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La philosophie est-elle inutile?

De par son étymologie, la philosophie signifie « Amour de la sagesse ». La sagesse ne pouvant s’acquérir
que par la quête du savoir, il en ressort une définition plus approfondie de la philosophie. Elle se
présente dès lors comme étant la recherche perpétuelle du savoir. Ainsi définie, la philosophie semble
revêtir une importance capitale. Cependant au fil du temps, celle-ci s’est vue confisquée son champ
d’analyse de la vie par les autres sciences telles que l’astronomie, la biologie, la psychologie. Il revient
donc aujourd’hui de se poser la question : La philosophie est-elle inutile ? En d’autres termes peut-on se
passer de la philosophie ? La philosophie est-elle sans intérêt ? N’est-elle pas bénéfique pour la société ?
Dans ce travail, il sera question de démontrer d’abord, dans quelle mesure la philosophie est inutile.
Ensuite, montrer que nous ne pouvons pas reprocher la philosophie d’être inutile au vue des intérêts
quelle représente. En fin, nous prouver que la philosophie loin d’être utile ou inutile, elle est plutôt
nécessaire pour l’Homme.

Première partie

La philosophie peut, il est vrai, se définir par son inutilité, en tant qu'elle n'a pas vraiment d'impact
immédiat et conséquent sur le réel, et qu'elle se caractérise par la propension au doute, à
l'indétermination. On peut opposer la philosophie à la science, et aussi la philosophie à la morale, car la
philosophie, contrairement à elles, ne peut influencer de façon positive le quotidien de chacun, la vie de
tous. La science peut ainsi prétendre à une utilité par les technologies qu'elle crée, qui facilitent la
communication, comme Internet par exemple, qui augmentent la production, le rendement, comme les
machines agricoles ou les engrais et pesticides, ou qui sauvent des vies, grâce aux différents vaccins par
exemple, et notamment celui de Pasteur contre la rage au 19 ième siècle. Ainsi les " progrès " de la
science sont palpables, visibles dans nos sociétés, et ressentis par ceux qui y ont accès. Ils se révèlent
utiles par différents critères comme nous l'avons vu, à savoir des critères de vitesse, d'efficacité,
d'innovation.

La philosophie n'a nullement ce pouvoir d'améliorer le réel, ou tout du moins de le transformer. Elle se
distingue également de la politique, en tant qu'elle n'appartient pas comme celle-ci au domaine de
l'action. La politique propose et réalise des modifications de la société. Elle possède cette caractéristique
de pouvoir influencer très concrètement la réalité d'un Etat, comme du monde. Elle est utile dans le
sens où non seulement elle propose, mais aussi elle applique des lois qui tendent à améliorer le réel. Les
améliorations, cette utilité donc, est visible et même quantifiable. Ainsi nous indique-t-on que suite à
telle loi, le taux de chômage est en baisse, ou que par exemple grâce à la politique du président
brésilien Lula, l'écart entre les riches et les pauvres s'est réduit. Une politique est efficace au non, par
opposition à la philosophie, qui, elle, ne pourra jamais prétendre voir ses effets nommés et jugés. Et
pour cause : la philosophie n'est pas de l'ordre de l'action. Enfin, alors que la morale prescrit de façon
précise des obligations concrètes, c'est-à-dire à appliquer de manière stricte dans la vie quotidienne,
qu'elle conduit à certaines valeurs, donc, et que, de plus, elle délimite clairement les frontières entre le
Bien et le Mal, la philosophie ne s'inscrit pas ainsi dans le réel et n'est donc de ce point de vue pas " utile
". Elle ne tend pas à améliorer directement la vie des gens, ni le fonctionnement de la société.

Au contraire du travail et de la technique qui se définissent en tant que moyens pour satisfaire des
besoins, moyens en vue d'une fin déterminée, moyens qui répondent à une utilité, la philosophie ne se
présente pas comme un moyen en vue d'une fin et la finalité même de la philosophie reste
indéterminée. La philosophie n'a pas de but en soi, même si elle comporte certains objectifs qui varient
d'ailleurs selon les philosophes, et elle ne vise aucunement l'utilité. Elle peut même, au contraire,
apparaître comme un obstacle à la visée de l'utile. Elle se caractérise en effet par son absence de
réponses certaines et immuables, par sa culture du doute. Certes, les philosophes ont parfois cherché à
atteindre la vérité, à établir des certitudes, tel Descartes qui recherche un point fixe, une vérité première
à laquelle accrocher toutes les autres, mais la philosophie en elle-même n'apporte en fait aucune
certitude démontrable et indubitable. Les réponses, les pensées des philosophes, demeurent des
réponses personnelles, des appréhensions tout à fait subjectives du réel. Il s'agit bien de traiter de la "
métaphysique " c'est-à-dire de ce qui ne relève pas du sensible mais de l'abstrait, de la pensée pure. La
philosophie ne peut établir son jugement sur des faits mais seulement sur son jugement, sa capacité à
raisonner, sur un " cogito ". Ainsi Socrate affirmait-il : " je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien "
: cette propension au doute ne peut permettre d'agir et peut même freiner l'action... Les sceptiques,
puisqu'ils pensaient qu'il est impossible de connaître la vérité, prônaient le fait de suspendre son
jugement. Mais jusqu'à quel point peut-on se passer de prendre des décisions dans la vie de tous les
jours ? C'est proprement cela qui conduit Descartes à proposer une morale pour l'action, en parallèle à
ses " Méditations ". En attendant de trouver des réponses, il faut bien se fixer des règles de vie. La
philosophie rencontre donc l'obstacle de la réalité immédiate, dont elle ne se préoccupe pas à
proprement parler directement. Enfin la philosophie se définit par son aspect atemporel. En effet, elle
ne subit pas les contraintes du temps, elle nécessite au contraire de " prendre son temps ". De ce point
de vue encore, elle s'oppose à l'action, qui, elle, s'inscrit à la fois dans l'espace et dans le temps.

La philosophie n'est pas utile parce qu'elle n'a pas un pouvoir d'action concrète sur le réel. Elle est
inutile dans le sens où elle ne se préoccupe que de données abstraites, qu'elle ne donne lieu à aucune
certitude, que ses objectifs restent indéterminés, et qu'elle se situe hors du temps. Loin de proposer une
amélioration de la vie des hommes, elle peut au contraire la compliquer et même la paralyser.
Cependant, la philosophie est une donnée inhérente à notre monde. Elle s'inscrit dans l'histoire de
l'humanité, elle est présente à travers un très grand nombre de civilisations. On peut alors s'interroger
sur l'intérêt qu'elle présente et sur le fait que son inutilité ne soit pas suffisante pour la récuser.

Deuxième partie

Ainsi nous (la société, chaque être humain) ne pouvons-nous autoriser à récuser la philosophie en
raison de son inutilité, parce qu'elle présente des intérêts certains, certes inquantifiables, comme nous
l'avons vu, mais bel et bien existants. Nous pourrions aussi évoquer l'utilité de la " production " de
certaines idées philosophiques. La philosophie peut se révéler utile en tant qu'elle oriente l'action et
qu'elle apporte une compréhension du réel.
Rappelons tout d'abord que, étymologiquement, philosopher signifie " aimer la sagesse ". la philosophie
se propose donc de tendre vers un idéal de sagesse, de bonheur. Elle guide les hommes en fonction de
cette aspiration et en fonction de divers moyens pour y accéder. Ainsi les stoïciens développent le
concept d'un mode de vie tourné vers l'ataraxie, c'est-à-dire l'absence de troubles. Il faut pour cela,
disent-ils, distinguer ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, et nous satisfaire de ne modifier
que les choses que nous avons la capacité de changer ; Descartes, reprenant ces idées, disait : " mieux
vaut changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde ". Pour atteindre un possible bonheur, il faut
davantage penser à soi qu'au monde. Les épicuriens formulent de même des maximes qui visent à
réaliser un état d'ataraxie et de bonheur chez l'homme. Ils recommandent ainsi de ne pas avoir peur ni
de la mort ni des dieux et de trier nos désirs, c'est-à-dire de distinguer ceux qui sont réalisables de ceux
qui ne le sont pas. Les philosophes prescrivent donc des orientations, des conseils quant aux modalités
de la vie. Ils proposent également des fictions politiques, voire les réalisations de certains régimes.
Rousseau dans son Contrat social, détermine ainsi les principes de l'Etat de droit, de volonté générale.
Ces principes servent aujourd'hui de fondements au régime républicain démocratique. A travers sa
pensée existentialiste, Sartre développe l'idée selon laquelle l'homme se constitue par ses actes, qu'il est
absolument libre, c'est-à-dire responsable de ses actions. Une telle thèse pose l'homme comme un être
d'action et ne peut donc que le pousser à agir, et à agir avec précaution, en tant justement qu'il est
responsable de ce qu'il fait, à l'inverse d'une conception déterministe de l'homme.

Les philosophes cherchent également à comprendre le réel, à l'expliquer. Comme l'indique

la citation du temple de Delphes, " connais-toi toi-même " : il s'agit avant tout de savoir qui nous
sommes. Il est indéniable que la philosophie tend aussi à nous rapprocher de la vérité. Nous n'oublions
pas que la philosophie n'est pas une science et qu'elle n'apporte donc aucune connaissance ; mais elle
stimule les sciences, leur indique des orientations de recherche, et fournit des interprétations du réel.
Nous pensons par exemple à Locke et à Hobbes qui ont fourni des explications quant au passage de la
société à l'Etat, et qui, par la même occasion, définissent ce qu'ils entendent par Etat. Nous pensons
également à Merleau-Ponty qui propose une nouvelle interprétation de la perception. La philosophie,
de ce point de vue, permet une compréhension du réel. Cette compréhension est évidemment
nécessaire à l'évolution de l'homme, à son impact sur le monde. C'est en s'interrogeant sur ce monde,
qu'il arrivera à s'approprier ce monde, comme lui-même, et donc à vivre mieux.

C'est ainsi en s'interrogeant, en doutant, que l'homme devient également tolérant, convient de son
humanité et de la complexité de celle-ci. Par la pensée philosophique, l'homme s'affranchit ainsi d'une
certaine " barbarie ", c'est-à-dire qu'il prend de la distance avec soi-même et qu'il apprend à être maître
de lui. Sans pour autant dire que la philosophie est le remède miracle, la solution contre le chaos et pour
la paix, on peut noter qu'elle participe à un mouvement d'émancipation, qu'elle favorise le dialogue.
Nous ne négligeons bien sûr pas des théories philosophiques violentes comme celles de Nietzsche mais
il nous semble tout de même nécessaire de remarquer que la philosophie, en tant qu'un chemin vers la
sagesse, ne peut qu'être un moyen de devenir sage, donc le plus humain possible.

La philosophie oriente ainsi les pensées et donc les actions des hommes. Elle est nécessaire pour les
sociétés en tant qu'elle conduit à un idéal de sagesse, qu'elle marche vers le Beau, le Bien, le Vrai, selon
l'expression de Platon. A cet égard, elle peut apparaître comme utile. Cet adjectif est pourtant à
employer avec précaution. Il semble que la philosophie soit plus " essentielle " à l'homme qu' " utile " ,
comme nous la verrons dans notre dernière partie.

Troisième partie

Il n'est pas ainsi approprié de parler d'utilité, ou même d'inutilité, à propos de la philosophie. En tant
que réflexion, que passion, qu'essence même de l'homme, la philosophie se préoccupe peu de son
utilité.

Il ne s'agit pas de " produire " de la pensée, encore moins de la pensée utile, mais bien plutôt de
réfléchir. Comme Montaigne le disait à propos de l'éducation des enfants dans son chapitre " De
l'instruction " des Essais, il faut avoir " une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine ". La
philosophie apprend à réfléchir, à problématiser, plutôt qu'elle ne cherche à établir des certitudes, des
connaissances. On pourrait aussi l'opposer à l'histoire, aux sciences de l'homme, qui comme la
philosophie, cherchent à comprendre le monde, l'être humain et la société, mais qui se basent sur les
faits et qui établissent des certitudes et même des lois. Descartes disait : je ne suis pas plus intelligent
qu'un autre, mais j'ai une méthode, soulignant ainsi le désir de structurer sa pensée, de lui fixer des
règles, formulant en quelque sorte le propre de la philosophie. Rappelons à ce propos que la philosophie
s'attache à la raison, qu'elle se veut donc essentiellement logique.

La philosophie " aime ". C'est un plaisir, une passion, et en cela, elle ne peut se définir par son utilité. On
peut s'interroger d'ailleurs sur un possible parallèle entre ce qui est plaisant mais pas utile, comme
l'amour, l'art, la philosophie, et ce qui est désagréable mais utile, comme le travail, dont l'étymologie est
" tripalium ", c'est-à-dire instrument de torture. Bien sûr il s'agit de ne pas faire d'amalgame, ce qui est
utile peut être plaisant. Mais la philosophie est un plaisir avant tout et de plus une donnée qui semble
inhérente à l'homme. La vie, en effet, ne peut se réduire à des considérations matérielles. L'homme est
également un esprit, un esprit pensant. Pour Descartes, il est même avant tout un " cogito ". L'homme a
besoin de s'épanouir de façon intellectuelle et psychologique en réfléchissant, en se posant des
questions, en appréhendant l'abstrait. Et soulignons que même s'il s'agit d'un besoin pour l'homme de
philosopher, la philosophie ne représente pas quelque chose d'utile pour l'homme, mais plutôt quelque
chose de nécessaire, d'essentiel. Ainsi, pour Socrate, la philosophie est une maïeutique. Chaque homme
est philosophe, il faut le faire accoucher de sa faculté philosophique. La philosophie ne s'enseigne pas
puisqu'elle est à l'intérieur de chacun d'entre nous.

Il ne semble pas approprié de parler de l'utilité de la philosophie puisque la philosophie ne se définit


absolument pas par cette donnée, mais bien plutôt par la réflexion et le plaisir qu'elle suscite. En tant
qu'inhérente à chaque être, il semble de plus qu'elle soit impossible à récuser. Le critère d'inutilité est
totalement insuffisant pour récuser la philosophie.

Le propre de la philosophie ne réside pas dans son inutilité ou son utilité, et donc son aspect inutile
indéniable n'est pas en mesure de nous déranger. Nous ne demandons pas à la philosophie d'être utile.
Pourtant, à certains égards, elle peut l'être, ou plutôt elle présente des intérêts non négligeables. Celui
par exemple de nous faire réfléchir sur le fait que tout ne se réduit à l'utile, qu'il est possible de se
dégager de cette notion parfois dangereuse comme lorsqu'elle nous fait tomber dans l'utilitarisme. Ainsi
la philosophie nous apprend-elle qu'il vaut mieux parfois privilégier l'intérêt de l'autre par rapport au
sien, ce qui ne présente rien d'utile. Mais ce qui ne nous paraît pas utile directement peut l'être à une
échelle plus grande, comme celle de l'humanité. Ce qui n'est pas utile immédiatement, concrètement,
peut l'être dans une dimension plus large. C'est le cas de la vertu et de la philosophie. Ainsi la
philosophie est moins utile que nécessaire.

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