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30 | 2003
Le développement local : nouvelles perspectives
Local Development: New Perspectives
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/interventionseconomiques/945
DOI : 10.4000/interventionseconomiques.945
ISBN : 1710-7377
ISSN : 1710-7377
Éditeur
Association d’Économie Politique
Référence électronique
Pierre-André Tremblay et Jean-Marc Fontan (dir.), Revue Interventions économiques, 30 | 2003, « Le
développement local : nouvelles perspectives » [En ligne], mis en ligne le 01 mai 2003, consulté le 23
septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/interventionseconomiques/945 ; DOI : https://
doi.org/10.4000/interventionseconomiques.945
Les contenus de la revue Interventions économiques sont mis à disposition selon les termes de la
Licence Creative Commons Attribution 4.0 International.
Revue Interventions économiques
Papers in Political Economy
30 | 2003
Le développement local : nouvelles perspectives
Local Development: New Perspectives
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/interventionseconomiques/945
DOI : 10.4000/interventionseconomiques.945
ISBN : 1710-7377
ISSN : 1710-7377
Éditeur
Association d’Économie Politique
Référence électronique
Pierre-André Tremblay et Jean-Marc Fontan (dir.), Revue Interventions économiques, 30 | 2003, « Le
développement local : nouvelles perspectives » [En ligne], mis en ligne le 01 mai 2003, consulté le 28
août 2019. URL : http://journals.openedition.org/interventionseconomiques/945 ; DOI:10.4000/
interventionseconomiques.945
Les contenus de la revue Interventions économiques sont mis à disposition selon les termes de la
Licence Creative Commons Attribution 4.0 International.
1
SOMMAIRE
Les contributions des associations au mode local de régulation et les inégalités entre les
régions
Yvan Comeau, André Beaudoin, Daniel Turcotte, Jean-Pierre Villeneuve, Marie Bouchard, Sylvie Rondot, Benoît Lévesque et
Margie Mendell
La construction sociale des localités par des acteurs locaux : conceptualisation et bases
théoriques des outils de développement socio-économique
Soumaya Frej, Mélanie Doyon, Denis Granjon et Christopher Bryant
Qu’y a-t-il dans une communauté ? L’exemple des groupes communautaires québécois
Pierre-André Tremblay
Pierre-André Tremblay
5 Bien que sa généalogie soit longue, c’est vers la fin des années quarante que le terme
s’impose au plan international (Sachs, 1992, Rist, 1997). Époque dominante du
keynésianisme, triomphe du fordisme, apogée de l’État-providence : la croissance
semblait indéfinie et le « paradigme productiviste » régnait sans partage. Dans ce
contexte, qui se surprendra de constater que malgré les précautions par ailleurs
affirmées, il soit si difficile de distinguer croissance et développement?
6 Après une trentaine d’années de domination, ce paradigme a perdu de son lustre. La
critique écologiste a fait comprendre l’insoutenabilité de ce modèle; à peu près
simultanément, le fordisme a atteint sa limite, sans que l’on soit très certain de ce qui le
remplacera.
7 La preuve en est que bien qu’on continue à utiliser le terme de développement, le
discours s’est greffé de notions qui s’y intègrent mal. L’État se veut accompagnateur, et
non plus moteur et planificateur – ce qui n’est pas très keynésien. On parle de
décentralisation et de prise en charge, ce qui ne l’est pas non plus. La croissance demeure
un objectif incontesté, mais sans les outils fordistes de la croissance.
8 Il semble donc que le discours demeure en porte-à-faux, ce qui explique peut-être son
incapacité réflexive, son silence sur ses propres présupposés et, admettons-le, sa
redondance. Risquons-en une explication, qu’on retrouvera souvent plus ou moins
clairement dans les textes qui composent ce numéro.
9 Un des problèmes de la théorie du développement, et a fortiori du développement local
est l’incapacité à prendre en compte l’évidence de deux mouvements simultanés. D’une
part, celui de la délocalisation, de la dé-spatialisation qui vient avec la mondialisation des
activités et qui, à terme, pousse à croire que « la distance n’a plus d’importance », ce que
Harvey avait appelé la compression de l’espace-temps ; d’autre part, celui de la
localisation de ces activités, c’est-à-dire le fait que cette mondialisation se structure
autour de points, de lieux : la mondialisation est une métropolisation. En grossissant le
trait, on pourrait dire que nous sommes en voie de passer d’une géographie des surfaces
(les États-nations) à une topologie des réseaux – cela étant évidemment un énoncé très
exagéré. C’est ce double mouvement que le terme de glocalization (Robertson, 1992)
désigne.
10 Or, une partie importante de la théorie du développement est en réalité une théorie de la
modernisation de l’État-nation, conçue comme une émancipation par rapport aux
diverses attaches enserrant l’individu. Certaines de ces attaches sont spatiales : la
modernisation, c’est passer du village ou du quartier à la Nation, ce que les sociologues
désignent comme le saut qualitatif du statut au contrat ou de la communauté à la société.
On peut ainsi opposer l’horizon étroit du relationnel primaire, immédiat, à l’horizon large
du relationnel secondaire, des liens sociaux libres. L’idéal serait d’arriver à un individu
sans attaches, figure renouvelée du sujet libéral typique, qui n’a de liens qu’indirects,
impersonnels, négociés. L’idée du contrat social n’est pas loin.
11 Cet utilitarisme se manifeste, sur le plan politique comme un modèle républicain, comme
un mode d’organisation qui ne laisse subsister aucune médiation entre les personnes (les
citoyens) et l’État, incarnation de la Nation. Les Jacobins l’avaient tenté en cherchant à
éliminer les associations, les corporations et les syndicats. Ils favorisaient ainsi la
verticalité au détriment des relations horizontales (ce qui ne signifie pas égalitaires) que
les individus pourraient nouer entre eux. En bonne logique, cela revient à dire que les
personnes ne doivent plus avoir d’identité autre que nationale. Ce modèle est donc
nécessairement homogénéisant.
12 Il est clair que ce modèle n’a jamais été pleinement réalisé : il y a encore, même en
France, des régions, des syndicats, des associations. Il s’agit donc de l’énoncé d’une
norme, non d’une description de ce qui existe. Sans doute n’avons-nous jamais été
modernes (Latour, 2000).
13 Ce qui est tout aussi clair, c’est que ce modèle ne mène pas à l’abolition de tout horizon,
mais se situe d’emblée à l’intérieur de l’horizon de l’État-nation. Il faut s’assurer que les
Bretons, les Basques, les Gallois, deviennent Français, Espagnols ou Anglais, non qu’ils
soient des individus totalement libres. Le modèle républicain est modèle non d’un
individu, mais de la formation d’une identité nationale. Moderniser, c’est créer ces
« communautés imaginées » que sont les Nations (Anderson, 1991) et non abolir toute
communauté.
14 C’est justement ce que remet en question la mondialisation. En se fondant sur les réseaux
de métropoles, elle change profondément la place des États-nations. La planète-monde
devient l’horizon premier. Les théories qui se situent à l’intérieur du cadre de
construction de l’État national, les théories de la modernisation, sont donc déphasées. De
façon certes un peu provocante, on pourrait dire : si le développement n’est plus
développement de l’État national, de quoi sera-t-il le développement? Une bonne partie
de nos difficultés intellectuelles tiennent à notre incapacité à répondre adéquatement à
cette question.
15 Ce n’est pas faute d’essayer, comme le montrent, chacun à leur façon, les articles de ce
numéro. Ils cherchent tous la réponse du côté des collectivités locales, plutôt que de celui
du pays. Reste à voir comment les termes anciens – communauté, localité, région –
survivront au changement de paradigme.
BIBLIOGRAPHIE
ANDERSON, B. (1991). Imagined communities. Essay on the origins and spread of nationalism
(2nd. Ed.), Londres, Verso books.
LATOUR, B. (2000). Nous n’avons jamais été modernes. Essai d«’anthropologie symétrique, Paris,
La Découverte.
RIST, G. (1997). Le développement. Histoire d'une croyance occidentale, Paris, Presses de Science
Po.
ROBERTSON, R. (1992). Globalization. Social theory and global culture, Newbury Park, Sage.
AUTEUR
PIERRE-ANDRÉ TREMBLAY
Université du Québec à Chicoutimi
Louis Favreau
Introduction
1 L’expérimentation de nouvelles pratiques d’économie sociale, d’insertion socio-
professionnelle et de développement économique communautaire a été particulièrement
forte au cours des deux dernières décennies (1980-2000). Elle s’est réalisée, grosso modo,
autour de quatre types d’initiatives : 1) des initiatives de développement de nouveaux
services de proximité (maisons de quartier, maisons de la famille, cuisines collectives,
etc.) ou de renouvellement de certains services existants tels les centres communautaires
de loisirs (Fréchette, 2000) ; 2) des initiatives de formation à l’emploi (organismes
communautaires de formation de la main d’œuvre et entreprises d’insertion) (Assogba,
2000 ; Comeau, 1997) ; 3) des initiatives territorialisées de revitalisation économique et
sociale des communautés en déclin ou en voie d’appauvrissement (corporations de
développement économique communautaire, corporations de développement
communautaire, etc.) (Favreau et Lévesque, 1996 ; Comeau, Favreau, Lévesque et Mendell,
2001) ; 4) des initiatives de développement d’entreprises sociales dans de nouveaux
créneaux tels que l’écotourisme, la récupération et le recyclage, la restauration populaire,
l’informatique, la culture (théâtre, musique, etc.)…1
2 La décennie 80-90 a également vu se développer plusieurs réformes initiées par les
pouvoirs publics dans le domaine des affaires sociales (politique d’action communautaire
autonome), dans celui de la formation de la main d’œuvre (mise sur pied des centres
locaux d’emploi) et dans celui du développement local et régional (création de Centres
locaux de développement, de conseils régionaux d’économie sociale…). Approfondir la
développement local et l’économie sociale se sont, sous leur impulsion, affirmés avec plus
de force. L’analyse de ces pratiques nous permet d’opérer une relecture d’ensemble de la
lutte contre la pauvreté dans le cadre plus général d’une redéfinition des rapports
entre l’État, la société civile et le marché. Depuis 10 ans, toute une série de travaux de
recherche au Québec autour des notions de « prévention sociale » (Fréchette, 1996),
d’« économie solidaire » et de « services de proximité » (Laville, 1994 et 1992),
d’« économie sociale » et de « développement économique communautaire » (Defourny,
Favreau et Laville, 1998) permettent de rendre compte de l’évolution en cours et de
l’inscription ou non de ces « alternatives » dans le modèle québécois de développement
(Bourque, 2000)5.
Le levier de la redistribution
13 La première voie pour éradiquer la pauvreté, la plus classique et la plus visible, est celle
des mesures de redistribution de la richesse. Les deux recours habituels : 1) dans les
collectivités locales et les régions, des citoyens se mobilisent dans des organisations de
défense de droits sociaux qui servent de signal d’alarme auprès des pouvoirs publics 6 : 2) à
l’échelle de la société, l’État se charge d’assurer des protections sociales pour tous à partir
d’une politique d’équité fiscale7 et d’équité territoriale8.
14 Bref, pour atténuer les inégalités entre « riches » et « pauvres », entre régions rurales et
régions urbaines, entre centre-villes et banlieues, entre groupes sociaux de toute
catégorie, l’État veille à fournir un panier de services communs à tous et un service public
sans discrimination sociale ou spatiale. Le projet de loi pour un Québec sans pauvreté
(Labrie, 2001) et le débat autour d’une allocation universelle (Aubry, 1999) participent
très précisément de cette démarche de renouvellement des mesures de redistribution. Le
fondement derrière ce levier de la redistribution nous renvoie à l’inégalité des chances
liée à un manque de ressources disponibles (revenus…) pour les familles et les
collectivités. La demande sociale exprime ici une volonté d’égalité dans la
consommation.
15 Cette approche par la redistribution oublie cependant trop facilement les effets pervers
de l’État-providence, première génération (celui de la Révolution tranquille). Son
étatisme sous-estime l’effet de passivité lié à la seule perspective de la consommation de
services.
16 La crise de l’État-providence ne se réduit pas à ces déficits ni la pauvreté à un manque de
ressources (financières et autres). C’est la crise du financement public qui nous a permis
de mieux voir l’effet pervers d’un État social qui, dans sa mouture initiale, fait des
citoyens des consommateurs. C’est la crise de l’emploi qui nous a fait mieux voir que le
travail est un vecteur déterminant d’intégration, un socle pour la reconnaissance sociale
de chacun, l’estime de soi et l’inscription de tous dans des réseaux sociaux.
17 Au cours des années 1945 à 1975, l’État et le réseau public assument un rôle central sur le
plan du financement, de l’encadrement, de la gestion et de la production des services. Au
cours de ces décennies d’après-guerre, le secteur public occupe le devant de la scène, tout
le devant de la scène. Les ressources associatives (organisations communautaires, groupes
de femmes, groupes écologiques, groupes de jeunes) ne jouent alors qu’un rôle
complémentaire dans la distribution des services aux collectivités. Simultanément, sous
la poussée des grandes organisations syndicales et des associations de consommateurs
(notamment les grandes coopératives de consommation et d’épargne et de crédit), l’État
en est venu à assurer les protections sociales de base (assurance-maladie, éducation,
assurance-emploi, etc.) tandis que les entreprises du secteur marchand se voyaient
attribuer, comme par évidence, le développement économique. Dans un cas comme dans
l’autre, les citoyens sont en quelque sorte hors champ : des bénéficiaires de services de
l’État et des salariés d’entreprises dans lesquelles ils ne participent pas activement 9.
18 Les pouvoirs publics et les mouvements qui sont trop centrées sur les dispositifs étatiques
et donc trop exclusivement sur la consommation de services occultent du coup deux
dimensions cardinales : celle d’une citoyenneté active et celle de concepteur de services
que des collectivités peuvent assumer. D’un côté, les lacunes démocratiques d’un service
public centralisé et opéré par les seuls fonctionnaires de l’État sont manifestes ; de
l’autre, il y a quasi-monopole de la production de services collectifs par l’État. C’est ce
scénario qui est tombé en désuétude dans les deux dernières décennies, car ce type
d’État social répond mal au problème actuel des inégalités qui est non seulement une
question de ressources disponibles mais aussi, simultanément, de disqualification sociale
ou de desinsertion sociale des individus (Gaulejac, 1994), de ségrégation spatiale
(relégation de groupes comme les chômeurs, les assistés sociaux et une partie des
nouveaux arrivants dans des quartiers en difficulté) (OCDE, 1998) et de déficit du tissu
économique local (appauvrissement de collectivités locales et régionales) (Favreau et
Lévesque, 1996).
19 Le rôle redistributif de l’État demeure toujours nécessaire tout comme son action dans les
politiques sociales et économiques, comme dans des projets tels que le partage du travail.
Mais il n’a plus le monopole de la redistribution et du développement économique et
social. Les mouvements sociaux se taillent de plus en plus une place appréciable dans le
développement en liant les dimensions sociale et économique.
20 C’est ce qui explique qu’un certain nombre de réponses moins centrées sur la
redistribution étatique et davantage sur l’auto-organisation et la co-production de
services, ont émergé è partir des années 80. Fondement de ces initiatives, l’égalité par le
travail, autrement dit, une participation au marché du travail qui permet à des gens de
sortir de la pauvreté et de redevenir actifs dans la société10. Au Québec de façon
particulière, c’estle croisement actif de ces initiatives avec de nouvelles politiques
publiques qui fait l’originalité du développement économique et social des deux dernières
décennies.
23 C’est en relation avec l’emploi et le soutien aux entreprises locales qu’ont pris forme des
organisations qui accompagnent des groupes en difficulté. Dans les années 90 surtout, la
création de nouveaux dispositifs de développement local est devenu un impératif de
premier ordre afin de répondre aux besoins des économies locales et régionales en
difficulté
• La Caisse d’économie des travailleuses et des travailleurs (Québec), fondée par la CSN, avec
un actif de plus de 110 millions de dollars et dont la mission explicite est celle du
« développement communautaire » (CETT, 1997) soutient prioritairement des entreprises
relevant de l’économie sociale. Elle a ainsi fait la preuve que ce segment de marché, que ces
entreprises sociales, pouvaient être aussi rentables et fiables que les PME du secteur privé.
Elle finance et accompagne plus de 200 entreprises de ce type en dépassant la moyenne de
retour sur investissements généralement obtenue dans l’ensemble des caisses du
Mouvement Desjardins à laquelle elle appartient (Lebossé, 1998).
• Le réseau d’une cinquantaine de corporations de développement communautaire (CDC) et
celui des corporations de développement économique communautaire (15 CDÉC) : ces
organisations de caractère associatif, nées pour la plupart à la fin des années 80 ou au début
des années 90, font du travail de revitalisation économique et sociale dans des communautés
en difficulté. Elles ont inspiré la réforme qui a donné naissance aux CLD et travaillent depuis
avec eux.
• Les 54 Sociétés d’aide au développement de la collectivité (SADC) : initiées par le
gouvernement fédéral en 1985, les 54 SADC du Québec sont des OBNL gérées par des conseils
d’administration formés de représentants des communautés locales. Il s’agit d’organismes
de développement économique local ayant à leur disposition des fonds de développement.
• Les 86 Sociétés locales d’investissement et de développement de l’emploi (SOLIDE) : initiées
conjointement par le Fonds de solidarité des travailleurs (FTQ) et l’Union des municipalités
régionales de comté du Québec (UMRCQ), les premières SOLIDE sont entrées en opération en
1993. Juridiquement autonomes, ce sont des organismes hybrides initiés par les syndicats et
les gouvernements locaux (UMRCQ).
• Les 110 Centres locaux de développement (CLD) : créés en 1998 et subventionnés par l’État
québécois, les CLD relèvent de conseils d’administration autonomes. Les CLD emploient 1000
personnes et disposent tous de fonds de développement dont une partie est dédiée
spécifiquement à l’économie sociale.
• Le Réseau d’investissement social du Québec (RISQ) : créé en novembre 1997, il est alimenté
par des contributions d’entreprises privées et collectives actives au Québec et d’une dotation
de départ du gouvernement québécois. Ce fonds fournit du financement et de la formation
exclusivement aux entreprises d’économie sociale.
• Investissement-Québec : cette société d’État dont la mission est de soutenir le financement
des PME administre depuis la fin des années 90 de nouveaux programmes pour le
financement des entreprises de l’économie sociale : l’un pour les coopératives, l’autre pour
les OBNL.
24 L’accès à l’emploi pour les segments plus défavorisés de la population active et son
corollaire l’insertion par le travail ne sont pas en reste puisque bon nombre d’initiatives
associatives, syndicales et publiques en la matière sont apparues, surtout dans les dix
dernières années, créant ainsi une seconde filière, plus spécifiquement articulée autour
d’organisations et d’entreprises d’économie sociale. Mentionnons à cet égard :
• Quelque 150 organismes communautaires de développement de la main d’œuvre soit le
réseau de l’ASEMO, c’est-à-dire l’Association des Services externes de main d’œuvre
disposant d’un financement public de Québec et celui du RQuODE qui, avant la réforme du
service public de l’emploi, disposait d’un financement public du gouvernement fédéral
(maintenant lié à Emploi-Québec pour son financement).
• Une centaine d’entreprises dites d’insertion constitués en différents réseaux (32 entreprises
au Collectif des entreprises d’insertion ; 18 dans le réseau des CFER, etc.) et œuvrant dans
différents secteurs (entretien ménager, restauration, informatique, meuble, recyclage du
papier, rénovation de résidences, etc.) avec la contribution de deux catégories de salariés :
des salariés réguliers et des stagiaires en insertion (Bordeleau, 1997).
• De petits fonds communautaires dédiés à des catégories sociales particulièrement
défavorisées comme l’Association communautaire d’emprunt de Montréal (ACEM) ou les
Centres d’initiatives d’emploi local (CIEL)11.
• 150 Centres locaux d’emploi (CLE) : créés en 1998, les CLE gèrent l’ensemble des mesures
actives d’emploi pour toutes les catégories de personnes sans emploi et pour l’aide aux
entreprises en matière de main d’œuvre.
• Un Fonds de lutte contre la pauvreté par la réinsertion au travail qui relève du ministère de
la Solidarité sociale et du ministère du Travail. Créé en 1996, il est géré par Emploi-Québec,
organisme public national chapeautant les CLE.
• Une centaine de Carrefours jeunesse emploi : composés d’autant de conseils
d’administration où œuvrent plus de 1000 bénévoles et où travaillent 850 personnes, les CJE
sont nés dans la deuxième partie de la décennie 90 à partir d’une expérience fondatrice
apparue en 1984 dans l’Outaouais (Assogba, 2000).
25 C’est en relation avec des besoins nouveaux, notamment dans le secteur de la santé et des
services sociaux, que s’est développée cette filière :
• Des organisations communautaires : les premières sont nées dans les années 60-70.Mais la
reconnaissance réelle est venue avec la réforme de la santé et des services sociaux (1991),
réforme qui leur accordait 20 % des voix dans les C.A. des nouvelles régies régionales 12.
• Les services d’organisation communautaire des CLSC (Favreau et Hurtubise, 1993) : les CLSC,
issus d’une transformation des cliniques médicales populaires, ont parachevé la couverture
de l’ensemble du territoire québécois à la fin des années 80.
• L’adoption d’un amendement à la loi des coopératives en 1997 qui a rendu possible la
constitution de coopératives de solidarité (participation conjointe des usagers et des
salariés), modèle inspiré des coopératives italiennes. Cet amendement donnera l’aval au
développement, entre autres, de coopératives d’aide à domicile.
• La transformation des garderies à but non lucratif en centres de la petite enfance et
l’institutionnalisation des services de garde à l’échelle du Québec (1997).
• La mise sur pied du Secrétariat à l’action communautaire autonome (SACA) en 1995 et une
première politique publique d’action communautaire (2000).
26 Finalement, les cinq dernières années ont vu les initiatives associatives, de groupes de
femmes et syndicales liées à l’économie sociale et au développement local se doter d’un
réseau des réseaux, le Chantier de l’économie sociale, lequel constitue un interlocuteur
privilégié du gouvernement du Québec en la matière.
27 En effet, pour faire suite à une recommandation du Groupe de travail sur l’économie
sociale lors du Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, un organisme sans but lucratif
a été constitué : le Chantier de l’économie sociale. Ce comité de suivi était composé de
personnes représentant le mouvement communautaire, coopératif, les groupes de
femmes, les groupes de développement local et les milieux de la culture et de
l’environnement. Le Chantier vise notamment à :
• œuvrer, de concert avec les promoteurs et avec les ministères et organismes publics, à la
réalisation des projets de création d’emplois ayant été acceptés au Sommet sur l’économie et
l’emploi ou ayant fait l’objet d’un accord de principe du gouvernement ;
• faire la promotion de l’économie sociale ;
• représenter le secteur de l’économie sociale dans les instances nationales de partenariat ;
• établir des liens avec les organismes œuvrant dans le secteur de l’économie sociale aux
niveaux national et régional ;
• collaborer avec les ministères et organismes du gouvernement à l’élaboration de stratégies
favorisant le développement de l’économie sociale, à l’évaluation des programmes et
mesures de soutien à l’économie sociale de même qu’à l’élaboration d’indicateurs de
résultats ;
• rechercher la collaboration technique et financière nécessaire pour la formation
d’entrepreneurs collectifs et le financement d’entreprises d’économie sociale ;
• mettre sur pied un secrétariat permanent capable d’établir des liaisons fonctionnelles avec
les secteurs de l’économie sociale, les organismes régionaux d’économie sociale et le
gouvernement.
28 Depuis le Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, les projets acceptés dans le secteur
de l’économie sociale ont permis de créer des milliers emplois et des centaines
d’investissements. Voici quelques faits saillants (en date du 31 mars 1999) : 7 992
personnes étaient à l’emploi d’une entreprise d’économie sociale née dans la foulée du
plan d’action du Chantier de l’économie sociale suite au Sommet tenus trois ans plus tôt. Plus
précisément, 2 750 emplois ont été créés dans les centres de la petite enfance et 4 509
dans les autres secteurs auxquels il convient d’ajouter 733 emplois consolidés. De façon
plus détaillée, les emplois créés et consolidés se répartissaient ainsi :
• les centres de la petite enfance (2 750 emplois) ;
• les entreprises d’aide domestique (2 073 emplois) ;
• les entreprises d’insertion (1 121 emplois) ;
• les centres de travail adaptés (622 emplois) ;
• les réseaux d’accueil reliés au système pénal (410 emplois) ;
• les entreprises forestières (215 emplois) ;
• les autres secteurs (801 emplois).
29 Les objectifs initiaux de création d’emplois annoncés lors du Sommet, étaient : a) 8 000
emplois dans les centres de la petite enfance ; b) 13 090 emplois dans l’ensemble des
autres secteurs d’activité13.
d’équipes de professionnels des services publics de proximité (CLSC, CLD, CLE), la mise à
contribution de l’Église locale (la pastorale sociale)…
37 Mais s’il n’y a pas d’interface solide entre les forces locales et les pouvoirs publics, les
initiatives prises par des collectivités locales n’arrivent pas à se reproduire plus
largement et donc à passer du micro au macro. L’inverse est d’ailleurs tout aussi vrai :
lorsqu’elles viennent d’en haut (niveau macro), elles ont du mal à s’enraciner au plan
local et n’aboutissent nulle part.
• les partenaires sociaux ne sont pas tous engagés avec la même présence et la même
conviction (participation du secteur privé déficiente par exemple, participation trop
critique d’autres…) ;
• la coordination est parfois mal engagée entre le service public et les services
communautaires.
41 Dans ce dernier cas, c’est la question de la reconnaissance qui passe mal parce que ces
services communautaires ont réussi à mobiliser, à accumuler des ressources, à créer des
institutions, à offrir des services là où le service public faisait défaut, échouait ou ne
s’était pas risqué. Mais, une fois reconnus, on voudrait qu’ils se fondent dans le service
public sous prétexte que les deux composantes font la même chose en ignorant que leur
présence d’hier permis les changements d’aujourd’hui et de demain parce qu’ils sont
autonomes en tant que 3e pôle de développement à côté de l’État et du marché.
42 En bref, problème nouveau : il n’est pas facile de penser le développement à trois
pôles (marché, État, associatif) lorsqu’un des trois vient à manquer (le secteur privé) ou
que l’un des trois se voit refuser de fait un rôle (dénégation de reconnaissance de
l’associatif par le service public). Il n’est pas facile non plus de travailler en misant sur
plusieurs registres d’intervention à la fois que sont le micro (l’entreprise), le macro (les
politiques nationales) et le méso (les territoires). Ce sont les territoires qui favorisent les
passerelles entre le micro et le macro. Mais lorsque ce registre est nié par des intérêts
trop sectoriels…les interventions territorialisées deviennent plus difficiles.
47 À l’heure d’une recherche des voies pour repenser l’intervention de l’État, la nature
distincte de la société québécoise en Amérique du Nord s’affirme entre autres sur le plan
des dispositifs collectifs de développement économique et social. Comme un peu partout
dans les pays développés, la crise de l’emploi et des formes d’intervention keynésiennes
de l’État s’est traduite, sur le plan de la politique économique, par l’essoufflement de
politiques industrielles plus ou moins affirmées de subventions directes aux entreprises
ou encore, sur le plan de la redistribution, par la remise en question de mesures
assurantielles passives.
48 Dans ce contexte, les acteurs sociaux du Québec des deux dernières décennies sont en
quelque sorte à réinventer graduellement, en misant sur l’État québécois comme levier,
une nouvelle génération d’organisations et d’institutions permettant de stimuler la
restructuration de l’économie québécoise, dans un sens qui tient davantage compte de
l’intérêt social général et donc des deux dimensions, sociale et économique, du
développement. Ce faisant cette nouvelle génération d’organisations et d’institutions
participent à la lutte contre les inégalités sans en faire cependant son unique objectif.
49 Concrètement par exemple, le nouveau dispositif québécois des fonds de développement
se traduit d’abord par l’offre d’une enveloppe globale de capital de risque atteignant
aujourd’hui les 4 milliards $, représentant ainsi une proportion de 50 % de l’enveloppe de
capital de risque disponible au Canada (8 milliards $). Une grande partie de ce capital de
risque relève dans les faits et par politique du capital de développement dans la mesure
où il intègre des objectifs sociaux comme la création d’emplois, la formation
professionnelle, la participation des travailleurs dans l’entreprise, ou la structuration
positive de l’environnement d’ancrage des entreprises. Il fait ainsi la preuve qu’on peut
secteur, il est aussi politiquement présent dans toutes les instances publiques afférentes,
régionales et nationale (Commission nationale des partenaires du marché du travail et
conseils régionaux).
54 La vitalité de ces organisations et entreprises au plan local et à l’échelle de tout le
Québec, en ont fait de véritables outils de recomposition du lien social dans des
communautés en difficulté. Elles ont fait la preuve qu’on peut faire du développement
social par l’économique, qu’on peut mobiliser et générer du capital social, qu’on peut
coupler l’esprit d’initiative sur le terrain économique et des finalités sociales. Ce
faisant elles combattent avec une certaine efficacité une culture d’assistance faite
d’une relative passivité en instaurant « un jeu à somme positive dans lequel les
ressources publiques consacrées aux services sont abondées par des ressources
marchandes et volontaires » (Laville et autres, 2000 : 124).
55 Contrairement à la pensée reçue entourant le modèle québécois issu de la Révolution
tranquille et son faible apport dans les enjeux d’hier et d’aujourd’hui (Paquet, 1999), la
société québécoise est donc assez clairement engagée sur la voie d’un renouvellement en
inventant de nouveaux carrefours entre l’économique et le social. Ce renouvellement
défie aussi les anciennes limites entre l’État et la société civile : le contexte de la crise de
l’emploi, comme celui de la désindustrialisation relative ou celui de la dévitalisation
vécue au niveau des économies locales, a occasionné un virage stratégique de la
confrontation vers la concertation chez les grands acteurs sociaux, au point où il faut
maintenant parler de nouveaux acteurs sociaux pour désigner le mouvement
communautaire, le mouvement des femmes ou le mouvement syndical, par opposition à
la période fordiste précédente.
56 L’effort à réaliser pour le développement de l’emploi est un objectif partagé au sein de la
gauche comme de la droite, bien que des enjeux importants persistent au niveau des
résultats recherchés, par exemple sur le statut des emplois du nouveau secteur
d’économie sociale (qualité de l’emploi, complémentarité ou non avec les emplois de
l’économie publique ou privée, viabilité, etc.). La concertation nationale devenue
quadripartite avec la représentation du secteur associatif au dernier Sommet du Québec
sur l’économie et l’emploi (1996) a débouché sur des partenariats concrets.
57 Dans la mesure où la pertinence de ce virage est considérée comme acquise, l’enjeu du
développement local et de l’économie sociale dépasse le seul débat sur les coûts et
bénéfices de la dépense publique, et dépasse donc l’enjeu de la redistribution, pour
s’inscrire plutôt dans une réflexion d’ensemble sur les modalités et les formes
organisationnelles et institutionnelles de ce modèle de développement renouvelé, sur les
nouvelles formes de régulation qui émergent de la crise du fordisme et du
providentialisme.
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NOTES
1. Clarifions d’entrée de jeu que l’économie sociale ne se limite à la création de nouveaux
services collectifs (dont l’interface principal est l’État). Elle se manifeste, notamment dans les
créneaux ci-hauts mentionnés, dans la production de biens et de services sur le marché. Elle a
donc aussi une interface avec le secteur privé.
2. Rappelons ici qu’au début des années 60, 85 % des gens bénéficiant des mesures publiques
d’assistance sociale étaient dans l’impossibilité de travailler pour cause d’handicap majeur. Ils
étaient alors déclarés « inaptes au travail » comme on disait à l’époque.
3. C’est R. Castel qui qualifie la pauvreté à partir de la notion de « question sociale » dans son
ouvrage La métamorphose de la question sociale. Le sous-titre est Chronique du salariat. Ce qui n’est
pas un hasard parce qu’il y démontre que cette fameuse « question sociale » est intimement liée à
la « civilisation du travail », c’est-à-dire au processus séculaire du travail salarié qu’il reconstitue
en remontant jusqu’à la seconde moitié du 14e siècle.
4. Par exemple, en France, la loi sur les retraites ouvrières et paysannes, première loi
d’assurance sociale obligatoire, est votée en 1910 (Castel, 2001 : 81).
5. Pour une vue d’ensemble de nos travaux de recherche sur ces questions, voir…….
6. C’est le jeu démocratique des pouvoirs et des contre-pouvoirs qui favorise l’expression de
demandes sociales nouvelles et la réponse des pouvoirs publics à ces demandes dans le cadre
d’une « négociation conflictuelle », type de négociation à laquelle, par exemple, les syndicats et
une partie des groupes populaires nous ont habitué (Alisnki, 1976).
7. D’où l’expression très ancienne du mouvement ouvrier porteur de cette revendication de
l’équité fiscale : « faisons payer les riches ».
8. La nationalisation de l’hydro-électricité et la mise sur pied de grands services publics en santé,
en éducation et dans les services sociaux en sont les exemples les plus patents.
9. Heureuse exception à la règle dans les services publics, les Centres locaux de services
communautaires (CLSC). Voir à cet effet Favreau et Hurtubise (1993). Heureuses exceptions au
sein des entreprises, des expériences de co-gestion (Tembec) ou d’autogestion (Tricofil).
10. Dans un contexte complètement différent par rapport aux années 60 : 85 % des prestataires
de la sécurité du revenu sont aujourd’hui « aptes au travail »….
11. Ces fonds ne sont pas dédiés exclusivement à l’insertion par le travail dans leur mission mais
remplissent pour beaucoup cette fonction en favorisant l’accès de jeunes ou d’immigrants à la
très petite entreprise (TPE).
12. Mentionnons que, dans le seul secteur de la santé et des services sociaux, quelques 2,474
organismes communautaires sont financés par le MSSS, ce qui représente 10,107 emplois
réguliers par comparaison aux CLSC qui en comptent 16,000. En fait ces initiatives « absorbent
une partie de la pression de la demande de services qui autrement s’exprimerait vers les services
professionnels et institutionnels du secteur public » tout en exercant « des effets de prévention
et de promotion... » (Bélanger, 1995).
13. Source : Oser l’économie sociale. Portrait synthèse au 31 mars 1999. Pour une évaluation du
plan d’action du Sommet de 1996 par une équipe de l’Université Laval, voir Comeau et alii
(Comeau, 2001). Pour une mise en perspective, voir le document de positionnement stratégique
du Chantier (Chantier d’économie sociale, 2001).
14. On pense notamment ici aux déboires d’Emploi-Québec et des CLE. Voir à ce propos Bérubé,
2000 et Bellemare, 2000.
RÉSUMÉS
Les initiatives de lutte contre les inégalités au Québec dans les deux dernières décennies ont été
particulièrement innovantes, notamment celles qui relèvent de l’économie sociale, de l’insertion
INDEX
Mots-clés : développement économique communautaire, économie sociale, inégalités sociales,
innovation, insertion socio-professionnelle, pauvreté
AUTEUR
LOUIS FAVREAU
Sociologue, Chaire de recherche du Canada en développement des collectivités, Université du
Québec en Outaouais
Introduction
1 Cet article rend compte des différences qui caractérisent des associations appartenant à
une zone métropolitaine et une zone rurale périphérique, toutes deux défavorisées, et
examine la capacité de ces organismes à contribuer de manière significative au mode
local de régulation. La comparaison est fondée sur les résultats d’une recherche portant
sur 126 organismes appuyés par le Fonds de lutte contre la pauvreté1, dont une moitié se
trouve en Gaspésie et l’autre moitié à Montréal (Comeau et autres, 2002). Les deux
territoires étaient spécifiés dans les paramètres d’un appel d’offres2 auquel répondait la
recherche. Celle-ci s’intéressait aux changements qu’ont connus ces organismes alors
qu’ils avaient un projet soutenu par le Fonds de lutte contre la pauvreté et aux effets qu’a
eus ce Fonds sur les organismes. Au terme de la recherche, il est apparu que les
organismes de lutte à la pauvreté de la Gaspésie et de Montréal comportent des
différences plus importantes que ce qui était prévu au départ. Cette constatation nous a
incité à pousser un peu plus loin la réflexion.
2 Les prochains paragraphes présentent brièvement les caractéristiques des territoires d’où
proviennent les organismes. Puis, la problématique théorique indique en quoi la théorie
de la régulation, la notion de mode local de régulation et la sociologie des mouvements
sociaux sont pertinentes à la recherche. Par la suite, après un rappel de la méthodologie
de la recherche, le texte expose les principales différences existant entre les organismes
des deux territoires. Enfin, la conclusion examine les limites et les capacités des
6 En règle générale, les circonscriptions montréalaises retenues affichent une situation plus
détériorée que la moyenne québécoise, sauf les circonscriptions de Mercier et de
Crémazie pour certains indicateurs. Le tableau montre en outre que les circonscriptions
de Laurier-Dorion et Hochelaga-Maisonneuve sont particulièrement marquées par le
chômage, un faible taux d’activité, la sous-scolarisation et les bas revenus. La population
de Saint-Henri–Sainte-Anne se caractérise par un taux d’activité et une scolarisation
particulièrement faibles et un revenu annuel parmi les plus bas. Par ailleurs, la
composition ethnique de la population varie considérablement d’une circonscription à
l’autre. Ainsi, dans Laurier-Dorion, 47,9 % de la population a pour langue maternelle une
autre langue que le français ou l’anglais ; les arrivants de longue date viennent surtout de
la Grèce (16,3 %), alors que plusieurs nouveaux arrivants sont originaires de l’Inde (11,6 %
des nouveaux arrivants) (Directeur général des élections du Québec, 2001). Dans
Crémazie, la seconde langue en importance après le français est l’italien. Dans Sainte-
Marie–Saint-Jacques, l’immigration tire principalement son origine de la France (15,9 %
de la population immigrante).
1998). La période d’après-guerre constitue à cet égard une période de progrès unique
dans un centre urbain tel Montréal. Or, la plupart des quartiers auxquels appartiennent
les organismes étudiés ont connu une détérioration graduelle depuis les années 1960,
avec la désindustrialisation et l’extinction de branches manufacturières comme le textile,
la bonneterie, l’habillement et le cuir. La détérioration économique et sociale se
manifeste de différentes manières : chômage élevé, décroissance de la population, faible
scolarité, mauvaise santé, présence importante de familles monoparentales et pauvreté
(Morin et autres, 1999). La Gaspésie est un territoire rural qui, contrairement à d’autres
régions du Québec, n’a pas profité du boom économique d’après-guerre. Sa base
économique est demeurée dépendante du secteur primaire dont la modernisation a
produit un rétrécissement du marché du travail.
8 Si le développement des régions6 se trouve influencé par le mode national de régulation
plus ou moins stabilisé, il existe, par ailleurs, un mode régional de régulation qui exerce
un effet sur la dynamique locale du développement et qui prend différentes formes.
D’après Krätke (1997 : 274), il existe quatre dimensions importantes d’un mode de
régulation régional :
• les formes de coordination entre les entreprises (les relations de coopération et de
concurrence, les réseaux interentreprises) ;
• les relations de travail au sein de l’industrie (les négociations salariales, la structure du
marché de l’emploi, les formes régionales d’organisation du travail) ;
• le profil socioculturel des acteurs régionaux (particulièrement la culture économique
régionale et ses traditions spécifiques, les conventions et les règles) ;
• les mécanismes de régulation politique (les schémas régionaux de gouvernement politique
et les formes de négociation au niveau des institutions sous l’autorité des autorités
régionales, les organismes de soutien et les organisations sociales).
9 L’attention portée aux organismes de lutte contre la pauvreté dans une région témoigne
d’un intérêt pour deux dimensions du mode de régulation régional : le profil socioculturel
des acteurs régionaux et les mécanismes de régulation politique. Les organismes de lutte
contre la pauvreté font effectivement partie du mode local de régulation politique. Sur le
plan socioculturel, ils sont à la fois influencés par les traditions, les conventions plus ou
moins explicites et les règles, et en même temps par les acteurs participant à la
production de la culture économique régionale. Sur le plan des mécanismes régionaux de
régulation politique, ces organismes font partie de la gouvernance locale, procurent un
soutien à d’autres organismes ou encore agissent directement auprès des populations.
Dans la présente démarche, l’analyse cherche à vérifier dans quelle mesure et à quelles
conditions les initiatives collectives de lutte à la pauvreté peuvent constituer, dans des
zones de pauvreté urbaines et rurales, des « ressources institutionnelles », c’est-à-dire des
capacités de réseautage, d’établissement de règles visant l’empowerment de la population
et d’innovations sociales (Krätke, 1997).
10 Théoriquement, l’action de ces organismes se veut une réponse à la pauvreté et à la
timidité des interventions des autorités nationale et régionale. Ces organismes s’engagent
localement dans des conduites économiques collectives, parfois arrimées les unes aux
autres, parfois réalisées avec le concours de programmes gouvernementaux plus ou
moins adaptés à ces initiatives originales et créatives. Une conduite économique
collective est une action organisée et soutenue par un groupe qui a des objectifs sociaux,
politiques ou économiques axés sur la résolution de problèmes affectant la communauté
ou les promoteurs eux-mêmes. Les conduites économiques collectives prennent forme
dans des organisations maximisant la valeur d’usage plutôt que la valeur d’échange, et
produisant des biens et des services collectifs d’intérêt général (Enjolras, 1999)
s’apparentant aux agences publiques. Dans les meilleures conditions, ces organismes
agissent souvent comme pionniers (Osborne, 1998) en répondant à des besoins non
comblés, en formulant des approches et des méthodes nouvelles d’intervention mieux
axées sur les besoins précis de leurs usagers et en proposant des solutions alternatives
aux problèmes sociaux. Ils jouent souvent un rôle d’incubateur d’innovations sociales,
puisqu’il s’agit d’une forme d’organisation accessible à toute personne ou groupe qui veut
promouvoir une idée nouvelle. Ralliant des personnes qui partagent une vision commune
des problèmes sociaux et de leurs solutions, les organismes peuvent agir sur les pouvoirs
publics en proposant des réformes aux politiques publiques. Ils peuvent également agir
sur le marché, en proposant un modèle alternatif de production de biens et de services
mieux axés sur les besoins des différents groupes de clientèle. Enfin, ces organismes
offrent un fort potentiel de démocratisation et de renforcement de la citoyenneté,
puisqu’ils créent des habitudes de solidarité et de confiance entre les individus, et ce,
souvent en partenariat avec les établissements publics.
11 Dans une perspective comparative, les caractéristiques des organismes ne sauraient être
alignées l’une après l’autre sans limiter ultérieurement la capacité de procéder à une
certaine conceptualisation des résultats. D’après Touraine (1993 : 58-67), l’analyse
sociologie comporte au moins deux dimensions fondamentales : institutionnelle et
organisationnelle. La dimension institutionnelle réfère au « système politique » qui
permet de transformer l’action historique et les conflits « en un corps de décisions et de
lois » et « des mécanismes de formation des décisions légitimes » (Touraine, 1993 : 59). En
ce sens, les organismes de lutte à la pauvreté agissent comme un ensemble de
mécanismes sociaux poussés par la société civile et empruntant des formes contractuelles
pour résoudre les décalages qui existent entre les aspirations et les besoins non comblés,
d’une part, et les règles institutionnalisées prévalant dans une société, d’autre part. La
composante institutionnelle privilégie les rapports entre les acteurs pour reconnaître les
pressions politiques qui agissent sur et dans les organismes. Les phénomènes
institutionnels externes prennent en compte la notion d’espace public dans lequel se
manifestent l’État, les forces du marché et la société civile7 (Laville et Sainsaulieu, 1997).
Les phénomènes institutionnels internes réfèrent aux règles juridiques des organismes, à
la mission, au réseau et à la prise de décisions ; c’est le système politique qu’on retrouve
dans les règles du jeu et les coutumes particulières.
12 La dimension organisationnelle concerne le « système des moyens » et les « techniques »
(Touraine, 1993 : 62), autrement dit les modalités de production de biens et de services.
Bien qu’elle possède une autonomie relative, la dimension organisationnelle est
influencée par les institutions envisagées comme étant la synthèse des conflits que se
livrent les acteurs en périphérie et à l’intérieur des organismes. En ce sens, même si elle
est relativement autonome, la composante organisationnelle est en grande partie
déterminée par des phénomènes institutionnels. La dimension organisationnelle s’avère
pertinente pour considérer l’autonomie et l’implication des producteurs et des usagers,
entre autres choses, dans la production des biens et la livraison des services.
Concrètement, la composante organisationnelle concerne les moyens mis en œuvre par
l’organisme pour atteindre les objectifs. Il s’agit principalement de phénomènes internes
qui touchent les ressources financières et humaines, la coordination des activités, la
production, et la consommation des services et des biens.
13 La recherche vise donc à vérifier dans quelle mesure et dans quelles circonstances ces
organismes peuvent contribuer à un mode de régulation régional susceptible d’envisager
une orientation du développement régional ayant une perspective de lutte contre la
pauvreté.
Méthodologie de la recherche
14 Envisagée dans une perspective comparative afin de mesurer les différences entre les
organismes de lutte à la pauvreté de certains quartiers de Montréal et de la Gaspésie, la
démarche de la recherche comporte deux phases, chacune faisant appel à une approche
méthodologique particulière : la phase d’identification, basée sur une approche
qualitative, et la phase de description, d’orientation quantitative. La première vise à
enrichir et à compléter le cadre conceptuel afin de tenir compte des éléments spécifiques
des organismes communautaires participant au Fonds de lutte contre la pauvreté. Pour
cette phase d’identification, 15 organismes diversifiés sont sélectionnés, soit 8 pour
Montréal et 7 pour la Gaspésie.
15 La seconde phase dite de description s’appuie sur des données quantitatives recueillies
par un questionnaire standardisé, préalablement testé, auto-administré et rempli par le
responsable de l’organisme ou une personne ayant une bonne connaissance de
l’organisme8. Le questionnaire remanié est envoyé à tous les organismes situés dans les
cinq MRC de la Gaspésie (Avignon, Côte-de-Gaspé, Bonaventure, Denis-Riverin et Pabok)
et dans les six circonscriptions montréalaises où l’on trouve la plus grande concentration
d’organismes à avoir bénéficié du Fonds de lutte contre la pauvreté (Crémazie, Laurier-
Dorion, Hochelaga-Maisonneuve, Mercier, Saint-Henri–Sainte-Anne et Sainte-Marie–
Saint-Jacques). Ces organismes sont identifiés à partir d’une liste fournie par le ministère
de la Solidarité sociale. Une fois la liste épurée des 10 organismes dont l’adresse n’est plus
valide, la population totale s’établit à 149 organismes en Gaspésie et à 225 organismes à
Montréal.
16 Ce sont 126 questionnaires qui ont été remplis, 63 organismes de la Gaspésie et 63
organismes de Montréal. Pour la Gaspésie, le taux de réponse est de 42,3 % (63 sur 149),
alors qu’à Montréal il est de 28 % (63 sur 225). Pour vérifier la représentativité de
l’échantillon en regard de la population totale, trois critères sont retenus : la situation
géographique (voir annexe), le nombre de nombre de projets appuyés par le Fonds de
lutte et le type d’engagement. Sous les aspects analysés, l’échantillon est représentatif de
la population globale, sauf à Montréal où l’échantillon et la population présentent un
écart significatif en ce qui a trait au nombre de subventions du Fonds de lutte contre la
pauvreté. Compte tenu de la similarité qui existe entre l’échantillon et la population
totale selon pratiquement tous les critères, les résultats seront attribués à l’ensemble de
la population des organismes de la Gaspésie et de Montréal qui ont reçu un appui du
Fonds de lutte contre la pauvreté. Les données portent sur la situation des organismes au
cours de leur dernière année financière qui se termine en moyenne huit mois avant le
début de la collecte des données, c’est-à-dire en mai 20009.
Différence
Caractéristiques institutionnelles Gaspésie Montréal
significative
OBNL à 85 % (5
Statut juridique municipa-lités et 2 OBNL à 93,5 % Non
entreprises privées)
Nombre de
83,6 membres 140,5 membres Non
membres
générale Nombre de
24,4 personnes 28,1 personnes Non
participants
Taux de
70 % 56 % Non
participation
Instances complémentaires
permettant l’expression des employés Oui Oui Non
et usagers
Visibilité
13,8 reportages 25,7 reportages Non
(médias)
Caractéristiques Différence
Gaspésie Montréal
organisationnelles significative
Ancienneté dans
6,0 années 7,2 années Oui
l’organismes
Outils de planification
Emploi salarié
Formation
Montant dans la
dernière année $ 2 059 $ 3 029 Oui
financière
Nombre de salariés
4,8 7,5 Oui
formés
Revenus
Dons
$ 10 800 $ 5 588 Non
d’équipements
Bilans financiers
Tableau 4 : Profil socioculturel1 des organismes en tant que dimension du mode régional de
régulation
Avancées Limites
Avancées Limites
34 En ce qui a trait aux mécanismes de régulation politique, les organismes de la zone rurale
possèdent plusieurs avantages. Étant donné que la population en Gaspésie est plutôt
dispersée, les organismes ne ciblent pas une population particulière et ouvre le
membership à toute la population. Ces organismes en milieu rural défavorisé ont une
capacité de mobiliser analogue à celle des organismes de la métropole car le nombre de
membres dans les organismes, le nombre de personnes dans les assemblées générales et
le taux de participation sont équivalents à ceux des organismes de Montréal. On
remarque également en Gaspésie l’adaptabilité des municipalités qui agissent à la fois en
tant qu’autorité locale, organisme de soutien et organisation sociale. Pour ce qui est des
avantages de la zone métropolitaine, même si elle est défavorisée, elle possède un bassin
de recrutement pour des cadres formés, expérimentés et connaissant des outils de
gestion.
35 Lorsqu’il est question des limites de la zone rurale pour ce qui est d’une contribution aux
mécanismes politiques de régulation, les ressources humaines et financières font défaut
dans les organismes de la zone rurale et ce, à plusieurs niveaux. Les organismes
éprouvent une difficulté relative à recruter des cadres formés, expérimentés et capables
d’utiliser des outils de gestion. Les budgets sont relativement bas ; on note une plus faible
capacité de susciter l’appui financier du public ; on consacre enfin relativement moins de
ressources à la formation. À Montréal, la présence d’acteurs économiques extrêmement
puissants telles les grandes corporations immobilières et financières fait que peut être
marginalisé l’apport des associations dans les mécanismes de régulation.
36 Ainsi, les associations du centre et de la périphérie éprouvent des difficultés particulières
à contribuer à un mode régional de régulation favorable à la lutte contre la pauvreté. En
périphérie, l’apport des associations apparaît davantage problématique pour au moins
deux raisons : la faiblesse relative des mouvements sociaux et la défavorisation relative
sur le plan des ressources. Premièrement, le faible ancrage des mouvements sociaux en
périphérie explique le peu de tradition de l’action collective, les désavantages politique et
économique relatifs des femmes, le caractère embryonnaire des réseaux et la faiblesse de
la rémunération. Deuxièmement, le territoire comprend des dimensions économiques,
politiques, sociales et culturelles qui conditionne plusieurs aspects de la vie quotidienne
des personnes et des organisations. Son influence s’exerce de manière déterminante en
rendant disponibles ou non des ressources pour les associations.
37 Quelques pistes pour le développement régional dans une perspective de lutte à la
pauvreté peuvent être avancées. Premièrement, si l’appui étatique s’avère indispensable
dans les zones défavorisées, il ne peut pas être envisagé de la même manière en zone
Annexe
MRC n % N %
Circonscriptions électorales n % N %
Générations d’organismes
n % n % N %
Taux horaires actuellement payés selon la fonction, pour les hommes et les femmes, dans les
OBNL et les coopératives de la Gaspésie et de Montréal
Gaspésie Montréal
Taux horaire minimum Taux horaire Taux horaire minimum Taux horaire
maximum maximum
Hommes
(n = 4) (n = 4) (n = 16) (n = 14)
Femmes
38 _
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NOTES
1. Annoncée lors du Sommet de 1996 sur l’économie et l’emploi, la Loi instituant le Fonds de
lutte contre la pauvreté par la réinsertion au travail est adoptée par l’Assemblée nationale le 12
juin 1997. Cette mesure financière vise l’insertion professionnelle de personnes ayant de très
faibles revenus. La mise en œuvre du Fonds de lutte contre la pauvreté s’est étalée sur deux
périodes : la première correspond aux suites du Sommet sur l’économie et l’emploi de l’automne
1996 (1997 à 2000), et la deuxième aux engagements pris lors du Sommet sur la jeunesse de mars
2000 (2000 à 2003).
2. Il s’agissait en fait d’un deuxième appel d’offres lancé en septembre 1999 par le ministère de la
Solidarité sociale et le Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS) devenu, en 2001, avec une
RÉSUMÉS
Les auteurs s’intéressent à la contribution des organismes de lutte contre la pauvreté au système
régional de régulation dans une zone métropolitaine et une zone rurale périphérique toutes deux
défavorisées. L’analyse comparée de ces organismes montrent que ceux-ci présentent des
capacités et des limites différenciées sur le plan socioculturel et sur le plan des mécanismes de
régulation politique pour contribuer au développement régional dans une perspective de lutte à
la pauvreté. Des pistes d’intervention sont proposées afin d’accroître la contribution de ces
organismes au développement local.
INDEX
Mots-clés : association, développement local, développement, régional, pauvreté, régulation,
zone métropolitaine, zone rurale
Introduction
1 Depuis le début des années 1990, on accorde aux acteurs et aux processus locaux une
importance primordiale dans la dynamique de la construction sociale des localités. En
effet, des années de succès mitigés et, dans bien des cas, d’échecs du développement vers
le bas viennent appuyer cette reconnaissance de l’acteur local comme étant l’élément clé
du développement socioéconomique (p. ex. Douglas, 1994). Une conceptualisation de la
construction sociale des localités, qui place en son centre l’acteur local, est présentée,
ainsi que les réalités des processus de développement que l’on peut observer. Ces réalités
et ce schéma conceptuel sont confrontés, ce qui donne lieu à l’identification et la
justification d’un certain nombre d’outils et d’approches fondamentaux au
développement. Le but de cet article est donc d’explorer les liens entre les réalités des
processus de développement socioéconomique, la conceptualisation de la dynamique des
localités et les outils de développement qui en découlent – le tout dans le contexte de la
construction sociale des localités et de leur développement durable. Afin de mettre en
évidence l’importance des processus locaux et surtout des éléments génériques, nous
avons choisi de comparer les espaces ruraux périurbains et les espaces ruraux
périphériques dans les pays développés et les pays en développement. Nous croyons que
les mêmes propos pourraient être avancés par rapport aux espaces urbains.
3 Les acteurs (1) ont des intérêts, des objectifs, des valeurs, des poids et des pouvoirs (2). Ils
entreprennent des actions (3) en fonction de leurs valeurs, afin de poursuivre leurs
intérêts et leurs objectifs, individuels et/ou ceux de leur communauté. Les acteurs
poursuivent leurs objectifs et leurs intérêts en utilisant les réseaux de relations (4) dont
ils font partie, et qui leur permettent de mobiliser les ressources nécessaires pour mettre
à exécution leurs actions. Les acteurs construisent et entretiennent donc des réseaux de
relations sociales, économiques et politiques qui peuvent relier le local et
l’environnement extérieur (Murdoch, 1994). Ces réseaux sont le reflet de l’organisation
formelle (5a) et de l’organisation informelle (5b) des relations sociales. Les différentes
actions entreprises et les décisions en général donnent lieu à des orientations (6), c’est-à-
dire des ensembles de décisions, d’initiatives et d’actions qui représentent les grands axes
de développement socioéconomique de chaque territoire (p. ex. l’agrotourisme, le
développement agricole intensif, le développement domiciliaire, le développement
commercial, la conservation de la nature, entre autres). Ainsi, les orientations réelles (6a)
caractérisent-elles le profil de développement d’une localité. Par contre, les orientations
latentes (6b) représentent des orientations qui n’ont pas émergé complètement ou qui
n’ont pas (encore) été reconnues par les acteurs et la population locale, même si certaines
conditions favorables à l’émergence de telles orientations semblent présentes.
L’interaction entre toutes ces composantes a lieu dans différents contextes (7) – politique,
économique, social et culturel et ce, à différentes échelles géographiques.
4 Ces contextes peuvent incorporer des « ressources » importantes pour le développement
d’une localité (p. ex. des textes de loi, des programmes, des acteurs externes, des
ressources financières). En même temps, ils peuvent inclure des paramètres significatifs
qui auront un impact sur la dynamique locale (p. ex. des règlements, des schémas
d’aménagement, les systèmes de taxation), sans parler de l’importance de l’ensemble de
valeurs qui définit des sociétés aux échelles régionale et nationale.
l’autre, et d’un segment de population à un autre. Par exemple, par rapport à un enjeu
précis, les membres d’une même communauté ont des opinions partagées (p. ex. la
population doit choisir entre un statut de conservation ou de récréation pour un boisé). Plus
encore, un même acteur peut être à la fois un résident, un parent, un travailleur, un usager
de tel service, un propriétaire. Il est même possible – voire très commun - qu’un acteur ait
plusieurs intérêts et valeurs, dont certains peuvent aussi être contradictoires (p. ex. l’intérêt
de maintenir un profil personnel dans la communauté, ou de se construire un rôle respecté
par d’autres membres de la communauté, et celui d’agir pour le bien-être de la
communauté). En terme de planification, ceci veut dire qu’il ne faut pas être étonné par des
conflits d’intérêts au sein de la communauté. Toutefois, ces conflits peuvent être gérés, en
misant essentiellement sur une communication efficace et sur des processus de négociation.
• Il découle logiquement de ce constat d’intérêts multiples que dans la planification d’un
territoire, on doit composer avec différentes orientations de développement, et qu’il peut y
avoir des conflits entre ces différentes orientations collectives. Quand il s’agit de
planification du développement en identifiant des orientations stratégiques, ceci demande
un effort de coordination, de communication et de négociation, par exemple les conflits
potentiels quand il s’agit d’encourager le développement des activités agrotouristiques dans
une zone agricole.
• On observe des capacités variables d’agir de la part des acteurs entre les différentes
communautés mais aussi au sein de chacune d’entre elles. Alors que certaines communautés
jouent un rôle pro-actif dans leur développement socioéconomique, d’autres n’agissent pas.
Par exemple, on observe dans certaines localités du Québec des comportements
communautaires de dépendance, soit envers des transferts gouvernementaux, soit envers
les grandes entreprises qui ont joué un rôle important dans l’histoire économique des
régions, alors que d’autres régions se caractérisent par leur dynamisme. On observe cette
variation aussi à micro-échelle : alors que certains individus participent aux processus de
développement, d’autres ne croient pas être en mesure de l’influencer. Ceci met en évidence
l’importance des actions et des programmes qui visent à renforcer la capacité des individus
et de l’ensemble des communautés à se prendre en main.
• La dernière réalité que nous avons constatée, ce sont les acteurs individuels qui font le
développement – seuls ou en groupes. C’est donc le facteur humain et non pas les ressources
financières ou les agences qui sont responsables du développement local. La participation de
la population qui bénéficie du projet – individuellement et collectivement – , de son
élaboration à sa réalisation et son évaluation est l’un des éléments importants – sinon le
plus important – pour s’assurer de la réussite d’un projet de développement local. Ainsi, le
développement local est une démarche qui appartient à la communauté elle-même, elle ne
s’impose pas. Elle peut être encadrée et appuyée et la capacité des acteurs peut être
renforcée, mais aucune agence externe ne peut se substituer aux acteurs locaux et créer seul
un processus de développement local à long terme.
6 De plus, même si nous avons tendance à parler des agences et des institutions, il est
important de souligner que les décisions provenant de ces structures sont prises par des
personnes, individuellement ou en groupes, et que comprendre les actions « des agences
et institutions » demande que nous comprenions aussi le comportement et les forces
motrices des différentes personnes qui ont contribué aux décisions.
8 Les acteurs locaux sont reconnus pour avoir un rôle primordial dans la transformation de
leur localité, mais leur capacité d’assumer la responsabilité pour initier et gérer le
développement de leur propre territoire est très variable. Si l’on se prévaut des avantages
de l’implication des acteurs locaux et des différents segments de la population, cela veut
dire qu’il est essentiel de renforcer la capacité de ces mêmes personnes quand cela s’avère
nécessaire. De fréquents échecs de développement vers le bas, ont porté des coups durs à
la capacité de nombreuses collectivités rurales de reconnaître leurs pouvoirs d’action
dans le développement de leur environnement. Renforcer leur capacité (c’est-à-dire, l’
empowerment et la construction d’une base de leadership décentralisé) revient à dire que
l’on cherche à renforcer les connaissances, les compétences et l’état d’esprit des
populations (leur confiance en elles-mêmes par exemple) de façon à ce qu’elles puissent
assurer et pérenniser le développement de leur territoire – en gros, de les amener à
remettre en question leurs façons de faire et de se voir (leur « culture ») et de les modifier
au besoin. Ce renforcement donnera aussi aux acteurs un langage commun favorisant les
échanges et la communication en général. La réussite de cette démarche jouera un rôle
déterminant dans la mise en place d’une approche ascendante de développement. C’est
pourquoi les états centraux (les provinces et le fédéral) peuvent occuper une place
centrale dans ce processus d’encadrement sans vouloir se substituer aux acteurs et
processus locaux.
10 Suite à la prise de conscience des acteurs de leurs capacités d’actions et de leur décision
d’aller de l’avant avec un projet de développement, il doit y avoir une mobilisation de
ceux-ci – ainsi que des ressources dont ils disposent – et un engagement important de la
population. D’abord, un effort de réflexion collectif quant à la nature du projet de
développement et les moyens d’y parvenir devra être fait.
11 Pour planifier le développement, il est essentiel de déterminer une vision et des objectifs
réalistes. Quel type de localité ou de communauté est-ce que nous voudrions construire?
À partir de cette vision, il est possible d’identifier et d’analyser les grandes orientations
stratégiques (p. ex. le tourisme) dont la poursuite permettra l’atteinte de cette vision. Ces
orientations stratégiques représentent des ensembles d’occasions et de défis dans
lesquelles des actions sont considérées comme réalisables. La planification stratégique,
commençant avec l’identification et le choix des orientations stratégiques, implique une
participation de la part des acteurs, de la population locale, et cette participation
continue jusqu’au démarrage du projet, sa réalisation et son évaluation.
12 Un développement local implique non seulement la décentralisation des processus de
planification aux instances locales et régionales, mais également – et surtout – la
décentralisation de la planification et de l’action au sein d’une collectivité ou d’une
localité. Ainsi, la planification stratégique se poursuit au sein de chaque orientation
stratégique avec la mobilisation des acteurs et intéressés (p. ex. par l’entremise de
groupes de travail et des tables de concertation). L’orientation stratégique devient alors
un vrai véhicule pour mobiliser les acteurs en faisant appel aux intérêts de chacun, aussi
bien personnels (dans un premier temps) que collectifs. Cette planification pour une
orientation stratégique comporte la construction d’une vision pour l’orientation, une
analyse et un diagnostic des occasions et ressources présentes et potentielles, et inclut
l’identification des acteurs, des actions et des priorités, et un véritable plan d’action.
Cette planification et ces actions décentralisées demandent des nouveaux modes de
gouvernance à l’échelle locale.
avec succès (indiqué par le symbole « + ») ou si des échecs ont été constatés (indiqué par
le symbole « - »), selon l’information dont nous disposions.
Légende : « + » : une situation où l’outil ou l’approche a été utilisé avec succès; « - » : une situation où
l’outil ou l’approche a rencontré des échecs; « -/+ » : une situation d’échec a été renversée par une
situation de réussite.
Source : Mont Saint-Bruno : Doyon (2002); PNR de Chevreuse : Des Roches et Bryant (1997);
Bamako : http://www.idrc.ca/books/focus/890/05aZalle.html (Agriculture urbaine en Afrique de
l'ouest); Brazzaville : Belantsi et Torreilles (1999); Sénart : Doyon (2000); Ceinture de verdure
d’Ottawa : http://www.canadascapital.gc.ca/corporate/parks_heritage/park_green/greenbelt/
index_e.asp ; http://www.canadascapital.gc.ca/corporate/plan_reg/todays_plan/
greenbelt_master_e.asp
Les gens font le Mobilisation +Saint Angèle, (Qc, Can): initiative locale en
développement (non $ ni Renforcement de la zone éloignée, pour renverser tendances et
les agences seuls) capacité culture locales (leadership, capacité, etc.)
Construire le leadership
1a. Forces exogènes & Réflexion et +Laguiole, Massif central (Fr): revitalisation
endogènes planification d’une économie locale en revalorisant des
1b. Ressources internes stratégique activités traditionnelles (couteaux, fromage)
/ externes
Capacités variables Renforcement de la -/+La Basse Côte Nord (Qc, Can): des années
capacité de déclin, maintenant en cours de
Intégration aux revitalisation (entre autres la mobilisation et
processus stratégiques, la construction d’un leadership décentralisé)
dont l’action
Légende : « + » : une situation où l’outil ou l’approche a été utilisé avec succès; « - » : une situation où
l’outil ou l’approche a rencontré des échecs; « -/+ » : une situation d’échec a été renversée par une
situation de réussite.
Source : Saint-Angèle : www.groupeverreault.com (Les Agneaux Verreault inc.); Fouta-Djalon : http://
www.unesco.org/courier/2001_01/fr/opinion.htm (L'agriculture familiale, mais en mieux); Oaxaca :
http://www.equiterre.qc.ca/cafe/rtealternative/coop/coopuciri.html ; Laguiole : www.aveyron.com/
artisan/laguiol.html ; La Basse Côte-Nord : Community Table (2002); Haliburton : Bryant (1999).
14 En comparant les deux types d’espaces, les zones périurbaines et les zones périphériques,
on observe qu’à peu près la seule différence notable se trouve au niveau de la densité des
opportunités. En effet, la proximité de la ville induit souvent des pressions sur les milieux
périurbains, mais en même temps, la ville engendre des opportunités de développement.
Mais dans les deux types d’espaces on observe des cheminements variés et des succès
variables.
15 Les approches et outils identifiés sont pertinents pour tout territoire même si l’on admet
que l’importance relative d’utiliser telle ou telle approche ou tel ou tel outil varie d’une
localité à une autre en fonction des spécificités de cette localité en terme de ses
antécédents en matière de processus de développement socioéconomique. L’espace
(rural) est donc une mosaïque de différents degrés de réussites et d’échecs. Cette
mosaïque n’est pas uniquement fonction des différentes densités d’occasions de
développement (p. ex. les espaces périurbains versus les espaces périphériques), mais
semble aussi refléter la nature de la dynamique du développement local et aussi certains
éléments du contexte particulier de chaque localité.
16 En observant les exemples dans les pays en voie de développement, il semble que les
approches et outils soient la mobilisation, le réseautage, la planification et les actions
décentralisée et l’importance d’accorder un rôle central aux acteurs locaux, prennent de
plus en plus d’importance sur ces territoires. Les exemples illustrant les différents outils
et approches pour les pays en voie de développement (tableaux 2 et 3) ont eu des résultats
positifs. Les acteurs de ces territoires n’ont pris connaissance de ces outils de
développement que très récemment et progressivement. Certes, il y a aussi des échecs
lorsque, par exemple, des approches et des outils sont adoptés sans modification
adéquate et sans tenir compte des spécificités locales. Par contre, dans les pays
développés, même si l’expérience par rapport à certaines formes de développement local
a été plus longue, il existe toujours des failles dans la mise à exécution, souvent parce que
les approches et les outils sont adoptés sans que les conditions initiales soient favorables
(p. ex. un manque de leadership approprié ou de capacités communautaires pour
planifier et élaborer des stratégies cohérentes).
Conclusion
17 On observe que les réalités retenues pour cet article et les composantes du modèle de la
dynamique des localités peuvent être utilisées pour analyser l’ensemble des territoires.
Les processus décisionnels ignorent les forces exogènes et ce, à leurs risques, et doivent
naturellement composer avec les forces endogènes (1a), et pour être réaliste doivent
reconnaître les ressources internes et externes (1b). Sur tout territoire, il existe des
acteurs multiples (2), qui ont des intérêts légitimes multiples (3), et dont la capacité
d’action est variable (4). Chaque territoire se caractérise par une ou des orientations de
développement qui lui sont propres (5) et, ce sont les acteurs – des êtres humains - qui
font le développement. Les liens entre ces réalités et les composantes du modèle
conceptuel sont évidents. De plus, un certain nombre d’outils et d’approches de
développement peuvent être mis en relation avec ces réalités : le renforcement des
capacités de la population et des acteurs, le réseautage des acteurs, la mobilisation des
acteurs et des ressources et l’adoption d’un processus de planification et d’actions
décentralisés. Ainsi, il semble qu’il y ait un certain nombre de questions fondamentales
soulevées par le développement des localités qui soient communes à l’ensemble des
territoires et qu’un même ensemble d’outils génériques peut être utilisé, même si la
configuration exacte et l’importance des différentes approches et outils sont variables.
18 Donc, nous ne nions pas l’existence de spécificités locales – au contraire! La configuration
exacte de chaque approche et outil serait différente pour tenir compte des spécificités de
chaque localité et des contextes dans lesquels la dynamique locale évolue. Il existe donc
un nombre presque infini de variations possibles : d’abord, de par la grande variété des
contextes locaux et régionaux et des ressources disponibles – p. ex : humaines, physiques,
législatives et administratives –, puis, dû aux capacités de la population en place – entre
autres sa culture, ses intérêts, les valeurs qu’elle défend – et à son leadership c’est-à-dire
ses aptitudes à jouer un rôle pro-actif dans un processus de développement. De ce fait, les
catégorisations géographiques qui sont fréquemment utilisées – espace rural
métropolitain versus espace rural périphérique, espace rural en pays en développement
versus espace rural en pays développé – sont issues d’un raisonnement beaucoup trop
simple, pour ne pas dire simpliste, qui accorde à l’emplacement d’une localité un rôle
beaucoup trop important.
19 En ce qui concerne les ressources, quelques points nous semblent particulièrement
importants. D’abord, les ressources non-locales et l’intervention d’acteurs externes peuvent être
importantes pour construire des stratégies de développement durable. Comme le souligne
Vachon (1993), le concours de compétences extérieures permet à une localité
d’augmenter sa capacité d’agir par elle-même et donc, de remplacer des rapports de
domination et de dépendance par des alliances et des liens de solidarité, et de manière
générale, de mobiliser des ressources.
20 Par contre, l’intervention d’acteurs externes peut aussi avoir des aspects négatifs. La
culture des acteurs externes (p. ex. les fonctionnaires, les acteurs des systèmes politiques,
les agences gouvernementales, les ONG) peut être un obstacle aux initiatives locales et à
la pérennisation du développement. En effet, ceux-ci sont souvent « installés » dans un
système, un programme d’intervention qui ne favorise pas l’émergence de projets
collectifs de développement, de changements et d’innovations à l’échelle locale.
21 De plus, la présence de ressources particulières peut pallier à certains des obstacles les
plus difficiles, comme le manque de capacités humaines. Ce serait le cas d’un
environnement local exceptionnel qui générerait des activités touristiques sans que la
population n’ait à déployer d’efforts. Par contre, un tel développement risque de ne pas
impliquer la population locale et de générer des retombées non-souhaitables.
22 Somme toute, les ressources jouent un rôle important dans un processus de
développement local, mais c’est en fait la « culture » au sens large qui constitue le facteur
« complexifiant » du processus. La culture est l’ensemble des attitudes et des valeurs qui
définissent les populations ou les communautés d’une localité, et les rapports entre les
segments et les acteurs – comment est-ce qu’un acteur ou groupe d’acteurs se voit,
comment est-ce qu’il perçoit les autres, comment est-ce qu’il croit que les autres le
perçoivent ? La culture ainsi définie modifie les rapports entre toutes les composantes du
schéma conceptuel, qui au départ est un schéma générique d’analyse utilisable n’importe
où. On peut émettre l’hypothèse que la « culture » détermine les paramètres les plus
importants du développement socioéconomique. En effet, c’est en fonction de leur culture
que les acteurs et la communauté à laquelle ils appartiennent détermineront leurs
besoins. Elle influencera aussi les grandes orientations de développement choisies ainsi
que l’interprétation des obstacles et des occasions de développement auxquels la
communauté fait face.
23 Enfin, la culture constitue une dimension critique qui différencie les types de localités
rurales. Nous proposons donc que c’est davantage en fonction de la culture que des types
d'espaces ruraux devraient être définis (en opposition à une division géographique -
périphérique et périurbaine, pays développé et pays en développement). La recherche
d’un cheminement de développement durable commence avec les communautés locales
et ses acteurs. Leur culture représente un facteur majeur mais complexe dans la
construction de stratégies de développement durable pour les territoires locaux.
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RÉSUMÉS
Cet article fait d’abord un bref retour sur une conceptualisation de la dynamique des localités,
présentées dans des travaux antérieurs, qui repose sur sept composantes, à savoir : les acteurs,
leurs intérêts et leurs valeurs (culture), les actions des acteurs, les réseaux au sein desquels les
acteurs fonctionnent, l’organisation formelle et informelle qui sont le reflet de ces réseaux, les
grandes orientations reflétant les ensembles d’actions et de décisions poursuivis par les acteurs,
et les contextes politique, administratif, légal, économique et culturel. En même temps, notre
lecture des processus de développement nous amène à suggérer un certain nombre de réalités
communes à tout processus de développement. Il en découle de la conceptualisation et de ces
réalités quelques outils fondamentaux pour les acteurs locaux poursuivant des actions pour le
bien-être de la communauté et qui sont ici exposés. L’objet premier est donc d’explorer les liens
entre les réalités des processus de développement socioéconomique, la conceptualisation de la
dynamique des localités exposée et les outils de développement. Plusieurs exemples seront
brièvement présentés. Ils ont d’abord permis de constater que les contextes et les ressources
jouent un rôle non négligeable dans un processus de développement mais que les communautés
et les acteurs locaux en sont les éléments clés. Nous en sommes aussi venus à la conclusion que
les dichotomies géographiques traditionnelles – p. ex. espace rural périphérique et périurbain,
PD et PVD – constituent des catégorisations simplistes qui n’arrivent pas à expliquer plusieurs
variations à l’échelle locale. En ce sens, la variable culturelle apporte davantage de réponses. Elle
constitue ainsi un élément complexifiant (mais essentiel) pour comprendre et entreprendre les
processus de développement.
INDEX
Mots-clés : culture, acteur, dynamique des localités
AUTEURS
SOUMAYA FREJ
Département de Géographie, Université de Montréal, Canada
MÉLANIE DOYON
Département de Géographie, Université de Montréal, Canada
DENIS GRANJON
Département de Géographie, Université de Montréal, Canada
CHRISTOPHER BRYANT
Département de Géographie, Université de Montréal, Canada
Pierre-André Tremblay
NOTE DE L'AUTEUR
Diverses versions de ce texte ont été présentées lors des rencontres suivantes : colloque
de l’Association professionnelle des géographes du Québec (UQAC, avril 2002), colloque
Repenser le développement local (ACFAS, Université Laval, mai 2002), colloque Re-
imagining communities (Lancaster University, mai 2002) et congrès de l’Association de
science régionale de langue française (Trois-Rivières, août 2002). Je remercie les
participant-e-s à ces activités et, tout particulièrement, Martin Simard, Jean-Marc Fontan,
Juan-Luis Klein, Anne-Marie Fortier, Richard Morin et Christopher Bryant pour leurs
questions et leurs commentaires. Comme il est d’usage, je demeure seul responsable de ce
qui est arrivé à leurs suggestions.
Le problème
1 En leur donnant une place sur les conseils d’administration des Centres locaux de
développement, la politique québécoise du développement local concède une place
importante aux groupes communautaires1, 2. Elle leur accorde la capacité de contribuer à
la qualité de la vie collective et individuelle, d’aider à soutenir l’économie locale, de
maintenir le tissu social. Elle leur reconnaît une compétence en matière de
développement de l’appartenance et de lutte contre l’isolement. Bref : les groupes
communautaires ont un rôle à jouer dans le dépassement des difficultés que connaissent
certains milieux en voie de dévitalisation. Celles-ci ne sont d’ailleurs qu’une des facettes
des difficultés que connaissent les sociétés « développées » à enrayer les inégalités. Il
semble bien que la croissance globale se porte bien ces temps-ci dans plusieurs pays, mais
cela cache d’importantes inégalités, qui sont elles-mêmes une des manifestations de la
difficulté que connaissent ces sociétés à agir sur elles-mêmes, à conserver le contrôle de
leurs activités sociales, culturelles et économiques. L’État était autrefois l’outil privilégié
avec lequel les sociétés pouvaient agir sur elles-mêmes, rôle consacré par les diverses
politiques keynésiennes qui furent l’archétype de cette action. Depuis, ces politiques ont
perdu de leur efficacité. L’État keynésien était centralisateur et bureaucratique, donc
rigide et trop lourd pour s’ajuster aux modifications des marchés avec la vitesse et la
flexibilité nécessaires. Surtout, il est incapable de mobiliser les initiatives personnelles ou
individuelles indispensables à une croissance soutenue, ce qui explique pourquoi on lui a
souvent reproché de favoriser la passivité et la dépendance.
2 L’extraordinaire popularité des travaux de Robert Putnam3 et les débats qu’ils ont soulevé
indiquent la direction que semblent prendre les efforts pour surmonter ce problème : la
relance de la croissance (ou du « développement ») exigée pour diminuer l’impact négatif
des inégalités devra avoir recours à la solidarité des personnes et des groupes. Si l’État ne
peut plus en être le garant, la société civile devra l’être grâce à sa capacité à recourir à la
solidarité locale, au sentiment d’appartenance, au sentiment communautaire, au capital
social.
3 Un peu partout, on parle donc de développement local et de développement économique
communautaire. Dans le contexte québécois, cela signifie que les groupes
communautaires seront des acteurs privilégiés du développement local, bien que celui-ci
ne se résume pas à eux.. Mieux comprendre ce qu’ils sont et ce qu’ils font, mieux cerner
leurs contributions dans ce qu’elles recèlent de possibilités autant que de limites, est donc
indispensable si on tient à dépasser la pauvreté, l’inégalité, la discrimination qui sont le
sort de fractions importantes de la population du Québec. Les groupes communautaires
en sont d’ailleurs bien conscients, comme le montre le fait que beaucoup d’entre eux ont
produit des recherches visant à documenter leurs « impacts » dans leurs milieux4. Ces
travaux convergent pour montrer que le groupes contribuent à la construction d’un
sentiment de communauté mais échouent, le plus souvent, à donner un sens concret à ce
terme. Qu’est-ce que ce sentiment de communauté ? C’est la question qui a présidé à ce
texte.
4 Il faut d’abord lever l’ambiguïté de la notion de communauté. En partie, je crois, à cause
d’une mauvaise traduction, la « communauté » renvoie généralement à ce qu’il vaudrait
mieux appeler la localité. En anglais, community fait référence à un ensemble de liens
entre des personnes situées dans un espace, généralement de petite taille et délimité par
des frontières physiques, légales ou culturelles (Chaskin, 2001) ; la solidarité est conçue
comme découlant de cette proximité. Le trait essentiel de cette compréhension de la
communauté est donc que frontières sociales et géographiques sont contiguës et se
recouvrent. Les cas classiques en sont la petite ville du Midwest comme l’avaient étudiée
les Warner (W.L. Warner et al., 1963), les villages de mineurs du Pays de Galles
(Frankenberg, 1966), les localités paysannes étudiées par les anthropologues (par exemple
Redfield, 1955).
5 Cette image est souvent idéologiquement chargée, ce qui en fait une utopie
particulièrement efficace. On a eu beau jeu de remarquer que ces « communautés » sont
généralement profondément divisées et conflictuelles et, surtout, qu’elles sont tout sauf
isolées, autarciques, fermées sur elles-mêmes. Qui sait regarder constatera vite qu’elles
sont sujettes aux conjonctures de l’économie internationale et traversées par les objets
produits par des entreprises délocalisées (multinationales), que leurs habitants migrent,
que les étrangers s’y installent, que les mass médias y véhiculent des symboles extérieurs,
etc. Les frontières spatiales et sociales ne coïncident donc plus (si elles l’ont jamais fait),
ou de moins en moins (Hannerz, 1992). Le feraient-elles de toute façon que cela ne
règlerait pas la question : qu’y a-t-il dans la proximité spatiale qui provoque une
proximité sociale ? La réponse la plus évidente est que la territorialité commune induit
des intérêts communs, réponse qui revient à dire que la communauté spatiale n’est qu’un
exemple d’une communauté d’intérêt. Mais puisque certaines communautés d’intérêt ne
sont pas spatialement définies, on doit distinguer les deux types de communauté. On peut
y ajouter d’autre type de communautés : communautés politiques, communautés
d’identités, etc., sans qu’aucune n’induise nécessairement les autres.
6 Ces diverses espèces de communauté ont en partage d’impliquer un réseau de liens qui ne
sont pas nécessairement physiques entre individus, ceux-ci se voyant, de par ces liens,
faire partie d’un même ensemble et se concevant comme parties prenantes (stakeholders)
d’une même destinée. On peut appeler « sentiment » de communauté la conscience, c’est
à dire l’impact individuel, de ce réseau de liens.
7 Si les pères fondateurs des sciences sociales considéraient que les liens de type
communautaire étaient spontanés, involontaires et donc naturels, l’action sociale estime
depuis longtemps qu’on peut, au contraire, les produire ou les maintenir volontairement.
L’organisation communautaire est une stratégie formalisant cette possibilité de créer des
liens de type communautaire. Cela se fait généralement par la mise sur pied
d’organisations plus ou moins rigidement structurées5, généralement chargées de
regrouper des personnes, de les représenter face aux autres groupes et aux autorités, etc.
Mais comment ces organisations font-elles pour produire un sentiment d’appartenance ?
Comment s’établissent-elles dans le champ social ? Comment se construisent les liens
entre l’organisation et les personnes ?
8 Ce texte vise à explorer un tel exemple de sentiment communautaire, qu’on peut
concevoir comme relativement archétypique. On cherche ainsi à mieux comprendre
comment peut se créer ce sentiment dont le « sentiment d’appartenance locale » est une
sous-catégorie. Cela permettra de mieux circonscrire ce que produit la société civile : la
capacité à dépasser le chacun-pour-soi, ce qui semble indispensable à la genèse d’un
développement consciemment voulu. On abordera la dimension « externe » des
organisations communautaires, c’est à dire leur rapport à l’État et aux autres groupes.
Suivra une analyse de leur dimension « interne », c’est à dire des rapports entre les
utilisateurs de ces groupe, d’une part, et des relations entre ces utilisateurs et les
animateurs des organisations, d’autre part. La conclusion tentera de montrer comment
cet exemple peut avoir valeur illustrative propre à contribuer au renouvellement de la
pensée sur le développement local.
La dimension « externe »
9 Par « dimension externe », il faut entendre les relations qu’une organisation entretient
avec des acteurs (individuels, collectifs ou institutionnels) situés hors de ses frontières
organisationnelles. Concrètement et de façon plus limités, il s’agit ici de l’« image »
qu’une organisation communautaire donne d’elle-même, c’est à dire le cadrage
13 Comme le montre le tableau 1, on peut diviser en trois périodes l’histoire des groupes qui
sont maintenant appelés communautaires. Pendant chacune de ces périodes, les
organisations furent désignées par une appellation particulière, qui indique comment
elles caractérisent le groupe de référence. Il est clair que chaque appellation renvoie à des
cadres (frames) différents et que la définition des « groupes de référence » varie dans le
temps. Ces transformations accompagnent les changements de l’État québécois, mais
surtout ceux des liens entre l’État et la société.
1970-1985 : Les groupes Peuple (dont les intérêts doivent être défendus)
populaires
1985-µ : Les groupes Personnes défavorisées (ayant des besoins qui doivent
communautaires être comblés)
Période Caractéristiques
Années • Défense des droits sociaux, revendication de services collectifs publics sur le
1960-1980 plan local (Centres communautaires, habitat social…)
• Services alternatifs et autogérés
• Critique de l’État
Source : inspiré de Y. Comeau et al. (2001) Emploi, économie sociale, développement local, PUQ
20 Le trait le plus frappant de cette histoire est que les associations se sont toujours référées
à des populations dont elles se font les représentantes et les porte-paroles ; il est clair que
ces organisations n’existent pas pour elles-mêmes, mais en référence à certaines
catégories de population. Ces catégories ayant besoin d’être représentées sont
diversement définies : si la communauté est en quelque sorte présente tout au long de
l’histoire des groupes, elle n’apparaît explicitement qu’à une période relativement
récente. Le « cadrage » intellectuel donnant un sens à l’action sociale s’est donc
profondément modifié selon les conjonctures.
21 Mais représentée face à qui ? On a vu que ces groupes parlent pour la population, mais ils
ne parlent pas à elle. Leur interlocuteur premier est, tout au long de cette histoire, l’État
dont dépendent les décisions et souvent les ressources. Ainsi, à l’époque actuelle, la
communauté est définie de façon négative, comme ce qui n’est pas l’État ; sur ce point se
rencontrent les groupes et les appareils. L’accord ne va guère plus loin, car les organismes
gouvernementaux définissent cette communauté comme un ensemble de consommateurs
de services publics, dans une relation quasi-marchande, alors que les groupes
communautaires insistent plus sur les besoins fondamentaux des personnes.
22 Mais on est loin des réflexions des pères fondateurs de la sociologie, qui opposaient
communauté et société. Il semble plus pertinent de distinguer la communauté et l’État, ce
qui explique sans doute pourquoi communauté et société civile sont des expressions qui
tendent à être utilisées de façon interchangeable (Deakin, 2001). Mais à la différence des
conceptions « classiques » de la société civile, celle-ci ne désigne pas un état social
conceptuellement et historiquement préalable à la société politique, mais un ensemble de
rapports sociaux définis par leur extériorité à la machine administrative. Il est clair que
celle-ci y trouve un interlocuteur privilégié pour mieux orienter sa pratique. Le risque
d’instrumentalisation est évident.
23 Mais considérer la dimension « externe » des groupes communautaires ne suffit pas. Tous
ces traits seraient incompréhensibles si on n’y ajoutait la dimension « interne », car les si
les groupes n’existaient que dans un rapport à l’État, on comprendrait guère les
motivations des personnes participantes. On peut donc penser qu’il y a autre chose que le
seul rapport à l’État, aux adversaires, aux alliés et au public. La section suivante s’arrêtera
à quelques-uns des traits fondamentaux de la dimension « interne », celle qui touche à la
structuration des rapports communautaires au sein des groupes. L’analyse des rapports
entre « usagers7 » sera suivie de celle des rapports entre usagers et intervenants.
La dimension « interne »
Les relations entre usagers8
24 Les entrevues avec les usager-e-s des groupes communautaires font ressortir un trait
particulièrement évident de la situation de ces personnes : elles sont isolées de leurs
voisins, de leur famille, elles ont peu d’amis et, souvent, peu de contacts directs avec
d’autres personnes. De plus, elles le ressentent et en souffrent. On peut donc dire que les
personnes rencontrées sont victimes d’une exclusion sociale dont les causes sont
multiples : difficultés financières, pauvreté, problèmes de santé mentale ou physique,
stigmatisation pour cause comportementale, etc. qui peuvent souvent se combiner.
Cependant, se limiter à cette caractérisation négative reviendrait à en faire des êtres de
besoin entièrement définis par le manque, ce qui serait loin de rendre justice à la
complexité de leurs situations (Boltanski et Chiapello, 1999 ; Jones et Novak, 1999). C’est
pourquoi l’analyse des traits marquants des rapports ente les usager-e-s, tout en
s’appuyant sur leur situation concrète, met l’accent sur la capacité de sujet des personnes
rencontrées. Je présenterai la liberté et le choix comme des caractéristique de leur
participation, puis insisterai sur l’interchangeabilité des liens noués, pour terminer par
quelques remarques sur leur segmentation9.
25 Le premier trait est que la participation à un groupe doit s’insérer dans les disponibilités
des personnes ; l’histoire de cette participation montre qu’elle n’est pas une activité
29 L’autre facette de la dimension « interne » des groupes est la grande importance des
intervenants dans la dynamique et le fonctionnement des réseaux de liens. Par
intervenant, il faut comprendre le personnel payé (généralement formé dans des écoles
de travail social), mais cela peut aussi inclure, le cas échéant, une personne bénévole
interagissant avec les usagers, ou même un membre du conseil d’administration. Comme
30 Le premier trait est sans doute le plus fondamental : en parlant des intervenants, les
informateurs parlent en réalité de leurs intervenants. Cette possessivité est en fait le
signe de l’individualisation de la relation. Une autre façon de le dire est d’insister sur
l’aspect non-bureaucratique du rapport, fréquemment distingué des interactions avec des
intervenants « du réseau ». Cela peut se manifester dans de petites choses : par exemple
lorsque les rencontres ne se font pas dans un cadre bureaucratique et formel (derrière un
bureau, dans une pièce fermée) mais prennent l’allure de rencontres amicales au café ou
au restaurant ; ou en insistant sur la disponibilité des intervenants, qui ne comptent pas
leurs heures et sont accessibles rapidement, lorsqu’on en a besoin. Cela peut aussi référer
au peu de standardisation de l’intervention. Ces exemples montrent que les informateurs
ont le sentiment de rencontrer une personne et non un « spécialiste porteur de diplôme »
ou une tâche administrative, ce qui n’empêche pas de reconnaître leur compétence
professionnelle. Les descriptifs utilisés fréquemment sont : gentillesse, humanité,
sympathie. C’est de cette capacité d’interaction que provient la légitimité de
l’intervenant, non de sa formation.
31 L’autre versant de cette personnalisation est que les informateurs ont le sentiment d’être
considérés comme des personnes à part entière, dans leur complexité et non réduits à
n’être que l’incarnation d’une problématique. Conséquemment, plusieurs ont insisté sur
l’aspect gratifiant de ne pas être jugé, catalogué, stigmatisé. Un informateur participant à
un groupe en santé mentale l’a fort bien exprimé :
Ben, ils m’ont reçu comme un être humain. Ensuite de ça, ils ont pas regardé si
j’étais sans-abri, si j’étais alcoolique, si j’étais drogué, si j’étais pharmaco-
dépendant, tu sais. Ils m’ont accueilli avec les bras ouverts. Ils m’ont donné une
porte d’ouverture. C’est ça qui s’est produit là-dedans.
Q : Pis quand tu dis " comme un être humain ", ça veut dire quoi ?
R : Un être humain, c’est d’être pas rejeté, c’est d’être pas jugé, d’être pas condamné
pis d’être pas... sacrifié, tu sais, comme un chien.
32 Cette relation personnelle et personnalisée est si forte que certains informateurs étaient
incapables de donner la signification du sigle par lequel était connu le groupe, mais
pouvaient identifier par leur nom, leurs caractéristiques et un grand luxe de détails
chacun des intervenants auxquels ils avaient eu affaire, il y a parfois longtemps. On peut
aller jusqu’à se demander si les informateurs avaient un rapport avec une personne (ou
un petit nombre de personnes) plutôt qu’avec une organisation.
33 Le second trait du rapport entre intervenants et usagers est l’importance que prennent le
support et l’écoute. Cette relation entre personnes est néanmoins orientée et
« fonctionnelle » : on est ici tout près de la réponse à l’isolement. Cela va plus loin que la
« relation d’aide » considérée comme technique thérapeutique. Il s’agit bien plutôt d’un
mode de rapport entre individus qui se fonde sur l’accompagnement et, à ce titre,
reconnaît l’autonomie et la (relative) égalité des participants. Les intervenants ne
soignent pas mais offrent aux usagers l’occasion de parler et de se faire entendre ; comme
plusieurs informateurs l’ont dit, « quelqu’un qui a pas vécu ça je me demande si il peut
comprendre l’importance que ça a d’être écouté ».
34 Tout cela montre que l’intervenant est une personne avec qui on a des relations d’amitié
souvent étroites, empreintes de confiance et de réciprocité qui réduisent la distance entre
usagers et intervenants. Mais elles ne l’abolissent pas. Au contraire, la division des rôles
(ou des tâches) demeure claire et même demandée. On attend des intervenants qu’ils
soient amicaux, comme des amis, mais pas qu’ils soient des amis. Car les attentes à leur
égard sont plus fortes que celles qu’on a envers ses amis : ils doivent être disponibles,
donner l’aide dont on a besoin – et non en demander. On est loin de la réciprocité qui est
un trait normal d’une relation d’amitié.
35 En résumé, les relations entre usagers sont conçues comme positives et importantes pour
les informateurs car elles permettent de se faire des ami-e-s dans un contexte où la
stigmatisation n’a que peu ou pas de place. Elles répondent donc à la situation
d’isolement qu’ils ressentent vivement et contribuent ainsi à lutter contre l’exclusion.
Comme les relations avec les intervenants, elles sont remarquables par la liberté et le peu
de contraintes qui les accompagnent. Les craintes souvent énoncées de la perte de liberté
qu’entraîneraient des rapports de type communautaire sont donc sans doute exagérées
(Young, 1990). Il faut donc abandonner l’idée qu’un passage de la communauté à la société
signifie nécessairement un passage de la nécessité à la liberté.
36 Il est aussi remarquable de constater que l’identité y tient relativement peu de place. Bien
sûr, la plupart des groupes s’adressent à une « clientèle » ou une « population-cible »
particulière : femmes victimes de violence, ex-psychiâtrisés, récipiendaires de prestations
de sécurité du revenu, résidents de tel quartier ou localité, etc. Mais les fréquentes
remarques sur la stigmatisation ainsi que les tout aussi nombreux énoncés indiquant
l’importance d’être considéré comme une personne à part entière montrent que les
informateurs rejettent avec force toutes réduction de leur identité à leur situation. Tout
se passe comme s’ils disaient : je suis dans une situation de pauvreté, mais je ne suis pas
qu’un pauvre ; j’ai une histoire de maladie mentale, mais je suis plus qu’un malade
mental.
37 Pourtant, les informateurs participent à des organisations où ils rencontrent d’autres
malades, d’autres pauvres. Comment comprendre ce paradoxe ? On peut estimer qu’on se
retrouve dans de tels groupes sur la base d’une situation semblable plus que d’une
identité commune, en d’autres termes : ces groupes se fondent sur ce que de gens
partagent, non sur ce qu’ils sont.
BIBLIOGRAPHIE
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(dir.), Feminism/postmodernism,Londres, Routledge, pp. 300-323.
NOTES
1. Tout au long de ce texte, j’utiliserai indifféremment les termes de groupes communautaires,
d’associations ou d’organisations communautaires. Mes informateurs préfèrent parler de
groupes.
2. Voir Ministère des régions du Québec, 1998.
3. Putnam (1995, 1999). Pour un point de vue critique, voir Ehrenberg (1999) et Baron et al. (2000)
ainsi que les références qui s’y trouvent.
4. En préparant une telle recherche avec la Table Nationale des Corporations de Développement
Communautaire, nous avons recensé 23 travaux présentant des telles « études d’impacts » à
l’échelle des CDC, et cela n’est sans doute pas exhaustif.
5. Notons au passage que cette production de communauté par des organisations réduit presque
à néant la classique opposition entre communauté et société.
6. Ces périodes sont celles généralement acceptées depuis l’article de B. Lévesque et P. Bélanger
(1990). Elles recoupent celles que proposent Louis Favreau, (1990), ainsi que Y. Comeau, L.
Favreau, B. Lévesque et M. Mendell (2001).
7. Le mot demande des guillemets. Un usager est quelqu’un qui utilise, et cela ne respecte pas la
façon dont plusieurs groupes conçoivent ceux et celles avec/pour qui ils travaillent.
8. Cette section se fonde sur 20 entrevues semi-dirigées avec des usager-e-s (8 hommes et 12
femmes) de groupes communautaires d’une ville moyenne du Québec. D’une durée moyenne de
70 minutes (allant de 35 minutes à…7 heures !), elles visaient à cerner ce que la participation aux
activités du groupe apportait à ces personnes. On y abordait l’« histoire de vie participative »,
mais aussi la condition sociale et personnelle, les liens avec les autres usager-e-s, les
intervenants, les appareils d’État.
9. Ce passage sur les liens entre « usager-e-s » ne considère que les groupes où existent de tels
liens, ce qui n’est pas la totalité de l’échantillon. Plusieurs sont centrés sur une approche de type
« casework » où prime un rapport dyadique usager-intervenant. Par ailleurs, la frontière entre
ces types est tout sauf étanche.
RÉSUMÉS
Ce texte vise à explorer un exemple de sentiment communautaire qu’on peut concevoir comme
relativement archétypique. On cherche ainsi à mieux comprendre comment peut se créer ce
sentiment dont le « sentiment d’appartenance locale » est un sous-exemple. Cela permettra de
mieux circonscrire ce que produit, selon plusieurs, la société civile : la capacité à dépasser le
chacun-pour-soi, ce qui semble indispensable à un développement consciemment voulu. Après
quelques considérations de méthode, on abordera la dimension « externe » des organisations
communautaires, c’est à dire leur rapport à l’État et aux autres groupes. Suivra une analyse de
leur dimension « interne », c’est à dire des rapports entre les utilisateurs de ces groupes, d’une
part, et des relations entre ces utilisateurs et les animateurs des organisations, d’autre part. La
conclusion tentera de montrer comment cet exemple peut avoir valeur illustrative et inspirer
une réflexion renouvelée sur le développement local.
INDEX
Mots-clés : groupes communautaires, communauté, développement local, organisation
communautaire, société civile
AUTEUR
PIERRE-ANDRÉ TREMBLAY
Professeur, Département des sciences humaines, Université du Québec à Chicoutimi
Initiatives communautaires de
développement local et
gouvernance métropolitaine : quel
emboîtement ?
Community Initiatives for Local Development and Metropolitan Governance:
What Relations?
Introduction
1 Dans le contexte de mondialisation des échanges, de restructuration des économies
urbaines et de reconfiguration de l’État-providence, on assiste, au sein des métropoles
nord-américaines, à deux types de stratégies de développement qui répondent à deux
grands enjeux.
2 Le premier enjeu est celui de l’exclusion socio-économique de populations touchées par le
chômage, la pauvreté et le rétrécissement du filet social, populations souvent concentrées
dans des territoires infra-municipaux spécifiques, ce qui donne lieu à une fragmentation
socio-spatiale de l’espace métropolitain. Face à cet enjeu, on observe l’émergence
d’initiatives communautaires de développement local qui renvoient au développement
économique communautaire (DÉC) et qui visent l’amélioration des conditions de vie de
populations vivant dans des quartiers marqués par le déclin des activités économiques
traditionnelles, la dégradation du cadre bâti et l’appauvrissement des individus.
3 Le second enjeu est celui de la compétitivité des métropoles qui se font concurrence afin
de promouvoir leur positionnement sur l’échiquier mondial. Face à cet enjeu,
apparaissent de nouvelles formes de collaboration entre les milieux d’affaires et les
pouvoirs publics, ce qu’évoque la notion de gouvernance, afin de mettre en œuvre des
stratégies de développement métropolitain qui ont pour objectif d’attirer des
développement des États-nations (Jacobs, 1992 ; Rothblatt et Sancton, 1993 ; Veltz, 1996 ;
Gordon et Richardson, 1998 ; Derycke, 1999). Le devenir du territoire national est
intimement associé à l’état de santé de ces métropoles dont le positionnement fluctue en
fonction de leur capacité de s’intégrer ou non aux grandes transformations économiques
prenant place aux niveaux continental et mondial. Dès lors, l’espace politico-économique
des métropoles et des « villes globales » (Sassen, 1991) contribue à la mise en
obsolescence des formes historiques de gestion de l’espace social propres à l’État-nation
(Savitch, 1988 ; Frisken, 1994 ; Claval, 1997).
8 La gestion des problèmes sociaux et économiques, observés à l’échelle des quartiers et des
agglomérations, est ainsi relayée de l’État aux acteurs locaux et métropolitains (Bingham
et Mier, 1993). Sur le plan local, les organismes de DÉC représentent une expression
institutionnalisée du compromis négocié entre les mouvements sociaux, le marché et
l’État autour d’un enjeu rassembleur, à savoir la lutte contre le chômage et la pauvreté.
Sur le plan métropolitain, les grandes entreprises et les divers ordres de gouvernement
s’associent pour mettre de l’avant une gestion supra-municipale des investissements
publics et privés et promouvoir un positionnement de l’agglomération à l’échelle
mondiale (Savitch et Vogel, 1996). Ces stratégies de DÉC et ces stratégies de
développement métropolitain se différencient non seulement sur le plan de l’échelle
d’intervention (le quartier versus la métropole), mais également sur celui des objectifs
visés (un développement axé sur les retombées sociales versus un développement
davantage orienté vers la croissance économique) et des moyens favorisés (mise en valeur
des ressources endogènes versus l’attraction d’investissements exogènes).
9 La restructuration du paysage économique à l’échelle mondiale entraîne donc une remise
en question à la fois des politiques sociales et des politiques économiques. Le modèle de
développement mis en place aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale - qui avait
permis en même temps de favoriser la croissance sur le terrain économique (permettant
une mobilité ascendante pour une majorité de travailleurs), d’assurer l’intégration sur le
plan social et d’encourager l’expression des libertés sur la scène politique (Dahrendorf,
1995) - s’est désintégré, obligeant les nations à s’adapter aux exigences de la
mondialisation (Boyer, 1992). Les nouvelles règles du jeu font alors appel à une
concurrence accrue entre les pays qui passe de plus en plus par une compétition entre
leurs métropoles, ce qui pousse les divers acteurs à une plus grande flexibilité et à de
nouveaux types de collaboration. Dans cette perspective, tant l’intégration sociale - et les
formes de solidarité qu’elle implique - que les libertés politiques sont mises de côté au
profit d’ajustements de type économiciste (Dahrendorf, 1995). Il en résulte des
phénomènes de dualisation sociale, d’exclusion et d’appauvrissement de certains groupes
sociaux (Whul, 1991 ; Gaullier, 1992).
10 Cette situation représente un nouvel enjeu pour les mouvements sociaux qui vont être
amenés à déborder la sphère de la reproduction pour s’attaquer à la sphère de la
production. Les pratiques de développement économique communautaire incarnent ces
mouvements sociaux qui abordent les questions de développement économique d’un
point de vue qui ne se veut pas économiciste, mais qui intègre le développement social
(Swack et Mason, 1994 ; Shragge, 1997). Ce modèle d’action fait appel non seulement à la
mobilisation des organismes communautaires, mais également à l’implication du secteur
privé et du secteur public dans une démarche de type partenarial (Hamel, 1990).
11 Ces pratiques de DÉC, comme les stratégies métropolitaines de développement, sont
l’expression d’un mode de régulation qui marque le passage du gouvernement des villes à
plupart sont reconnues et financées par les trois paliers de gouvernement et assument
même, depuis 1998, un ou des mandats du centre local de développement (CLD) de leur
ancienne municipalité. Il importe ici de signaler qu’au début de l’automne 2002, la
reconfiguration des CLD sur le territoire de la nouvelle Ville de Montréal est toujours à
l’ordre du jour, mais n’a pas encore fait l’objet d’une décision politique, de telle sorte que
c’est l’arrangement organisationnel d’avant la fusion qui prévaut toujours. Enfin, les
CDÉC montréalaises sont regroupées au sein de l’Inter-CDÉC à des fins, principalement, de
négociations avec leurs bailleurs de fonds.
15 À Toronto, il y a une multitude d’organismes de DÉC qui présentent despratiques
diversifiées : soutien à la création d’entreprises, formation des sans-emploi et insertion
sur le marché du travail, offre de services sociaux à diverses populations et aide aux sans-
abri. Plusieurs de ces organismes interviennent sur des populations cibles, comme les
immigrants ou les ex-psychiatrisés, et quelques-uns sur des territoires locaux, à savoir
des quartiers. Le financement, en provenance de fonds publics et privés, varie d’un
organisme à l’autre. Le niveau de coopération entre les acteurs communautaires, privés et
publics qu’ils favorisent diffère aussi d’un organisme à l’autre. Les organismes de DÉC à
Toronto ne possèdent pas d’organisation fédérative, bien qu’il y ait eu quelques tentatives
de regroupement.
16 À Boston et à Pittsburgh, les CDC se caractérisent par une gamme d’activités diverses dont
les plus importantes sont la construction et la gestion de logements abordables, la
formation des sans-emploi et le soutien aux entreprises. Elles interviennent à l’échelle
des quartiers, qui sont en général de petite taille (moins de 5 000 habitants). Elles
reçoivent des aides financières du gouvernement fédéral, de l’État et de la municipalité
ainsi que de corporations et fondations privées. Elles contribuent aussi à une forme de
gouvernance locale, en incarnant, à l’échelle des quartiers, la coopération entre les
secteurs communautaire, privé et public. Étant donné que chaque CDC dispose de peu de
ressources humaines et financières, il y a, à Boston et à Pittsburgh, des organisations -
parapluies qui constituent des bassins d’expertises et de fonds à la disposition des
organismes de DÉC.
17 À Montréal, plusieurs institutions ont été créées au cours des années 1990 et au début des
années 2000, dans le but promouvoir le développement de la métropole. Mentionnons le
Conseil régional de développement de l’île de Montréal (CRDÎM), mis en place en 1994
dans le cadre d’une politique provinciale de développement régional, dont le conseil
d’administration est composé d’élus et de représentants socio-économiques et dont la
principale mission est l’élaboration d’un plan stratégique de développement pour la
région de l’île de Montréal ; le ministère de la Métropole, institué en 1996 par le
gouvernement du Québec, à qui est confiée la responsabilité du développement de la
région métropolitaine de Montréal et qui sera, plus tard, intégré au ministère des Affaires
municipales et de la Métropole ; Montréal International et Montréal Technovision, mis
sur pied, en 1997, à l’initiative du secteur privé, mais qui disposent de financements
privés et publics et dont la mission consiste respectivement à attirer des investissements
étrangers et des organisations internationales dans le Grand Montréal ainsi qu’à y
accélérer le développement d’un pôle technologique de classe mondiale ; la Communauté
métropolitaine de Montréal, mise en place au début des années 2000 à la suite d’une loi
provinciale, qui ne regroupe que des municipalités et dont une des compétences est le
développement économique de la métropole ; enfin, la nouvelle Ville de Montréal, mise
en place en 2002 à la suite également d’une loi provinciale et qui a aussi une compétence
en matière de développement économique.
18 À Toronto, le gouvernement provincial est aussi très actif depuis une quinzaine d’années.
Il a procédé à la création, en 1988, del’Office of the Greater Toronto Area, institution de
coordination inter-ministérielle ; à la fusion, en 1998, des six municipalités de la grande
région de Toronto, donnant ainsi naissance à la New City of Toronto ; et à la mise en place,
en 1999, du Greater Toronto Service Board qui devait favoriser la coopération des
gouvernements locaux en matière de services, mais qui ne s’occupera que du transport et
qui sera aboli quelques années plus tard. Il importe également de signaler la mise sur
pied, en 1998, par 29 municipalités et agences de développement économique régional
ainsi que par 27 conseils d’administration de chambres de commerce de la région du
Grand Toronto, du Greater Toronto Marketing Allliance (GTMA) qui vise la croissance de
l’économie de la région métropolitaine en faisant sa promotion sur la scène
internationale.
19 À Boston, l’État du Massachusetts soutient les entreprises de la région métropolitaine par
le biais du Massachusetts Office of Business Development (MOBD) qui relève du Massachusetts
Department of Economic Development. Cependant, il n’y a pas, comme à Montréal et Toronto,
d’institution métropolitaine avec une mission de développement économique. Il existe
certes à Boston un organisme tel que le Boston’s Metropoitan Area Planning Council (MAPAC),
mais il s’agit davantage d’un forum de discussion que d’une agence impliquée dans
l’action. Cependant, même si la gouvernance métropolitaine n’est pas formalisée, il y a
tout de même eu une alliance milieux d’affaires - pouvoirs publics pour le re-
développement du centre-ville de Boston qui a bénéficié à l’ensemble de la région (Horan,
1997).
20 À Pittsburgh, la gouvernance métropolitaine est davantage formalisée. Elle repose sur la
Allegheny Conference on Community Development (ACCD) créée en 1943, par le milieu des
affaires. Cet organisme a mobilisé les secteurs privé et public autour d’une série de plans
de revitalisation : Renaissance I (1945), Renaissance II (1977), Renaissance III (1982), Strategy
21 (1985). Il a aussi joué un rôle actif au sein d’organismes de promotion économique tels
le Working Together Consortium (1994) et le Regional Renaissance Partnership (1997).
21 À Montréal, les CDÉC sont reconnues comme des acteurs du développement économique,
à l’échelle locale, mais il y a peu d’articulation entre leur plan local de développement et
les stratégies métropolitaines de développement. De fait, les relations entre les CDÉC et
les institutions qui interviennent à l’échelle supra-municipale sont ténues. Les CDÉC sont
représentées au sein du CRDÎM, mais cet organisme définit des axes d’intervention qui
restent très généraux et l’arrimage entre ces axes et l’action des CDÉC demeure très
vague. Les CDÉC sont aussi en relation avec le ministère des Affaires municipales et de la
Métropole, mais pour négocier leur mandat en matière de développement local et non
pour traiter de dossiers métropolitains. Par ailleurs, il n’y a aucun lien entre les CDÉC et
les deux organismes initiés par le secteur privé que sont Montréal Technovision et
Montréal International. Enfin, il est trop tôt pour analyser les liens entre les CDÉC et la
CMM. Cependant, certaines CDÉC ont fait référence, dans leur plan local de
nous avons rencontrés ne sont pas nécessairement « localistes ». Est-ce que les ressources
qu’ils obtiennent de leurs bailleurs de fonds s’avèrent insuffisantes pour leur permettre
d’assurer une présence à l’échelle métropolitaine ? La réponse à cette question doit être
nuancée : à Boston et à Pittsburgh, les ressources propres à chacune des CDC sont
tellement limitées que ces organismes doivent se regrouper au sein d’organismes comme
le Boston Community Business Network et le Pittsburgh Partnership for Neighborhood
Development pour accéder à plus de moyens ; à Toronto, la taille des organismes de DÉC est
très variable, le Low Income Family Together (LIFT) ne disposant, par exemple, que d’un
maigre financement et ne comptant que sur quelques salariés et bénévoles, alors le
Learning Enrichment Foundation (LEFT) administre un budget annuel de 16 millions de
dollars ; à Montréal, les CDÉC, à l’exception de la dernière-née, bénéficient de ressources
relativement importantes, ce qui est dû, notamment, aux mandats CLD qu’elles assument.
Est-ce que leur processus de professionnalisation ne les a pas conduits à développer une
expertise trop uniquement reliée au développement local et communautaire ? Les
personnes qui travaillent au sein des organismes de DÉC ont certes acquis des savoirs-
faire propres aux actions menées par ces organismes, mais plusieurs ont déploré
l’absence de prise en compte de leurs préoccupations lorsqu’il s’agissait d’élaborer des
stratégies de développement à l’échelle métropolitaine et certains, dans le cas de
Montréal, oeuvrent auprès d’entreprises qui cherchent à faire leur place sur le marché
mondial. Est-ce que les arrangements institutionnels négociés avec l’État et les acteurs du
marché ne relèvent pas d’un compromis pragmatique qui permet aux organismes de DÉC
d’être reconnus et financés pour intervenir auprès de certaines populations à problèmes
et de communautés locales en difficulté, mais pas sur des questions qui concernent le
développement métropolitain ? Il nous semble effectivement que les conventions établies
entre des acteurs communautaires, certains milieux d’affaires et les divers ordres de
gouvernement viennent restreindre le champ d’intervention des organismes de DÉC à la
lutte contre la pauvreté et le chômage à l’échelle locale, alors que d’autres conventions
portant sur la concurrence inter-métropolitaine sur la scène mondiale, sont établies entre
des représentants du secteur privé et les pouvoirs publics.
26 On peut aussi questionner la position des institutions de promotion des métropoles qui
optent pour des stratégies de développement axées sur la croissance, sans tenir compte
des dimensions sociales et locales de ce développement. Cette position relève-t-elle de
l’ignorance, d’une vision ou d’un calcul ? Il y a probablement une certaine
méconnaissance des problèmes et des acteurs locaux ainsi qu’une croyance dans les
retombées de la croissance (trickle down), et il y a sans aucun doute une nette division du
travail, certaines configurations d’acteurs jouant dans la petite ligue du développement
économique local et communautaire et d’autres, dans la grande ligue de la compétitivité
des métropoles à l’échelle internationale.
Conclusion
27 Dans les quatre métropoles étudiées, il y a des organismes de DÉC qui mettent en œuvre
des stratégies de développement local et il y a des institutions qui élaborent des stratégies
de développement à l’échelle métropolitaine. Cependant, force est de constater qu’il n’y a
pas d’emboîtement entre les stratégies de DÉC et les stratégies de développement
métropolitain et qu’il y a très peu de lien entre les organismes de DÉC et les institutions
qui sont engagées dans des stratégies de développement à l’échelle métropolitaine. Les
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NOTES
1. Cette recherche a été financée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada
(CRSHC).
RÉSUMÉS
La mondialisation des échanges, la restructuration des économies urbaines et la reconfiguration
de l’État-providence ont conduit à deux types de stratégies de développement au sein des
métropoles nord-américaines : d’une part, celles qui relèvent d’initiatives communautaires de
développement local et qui s’attaquent au chômage et à la pauvreté ; d’autre part, celles qui
reposent sur diverses formes de gouvernance métropolitaine et qui visent le positionnement de
ces métropoles sur l’échiquier international. Y a-t-il un arrimage entre ces deux types de
stratégies et les organismes qui les portent ? C’est à cette question que tente de répondre le
présent article en comparant quatre métropoles : Montréal, Toronto, Boston et Pittsburgh.
INDEX
Mots-clés : développement économique communautaire, développement local, métropoles,
gouvernance, Montréal, Toronto, Boston, Pittsburgh
AUTEURS
JEAN-MARC FONTAN
Professeur-chercheur, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal
RICHARD MORIN
Professeur-chercheur, Département d’études urbaines et touristiques, Université du Québec à
Montréal
PIERRE HAMEL
Professeur-chercheur, Département de sociologie, Université de Montréal
ÉRIC SHRAGGE
Professeur-chercheur, School of Community and Public Affaires, Université Concordia
Entre la complaisance et le
radicalisme économique : Quelle
perspective pour le développement
local ?
Between Complacency and Economic Radicalism: What Perspective for Local
Development?
Pierre Ducasse
NOTE DE L'AUTEUR
Ce texte représente le texte, quasi intégral, qui a été présenté lors du colloque « Le
renouvellement du développement local » dans le cadre de la conférence annuelle de
l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS), le 15 mai
2002, à l’Université Laval. L’auteur aurait bien aimé peaufiné le texte, mais des
circonstances extraordinaires ne lui ont pas permis.
Introduction
1 Je travaille pour et avec les Corporations de développement communautaire, depuis
maintenant quatre ans. Je siège également dans les organisations suivantes : le Comité
aviseur de l’action communautaire autonome, le Carrefour québécois de développement
local et le Chantier de l’économie sociale. J’ai donc la chance de côtoyer plusieurs autres
acteurs de développement local, tant des gens de terrain que des têtes de réseaux.
2 Depuis que je réfléchis aux questions touchant le développement local et que je travaille
dans le champs du développement communautaire, il y a une chose qui ne cesse de me
frapper. C’est que même si on parle tous de « développement local », on ne semble pas
toujours parler de la même chose.
Quatre perspectives
5 Vous savez, les mots ont un sens. Et par « sens », il faut à la fois comprendre
« signification » et « direction ».
6 De même, vous savez que la perspective dans laquelle nous agissons est la chose la plus
déterminante dans l’action. La perspective que nous avons quant à la finalité de nos
actions détermine : nos attitudes, nos pratiques, la manière dont nous faisons les choses,
les moyens que nous utilisons. Ces éléments s’appliquent aussi, bien sûr, quand on parle
de développement local.
7 Aujourd’hui, je veux vous présenter quatre perspectives différentes dans lesquelles on
peut faire du développement local. Et je veux surtout aborder la chose d’un point de vue
économique, même si on sait que le développement local doit brosser beaucoup plus large
que les seules préoccupations économiques. En particulier, je veux examiner différentes
attitudes que les acteurs du développement local peuvent avoir face au modèle
économique dominant, c’est-à-dire le capitalisme néolibéral mondial. Je vais aussi dire
rapidement sur quelles stratégies ces perspectives reposent et quel capital elles visent à
mobiliser.
8 Les quatre perspectives, qui teintent notre vision, que je veux présenter sont :
• La complaisance
• L’influence
• La cohabitation
• Le radicalisme économique
Complaisance
11 Je le sais bien. Je viens de Sept-Îles, sur la Côte-Nord. C’est une région fortement
dépendante de la grande industrie et des capitaux étrangers. On attend les méga-projets
qui pourront quand même, par des sous-traitants, développer des PME localement. Le
développement local est donc une stratégie inscrite dans une logique de compétition : si
les grandes usines viennent s’installer chez nous plutôt que dans la ville voisine, c’est du
développement… local.
12 Je sais que c’est une perspective qui est partagée par beaucoup de gens qui disent faire du
développement local. Elle est peut-être même dominante dans certains milieux. Quand les
chambres de commerce font des campagnes d’achat local, c’est ce qu’elles font.
13 Dans cette perspective, quel capital, quel argent, vise-t-on à mobiliser ? Il s’agit bien sûr
du capital privé et, dans une moindre mesure, du capital public, s’il sert le précédent.
14 Dans ce modèle, il n’y a, bien sûr, aucune critique du système capitaliste lui-même. Le
slogan serait : « Le DL, c’est le développement du capitalisme à l’échelle locale ». C’est, en
fait, une stratégie « d’ajustement » et non pas de remise en question du libre-marché
capitaliste mondial.
15 Voilà pour la première perspective, celle de la complaisance.
Influence
Cohabitation
Radicalisme économique
Conclusion
37 Vous le savez, le développement local est une idée à la mode. On parle de mobilisation des
ressources locales, de partenariat et de réseautage, de gouvernance. Mais, parmi ceux qui
le pratiquent, il n’y a pas le partage d’une même perspective. La finalité, le sens, qu’on y
donne peut donc varier et teinter tout le reste. Il faut se demander pourquoi une stratégie
de développement local est importante : est-ce pour s’adapter à la mondialisation
capitaliste, l’influencer, la contrebalancer ou la combattre ?
38 Je pense que je vais terminer cette présentation avec ce que j’aurais peut-être du
commencer avec, c’est-à-dire la définition du développement local. Le DL est une
stratégie visant le développement endogène et global (économique, communautaire,
culturel, social et environnemental) d’un territoire et qui repose sur la mobilisation des
ressources (humaines, financières, naturelles, organisationnelles) et des forces vives du
milieu, notamment par des pratiques de partenariat entre les acteurs du milieu.
39 Bien sûr, l’intérêt envers le développement local a pris son essor dans le contexte de la
mondialisation et du déclin de l’État keynésien. Il me semble donc que de faire du DL ce
n’est pas quelque chose qui est neutre politiquement.
40 Mais la question fondamentale demeure sans réponse : c’est-à-dire, pourquoi fait-on du
développement local et pourquoi c’est important ? C’est quoi son but ?
41 J’ai présenté quatre perspectives, ça pourrait être plus. Je vous rappelle quand même les 4
perspectives :
• la première, celle de la complaisance, aucune remise en question du capitalisme ;
• la deuxième, l’influence, où on veut développer un capitalisme un peu plus humain en
influençant les pratiques des « gros » et des « grands » ;
RÉSUMÉS
Ce texte présente une critique de la pratique du développement local vu sous l’angle d’un acteur
actif dans le domaine. La critique est construite à partir de quatre perspectives : la complaisance,
l’influence, la cohabitation et le radicalisme économique. Le texte situe le mouvement du
développement local au centre de ces quatre perspectives tout en invitant les acteurs à jouer la
carte du radicalisme économique.
INDEX
Mots-clés : action locale, critique, définition, développement local, radicalisme économique,
socialisme local
AUTEUR
PIERRE DUCASSE
M.A. Coordonnateur de la Table nationale des Corporations de développement communautaire
Le développement du local, de la
contrainte économique au projet
politique
The Development of the Local Level, From Economic Constraint to Political
Project
Jean-Marc Fontan
1 À l’automne 2001, lors de discussions réalisées dans le cadre de travaux menés au sein de
l’Alliance de recherche universités-communautésenéconomie sociale (ARUC-ÉS), Yvon Leclerc,
président de l’Association des Centres locaux de développement du Québec (ACLD), présentait
un projet de mise à jour des trois rapports produits à la fin des années 1980 par le Conseil
des affaires sociales sous le titre « Deux Québec dans un ». La mise à jour a donné lieu à une
publication qui situe les avancées et les nouveaux défis du développement régional et du
développement local dans une perspective de renouvellement du modèle québécois
(Leclerc et Béland, 2003).
2 Le projet de resituer l’action des développeurs régionaux et locaux a soulevé, parmi les
chercheurs présents à la rencontre, la question suivante : devrait-on aussi se pencher sur
l’état de situation de l’analyse théorique face aux pratiques post 1990 de développement
régional et de développement local ? En d’autres termes, face à ces nouvelles pratiques, le
ou les paradigmes du développement local fournissent-ils les bons outils conceptuels et
les bons schèmes d’analyse pour comprendre le sens et la portée des initiatives
québécoises de développement local?
3 Nous répondrons à cette question par une analyse des transformations observables sur les
deux dernières décennies dans le discours du paradigme du développement local. Ces
transformations portent autant sur la façon d’aborder ou de traiter théoriquement du
développement local que sur les types d’actions qui sont pensées puis mises en place par
les acteurs public, privé et associatif.
local. Un deuxième élément est lié aux innovations prenant place dans le cadre
institutionnel public.
51 À une approche qui se cantonnait dans la sphère de l’économie doit succéder une
approche qui renoue avec les principes de l’économie politique et de l’économie sociale,
qui s’inspire donc des contraintes posées par la construction du devenir des sociétés
humaines, à savoir leur nécessaire prise en compte dans la question économique des
dimensions de l’échange et du marché, de la politique et du pouvoir, du social et du savoir
culturel.
52 Le projet lire et faire lire se penche sur un problème à géométrie variable où l‘emploi
devient une des dimensions à travailler, au même titre que le sont le rapport au savoir, à
la famille et aux rapports de pouvoir de l’individu analphabète au sein d’une variété de
réseaux sociaux.
53 Les petites choses qui sont réalisées à l’échelle locale sont multiples et variées. Elles sont
peu ou pas prises en considération, certainement pas valorisées par les médias, par les
politiciens ou la communauté d’affaires. Par exemple, la décision d’une personne
prestataire d’une mesure de sécurité du revenu de retourner aux études est considérée
comme un acte normal et même comme une obligation. La décision d’un adolescent de
joindre les rangs d’une Coopérative jeunesse de services passe inaperçue. Pourtant, l’une
ou l’autre action sont directement associées à une prise de décision qui a mené à la
création d’une organisation de développement communautaire ayant pour but d’aider des
personnes prestataires de l’aide sociale à s’insérer sur le marché du travail ou ayant pour
but d’initier des adolescents à l’univers des coopératives de travail. Ce sont là des
exemples à toute petite échelle de cette essence qui alimente au jour le jour le train du
développement local.
54 Toutes ces actions constituent à notre sens le quotidien et l’ABC du développement local.
Un quotidien passé sous silence lorsqu’il est comparé à celui des grands exploits réalisés
par les géants du développement : Bombardier, l’Alcan, Jean Coutu, Ayerst, la Caisse de
dépôt et de placement, Emploi-Québec, le ministère de l’Éducation, le Mouvement
Desjardins… Et pourtant, que feraient les multinationales, les grandes firmes nationales et
l’État si leurs employés n’étaient pas formés ? Que feraient ces institutions si la
municipalité qui les accueille n’aménageait pas convenablement son territoire et ne le
dotait pas de structures de transport et de sécurité publique appropriées ? Que feraient
ces multinationales si l’habitat urbain était complètement démuni de toute vie culturelle
et de tous ses dispositifs municipaux de loisirs ? Que feraient ces « grands acteurs » si des
formes élémentaires ou organisationnelles de solidarité n’étaient pas présentes pour
conforter le sans-abri ou les familles démunies ? Elles partiraient tout simplement
ailleurs. Elles chercheraient un cadre plus accueillant pour loger leurs installations.
55 Il est important de garder en tête cette réalité. Le local est l’espace de vie de base, celui
qui permet à la fois de rêver l’avenir et d’observer la beauté ou les souffrances produites
par des rêves qui ont bien ou mal tourné. Pour le chercheur, l’espace local est le lieu
d’observation par excellence des forces et des faiblesses du système socio-économique et
socio-politique en place.
56 Face aux projets de la globalisation et de la mondialisation, il importe de reposer la
question lancée à plusieurs reprises par des acteurs ou des chercheurs : quel projet pour
le local, quelle place au local… ?
Le projet local
57 Comment repenser le paradigme du développement local sans tenir compte des critiques
importantes qui ont été adressées au concept par différents chercheurs tels Latouche
(1985 et 2002), Comeliau (1991), Ndione (1994), Rist (1996), McMichael (1996), Rahnema et
Bawtree (1997) ou par des collectifs d’intervention du type de l’International Network for
Cultural Alternatives to Development ou du Réseau européen pour l’après-développement (2002).
En d’autres termes, le renouvellement du paradigme du développement local sera
d’autant plus riche qu’il permettra d’apporter des réponses aux questions qui sont posées
par les théoriciens de l’après-développement, du post-développement ou de l’anti-
développement.
58 Une des pistes pour réaliser ce renouvellement consisterait dans la définition d’un projet
pour le local. Le Projet local à notre sens porte sur la socialisation et la mobilisation des
individus, des groupes, des organisations et des institutions autour d’une grande
médiation portant sur la rencontre d’intérêts très différents sur la scène du territoire
local. Cette médiation, comme nous l’indiquions à partir de l’exemple de l’initiative lire et
faire lire n’a pas à faire de l’économie, donc de l’emploi et de la richesse « monétaire » la
pierre angulaire du développement local. Au contraire, le projet local aborde dans sa
totalité le social qui occupe le local.
59 Si l’État s’est octroyé historiquement le sens profond de la citoyenneté, cette dernière a
tout avantage a être redéfinie par rapport aux implications du projet de la mondialité. Le
projet local permettrait une réappropriation de la capacité de l’acteur local d’intervenir
sur le devenir global de sa collectivité. Pour ce faire, il s’agit avant tout de penser la
collectivité à partir d’une convention constituante, de la voir se doter d’une vision de son
devenir. Trop souvent les collectivités sont amenées à définir des plans de développement
sur des bases qui sont définies de l’extérieur, en réponse à des indicateurs de
performance qui lui sont imposées.
60 La mondialisation a créé une brèche dans la toute puissance de l’État-nation. Elle a rendu
possible la définition d’une citoyenneté para-nationale tout en permettant aux instances
territoriales infra-nationales qui le désirent de se doter d’un processus de citoyenneté
spécifique.
61 Présentement, et la citoyenneté mondiale et les citoyennetés infra-nationales sont en
émergence. Les contours de ces espaces citoyens sont laborieusement en train de se
définir, tant en légitimité qu’en production de modalités concrètes d’existence : en
termes de valeurs, de principes, de mécanismes d’expression, de droits et de
responsabilités.
62 La théorie du développement local a permis, à ses touts débuts, d’attirer l’attention sur le
local comme un lieu d’exercice de luttes sociales. Cette théorisation s'est fortement
définie en fonction d’une logique modérée de transformation sociale où l’étapisme et le
réformisme étaient considérés comme le meilleur moyen pour réaliser les objectifs portés
par les nouveaux acteurs du local. Cette théorisation est aussi caractérisée par une faible
capacité de distanciation par rapport aux discours et aux pratiques du projet
développementaliste, d’où la relative facilité d’institutionnalisation des pratiques sociales
qui se sont inspirées de ce discours pour répondre à des urgences urbaines ou rurales.
63 Les « initiatives locales » (Arocena, 2001) qui succèdent au « développement local » ont-
elles la puissance de s’affranchir du projet développementaliste pour poser une après
l’autre les pierres du Projet local ? Cette construction se fait-elle en concordance au projet
plus vaste encore qu’est celui de l’autre mondialisation ? Comment penser l’articulation
entre ces grands agendas de travail ?
telles sortes qu’elles redonnent au système social les outils pour assurer une vitesse de
croisière viable et équitable au devenir sociétal pour les générations futures.
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RÉSUMÉS
Le développement local pourrait bientôt être déclaré en crise si les retombées tant anticipées par
ses propagateurs tardent encore à venir. Nous préférons parler de renouvellement que d’une
crise paradigmatique. De renouvellement car des pratiques locales novatrices sont en émergence,
lesquelles donnent à la nouvelle cuvée du développement local un potentiel reformateur
indéniable. Ce renouvellement, nous en explorons les fondements tout en indiquant clairement
ses limites si l’invitation lancée par ses nouveaux leaders ne devient pas une innovation
incontournable. Le projet local est un des éléments de construction et de réponse aux défis lancés
par le mondialité.
INDEX
Mots-clés : connectivité, discours, développement local, développement régional,
développementalisme, gouvernance, mondialité, politique, pratique, redéfinition
AUTEUR
JEAN-MARC FONTAN
UQAM – Observatoire montréalais du développement
Serge Côté
illustration du développement local les systèmes productifs locaux dont il distingue deux
variétés principales, soit les systèmes à industrialisation diffuse (les districts industriels
représentent bien ce type de systèmes) et les systèmes incubateurs fondés sur des sauts
technologiques (l’exemple de la Silicon Valley est donné).
3 Tous les systèmes productifs locaux comportent les éléments suivants : une spécialité
productive, la présence de plusieurs unités de production généralement de taille petite ou
moyenne, l’absence d’entreprise leader (« la dynamique productive n’est donc pas induite
par un phénomène de polarisation autour d’une grande entreprise » 4), une
interdépendance très étroite entre petites et moyennes entreprises locales, une densité
relative d’activités, une production « suffisamment importante pour couvrir une part
appréciable de la production et des exportations nationale »5. L’ancrage territorial des
entreprises se traduit concrètement par le fait qu’elles « dépend[ent] des stratégies
locales d’acteurs » permettant de « capter des externalités produites par le processus de
construction territoriale », processus où elles « particip[e]nt elles-mêmes à l’élaboration
des externalités dont elles vont bénéficier »6.
4 D’autres auteurs circonscrivent le développement local autrement. André Joyal, par
exemple, accole une signification particulière au développement local qui devient une
expression commode pour désigner les efforts entrepris par les acteurs des localités et
des régions qui connaissent des problèmes (déclin, déprise, ralentissement de l’activité)
en vue d’améliorer le sort des populations qui y vivent7. L’auteur concentre son attention
sur des micro-régions (une MRC, par exemple) qui deviennent des espaces d’intervention
où l’on vise à provoquer un relèvement économique et une création d’emplois. Certaines
agences locales comme les Centres locaux de développement (CLD), les Sociétés d’aide au
développement des collectivités (SADC) et les Corporations de développement
économique communautaire (CDEC) ont un rôle stratégique pour coordonner les efforts
et pour assurer une certaine continuité dans les démarches entreprises. Cette action
économique a une dimension sociale qui passe tantôt par une visée de réinsertion sociale,
tantôt par l’accent mis sur le recouvrement de la dignité des individus au terme d’une
démarche de reconquête de leur autonomie. Les actions menées sur le terrain relèvent
même parfois de l’économie sociale, selon l’auteur.
5 Toujours selon André Joyal, une action de développement local réunit habituellement les
éléments suivants : une mise en commun d’efforts (et non une addition échevelée
d’actions disparates), un processus concerté, le partage d’un diagnostic de départ, une
volonté de coopérer, une action en réseau, l’accès à des capacités technologiques, l’accès à
des capacités de financement, une composante démocratique au sens où les porteurs de
l’action ont des comptes à rendre à la collectivité. Enfin, André Joyal voit le
développement local comme favorisant l’émergence d’une certaine créativité partout où
il est nécessaire de reconstruire les relations économiques des collectivités aux prises
avec des difficultés de sources diverses. Il peut en effet s’agir de collectivités frappées par
la désindustrialisation, de collectivités engagées dans un processus de dépassement de
formes économiques en perte de vitesse (ex. : dépassement des rigidités de l’organisation
fordiste de la production) ou encore de collectivités qui cherchent à tirer leur épingle du
jeu dans le nouveau contexte de mondialisation.
6 Les perspectives mises de l’avant par Bernard Pecqueur et André Joyal, sans être
antinomiques, mettent l’accent sur des éléments fort différents. Pour le premier, le
développement local désigne l’un des modèles performants de la production qui coexiste
avec le modèle taylorien dans l’économie contemporaine. Pour le second, le
développement local est une forme d’organisation secrétée par les milieux locaux en
réponse à des difficultés économiques vécues dans ces milieux. Il serait évidemment
possible d’examiner des contributions d’autres auteurs. Une telle démarche ne ferait que
mettre en évidence la variabilité de signification qui s’attache à la notion et ne ferait
qu’inciter à la prudence dans l’emploi de l’expression « développement local ».
12 Troisièmement, certains des acteurs qui ont un input direct et une contribution active
dans le développement local sont situés « hors local », et parfois à des distances
considérables du lieu de l’activité. Des données collectées sur le terrain ont mis en
lumière que, dans plusieurs entreprises, si les porteurs d’initiative sont locaux et si les
appuis qui leur sont indispensables proviennent majoritairement de sources locales,
certains partenaires stratégiques, en matière de technologie ou de commercialisation par
exemple, sont situés dans un environnement lointain8. Dans les cas observés, ce maillage
avec des acteurs lointains a été considéré comme un gage de succès du développement
économique local. Un partenariat stratégique avec des acteurs lointains apporte de l’eau
au moulin du développement local : si une expertise pointue arrive souvent de l’extérieur,
l’intégration technologique se fait néanmoins sur place. Les responsables d’entreprises les
plus habiles à aller glaner à l’extérieur de leur milieu les connaissances avancées et les
renseignements technologiques de pointe sont ceux qui réussissent le mieux. Un contact
organique avec l’extérieur est donc une bouffée d’oxygène irremplaçable et parfois
inéluctable.
13 Dans un domaine au moins, celui de la propriété des entreprises, l’articulation avec
l’extérieur peut constituer un facteur d’affaiblissement plutôt que de consolidation du
développement local. Lorsque la propriété d’une entreprise d’origine régionale passe
dans des mains extra-régionales, on assiste habituellement à une atténuation de la
dynamique locale dans le fonctionnement de l’entreprise. Beaucoup d’éléments restent
locaux, la main-d’œuvre d’exécution par exemple. Cependant, les décisions stratégiques
ne relèvent plus du local : elles sont pilotées de l’extérieur et répondent à des impératifs
exogènes. La dynamique locale peut même être réduite à néant si l’entreprise mère
décide de mettre fin à l’existence de l’établissement régional en le déménageant ou en le
fermant.
14 Il faut donc retenir de cette discussion que le développement local n’est jamais enfermé
dans un réseau de relations qui s’arrête aux portes du local. Il est toujours irrigué par des
apports externes qui, la plupart du temps, l’enrichissent et le vivifient. Dans certains cas-
limites, comme celui du glissement de la propriété d’une entreprise à l’extérieur de la
région, le rapport avec le non-local peut signifier le tarissement ou la suppression de la
dynamique locale.
Conclusion
15 Au terme de cette réflexion, il convient de rappeler que l’expression développement local
n’a pas un sens univoque et que les usages auxquels on l’applique ne forment pas un
ensemble conceptuel unifié, encore moins un paradigme cohérent de développement.
Néanmoins, on peut considérer que la notion, lorsque adéquatement définie, comporte
une certaine pertinence. Le local apparaît alors non pas tant comme un lieu que comme
une certaine densité de relations prenant place sur un territoire donné. Dans ce nœud de
relations, il s’en trouve toujours certaines pour faire le pont avec l’extérieur du territoire
considéré. On ne peut donc cerner le local qu’en le pensant simultanément avec le non-
local. Ces éléments extra-locaux, lorsque convenablement arrimés à la dynamique locale,
la stimulent et la supportent. Dans certains cas, toutefois, comme dans le transfert de
propriété à des intérêts extérieurs, la dynamique extra-locale peut prendre le dessus et
court-circuiter le développement local.
BIBLIOGRAPHIE
CÔTÉ, S. (2002). » L’enjeu de l’innovation pour les régions québécoises », dans Mouvement
Territoire et Développement (dirs), Le développement des territoires : nouveaux enjeux, Collection
« Actes et instruments de la recherche en développement régional », no 14, Rimouski, UQAR-
GRIDEQ, pp. 95‑105.
JOYAL, A. (2002). Le développement local : comment stimuler l’économie des régions en difficulté, Sainte-
Foy, Presses de l’Université Laval-Éditions de l’IQRC, Collection « Diagnostic », no 30.
PECQUEUR, B. (2000). Le développement local : pour une économie des territoires, Collection
« Alternatives économiques », Paris, Syros.
NOTES
1. Bernard Pecqueur, Le développement local : pour une économie des territoires, Paris, Syros (Coll. :
Alternatives économiques), 2000 [2e éd.], p. 15.
2. Ibid., p. 15.
3. Ibid., p. 14.
4. Ibid., p. 81.
5. Ibid., p. 82.
6. Ibid., p. 98.
7. André Joyal, Le développement local : comment stimuler l’économie des régions en difficulté, Sainte-
Foy, Presses de l’Université Laval-Éditions de l’IQRC (Coll. : Diagnostic, no 30), 2002.
8. Serge Côté, chapitre intitulé “ L’enjeu de l’innovation pour les régions québécoises ”, dans
l’ouvrage collectif publié sous l’égide du Mouvement Territoire et Développement, Le
développement des territoires : nouveaux enjeux, Rimouski, UQAR-GRIDEQ (Coll. : Actes et
instruments de la recherche en développement régional, no 14), 2002, pp. 95‑105.
RÉSUMÉS
Le développement local est entré dans le vocabulaire des analystes, des décideurs et des
intervenants de toutes sortes qui s’intéressent au sort des régions. Diverses questions se posent à
propos de la notion même de développement local. Les réflexions qui suivent s’attarderont à
trois points, soit la polysémie de l’expression, la pertinence de la notion et le lien du local avec le
non-local.
INDEX
Mots-clés : développement local, local, proximité, région, relationnel
AUTEUR
SERGE CÔTÉ
Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional de l’Est du Québec
(GRIDEQ), Université du Québec à Rimouski (UQAR)