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Baccalauréat Technologique

Session 2023

Épreuve : Philosophie

Durée de l’épreuve : 4 heures

Coefficient : 8

PROPOSITION DE CORRIGÉ

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Sujet 1 : L’art nous apprend-il quelque chose ?

Introduction

On se demande souvent à quoi peut servir l’art. Il semble qu’il n’a pas d’autre but que la
distraction ou l’ornement. Du moins est-ce ainsi que les choses se présentent souvent dans
notre société. D’un autre côté, l’art fait partie de la culture, au point que l’on identifie souvent
culture et art. Si on admet que la culture désigne tout ce qui permet de développer les germes
qui existent naturellement dans l’être humain, en ce sens, l’art pourrait nous apprendre
quelque chose et trouverait ainsi toute sa place dans les études. D’un autre côté, cependant,
depuis au moins le XVIIIe siècle, il semble que donner un but didactique à l’œuvre est une
façon de la dénaturer et de produire un art académique et stéréotypé. L’expérience du
XXe siècle où les régimes totalitaires ont transformé l’art en moyen de propagande a renforcé
le rejet de la finalité didactique de l’œuvre d’art. L’art ne nous apprendrait rien et ne viserait
que l’émotion, la vibration intérieure de celui qui est confronté avec l’œuvre.

Dans un premier temps, nous verrons que l’art nous apprend d’abord le passé et qu’il
est formateur.

Nous pouvons dire que l’art en tant que véhicule de la culture nous apprend notre propre
culture et celle des autres civilisations. Nous n’avons accès à la pensée des générations qui
nous ont précédés que par ce qu’elles ont laissé, c’est-à-dire essentiellement des œuvres d’art.
Des Grecs anciens, nous connaissons surtout l’architecture, la sculpture, la poésie et les
épopées, la philosophie.

L’art peut aussi être le moyen privilégié de nous rapprocher des civilisations différentes de la
nôtre. La peinture japonaise ou les œuvres des aborigènes d’Australie nous ouvrent l’esprit
vers d’autres représentations du monde, d’autres modes de penser qui nous apprennent à
reconnaître l’universalité de l’humanité dans son infinie diversité.

Longtemps, l’art eut une puissance formatrice pour les jeunes gens. On sait que les jeunes
Grecs apprenaient dans l’Iliade et l’Odyssée les vertus essentielles pour les citoyens grecs.
Ces deux longs poèmes enseignaient une certaine approche de la vie. De la même façon, l’art
religieux a pour fonction de transmettre la religion. Les chrétiens, catholiques autant
qu’orthodoxes, utilisèrent l’image peinte pour transmettre les récits bibliques et évangéliques.
Partout dans le monde, chant et danse sont intégrés aux rituels religieux. L’art ici est donc ce
qui nous apprend l’essentiel de ce que nous devons savoir pour déterminer le sens de notre
existence et affronter les questions les plus importantes auxquelles nous serons confrontés.

On pourrait, cependant, se dire que l’art aujourd’hui n’a plus cette haute valeur que lui
donnaient les siècles passés. L’art vaut par lui-même, indépendamment de toute visée
didactique. Si le beau est ce qui plaît universellement sans concept, pour le dire avec Kant,
l’art en tant qu’il recherche la beauté vise ce plaisir désintéressé et rien d’autre. Il n’est pas là

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pour apprendre quoi que ce soit. On n’apprend pas l’histoire en regardant les tableaux de
David ni la théorie de la lumière en regardant ceux de Monet !

Que l’art transmette des valeurs morales est également très discutable. Après tout, les héros de
l’Iliade et l’Odyssée ne sont pas des modèles éthiques au regard de nos critères modernes. De
même, de nombreuses œuvres d’art furent condamnées pour immoralité – Les fleurs du mal
de Baudelaire ou Madame Bovary de Flaubert. En outre, l’art à visée explicitement
moralisatrice devient vite très ennuyeux et semble perdre toute valeur artistique – ainsi la
peinture « réaliste socialiste » à l’époque soviétique.

Enfin, dans la connaissance de l’art des périodes anciennes, nous n’avons plus affaire qu’à des
œuvres séparées de leur contexte, puisqu’en réalité le monde de ces œuvres nous est inconnu.
Et donc la connaissance qu’elles nous donnent est très imparfaite. L’archéologie, la
paléontologie, l’étude des techniques et des vestiges humains nous en apprennent beaucoup
plus sur notre propre passé que la seule admiration des œuvres qui nous restent.

L’art nous procure la plus grande jouissance du beau et on n’a rien à lui demander d’autre.
L’œuvre d’art s’adresse à tous, savants ou ignorants, et elle peut toucher tout le monde sans
avoir de « message » à délivrer.

Pour autant, on ne peut pas réduire l’art à cette pure émotivité qui finit par araser
toutes les valeurs et confondre art et distraction.

Tout d’abord, la fréquentation des grandes œuvres d’art nous apprend à reconnaître leur
valeur. Aussi agréable ou jolie que soit la chanson de variété, on apprend à reconnaître la
valeur supérieure de la musique dite classique. On apprend ainsi qu’il y a dans l’œuvre d’art
quelque chose de plus profond que ce qui se donne au premier abord. Dans le visage des
madones de la peinture renaissante italienne, dans le sens de la lumière des impressionnistes,
il y a quelque chose qui résonne en nous, et qui n’a rien à voir avec la distraction, mais bien
avec les plus hautes destinées de l’humanité.

Hegel soutient que l’art est l’appréhension sensible du vrai. Suivons cette piste qui permettrait
de réconcilier les deux approches que nous avons suivies jusqu’à présent. L’art s’adresse aux
sens et non à l’intellect et, par là même, il ne nous apprend pas quelque chose comme ce que
nous apprennent les leçons de mathématiques ou d’histoire. Mais il est l’appréhension du vrai,
c’est-à-dire qu’il nous apprend bien quelque chose ! Nous avons appris une vérité sur l’âme
humaine, non pas une vérité qui pourrait s’énoncer par des mots, des phrases ou des discours,
mais une vérité que nous sentons et qui révèle le sens profond de notre humanité. En effet,
l’art ne sert à rien, il n’est pas utilitaire, mais justement par sa gratuité il met en exergue ce qui
fait la dignité de l’existence humaine.

En conclusion

L’art nous apprend bien quelque chose, mais ce n’est pas, ou pas seulement, ce qu’il présente
explicitement à nos sens. L’histoire des héros d’Homère peut faire le scénario d’une série

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télévisée. Mais la lecture de ces épopées nous met d’emblée au cœur du drame humain, ce qui
est bien plus important que de savoir si Troie a existé réellement et où.

Sujet 2 : Transformer la nature, est-ce gagner en liberté ?

L’homme est une partie de la nature dont il suit le cours, affirmait Spinoza. Pourtant l’homme
ne se soumet pas à la nature. Ce qui le fait homme, c’est cet effort qui parcourt toute l’histoire
de notre genre, depuis les premiers Homo habilis, pour sortir de l’état de fragilité et d’extrême
soumission à l’égard des forces de la nature. À la différence des autres animaux qui sont
adaptés biologiquement à la nature ou doivent disparaître, l’homme cherche à adapter la
nature à lui-même et doit donc la transformer profondément. Cette transformation apparaît
comme une libération : les hommes ne sont plus soumis aux aléas climatiques, à la crainte des
animaux sauvages, à l’angoisse de la faim. Ils peuvent agir selon leurs propres finalités, qu’ils
ont eux-mêmes décidées. Pourtant, cette transformation de la nature a un coût : de nouvelles
menaces pèsent sur nous (épuisement des ressources, bouleversements climatiques) et la
complexité croissante de nos organisations sociales semble entraver notre liberté. Quand
Descartes annonçait que la science moderne nous rendrait « comme maîtres et possesseurs de
la nature », n’était-ce pas un leurre ?

En premier lieu, transformer la nature n’est pas vraiment un choix. Comme le disait le
mythe de Prométhée, rapporté par Platon, l’homme est né comme le plus dépourvu des
animaux. Heureusement, il a compensé ce dénuement originel par la technique, qui lui a
permis de fabriquer des armes pour remplacer les griffes et les crocs, de maîtriser le feu pour
cuire ses aliments et mieux les digérer et également éloigner les prédateurs. Toutes ces
activités dictées par le besoin ont pourtant ouvert un champ de possibles qui a permis à
l’homme de déployer son intelligence et de se libérer. C’est ainsi que les humains ont peuplé
toute la surface de la Terre, jusqu’aux contrées les plus froides et les plus inhospitalières ! Il a
d’emblée pris la liberté d’aller et de venir où bon lui semble, ce qui est la première des
libertés, selon des philosophes comme Hobbes.

Transformer la nature, c’est en maîtriser les forces pour les mettre au service des hommes et
ainsi augmenter les pouvoirs de l’homme, dont les outils et les machines démultiplient les
pouvoirs naturels. La liberté a évidemment un rapport avec la puissance et la domestication
des fleuves, des autres sources d’énergie, des moyens des technologies de l’information, etc.,
donne un incontestable sentiment de puissance qui apparaît comme un sentiment fort de la
liberté de l’homme.

Enfin, es progrès de la médecine, non seulement ont permis de prolonger la durée de la vie,
mais ont aussi permis d’envisager la transformation de notre propre nature, et de nous rendre
« plus sages et plus habiles » comme le disait encore Descartes.

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Autrement dit, nous avons été contraints de transformer la nature, mais c’est dans cette
contrainte que s’est affirmé notre liberté.

Cependant, cette liberté n’est peut-être qu’une liberté illusoire puisqu’elle se paye de
contraintes nouvelles qui feraient regretter « la vie sauvage » comme celle à laquelle
aspire le héros du film Into the wild.

La transformation de la nature exige et produit en même temps des sociétés de plus en plus
complexes et cette complexité entraîne à son tour de multiples contraintes qui sont autant
d’entraves à la liberté. On peut imaginer, comme Rousseau, qu’il fut un temps où les hommes
tout en étant liés par des liens sociaux restaient très indépendants, c’est ce qu’il appelle « l’âge
des cabanes ». Mais la civilisation commence avec l’établissement des grandes cités et la
sédentarisation des populations qui va avec le contrôle de l’État sur la vie des producteurs, en
premier lieu les agriculteurs. C’est ce que nous montrent les civilisations de la Mésopotamie
et d’Égypte. Loin d’être une libération, cette phase de l’histoire humaine apparaît plutôt
comme la domestication de l’homme, qui perd alors sa liberté. Plus généralement dans
l’histoire, il semble bien que la liberté de quelques-uns se soit payée du servage du plus grand
nombre. Dans la société contemporaine, la puissance technologique pourrait bien permettre un
maillage encore plus serré des individus, faisant des grandes dystopies, comme 1984 ou Le
meilleur des mondes de simples anticipations de ce qui se passe sous nos yeux.

La maîtrise technique de la nature pourrait également se transformer en soumission de


l’homme à la technique. Une grosse panne du réseau électrique ou de l’Internet produit des
ravages considérables. Nous mesurons alors notre extrême fragilité et finalement notre
extrême dépendance. Nous pourrions ne pas avoir gagné en liberté, mais simplement
remplacé notre asservissement à la nature par un asservissement à la technique.

Enfin, cette transformation de la nature fait peser sur l’humanité de nouvelles menaces.
L’activité industrielle est confrontée à un épuisement potentiel des ressources naturelles qui
ne sont pas illimitées ! En outre, les bouleversements climatiques annoncés, causés par la
hausse des températures dont l’effet de serre serait la cause principale, pourraient rendre tout
simplement inhabitable toute une partie de notre planète. Nous ne pourrions survivre que dans
un régime de pénurie et de surpopulation qui rendraient inévitable l’établissement de pouvoirs
politiques tyranniques.

Face à ces perspectives, nous devons retrouver le sens de la mesure. Ce n’est sans doute
pas la maîtrise du feu ni celle de l’agriculture qui menacent notre liberté, mais bien plutôt la
démesure qui frappe nos sociétés. « Rien de trop » : tel était l’un des adages inscrits au fronton
du temple d’Apollon à Delphes. Nous sommes bien menacés par la démesure de nos
entreprises de transformation de la nature.

Prenons un exemple : la médecine est en soi une bonne chose ; mais gagnerions-nous en
liberté si nous pouvions modifier génétiquement la nature humaine pour produire un
« transhumain » ? Un tel humain produit d’un projet que nous aurions conçu ne serait pas plus
libre, mais moins libre que nous, précisément parce qu’il serait l’objet d’une volonté humaine.
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Nous devons également apprendre à doser nos ambitions : les contraintes en matière de
ressources ou de climat exigent que nous renoncions au « toujours plus » qui caractérise nos
sociétés depuis les débuts de l’ère industrielle. Il n’est rien de plus absurde que de vouloir
toujours plus d’automobiles, toujours plus puissantes, et toujours plus grosses pour rouler sur
des routes encombrées soumises à des limitations de vitesse !

Ne plus nous laisser entraîner par nos passions d’accumulation, par notre volonté de
puissance, voilà ce qui exige une libre volonté, en refusant de confondre la volonté avec le
fantasme infantile de toute puissance.

En conclusion

Limiter notre action sur la nature à ce qui est strictement nécessaire, ce n’est pas renoncer à
notre qualité d’hommes, héritiers de ce Prométhée à qui, selon la légende, nous devons le feu.
Mais faire de notre puissance un usage raisonné, préservant le métabolisme de l’homme et de
la nature, c’est cela gagner en liberté.

Sujet 3 :

Introduction

Les êtres humains, pour survivre et être en sécurité vivent en société. Mais celle-ci ne peut
perdurer que si y règne la justice, c’est-à-dire le respect des droits de chacun, en particulier
le droit d’être protégé et d’être en sécurité. Aussi, celui qui ne prête pas attention aux
conséquences de ses actes mérite-t-il d’être puni de la même manière que celui qui
agit avec une intention délibérée ? Telle est la question que se pose ici Adam Smith,
auteur écossais du XVIIIe siècle. En effet, dans la mesure où les conséquences pourraient
être identiques, on pourrait penser que la punition devrait être similaire. Pourtant, nous dit
Adam Smith, même si l’insouciance des autres peut particulièrement nous heurter par
sa bêtise, nous trouverons injuste de condamner de la même manière quelqu’un qui a
agi par négligence sans entraîner une conséquence néfaste et quelqu’un qui a agi avec
la volonté intentionnelle de mal agir. Le sentiment de justice que nous éprouvons en nous
s’y oppose. Pour justifier cette thèse, Adam Smith commence par prendre un exemple de
quelqu’un qui agit sans se soucier des conséquences de ses actes pour les autres. Déjà, cette
attitude peut nous choquer. Elle nous choque d’autant plus s’il s’avère que son action
entraîne des conséquences dramatiques. Nous avons tendance alors à considérer qu’il a agi
délibérément, nous explique-t-il dans un second moment. Pourtant, même si nous jugeons
son acte comme particulièrement répréhensible, notre sentiment intérieur de justice nous
incite à faire la différence entre un acte intentionnellement malveillant et un acte commis
par négligence, affirme l’auteur dans le troisième moment du texte.

I La négligence est en elle-même un acte délictueux (L. 1 à 7)

Adam Smith commence cet extrait en énonçant une hypothèse : quelqu’un qui agit par
négligence serait en quelque sorte coupable, même si son action n’entraînait aucune
conséquence préjudiciable pour quiconque. La négligence serait donc déjà en elle-même
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une mauvaise action, en tout cas une action qui ne prend pas en compte l’existence des
autres personnes.

Pour illustrer cette idée, l’auteur prend un exemple : quelqu’un qui jetterait une pierre du
haut d’un mur sans prévenir. Bien sûr, son intention n’est pas de tuer quelqu’un, le jet de la
pierre n’a pas ce but. Il s’agit pour lui, peut-être, de réaliser son travail. On ne peut donc
lui prêter explicitement une intention mauvaise. Pourtant, par sa négligence, il peut tuer
quelqu’un qui passe à ce moment-là et qui reçoit la pierre. Imaginons des ouvriers en train
de réhabiliter un immeuble et qui n’auraient pris aucune mesure de protection et de sécurité
pour protéger les passants, nous trouverions cela très dangereux et inconscient, parce que
nous penserions qu’ils prennent des risques inconsidérés pour les autres et nous trouverions
cela inacceptable. C’est pourquoi lorsque nous agissons avec négligence, cela signifie que
nous sommes indifférents au sort des autres, nous ne les respectons pas. Cela met
également en évidence l’indifférence que nous manifestons vis-à-vis de nos actes.

Or si nous vivons en société, c’est, pour une bonne part, nous protéger les uns les autres et
la justice que nous mettons en place vise également à nous protéger les uns des autres.
Aussi celui qui agit avec négligence, même si son action n’entraîne aucune conséquence
pour autrui, est malgré tout coupable de ne pas respecter le « pacte » commun selon lequel
nous nous devons un respect mutuel. Cela signifie, en effet, dans ce cas que l’existence des
autres ne lui importe pas ou peu, et cela est moralement répréhensible. C’est pourquoi
Adam Smith affirme qu’« une police vraiment exacte châtierait une action si absurde,
même si elle n’avait fait aucun mal. » Si nous reprenons l’exemple des ouvriers du
bâtiment, s’ils travaillaient sur un immeuble sans avoir prévu de protéger les passants, ils
seraient susceptibles a minima d’une amende justement pour négligence envers la vie
d’autrui.

II La négligence révèle une injustice (L. 7 à 15)

D’ailleurs, dans un second moment, Adam Smith tire la conséquence de la négligence : « il


y a une injustice réelle dans cette conduite ». On pourrait penser que cette affirmation est
un peu excessive. La négligence ne paraît pas être une injustice, mais plutôt la mise en
évidence d’une indifférence, peut-être d’une insouciance. Adam Smith justifie alors son
affirmation : agir avec négligence, c’est agir sans tenir compte d’autrui, c’est en cela qu’il
y a injustice. Adam Smith se place ici sur un plan moral : négliger l’existence de l’autre,
c’est agir de manière immorale, c’est-à-dire en se donnant en quelque sorte des privilèges,
en considérant la vie des autres comme négligeable et comme ayant moins de valeur que la
sienne propre, c’est manquer « du sens de ce qui est dû à ses semblables ». Et ce que nous
devons aux autres, comme le dira Kant, c’est le respect de leur humanité. Négliger la
sécurité des autres, c’est en effet négliger leur vie, c’est considérer qu’elle a une
moindre valeur. C’est en ce sens que nous avons affaire à un projet « malveillant »,
car, même si aucune conséquence néfaste ne s’ensuit, cela aurait pu arriver. C’est en
cela que la loi peut intervenir. Ainsi, elle peut punir quelqu’un qui a été négligent, qui a
« oublié » de tenir compte de la vie d’autrui. On peut prendre l’exemple du code de la route
qui nous punit lorsque nous commettons des infractions. Nous ne sommes pas punis
seulement parce qu’il est interdit de « brûler » un feu rouge, mais nous sommes punis parce
qu’en passant alors que le feu était rouge, nous aurions pu causer un accident avec une
voiture qui elle avait le feu vert et qui respectait le code de la route.

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On voit bien en quoi la négligence peut se révéler injuste. Elle l’est d’autant plus lorsque
justement elle entraîne des conséquences irréversibles. C’est pourquoi la justice considère
que celui qui a agi par négligence est malgré tout responsable des conséquences de ses
actes comme si ceux-ci avaient été réalisés délibérément, c’est-à-dire avec la volonté de
mal faire ou de faire mal. Nous considérons que son « insouciance », c’est-à-dire le fait
qu’il ne se soit pas préoccupé des conséquences de ses actes, est déjà quelque chose de
répréhensible. En effet, les lois considèrent, pour qu’elles aient justement une efficience,
que les personnes sont responsables de leurs actes, sinon on ne pourrait pas le leur
reprocher. Et donc, même si nos actes sont commis sans intention délibérée de nuire, mais
avec seulement un manque d’attention envers autrui, nous sommes quand même
responsables des conséquences de ces actes et nous devons en rendre compte. D’ailleurs,
un acte commis par négligence peut nous sembler « atroce » justement du fait de cette
négligence, de ce manque de considération des autres et peut justifier le « châtiment le
plus sévère ».

III Pour autant, même si les conséquences sont identiques, nous ne punirons pas de la
même façon une action par négligence et une action préméditée (L. 15 à 22)

Lorsque les conséquences d’une négligence entraînent la mort de quelqu’un, cela est
évidemment encore pire. La personne, par sa négligence, n’avait certainement pas
l’intention délibérée de tuer la personne qui passait par là. On ne peut parler dans ce cas de
meurtre ou d’assassinat, mais son indifférence a tué et elle est responsable de sa
négligence. C’est pourquoi on va la juger et la punir. Adam Smith nous dit que dans de
nombreux pays, cette personne serait condamnée à mort. Cela était sans doute vrai au
XVIIIe, mais ne l’est plus aujourd’hui dans beaucoup de pays où la peine de mort a été
abolie. Toutefois, la bêtise ou l’insouciance de celui qui n’a pas réfléchi aux conséquences
de ses actes ou y a été indifférent nous heurtent, d’autant plus que l’on trouve cela stupide,
parfaitement injuste et injustifiable. Mourir à cause de la négligence d’un autre nous paraît
particulièrement insupportable. C’est pour cela que nous exigeons que le coupable soit
puni. Pour autant, même si la conséquence est la même, à savoir la mort, on ne jugera
pas de la même façon, nous dit Adam Smith, quelqu’un qui a tué accidentellement
une personne et quelqu’un qui a tué avec préméditation. Plus encore, nous ne
punirons pas de la même façon quelqu’un qui agit par négligence, mais sans aucune
conséquence néfaste. Et même si la négligence nous heurte particulièrement lorsque
nous imaginons les conséquences qu’elle aurait pu avoir, nous faisons malgré tout la
différence entre intention et conséquences, et entre intention malveillante et intention
par négligence.

CONCLUSION

Ainsi, même si des actes aux conséquences identiques nous heurtent de la même façon, il
n’en demeure pas moins que nous faisons une différence entre celui qui a agi sans penser
aux conséquences de ses actes et celui qui a mal agi volontairement. Le premier est certes
coupable, mais surtout coupable d’avoir été négligent, ce qui en soi est préjudiciable, sans
volonté explicitement malveillante, alors que le second est coupable d’avoir eu des
intentions mauvaises. Et notre sentiment moral de justice nous permet de faire une
différence de degré entre les deux situations.

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