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Martin Heidegger

Révolution philosophique : on peut retracer la trajectoire de la philosophie occidentale de Platon à


Descartes en une seule ligne, celle de la pensée théorique. Platon fonde cette approche de la
philosophie en s’intéressant à ce qu’il appelle eidos (la forme, ou l’idée intelligible). Pour lui, le plus
important dans notre interaction avec la réalité est de comprendre l’essence des choses, leur eidos,
au-delà de leurs particularités individuelles. Chaque chose se comprend donc par le biais de ses
propriétés ou de ses attributs. Les philosophes à sa suite construiront sur cette base, et Descartes y
ajoutera la clef de voûte avec son idée que nous ne voyons pas les choses telles qu’elles sont mais
telles qu’on se les représente. Autrement dit, notre interaction avec la réalité est indirecte, elle passe
par notre interaction avec l’idée subjective qu’on se fait des choses dans notre esprit. Le sujet est
entièrement séparé de l’objet, et la pensée théorique les relie.

Heidegger va à l’encontre de toute cette tradition, affirmant que c’est avant tout par la pratique,
plutôt que par la pensée théorique, que l’on interagit avec la réalité. On peut tout savoir en théorie
de ce qu’est un marteau, et pourtant on ne saura pas vraiment ce qu’est un marteau avant d’en avoir
utilisé un. C’est dans ce sens que les humains apprennent : d’abord par l’interaction pratique, qui fait
ensuite l’objet d’une réflexion théorique.

La réalité n’est donc pas un tas de données neutres. Par exemple, lorsque nous sommes heureux,
nous voyons le monde différemment de lorsque nous sommes tristes. Ce n’est pas uniquement parce
que notre humeur influe sur la manière dont nous considérons les mêmes propriétés et attributs des
choses que nous voyons, comme un filtre ou des lunettes, mais parce que notre humeur nous ouvre
ou nous ferme à la perception de certains aspects de la réalité, auxquels on ne faisait pas attention
auparavant. Ce n’est donc pas la pensée théorique mais l’engagement pratique avec la réalité qui va
nous permettre de la comprendre, de nous comprendre, de trouver un sens à tout ça.

Conformisme : l’individualisme contemporain nous encourage à nous démarquer, à nous libérer des
normes et des conditionnements pour « être nous-mêmes », mais c’est impossible. Nous ne pouvons
rien être en dehors de ces formes culturelles, quand bien même on les rejetterait, on serait obligé
d’en choisir d’autres, qui seraient en soi tout aussi aliénantes. Elles font partie de nous, nous avons
grandi en les absorbant et on ne s’en affranchit pas facilement. Le seul véritable moyen d’être soi-
même est de s’approprier ces normes comme on s’approprie la maison de nos parents quand on en
hérite ou comme un athlète développe un style de jeu novateur tout en respectant les règles.

L’histoire de l’être : dans ses dernières décennies, Heidegger s’intéressa à l’idée de l’être, et pensa
distinguer dans l’histoire de l’humanité les grandes époques existentielles qui s’étaient succédées. A
l’époque d’Homère, c’était le physis (la « nature ») : être, c’était s’épanouir puis flétrir. Puis vint
l’époque du poiesis (« produire ») : être, c’était « faire sortir quelque chose », produire au sens d’un
artisan ou d’un agriculteur. Puis vint l’époque romaine du pouvoir : être, c’était imposer une forme et
un ordre aux choses. Ensuite, l’époque chrétienne surgit : être, c’est créer, la création de Dieu est
l’ordre hiérarchique ultime, mais figé dans la perspective de Heidegger. Par la suite, l’ère moderne
prend le relais avec ses concepts de sujet et d’objet : être, c’est être le sujet qui donne à toute chose
(objet) sa place, son sens et sa valeur – c’est-à-dire littéralement prendre la place de Dieu. Ainsi les
héros des dernières centaines d’années sont les explorateurs et les conquérants 1. A présent, nous en

1
Kierkegaard : si on pense que tout le sens vient de nous, que c’est nous qui donnons un sens aux choses, alors
on peut aussi le reprendre. Nous sommes un roi sans château, souverains sur le néant. La vie a le plus de sens
quand on répond à un sens qui est indépendant de nous-mêmes. Il faut qu’il y ait quelque chose dans le monde
qui réagit, qui a une force sur nous, sinon on ne connaîtra jamais rien qui ait une quelconque importance pour
nous.
sommes à l’époque de la compréhension technologique de l’être : tout est interconnecté, tout est
interchangeable, bref toutes les distinctions ont disparu – si ce n’est le critère d’efficacité et
d’optimisation. Or l’optimisation revient à sélectionner un petit nombre de produits, ou de modes de
production, ou autre – les plus efficaces – et à les reproduire en masse. On ne pense plus en termes
d’objets mais de systèmes. Le problème de la technologie est qu’elle nous empêche généralement de
développer des compétences, son argument de vente principal est qu’elle nous économise des
efforts laborieux. Internet, particulièrement avec ses réseaux sociaux, fonctionne de la même
manière : tout est réduit au rang d’information, et toutes les informations sont plus ou moins au
même niveau (une vidéo de chaton, une pub pour un jeu de zombies, et un article sur Heidegger
peuvent se retrouver sur la même page), et à tout moment (le fameux 24/7) ce qui nous fait changer
de regard sur le temps : si tout est accessible tout le temps, le temps et l’espace semblent infinis, ou
sans importance. Quel effet retour cela a-t-il sur nous ?

Pratique focale : à l’inverse des méfaits de la technologie, il y a la pratique commune d’activités qui
ne sont par orientées sur l’efficacité ou l’optimisation mais sur le développement de sensibilités et de
compétences. Apprécier l’activité, l’endroit, les gens, et le moment. On peut rejoindre un groupe de
reconstitution du mode de vie viking, un club de lecture ou ... manger ensemble. Ce dernier exemple
est intéressant : manger est un besoin physiologique, et pourtant dans toutes les cultures, c’est un
moment à part. Nous faisons plus que nous nourrir, et nous ne le faisons pas de la façon la plus
efficace, loin de là. Il en va de même pour l’art en général : avant, la communauté devait se
rassemblait pour profiter de la musique, de la danse, ou autre – aujourd’hui tout est enregistré et
consommable individuellement.

Technologie : l’essence de la technologie n’est pas elle-même technologique. Il s’agit d’une certaine
façon de penser. La technologie actuelle est différente de celle de la Grèce Antique (tekne) parce
qu’alors elle était considérée comme un moyen de révéler le potentiel du monde, à l’exemple de ce
que Michelangelo disait de son art : il s’agit de libérer la forme humaine qu’il voit piégée dans les
blocs de marbre. Aujourd’hui la technologie s’intéresse avant tout à l’utilité d’un objet, il s’agit de
maximiser son rendement ou son efficacité, faisant fi de sa beauté. Le processus induit par cette
vision utilitariste s’appelle « Das Gestell » (traduit diversement par « dispositif » ou
« arraisonnement »). La valeur de toute chose se résume donc à son exploitabilité en vue de rendre
la vie humaine plus simple et plus confortable.

« Das Gestell empêche le rayonnement et l’emprise de la vérité. Cette détermination qui ordonne est
par conséquent le danger ultime. Ce n’est pas la technologie qui est dangereuse. Ce n’est pas une
chose maléfique, mais son essence est mystérieuse ». M.H. La question de la technologie, p.28.
Marcel Proust

A la recherche du temps perdu : le plus long roman jamais écrit (1,2 million de mots). Raconte
l’histoire d’un homme (Proust à peine déguisé) qui cherche à arrêter de perdre son temps et
commencer à apprécier la vie. Autrement dit, il cherche le sens de la vie. Proust espérait que son
roman pourrait faire autant de bien à l’humanité que ce que les travaux médicaux de son père (qui
avait vaincu le choléra en France).

Le personnage principal explore trois sources possibles de bonheur :

1. Le succès social (Proust a grandi dans une famille de bourgeois). Le personnage passe des
années à gravir les échelons de la hiérarchie sociale, jusqu’à devenir ami avec des
aristocrates, un duc et une duchesse. Mais ils sont loin de l’idéal imaginé : il est ennuyeux et
vulgaire, elle est superficielle et cruelle. Il se rend donc compte que la vertu et les vices ne
dépendent pas du niveau social. Il cherche tout de même une classe sociale idéale, isolée des
bassesses de la vie, en vain.

2. L’amour. Le protagoniste rencontre une jeune femme, Albertine, à la plage, et en tombe


amoureux. Il espère qu’elle le comprendra instinctivement à tous les niveaux, mais ce n’est
évidemment pas le cas. Personne ne peut complètement comprendre une autre personne :
la vie est solitaire.

3. L’art. Proust considère que l’artiste nous montre le monde d’une façon nouvelle, appréciable
et vivante. A l’opposé de l’art, il y a l’habitude – sordide familiarité aux choses qui nous en
voile le sens et la beauté. Les enfants ne sont pas encore affectés par l’habitude, c’est
pourquoi ils s’émerveillent de tout. Il nous faut donc lever ce voile, et c’est ce que font les
artistes. Le message fondamental de Proust n’est pas que tout le monde devrait faire de l’art
ou passer son temps dans les musées, mais que chacun porte un regard sur le monde qui soit
aussi généreux que celui d’un artiste.

Le « moment proustien » : tiré d’un passage du roman où le protagoniste est plongé, par le simple
goût d’une infusion et d’une madeleine, dans de merveilleux souvenirs d’enfance. L’art est comme
un long moment proustien : il nous rappelle et nous ré-éveille aux merveilles de la vie.
Emile Durkheim

Pourquoi le capitalisme nous rend plus riches et malheureux : Le philosophe et sociologue a vu la


France passer d’une société essentiellement rurale à citadine, et tout en constatant l’essor de
productivité permis par le capitalisme, il a également prévenu que ce dernier menait de plus en plus
de gens au suicide. Son étude, intitulée « Le suicide », révèle que dès qu’une nation s’industrialise et
que le capitalisme de consommation s’installe, le taux de suicide explose. Pour expliquer cette grave
baisse de moral, Durkheim a repéré 5 facteurs cruciaux :

1. L’Individualisme. Sociétés traditionnelles : identité liée à un collectif. Peu de choix


individuels. Dans le capitalisme, l’individu doit faire tous les choix (métier, religion, mariage,
appartenances…). Si tout va bien, l’individu se félicite, mais si tout va mal, l’individu se
retrouve apparemment le seul responsable – il a donc mérité ce qui lui arrive. L’échec
devient un jugement.

2. Des espoirs démesurés. Plus les possibilités sont extraordinaires, moins on se contente de la
vie ordinaire – qui est en fait souvent triste et douloureuse. Ces ressentis sont considérés
comme des signes d’échec alors qu’ils ne sont que des réactions naturelles à la vie humaine.

3. Trop de liberté. Le courant littéraire et philosophique des Romantiques a vivement critiqué


les normes imposées par les sociétés traditionnelles, et le capitalisme a suivi cette voie de
subversion, rendant les pays modernes plus complexes, plus diversifiés, plus anonymes. La
société, sous couvert de liberté (« Si ça marche pour toi, vas-y ! »), témoigne en fait de son
manque de conviction et d’intérêt au sujet des questions fondamentales de la vie humaine.
Nous aimons imaginer que nous sommes capables de réinventer la vie et de se débrouiller
par nous-mêmes – mais en réalité nous sommes souvent trop fatigués, trop occupés, trop
incertains.

4. L’athéisme. Bien qu’étant athée lui-même, Durkheim regrettait que la religion n’ait plus
l’influence qui lui aurait permis de raccommoder le « tissu social » fragilisé. Malgré ses
croyances erronées et ses dimensions gargantuesques, la religion propose une communauté
et un sens de consolation qui sont essentiels pour l’humain, et que le capitalisme n’a pour
l’instant pas comblé.

5. L’affaiblissement de la nation et de la famille. Certaines périodes du 19e ont pu laisser croire


que le concept de nation allait devenir si puissant et intense qu’il pourrait offrir un sens
d’appartenance et de dévotion partagée que la religion offrait auparavant. Malgré quelques
instants héroïques, l’idée de nation n’a pas marché aussi bien qu’on espérait. Si la famille a
pu sembler constituer pendant un temps le dernier rempart collectif et sacré dans lequel
chacun est libre d’investir pleinement, l’évolution des mœurs l’a rendu extrêmement instable
– les parents et les enfants sont de plus en plus considérés indépendants dans leurs choix, ils
ne partagent plus de notion d’honneur familial, ou d’autorité sur les choix des uns et des
autres. L’appartenance est vectrice d’un sens de transcendance, mais elle est contraignante.
Max Weber

P… : Le

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