qui a permis son acquisition, le
salarié ne peut en faire état de manière convaincante, puisqu’il n’a
pas la possibilité d’en faire la preuve sur le terrain.
C’est ainsi qu’on peut comprendre que le licenciement écono-
mique, après un emploi durable, soit une des sources du chômage
de longue durée actuel alors que les salariés concernés ne posaient,
à l’évidence, aucun problème d’insertion, de capacité à travailler,
ni d’« employabilité » [Bouillaguet et Guitton, 1992].
80 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

tivement plus que les ouvriers qui instal-


Les installateurs de téléphone lent lessystèmes téléphoniques privés à
base d’électromécanique. Deuxième
« Au milieu de la décennie quatre-
facteur, touchant à la concurrence : les
vingt, les employeurs et, avec eux, les grands installateurs de téléphonie
ministères des Télécommunications et privée ont réduit très considérable-
de l’Éducation nationale ont considéré ment le coût, pour l’entreprise mettant
que ce secteur était peu créateur en place un nouveau central télépho-
d’emplois et fermé nombre de classes nique, de la partie installation stricto
de CAP. Cinq à six ans plus tard, les sensu. Du coup, les petits installateurs
employeurs recherchent des ouvriers ont dû réagir et, au lieu de pouvoir
qualifiés, installateurs de téléphone. mettre deux personnes sur un chantier,
Mais là commence la méprise. Si les l’une plutôt « second œuvre » du bâti-
classes ont été fermées, c’est que le ment, l’autre plutôt téléphoniste, ils ont
passage d’un matériel électroméca- dû envoyer une seule personne. Outre
nique à des matériels semi-électro- les compétences en matière d’électro-
niques ou électroniques a laissé penser nique et non plus seulement de télé-
aux entrepreneurs qu’ils n’auraient plus phonie électronique, qui sont attendues
besoin d’embaucher avant de de ces nouveaux ouvriers, les entre-
nombreuses années. En réalité, deux prises exigent désormais de surcroît des
facteurs ont transformé le métier compétences en matière de second
d’installateur et donc les compétences œuvre. Pendant longtemps, ces installa-
attendues. Premier facteur, d’ordre teurs ont cherché sur le marché du
commercial : outre l’installation télé- travail des monteurs en matériels télé-
phonique, les entreprises se sont phoniques, sans se rendre compte qu’ils
orientées vers la sécurité des biens, vers attendaient une compétence foncière-
la domotique, vers l’installation de ment nouvelle par rapport à celle qu’ils
réseaux micro-informatiques et elles ont exigeaient quelques années plus tôt. »
donc eu besoin d’ouvriers ayant un
minimum de connaissances en matière
d’électronique, en tout cas significa- Beaujolin [1992].

L’effet des restructurations industrielles et l’abondance de


main-d’œuvre ont conduit les employeurs à développer un second
type de gestion « post-taylorien » : la tendance actuelle est plutôt à
élever le niveau des qualifications exigées pour un poste, parfois
parce que la complexité de la tâche est mesurée en fonction de la
sophistication des techniques utilisées, mais le plus souvent parce
qu’un diplôme plus élevé est réputé indiquer des qualités person-
nelles maintenant recherchées autant que des compétences tech-
niques précises.
Ces évolutions ont des conséquences pratiques importantes.
Si la difficulté de reconnaître — pour l’employeur — et de mani-
fester — pour le salarié — des qualifications précises peut être
source d’obstacles à l’établissement d’une relation d’emploi,
l’inverse est aussi vrai.
L’incertitude des statuts de l’emploi peut empêcher le salarié
d’investir dans la formation permanente qui lui permettrait
POLITIQUES D’EMPLOI ET ORGANISATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL 81

d’acquérir des qualifications supplémentaires ou même le dissuader


de mobiliser la totalité de ses capacités et de ses compétences.

Statuts d’emploi et mobilisation de la main-d’œuvre

De nombreux auteurs [de Terssac et al., 1992 ; Linhart, 1994] qui


ont analysé les évolutions les plus récentes du contenu du travail
et du type de participation demandé aux salariés convergent pour
souligner que sont de plus en plus demandés engagement, capa-
cité à décider, autonomie de jugement et capacité d’innovation.
Cette tendance est générale et non réservée aux postes dits de
« responsabilité » ; elle accompagne les effets de l’automatisation et
le recours aux nouvelles technologies, parce que celles-ci dévelop-
pent les fonctions de contrôle, mais surtout parce qu’elles exigent
des interventions correctrices rapides.
Comment cette demande d’investissement plus profond, cette
exigence de mobilisation des facultés de jugement peuvent-elles
s’accommoder de flottement dans les statuts d’emploi et d’incerti-
tudes sur leurs évolutions à moyen terme ? Comment cette coordi-
nation fine, forme de qualification collective, entre membres d’une
équipe de travail, peut-elle être requise lorsque voisinent des
salariés sur contrat à durée déterminée, des intérimaires et des
employés plus stables ?
Cette question doit être abordée avec prudence. De nombreuses
observations montrent que les modes d’emploi déterminent effec-
tivement des statuts différents dans l’entreprise et qu’aux emplois
stables sont associés chances de promotion, meilleurs horaires et
responsabilités plus étendues [Maruani et Nicole, 1989].
Dans beaucoup de cas, le clivage essentiel passe bien entre
l’emploi stable « traditionnel » et toutes les autres formes (y
compris l’emploi à temps partiel). Mais, dans d’autres, la situa-
tion apparaît très complexe et la juxtaposition de formes d’emploi
multiples aboutit à des effets composés. Parfois, c’est entre les
formes « non stables » d’emploi que se font jour les différences, le
statut d’emploi ne suffisant pas à établir — à lui seul — des frac-
tures au sein de la population salariée d’une entreprise : soit parce
que certains contrats à durée déterminée (comme certains horaires
malcommodes, comme certains emplois à temps partiel) représen-
tent, en fait, des périodes de mise à l’épreuve où la précarité, bien
réelle, est mise en perspective d’une possibilité ultérieure d’emploi
plus stable et donc inscrite dans une évolution de carrière, même
si celle-ci n’est réellement ouverte qu’à quelques-uns ; soit encore
le cas de certains intérimaires, notamment dans les grandes entre-
prises, qui sont appelés de manière régulière, qui entretiennent des
82 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

liens réguliers avec leur employeur — la société d’intérim — et dont


les missions s’insèrent dans un accord stable entre l’entreprise utili-
satrice et la société prestataire — cela pouvant aller jusqu’à des
accords de formation.
Il s’agit bien de différences générées par le statut d’emploi, mais
celui-ci n’est pas toujours résumé par son expression juridique.
Entre intérimaires, entre travailleurs sur contrats particuliers, ce
sont les termes de l’échange, les engagements réciproques de
l’employeur et du salarié sur la durée qui creusent la différence.
Ceux-ci constituent la réalité du contrat de travail, mais n’en sont
pas les causes les plus apparentes.
Les diverses dimensions juridiques, économiques et sociales de
la relation d’emploi se combinent pour aboutir à des résultats
complexes, à leur tour producteurs de différences en termes d’accès
à l’emploi, de contenu du travail et de mobilité professionnelle.
V / Statuts sociaux
et stratégies des acteurs

Les statuts d’emploi n’interviennent pas seulement sur la place


qu’occupe chaque salarié dans l’entreprise ni sur le seul contenu de
son travail, mais sur l’ensemble de sa manière d’être dans la société,
sur ses capacités d’action, sur sa position sociale.
L’analyse des statuts sociaux, des clivages et des hiérarchies dans
la société est une question centrale pour la sociologie. Le travail a
toujours été reconnu comme une dimension constitutive de ces
statuts sociaux puisque le type de tâches, la place dans l’organisa-
tion du travail, les rapports de travail avec les collègues apparais-
saient comme un ensemble suffisamment cohérent et porteur de
sens pour avoir des prolongements hors de l’entreprise, à travers
des sociabilités et des capacités d’action propres à chacune de ces
catégories. Les recherches sur les cultures ouvrières, par exemple
[Sainsaulieu, 1977 ; Verret, 1988], montrent bien que les ouvriers
de l’industrie partagent des manières de vivre, d’occuper leurs
loisirs, font des choix familiaux comparables et surtout élaborent
des manières d’agir collectivement et d’entrer dans l’action reven-
dicative à travers leurs relations de travail quotidiennes.

Statut social et emploi

La situation d’emploi, surtout dans un contexte où l’emploi est


un bien rare, a des conséquences plus larges sur le statut social lui-
même. En effet, les analyses des divers marchés du travail, des
diverses formes d’emploi, la reconstitution des mouvements entre
eux, la reconnaissance de l’hétérogénéité des formes de chômage
ont eu aussi pour conséquence d’attirer l’attention sur le fait que
l’emploi occupé ne se définissait pas seulement par le salaire versé,
d’une part, et le contenu du travail, de l’autre.
84 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

L’emploi stable est souvent associé à des avantages nombreux


qui définissent progressivement une place dans la société, en assu-
rant un niveau de consommation supérieur à ce que permettrait le
seul salaire (accès à des mutuelles, à des centrales d’achat, vacances,
assurances, prêts immobiliers, etc.), en adoucissant les contraintes
de travail quotidiennes (horaires souples, surveillance moins rigide,
congés pour maladie des enfants…), en protégeant les individus de
certains à-coups de l’existence (régimes plus favorables des congés-
maladie, âge de la retraite et assouplissement de ses modalités, etc.)
et en leur offrant des perspectives à plus long terme (carrières plus
longues, accès à la formation).
Si l’on ajoute que les emplois stables, surtout au sein des grandes
entreprises ou des administrations, donnent aussi accès à des acti-
vités collectives, syndicales ou simplement de sociabilité, on
comprend que l’association de ces avantages n’est pas l’équiva-
lent d’un supplément de salaire — bien qu’on puisse souvent les
chiffrer —, mais détermine bien, par ses dimensions multiples, un
statut social, une capacité d’action et d’intervention individuelle et
collective dans la société.

Le RMI comme contre-exemple

L’instauration du RMI (revenu minimum d’insertion) par la loi


du 1er décembre 1988, puis sa révision le 29 juillet 1992, constitue
l’illustration d’une forme extrême de distance entre le statut social
et le statut d’emploi.
Au 31 décembre 2002, le RMI concernait 1 068 900 bénéficiaires.
Son montant, variable puisque c’est une allocation différentielle,
est, en moyenne, de 400 euros [CNAF, 2004].
Le RMI était destiné non seulement à garantir un revenu
minimum, mais à arrêter un mouvement de désinsertion
sociale amorcé en général par des difficultés durables d’accès
à l’emploi. L’objectif à plus ou moins long terme, même s’il
était parfois implicite, était bien de rapprocher le bénéficiaire de
la prestation d’un emploi — même aménagé, subventionné ou sous
des formes particulières —, seul capable d’éviter une exclusion
durable.
Le sens du « contrat d’insertion » avec ses objectifs, qui doivent
être négociés entre le bénéficiaire et l’instructeur du dossier, était
ainsi sous-tendu par la perspective d’un accès à l’emploi. La loi du
29 juillet 1998 de lutte contre l’exclusion allait dans le même sens
en permettant le cumul temporaire et partiel d’un salaire et du
RMI.
STATUTS SOCIAUX ET STRATÉGIES DES ACTEURS 85

Dans de nombreux cas, à cause des caractéristiques des


personnes concernées dont l’hétérogénéité est apparue encore plus
frappante que celle des chômeurs de longue durée, cette perspec-
tive s’est révélée dénuée de réalité : certaines difficultés de santé,
certaines situations d’âge, d’absence de qualification ou même de
désinsertion durable demandent à être traitées comme telles et non
en référence à une « employabilité » à restaurer.
Le « contrat » dans ces cas — nombreux — peut alors ne
comporter aucun objectif en termes d’emploi, mais aborder direc-
tement l’insertion sociale sans qu’une médiation par le travail la
soutienne et lui donne un sens clair.
Quel est alors le contenu de cette insertion ? La qualité de béné-
ficiaire est une étiquette qui n’a, par elle-même, aucune efficacité
sociale et n’est pas porteuse d’intégration. Les sommes versées et
la prise en charge sociale qui y est associée peuvent permettre
d’écarter quelques-unes des difficultés génératrices d’exclusion
(maladies non traitées), par exemple, mais ne peuvent suffire à
assurer une vie sociale « normale ».
Les travailleurs sociaux et les militants d’associations qui sont
chargés d’instruire les dossiers et de formuler l’objectif du contrat
— avec des instructions assez différentes d’une région à l’autre —
se sont donc vus contraints de donner, progressivement et au cas
par cas, un contenu et une forme à cette insertion sociale hors de
l’emploi, à inventer un statut social spécifique.
La diversité des formules adoptées montre bien qu’il s’agit là
d’un problème social encore inédit, même si la situation visée — la
pauvreté, l’exclusion — n’est pas en soi nouvelle. Quelle est la défi-
nition d’un statut social, quel est le contenu de l’insertion, quels
sont les vecteurs du lien social hors de toute référence à une acti-
vité productive [Castel, 2003] ? Ces questions n’ont pas reçu, on
s’en doute, de réponse claire. Certains analystes [Van Leren-
berghe, 1992 ; Decroop, 2000] se sont interrogés sur la nécessité,
pour l’ensemble de la société concernée, de réfléchir à ce que pour-
rait être un modèle social où les activités productives ne constitue-
raient pas le seul principe ordonnateur de l’insertion, renouvelant
ainsi des débats sur le sens du travail qui s’étaient affaiblis depuis
les années 1970 [Méda, 1995].
D’autres, en revanche, ont manifesté leur inquiétude [Castel et
Lae, 1992] : la fonction que sont amenés à remplir actuellement les
travailleurs sociaux n’a en définitive pas pour résultat de restaurer
les conditions de possibilité d’une insertion sociale, mais constitue
— par elle-même — le seul contenu, la seule réalité de cette inser-
tion, le seul lien social offert au bénéficiaire.
86 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Bien plus, la croissance du nombre de RMistes (582 361 au


31 décembre 1991 et plus d’un million au 31 décembre 2002,
même si, pour la première fois une diminution de 1,4 % est inter-
venue au premier trimestre 2000) et la diffusion de dispositifs qui
éloignent leurs bénéficiaires de l’emploi seraient le signe d’une
refonte en profondeur du salariat comme convention sociale
fondatrice [Castel, 1995].

Une hiérarchie de statuts ?

Entre l’emploi stable, avec la place qu’il autorise dans la société,


et l’exclusion, exclusion sociale et exclusion du marché du
travail, peut-on établir un continuum, peut-on définir une hiérar-
chie où statuts d’emploi et statuts sociaux se correspondraient
directement ?
Dominique Schnapper [1989] établit ainsi une gradation
continue entre « statuts liés à l’emploi » (stable, puis instable),
statuts « dérivés de l’emploi » (chômeurs, retraités, conjoints de
travailleurs, mais aussi stagiaires), statuts « liés à la protection
sociale » et « hors statuts ».
Cette approche associe de manière étroite et univoque emploi et
statut social : les étiquettes réglementaires définissant l’emploi ont
ici une efficacité sociale propre, les acteurs sociaux en sentent la
force contraignante, intériorisent les obligations qui y sont asso-
ciées et se fixent pour but de changer de statut, d’étiquette, de caté-
gorie. Il est normal, dans ce cadre, que le rôle principal revienne
à celui qui a le pouvoir d’élaborer ces catégories réglementaires,
l’État, même s’il consulte les partenaires sociaux.
« Cette hiérarchie montre la multiplication des statuts à
laquelle conduisent deux logiques de l’action de l’État-providence,
d’ailleurs liées, celle de l’accroissement du nombre des emplois
publics et parapublics, devenus modèles universels, et celle des
interventions de l’État au nom de la solidarité nationale, justifiées,
selon les périodes, par la prospérité économique ou par la crise. »
Le rôle des différents acteurs sociaux se bornerait alors à
« intérioris[er] la condition que fixe la réglementation »
même s’il leur reste une marge d’interprétation et « on comprend
que la recherche d’un statut prenne la place de la recherche
d’une activité ». L’État — et cela serait particulier à la situation
française — se trouverait ainsi en accord avec les syndicats et
le patronat pour « réduire dans les faits et […] masquer dans
les représentations les effets sociaux des conditions dégra-
dées des marchés de l’emploi […] par l’élaboration et la manipu-
lation de la hiérarchie des statuts intermédiaires entre l’emploi,
STATUTS SOCIAUX ET STRATÉGIES DES ACTEURS 87

l’assistance et le chômage […] » pour assurer une paix sociale


temporaire.
Cette formulation particulièrement ferme permet d’examiner
trois questions essentielles pour l’analyse des rapports entre
l’emploi et le statut social :
— si le statut d’emploi induit le statut social, l’inverse n’est-il
pas aussi vrai ?
— il y a bien des catégories différentes d’emploi : sont-elles si
clairement hiérarchisées, suffisent-elles à déterminer, dans chaque
cas, un statut social différent ? Quelle est leur permanence dans le
temps ?
— n’y a-t-il qu’une source de production des catégories, caté-
gories d’emploi ou catégories sociales ? Sont-elles l’effet planifié
d’une régulation centrale ou bien le résultat de déterminants
complexes ?

Statut social et modes d’emploi

Si l’emploi est, en effet, un « bien rare », il est logique que l’accès


à l’emploi soit un enjeu important pour les acteurs sociaux, que
la situation d’emploi soit une dimension organisatrice des clivages
sociaux et de l’intégration sociale.
Pour autant, il est probablement difficile de le saisir à travers une
hiérarchie unique.
Tout d’abord, parce que dire que la situation d’emploi est
centrale, cela veut aussi dire que l’obtention de ce bien rare sera
l’objet d’une compétition : concurrence entre les individus et entre
les groupes sociaux. Ces groupes ne sont pas tous pourvus des
mêmes ressources et les mêmes atouts ne valent pas dans toutes
les compétitions. Les qualités présentées peuvent être des qualités
d’« emploi » (qualification, parcours antérieur), elles peuvent aussi
provenir de la situation sociale (âge, sexe, catégorie sociale, situa-
tion de famille, nationalité, etc.).
Les conditions d’accès à l’emploi, la légitimité à travailler, les
exigences formulées par les employeurs ne prennent pas en consi-
dération les seules exigences du travail, mais tiennent aussi compte
des différenciations et des clivages sociaux préexistants. Les poli-
tiques d’emploi, qu’elles soient publiques ou d’entreprises,
s’appuient sur des clivages sociaux préexistants, qu’elles contri-
buent à pérenniser, renforcer ou définir [Maruani, 1989]. Si le
statut d’emploi a une importance dans la constitution du statut
social, l’inverse est donc aussi vrai.
La plus grande partie des emplois précaires est occupée par
des jeunes et la quasi-totalité des emplois à horaires réduits, par des
88 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

femmes. Les stages organisés dans le cadre des politiques


d’emploi s’adressent à des catégories très précisément définies par
des dimensions sociales (sexe, âge, charges de famille) et pas seule-
ment professionnelles (niveau de qualification, causes du
chômage).
La plupart des professions organisées en « marchés fermés » sont
ou ont été fermées aux femmes (le livre ou l’aéronautique, par
exemple), certains secteurs d’activité où le travail était organisé en
équipes leur ont été de fait interdits puisqu’il était illégal de les
faire travailler de nuit. Certains emplois publics sont réservés aux
personnes atteintes de handicaps, retraités issus de l’armée…

L’accès à l’emploi : quels mécanismes ?

Les mécanismes producteurs de ces conditions d’accès à l’emploi


n’ont pas tous la même origine, ni la même force.
La loi interdit le travail des enfants, les dispositifs de lutte contre
le chômage privilégient certains groupes et en excluent d’autres.
La forme de l’offre d’emploi sélectionne certaines catégories et en
décourage d’autres, les exigences des employeurs éliminent — plus
ou moins explicitement — certains salariés, la rareté de l’emploi
introduit une sur-sélection (souvent d’après l’âge, le sexe, la natio-
nalité) entre groupes sociaux ; la situation légale (absence de cartes
de séjour et de travail) pousse vers les conditions de l’emploi les
moins protégées (travail au noir).
De ce fait, une seule source, un seul acteur social — fût-il l’État —
ne peut assumer la double responsabilité de la définition des statuts
et de la ventilation des individus entre ces statuts. Les rapports
entre statuts sociaux et statuts d’emploi sont complexes : l’un n’est
pas la projection de l’autre. Il faut plutôt voir, dans les deux cas,
l’effet croisé d’influences multiples. La production des groupes et
des clivages sociaux n’a pas la stabilité d’une catégorisation admi-
nistrative et juridique. Si cette catégorisation intervient bien
comme dimension constituante, elle n’est pas la seule, ni proba-
blement la plus importante.
Être chômeur et être retraité, c’est dans les deux cas bénéficier
de revenus versés au titre d’une activité professionnelle anté-
rieure, ce pourquoi Dominique Schnapper les rassemble dans le
même « statut dérivé de l’emploi ». Mais, au-delà de la catégorie
administrative, les situations ne sont pas comparables ; ni du point
de vue de l’emploi, puisque l’activité du chômeur est suspendue (la
moitié des chômeurs retrouvent un emploi dans les trois premiers
mois) alors que celle du retraité est arrêtée ; ni surtout du point de
STATUTS SOCIAUX ET STRATÉGIES DES ACTEURS 89

vue du statut social puisque la légitimité de l’un et de l’autre est


toute différente, et que les attentes sociales et institutionnelles
manifestées dans chaque cas sont radicalement opposées : le
chômeur doit retrouver du travail, le retraité ne doit pas en
chercher.

Stabilité de l’emploi et trajectoires de développement professionnel

Plus encore, reconnaître le poids des statuts de l’emploi dans


l’ensemble des activités sociales demande qu’on prenne en compte
l’ensemble des dimensions qui constituent la situation d’emploi
des individus et des groupes : l’organisation du marché du travail
concerné, l’étendue et le mode de reconnaissance des qualifica-
tions, les carrières ouvertes, les termes de l’échange impliqués par le
contrat, au-delà de sa stricte formulation juridique. On ne peut
réduire l’emploi à une seule dimension, celle de la stabilité
— même si on distingue stabilité prévue dans le statut (fonction-
naires) ou stabilité assurée par la qualification (experts ou profes-
sions libérales). On comprend bien qu’une secrétaire de la fonction
publique, un cardiologue exerçant en cabinet et un étudiant d’une
« bonne » filière présentent entre eux plus de différences
« sociales » que de traits communs même s’ils partagent une
certaine sécurité de l’emploi.
Dans l’ensemble de ces dimensions constitutives de la situation
d’emploi, les recherches récentes ont permis de percevoir l’impor-
tance de la dimension temporelle. La compréhension des trajec-
toires, l’enchaînement des emplois sont, dans la plupart des cas, au
moins aussi importants que l’analyse précise du statut instantané
de chaque emploi [Coutrot et Dubar, 1992].
Les marchés fermés ou réglementés (comme ceux de la fonc-
tion publique) non seulement assurent un emploi stable, mais
garantissent un développement positif tout au long de la carrière
professionnelle. Dans la plupart des autres situations, c’est ce déve-
loppement, son sens qui sont en question. C’est vrai pour des
formes d’emploi « banales », à durée indéterminée. Les réelles
possibilités de carrière, de développement professionnel sont une
des variables importantes, y compris pour le maintien dans
l’emploi en cas de fermeture de l’entreprise. Ce sont pourtant des
éléments peu apparents dans les contrats d’embauche. Les consé-
quences sur la stabilité de l’insertion sociale des groupes concernés
sont — à long terme — évidentes, elles n’apparaissent pas dans
l’instant.
Mais c’est bien entendu encore plus vrai pour les formes
d’emploi « précaires » de toute sorte.
90 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

L’une des évolutions les plus frappantes de la situation de


l’emploi dans les vingt dernières années est le développement de
situations intermédiaires, de formes et de statuts d’emploi qu’on
peut décrire un par un, mais qui ne sont générateurs de statut social
que dans la durée, que par la trajectoire qu’ils dessinent pour les
personnes et les catégories concernées.

Un modèle d’explication complexe

C’est par leur enchaînement, leur succession que certains


emplois précaires dessinent des trajectoires d’exclusion, débou-
chant sur l’inactivité ou déterminant des situations très proches du
chômage de longue durée alors que d’autres, qui, pris un par un,
ne se distinguent pas nécessairement des premiers, sont une voie
de stabilisation et d’accès à des situations moins exposées, et donc
d’insertion sociale.
La nature, le statut, le contenu des emplois — ou des stages —
interviennent mais aussi le secteur d’activité (les contrats à durée
déterminée sont particulièrement courts dans le commerce ;
l’intérim est de recours régulier dans l’industrie métallurgique), la
taille des entreprises (les carrières sont plus longues dans les
grandes entreprises) et probablement aussi d’autres facteurs qui
sont du ressort des stratégies — plus ou moins maîtrisées — des
individus (mobilité, choix du champ de qualification, contraintes
et ressources familiales…).
De ce fait, l’analyse des rapports sociaux constitutifs de l’emploi
est aussi une manière de renouveler l’intérêt de cette question
traditionnelle de la sociologie, parce qu’elle invite à prendre de la
distance avec des approches « structurelles » et fait apparaître clai-
rement la part de construction sociale : les statuts sociaux et les
statuts d’emploi ne sont donnés ni par les « structures sociales »,
ni par les besoins de l’appareil productif. Mais cette construction
sociale est bien le produit des interactions d’acteurs multiples : il
n’y a pas de « chef d’orchestre », même si tous ceux qui intervien-
nent n’ont pas le même poids, et il n’y a pas une seule hiérarchie
unifiée. Les dimensions constitutives du statut d’emploi et du
statut social (économiques, sociales, juridiques) se composent et
interagissent : il n’y a pas non plus de principe d’explication
central et unique.
Ainsi le statut de l’emploi intervient dans la définition des condi-
tions de travail : les horaires malcommodes ou irréguliers, les
conditions de sécurité les moins contrôlées (bâtiment, nucléaire),
les nuisances les plus fortes (bruit, saleté) sont souvent associés aux
STATUTS SOCIAUX ET STRATÉGIES DES ACTEURS 91

emplois instables où on considère qu’il n’est nul besoin de se


préoccuper d’aménager le travail ni de ménager les travailleurs
puisque leur rotation limite en principe leur exposition.
De la même manière, le statut de l’emploi intervient sur la
position sociale dans l’entreprise : la reconnaissance des qualifica-
tions, la fixation des salaires et les perspectives de promotion ne
sont pas du tout semblables pour les personnes employées aux
mêmes fonctions mais sur des contrats différents. Par exemple,
selon une enquête sur le commerce [Maruani et Nicole-Dran-
court, 1989], à travail égal et à niveau de formation identique, les
employés n’ont pas la même qualification selon qu’ils exercent leur
activité à temps plein ou à temps partiel. Dans tel magasin, par
exemple, les « employés libre-service » sont répertoriés comme
employés qualifiés quand ils sont à temps plein, employés non
qualifiés dès lors qu’ils sont à temps partiel. Dans telle autre grande
surface, une caissière est classée en catégorie 8 quand elle est à
temps complet, en catégorie 6 lorsqu’elle travaille à temps partiel
avec un contrat à durée indéterminée, en catégorie 4 si elle est à
temps partiel avec un contrat à durée déterminée. Les clivages
socioprofessionnels, ici, s’établissent à travail égal entre des
emplois à temps partiel d’emblée stigmatisés comme non qualifiés
et des emplois à temps plein garantissant un minimum de
professionnalité.
L’enchaînement d’emplois précaires n’aboutit pas nécessaire-
ment à une position équivalente à celle acquise par un emploi
stable, mais c’est à travers des médiations complexes qu’on peut
comprendre cet effet social.
Reconnaître l’importance des conditions d’emploi ne peut donc
se réduire à déplacer l’accent d’un déterminisme global (les struc-
tures sociales) à un autre (les statuts hiérarchisés et distribués de
l’emploi). Une part importante des échanges et des situations sur
les marchés du travail sont des constructions sociales mouvantes,
se développant sur la durée et où interviennent des acteurs
multiples. Les interactions entre statut d’emploi et statut social
sont elles aussi mouvantes, complexes, et les influences ne s’exer-
cent pas à sens unique.
L’insertion sociale et professionnelle des jeunes illustre bien ce
mouvement.

L’insertion des jeunes : marché de l’emploi et stratégies des acteurs

Les recherches récentes permettent de mieux comprendre


comment se combinent dimensions sociales et conditions
d’emploi.
92 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Si les résultats des travaux convergent pour conclure à un allon-


gement de l’insertion sociale et professionnelle depuis une tren-
taine d’années, les dimensions qui expliquent cet allongement ne
pèsent pas tout le long de cette période de la même manière pour
tous.
En effet, dans les années 1970, l’accès des jeunes à un « vrai »
emploi était retardé par le chômage (un chômage d’insertion)
surtout pour les moins qualifiés, et cette période était occupée
par des « petits boulots » à part, sans relation nécessaire avec
l’emploi occupé par la suite [Galland, 1993]. Trente ans après, la
situation est fort différente et se présente comme le résultat de
causes d’origines diverses [Join-Lambert, Pottier et Sauvageot, in
INSEE, 1993]. La modification de la nature des emplois offerts aux
jeunes combine une décision économique (la création d’emplois
à durée déterminée), avec une décision sociale (l’assignation de ces
emplois aux jeunes). Ces mouvements conjoints contribuent à
créer une norme d’emploi : à partir des années 1990, il est de plus
en plus difficile pour un jeune d’entrer sur le marché du travail
avec un emploi à durée indéterminée. Cette constatation déter-
mine aussi, parce qu’elle est partagée, une forme de normalité pour
les jeunes eux-mêmes, de l’insertion « précaire » — insertion
professionnelle mais aussi sociale où se confirment les tendances
au report des choix personnels (le nombre de jeunes — surtout
garçons — qui habitent encore chez leurs parents à 25 ans croît,
comme s’élève l’âge au premier enfant pour les filles [Meron,
Widmer, 2002]).
Cette norme d’emploi a des répercussions sur le contenu du
travail et la place dans l’entreprise : les contrats à durée déter-
minée font office de tri, de périodes d’essai allongées. Les emplois
précaires sont aussi souvent ceux qui permettent — à
l’employeur — de faire face à des contraintes particulières (horaires
inhabituels, tâches très délimitées…). Ils sont enfin ceux qui sont
les plus sensibles aux mouvements de la conjoncture, ceux par qui
les employeurs commencent lorsqu’ils ajustent leurs effectifs. Il
n’est donc pas étonnant que, dans certains cas, ils débouchent sur
une stabilisation dans l’emploi alors que, dans d’autres, « préca-
rité et instabilité initiales alimentent un chômage récurrent ou de
longue durée » [Join-Lambert et al., 1993].
La situation de ces jeunes est donc, pour une part, due à leur
qualité propre de jeune (c’est parce qu’ils sont jeunes qu’ils sont
engagés en CDD) et, pour une autre, due aux caractéristiques de
leur emploi (c’est parce que les CDD sont un élément important de
la flexibilité en France qu’ils se multiplient, deviennent plus courts
et plus sensibles).
STATUTS SOCIAUX ET STRATÉGIES DES ACTEURS 93

L’intervention des politiques publiques a contribué à conso-


lider la situation telle que nous la connaissons depuis les
années 1990. Les mesures multiples en direction des jeunes ont fait
reculer le chômage massif d’insertion en même temps que, par le
développement de stages et d’emplois « hors les normes », elles ont
appuyé le mouvement de « normalisation » des emplois précaires
et leur utilisation prioritaire pour les catégories en difficulté
d’insertion.
Cette nouvelle présentation de l’offre d’emploi en direction des
jeunes a, à son tour, des effets discriminants à l’intérieur de cette
catégorie.
Elle renforce la concurrence pour les emplois stables. Le diplôme
joue ici un rôle essentiel puisque, dans tous les secteurs d’activité,
les jeunes diplômés ont des taux de chômage bien inférieurs et un
taux d’accès à l’emploi stable supérieur.
Mais elle accentue aussi les différences entre sexes : les jeunes
filles sont régulièrement plus touchées par le chômage que les
jeunes gens et l’effet « protecteur » du diplôme joue plus faible-
ment pour elles. Elles sont, de plus, particulièrement touchées par
la précarisation et cela parce qu’elles se dirigent surtout vers le
secteur tertiaire où la proportion des emplois précaires est particu-
lièrement forte [Join-Lambert, Pottier et Sauvageot, in INSEE,
1993].
Enfin, construire une insertion professionnelle à travers une
suite d’emplois précaires (ou éviter que cette succession ne se
rapproche du chômage récurrent) exige la mobilisation de capa-
cités individuelles, la construction au jour le jour de stratégies
personnelles qui, à leur tour, ne sont pas accessibles à tous
indifféremment.
Selon Chantal Nicole-Drancourt [1994], à l’intérieur d’un groupe
de jeunes faiblement qualifiés, c’est la socialisation antérieure qui
fait la différence entre ceux dont le parcours débouchera sur un
ancrage stable dans l’emploi et ceux qui se marginalisent progressi-
vement. Cette socialisation antérieure intervient parce qu’elle
permet de constituer un « modèle de vie », un schéma directeur
où le travail a une place plus ou moins centrale, et parce qu’elle
permet aux jeunes concernés de mobiliser les ressources dont ils
peuvent disposer (connaissances, appuis familiaux, aides finan-
cières). À (faible) qualification égale, c’est la capacité à faire des
arbitrages entre vie personnelle et vie professionnelle (calendrier
familial), à présenter un « projet professionnel » aux employeurs, à
maintenir, à travers des emplois épars et des périodes de chômage
récurrentes, un comportement d’activité cohérent et déterminé qui
94 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

permet de comprendre, dans la durée, la différence des trajec-


toires. Celles-ci sont donc mieux expliquées par la reconstitution
des stratégies des acteurs sociaux que par aucune variable descrip-
tive (origine sociale, charges familiales, réseau d’aides…).
Dans cet exemple de l’insertion des jeunes, on voit ainsi claire-
ment comment se construit une norme d’emploi, la situation
d’emploi particulière d’une catégorie sociale. La part de l’interven-
tion délibérée des politiques publiques, correctrices et régula-
trices, y est importante ; pour autant, cette situation d’emploi n’a
été ni choisie ni prévue dans le détail et, telle qu’elle apparaît
aujourd’hui, ne pourrait être changée aisément par ces seules poli-
tiques publiques. La manière dont se présente le marché du travail
est aussi le résultat des interventions des acteurs, mais elle n’est pas
pour autant facilement accessible : c’est encore plus vrai pour les
organisations représentatives des salariés, les syndicats. L’enjeu que
représente l’emploi leur impose de nouvelles orientations dans la
conduite de l’action collective.

Syndicats et action collective

L’emploi se présente comme un problème pour l’action collec-


tive et les organisations syndicales. Le chômage et la crise de
l’emploi font peser sur l’ensemble des salariés une menace impor-
tante et sont un frein pour la mobilisation.
Tout d’abord et de manière globale, ils mettent en difficulté
l’organisation même des syndicats français, appuyée sur les métiers
et les filières professionnelles : la recomposition des secteurs d’acti-
vité, la montée de formes nouvelles d’emploi et leur distribution
inégale selon les secteurs productifs créent des clivages impor-
tants et obligent à des arbitrages nouveaux au sein des centrales
syndicales.
Mais, plus encore, l’action en faveur de l’emploi est difficile à
mener. Souvent confondue — délibérément ou non — avec
l’expansion économique, la croissance des emplois ne peut se
décréter. Au niveau national, l’emploi a fait l’objet de campagnes
syndicales tendant à faire adopter des politiques publiques de
relance économique et d’implantations industrielles massives ou
même de pressions pour le développement de l’emploi public
(postes de la fonction publique, adoption de principes d’organisa-
tion du travail plus utilisateurs de main-d’œuvre dans les entre-
prises publiques). Ces pressions, surtout utilisées au début des
années 1980, se sont progressivement raréfiées avec l’évolution de
STATUTS SOCIAUX ET STRATÉGIES DES ACTEURS 95

la situation économique et les résultats des restructurations indus-


trielles et des actions de modernisation de la fonction publique ou
de rationalisation des entreprises publiques.

Salaires et emploi : quelle dynamique revendicative ?

On a pu souvent s’étonner de la retenue des organisations syndi-


cales sur les thèmes de l’emploi et de leur faible mobilisation sur
ces questions, qui tranche avec les traditions revendicatives en
matière salariale.
On peut toutefois noter qu’en France les conflits pour l’emploi
représentaient, en 1993, plus de la moitié des conflits du travail et,
malgré la reprise économique, 20 % de ceux de 1999 et 45 % si
on leur ajoute les conflits sur la réduction du temps de travail
[DARES, novembre 2000]. On peut aussi se souvenir de la force,
de l’extension et de la popularité des mouvements de chômeurs de
1997-1998 qui ont conduit à remettre en discussion l’ensemble des
minima sociaux [Join-Lambert, 1998].
Néanmoins, certains ont pu aller jusqu’à conclure — dans une
perspective polémique — que l’un était la conséquence de l’autre
et que, en d’autres termes, les organisations syndicales se préoccu-
paient essentiellement des ressources des travailleurs en poste
même si le maintien de ces niveaux de salaire pouvait contribuer à
la dégradation de l’emploi [de Closets, 1982]. Une fois chômeurs,
les salariés seraient dépourvus de représentation et d’organisation
collective, ce qui contribuerait au déséquilibre des préoccupations
lors de la formulation des objectifs revendicatifs.
Cette « évidence » est une des conséquences de l’analyse des
marchés du travail d’après le modèle du marché des produits. Si
le marché du travail est un marché de concurrence classique, il
est logique qu’à une baisse du coût (les salaires) réponde une
hausse des quantités vendues (les emplois), et inversement.
L’intervention des syndicats, dans cette perspective, aboutit à
créer des compartimentations, des limites à l’exercice de la concur-
rence pure auxquelles on peut — par ailleurs — trouver un bien-
fondé en termes économiques, la stabilisation du marché du travail
pouvant avoir des effets positifs sur les résultats d’ensemble
[Dunlop, 1984].
Dans la réalité, il n’est pas vrai que la même entreprise pourrait
recruter plus de personnes si elle pouvait offrir des salaires plus
bas. Dans des cas nombreux, c’est même le contraire. En effet, une
entreprise utilise les qualifications disponibles sur le marché, mais
elle les fabrique aussi pour une bonne part : en offrant des salaires
96 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

plus élevés, elle retient les salariés compétents et les pousse à se


perfectionner. Ces investissements en formation commandent les
capacités d’innovation, la possibilité de définir des produits
nouveaux et donc celle d’ouvrir des marchés pour ces produits et
d’y occuper une place. Dans ce raisonnement, on voit bien
comment niveaux de salaire et niveaux d’emploi peuvent être
directement liés (et non inversement dépendants) : des salaires plus
élevés maintiennent le niveau d’emploi — voire l’accroissent —
parce qu’ils déclenchent un « cercle vertueux » d’investissement et
de développement.
Dans ce cadre, le syndicat peut intervenir pour assurer au départ
la stabilité des termes de l’échange, seule garante du bon déclen-
chement de ce cercle vertueux, en formalisant les garanties offertes
aux salariés. Il peut aussi faire pression pour que l’employeur choi-
sisse cette solution plutôt que celle de la routinisation de la produc-
tion et de la recherche prioritaire de la baisse des coûts. C’est ainsi
qu’on peut comprendre un certain nombre de conflits localisés qui
se sont déroulés pendant les années 1970 et dont le plus célèbre est
celui de Lip (1973).
À travers les thèmes revendicatifs de la maîtrise des conditions
de production et de l’orientation vers des produits élaborés,
l’action collective mettait en avant les compétences spécialisées
des salariés de l’entreprise comme un atout pour une dynamique
industrielle qui garantirait le niveau de l’emploi. Dans une
période caractérisée par un niveau élevé de l’emploi, on voyait
ainsi les acteurs collectifs — au-delà des syndicats — se mobiliser
largement et avec un soutien, au moins local, étendu, sur les consé-
quences en termes d’emploi du choix de stratégies de concurrence
industrielle.
On ne peut donc comprendre les conditions dans lesquelles
s’organise l’action collective si on la réduit à des arbitrages simples
entre niveaux de salaire et niveaux d’emploi. La réalité montre que
les processus sont beaucoup plus complexes et qu’il est bien rare
que — sauf situation particulière et limitée dans le temps — les
arbitrages se présentent sous cette forme.
Dans les vingt dernières années, l’arrêt de la croissance régu-
lière qu’avaient connue les principaux pays développés depuis la
Seconde Guerre mondiale a eu un effet profondément désorgani-
sateur des dynamiques revendicatives. L’expansion permettait la
création d’emplois, mais, surtout, elle garantissait, à plus ou moins
long terme, une diffusion rapide et élargie des avantages (salaires,
conditions de travail, temps de travail) acquis par certaines caté-
gories de travailleurs. Ces catégories « ouvraient la voie » aux autres
STATUTS SOCIAUX ET STRATÉGIES DES ACTEURS 97

et les représentants des salariés pouvaient parier sur une dyna-


mique d’entraînement qui renforcerait en même temps les interdé-
pendances dans l’entreprise aussi bien que dans les organisations
syndicales. La nature même des arbitrages qui étaient du ressort des
syndicats s’est trouvée profondément modifiée lorsque ce pari est
devenu sans fondement.

Les termes de l’échange

Les termes de l’échange avec les représentants des employeurs


apparaissent dès lors peu maîtrisables : lors de la négociation
de conventions collectives de branches, certaines centrales ont
tenté d’en établir de nouveaux comme, par exemple, pour le
commerce en 1982 ; la suppression de certains avantages acquis
pour des catégories limitées de personnel contre des garanties pour
d’autres, moins protégées, et surtout contre un engagement
patronal de création d’emplois. Cette tentative a été mal perçue par
les sections locales représentant les salariés concernés [Reynaud,
1991].
On peut, bien sûr, analyser ces réactions comme significatives
d’un corporatisme catégoriel : maintien des avantages d’une caté-
gorie favorisée à tout prix, même si d’autres risquent d’être écartées
de l’emploi ou d’y accéder dans des conditions défavorables. Et
interpréter les positions différentes des centrales syndicales à
l’égard de ce « troc » comme des marques de soutien plus ou moins
claires à ces corporatismes.
Mais on peut aussi observer qu’il n’est pas sûr qu’on puisse à
bon escient parler de « troc ». Les créations d’emplois ne dépen-
dent pas essentiellement des avantages salariaux des employés
d’aujourd’hui, mais bien plutôt des perspectives de développement
du secteur d’activité concerné, influencé par des tendances lourdes
et, pour une part, extérieures au secteur lui-même. Le bien-fondé de
ce calcul est discutable et on ne peut faire comme s’il était l’expres-
sion d’une évidence, comme s’il s’imposait et que seule restait aux
différents partenaires la possibilité d’adopter dans ce cadre une atti-
tude plus ou moins solidaire. Plus encore, les quelques exemples
de négociations récentes qui proposent un échange entre
l’augmentation du temps de travail des salariés (ou la diminution
de leur rémunération) et le maintien, par les dirigeants, des acti-
vités productives sur place (non-délocalisation) laissent perplexe
sur la stabilité et la liberté de cet « échange ».
98 SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI

Quels niveaux de négociation ?

La définition des emplois à supprimer, l’évaluation des « suref-


fectifs » ne se font pas non plus selon une procédure simple où
les syndicats pourraient choisir d’intervenir. Selon Bernard Gazier
[1998], si la notion de sureffectifs est bien une « construction
sociale », c’est-à-dire qu’elle est affaire d’évaluation, de juge-
ments, de paris et de rapports de force, c’est « finalement l’agence-
ment souvent contradictoire et organisationnellement hiérarchisé
des multiples logiques [des acteurs] qui débouche sur la détermi-
nation effective des sureffectifs ». Or, dans beaucoup de secteurs
d’activité où dominent les grandes entreprises, les responsables
locaux — aussi bien syndicaux que hiérarchiques — ne peuvent
influer sur les décisions qui affectent l’emploi. Celles-ci sont
soumises aux institutions centrales qui ne sont que rarement des
lieux de confrontation et de négociation véritables [Lallement,
1998].
D’une manière plus générale, l’emploi est une question qui ne se
traite pas forcément de manière cohérente entre tous les éléments
du système de relations professionnelles. Les différents niveaux de
négociation, les contraintes et les logiques à l’œuvre ne s’emboî-
tent pas nécessairement harmonieusement.
C’est ce que montre le cas du débat sur le travail de nuit des
femmes [Roux-Rossi et Bue, 1993] où l’on peut, entre autres, voir
à l’œuvre des préoccupations syndicales contradictoires : les
sections locales concernées ont été majoritairement favorables au
travail de nuit des femmes parce que, localement, cette interdiction
pouvait conduire à les exclure de l’emploi lors de la réorganisa-
tion des rythmes de travail et du passage en équipes. Localement,
il s’agissait bien de maintien de l’emploi féminin face à une muta-
tion technique et organisationnelle justifiée — par l’employeur —
par des impératifs économiques non négociables.
Nationalement, les organisations syndicales ont été majoritaire-
ment hostiles à l’abolition de cette interdiction, craignant que cette
autorisation donnée aux employeurs ne devienne, une fois généra-
lisée, une obligation et ne conduise à éliminer de l’emploi les
femmes qui ne pourraient pas faire face au double système de
contraintes (professionnelles et familiales) ainsi constitué de
manière finalement discriminatoire. La CFDT occupait une posi-
tion à part, acceptant la levée de l’interdiction (pour ne pas établir
de discrimination) sous condition de négociations locales et en
posant le problème des conséquences du travail de nuit, pour les
hommes comme pour les femmes.
STATUTS SOCIAUX ET STRATÉGIES DES ACTEURS 99

L’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes


de juillet 1991 a tranché ce débat en abolissant aussi bien
l’ancienne interdiction du travail de nuit des femmes que la loi
de 1987 qui l’aménageait. C’est donc un argument formel qui l’a
emporté : on ne peut admettre une mesure dont la formulation
est explicitement discriminatoire. La loi française en a pris acte en
2000 mais les logiques d’action des différents protagonistes
demeurent.
Parfois même, les acteurs qui interviennent localement sur les
questions d’emploi sont tout à fait différents de ceux qui en trai-
tent au niveau national : l’emploi mobilise des partenaires spéci-
fiques qui tiennent leur légitimité de sources multiples, hors de
la représentativité ou de l’élection ; des personnalités influentes,
des responsables économiques ou politiques régionaux ou même
des commissions locales (commissions pour l’emploi…) peuvent
s’y manifester de manière active. Ces acteurs constituent des confi-
gurations originales, propres à chaque situation, où les sections
locales des organisations syndicales ne peuvent s’en remettre à des
consignes nationales puisqu’elles doivent composer avec les
rapports de force qui s’y font jour [Jobert, 2000].
C’est pourquoi une attention particulière doit être portée aux
interventions syndicales qui tentent d’établir des règles et des lieux
de négociation qui permettraient de rétablir les termes d’un
échange réel et donc une intervention sur les mécanismes produc-
teurs de l’emploi, de sa qualité et de sa distribution sociale.

Politiques publiques et négociations locales

Parce qu’il confronte des logiques d’acteurs différentes, qu’il


interdit cette confrontation ou n’en autorise qu’une expression
conflictuelle, le type de relations professionnelles en vigueur dans
l’entreprise est déterminant. Déterminant dans la définition des
« sureffectifs », on l’a vu, mais, plus largement, c’est lui qui
explique qu’on ait recours, pour accompagner les changements
techniques, aux ressources internes (formation) ou externes
(mouvements de personnel). Il intervient aussi dans le choix des
formes particulières d’emploi (recours à l’intérim, au temps partiel,
au chômage partiel…) et, enfin, en cas de compression des effectifs,
sur le choix des formules adoptées et sur les solutions de reconver-
sion mises en place. Or, ces choix ont des conséquences fortes sur
la composition de la population qui se trouvera au chômage
comme sur celle qui sera maintenue dans l’entreprise.
Les pouvoirs publics ont été progressivement conduits par le
développement du chômage durable à tenter d’intervenir de
100 S O C I O L O G I E DE L’EMPLOI

manière préventive sur les mouvements d’emploi et à amener les


employeurs à une gestion prévisionnelle des emplois : il s’agit ici
de limiter le recours aux licenciements, dans l’absolu tout d’abord
mais, sinon, aux licenciements sans préparation d’une reconver-
sion, sans revalorisation des capacités des salariés visés. Il faut alors
développer l’employabilité des individus lorsqu’ils sont encore
dans l’emploi, lorsqu’ils peuvent faire valoir de manière efficace
leurs qualités professionnelles.
Quelques accords phares (Renault, métallurgie, en 1989, Sacilor
Sidélor, sidérurgie, en 1990) témoignent d’une forte évolution de la
part des employeurs concernés et d’une inflexion de leurs poli-
tiques d’emploi.
Les termes de ces accords prévoient ainsi une responsabilité
étendue de l’employeur : aides au reclassement et à la conversion,
y compris sur des postes hors de l’entreprise, subventions en cas
de reclassement peu favorable au salarié, période de reclassement
longue pendant laquelle l’employeur s’engage à trouver un poste
de remplacement…
Ces accords concernent de très grandes entreprises (plus de
500 salariés) et qui sont de surcroît passées par des phases de
restructuration industrielle massive. Il ne s’agit donc pas ici de lutte
contre le chômage, mais de mesures de redéploiement : il faut
construire les bases de ce que pourrait être une gestion prévision-
nelle de l’emploi, dans une perspective de reprise du développe-
ment des branches concernées.
Ils sont le produit de négociations longues et fournies avec les
fédérations syndicales concernées (FO, CGT, CFDT, CFTC, CGC) et,
même si seules certaines d’entre elles les ont signés, leur contenu
porte en profondeur la marque de ces négociations. On peut ainsi
remarquer qu’il s’agit là d’une innovation importante : l’informa-
tion des syndicats sur les problèmes de gestion de l’entreprise et
l’acquisition d’un « droit de regard » sur la politique de gestion de
la main-d’œuvre, à travers la discussion des plans d’emploi annuels
et triennaux. Ce point est suffisamment important pour qu’on
puisse se demander si ces accords n’annoncent pas une évolution
du droit du travail : celui-ci pourrait reconnaître aux représentants
des travailleurs une capacité à connaître des décisions économiques
(domaine réservé de l’employeur) et pas seulement leurs consé-
quences sociales [Gavini, 1994].
L’intervention des organisations syndicales, dans un cadre forte-
ment soutenu par l’État, est ici génératrice d’évolutions profondes
des comportements des employeurs, mais aussi des principes de
gestion et, avec probablement des conséquences plus étendues,
dans les catégories du droit du travail. Une des difficultés majeures
STATUTS SOCIAUX ET STRATÉGIES DES ACTEURS 101

pour l’organisation d’une action et d’une réflexion collectives sur


les questions d’emploi, ne pouvoir intervenir que sur des déci-
sions déjà prises aux niveaux supérieurs et dans un rapport de force
défavorable, serait ainsi contournée si les représentants des travail-
leurs se trouvaient fondés à faire valoir leurs rationalités propres en
amont de ces décisions. Une association plus étroite à ces déci-
sions pourrait en revanche placer les syndicats dans des situa-
tions parfois délicates et les mettre en difficulté vis-à-vis de leurs
mandants [Lipietz, 1996].
L’intervention des centrales syndicales est donc bien ici une
action sur les mécanismes producteurs du niveau et de la qualité de
l’emploi. L’action au niveau national doit ouvrir les conditions de
possibilité d’une action au niveau local (les entreprises) qui pour-
rait être conduite dans la même logique par les sections locales.

La réduction du temps de travail : lois et accords

Les lois sur la réduction du temps de travail — la loi de Robien


du 11 juin 1996, les lois Aubry sur les 35 heures du 13 juin 1998 et
du 19 janvier 2000 —, en déterminant un cadre juridique et finan-
cier incitatif garanti par l’État, encouragent les négociations locales
(de branche ou d’entreprise) à diversifier les termes de l’échange
entre employeurs et salariés et à intégrer des mesures d’organisa-
tion de la production ou d’aménagement des horaires.
La préparation et le vote des lois Aubry ont donné lieu à de
nombreux débats mais surtout se sont traduits, localement, par un
fort développement des conflits du travail (souvent plurisyndi-
caux), des négociations collectives et des signatures d’accord : en
1999, une grève sur quatre porte sur une demande de mise en place
des 35 heures ou sur le refus des projets patronaux d’aménage-
ment du temps de travail ; les accords croissent de manière paral-
lèle sur cette période : 120 accords de branche ont été signés et
plus de 30 000 accords d’entreprise, qui couvrent 24 % des salariés
(34 % dans les entreprises de plus de 20 salariés) (DARES, novembre
2000). On estime le nombre d’emplois créés autour de 300 000
[Jugnot, 2003].
Sur les formes d’emploi, le bilan est plus mitigé : si une tendance
partielle apparaît à la stabilisation des CDI et à une diminution
des CDD, les formes d’aménagement des horaires, les types de
modulations négociées contre la réduction du temps de travail
créent parfois des contraintes fortes pour les salariés (travail de nuit
ou de week-end, annualisation, y compris pour les temps
partiels…) et des effets de brouillage entre emplois à temps plein, à
temps plein réduit et emplois à temps partiel long.
102 S O C I O L O G I E DE L’EMPLOI

Enfin, la loi Aubry a prévu des modalités particulières pour les


petites entreprises : entrée en vigueur repoussée à 2002, adapta-
tions et dérogations. La loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires,
au temps de travail et au développement de l’emploi (loi Fillon) a
mis en place des mesures visant à assouplir le régime des 35 heures
(extension du contingent d’heures supplémentaires, prérogatives
données aux conventions collectives…) qui risquent de creuser
l’écart, déjà important, entre les conditions d’emploi de leurs
salariés et celles des plus grandes entreprises.
On retrouve ici le constat déjà formulé plus haut : les situations
d’emploi sont bien le produit de l’intervention d’acteurs multiples
mais ces interventions se composent et aboutissent souvent à des
configuration complexes, à des effets pas toujours attendus et dont
la combinaison n’est pas entièrement prévisible.
Conclusion

L’emploi n’est pas une « question sociale » parmi d’autres : c’est


un des éléments structurants du fonctionnement de la société, un
de ceux qui donnent le sens d’autres enjeux sociaux. Ce n’est pas
seulement parce que le fait d’avoir ou non un emploi est primor-
dial dans la vie sociale de chacun ; c’est surtout parce que la
construction de l’emploi est une des activités essentielles de la
société actuelle et que la plupart des débats sociaux d’aujourd’hui
sont traversés de manière plus ou moins visible par des questions
d’emploi.
Ainsi en est-il, par exemple, du problème brûlant des banlieues
qui semble désormais relever au moins autant des dégâts du
chômage que des méfaits du désordre urbain. De la même façon,
les réflexions sur la jeunesse sont envahies par ces questions.
L’emploi est au cœur de toute interrogation sur l’insertion des
jeunes, leur socialisation, leur entrée dans l’âge adulte : quelles sont
les conséquences de leur insertion professionnelle de plus en plus
tardive sur leurs choix familiaux, sur leur rapport au travail et à
l’action collective, sur leurs opinions politiques et comportements
civiques ?
Un constat semblable peut être fait à propos des femmes : toute
analyse de l’évolution de leur statut dans la société passe, implici-
tement ou explicitement, par une réflexion sur leur place sur le
marché du travail. Certes, les femmes ont toujours travaillé. La
« nouveauté », ce n’est donc pas le travail, mais sa reconnaissance
sous forme d’emploi qui le rend visible.
On pourrait multiplier les thèmes ou les exemples qui conver-
gent sur ce point : c’est l’emploi qui ordonne, de manière plus ou
moins directe, les principaux clivages et les dynamiques sociales de
base, qui façonne les statuts et les capacités d’action individuelles
et collectives. Non pas seulement parce qu’il y aurait les titulaires
d’emploi et les autres, mais parce que l’emploi se décline sous des
104 S O C I O L O G I E DE L’EMPLOI

formes multiples, pas nécessairement ordonnées en continu. Parce


qu’il sous-tend et remet en cause la manière d’aborder des
processus sociaux essentiels : éducation et formation, socialisation
et statut de la jeunesse, formes familiales, vies urbaines…
L’emploi est également devenu un des enjeux politiques de
première importance, un de ceux qui constituent les clivages poli-
tiques. Certes, sur l’urgence de la lutte contre le chômage, il y a
consensus. Mais au-delà commencent les différends. Le thème de
la pauvreté laborieuse et de la précarité, pour ne prendre que cet
exemple, n’est pas uniquement un débat entre spécialistes du
marché du travail. C’est une question éminemment politique :
est-on réellement sorti du chômage quand le nombre de travail-
leurs pauvres augmente tant ? La croissance du sous-emploi est-elle
une manière de faire réellement diminuer le chômage ou une autre
forme de rationnement de l’emploi ?
Autre sujet de controverse, le rôle de l’entreprise est au cœur du
débat politique : quelle est la responsabilité sociale des entreprises
en matière de créations d’emplois et de production du chômage ?
Quel est le rôle de l’État et de la loi, au travers de l’évolution des
minima sociaux et du SMIC ?
Sur un tout autre registre, la discussion politique sur l’immigra-
tion, qui, dans son expression la plus visible et la plus formalisée,
est une polémique sur l’intégration et la nationalité (droit du sol
contre droit du sang), relève également et évidemment des débats
sur l’emploi (droit au travail contre « priorité nationale »).
La sociologie de l’emploi est donc celle d’un problème social
envahissant. Mais là n’est pas son unique objet. Traiter de l’emploi
en sociologue conduit à une double mise en perspective : intro-
duire la nécessité d’une réflexion sur l’emploi dans les analyses du
travail ; introduire les concepts de norme, de règle et de construc-
tion sociale au cœur des problématiques sur le marché du travail.

Sociologie du travail, sociologie de l’emploi

Par rapport à la sociologie du travail traditionnelle, la sociologie


de l’emploi opère un triple recentrage thématique : de la sociologie
des travailleurs à celle de la population active ; de l’étude de l’entre-
prise à celle du marché du travail ; de l’analyse des situations de
travail à celle des mouvements de l’emploi et du chômage.
Du point de vue théorique, elle introduit un renversement de
perspectives. Si l’emploi se définit comme l’ensemble des moda-
lités d’accès et de retrait du marché du travail, alors la question
qui précède le travail est précisément celle de l’emploi : comment
comprendre la dynamique interne aux entreprises sans prendre en
C O N C L U S I O N 105

compte les mouvements qui se produisent sur le marché du


travail ? Peut-on étudier la répartition des qualifications sans la
mettre en rapport avec celle des formes d’emploi ? Est-il possible
d’analyser l’évolution de la composition sociale du monde du
travail sans regarder les clivages sociaux produits par les diffé-
rents statuts d’emploi ? En d’autres termes : avant le travail, il y a
l’emploi.
Les modalités d’accès au marché du travail, les conditions et
statuts d’emploi constituent autant de lignes de partage entre diffé-
rentes catégories d’actifs. Le fait d’être employé à temps plein ou
à temps partiel, pour une durée déterminée ou indéterminée, pour
un stage ou un emploi régulier définit des positions sociales diffé-
rentes au sein du monde du travail. De fait, même si l’on veut en
rester à une analyse des situations de travail stricto sensu, le détour
par l’analyse des situations d’emploi s’avère indispensable : les
statuts d’emploi segmentent et hiérarchisent les statuts au travail.
Or, s’il est vrai que la position de travail est un élément central
dans ce qui constitue la position dans un système de classes
sociales, ne peut-on dire tout aussi fortement que les modalités
d’accès au marché du travail modèlent les statuts au travail et obli-
gent à introduire la notion d’emploi au cœur de ce qui construit la
stratification sociale ?
L’inégal accès au marché du travail, l’inégale légitimité à avoir
un emploi se construisent sur le socle des hiérarchies sociales
— hiérarchies de classe, d’âge, de sexe, d’origine ethnique. Autour
de l’accès à l’emploi s’affrontent des catégories, des groupes, des
classes sociales qui se distinguent par leurs capacités à entrer sur le
marché du travail et à s’y maintenir, par les formes d’emploi dont
ils sont titulaires. Le chômage et la précarité accusent et renforcent
les inégalités et les clivages sociaux.
Mais en même temps, cet inégal accès à l’emploi, cet inégal
partage de l’emploi et de ses formes contribuent à la construction
des hiérarchies sociales, à la production des mécanismes de diffé-
renciation, de ségrégation et d’exclusion. Car, de fait, avoir un
emploi, c’est avoir un travail et un salaire, mais aussi une place
dans la société.

Normes sociales et marché du travail

Il serait cependant réducteur de ne voir les relations entre


marché du travail et statut social que sous l’angle des conséquences
sociales de la répartition de l’emploi. L’idée même d’une socio-
logie de l’emploi trouve son fondement dans le constat que des
déterminants sociaux sont fortement à l’œuvre dans la régulation du
106 S O C I O L O G I E DE L’EMPLOI

marché du travail. Il s’agit donc de réintégrer dans l’analyse du


marché du travail une réflexion sur les logiques sociales qui contri-
buent à construire les situations et formes d’emploi, à constituer les
catégories d’emploi, d’inactivité ou de chômage.
Cela conduit à introduire la question des règles et normes sociales
au cœur du raisonnement : comment les normes sociales intervien-
nent-elles dans la définition de ce qu’est un emploi et de ceux qui
sont des actifs ? Quelles sont les types de légitimité sociale qui sont
à l’œuvre dans la répartition de ce bien rare qu’est l’emploi ?
Comment les situations d’emploi ou de non-emploi sont-elles
traduites en conventions statistiques et administratives (actifs,
chômeurs, inactifs) qui sont autant de statuts sociaux ?
En la matière, il n’y a aucune évidence : l’activité n’est pas le
travail, l’inactivité n’est pas l’absence de travail, le chômage n’est pas la
privation de travail. Les actifs ne sont pas ceux qui travaillent, mais
ceux qui ont un emploi reconnu comme tel et ceux qui sont définis
comme chômeurs. Être chômeur, ce n’est pas seulement être sans
emploi. C’est faire partie d’une catégorie à laquelle on reconnaît
la légitimité à prétendre à un emploi. Enfin, l’inactivité ne se
définit pas par l’oisiveté ou le désœuvrement, mais bien souvent
par l’absence de reconnaissance sociale du travail effectué ou de la
quête d’emploi.
Ce désordre sémantique n’est pas dépourvu de sens. Derrière
toute situation d’emploi, il y a un jugement social. Toute conven-
tion statistique s’appuie sur des normes sociales plus ou moins
explicites. La relation d’emploi est un construit social en même
temps qu’un phénomène de marché.
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Encadrés
Courbes d’activités féminines 1963-2002 22
Le chômage de longue durée 41
Les thèses américaines de la segmentation
du marché du travail 57
Un exemple de sous-traitance 69
Principales actions de la politique de l’emploi 73
Les installateurs de téléphone 80

Graphique
Courbes d’activité féminines 1963-2002 23

Tableaux
Taux d’activité des hommes par âge 9
Taux d’activité des femmes par âge 10
Évolution des taux d’activité par âge
dans quelques pays de l’OCDE 12
La population active de la France de 1901 à 1999 17
Évolution du salariat en France 18
Emploi et chômage, Europe des Quinze, 1975-2000 18
Taux d’activité par âge de 1968 à 1999 en France 19
Taux d’activité des femmes de 25 ans à 49 ans,
Europe des Quinze, 1983 à 2002 21
Trois définitions du chômage 27
Taux de chômage par âge et sexe en France, 2002 30
Taux de chômage selon le diplôme et le sexe,
France, 2002 30
Taux de chômage selon le sexe et la CSP en France,
2002 30
Taux de chômage masculins et féminins,
Europe des Quinze 31
118 S O C I O L O G I E DE L’EMPLOI

Taux de chômage par classe d’âge,


Europe des Quinze, 2002 32
Part du chômage de longue durée
dans l’Europe des Quinze, 2002 34
L’évolution du sous-emploi en France, 1993-2002 36
Répartition sectorielle des emplois, France, 1955-1996 45
Répartition sectorielle des emplois,
Union européenne, 2002 45
Population active ayant un emploi par catégorie
socioprofessionnelle (1982, 1990, 1999) 47
Taux de salarisation, Europe des Quinze, 1983-2002 51
Conditions et formes d’emploi en France 53
Part des emplois temporaires dans l’emploi salarié,
Europe des Quinze, 1983-2002 53
L’emploi à temps partiel, Europe des Quinze, 2002 54
Répartition des chômeurs par circonstances
de la recherche d’emploi, France, 2002 55
Évolution du monde du travail 1982-1999 61
Table des matières

Introduction 3

I La population active
L’âge du travail 7
L’âge de travailler, 8
L’âge des travailleurs, 8
Comparaisons internationales, 11
Développement des préretraites et insertion différée
des jeunes, 14
Le sexe de l’emploi 16
La féminisation de la population active et du salariat, 16
Crise de l’emploi et prospérité de l’activité féminine, 19
L’évolution des comportements d’activité, 20
La sociologie de l’activité féminine, du travail à l’emploi, 22

II Le chômage
Sociographie des chômeurs 26
La mesure du chômage, 26
Hétérogénéité, diversité, inégalités, 29
Aux frontières du chômage, 33
Sociologie du chômage 36
Marienthal, la tragédie du chômage, 36
Chômage et plein emploi, 37
Genèse d’une catégorie, 38
Sociologie des formes de chômage, 39
Chômage, niveaux de salaire et qualifications, 42

III Secteurs d’activité et formes d’emploi


Secteurs d’activité et groupes sociaux 44
La prédominance du tertiaire, 44
Cadres, employés et ouvriers, 46
120 S O C I O L O G I E DE L’EMPLOI

La persistance des mécanismes de ségrégation, 46


Emplois de services ou travaux serviles ?, 48
Statuts et formes d’emploi 50
La progression du salariat, 50
La multiplication des « formes particulières d’emploi », 52
Précarité et chômage, 54
Les formes particulières d’emploi sont-elles nouvelles ?, 55
De la segmentation à la flexibilité 56
La segmentation du marché du travail, 57
Dualisme et inégalités, 59
Sociologie des formes d’emploi, 60
Précarité, flexibilité et protection sociale, 64

IV Politiques d’emploi et organisation


des marchés du travail
Modèle de référence et marchés spécifiques 67
Marchés locaux : la force des réseaux sociaux, 68
Marchés organisés, marchés internes, 70
Modernisation de la fonction publique et changement
des marchés internes, 71
Règles de gestion et statut, 71
Politiques publiques 72
Politiques de l’inactivité, 74
Structures des marchés, 75
Modernisation de l’appareil productif, 75
Politiques d’emploi des entreprises 76
La qualification : une négociation complexe, 77
La qualification et l’emploi, 78
Statuts d’emploi et mobilisation de la main-d’œuvre, 81

V Statuts sociaux et stratégies des acteurs


Statut social et emploi 83
Le RMI comme contre-exemple, 84
Une hiérarchie de statuts ?, 86
Statut social et modes d’emploi, 87
L’accès à l’emploi : quels mécanismes ?, 88
Stabilité de l’emploi et trajectoires de développement
professionnel, 89
Un modèle d’explication complexe, 90
L’insertion des jeunes : marché de l’emploi et stratégies
des acteurs, 91
Syndicats et action collective 94
Salaires et emploi : quelle dynamique revendicative ?, 95
Les termes de l’échange, 97
Quels niveaux de négociation ?, 98
TABLE DES MATIÈRES 121

Politiques publiques et négociations locales, 99


La réduction du temps de travail : lois et accords, 101

Conclusion 103
Sociologie du travail, sociologie de l’emploi, 104
Normes sociales et marché du travail, 105

Repères bibliographiques 107

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