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La nouvelle revue du travail 

2 | 2013
Travail et organisation dans le secteur public : la
fascination du privé ?

Quels changements à la mesure des attentes posées


sur le travail?
What changes satisfy people’s expectations of work?
¿Cuáles son los cambios a la medida de las expectativas que se plantean acerca
del trabajo ?

Dominique Méda

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/nrt/633
DOI : 10.4000/nrt.633
ISSN : 2263-8989

Éditeur
Nouvelle revue du travail

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Référence électronique
Dominique Méda, « Quels changements à la mesure des attentes posées sur le travail? », La nouvelle
revue du travail [En ligne], 2 | 2013, mis en ligne le 30 mars 2013, consulté le 30 janvier 2023. URL :
http://journals.openedition.org/nrt/633  ; DOI : https://doi.org/10.4000/nrt.633

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Quels changements à la mesure des attentes posées sur le travail? 1

Quels changements à la mesure des


attentes posées sur le travail?
What changes satisfy people’s expectations of work?
¿Cuáles son los cambios a la medida de las expectativas que se plantean acerca
del trabajo ?

Dominique Méda

L’auteur remercie un rapporteur anonyme pour ses conseils judicieux. Elle reste seule
responsable des éventuelles insuffisances du texte.
1 Toutes les enquêtes, qu’elles soient réalisées sur des échantillons représentatifs de la
population de plusieurs pays ou menées sur de petites populations mais de manière
très approfondie, le confirment: malgré le caractère très élevé du taux de chômage (ou
à cause de celui-ci?), les attentes à l’égard du travail n’ont jamais été aussi fortes, ni
sans doute d’une nature aussi symbolique (Drancourt & Roulleau-Berger, 2000) ou post-
matérialistes (Inglehart, 1971, 1990; Lalive d’Epinay, 1998). Tout se passe comme si
l’apport spécifique et révolutionnaire de la première moitié du XIXe siècle européen –
concevoir le travail comme l’activité la plus haute à disposition de l’homme lui
permettant de faire le monde à son image (Méda, 1995) – s’était, en ce début de XXIe
siècle, totalement diffusé et constituait désormais un idéal partagé.
2 Trouver un métier dans lequel il soit possible de se réaliser, faire en sorte que le travail
permette d’exprimer sa singularité mais aussi son appartenance au genre humain: ce
qui se lit quotidiennement dans les témoignages recueillis à l’occasion d’enquêtes sur le
travail rappelle étrangement les propos du Marx des Manuscrits parisiens, le lecteur
avide de Buret qui, comme ce dernier, voyait dans le salariat une servitude (Vatin,
2001) et qui écrivait: « si nous produisions comme des êtres humains […], nos
productions seraient autant de miroirs tournés l’un vers l’autre » (Marx, 1968).
3 Mais lorsqu’elles exigent des salariés une implication et un investissement subjectif
sans faille et qu’elles promettent en retour la possibilité d’une expression de soi dans le
travail, les organisations modernes, qu’elles appartiennent au secteur public ou privé,
sont-elles vraiment prêtes à tenir cette promesse et à mettre en œuvre l’ensemble des

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moyens qui rendraient une telle situation possible? Prendre au mot les travailleurs,
faire droit à leurs attentes, réformer le système socio-productif de manière à ce que le
travail devienne réellement l’« essence de l’homme », quels changements cela suppose-
t-il? Cela n’exige-t-il pas le dépassement de ce qui fait actuellement obstacle à
l’identification du travail et de l’œuvre, et qu’énumérait déjà Friedmann (1950; 1956): la
division toujours plus approfondie du travail, la forme principalement salariale de la
relation de travail, le fait que le travail soit conçu comme un moyen en vue d’une autre
fin: la production ou le profit?
4 Le présent texte s’attache à décrire les caractéristiques de cette valeur actuellement
accordée au travail, et le décalage existant entre les attentes symboliques à l’égard du
travail et la perception de celui-ci, avant de s’interroger sur les raisons de ce décalage
et les voies d’une éventuelle réduction de cette fracture.

Le décalage entre les attentes et la réalité du travail


5 Un large corpus d’enquêtes de nature différente, menées sur des échantillons variés
depuis une vingtaine d’années, met en évidence l’importance accordée au travail, - et
notamment aux dimensions dites « expressives »1 du travail - par les ressortissants des
sociétés occidentales, et parmi ceux-ci, plus particulièrement par ceux de la société
française. Accompagnées, voire souvent suscitées par les entreprises, ces attentes
d’épanouissement et de réalisation de soi dans le travail semblent aujourd’hui
largement déçues.

Le travail: un droit plus qu’un devoir

6 Si la place centrale accordée au travail a été historiquement de pair, selon Weber, avec
la constitution d’une éthique du devoir - « l’unique moyen de vivre d’une manière
agréable à Dieu n’est pas de dépasser la morale de la vie séculière par l’ascèse
monastique, mais exclusivement d’accomplir dans le monde les devoirs correspondant
à la place que l’existence assigne à l’individu dans la société, devoirs qui deviennent
ainsi sa « vocation » » (Weber, 1964) -, désormais « le capitalisme vainqueur n’a plus
besoin de ce soutien depuis qu’il repose sur une base mécanique » et l’éthique du devoir
a désormais partiellement fait place, notamment depuis les années 70, à une éthique de
l’épanouissement. Tout se passe comme si la représentation radicalement nouvelle du
travail produite par le XIXe siècle, – le travail comme activité de spiritualisation du
monde – avait enfin pu s’actualiser du fait de l’avènement de l’abondance dans les
sociétés industrielles de l’après-guerre, de la place désormais reconnue à l’individu et
de la reconnaissance du caractère légitime des exigences d’épanouissement de celui-ci
(Inglehart, 1977, 1990; Zoll, 1992; Lalive d’Epinay, 1998; Martuccelli, 2002; Mercure &
Vultur, 2010).
7 Dans leur enquête sur les significations actuelles du travail au Québec, Mercure et
Vultur insistent ainsi sur la présence, au travers des différents types d’ethos du travail,
d’un vaste procès d’individuation : « effritement de schèmes d’attitudes et de valeurs
qui érigeaient la collectivité au titre de grande finalité de l’agir au travail, comme si le
travail avait été délesté de ses significations de solidarité et de devoir envers la société;
déclin des valeurs d’utilité sociale ; quête très accentuée d’équilibre entre la vie au
travail et la vie privée; émergence de nouveaux principes de sens qui se manifestent

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tant dans le rapport à la vie professionnelle que dans celui à la vie privée » (Mercure &
Vultur, 2011). La quête d’autoréalisation et d’épanouissement personnel, poursuivent
nos deux auteurs, revêt une grande importance; celle-ci se manifestant tantôt
primordialement ou de façon complémentaire dans la vie au travail, tantôt dans la vie
hors travail. Les trois traits caractéristiques du travail moderne que relèvent Mercure
et Vultur: son importance dans la vie des individus, sa place seconde par rapport à la
famille dans l’identité et sa signification majoritairement « expérientielle » 2 confirment
la thèse du développement de valeurs post-matérialistes dans nos sociétés (Inglehart,
1977; 1990) et celle de l’émergence d’un ethos de l’épanouissement individuel (Lalive
d’Epinay, 1998) et sont par ailleurs totalement congruentes avec les résultats issus
d’autres enquêtes réalisées en Europe.
8 L’importance du travail dans la vie des Européens a en effet été mise en évidence
notamment grâce aux différentes vagues de l’European Values Study (Riffault, 1994;
Lalive d’Epinay, 1998; Riffault & Tchernia, 2003 ; Davoine & Méda, 2008; Brechon &
Tchernia, 2009). La France figure parmi les pays européens où les individus sont les plus
nombreux à déclarer le travail important (Davoine & Méda, 2008). Elle est aussi le pays
où la proportion de personnes citant l’intérêt du travail comme une dimension
essentielle est la plus élevée: dans les deux vagues 1997 et 2005 de l’International Survey
Social Program consacrées au travail, cette spécificité française est manifeste, même si
les enquêtes internationales ainsi que les entretiens approfondis menés dans six pays
européens entre 2006 et 2007 sur la question du rapport au travail mettent en évidence
que ces dimensions dites « intrinsèques » ou « post-matérialistes » du travail sont
partout fortement présentes (Vendramin, 2010; Davoine & Méda, 2008; 2010). Ces
dimensions post-matérialistes recouvrent des éléments diversifiés qui peuvent être
appréhendés de façon relativement standardisée et peu précise par le biais des
questionnaires des enquêtes internationales, mais de façon plus explicite et détaillée au
moyen des entretiens en face-à-face. Ce qui plait particulièrement dans le travail ou ce
qui est attendu de celui-ci a trait à la fois au contenu et à l’intérêt du travail – donc à
l’activité concrète –, qui doit permettre de « continuer à apprendre », de « réussir
quelque chose », de s’exprimer et de se réaliser, mais également à l’ambiance de travail,
aux relations avec les collègues et les supérieurs qui doivent également contribuer à
l’épanouissement.
9 Si elles confirment l’importance accordée au travail et le caractère fortement
symbolique des attentes à l’égard du travail, ces enquêtes valident également ce qui
pourrait apparaître comme une forme de relativisation du travail mais qui manifeste en
réalité plutôt une revendication d’existence « polycentrée »: les personnes interrogées
– et les jeunes plus encore que les autres (Tchernia, 2005; Delay, 2009) – indiquent
souhaiter se réaliser à la fois dans la sphère familiale et dans la sphère professionnelle,
acceptant et revendiquant même un engagement intense dans cette dernière à
condition néanmoins que des limites extrêmement précises soient mises à son
extension temporelle et spatiale et qu’elle n’empiète pas sur les autres (Bureau, Delay,
Méda, 2010). Ces tendances recouvrent néanmoins une forte diversité relative
notamment au niveau de diplôme et à la catégorie socio-professionnelle (Baudelot &
Gollac, 2003), les cadres, professions intellectuelles, indépendants et chefs d’entreprise
accordant plus d’importance au travail qu’à d’autres sphères de réalisation de soi par
rapport aux ouvriers et employés, notamment peu qualifiés, et faisant une place plus

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large au travail en tant que source de leur identité (Garner, Méda & Senik, 2005) comme
l’avait déjà montré Lalive d’Epinay (1998).

Des attentes de réalisation de soi largement soutenues par les


organisations

10 Ces attentes d’épanouissement et de réalisation de soi dans le travail ont été largement
accompagnées, soutenues, et même suscitées par les entreprises, qui ont développé à
partir des années 1980 de nouvelles organisations du travail et diffusé de nouvelles
normes managériales. Portées par un discours soulignant la nécessité de sortir du
taylorisme et de solliciter plus fortement l’implication subjective des salariés ainsi que
la capacité d’initiative et la responsabilité de ceux-ci, elles ont mis en œuvre de
nouvelles organisations (nouvelles technologies, gestion participative, cercles de
qualité, flux tendus, qualité totale…) qui ont conduit à la fois à un surcroît d’autonomie
(Terssac (de), 1992; Zarifian, 1994) et de contrôle (Linhart, 1994; Coutrot, 1999).
11 Depuis les années 1980, la subjectivité des salariés est en permanence sollicitée (Aubert
& Gaulejac (de), 1991; Durand, 2004; Gaulejac (de), 2005; Linhart, 2008; Cousin, 2009;
Gaulejac (de), 2010), car elle est considérée à la fois comme la condition d’une meilleure
productivité mais également comme une concession faite aux aspirations des salariés:
ce surcroît de responsabilités et d’initiative qui leur est laissé constituerait une forme
d’enrichissement des tâches, marquant ainsi une rupture nette avec le taylorisme. Les
nouvelles méthodes de management, en partie fondées sur le pilotage à distance, la
substitution de la fixation d’objectifs à atteindre à la prescription détaillée de tâches à
accomplir et la diffusion des relations contractuelles au détriment du modèle
hiérarchique (Merrien, 1999; Bezes & Demazière, 2011) sont décrites comme
particulièrement en phase avec les attentes de salariés plus autonomes et créatifs
(Boltanski & Chiapello, 1999).
12 Dans la même perspective, Mercure et Vultur défendent la thèse selon laquelle les
traits culturels du travail moderne entretiendraient
un rapport d’« affinité élective » avec le nouvel esprit libéral. Ils correspondent aux
schèmes d’attente institutionnelle et au « caractère social », ou encore à la
personnalité de base souhaités par les entreprises qui constituent le fer de lance du
nouveau modèle productif, du moins dans les sphères du travail qualifié qui font de
plus en plus appel à l’individualisation du travail, à l’implication subjective des
travailleurs, ainsi qu’à leur potentiel de créativité. (Mercure & Vultur, 2011)
13 Selon ces auteurs, il y aurait donc eu un développement concomitant et une heureuse
convergence des évolutions culturelles – manifestées par de fortes aspirations à la
possibilité de se réaliser dans le travail – et des évolutions du modèle socio-productif
(désireux de s’attacher les compétences de salariés autonomes). Pour être plus précis,
parmi les différents ethos du travail distingués par Mercure et Vultur, deux notamment,
représentant plus de la moitié des travailleurs québécois – le « professionnel » et
l’« égotéliste » – caractérisés par leur conception expérientielle du travail, leur grande
implication au travail et leur acquiescement à la demande de mobilisation des
subjectivités individuelles dans le procès de production, seraient particulièrement en
phase avec le modèle productif contemporain et porteurs du « nouvel esprit du
capitalisme ».

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14 Les auteurs ne s’attardent pas sur la « fabrique » de ce nouvel esprit ni sur les raisons
pour lesquelles une telle convergence a été rendue possible: sont-ce les exigences
intrinsèques au modèle socio-productif qui ont conduit à la production – par le biais du
social learning, de la diffusion de nouvelles prescriptions, de la construction de manuels
de référence, de bibles, de recettes… – d’aspirations à un travail plus responsable et
plus épanouissant ou sont-ce au contraire ces dernières (assez manifestes dans les
discours des acteurs syndicaux des années 1970) qui ont suscité, outre une demande de
biens et services plus variés et plus singuliers, des bouleversements dans l’organisation
du travail? Ils mettent en revanche en lumière deux points importants, tous deux
relatifs aux évolutions futures du travail.
15 Le premier concerne la figure qui semble à nos auteurs la plus congruente avec le
développement actuel du système socio-productif: il s’agit de l’« entrepreneur de soi-
même », c’est-à-dire de l’individu dont les aspirations sont parfaitement en phase avec
les normes managériales actuelles et qui appartient au segment le plus qualifié de la
population. Selon Mercure et Vultur (2011), plus d’un tiers de la population en emploi
au Québec se reconnaîtrait dans cette figure, ce qui pourrait signifier un effacement
progressif du modèle salarial. L’autre point concerne les éventuelles limites
rencontrées par le système socio-productif sur la voie de l’implication totale des
salariés dans leur travail: Mercure et Vultur rappellent que les individus porteurs des
valeurs du nouvel esprit du capitalisme sont tout autant attachés à la réalisation de leur
moi dans la sphère du travail que dans d’autres sphères et qu’ils résisteront donc à
l’extension illimitée de celle-ci.
16 Mais cette thèse suscite de nombreuses autres questions. J’en ai signalé deux en
particulier (Méda, 2011), sur lesquelles je reviendrai dans la seconde partie de ce
texte mais que je mentionne dès maintenant. Accepter un tel processus signifierait
acquiescer à la dualisation du salariat, une partie de la population trouvant à se réaliser
dans le travail dans un segment du système socio-productif pendant qu’une autre serait
cantonnée à des travaux peu épanouissants, ce qui n’est certes pas nouveau (Galbraith,
2004) mais sans doute de moins en moins supportable à mesure qu’un pourcentage plus
élevé de la population est de plus en plus diplômé. Par ailleurs, peut-on vraiment
affirmer que le système socio-productif permet aujourd’hui à plus qu’une très petite
minorité de se réaliser dans le travail? Ce n’est en tous cas pas ce que semblent montrer
les enquêtes que nous avons évoquées ci-dessus.

Des attentes profondément déçues

17 D’après ces enquêtes en effet, si les attentes à l’égard du travail sont immenses, la
déception ne l’est pas moins.
18 L’International Social Survey Program et le European Social Survey mettent ainsi en
évidence, notamment en ce qui concerne la France, une perception du travail plus que
nuancée. Alors qu’ils étaient presque 70%, en 1999 (mais aussi en 2008) à déclarer le
travail important, les Français étaient quasiment aussi nombreux, à la même date, à
trouver que ce serait une bonne chose que « le travail prenne moins de place dans leur
vie »3. Certes, on peut penser que le moment où cette question était posée (en plein
débat sur la réduction du temps de travail) n’est pas sans lien avec les réponses, mais
on peut aussi voir dans celles-ci la manifestation d’attentes déçues, ce que confortent
d’ailleurs les réponses à d’autres questions. En effet, les Français sont les plus

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nombreux parmi les Européens, dans ces enquêtes, à trouver que leur travail est
stressant, à considérer que leurs perspectives de promotion sont extrêmement faibles,
à indiquer qu’ils sont peu satisfaits de leur travail et à souligner que celui-ci les
empêche de consacrer le temps qu’ils souhaiteraient à leur couple et à leur famille
(Davoine & Méda, 2008).
19 Tentant de comprendre ces jugements, nous avions proposé, avec Lucie Davoine, de
considérer trois grandes catégories d’explication: la mauvaise qualité des relations
sociales en France, la médiocre qualité des conditions de travail et d’emploi,
notamment pour une partie de la population et les dysfonctionnements de la
conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Mais comme nous l’avons indiqué
plus haut, ces enquêtes réalisées tant sur grands échantillons que sur petites séries, en
Europe, s’accordaient toutes pour mettre en évidence une forte segmentation entre une
partie de la population active peu satisfaite de son travail, parmi lesquels figuraient
majoritairement des ouvriers et des employés, notamment peu qualifiés et une autre
partie, principalement composée de cadres ainsi que de membres des professions
intellectuelles et des professions intermédiaires, beaucoup plus satisfaite et
considérant plus que les autres le travail comme un moyen de réalisation de soi et une
source d’identité.
20 Or, une enquête récente réalisée par Radio-France sur le sens du travail (Krauze,
Légeron, Méda & Schwarz, 2012), – dont on doit immédiatement souligner les limites
puisqu’il ne s’agit pas d’un échantillon représentatif de la population française mais des
réponses spontanées à un questionnaire déposé par Radio France à l’intention de ses
auditeurs, parmi lesquelles les cadres, les professions intellectuelles et les professions
intermédiaires sont surreprésentés4 – apporte des résultats assez édifiants sur cette
question, mettant au contraire en évidence un fort malaise au travail de la part de ces
catégories qui en semblaient jusqu’alors encore préservées et confirmant des travaux
récents (Pichon, 2008; Bouffartigue, Gadea, Pochic, 2011). En effet, alors que cette
catégorie, très diplômée, présente des attentes post-matérialistes encore plus
fortement accentuées que le reste de la population (75% des répondants souhaitent
ainsi que leurs enfants aient un métier épanouissant, alors que 9% seulement citent un
métier « où l’on gagne beaucoup d’argent »; les trois qualités principales du travail
idéal citées sont les suivantes: permettre de « continuer à apprendre », de « réussir
quelque chose », d’«être utile »…), la réalité vécue de leur travail s’avère en fort
décalage. À la question « comment ressentez-vous aujourd’hui votre travail? », si 5%
répondent que « c’est formidable » et 25%, « ça va bien », 27% choisissent l’item « je
suis fatigué » pour décrire la situation qui leur correspond le mieux, 24% « c’est dur
mais j’y arrive » et 13% choisissent la réponse: « c’est tellement dur que j’ai envie de
partir ». 43% déclarent vouloir changer d’emploi. Enfin 30% ne sont pas contents d’aller
travailler le matin. Et si les Français déclarent généralement que dans leur vie la famille
passe avant le travail, il est plus rare qu’il en aille de même avec le loisir. Or c’est le cas
dans cette enquête: le travail arrive en troisième position, après la famille et le loisir.
21 Parmi les difficultés rencontrées dans leur travail, les personnes interrogées en citent
principalement trois: le manque de perspectives, le manque d’effectifs et l’obsession de
la rentabilité. Les témoignages écrits qui accompagnent les réponses, extrêmement
nombreux et nourris sur ce dernier item, décrivent précisément comment la poursuite
de la rentabilité et de la productivité à tout prix, – y compris et surtout dans des
secteurs où ce qui compte est le contact, la prise en charge, le travail sur autrui, le

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service au public – détruisent non seulement le sens du travail mais plus généralement
la possibilité même de faire un travail de qualité. Ne plus pouvoir bien faire son travail,
être déchiré entre des injonctions contradictoires, devoir bafouer son éthique et les
canons de son métier pour répondre aux prescriptions et aux critères d’évaluation qui
sont désormais omniprésents, voilà ce qui altère gravement et en son cœur même,
selon eux, le rapport au travail.
22 La possibilité même pour le travail de permettre l’épanouissement constitue désormais
pour beaucoup des personnes qui disent y avoir cru une illusion. Un jeune cadre dont la
trajectoire peut sembler assez représentative raconte ainsi:
Après dix ans de carrière de « jeune cadre dynamique » modèle dans la finance
(bac+5, ascension fulgurante et salaire de ministre pour 60h de travail hebdo) j’ai
pris conscience de l’absence totale de sens de ce parcours […]. Le déclic a été une
fusion avec une entreprise étrangère à l’occasion de laquelle un objectif de
réduction de 30% des effectifs « en douceur » [sic] a été assigné à chaque manager
[…]. Je travaille maintenant trois jours par semaine dans un petit cabinet comptable
qui travaille pour de petites structures culturelles et j’ai la satisfaction de me dire
que je contribue ainsi à la réalisation de leur projet artistique dans de bonnes
conditions […]. J’espère que je fais partie de la dernière génération piégée par le
mythe de l’« épanouissement au travail »: c’était peut-être vrai du temps où le
travail était utile à la société, ça ne l’est plus aujourd’hui où tout individu est
considéré comme un robot destiné à générer du profit, avec la bénédiction des
politiques, de droite comme de gauche (Krauze, Légeron, Méda & Schwarz, 2012).

À quelles conditions les attentes d’épanouissement au


travail peuvent-elles être satisfaites?
23 Le travail est-il capable de répondre à ces aspirations? Faut-il faire droit aux immenses
attentes que les individus ont désormais à l’égard du travail et que les organisations
entretiennent et comment ? Que pourrait signifier l’adaptation, – non pas, pour une
fois, du travailleur au système socio-productif existant –, mais au contraire, de ce
dernier aux attentes explicitement dévoilées par les salariés? Un tel processus exige
sans doute de distinguer entre les différentes dimensions constitutives du travail, de
comprendre les éléments qui font obstacle à l’assimilation du travail à une œuvre et
d’explorer les différentes voies de résolution.

Des contradictions dans la pratique et dans la théorie

24 Soulignons en premier lieu, comme le faisait le témoignage exposé ci-dessus, que les
discours développés par certaines entreprises – et plus largement, par les responsables
de la gestion de la main d’œuvre (privés ou publics) se disant soucieux de permettre à
leurs salariés de se réaliser dans leur travail – se trouvent souvent contredits par la
réalité des organisations du travail en vigueur (Cousin, 2009). La mise en place de
nouvelles organisations du travail à partir des années 1980, visant à donner plus
d’initiative et d’autonomie aux salariés, loin de conduire à un desserrement de la
prescription et à un dépassement de la division du travail comme le prédisaient Kern et
Schumann (1989), s’est traduit par une autonomie « contrôlée », un surcroît de
prescriptions, de contrôle et de surveillance a priori et a posteriori, la mise en place de
processus standardisés dont le respect multiplie les tâches de reporting (Coutrot, 1999;

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Cézard & Vinck, 1996; Bue, Hamon-Cholet; Guignon & Vinck, 2003), et enfin, par une
forte intensification du travail (Gollac & Volkoff, 1996; 2007; Askenazy, 2006).
25 Quant à l’adoption par la France des principes du New Public Management à partir des
années 1990, témoignages (Krauze, Légeron, Méda & Schwarz, 2012) et études
approfondies (par exemple Moisdon, 2010 ou Sociologie du travail, 2011) montrent que
leurs effets sur le sens accordé par les individus à leur travail ont été très négatifs.
D’une manière générale, le renforcement de la surveillance, des procédures de contrôle
et de l’évaluation individuelle qui a accompagné la mise en œuvre de ces réformes
organisationnelles et managériales (de Gaulejac, 2005) s’est développé en totale
contradiction avec les discours qui valorisaient responsabilité des salariés et
amélioration de la performance. Dans l’enquête sur le sens du travail réalisée par Radio
France, des centaines de salariés racontent comment l’obsession de la rentabilité et de
la productivité a non seulement détruit le sens de leur travail mais également fait
obstacle à l’atteinte des finalités originelles des institutions au sein desquelles ils
travaillent ou travaillaient: soigner, instruire, aider, transmettre…, et comment cet
intérêt exclusif pour le volume de biens et services produits et son coût sont entrés en
totale contradiction avec le souci des salariés pour leur activité, qu’il s’agisse du sens ou
de la qualité de celle-ci.
26 Mais cette contradiction, qui pourrait sembler conjoncturelle, renvoie à une opposition
plus profonde et sans doute structurelle: celle qui existe entre les différentes
dimensions, ou les différentes couches de signification du travail. Je défends depuis
longtemps la thèse que notre concept actuel de travail est composé de plusieurs
« couches de signification » (Meyerson, 1948), qui se sont déposées puis sédimentées au
long des siècles, sans retraitement et qui sont contradictoires entre elles (Méda, 1995).
Ces différentes significations sont également les supports des attentes multiples et
diversifiées des individus à l’égard du travail (attentes qui peuvent d’ailleurs connaître
en tout ou partie une certaine réalisation ou n’être que pure illusion). Ainsi, le travail
est-il, d’une part, considéré et conceptualisé comme un « facteur de production ». Dans
cette mesure, il est ce qui crée de la richesse (l’activité permettant la fabrication de la
production nationale) ou permet d’obtenir un revenu: il est en tous cas un moyen en
vue d’une autre fin. Dans une telle représentation, le sens du travail et les états d’âme
des travailleurs importent peu car c’est bien la fin – le volume de la production ou
mieux encore le prix de celle-ci – qui importe, comme Taylor l’a mis en évidence de
façon on ne peut plus claire (Taylor, 1965).
27 Cette représentation directement issue du XVIIIe siècle (théorisée par A. Smith) est en
totale opposition avec la nouvelle définition du travail apparue au début du XIXe siècle –
et derechef les nouvelles attentes – d’un « travail-œuvre », pour lequel c’est le contenu
de l’activité et la manière dont celle-ci permet au mieux l’expression de la singularité et
de l’appartenance à la communauté de chacun qui importe. Deux dimensions peu
congruentes avec la représentation du travail léguée par la fin du XIXe siècle, un travail-
emploi pivot de la distribution des revenus, des droits et des protections, un travail
garantissant une place dans la société.
28 Entre ces dimensions qui coexistent aujourd’hui pleinement dans notre concept
moderne de travail et qui constituent le support d’attentes diversifiées – et peut-être
incompatibles – à son égard (attentes d’obtention d’un revenu, d’une grosse
production, d’un épanouissement et de la possible réalisation de soi, de l’acquisition
d’une place dans la société ainsi que d’une protection décente…), nous n’avons pas

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délibérément et collectivement choisi. Mais deux éléments marquants caractérisent


néanmoins la configuration actuelle du travail dans nos sociétés modernes: la priorité
donnée à la production sur l’activité; le salariat comme forme majeure d’organisation
du travail.
29 Le régime capitaliste dans lequel nous nous trouvons (mais le stakanovisme en vigueur
en Union soviétique a montré que ce n’est pas seulement la nature capitaliste du
régime qui est déterminante (Gorz, 1980)) rend particulièrement importante la notion
de maximisation (Weber, 1964): maximisation de la production (la performance des
sociétés étant mesurée principalement par le volume de son P IB par habitant),
maximisation du profit, maximisation donc du corrélat de l’activité de travail. Cette
priorité accordée au volume de la production et du chiffre d’affaires au détriment des
caractéristiques de l’activité de travail permettant de l’obtenir est un trait marquant
des sociétés occidentales depuis le XVIIIe siècle. Même si les trente dernières années ont
marqué une sorte d’acmé dans la préférence donnée à la maximisation de la rentabilité
et de la productivité par rapport à la qualité de la main d’œuvre et aux principes
édictés dans la Déclaration de Philadelphie (OIT, 1944), il importe de s’accorder sur le
fait que cette situation remonte au XVIIIe siècle, et qu’elle s’explique non seulement par
des raisons liées à la volonté d’améliorer les conditions de vie mais au moins autant par
le fait que la manière dont les individus sont tenus ensemble dans la recherche de
l’abondance par le travail constituait, dans la représentation de l’époque, un des
moyens les plus évidents de construire et maintenir le lien social (Méda, 1995).
30 À côté de ce que l’on peut improprement appeler le « productivisme », le
développement du salariat comme mode principal d’organisation du travail au sein des
sociétés occidentales apparaît comme l’autre élément majeur de la configuration dans
laquelle nous vivons aujourd’hui. Cette évolution qui était rien moins que certaine (on
se souvient des réticences extrêmes y compris de la pensée libérale à ce basculement,
cf. Buret, 1840 ou Bischoff, 1988) et qui a marqué la substitution du travail à la petite
propriété comme fondement de la sécurité (Hatzfeld, 1989; Castel, 1995), nous importe
grandement dans la mesure où cette situation constitue une option opposée à celle qui
aurait pu prévaloir au XIXe siècle, pour manifester la nouvelle valeur accordée au travail
et actualiser le potentiel expressif que cette nouvelle représentation comportait.
Comme Buret, Marx voyait dans le salariat une monstruosité et ne concevait la
libération du potentiel émancipatoire du travail qu’à la condition de l’abolition de
celui-ci. À la place de quoi, c’est sur ce lien salarial qui devait être aboli qu’ont été
établis solidement le droit du travail et le droit de la protection sociale. Le salariat
honni, dont la disparition était la condition sine qua non de la possibilité pour le travail
de devenir l’activité la plus haute, la seule activité vraiment humaine, est donc devenu
au contraire aujourd’hui, le lieu privilégié d’une protection adéquate des travailleurs.
Cette contradiction entre ces deux dimensions ou couches de signification du travail
constituent, comme la première, sinon une aporie, au moins un point de résistance,
pour toute pensée confrontée aux conditions concrètes de l’émancipation du travail.

Les obstacles à la réalisation des attentes

31 Il nous faut désormais nous arrêter sur la question du caractère ou non incompatible de
ces différentes dimensions du travail ou plus exactement sur la question de savoir ce
qui fait actuellement obstacle à la satisfaction des attentes post-matérialistes posées

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Quels changements à la mesure des attentes posées sur le travail? 10

sur le travail. Je voudrais prendre ici comme représentative de ces attentes la


formulation du jeune Marx car il me semble que la plus grande partie des courants
sociologiques, philosophiques et psychologiques du travail s’accorderait sur celle-ci :
Supposons que nous produisions comme des êtres humains: chacun de nous
s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même et l’autre. 1. Dans ma
production, je réaliserais mon individualité, ma particularité; j’éprouverais, en
travaillant, la jouissance d’une manifestation individuelle de ma vie, et dans la
contemplation de l’objet, j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité
comme une puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute
[…]. 3. J’aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain,
d’être reconnu et ressenti par toi comme un complément à ton propre être et
comme une partie nécessaire de toi-même, d’être accepté dans ton esprit comme
dans ton amour. 4. J’aurais, dans mes manifestations individuelles, la joie de créer la
manifestation de ta vie, c’est-à-dire, de réaliser et d’affirmer dans mon activité
individuelle ma vraie nature, ma sociabilité humaine. Nos productions seraient
autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre (Manuscrits parisiens,
Notes de lecture, § 22 (Marx, 1969)).
32 Je considère ce texte extraordinaire comme parfaitement représentatif des attentes
« post-matérialistes » à l’égard du travail car il synthétise la très grande diversité de
celles-ci: la volonté d’exprimer sa singularité mais aussi son appartenance au genre
humain; le souci de se reconnaître soi-même, c’est-à-dire par la médiation du produit
extériorisé d’avoir la preuve de son existence et d’être reconnu par l’autre, c’est-à-dire
comme le précise Marx, d’être à la fois distingué parmi d’autres (c’est le sens premier
de reconnaître: « faire renaître dans la mémoire une image, une idée », Rey, 2006) et
considéré comme un complément à ceux-ci. Dès lors, pour que l’exercice du travail
satisfasse ces attentes, il faudra qu’il permette à chaque individu cette double
expression, et donc que ou l’activité elle-même ou le produit de celle-ci porte la marque
de son producteur, puisse être « reconnu » comme étant issu de lui ou actualisé par lui.
Qu’en définitive le produit du travail puisse être considéré comme une œuvre, à la fois
singulière et collective, portant la marque de fabrication d’un individu et d’une
communauté, ou que l’activité concrète de travail, lorsqu’elle ne consiste pas dans la
production d’un bien ou d’un service, soit elle-même porteuse de ces marques.
33 Si l’on en croit le fondateur de la sociologie du travail française, Georges Friedmann, le
travail actuel, celui qui s’est développé au cours du XXe siècle, ne présenterait pas les
caractéristiques permettant de considérer l’activité de travail ou le produit issu de
celle-ci comme une œuvre, sauf exceptions. Au moins trois éléments rendraient cette
assimilation impossible. D’abord, la division du travail, de plus en plus approfondie,
ferait obstacle à la possible identification du produit à un individu singulier –
contrairement à ce qu’avait théorisé Durkheim (Friedmann, 1956). À la division
fonctionnelle du travail s’est de surcroît ajoutée la séparation entre les tâches de
conception et les tâches d’exécution (Friedmann, 1950; 1956) dont de récents travaux
(Crawford, 2010; Sennet, 2010) ont à nouveau souligné l’incompatibilité avec la
possibilité du travail-œuvre.
34 Ensuite, le développement de la technique fait de l’activité de travail un élément de
plus en plus dépendant de l’atteinte d’autres objectifs, considérés comme plus
importants5. Enfin, Friedmann incrimine tantôt le salariat, tantôt le régime capitaliste,
qui là encore, subordonnent l’activité de travail à l’atteinte d’autres objectifs que le
plaisir retiré de la production d’un ouvrage ou d’une œuvre ou de l’exercice plaisant en
lui-même d’une activité permettant l’expression de soi. La production n’est en effet

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Quels changements à la mesure des attentes posées sur le travail? 11

destinée ni à donner aux autres une image de moi-même, ni à procurer à l’association


des producteurs le plaisir d’une production de qualité réussissant à allier expression de
soi et utilité sociale, mais seulement, d’un point de vue individuel, à obtenir un salaire
ou, d’un autre point de vue, à augmenter le volume de biens et services produits ou le
profit. Il faut ajouter à ce tableau une question tout aussi essentielle, qui concerne les
conditions dans lesquelles s’opère concrètement la production: une large partie de
celle-ci n’est pas décidée par les « producteurs » eux-mêmes mais ou bien par les
propriétaires du capital ou bien par les responsables des administrations. À cette
source patente d’hétéronomie (je produis un bien ou service à la décision de production
duquel je n’ai pas participé et dont la finalité peut n’être que le profit et non l’utilité
sociale) s’ajoute celle issue de la nature de la relation salariale: si le travail salarié se
définit par le fait de travailler sous la subordination d’un autre (donc sous sa direction
et son contrôle), alors la définition même du travail salarié ne se caractérise-t-elle pas
par l’hétéronomie (Gorz, 1988; Habermas, 1999; Méda, 1995), et ne rend-elle pas
infiniment complexe la possible expression de soi? (Vatin & Bernard, 2007).
35 Une partie de la sociologie du travail française actuelle ne partage ni la vision d’un
Friedmann (Bidet, 2010), qu’elle considère comme attachée à un modèle artisanal du
travail désormais désuet, ni l’idée que les conditions actuelles du travail se
caractériseraient par l’hétéronomie et s’opposeraient dès lors à la possibilité pour les
individus de s’épanouir et se réaliser dans le travail. Ce courant propose au contraire de
considérer l’activité de travail comme un accomplissement pratique en contexte (Bidet,
2010, 158) et de considérer l’engagement productif comme un agir créatif à explorer,
l’activité étant dotée d’une consistance propre (Bidet, 2010, 159), ce qui aboutit au fait
que « le prisme salarial se défait ». Notons néanmoins que l’intérêt pour ce qu’Yves Clot
(2010) appelle la « puissance d’agir » et Alexandra Bidet l’« agir créatif » n’est en rien
contradictoire avec ce que nous avons décrit ci-dessus. Le travailleur peut en effet fort
bien tirer du plaisir de sa puissance d’agir non empêchée et le sociologue s’intéresser
principalement aux dimensions concrètes de cette activité et aux modalités de
l’engagement du salarié, sans que l’existence de la triple contrainte extrinsèque au
travail – le salariat, la technique et la division du travail – soit remise en cause.
36 Il est d’ailleurs intéressant de constater que lorsque Sennett ou Crawford braquent eux
aussi leurs projecteurs sur l’activité concrète de travail et le plaisir que peuvent
procurer des conditions d’exercice adéquates et font l’apologie, comme le courant que
nous venons de citer, de l’activité technique de travail et de la routine, ils ne manquent
pas de souligner (à l’instar de Friedmann, mais pour expliquer le relatif mépris dans
lequel le travail artisanal et l’activité concrète de travail ont été tenus jusqu’ici), la
responsabilité de la division du travail, de la séparation entre conception et exécution,
du développement autonome de la technique ainsi que du capitalisme. Crawford écrit
ainsi:
La présence de cette tierce partie qui cherche à maximiser une plus value sur mon
dos en restant complètement insensible aux limitations de rythme dues à la nature
même de la tâche effectuée tend par définition à pousser le processus de travail au-
delà de ces limites. Il est dès lors impossible que la tâche en question soit guidée par
des objectifs qui lui sont propres. Ce sont pourtant ces objectifs propres, en tant que
biens en soi, qui font que je désire accomplir mon travail correctement. Ils régissent
de façon très stricte la « qualité » d’un produit, dimension quasi-métaphysique qui
échappe largement à ceux qui se contentent de calculer leurs bénéfices mais qui
reste une préoccupation centrale tant pour l’usager que pour le producteur de
l’objet lui-même (Crawford, 2010).

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Quels changements à la mesure des attentes posées sur le travail? 12

37 Le travail moderne est bien selon Crawford voué définitivement à l’hétéronomie, à la


séparation d’avec soi-même, et finalement, comme Friedmann lui-même l’écrivait,
aliéné: « l’aliénation engendrée par un environnement de travail qui subordonne
impitoyablement le bien intrinsèque d’une activité aux exigences extrinsèques du
profit » (p. 163). Le livre de Crawford se termine logiquement par un vibrant appel à un
changement complet de paradigme et une véritable révolution. Redonner du sens au
travail supposerait donc une rupture avec l’économisme et le productivisme des temps
modernes ainsi qu’avec le capitalisme.

Quelles voies de sortie?

38 Une des questions centrales de Friedmann consiste à se demander s’il ne vaut pas
mieux, étant donné les conditions actuelles d’exercice du travail et la difficulté de les
transformer, développer à côté du travail, hors du travail, une sphère d’activité de
loisirs plus susceptible que celui-ci de permettre l’épanouissement des travailleurs.
Mais Friedmann est conscient du fait que des travailleurs aliénés et insatisfaits dans
leur travail ne peuvent pas être des parents, des citoyens et des amis vraiment libres et
épanouis dans leurs loisirs. D’autres auteurs, dont certains de ceux précédemment cités
(Sennett, Crawford), partageant le constat d’un décalage patent entre les attentes des
individus vis-à-vis du travail et la réalité du travail, appellent plutôt de leurs vœux un
changement radical non seulement du système socio-productif mais plus généralement
de l’ensemble des éléments composant la configuration qui fait aujourd’hui obstacle à
l’identification du travail idéal et du travail réel. Sennett et Crawford proposent
notamment une rupture radicale avec le capitalisme et la division du travail, voyant
l’un et l’autre dans la possibilité pour les individus de reconnaître leur apport à la
production et de faire reconnaître celui-ci par l’utilisateur, un des moyens de renouer
avec le sens du travail.
39 Crawford propose ainsi d’« essayer de trouver un travail dans les interstices de
l’économie, un emploi dont le débouché marchand soit entièrement compatible avec
l’échelle humaine des interactions face à face. C’est ce qu’offre un environnement
comme le speed shop , à savoir une communauté de fabricants et de réparateurs
entièrement intégrées au sein d’une communauté d’usagers » (Crawford, 2010, 218).
Mais la question du salariat reste entière. Si Crawford semble penser que pour sauver le
travail il nous faut revenir à l’époque antérieure au salariat et au travail-marchandise,
lorsque l’indépendance économique des petits producteurs permettait l’exercice du
seul type de travail adapté à l’exercice de la citoyenneté, il apparaît pour autant
aujourd’hui bien risqué d’abandonner un mode d’organisation du travail qui a permis
d’assurer aux travailleurs une certaine protection alors que la forme alternative qui
semble la plus probable, comme l’indiquent Mercure et Vultur (mais aussi Gorz, 2005 et
Méda, 1999), est l’entrepreneur de soi, qui constituerait par rapport au salariat un
formidable retour en arrière puisque les travailleurs seraient privés à la fois de la
sécurité-propriété et de la sécurité-travail, n’ayant plus à négocier que leur stock de
compétences et de capital humain, dont l’employabilité devrait être soigneusement
entretenue.
40 Nous sommes dès lors ramenés à la contradiction à laquelle Marx lui-même s’était
heurtée (le travail premier besoin vital et le travail-nécessité) et qu’il semble avoir
tranchée en faveur du travail-nécessité, la véritable liberté ne commençant « qu’à

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Quels changements à la mesure des attentes posées sur le travail? 13

partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures ». Nous
pouvons continuer à faire nôtre la direction qu’il avait proposée, notamment à un
moment où les remises en cause du droit du travail, la précarisation des emplois et le
chômage minent la condition salariale elle-même (Castel, 1995). Si le prix à payer pour
s’épanouir au travail est le détricotage de la protection acquise dans le cadre salarial et
la promotion de l’auto-entreprenariat, il est sans doute plus raisonnable, hic et nunc,
comme y invitait Marx, d’accepter le caractère de devoir social de la participation aux
échanges et de rendre les conditions dans lesquelles ils s’exercent « les plus dignes, les
plus conformes à leur nature humaine » (Marx, 1969) et peut-être de renoncer au
mythe du travail-épanouissement pour en revenir à une conception du travail comme
activité socialement utile destinée à fabriquer la production. Dans le laps de temps plus
ou moins long qui nous sépare du Grand Soir, plusieurs chantiers sont dès lors
grandement susceptibles de contribuer à la reconstruction du travail.
41 Il pourrait s’agir a minima de rendre enfin effectif le droit au travail inscrit dans le
Préambule de la Constitution, de mettre en œuvre le programme de « travail décent »
proposé par l’OIT, de renforcer le droit du travail, d’éradiquer les logiques issues du
NPM et de l’obsession de la productivité et de la rentabilité et de développer des
« organisations apprenantes » (Valeyre, 2007), le tout étant conditionné, comme
l’explicite Marx lui-même, par la réduction du temps de travail et de l’emprise du
travail. À très court terme, renforcer les dispositifs de protection des salariés et la
ressource que constitue le droit du travail, substituer aux politiques et aux dispositifs
individualisés qui isolent les salariés (comme la rupture conventionnelle, cf. Dalmasso,
Gomel, Méda & Serverin, 2012) des instances de représentation de ceux-ci dans toutes
les entreprises et mettre en évidence l’inanité des réformes qui visent à simplifier les
dispositifs au nom de la sécurisation des procédures, de la création d’emplois ou de la
dé-segmentation du marché du travail apparaît essentiel.
42 Plus profondément, un tel programme suppose sans doute, d’une part, une
transformation de la nature même du salariat qui pourrait prendre la forme d’un fort
relâchement du lien entre productivité individuelle et rémunération (Halevy, 1907) – à
l’exact rebours de ce qui s’est passé en France avec la mise en œuvre du R SA –, et qui
pourrait s’accompagner d’une re-conceptualisation de la notion d’entreprise (Segrestin
& Hatchuel, 2012; Ferreras, 2007) et, d’autre part, une remise en cause de l’indicateur
traditionnel à l’aide exclusive duquel nous évaluons la performance des sociétés: le P IB
(Méda, 1999; Gadrey & Jany-Catrice, 2003), et plus généralement de l’obsession de la
maximisation de la production (Méda, 1999; Gadrey, 2010; Jackson, 2010).
43 La grave crise écologique et sociale à laquelle nous sommes dès maintenant confrontés
et dont la résolution nécessite une forte réduction de la production et de la
consommation, peut enfin constituer une chance exceptionnelle de changer
radicalement le travail si, comme le propose Jackson dans Prospérité sans croissance
(2010), nous parvenons à rompre avec ce que les économistes nous ont fait considérer
comme la condition sine qua non du progrès: la recherche effrénée des gains de
productivité. En effet, la question de savoir si la poursuite des gains de productivité du
travail doit rester l’objectif principal recherché par nos sociétés – parce qu’elle
constituerait la voie privilégiée d’accès au progrès, à la multiplication des biens et
services produits, à la baisse des prix de ceux-ci – ou si nous lui préférons la voie d’un
développement plus sélectif, donnant la priorité à la qualité du travail et des produits –
est centrale. Elle est la preuve qu’il n’est pas possible de considérer l’avenir du travail

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Quels changements à la mesure des attentes posées sur le travail? 14

sans avoir auparavant décidé du type de consommation que nous souhaitons, des
modalités de choix de la production socialement nécessaire et du nouveau modèle de
développement vers lequel organiser la transition.

*****

44 En Europe comme dans l’ensemble du monde occidental, les attentes relatives au


travail ont changé de nature: une large partie de la population, notamment les plus
diplômés, les plus jeunes et les CSP les plus élevées placent désormais sur le travail des
attentes de plus en plus « expressives » ou post-matérialistes, désirant trouver dans le
travail sens, réalisation et expression de soi, développement de ses capacités et bonne
ambiance. Ces attentes, dont les entreprises ont soutenu et accompagné la diffusion,
sont particulièrement développées en France où les personnes interrogées font
pourtant de plus en plus état de leur déception en raison de conditions de travail qui
leur semblent peu propices à la satisfaction de celles-ci.
45 Une partie des principaux supports du « travail–épanouissement », les cadres,
professions intellectuelles et professions intermédiaires travaillant notamment dans le
secteur public, soumis aux nouvelles organisations du travail et au New Public
Management, font de plus en plus état de la perte de sens du travail à laquelle
conduisent ces nouveaux modes d’organisation et réclament, d’une part, un arrêt du
développement des logiques axées sur la rentabilité et la productivité et, d’autre part,
la promotion de la qualité du travail. Ainsi une forte contradiction semble-t-elle
aujourd’hui exister entre qualité et productivité du travail, de même qu’un décalage
potentiellement explosif entre l’ampleur des attentes individuelles posées sur le travail
et la capacité du système socio-productif à les satisfaire.
46 Contrairement au Québec où Mercure et Vultur voient dans l’entrepreneur de soi la
figure du travailleur du futur, susceptible de réaliser la convergence des aspirations
individuelles et des évolutions du système socio-productif, la France semble opposer de
la résistance à la fusion des logiques managériales et individuelles et préférer une voie
qui privilégie la qualité – du travail et des produits – et la sécurité, par rapport à la
flexibilité, sans doute parce que le nombre de personnes travaillant dans le secteur
public, qui constitue un support pour cette voie, reste élevé. Si cette analyse était
confirmée, elle devrait bien sûr entraîner un certain nombre de révisions parmi les
principes managériaux érigés en dogme ces vingt dernières années. À court terme, à
rebours des discours réclamant une « réforme structurelle du marché du travail » au
nom de l’adaptation des salariés aux impératifs de la mondialisation, il semblerait plus
approprié de renforcer les sécurités accordées aux salariés, d’augmenter leur pouvoir
de négociation et de leur redonner non seulement la parole mais aussi du pouvoir,
notamment sur leurs conditions de travail. C’est sans doute seulement de cette manière
qu’il deviendra possible d’engager non seulement une conversion de notre économie
vers la promotion de la qualité du travail et de l’emploi mais aussi une transformation
concomitante de la façon dont la production socialement nécessaire est déterminée, de
sa quantité, qualité et composition, de la répartition dans l’ensemble de la population
et de la nature de l’activité permettant la fabrication de cette production (le travail) et
des indicateurs à l’aune desquels évaluer la performance des sociétés.

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NOTES
1. C’est-à-dire qui permettent l’expression de soi.
2. « Il s’agit de finalités diversifiées, mais qui ont en commun d’être prioritairement centrées sur
la nature même de l’expérience vécue au travail ».
3. La question n’a malheureusement pas été posée en 2008…
4. On trouve des médecins, infirmières, professeurs, chercheurs, ingénieurs, éducateurs,
professionnels de la santé, informaticiens, formateurs, consultants et une assez forte proportion
de personnes travaillant pour les grandes fonctions collectives, éducation, santé, social sans être
nécessairement fonctionnaires puisque la moitié d’entre eux ont connu le chômage.
5. Sur ce point nous ne suivons pas A. Bidet qui considère que Friedmann opère une confusion
entre les deux dimensions technique et économique (Bidet, 2011, 70sq).

RÉSUMÉS
En Europe comme dans l’ensemble du monde occidental, les attentes relatives au travail ont
changé de nature: une large partie de la population, notamment les plus diplômés, les plus jeunes
et les CSP les plus élevées placent désormais sur le travail des attentes de plus en plus
« expressives » ou post-matérialistes, désirant trouver dans le travail sens, réalisation et
expression de soi, développement de ses capacités et bonne ambiance. Ces attentes, dont les
entreprises ont soutenu et accompagné la diffusion, sont particulièrement développées en France
où les personnes interrogées font pourtant de plus en plus état de leur déception en raison de
conditions de travail qui leur semblent peu propices à la satisfaction de celles-ci. Après avoir
exposé ce décalage la réalité du travail et les attentes, l’article s’interroge sur les obstacles à la
réalisation de celles-ci et sur les conditions de possibilité d’une transformation radicale du travail
et des entreprises qui permettraient au contraire d’y faire droit.

In Europe like most of the Western world, people’s expectations of work have changed in reent
years. Much of the population, notably the best educated and youngest individuals from the most
privileged socio-economic categories, have increasingly “expressive” or post-materialist
expectations today, hoping to find meaning in work ; self-realisation and self-expression ; a

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chance to develop one’s capacities ; and a good atmosphere. These expectations – whose
dissemination tends to be supported and nurtured by companies – are particularly advanced in
France, despite interviewees’ manifesting more and more disappointment at unsatisfactory
working conditions. After exposing the gap between the reality of work and people’s
expectations, the text looks at obstacles as well as conditions enabling a radical transformation of
work and companies, specifically highlighting the notion of rights.

En europa, como en todo el mundo occidental, las expectativas relacionadas con el trabajo han
cambiado de naturaleza : una gran parte de la población, especialmente la que cuenta con más
estudios, los más jóvenes y las categorías socio-profesionales de mayor rango, actualmente
depositan en el trabajo unas expectativas cada vez más “expresivas” o postmaterialistas, pues
desean encontrar en el trabajo un sentido, una realización y una expresión de sí mismos, un
desarrollo de sus capacidaddes y un buen ambiente. Esas expectativas, cuya difusión las empresas
han apoyado y acompañado, se han desarrollado particularmente en Francia, donde sin embargo,
las personas entrevistadas manifiestan cada vez más su decepción debido a condiciones de
trabajo que les parecen poco propicias a la satisfacción de sus expectativas. Tras exponer ese
desfase entre la realidad del trabajo y las expectativas, el artículo se interroga sobre los
obstáculos a su realización y sobre las condiciones de posibilidad de una transformación radical
del trabajo y de las empresas que, por el contrario, permitieran tenerlas en cuenta.

INDEX
Mots-clés : rapport au travail, valeurs, enquêtes européennes, post-matérialisme, sens du
travail, qualité de l’emploi
Palabras claves : relación con el trabajo, valores, estudios europeos, postmaterialismo, sentido
del trabajo, calidad del empleo
Keywords : work relationship, values, European surveys, post-materialism, sense for work, job
quality

AUTEUR
DOMINIQUE MÉDA
Université Paris-Dauphine, Irisso, Centre d’études de l’emploi

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