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de philosophie
Bac et concours
Aurore Boni
« Pour les Nuls » est une marque déposée de John Wiley & Sons, Inc.
« For Dummies » est une marque déposée de John Wiley & Sons, Inc.
© Éditions First, un département d’Édi8, Paris, 2019. Publié en accord avec
John Wiley & Sons, Inc.
ISBN : 978-2-412-04596-1
ISBN numérique : 978-2-412-05253-2
Dépôt légal : août 2019
L’organisation de ce livre
L’organisation de l’ouvrage en de petites unités que sont les
fiches – quelques pages au maximum – permet de rechercher et
d’obtenir rapidement l’information souhaitée. Par ailleurs, ce
découpage aide celui qui souhaiterait, en travaillant un peu
chaque jour ou de façon régulière, avoir une vue synthétique de
l’ensemble des notions étudiées. Enfin, le regroupement des
fiches en chapitres et des chapitres en parties – qui sont celles du
programme de philosophie des classes de terminale – permet
tout à la fois au lecteur d’avoir une vue d’ensemble des objets
qui sont ceux de la philosophie et, s’il en éprouve le désir,
d’approfondir l’étude d’un de ces objets en parcourant les
différentes fiches d’un même chapitre.
Première partie : Le sujet,
entre intériorité et ouverture
sur le monde
Il nous a semblé pertinent de commencer notre réflexion
philosophique en nous intéressant d’abord à celui qui mène à
bien cette réflexion : l’homme. Qu’est-ce que l’homme ? Quel
rapport entretient-il avec ses semblables et avec le monde qui
l’entoure ? Faut-il penser l’homme comme un sujet ou ce dernier
constitue-t-il un modèle réducteur pour comprendre l’être que
nous sommes ?
» Le cogito
» L’illusion du moi
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
Du doute au cogito…
À l’issue de la première méditation, la pensée de René
Descartes (1596-1650) n’est que doute : aucune des choses qu’il
croyait vraies (sensations, croyances, prétendues
connaissances…) ne l’est en réalité. Il va prolonger le doute
jusqu’à l’extrême pour trouver une certitude qui sera absolue et
qui lui permettra de se débarrasser de toutes les idées douteuses,
et de reconstruire, sur ce point certain, l’édifice complet des
connaissances. Le monde est supprimé, aucune altérité n’a
résisté au doute. L’individu doit donc se tourner vers ce qui n’est
pas autre que lui-même, à savoir son intériorité : « Moi donc à
tout le moins ne suis-je point quelque chose ? »
Le moi vers lequel Descartes se tourne n’est pas un « objet » au
même titre que les objets qu’il a écartés précédemment (le corps,
autrui, le monde, etc.). Ce moi est quelque chose qui existe, mais
qui ne s’est pas perdu avec la disparition du monde. Quand bien
même il rêverait ou serait trompé par le malin génie, cela ne
changerait rien : il serait forcément vrai que le moi fait ce rêve,
et est victime de cette illusion.
Cette évidence n’est évidente que tant qu’elle est actuelle, c’est-
à-dire pendant qu’elle se produit. Autrement dit, elle n’est vraie
et certaine que pendant le temps où elle est vécue. Ceci explique
pourquoi Descartes formule cette évidence à la première
personne du singulier et pourquoi elle ne vaut que pour cette
personne.
Cette vérité a une nature singulière puisqu’elle est à la fois
absolue – elle va constituer un point d’appui pour reconstruire le
savoir – et subjective – c’est une vérité en première personne.
Cet énoncé « je suis, j’existe » ne saurait constituer une vérité
d’objet : en effet, à ce moment de l’argumentation, le doute
cartésien a supprimé tout ce qui existe à l’extérieur du moi,
c’est-à-dire, à strictement parler, toute objectivité. Cette vérité
est vraie parce qu’en elle tout est subjectivité et qu’elle n’est
donc pas un objet (lequel n’aurait pas résisté au doute).
Décrire
Pour comprendre ce lien, il faut partir du fait que la méthode
phénoménologique de Husserl est descriptive. En effet, saisir un
objet revient, pour la conscience, à le décrire. Or, décrire
consiste à dire ce que l’on voit, d’une part, en essayant de
n’omettre aucun des aspects de la chose ou de l’action que l’on
va décrire, et, d’autre part, en visant à ne pas ajouter à cette
description des aspects inventés ou des traits perçus dans des
expériences voisines.
Il n’en reste pas moins qu’une description sans ajout est
impossible. Lorsque notre conscience décrit le monde, elle
intègre à la description qu’elle fait de telle expérience singulière
(ce coucher de soleil) des caractères qui relèvent du souvenir
qu’elle a d’événements passés (les couleurs d’autres couchers de
soleil), de la représentation qu’elle se fait des situations voisines
ou même de ce que quelqu’un d’autre a pu lui rapporter.
Ainsi, pour notre conscience, percevoir un objet (et donc le
décrire), c’est toujours aussi se souvenir d’autres objets,
éprouver certains affects à la faveur de ces souvenirs, se
représenter certaines facettes de ce type d’objets, etc. Une
conscience qui se rapporte à un objet est donc toujours déjà
ouverte sur cet objet, c’est-à-dire sur le monde, et non pas close
sur elle-même, enfermée dans une forme d’intériorité pure.
Intentionnalité de la
conscience
Ainsi, pour Husserl, il n’y a pas de conscience de soi possible
qui ne présuppose une conscience du monde. Pour le dire
autrement, on ne peut se saisir soi-même comme étant un sujet
que par ce que l’on est déjà un sujet qui perçoit le monde. Si
notre conscience doit être comprise comme l’ensemble des actes
perceptifs (au sens large du terme) qui se rapportent à des objets
du monde, alors elle ne saurait se réduire à une forme
d’intériorité.
C’est à partir de là qu’il faut comprendre la notion husserlienne
d’intentionnalité. Au paragraphe 14 de ses Méditations
cartésiennes (1931), Husserl écrit : « Le mot intentionnalité ne
signifie rien d’autre que cette particularité foncière et générale
qu’a la conscience d’être conscience de quelque chose, de porter,
en sa qualité de cogito [le “je pense”, la conscience pensante],
son cogitatum [le “ce qui est pensé”, l’objet de sa pensée ou de
sa perception] en elle-même. »
La conscience husserlienne ne se réduit pas au cogito cartésien
ni même aux actes de ce dernier (penser, douter, imaginer,
vouloir, etc.), mais elle inclut en elle, parce qu’elle le vise,
l’objet même qu’elle vise, non pas en tant qu’il serait une chose
réelle dans le monde, extérieure à elle-même, mais comme unité
de sens constitutive de cette conscience en tant qu’elle vise
quelque chose, en tant qu’elle est conscience de quelque chose.
Chapitre 2
La perception
DANS CE CHAPITRE :
» Le morceau de cire
» Perception et intention
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
Perception et sensation
C’est à partir d’une interrogation sur l’origine et la source de la
connaissance que l’empirisme s’intéresse à la perception. Pour
Locke, toutes nos connaissances proviennent de l’expérience, et
notre expérience est constituée par des sensations. Ainsi, nos
sensations sont premières d’un point de vue chronologique
puisque nous avons d’abord des sensations, et aussi d’un point
de vue logique au sens où ces sensations composent nos idées et,
ce faisant, les engendrent. Les opérations effectuées par notre
âme (imaginer, penser, percevoir, douter…) sur les idées
produites par les sens constituent, à leur tour, une source de
nouvelles idées. Dans cette perspective, les perceptions ne sont
que des sensations.
Comme le souligne Locke dans son Essai philosophique
concernant l’entendement humain (1689), les qualités sensibles
sont mêlées étroitement dans l’objet. Il en résulte que nous
n’apercevons pas aisément les distinctions entre elles. En effet,
j’éprouve (et donc je perçois) sans distinction de la froideur et de
la dureté lorsque je mange une glace. C’est la raison pour
laquelle on en parle comme s’il s’agissait d’une seule et même
idée simple et c’est pourquoi on lui donne un seul nom : la
sensation de la glace.
Par conséquent, pour nous, l’objet n’est qu’une collection de
sensations. Autrement dit, la sensation est en premier lieu une
réalité subjective : c’est un état ou un vécu du sujet. C’est
seulement parce que les sensations sont en quelque sorte en nous
que les empiristes emploient le terme « idées » pour les qualifier.
De plus, la sensation est, pour Locke, atomique, c’est-à-dire
simple, indivisible. Toute sensation de différence (par exemple
la sensation de la différence entre deux couleurs) correspond à
une séparation réelle : deux sensations (la sensation du bleu et la
sensation du rouge) diffèrent l’une de l’autre, car elles sont
différentes en elles-mêmes. La différence n’est pas une relation
en idée ; elle correspond à une différence dans la réalité. Parce
que les sensations sont les briques qui composent ultimement
toute perception, Locke pense un retour au donné comme
possible et la perception comme une saisie authentique du réel.
La seconde méditation de
Descartes
René Descartes (1596-1650), dans la seconde méditation,
soumet à un examen critique l’évidence du sens commun selon
laquelle les choses données par les sens (c’est-à-dire des choses
matérielles, corporelles) seraient ce que nous connaîtrions de la
façon la plus distincte. Pour ce faire, Descartes choisit
d’analyser ce qu’il présente comme une expérience. Il prend un
morceau de cire, fraîchement tiré de la ruche, et l’approche du
feu. Sous l’effet de la chaleur, les qualités sensibles qui
permettaient de reconnaître cet objet comme étant un morceau
de cire vont disparaître pour laisser la place à d’autres qualités
sensibles. Pourtant, nous affirmons que c’est bien la même cire
qui demeure : nous savons reconnaître sous les variations des
qualités sensibles que c’est bien la même cire.
Que révèle cette expérience ? Il se trouve que, contre toute
attente, la cire n’est pas un agrégat de qualités sensibles, mais
qu’elle réside dans une substance ou une essence qui demeure,
sous les changements, identique à elle-même. Et Descartes d’en
conclure : « Sa perception, ou bien l’action par laquelle on
l’aperçoit, n’est point une vision, ni un attouchement, ni une
imagination, et ne l’a jamais été, quoiqu’il le semblât ainsi
auparavant, mais une inspection de l’esprit. » Cette inspection de
l’esprit était déjà en réalité ce qui nous permettait de reconnaître
la cire avant qu’on ne l’approche du feu (lorsque nous ne
croyions utiliser que nos sens), mais elle était alors « imparfaite
et confuse ».
La donation phénoménale
La description que propose de faire la phénoménologie ne vise
pas à saisir ce qu’est l’objet en lui-même (son essence), mais ce
qu’il est au sein même de sa donation phénoménale, c’est-à-dire
en tant qu’il apparaît à une conscience. Il ne faut pas se
méprendre sur le sens de cette distinction : pour Husserl, la
chose en tant qu’elle se donne à ma conscience contient en elle
son essence. L’être de la chose est tout entier dans son
apparaître, et non dans un ailleurs (le monde sensible ou le
monde des idées) qui viendrait lui donner sa réalité. Autrement
dit, pour comprendre ce qu’est une chose, il y a une seule
solution : il faut s’intéresser aux différentes manières dont cette
chose se donne à notre conscience.
Il faut encore ajouter que la description phénoménologique doit
s’intéresser tout autant aux modes de la donation des objets
qu’au donné lui-même : les deux sont indissociables. On
comprend dès lors pourquoi Husserl s’intéresse, dans ses textes,
très souvent à la perception sensible. En effet, cette dernière
offre la forme la plus simple de la donation et elle constitue aussi
le fondement de toute donation intuitive. Il n’en reste pas moins
que la donation perceptive est incomplète puisque, comme le
note Husserl, elle se donne « par esquisses ».
L’intention de percevoir
Contrairement aux vécus internes (les sentiments, par exemple)
qui sont donnés intégralement et d’un seul coup, les objets
externes se montrent à nous facette par facette et jamais dans
leur intégralité. Quand je perçois une chaise, par exemple, je ne
perçois en réalité pas la chaise dans son unité, mais une esquisse
de la chaise vue sous un certain angle. C’est ma conscience
perceptive qui va produire l’unité de l’objet perçu (la chaise) à
partir de ses seules esquisses.
De ce point de vue, il y a plus dans l’intention de percevoir que
dans la perception externe effective : je perçois une chaise alors
que ce qui est donné à mon intuition n’est qu’un agrégat
incohérent d’aspects (non liés entre eux et non saisis comme les
aspects d’un objet) que je saisis comme des esquisses de la
chaise.
Quel est donc le statut de l’objet intentionnel ? La réponse à
cette question est double. D’abord, peu importe que l’objet
existe ou qu’il n’existe pas, qu’il soit réel ou imaginé, l’objet
intentionnel est une évidence phénoménologique : il m’est
donné, mais son existence ne relève ni de la réalité d’un vécu, ni
de celle d’une chose existant dans le monde, mais de la réalité de
ce qui est visé. Ensuite, et par conséquent, il ne saurait y avoir
d’objet intentionnel sans une conscience visant cet objet. En
effet, sans les actes intentionnels de notre conscience, les
données sensorielles auxquelles nous aurions affaire ne
pourraient rien constituer d’autre qu’un agrégat informe
d’impressions au sein duquel nous ne saurions identifier aucun
objet.
Fiche 7 : Essence et perception
« Esse est percipi aut percipere » : « Être, c’est être perçu ou
percevoir. » Cette formule de George Berkeley (1685-1753),
extraite de son ouvrage intitulé Les Principes de la connaissance
humaine (1710), a de quoi surprendre le lecteur non averti.
Quoi de plus contre-intuitif, en effet, qu’une telle affirmation ?
Avant de tirer au clair le sens de cette dernière, il faut
comprendre pourquoi elle nous semble parler contre le bon sens.
» Un peu de vocabulaire
» Sujets
» Bibliographie
» Filmographie
Les instincts ne peuvent être compris qu’en lien étroit avec les
évaluations. Ils correspondent à une organisation et à une
compréhension de la réalité selon des préférences que Nietzsche
qualifie de « valeurs ». Expliquons ce point. D’abord, évaluer
quelque chose – une action, une pensée, une pratique –, signifie
ici lui donner une certaine valeur (c’est-à-dire un certain prix),
valeur qui sera supérieure ou, au contraire, inférieure à celle
d’une autre action, d’une autre pensée ou d’une autre pratique.
Ensuite, cette préférence que nous accordons à une action ou une
pratique (par exemple, dire la vérité plutôt que mentir ou
l’inverse) n’est pas, pour Nietzsche, choisie librement par notre
conscience ou notre raison. Nous pouvons avoir cette illusion,
mais notre préférence découle de nos instincts : elle en est en
quelque sorte le symptôme. Par exemple, le jugement moral, qui
nous fait louer ou condamner telle action (frapper quelqu’un),
n’est qu’une sorte de prolongement conscient d’un goût
instinctif de notre corps pour telle ou telle action, goût instinctif
qui découle lui-même de ce que Nietzsche appelle notre santé ou
notre tempérament. C’est ce qui explique qu’un tempérament
fort jugera moralement bon le fait de s’engager dans une lutte ou
un combat, alors qu’un tempérament faible condamnera
moralement cet acte.
L’instinct est donc un point de vue à partir duquel l’individu va
construire une interprétation du réel. Dans un fragment
posthume, Nietzsche écrit : « Ce sont nos besoins qui
interprètent le monde : nos instincts, leur pour et leur contre.
Chaque instinct est un certain besoin de domination, chacun
possède sa perspective qu’il voudrait imposer comme norme à
tous les autres instincts. »
Fiche 9 : La théorie freudienne
Dans Métapsychologie (1915), en ouverture du chapitre sur
l’inconscient, Freud écrit : « La psychanalyse nous a appris que
l’essence du processus de refoulement ne consiste pas à
supprimer, à anéantir une représentation représentant la pulsion,
mais à l’empêcher de devenir consciente. Nous disons alors
qu’elle se trouve dans l’état “inconscient” et nous pouvons vous
fournir des preuves solides de ce que, tout en étant inconsciente,
elle peut produire des effets, dont certains même atteignent
finalement la conscience. » De quoi l’inconscient freudien est-il
le nom ?
Définition freudienne de
l’inconscient
Au moment où Sigmund Freud (1856-1939) écrit, le terme
inconscient est déjà utilisé en allemand comme adjectif (on en
trouve des occurrences à partir du XVIIIe siècle) et même comme
substantif, mais il désigne simplement ce qui s’oppose au
conscient, ce qui est privé de conscience, c’est-à-dire, par
exemple, une représentation qui n’est pas accompagnée d’un
sentiment réflexif.
L’originalité de Freud consiste à transformer cette notion en
concept en utilisant ce qu’il appelle la métapsychologie.
MÉTAPSYCHOLOGIE
Désir
Le désir occupe une grande place dans la théorie freudienne, et,
pour le désigner, Freud emploie le terme allemand Wunsch. Ce
terme signifie généralement en allemand « souhait », mais Freud
l’emploie pour désigner une sorte de souhait de désir, c’est-à-
dire la formulation ou la mise en acte consciente d’un vœu qui
reste de l’ordre de l’inconscient. Pour Freud, toute notre activité
inconsciente est organisée autour de la satisfaction de la pulsion
ou de ce qu’il appelle le « remplissement de désir »
(Wunscherfüllung).
Pour lui, le désir doit être pensé comme mouvement psychique
qui vise le rétablissement de notre expérience de la première
satisfaction. Il faut souligner ici l’originalité de la conception
freudienne du désir : ce dernier n’est pas pensé comme le
déploiement d’une essence de l’individu ou l’actualisation d’une
satisfaction, mais il se caractérise comme ce qui peut réinvestir
une satisfaction qui a eu lieu dans le passé (et que Freud nomme
« originaire ») ou encore tout signe qui pourrait rendre possible
la réactivation de cette satisfaction passée. Tout désir consiste
donc à rendre à nouveau actif l’objet du manque originaire.
Refoulement
Le refoulement consiste, pour l’essentiel, à tenir une ou des
représentations à distance du conscient. Il s’exerce donc sur des
représentations, mais ne saurait les supprimer. Le refoulement
porte sur des tendances pulsionnelles internes à l’esprit. Par
analogie, on peut dire que si ces excitations étaient externes, la
réaction équivalente au refoulement serait la fuite.
Pour Freud, le refoulement est une action psychique
inconsciente et c’est un événement originaire. C’est la raison
pour laquelle Freud utilise parfois l’expression « refoulement
organique » et c’est pourquoi il met en évidence le caractère
originairement olfactif du refoulement : parce qu’il est devenu
un être bipède et qu’il s’est éloigné, ce faisant, de l’animalité,
l’homme a détourné son odorat d’un certain objet. Ainsi,
l’homme se détourne des tendances qui l’animent et qu’il ne
peut pas consciemment accepter, notamment pour des raisons
morales ou culturelles.
Le refoulé, qui est un représentant de la pulsion, continue
d’exister, après le refoulement, dans l’inconscient sous la forme
d’une énergie du désir et il produit des rejetons : il est donc actif
dans l’inconscient. Ce désir, comme tout désir, désire être
satisfait et essaie donc de passer à la conscience. C’est ce que
Freud appelle le « retour du refoulé ». Ce retour du refoulé est
un retour déguisé dans la mesure où le désir originaire va
prendre d’autres formes pour essayer de tromper la censure et de
passer de l’inconscient au conscient puis à la conscience.
Nous comprenons donc pourquoi le refoulement correspond, sur
le plan dynamique, à une dépense constante d’énergie et
pourquoi il est révélateur d’un conflit à l’intérieur même du
sujet, conflit qui s’organise autour d’un objet interdit (qui ne
saurait cesser d’être désirable) et qui peut se traduire sous la
forme de symptômes.
Symptômes
Le symptôme est une « formation réactionnelle » ou encore
« formation de compromis », résultant d’un compromis entre le
désir inconscient qui est refoulé, d’une part, et, d’autre part, la
défense (ou censure) qui va autoriser une satisfaction
substitutive du désir, c’est-à-dire l’accomplissement du désir,
mais sous une autre forme, à propos d’un autre objet…
Le symptôme porte en lui-même la trace du conflit psychique
puisqu’il traduit le rejet de certaines pulsions, ou tendances, qui
sont vues par le sujet comme étant mauvaises, et qu’il consiste
aussi à maintenir une forme de relation à la pulsion qui est
refoulée.
Freud détourne donc le terme « pulsion » de son usage médical
premier, usage dans lequel il était le signe d’une dysfonction,
d’une cause cachée et organique (et donc objective), pour lui
faire désigner l’effet d’une cause toute subjective et entièrement
liée à l’expérience inconsciente que le sujet fait de sa vie
psychique.
Fiche 10 : Une critique de
l’inconscient freudien : l’analyse
sartrienne
Notre tour d’horizon de la théorie freudienne ne saurait se clore
sans faire droit aux critiques nombreuses et aux discussions
utiles dont cette théorie (faut-il dire seulement « hypothèse » ?) a
fait – et fait encore – l’objet parce que ces diverses critiques ont
l’avantage d’attirer notre attention sur certains aspects de la
pensée de Freud. Il ne nous est pas loisible, dans l’économie de
cet ouvrage, d’en faire une présentation exhaustive. Aussi
avons-nous choisi de présenter celle développée par Sartre à
partir de la notion de mauvaise foi.
La vanité de la solution
freudienne
Dans le même chapitre, Sartre rappelle que la solution
freudienne proposée pour rendre raison du mensonge à soi
consiste à renoncer à la transparence de la conscience à elle-
même, c’est-à-dire à poser l’existence de l’inconscient. En effet,
pour Freud, certaines représentations qui apparaissent à la
conscience ne sont pas des manifestations de la conscience, mais
trouvent leur origine dans la vie inconsciente du sujet, alors
même que la conscience ne le sait pas. Le sujet qui parle ou qui
agit n’est pas, ici, pour la psychanalyse, de mauvaise foi, car une
censure interne lui cache ses propres intentions.
L’objection sartrienne consiste à dire que ces intentions sont
pourtant celles du sujet, car, sans cela, ce dernier n’aurait ni la
possibilité de se les cacher ni une motivation pour se les cacher.
Il s’ensuit que le mécanisme de censure est conscient : la
conscience affirme ne pas voir ses intentions alors même qu’elle
se les cache consciemment. Elle est donc de mauvaise foi. Ainsi,
la censure freudienne n’est donc pour notre auteur que de la
mauvaise foi qui tait son nom. La conscience n’est peut-être pas
responsable de la censure, mais elle est responsable de sa
mauvaise foi : elle n’avoue pas sa volonté de fuir devant ses
responsabilités. C’est la raison pour laquelle Sartre écrit : « Dans
la mauvaise foi, il n’y a pas mensonge cynique, ni préparation
savante de concepts trompeurs. Mais l’acte premier de mauvaise
foi est pour fuir ce qu’on ne peut pas fuir, pour fuir ce qu’on
est. »
Chapitre 4
Autrui
DANS CE CHAPITRE :
» Éprouver de la sympathie
» Le visage
autre, c’est celui qui est comme moi, mais qui n’est pas moi.
L’ Telle pourrait être une définition de l’autre proposée par un
dictionnaire. Autrui, c’est mon semblable, mon frère, mon
alter ego, mon prochain, mon ami ou mon ennemi, mon
partenaire ou mon adversaire… Voilà ce que nous enseigne, pour
sa part, l’expérience.
Si la présence d’autrui dans le monde et en face de moi ne peut
que m’amener à essayer de déterminer qui est autrui, c’est-à-dire
à essayer de produire une définition de ce qu’est l’autre, il n’en
reste pas moins que cette interrogation me renseigne tout autant
sur moi-même que sur autrui. En effet, si autrui est dans le
monde avec les objets ou parmi eux, il n’est pas dans le monde
comme le sont les objets.
C’est dans le regard d’autrui seul que je peux me saisir comme
sujet, c’est pour autrui seul que je peux éprouver certains
sentiments (l’amour, la haine, la jalousie…), c’est encore
autrui – et lui seul – qui est en mesure de me conduire à me
rapporter à moi-même pour me juger.
Pour déterminer ce qu’est un sujet, pour mettre au jour certains
aspects de l’intersubjectivité, et aussi pour comprendre pourquoi
autrui a cette place si particulière et unique pour chacun de nous,
nous allons nous intéresser à l’analyse qu’Aristote propose de
l’amitié, puis à la sympathie smithienne avant de nous tourner
vers Sartre pour décrire, avec lui, l’expérience de la honte, pour
finir par essayer de mettre en évidence ce qui se joue dans
l’apparition du visage de l’autre.
POUR ALLER PLUS LOIN…
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
L’amitié parfaite
L’amitié parfaite est une amitié qui est une vertu ou qui est ce
qui accompagne la vertu (Éthique à Nicomaque, VIII, 1)
puisqu’elle vise le bien et non pas seulement l’agréable ou
l’utile. Elle lie deux personnes qui sont à la fois égales l’une par
rapport à l’autre, et égales en vertu. Est imparfaite toute amitié
qui ne satisfait pas à l’une de ces deux conditions. Pour qu’une
amitié entre des personnes inégales (un père et son enfant, un
commandant et un commandé) soit parfaite, il faut préserver la
proportionnalité, c’est-à-dire le rapport entre les deux individus :
pour Aristote, « le meilleur des deux doit être plus aimé qu’il
n’aime » (Éthique à Nicomaque, VIII, 8). Il s’ensuit qu’il ne
peut y avoir d’amitié qu’entre des êtres entre lesquels on peut
penser un rapport : l’homme ne peut pas être l’ami d’un Dieu,
l’esclave ne peut être l’ami de son maître. Nous voilà très loin de
la vision romantique de l’amitié.
Amitié et politique
Mais ce qui sépare plus encore l’amitié aristotélicienne de
l’amitié telle que nous la concevons, c’est sa dimension
politique. Pour Aristote, lorsqu’une relation, au sein d’une
communauté sociale (famille, village…) ou politique (la cité),
est ce qu’elle doit être, alors cette relation peut être appelée
amitié. Il y a une communauté de forme entre la communauté
politique, d’une part, et les communautés que l’on pourrait,
même si le terme est anachronique, qualifier de sociales
(relations entre deux amis, relations au sein de la famille,
relations au sein du village), d’autre part, et ce pour deux
raisons :
» Les communautés sociales sont des parties de la
communauté politique.
La conscience comme
intentionnalité ou le néant de
la conscience
Sartre revendique l’héritage husserlien. Pour lui, la conscience
est nécessairement une conscience intentionnelle. Il reprend le
mot d’ordre de Husserl selon lequel « toute conscience est
conscience de quelque chose ». Pour Sartre, cela signifie tout à
la fois, qu’on ne saurait concevoir une conscience qui ne serait
conscience de rien, et qu’une conscience qui n’est pas
conscience de quelque chose ou de quelqu’un (c’est-à-dire qui
n’est pas tournée vers quelque chose ou vers quelqu’un) n’est
rien. Elle est un néant. Autrement dit, pour exister, la conscience
doit se rapporter à autre chose qu’à elle-même. La subjectivité
est donc, pour Sartre, fondamentalement, un néant : elle ne
contient aucun moi.
Sujet et objet
Il en résulte, comme l’écrit Sartre dans Situations
philosophiques que « l’ego n’est rien en dehors de la totalité
concrète des actions et des états qu’il supporte ». Par
conséquent, je ne saurais jamais me connaître ou même me saisir
par une sorte d’intuition (comme cela était possible chez
Descartes). Plus encore, ma conscience ne parvient jamais à être,
au sens strict, conscience d’elle-même dans la mesure où il
demeure toujours un écart – lequel n’est pas, nous l’avons vu,
une distance, mais un néant – entre la conscience qui connaît et
la conscience qui est connue.
C’est là qu’intervient le regard d’autrui dans l’expérience qui
nous occupe, à savoir celle de la honte. Autrui, parce qu’il m’a
vu accomplir un geste maladroit ou vulgaire, m’offre à moi-
même comme un objet, porteur de caractéristiques qui sont fixes
ou statiques (je suis vulgaire ou maladroit ou encore envieux).
Cette donation de moi à moi, par l’intermédiaire du regard
d’autrui, est inadéquate puisque je ne suis pas réellement un
objet.
» L’hubris du désir
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
L’expérience du désir
Pour définir le désir, nous pouvons partir de la seule piste dont
nous disposons lorsque nous n’avons pas de connaissances
précises sur une notion : notre expérience.
En effet, chacun de nous a déjà fait l’expérience du désir : le
désir de posséder un objet (cette belle montre aperçue dans une
vitrine), le désir lié à la perspective d’un événement particulier
(que la sonnerie retentisse enfin pour me libérer de cet horrible
cours d’anglais !), le désir d’être quelqu’un d’autre ou d’être
différent (désir d’être celui qui chante juste ou qui n’a pas peur
de prendre la parole en public).
Ces diverses expériences du désir ont en commun trois choses
qui nous renseignent sur la nature du désir :
D’ABORD LE MANQUE…
DE RATIO À RAISON
Vivre sa passion
Il ne faut pas davantage confondre le désir avec la passion. En
effet, si le désir est alimenté par la non-possession de l’objet,
c’est-à-dire par la distance qui sépare l’individu désirant de
l’objet désiré et qui permet à cet individu d’idéaliser l’objet, la
passion, quant à elle, s’accomplit et se déploie dans et par la
possession de l’objet.
Par voie de conséquence, la passion est à chaque instant
réplétion, pleine satisfaction (elle est pleinement ce qu’elle doit
être), alors que le désir est toujours synonyme d’incomplétude,
car il est un mixte de plaisir (le plaisir que l’individu a à désirer)
et de manque (puisque l’homme ne désire que ce qu’il ne
possède pas).
IL Y A PASSION ET PASSION…
La figure de Calliclès
Un homme qui ne maîtriserait pas ses désirs et irait même
jusqu’à revendiquer cette attitude comme principe de vie serait
comme le personnage de Calliclès dans le Gorgias de Platon
(429-347 av. J.-C.). Que dit Calliclès ?
Il définit ce qui est bon et juste à partir de la nature. Pour lui, la
justice est nécessairement une justice naturelle et correspond en
réalité à ce que la tradition a appelé « le droit du plus fort », et le
bien est ce qui est agréable ou favorable au plus fort. De son
point de vue, il est donc juste et bon que le plus fort satisfasse
tous ses désirs (c’est-à-dire tous les désirs qu’il a la puissance de
satisfaire, y compris les désirs de domination ou ceux qui
concernent l’exercice de la violence), mais cette justice ne dure
que tant que dure la force.
Il y a par conséquent une beauté naturelle du déploiement du
désir. La morale qui condamne le fait d’empiéter sur la liberté
d’autrui et l’éducation démocratique qui nous fait considérer
l’autre comme un égal sont, pour Calliclès, un dressage imposé à
la nature, c’est-à-dire qu’elles sont, pour lui, au sens strict,
contre nature puisqu’elles favorisent la faiblesse contre la force,
et sont donc mauvaises et injustes.
Cette conception du désir présuppose une inégalité naturelle que
Calliclès entend préserver et défendre entre les hommes. Tous
n’ont pas la même puissance d’agir sur le monde ou sur les
autres. Le plaisir de jouir de tout sans limites est l’apanage des
natures fortes qui trouvent aussi du plaisir dans la lutte menée
pour la satisfaction de leurs désirs.
Les lois, qui viennent contraindre le désir en posant des interdits,
sont ainsi vues comme une tyrannie exercée contre la nature et
Calliclès est donc, d’un point de vue politique, hostile à la
démocratie.
La critique socratique de
l’homme intempérant
Socrate est à la fois un personnage historique, dont le disciple le
plus fameux fut Platon, et un personnage fictif inspiré du
personnage réel et présent dans la plupart des textes de Platon,
textes dans lesquels il est porteur de la thèse de Platon. Ainsi
pouvons-nous, en nous aidant de ce que Platon fait dire au
personnage de Socrate dans le Gorgias, répondre à Calliclès
point par point.
Socrate dit qu’il faut substituer, à la distinction posée par
Calliclès entre la nature qui vaudrait par elle-même et la loi qui
ne serait que pure convention, la distinction entre ce qui a
l’apparence d’être juste – ce qui est agréable à Calliclès : par
exemple, voler ce qui n’est pas à lui – et ce qui est réellement
juste, c’est-à-dire ce qui correspond à la définition de la justice.
De ce point de vue, on comprend aisément qu’il est bon de ne
pas satisfaire tous ses désirs, tout au moins ceux qui produisent
de l’injustice dans le monde ou qui correspondent à des
mauvaises actions.
Le fait de ne pas maîtriser nos désirs ne saurait donc
correspondre à la beauté d’une nature forte, mais bien plutôt à
un enlaidissement de l’âme. En effet, Platon nomme tempérance
ou modération (le terme grec est sophrosynê) la vertu qui
consiste à maîtriser nos plaisirs. C’est la vertu dont est capable
la faculté désirante de l’âme dès lors qu’elle est maîtrisée et
éduquée par la raison et que, par conséquent, elle ne se laisse pas
séduire par les plaisirs qui sont mauvais ou excessifs. Elle
présuppose donc une activité de la pensée qui permet de
reconnaître le bien.
Ainsi, pour Platon, l’homme tempérant et l’homme intempérant
se distinguent par le fait que le premier maîtrise ses désirs et se
maîtrise donc lui-même parce qu’il exerce la partie rationnelle
de son âme pour distinguer les plaisirs nécessaires des plaisirs
mauvais ou excessifs – il est donc un homme vertueux – alors
que le second ne se maîtrise pas lui-même, mais se laisse
conduire par ses désirs. Il est donc mauvais, non libre et
malheureux, puisqu’il n’est pas vertueux.
Les lois de la cité, lorsqu’elles ont pour principe la connaissance
du bien – c’est-à-dire lorsqu’elles sont des lois bonnes –,
éduquent les citoyens en tant qu’elles constituent un discours
rationnel qui s’adresse à leur âme. La maîtrise de nos désirs a
donc pour Platon des enjeux à la fois moraux et politiques et
présuppose la connaissance du bien.
L’ÂME PLATONICIENNE
Passions et raison
Les passions fortes ou violentes correspondent à ce que Hume
nomme des « inclinations de l’homme », alors que les passions
tranquilles correspondent à ce qu’il appelle « raison ».
La raison « n’est rien d’autre qu’une passion générale et calme
qui embrasse son objet d’un point de vue éloigné » (Traité de la
nature humaine, dissertation sur les passions, V, 2).
La raison est donc vue ici comme une forme particulière
d’affection, mais cela ne fait pas de notre auteur un irrationaliste
puisqu’il dit qu’il faut préférer une existence modérée qui
correspond à une forme d’insensibilité aux choses. Il n’en reste
pas moins que, dans cette théorie, la raison peut peu de choses.
Pour l’essentiel, c’est une raison calculante et capable de
distinguer le vrai du faux. Elle ne saurait donc constituer ce que
Hume appelle un « guide de la vie ». Parce que la raison est la
passion la plus calme, presque insensible aux choses, elle ne
saurait être en mesure de préférer quoi que ce soit. Or, le moteur
de l’action relève bien d’une préférence.
Ceci permet à Hume d’affirmer qu’« il n’est pas contraire à la
raison de préférer la destruction du monde entier à une
égratignure de mon doigt ». En effet, seule une passion plus
forte (la passion du sens moral, par exemple) peut l’emporter sur
une autre passion (la crainte que j’éprouve lorsque j’imagine la
douleur causée par une blessure de mon doigt).
Fiche 19 : Le désir mimétique
Pour le sens commun, le désir apparaît comme l’expression
d’une aspiration singulière, propre à tel sujet désirant et qui est
l’occasion, pour ce dernier, d’exprimer sa liberté. Telle est, en
effet, notre expérience, et nous pourrions caractériser chacun de
nos proches par les désirs qui lui sont propres. Nous connaissons
le désir de cette amie pour les voitures de sport, de tel autre pour
les montres automatiques hors de prix, d’un autre encore pour
les destinations de vacances exotiques et les plages ensoleillées.
Chacun d’eux clamerait haut et fort qu’il désire ces choses
librement et par lui-même.
Pourtant, René Girard (1923-2015), dans son ouvrage intitulé
Mensonge romantique et vérité romanesque (publié en 1961),
écrit que « l’homme désire toujours selon le désir de l’autre ».
Comment pouvons-nous comprendre cette formule ?
» Définir le temps
» Temps et durée
» Existence et essence
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
La mesure du temps
C’est l’élucidation de la question de la mesure du temps qui
permet à saint Augustin d’apporter une réponse précise à la
question de savoir ce que signifie être pour le temps. Notre
auteur rejette l’hypothèse, répandue chez les philosophes de
l’Antiquité, selon laquelle le mouvement des corps (notamment
celui des astres et du soleil) permettrait de mesurer le temps. En
effet, souscrire à cette hypothèse reviendrait à confondre le
temps avec ses signes ou avec ce qui se produit dans le temps, et
nous condamnerait à passer à côté de l’être du temps.
Au livre XI des Confessions (XXIII, 30), saint Augustin écrit
que le temps est « une certaine distension », laquelle ne saurait
se confondre avec le mouvement d’un corps puisque le
mouvement est dans le temps (il se produit dans le temps), mais
n’est pas le temps lui-même. Mieux encore, c’est le temps qui
permet de mesurer le mouvement (et non l’inverse). Par
conséquent, le temps n’est pas dans le mouvement des choses.
La distension de l’âme
La solution augustinienne réside dans ce qu’il nomme, au livre
XI de ses Confessions, la distensio animi (distension de l’âme).
Lorsque mon esprit vise un objet présent (la prononciation de
telle syllabe dans tel vers de tel poème), il réalise la synthèse, en
un même acte, des trois présents de l’âme que sont le présent du
passé, le présent du présent et le présent du futur. Dans notre
exemple (que nous empruntons à saint Augustin), notre esprit
qui récite tel vers du poème est encore gros du souvenir de la
récitation des vers précédents et tout entier tendu vers celle des
vers suivants. Ce qui dure et qui est donc mesurable, c’est la
tension de mon âme vers ses objets multiples.
Fiche 21 : Temps et durée
Chacun a déjà constaté la différence entre, d’une part, le temps
objectif, mesuré par la montre ou représenté par les cases toutes
identiques d’un emploi du temps et au sein duquel chaque heure
dure autant qu’une autre, et, d’autre part, le temps subjectif,
c’est-à-dire le temps tel que ma conscience singulière
l’appréhende et dans lequel aucune heure ne ressemble à une
autre ou ne semble durer autant qu’une autre, selon que je
m’ennuie, que je m’impatiente ou que j’ai, au contraire, une
activité plaisante.
Peut-on dépasser cette (apparente) dualité du temps ? Pour le
dire autrement, lequel de ces deux temps est le vrai ? Devons-
nous nous résigner à dire qu’il y a deux temps distincts et
incompatibles l’un avec l’autre ? Nous allons voir que la
distinction que Bergson pose entre le temps et la durée peut nous
aider à sortir de cette aporie.
L’analyse est, pour Bergson, une saisie du réel qui se fait sur
un réel figé, « immobile », étendu dans l’espace. L’intuition,
au contraire, « se place dans la mobilité ou, ce qui revient au
même, dans la durée ». Elle est donc une connaissance
immédiate de la durée.
Un homme libre et
responsable
L’homme sartrien est condamné à choisir : il a à définir et à
constituer son essence et il est jeté dans un monde dépourvu de
sens et auquel il doit, par ses choix (par exemple lorsqu’il
préfère le courage à la lâcheté) et ses actions, donner un sens. Sa
délibération elle-même et les conseils qu’il demande aux uns
plutôt qu’aux autres relèvent aussi de son choix, c’est-à-dire de
sa responsabilité. La liberté de l’homme n’est donc pas à penser
comme une légèreté, mais tout à la fois comme une charge et
une puissance, charge et puissance de se définir lui-même.
Si l’homme est donc responsable, non seulement de ses choix et
de ses actions, mais aussi du sens et de la valeur qu’il va donner
aux choses et aux actions, il en résulte qu’il est responsable de
lui-même et de tous les hommes puisque chacun de ses choix
contribue à définir ce que doit être l’homme et ce qu’il peut
devenir. Nous pouvons conclure avec les mots de Sartre :
« L’existentialisme ne prendra jamais l’homme comme fin, car il
est toujours à faire. »
Fiche 23 : Exister et mourir
Dans les Essais (I, XXXIX, A, 241), Montaigne (1533-1592)
écrit qu’il faut vivre « comme sans femme, sans enfants et sans
biens, sans train et sans valets, afin que, quand l’occasion
adviendra de leur perte, il ne nous soit pas nouveau de nous en
passer ». Autrement dit, il faut, d’après lui, avoir, de façon
constante à l’esprit, la pensée de la mort et du néant des choses
pour que notre vie puisse être plus vivante. Voilà qui nous invite
à réfléchir sur ce que peut signifier le fait d’exister et de mourir
pour Montaigne.
De la passivité du moi
Pour comprendre ce que Montaigne dit de l’existence et de la
mort, il faut partir de sa conception du temps. Pour lui, le temps
n’a pas besoin d’être défini, il se donne de façon évidente et
dans l’immédiateté. Le temps, c’est ce qui a été, ce qui n’est pas
encore ou ce qui passe. Il a donc la réalité ou la consistance du
non-être.
Plus encore, toute chose qui est (et nous faisons partie de ces
choses qui sont) est nécessairement dans le temps. Il faut donc
comprendre que le temps concerne les choses, non pas
simplement en tant qu’elles apparaissent dans le monde qu’elles
sont des phénomènes, mais dans leur être même.
C’est la raison pour laquelle le temps ne saurait être sous le
pouvoir ou dans la dépendance de notre âme. Cette dernière
n’exerce aucune puissance sur le temps (pas même la puissance
de le connaître) : elle est, comme n’importe quelle chose, dans le
temps et elle est donc emportée par lui. Il s’ensuit que faire
l’expérience du temps, c’est faire l’expérience de notre
incapacité à agir sur le monde, c’est-à-dire l’expérience de notre
passivité.
La signification du temps
Nous pouvons poser une question à Montaigne : que signifie, par
conséquent, le temps pour notre existence ?
» Parler et agir
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
La langue : un système
L’idée originale de Saussure consiste à ne plus considérer la
langue comme une substance. En effet, la linguistique, avant lui,
était une linguistique à la fois historique et comparative. Elle
considérait la langue comme une substance, c’est-à-dire comme
une chose existant en elle-même et qui pouvait faire l’objet
d’une étude : de la langue, on pouvait étudier les modifications
au cours du temps, les changements de prononciation, les
rapprochements de sens entre des termes pourtant distincts ou
issus d’étymologies différentes…
Saussure, au contraire, conçoit la langue comme une « forme »
ou encore comme un « système » qui organise des relations entre
les éléments ou les briques élémentaires de la langue que sont
les signes linguistiques. Ces derniers, si on les considère
indépendamment des relations qu’ils ont entre eux au sein de la
langue, n’ont aucune réalité linguistique, et c’est en ce sens que
la langue n’est pas une substance, mais seulement une forme.
L’arbitraire du signe
Pour Saussure, ce qui donne à un mot sa valeur linguistique
(c’est-à-dire son sens et ses nuances de sens) réside tout entier
dans les rapports que ce mot tisse avec les autres mots de la
langue. Il y a donc pour lui « arbitraire du signe » dans la mesure
où, pour comprendre un signe, on ne saurait le rapporter à autre
chose qu’à la langue. Pour le dire autrement, la langue ne doit
pas être conçue comme un dictionnaire ou encore comme une
nomenclature : elle ne consiste pas à établir un rapport entre,
d’une part, une chose qui existerait dans le monde et, d’autre
part, le mot qui servirait à désigner cette chose.
Ainsi il n’y a pas d’idées (qu’il s’agisse de choses ou encore de
concepts) qui préexisteraient à l’apparition de la langue et
attendraient simplement de recevoir un nom considéré comme
une étiquette. Ce qui permet à Saussure de s’inscrire en faux
contre cette conception commune de la langue (qui associe une
chose ou une idée à un mot), c’est l’argument de la traduction.
En effet, traduire ne consiste jamais à se contenter de remplacer
un terme par un autre terme. La langue n’est donc pas un
système d’étiquettes.
Il y a un redoublement de l’arbitraire du signe. D’abord, le signe
n’est pas le nom d’une chose, mais quelque chose de
conventionnel qui fonctionne dans un système. Ensuite, dans le
signe, cohabitent deux aspects qui n’ont aucun lien naturel entre
eux : d’une part, le signifiant (c’est-à-dire l’image acoustique ou
la représentation du son), et, d’autre part, le signifié (c’est-à-dire
l’idée ou le concept que le mot désigne).
Langage, langue et parole
Nous pouvons donc en conclure que les signes n’existent pas
avant la langue. C’est la langue, et elle seule, qui permet de dire
une signification. Il en résulte que la langue devient un objet
d’étude spécifique que l’on peut distinguer du langage. Ce
dernier peut se définir comme la faculté générale que possède
l’homme de dire ou de communiquer sa pensée par un système
de signes ; la langue étant un système particulier de signes parmi
d’autres. Saussure distingue encore la langue et le langage de la
parole en tant qu’elle est l’acte d’un individu. Il en donne la
définition suivante : la parole est « l’acte de l’individu réalisant
sa faculté de langage au moyen de la convention sociale qu’est
la langue ».
Austin et la philosophie
analytique
John Austin (1911-1960) appartient à un courant philosophique,
issu de l’université d’Oxford, qui s’intéresse à la philosophie du
langage et qui a pris le nom de philosophie analytique. Cette
dernière rompt avec les problématiques classiques de la
philosophie dite « continentale », issue pour l’essentiel de la
pensée de Descartes et constituée autour du sujet pris comme
point de départ et comme certitude. La tâche que se donne la
philosophie analytique est, comme l’écrit Ludwig Wittgenstein
(1889-1951), « la clarification logique de la pensée ». Elle peut
donc se définir par le fait qu’elle s’intéresse aux rapports qui
s’instituent entre le langage et le monde ou, pour le dire dans les
termes de la philosophie analytique, entre des propositions ou
des énoncés, d’une part, et des états de choses dans le monde,
d’autre part.
Dans une série de cours qu’il prononce en 1955 et qui seront
édités après sa mort sous le titre Quand dire, c’est faire, Austin
s’attaque à un des principes de la philosophie analytique de son
époque selon lequel le langage vise essentiellement à décrire le
réel. Contre cette conception « vériconditionnaliste » du langage
qu’il nomme aussi « illusion descriptive », Austin soutient que
beaucoup de phrases, qui ne sont pourtant pas des questions ou
des ordres ou des exclamations, ne servent pas à décrire le réel
(et ne sont donc pas susceptibles d’être dites vraies ou fausses),
mais à le modifier. Ainsi, parler est une des modalités de
l’action. Par exemple, lorsque je dis à quelqu’un « je te promets
d’être de retour à temps », au moment même où je prononce ces
mots, j’accomplis en même temps une action qui consiste à
m’engager à quelque chose envers autrui.
Performatif explicite et
performatif implicite
Au cours de son travail de recherche, Austin se rend compte du
fait que cette opposition entre énoncés constatatifs et énoncés
performatifs est plus complexe qu’il n’y paraît. Il existe des
énoncés performatifs qui ne comportent ni verbe conjugué à la
première personne du présent de l’indicatif (« Je te baptise… »,
« Je te nomme… », « Je te maudis… ») ni verbe performatif
(féliciter, marier, promettre…). Ils n’ont pas la forme des
performatifs, mais ils en ont le sens et donc la nature : ce sont
des performatifs implicites. C’est le cas, par exemple, de
l’énoncé « les délais sont dépassés », lorsqu’il est prononcé par
un supérieur qui s’adresse à son subordonné pour lui faire
remarquer qu’il est en retard dans son travail. Cet énoncé
correspond ici à l’acte de faire des reproches.
Ce constat conduit Austin à proposer une nouvelle distinction
conceptuelle entre le locutionnaire (c’est-à-dire l’activité de
l’esprit et de la voix qui est nécessaire pour que la parole soit
possible), le perlocutionnaire qui regroupe les conséquences
découlant de l’activité locutionnaire, et, enfin, l’illocutionnaire
qui correspond à ce que l’on accomplit par le fait même de
prononcer l’énoncé et qui recoupe donc largement ce qu’Austin
avait d’abord appelé « performatif ». Par exemple, lorsque je
promets quelque chose à quelqu’un, l’acte de promettre est
illocutionnaire (et lui seul l’est) et il peut avoir des conséquences
perlocutionnaires (mon auditeur peut ou non me croire, je peux
ou non me contraindre à honorer ma promesse…).
Fiche 27 : La fonction
thaumaturgique du langage ou
le pouvoir de faire des miracles
Nicolas Grimaldi (né en 1933), dans son ouvrage Le Désir et le
Temps (1971), analyse la fonction thaumaturgique (c’est-à-dire
magique) du langage. Faut-il voir, dans cette fonction,
simplement une septième fonction du langage, qui s’ajouterait à
celles déjà décrites par Roman Jakobson (1896-1982) et qui
correspondrait à des utilisations particulières de celui-ci, ou
avons-nous affaire à une fonction essentielle du langage au sens
où elle serait révélatrice de ce qu’il est ?
LES SIX FONCTIONS DU LANGAGE
Un peu d’étymologie
Que signifie l’adjectif « thaumaturgique » ? Cet adjectif et le
nom commun (thaumaturge) qui est de la même famille sont
issus d’un terme grec (thaumaturgos) qui désigne celui « qui fait
des tours d’adresse ». Dans la langue grecque employée par les
auteurs chrétiens, ce terme désigne plus particulièrement celui
qui fait des miracles. Il est lui-même constitué à partir de deux
termes : ergon qui désigne l’action et thauma qui désigne un
objet d’étonnement ou d’admiration, au sens strict une
merveille, c’est-à-dire quelque chose qui fournit un spectacle.
Ainsi, la puissance thaumaturgique du langage réside dans le fait
qu’il nous donne à voir ce que nous ne devrions pas pouvoir
voir.
» Définition de l’art
» Le génie
» Art et imagination
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
Art ou métier ?
Pour Kant, l’art (au sens strict des beaux-arts) doit encore être
distingué du métier, car si « l’art est dit libéral, le métier est dit
mercenaire ». Pour ce faire, il ne suffit pas d’établir une
différence entre la nature de leurs productions respectives,
l’activité de l’artisan produisant des objets utiles, et l’activité de
l’artiste produisant des œuvres qui ne sont pas des moyens en
vue d’une fin qui leur est extérieure (elles sont à elles-mêmes
leur propre fin) et qui engendrent une satisfaction
désintéressée – c’est-à-dire qui n’est due ni à la visée de l’utile,
ni à celle du bon, ni à celle de l’agréable – chez ceux qui les
contemplent.
Pour effectuer correctement la distinction qui nous occupe, il
faut, nous dit Kant, retourner au « fondement » de ces activités
pour savoir comment elles parviennent à leur finalité. Ce que fait
l’artisan relève du travail : il produit un effort pour parvenir à
une fin doublement utile (produire un objet et gagner un salaire).
L’activité de l’artiste ne relève pas du travail, mais peut être
apparentée à un jeu. En effet, elle ne vise rien d’autre qu’elle-
même et elle produit un plaisir pur – pour Kant – dans la mesure
où ce dernier n’est pas lié à un plaisir des sens.
Nature et génie
« Le génie est le talent (don naturel), qui donne les règles à l’art.
Puisque le talent, comme faculté productive innée de l’artiste,
appartient lui-même à la nature, on pourrait s’exprimer ainsi : le
génie est la disposition innée de l’esprit par laquelle la nature
donne les règles à l’art. » Ainsi commence le paragraphe 46 de
la Critique de la faculté de juger.
Il faut comprendre que le génie est la réponse que propose Kant
à la difficulté suivante : comment faut-il concevoir ce qui est au
principe de l’engendrement des œuvres d’art, étant entendu que,
si ces œuvres sont le fruit d’une production humaine, elles ne
doivent pas porter la trace de l’effort de l’homme, mais avoir
l’apparence de la nature ? Penser l’œuvre d’art comme l’œuvre
du génie revient à apporter une réponse philosophique à une
question philosophique, et non pas à tenir, comme on pourrait
avoir tendance à le croire, un discours non rationnel.
Ainsi, les œuvres d’art n’ont entre elles que des ressemblances
de famille, ressemblances qui peuvent relever de leur aspect,
mais aussi de leur mode de production. Il s’ensuit que nous
pouvons qualifier d’œuvres d’art, de productions artistiques ou
de performances des réalités extrêmement diverses. Le concept
d’art ainsi produit n’a pas d’extension fermement délimitée.
Cela constitue à la fois un avantage et un inconvénient : un
avantage dans la mesure où il peut permettre de parler à la fois
de l’art antique et de l’art contemporain, un inconvénient
puisque, comme nous n’avons pas de définition du concept d’art,
mais seulement des exemples d’œuvres, nous pouvons parfois
nous trouver face à des cas tels que nous ne savons pas décider
si nous sommes face à une œuvre d’art ou pas.
La définition institutionnelle
de l’art
Un autre philosophe analytique, George Dickie (né en 1926)
propose dans un article intitulé « Définir l’art » une autre piste
pour appréhender les œuvres d’art. Selon lui, s’il n’y a pas
d’essence de l’art, nous pouvons en revanche identifier quelles
sont les conditions nécessaires pour qu’il y ait art. Dans son
article, il écrit : « Une œuvre d’art au sens classificatoire est 1)
un artefact 2) auquel une ou plusieurs personnes agissant au nom
d’une certaine institution sociale (le monde de l’art) ont conféré
le statut de candidat à l’appréciation. »
Cette définition est qualifiée d’institutionnelle, car elle repose
essentiellement sur la reconnaissance du statut d’œuvre accordé
à un objet par le monde de l’art, c’est-à-dire par les spécialistes
de l’art (critiques, journalistes spécialisés, conservateurs de
musée…), les artistes et les amateurs éclairés. Ainsi, un objet
non transformé – par exemple une pierre ou un bout de bois
ramassé et exposé par un artiste dans un musée – peut être une
œuvre d’art à partir du moment où le monde de l’art lui accorde
le statut de candidat à l’appréciation. Ici, le fait même de
ramasser l’objet et de l’exposer fait de cet objet à la fois un
artefact et une œuvre d’art.
Cette conception institutionnelle de l’art est à double tranchant :
si elle permet, d’une part, de rendre compte des variations dans
le temps que connaît la définition de ce qu’est une œuvre (bon
nombre d’œuvres contemporaines n’auraient pas été considérées
comme telles il y a seulement quelques siècles), elle présente
d’autre part une insuffisance structurelle puisque c’est le monde
de l’art lui-même qui décide de ce qui est une œuvre. Il est en
quelque sorte juge et partie.
Fiche 31 : L’œuvre d’art et
l’imaginaire
Si la problématique kantienne, qui consiste à rechercher une
essence de l’art et qui trouve sa réponse dans la conception de
l’œuvre d’art comme œuvre belle et œuvre du génie, ne saurait
rendre raison de l’art moderne ou contemporain, il n’en reste pas
moins que le questionnement de la philosophie analytique n’est
pas, lui non plus (voir fiche 30) satisfaisant. Autrement dit, une
question subsiste : qu’est-ce qui permet de distinguer, à coup sûr,
une œuvre d’art d’un objet matériel quelconque ? Cette première
question se redouble d’une seconde : comment pouvons-nous
parvenir à identifier l’art, c’est-à-dire ce qui n’a plus d’essence ?
La conscience imageante et
l’œuvre d’art
Pour Sartre, face à un tableau ou à une représentation théâtrale,
ma conscience peut avoir deux types d’attitude. Elle peut,
d’abord, avoir une attitude perceptive. C’est le cas lorsqu’à la fin
du spectacle les lumières s’allument et que je quitte mon attitude
imageante pour observer les détails du décor réel sur la scène.
C’est aussi le cas lorsque j’assiste à un mauvais spectacle (je
n’ai pas ici affaire à une œuvre d’art) et que ma conscience
retombe dans l’attitude perceptive : à ce moment-là, je vois que
l’acteur transpire, qu’il est trop maquillé, qu’il est mal habillé,
que sa diction est mauvaise, que le décor est en carton… Au
contraire, lorsque j’assiste à ce qu’il est convenu d’appeler un
bon spectacle, ma conscience demeure dans l’attitude imageante
tout le temps de la représentation.
Dans ce second cas, à partir de ce qu’il y a réellement sur scène
(tel acteur, dans tel costume, sous tel éclairage…), ma
conscience imagine Hamlet traversé par tel sentiment,
s’apprêtant à accomplir tel acte. Ici, ce qui existe réellement, la
matière de ma perception – matière que Sartre nomme
analogon –, sert de point de départ à l’activité imageante de ma
conscience. Lorsque j’imagine Hamlet à partir de cet acteur que
je vois, je pose Hamlet comme un objet imaginaire (je le pose en
image), c’est-à-dire irréel.
Il est donc, pour Sartre, tout à fait erroné de dire que l’œuvre
réalise ce qui a d’abord été imaginé par l’artiste. Ce dernier offre
seulement un analogon – c’est-à-dire une matière – à partir
duquel la conscience imageante du spectateur va imaginer
l’œuvre. Cette dernière ne sera donc pas réalisée, puisqu’elle
n’est pas réelle. Ainsi, l’originalité de la thèse de Sartre tient au
fait que le beau est ici conçu comme relevant de l’irréel.
L’œuvre d’art se reconnaît par conséquent au fait qu’elle produit
une attitude imageante de la conscience de celui qui la
contemple et qu’elle suscite un plaisir désintéressé (comme
c’était déjà le cas chez Kant) puisque ce plaisir n’est pas lié à un
objet réel, mais à un objet à la fois irréel et imaginaire.
Chapitre 9
Le travail
DANS CE CHAPITRE :
» La marchandise
» Aliénation et exploitation
» Le besoin de travailler
» Le travail et l’œuvre
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
Travail et valeur
Si la richesse, dans la société, se manifeste en premier lieu par
une accumulation de marchandises, alors une analyse efficace de
la nature réelle de la marchandise doit nous permettre – telle est
la conviction de Marx – de comprendre ce qu’est la valeur, et,
par conséquent, d’identifier les mécanismes qui sont à l’œuvre
dans l’économie politique. En effet, le travail tel que Marx peut
l’observer et l’analyser, c’est-à-dire le travail au XIXe siècle dans
les sociétés industrialisées, apparaît comme ce qui produit des
marchandises.
Or, la marchandise, sur un plan philosophique, ne saurait se
réduire à cet objet que l’on peut négocier, vendre ou acheter. Elle
présente deux aspects irréductibles l’un à l’autre : d’une part,
elle a ce que l’économie classique a nommé une valeur d’usage
en tant qu’elle est un objet utile, doté de caractères particuliers
qui lui permettent de satisfaire tel besoin ou désir humain ;
d’autre part, elle a une valeur d’échange en tant qu’elle
correspond à une quantité, elle-même échangeable contre une
autre marchandise. En tant qu’elle a une valeur d’usage, je vais
donc acheter la marchandise en vue de son utilité, mais en tant
qu’elle a une valeur d’échange, je veux la vendre pour récupérer
sa valeur. Telle est la tension qui traverse la notion de
marchandise.
La compréhension marxienne de la valeur s’inscrit dans la
continuité de l’économie classique, c’est-à-dire, pour l’essentiel,
de la pensée d’Adam Smith (1723-1790) et de David Ricardo
(1772-1823). Pour ces derniers, c’est le travail qui constitue la
substance de la valeur, et c’est le temps de travail social qui
permet de mesurer la grandeur de la valeur de la marchandise.
Dans Le Capital (1867), Marx définit le « temps de travail
socialement nécessaire » à la production d’une marchandise
comme « le temps de travail nécessaire en moyenne » pour
produire une marchandise eu égard aux conditions moyennes de
productivité qui caractérisent tel pays à l’époque.
Le fétichisme de la
marchandise
Dans Le Capital, Marx écrit : « Ce qu’il y a de mystérieux dans
la forme marchandise consiste donc simplement en ceci qu’elle
renvoie aux hommes l’image des caractères sociaux de leur
propre travail comme des caractères objectifs des produits du
travail eux-mêmes, comme des qualités sociales que ces choses
posséderaient par nature […]. J’appelle cela le fétichisme,
fétichisme qui adhère aux produits du travail dès lors qu’ils sont
produits comme marchandises, et qui, partant, est inséparable de
la production marchande » (livre I, chapitre I, § 4). Ainsi, le
fétichisme de la marchandise réside dans le fait que les hommes
vont confondre le rapport réel qui est un rapport social (de
domination) des hommes entre eux avec un rapport des choses
entre elles.
Les marchandises possèdent une valeur d’usage et une valeur
d’échange. C’est cette dernière qui varie dans le temps et dans
l’espace. Les variations de cette valeur d’échange, au lieu de
dissiper l’illusion selon laquelle le rapport entre la marchandise
et sa valeur serait interne à la marchandise, ne font que la
renforcer. En effet, selon Marx, ces fluctuations ne sont pas dues
aux choix libres des individus désireux d’acquérir telle ou telle
marchandise. C’est l’inverse : ce sont ces fluctuations qui
rendent possible ou non l’acquisition de telle marchandise par tel
individu. Cela confère une objectivité apparente à la valeur
d’échange des marchandises, « objectivité » encore renforcée
par l’existence de l’argent qui semble être la valeur d’échange
elle-même puisqu’il apparaît comme sa matérialisation.
Contre les classiques qui entendent expliquer la fluctuation de la
valeur des marchandises par le temps nécessaire à leur
production – temps conçu comme une mesure invariable – et
accordent ainsi à cette valeur une forme de naturalité, Marx vise
à expliquer les phénomènes économiques comme étant produits
par des lois afin de les débarrasser de leur apparence
surnaturelle. C’est cette même volonté que l’on retrouvera
quelques décennies plus tard chez le sociologue Émile
Durkheim (1858-1917) lorsqu’il proposera de « traiter les faits
sociaux comme des choses ».
Fiche 33 : Travail et exploitation
Comment le travail, qui pour Marx est à la fois ce qui est naturel
et ce qui peut avoir une forme proprement humaine, peut-il
devenir, pour l’homme, source d’aliénation ou d’exploitation ?
Telle est la difficulté que Marx se propose de résoudre au livre I
de son ouvrage Le Capital. C’est précisément le premier
caractère du travail qui rend possible le second. Pour
comprendre la thèse marxienne, il nous faut rappeler le caractère
double, pour Marx, du travail et ce qu’il entend par « procès de
travail ». Suivons pas à pas son analyse.
Procès du travail et
exploitation
Le cycle qui serait normal ou logique pour l’échange marchand
serait le suivant : lorsque je possède une marchandise dont je ne
me sers pas, je l’échange contre de l’argent qui va me servir à
acheter une marchandise dont j’ai besoin. Dès lors que l’on
passe au mode de production capitaliste, la logique de ce cycle
se trouve inversée : j’ai de l’argent avec lequel j’achète une
marchandise que je revends ensuite pour avoir plus d’argent. Ce
second processus correspond à ce qu’Aristote (IVe siècle av. J.-
C.) nomme la chrématistique : la richesse y est recherchée pour
elle-même et en cela nous avons affaire à une activité
qu’Aristote juge condamnable.
Marx met au jour le ressort du capitalisme en posant la question
suivante : comment peut-il y avoir accroissement du capital si
l’on échange une marchandise contre sa valeur d’échange, c’est-
à-dire si l’on échange deux réalités de valeur équivalente ? La
thèse de Marx consiste à affirmer que, pour réaliser cela, il faut
trouver une marchandise dont la valeur d’usage aurait la capacité
d’être elle-même source de valeur échangeable. Ainsi,
consommer cette marchandise reviendrait à travailler et, par
conséquent, à créer de la valeur. Marx nomme cette marchandise
« puissance de travail » ou « force de travail ».
L’ouvrier vend sa force de travail pour une durée déterminée
(sans quoi il serait un esclave). Si, en travaillant la moitié de
cette durée, il effectue une quantité de travail de valeur
équivalente à la valeur de son salaire, alors le travail qu’il
effectuera pendant la seconde moitié de cette durée appartiendra
aux capitalistes. Ce temps de sur-travail va permettre aux
capitalistes de former une plus-value puisqu’ils bénéficient des
biens produits par ce sur-travail sans avoir payé ce dernier. Tel
est le processus que Marx nomme « exploitation ».
Fiche 34 : Avons-nous besoin de
travailler ?
Il apparaît évident que nous avons besoin de travailler à la fois
pour produire de nouvelles choses (des biens et des services)
dans le monde, pour nous approprier ce monde et le rendre
moins hostile, pour gagner de l’argent afin de subvenir à nos
besoins, et aussi pour déployer nos capacités. Mais, ce qui
apparaît comme une évidence est aussi une représentation, et, à
ce titre, mérite d’être interrogé ou, tout au moins, de faire l’objet
d’une analyse.
Un dépassement possible ?
Nietzsche clôt l’aphorisme 611 en affirmant que celui qui est à la
fois lassé par le jeu et qui n’est pas animé par de nouveaux
besoins peut être saisi par un désir d’un genre nouveau : un désir
libéré de l’esprit de sérieux et du cercle vicieux que nous avons
évoqué plus haut, un désir de « danser » et de « planer », c’est-à-
dire un désir qui est débarrassé des faux besoins, étrangers à la
vie, et qui est purement animé par la vie.
Fiche 35 : La condition de
l’homme moderne et le travail
Au chapitre III de son ouvrage intitulé La Condition de l’homme
moderne (1958), Hannah Arendt (1906-1975) écrit : « C’est, en
effet, la marque de tout travail de ne rien laisser derrière soi, de
voir le résultat de l’effort presque aussitôt consommé que
l’effort est dépensé » (Calmann-Lévy, 1983). Elle signale aussi
que la distinction qu’elle pose entre le travail et l’œuvre n’est
pas, selon ses propres termes, « habituelle ».
Quelle conception du travail sous-tend son analyse, et quelles
distinctions conceptuelles induit-elle ? Quel rapport cette
philosophie entretient-elle avec la conception marxiste du
travail ? C’est à ces questions que nous nous proposons de
répondre.
Travail et œuvre
D’après Hannah Arendt, ce qui caractérise en propre le travail
(c’est-à-dire ce qui permet à la fois de le reconnaître et de le
différencier des autres activités humaines) réside dans le fait que
ce qu’il produit ne dure pas. L’effort que l’homme déploie
lorsqu’il travaille ne perdure pas sous la forme d’un résultat
puisque ce dernier – l’objet produit – est immédiatement
consommé. Pour bien comprendre ce qu’est le travail, il faut
suivre la distinction qu’Arendt pose entre le travail (ce que
l’ouvrier fait) et l’œuvre (ce que l’artisan fait).
En dépit des apparences – le travail est complexe et nécessite
une organisation dont les animaux ne semblent pas capables –, le
travail est pour Arendt ce qui réduit l’homme à son animalité.
Son argument est le suivant : le travail est ce qui assure la survie
de l’homme comme espèce. Celui qui travaille (l’animal
laborans) s’attache à produire les moyens de sa survie. Or, cette
tâche est toujours à recommencer puisque l’homme utilise sa
puissance pour transformer ce qui est devant lui – la nature sous
la forme du champ de blé, par exemple – en une chose qui peut
être consommée (la farine, le pain, les gâteaux). Une fois cette
chose consommée, il faut recommencer et travailler à nouveau.
Voilà comment l’homme se trouve pris dans un cercle sans fin.
Il faut donc bien distinguer le travail de l’œuvre, laquelle est
faite pour perdurer plus longtemps dans le monde et laisser
derrière elle une marque. Le moulin, construit par l’artisan (et
qui est donc une œuvre), durera bien après la fabrication et la
consommation du premier sac de farine et façonnera donc le
monde. L’artificialité est donc du côté de l’œuvre alors que la
naturalité est du côté du produit du travail. C’est la raison pour
laquelle Arendt définit le travail comme l’activité qui est la
moins spécifiquement humaine. Sont des activités plus
spécifiquement humaines la production d’œuvres par l’artisan, la
production d’œuvres d’art ou encore l’activité politique.
» Le corps et la technique
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
· George Pal, La Machine à remonter le
temps, 1960.
L’originalité de Mauss
L’originalité de Mauss consiste en un double acte. D’abord, il va
parler de techniques du corps, non pas seulement pour tout ce
qui relève des habitudes prises à la faveur d’un métier ou encore
d’une activité sportive, mais pour toutes les attitudes ou
aptitudes du corps dès lors qu’elles sont acquises et cristallisées
dans le corps. Ainsi, des attitudes du corps telles que marcher de
telle ou telle manière, se tenir de telle façon à table
correspondent à ce que la sociologie range dans la catégorie des
habitus et sont donc des faits sociaux.
QU’EST-CE QU’UN HABITUS ?
Un triple constat
Afin d’éviter toute méprise et avant d’exposer le constat fait par
Jonas, nous devons faire remarquer que ce dernier ne vise pas,
dans son ouvrage, la production d’une philosophie de la
technique, mais la constitution, à partir du déploiement de la
technique moderne et de ses conséquences, d’une nouvelle
éthique. C’est nous qui choisissons de faire porter l’accent sur ce
qui fait l’objet de notre étude : l’analyse que propose Jonas de la
technique.
Jonas opère une triple constatation :
Penser autrement la
responsabilité
Pour Jonas, cette transformation radicale de la nature de l’action
humaine produit de fait une transformation de ce qu’est la
responsabilité de l’homme et appelle donc une éthique d’un
nouveau genre. Jusque-là, le concept de responsabilité
définissait cette dernière « comme imputation causale des actes
commis ». Jonas explique que l’ancien concept de responsabilité
ou, pour le dire plus précisément, la responsabilité qui était
exigible eu égard à ce qu’était l’état de la technique avant notre
époque, définissait la responsabilité comme un calcul après ce
qui a été fait. Le nouveau concept de responsabilité, propre à
l’âge de la technique, consiste en « la détermination de ce qui est
à faire ». Et Jonas de poursuivre : « je me sens donc responsable
non en premier lieu de mon comportement et de ses
conséquences, mais de la chose qui revendique mon agir ».
Ainsi, je ne suis plus en premier lieu responsable de ce que j’ai
fait ou devant quelqu’un qui est là (autrui, mes contemporains,
un tribunal…), mais pour les générations suivantes. Je dois donc
régler mon action afin que soit préservée, pour cette humanité à
venir, la possibilité de vivre dignement et de façon humaine.
Ainsi se trouve transformée, à plusieurs niveaux, la structure du
raisonnement permettant de produire une éthique et de penser la
responsabilité. Notre devoir est ainsi pensé à partir de ce que
nous pouvons faire (et non pas de ce que nous avons fait). Nous
avons aussi des obligations, non plus envers celui qui nous fait
face, mais envers celui qui pourra peut-être exister un jour.
Enfin, et par conséquent, cette responsabilité n’est bien
évidemment pas réciproque.
Chapitre 11
Dieu et la religion
DANS CE CHAPITRE :
» La foi d’Abraham
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
La critique kantienne
Les preuves de l’existence de Dieu ont fait, dans l’histoire de la
philosophie, l’objet d’un certain nombre de critiques. La preuve
proposée par Descartes et que nous avons présentée ci-dessus est
passée au crible de la critique par Emmanuel Kant (1724-1804)
dans la Critique de la raison pure (1781).
Dans ce texte, le philosophe de Königsberg adresse aux preuves
ontologiques un reproche d’incohérence logique. À propos de la
preuve de l’existence de Dieu à partir de l’idée de perfection
présentée par Descartes, Kant développe une critique centrée sur
l’être comme prédicat. Si, pour Descartes, l’être est un prédicat
réel (c’est-à-dire que l’affirmation selon laquelle Dieu est parfait
équivaut à dire que Dieu a deux prédicats réels, l’existence et la
perfection), il n’en est rien en revanche pour Kant.
Pour ce dernier, l’être n’est pas un prédicat réel : il s’ajoute au
concept de la chose (ici Dieu) sans la transformer (il ne suffit pas
de dire que Dieu est parfait pour prouver qu’il est et qu’il est
parfait, c’est-à-dire qu’il existe). Pour savoir si un objet existe, il
faut sortir de l’ordre du concept et aller voir ce qu’il en est dans
l’expérience. Or, nous ne pouvons bien entendu pas faire une
expérience sensible – c’est-à-dire, pour Kant, dans le temps et
dans l’espace – de Dieu. Ici réside l’incohérence logique de la
preuve ontologique.
Fiche 41 : Le pari de Pascal
Dieu est-il prouvé ou éprouvé ? Autrement dit, Dieu fait-il
l’objet d’une démonstration rationnelle ou d’une expérience
subjective ? À cette question, Blaise Pascal (1623-1662)
répond : ni l’un ni l’autre. En effet, pour lui, Dieu n’est ni
prouvé ni éprouvé ; il est décidé au sens où il fait l’objet d’une
décision que l’on peut légitimer par des arguments rationnels.
Telle est la thèse soutenue dans le texte des Pensées (1670)
connu, dans l’histoire de la philosophie, sous le nom de « pari
pascalien » et que Pascal intitule « Infini rien ».
Qu’est-ce qui justifie, selon Pascal, une telle affirmation ?
La démonstration de la vérité
de la religion chrétienne ne
passe pas par le pari
L’argumentation pascalienne déployée dans ce texte s’adresse à
des non-croyants. La fin du passage insiste sur le fait que le
message de l’Écriture ne peut être entendu que par ceux qui
voudront bien l’entendre. C’est la raison pour laquelle Pascal
conduit ceux à qui il s’adresse à travailler à se convaincre de la
vérité de l’Écriture, non pas en ayant recours à l’argumentation,
mais en diminuant l’emprise des passions sur la raison. Ici, la
raison doit donc prendre le pas sur le cœur.
LE CŒUR ET LA RAISON
La foi d’Abraham
Abraham ne peut invoquer aucune justification pour rendre
raison de son acte. Pour cette raison, nous pouvons dire qu’il
procède à une affirmation muette de Dieu. Abraham éprouve
Dieu au plus intime de sa subjectivité. Il est donc le sujet de la
foi et nous pouvons même faire un pas supplémentaire en
affirmant que, si Abraham comprenait la demande de Dieu, il ne
serait plus dans l’ordre de la foi. C’est dans cette épreuve de
l’angoisse, dans cette expérience de l’injustifiable, que se trouve,
pour Kierkegaard, le vrai rapport à Dieu. Nous avons affaire à
une épreuve singulière qui se fait dans un engagement et ce
dernier ne correspond pas à une postulation (comme c’était le
cas, d’après lui, du pari de Pascal).
Kierkegaard souligne à plusieurs reprises qu’Abraham se tait.
Les mots sont inadéquats pour dire ce dont il s’agit, car ils sont
chargés d’immanence : ils sont humains et donc impropres pour
parler du rapport à Dieu. Ceci nous confronte à la question de la
détermination du statut du discours. Une voie s’offre à nous :
c’est celle qui consiste à récuser tout discours positif sur Dieu,
discours qui voudrait figer la nature de Dieu en une ou des
déterminations. C’est la voie suivie par la théologie négative,
laquelle consiste en une purification indéfinie du discours. Pour
celui qui arpente cette voie, l’épreuve de Dieu reste totalement
étrange et donc indicible.
Le saut de la foi et
l’affirmation de soi
Telle n’est pas la voie que choisit Kierkegaard. La raison en est
la suivante : pour lui, il s’agit moins de statuer sur la nature de
Dieu que de penser notre rapport à lui. Sa méditation sur la
figure d’Abraham lui permet de dire que le rapport à Dieu ne
relève pas de la médiation (nous n’accédons pas à Dieu en
passant par des intermédiaires, en progressant par degré), mais
en faisant un saut dans la foi, un peu comme on sauterait dans le
vide.
Ce saut engage l’individu comme sujet particulier : il n’a donc
rien à voir avec une attitude commune ou collective (comme la
religion) pour Kierkegaard. Tout se passe donc comme si, en
faisant l’expérience de la solitude radicale dans la foi, l’homme,
dans ce rapport particulier à Dieu, accédait d’abord à lui-même
comme singularité. Cette épreuve subjective de Dieu (c’est-à-
dire l’épreuve que le sujet fait de Dieu) est donc pour l’essentiel
une affirmation subjective de soi.
Fiche 43 : Les formes
élémentaires de la vie
religieuse ou la sociologie de la
religion
Dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), Émile
Durkheim (1858-1917) élabore une théorie de la religion, qu’il
entend déployer à partir d’une étude des formes de religiosité
qui sont les plus simples et les plus primitives. Pour lui, c’est,
par conséquent, le totémisme qui est porteur de la substance de
la religion et c’est donc lui qui permet de comprendre toutes les
formes que revêt la religion dans le temps et dans l’espace. La
thèse de Durkheim consiste à affirmer que les religions ont une
nature essentiellement sociale.
Quelles sont les étapes logiques de son raisonnement ?
Le totémisme : la religion la
plus simple
Durkheim pense le totémisme non pas comme une religion
simple, mais comme la religion qui est la plus simple.
Autrement dit, il a une conception évolutionniste de l’histoire
religieuse, toutes les religions étant issues d’un point unique – le
totémisme – dont elles sont des déploiements plus ou moins
complexes dans le temps. Il développe son analyse du totémisme
à partir des notions de clan et de totem.
LE CLAN ET LE TOTEM
» Le rôle de la mémoire
» La raison à l’œuvre
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
La subjectivité de l’historien
Ainsi, l’objectivité propre à l’histoire et à son objet doit faire sa
place à une forme de subjectivité de l’historien. Il ne faut pas se
méprendre ici et croire que Ricœur propose de laisser un espace
quelconque à ce qui ne relèverait d’aucune méthode (les
préférences de l’historien, ses affects, ses croyances, ses
réticences…). La subjectivité de l’historien ne saurait être
quelconque, sans règles, livrée à elle-même. Pour notre auteur, la
subjectivité de l’historien est « une subjectivité impliquée »,
c’est-à-dire « impliquée par l’objectivité attendue ».
Cette formule est riche d’enseignements : la thèse de Ricœur ne
consiste pas à dire que l’on peut admettre ou tolérer une forme
de subjectivité en quelque sorte encadrée ou régulée de la part de
l’historien – par exemple au sens où ce dernier pourrait laisser
transparaître certaines de ses opinions pour autant qu’elles
n’entreraient pas en contradiction avec les documents
historiques ou les témoignages du passé –, mais que
l’objectivité, d’une part, commande une forme de subjectivité
(c’est le premier sens du verbe impliquer), et, d’autre part, ne
saurait être atteinte sans elle, c’est-à-dire qu’elle la présuppose
(c’est le second sens du verbe impliquer).
Quelle peut donc être la nature de la subjectivité de l’historien ?
Dans son texte intitulé La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli (Seuil,
2000), Paul Ricœur précise – reprenant pour les prolonger les
analyses d’Henri-Irénée Marrou (1904-1977) dans De la
connaissance historique (1956) – la consistance de cette
subjectivité : « La compréhension d’autrui devient ainsi l’étoile
directrice de l’historien, au prix d’une épokhê [suspension] du
moi dans un véritable oubli de soi. En ce sens, l’implication
subjective constitue à la fois la condition et la limite de la
connaissance historique. […] Pas de vérité sans amitié. »
Cette bonne subjectivité consiste, comme l’explique Ricœur
dans La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, à opérer un transfert de sa
propre subjectivité d’historien dans celle des hommes du passé
et à faire de cette autre subjectivité une perspective permettant
de comprendre ce monde passé. La sympathie pour les
personnages étudiés (c’est-à-dire le fait d’éprouver les choses
comme ils les éprouvent ou de les voir à travers leur regard) est
donc une méthode nécessaire à l’historien.
L’animal et l’homme
Friedrich Nietzsche (1844-1900) pense l’histoire et notre
rapport à l’histoire à partir d’une compréhension du rapport
entre la mémoire et l’oubli. Pour ce faire, il part du cas de
l’animal. Ce dernier vit dans le présent : son existence tout
entière est dans l’immédiateté. Sa conscience n’est ni retenue
par le passé (il ne connaît ni regrets ni nostalgie…) ni tendue
vers l’avenir (Nietzsche ne lui prête ni la capacité d’espérer ni
celle de s’inquiéter). Il vit chaque instant comme s’il était unique
et comme s’il n’y avait que lui.
À l’animal qui vit sans souvenirs, Nietzsche oppose l’homme
qui ne peut pas être sans passé. Non seulement l’homme se
souvient, mais encore il est incapable de parvenir à oublier s’il le
souhaite. Comme l’explique Nietzsche dans Aurore
(aphorisme 167), l’homme ne peut pas acquérir la capacité
d’oublier, car s’efforcer d’oublier produit l’effet inverse :
l’individu qui veut oublier quelque chose pense précisément à
cette chose qu’il veut oublier et la garde, par conséquent,
présente à son esprit.
Échelle microscopique et
échelle macroscopique
C’est notre expérience immédiate (à l’échelle microscopique)
qui, parce qu’elle ne saisit que des détails ou des faits
particuliers non reliés entre eux et ne procédant, de son point de
vue, d’aucune logique, voit dans l’histoire un chaos. Pour Hegel,
considérer un événement comme étant une étape d’une période
plus large (c’est-à-dire avoir un point de vue sur l’histoire au
long cours, histoire séculaire ou millénaire) permet à la fois de
comprendre – et non de justifier – cet événement et de l’insérer
dans une tendance ou un mouvement global de l’histoire dont
l’historien pourra mettre au jour la logique.
Ainsi, pour un soldat pris au cœur de la mêlée pendant la
Seconde Guerre mondiale, la bataille n’est que violence et
chaos. Pour le général qui commande l’armée, les actions qui
semblent chaotiques au soldat correspondent aux moments d’un
plan de bataille. Pour l’historien qui tente de mettre au jour les
causes expliquant les événements, la Seconde Guerre mondiale
tout entière découle des conditions de l’armistice de la Première
Guerre mondiale, laquelle découle de la fin de la guerre
de 1870…
La ruse de la raison et la
liberté
Les histoires particulières des individus, des groupes, des
sociétés, des empires constituent une seule histoire, l’histoire du
monde, que Hegel nomme histoire universelle. Cette dernière est
l’histoire de l’esprit à l’œuvre dans le monde et elle a un sens
général : elle va, comme le souligne Hegel dans ses Leçons sur
l’histoire de la philosophie (1837), vers le déploiement de la
conscience de la liberté de l’homme au sens où l’homme se sait,
peu à peu, comme devant être libre. Ainsi, si tous ne sont pas
libres dans les faits (l’actualisation de la liberté étant une tâche
toujours à accomplir ou à reconduire), tous en revanche aspirent
de nos jours à l’être.
L’esprit (c’est-à-dire pour Hegel la raison) utilise les caractères
particuliers présents dans le monde à tel moment – l’esprit de
telle civilisation ou encore les affects ou le tempérament de tel
individu – pour se déployer. Dans La Raison dans l’histoire,
Hegel écrit : « On peut appeler ruse de la Raison le fait qu’elle
laisse agir à sa place les passions, en sorte que c’est seulement le
moyen par lequel elle parvient à l’existence qui éprouve des
pertes et subit des dommages. »
Autrement dit, l’esprit à l’œuvre dans le monde et dans l’histoire
utilise ce qu’il y a de plus irrationnel (les affects) pour se
déployer, c’est-à-dire pour déployer la rationalité et la liberté.
Une question se pose alors : dans une telle conception, les
hommes sont-ils encore acteurs (libres) de l’histoire ? Si cette
question divise les commentateurs depuis longtemps, il reste que
nous pouvons légitimement nier que la philosophie de Hegel a
un caractère déterministe. Sur ce point, nous pouvons suivre
Bernard Mabille (Hegel. L’épreuve de la contingence, 1999) qui
met en évidence la place accordée à la contingence dans la
philosophie hégélienne de l’histoire : Hegel réserve dans ses
textes la notion de déterminisme aux phénomènes de la nature,
et il n’affirme pas que l’histoire soit prédictible, ce qui serait le
cas si les hommes n’étaient que les marionnettes de l’esprit.
PARTIE 3
EURÊKA ! LA RAISON ET LE RÉEL
DANS CETTE PARTIE…
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
· Sacha Guitry, Pasteur, 1935.
Science et non-science
Dans son ouvrage intitulé La Logique de la découverte
scientifique (1934), Karl Popper (1902-1994) s’attaque à cette
question en s’intéressant aux sciences expérimentales et tout
particulièrement à la physique. Son but est de trouver un critère
garantissant l’objectivité des sciences empiriques. Il récuse la
thèse – classique en épistémologie – selon laquelle la
vérification expérimentale d’une hypothèse scientifique suffit à
justifier cette hypothèse.
Popper insiste sur la nécessité de tirer au clair la notion de
vérification. De plus, il refuse l’identité habituellement posée
entre proposition non scientifique, d’une part, et proposition
dépourvue de sens, d’autre part. En effet, il existe des énoncés
pourvus de sens (comme les énoncés de la métaphysique), mais
qui ne sont pas des énoncés de la science.
Les sciences empiriques
Quelle est donc cette condition que peuvent seules remplir les
sciences (et non pas les fausses sciences comme la psychanalyse
ou encore le marxisme d’après Popper) et qui permet en même
temps de distinguer les sciences expérimentales (comme la
physique ou la biologie) des sciences pures (comme les
mathématiques ou la logique) ?
Les sciences expérimentales comme la physique (Popper parle
de « sciences empiriques ») ne peuvent se contenter d’énoncés
cohérents qui décrivent un ou des mondes possibles sur le plan
de la logique. En effet, la physique doit décrire notre monde, le
monde réel, « le monde de notre expérience ». Elle doit donc
satisfaire les trois exigences suivantes :
» Elle doit décrire un monde possible, c’est-à-dire
non pourvu de contradictions logiques.
Le holisme épistémologique
de Duhem
Parce que les hypothèses scientifiques ne sont que des
hypothèses, il est légitime de vouloir les mettre à l’épreuve du
réel. Cela est-il seulement possible ? Suivons le raisonnement de
Duhem. Il semble logique, pour tester une hypothèse quelconque
que nous appellerons H1, de déduire les conséquences logiques
et mesurables (C1 et C2, par exemple) que l’on peut attendre de
cette hypothèse et de voir si elles correspondent à ce que nous
trouvons dans l’expérience. Or, cela ne va pas de soi.
Duhem met en évidence deux difficultés :
Pour lui, c’est la nature seule – et non notre esprit – qui peut
nous permettre de connaître la nature. C’est la raison pour
laquelle il faut empêcher notre entendement de courir et de
sauter par-dessus l’expérience. À cela, il doit préférer « un long
et soucieux séjour dans l’expérience ».
Définition de la notion
Dans le Novum organum, Bacon définit la notion d’expérience
cruciale même s’il n’emploie pas l’expression. Il lui préfère
l’expression latine d’instancia crucis, que l’on peut traduire par
« instance de la croix ». Il explique qu’il emprunte le terme
« aux croix qui, dressées aux bifurcations, indiquent et signalent
la séparation des chemins ». Tout comme le voyageur ne sait
choisir la bonne route que parce que de telles croix existent au
croisement des routes, de la même manière, celui qui étudie la
nature ne peut se tirer d’affaire, lorsqu’il parvient à une sorte de
croisement théorique, que grâce à l’expérience cruciale puisque
cette dernière lui montre quelle voie suivre et quelle voie ne pas
suivre.
L’enjeu est le suivant : il s’agit de prouver de façon définitive la
validité d’une hypothèse en évitant d’avoir recours à la
vérification des hypothèses, car cette dernière pose de
nombreuses difficultés. Lorsque deux hypothèses concurrentes
pour expliquer un phénomène sont en jeu, il faut déduire de
chacune d’elles des prédictions mesurables contradictoires.
Ensuite, il faut concevoir et mettre en place l’expérience qui
permet de départager les deux hypothèses. C’est en ce sens que
cette expérience est dite cruciale.
Bacon affirme ainsi que l’on peut prouver, en ayant recours à
une seule expérience (cruciale), la fausseté d’une hypothèse et
aussi la vérité de l’hypothèse contraire. Le raisonnement est le
suivant : soient deux hypothèses concurrentes A et B, ayant
chacune des conséquences distinctes. J’effectue une expérience
cruciale qui me permet de rencontrer effectivement les résultats
attendus en suivant l’hypothèse B. L’hypothèse A est par
conséquent invalidée et cela valide de façon indirecte l’autre
hypothèse (l’hypothèse B).
» La définition de la démonstration
» Le paradoxe
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
· William Dieterle, La Vie de Louis Pasteur,
1936.
LES AXIOMES
Dans « démontrer », il y a
« montrer »
Le terme « démonstration » est certes employé dans un sens
strict en mathématiques, mais aussi, et en un sens plus général,
dans le domaine judiciaire (l’avocat fait une démonstration dans
sa plaidoirie) ou encore dans le domaine de la stratégie militaire
(c’est le cas lorsque l’on a recours à la démonstration de force).
Pour comprendre ce qui caractérise la démonstration, il semble
nécessaire de mettre en lumière ce que les différentes acceptions
du terme ont en commun.
Démontrer signifie toujours montrer, c’est-à-dire mettre en
évidence, donner à voir, faire voir. En effet, une démonstration
de force militaire consiste à mettre en évidence la force ou la
possession de la force. La démonstration en matière judiciaire
revient à mettre en lumière un élément. Il faut encore ajouter que
la démonstration n’est pas n’importe quel type de monstration :
elle vise la production d’une preuve.
Il s’agit donc dans tous les cas de montrer quelque chose en vue
de montrer autre chose. Ainsi, le défilé militaire consiste,
comme son nom l’indique, à faire défiler en ordre des militaires.
En montrant des militaires qui défilent, on montre autre chose :
la possession d’une force, la maîtrise d’une technique, le
caractère opérationnel ou organisé d’une armée, etc. De même,
dans le domaine juridique, le discours à la barre d’un témoin –
ou encore l’arme du crime – vise à montrer autre chose : la
culpabilité de l’accusé. Pour qu’il y ait démonstration, il faut
donc qu’il y ait volonté de faire voir : on montre une réalité et
ses conséquences logiques (la culpabilité dans le cas du procès)
ou possibles (l’utilisation de la force, c’est-à-dire l’épreuve de
force et la guerre, dans le cas du défilé).
Définition du paradoxe
À la superficialité de la devinette (cette dernière ne présente
aucun intérêt intellectuel – à part celui d’être un exercice pour
l’esprit – ou philosophique) s’oppose le vrai paradoxe : il est en
lui-même digne d’intérêt et ne se dissout pas en dépit des
exercices multiples de la raison, notamment parce qu’il peut
recevoir plusieurs solutions.
En quoi réside le caractère propre du paradoxe ? Il repose sur le
fait que, si les prémisses du paradoxe sont considérées comme
vraies, la conclusion que l’on en déduit va à l’encontre soit de la
logique soit de ce qui apparaît comme une évidence sensible
(c’est-à-dire une description du réel). Nous pouvons donc
affirmer que le paradoxe est d’abord un paradoxe logique. En
effet, il repose sur le fait que l’on arrive, en suivant des voies
purement logiques, à une confusion qui contredit la logique ou
l’évidence.
Un cas particulier : le
paradoxe de Russell
Prenons l’exemple du paradoxe de Bertrand Russell (1872-
1970). Ce paradoxe, dont on trouve une première formulation
dans une lettre écrite au logicien Frege en 1902, met en évidence
une contradiction propre à l’ensemble des ensembles qui ne sont
pas éléments d’eux-mêmes. Notre auteur part de la question
suivante : l’ensemble des ensembles qui ne sont pas éléments
d’eux-mêmes (nous l’appellerons E) est-il ou non élément de
lui-même ? Le paradoxe consiste dans la solution.
En effet, si E est élément de lui-même, alors il n’est pas élément
de lui-même (ce qui va contre la logique) puisque seuls sont des
éléments de E les ensembles qui ne sont pas éléments d’eux-
mêmes. Inversement, si ce n’est pas un élément de lui-même, il
est, par conséquent, élément de lui-même, eu égard à la
définition de E (ce qui est aussi contradictoire). E semble ainsi
tout à la fois être et n’être pas élément de lui-même,
contradiction incompatible avec toute théorie mathématique.
LE PARADOXE DU BARBIER
Le cas de la causalité
Notre pensée dérive de nos impressions. Elle est donc
déterminée par notre expérience et ne saurait être générale ou
universelle puisqu’elle est issue d’impressions toujours
particulières. Nous ne pouvons avoir d’impression particulière
de la causalité (qui est une idée générale). Il en résulte que le
principe de causalité, qui organise notre pensée et structure notre
raison, ne saurait être directement issu de l’expérience.
Hume explique que notre esprit conclut qu’il existe une relation
de causalité entre deux phénomènes à partir de l’observation de
la répétition de la consécution de ces deux phénomènes. Parce
que chaque fois que j’observe A (je me coupe avec un couteau),
j’observe ensuite B (je saigne), j’en conclus que A est la cause
de B et lorsque j’observe A, je m’attends à voir se produire B.
Le principe de causalité est le principe le plus pertinent pour
notre connaissance. Il est bien plus fiable que le principe de
ressemblance – qui consiste à imaginer que deux idées simples
et distinctes sont identiques – et qui conduit donc à des erreurs –
ou que le principe de contiguïté – qui structure notre perception
et qui consiste à tendre à associer deux ou plusieurs phénomènes
que l’on perçoit simultanément (par exemple la blancheur, la
froideur et la neige).
De la difficulté de définir la
notion de causalité
Il est difficile de définir d’emblée la notion de causalité
scientifique, et les raisons de cette difficulté sont nombreuses :
» Loin d’être d’abord un concept scientifique, la
notion de causalité est utilisée dans le langage
courant et sert à décrire ou expliquer nombre de
comportements sociaux. En effet, le scientifique
dira que la chaleur est la cause de la dilatation du
métal, et nous emploierons le terme de cause en
un sens différent pour dire, par exemple, que
l’approche des concours est une cause
d’inquiétude pour les étudiants ou que le beau
temps au bord de la Méditerranée est la cause de
la venue de nombreux touristes. Le premier
exemple énonce une relation nécessaire (elle ne
peut pas ne pas être) et universelle (elle vaut pour
tous les cas) entre deux phénomènes. Les deux
autres exemples, quant à eux, se contentent de
décrire le réel ou des habitudes ou tendances.
» Spinoza et l’Écriture
» Sociologie du langage
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
L’exégèse biblique
La seconde source historique de l’interprétation est, dans notre
civilisation, l’exégèse biblique, c’est-à-dire la discipline qui a
pour charge l’interprétation de la Bible. Parce que les textes de
la Bible ont une dimension mystique, parce qu’ils sont souvent
allégoriques et contiennent des paraboles, ces textes ne sont pas
transparents pour le lecteur. Les Pères de l’Église eux-mêmes, et
notamment saint Augustin (354-430) dans le De doctrina
christiana, soulignent le caractère ambigu des textes sacrés.
Ainsi, interpréter la Bible revient nécessairement à mettre en
lumière, à partir du sens littéral du texte, un sens caché. Mieux
encore, le christianisme propose une méthode interprétative : il
s’agit de lire le texte sacré à partir de lui-même, et, plus
particulièrement, de comprendre l’Ancien Testament à la
lumière du Nouveau Testament. Nous voyons dès lors poindre
une difficulté : qu’est-ce qui rend légitime une interprétation
plutôt qu’une autre ? Autrement dit, comment pouvons-nous
reconnaître la bonne interprétation ?
Fiche 57 : Spinoza et
l’interprétation de l’Écriture
À la question moderne de savoir comment légitimer une
interprétation du texte (sacré) plutôt qu’une autre, le Concile de
Trente, en 1546, répond en proposant comme critère l’autorité
de l’Église. En effet, le Concile légifère sur la question de
l’usage du sens propre et du sens figuré et, par conséquent, il
définit la manière dont chaque livre de la Bible doit être lu. C’est
le début de la mise en place des méthodes de lecture et
d’interprétation de la Bible.
Baruch Spinoza (1632-1677) propose, à son tour, dans son
ouvrage intitulé le Traité théologico-politique, une méthode
d’interprétation de l’Écriture sainte.
Quelle est précisément cette méthode ? En quoi consiste son
originalité ?
REVENIR AU TEXTE
La nature du texte
Ce qui précède permet de mieux comprendre les raisons pour
lesquelles Spinoza affirme qu’il faut expliquer l’Écriture par
l’Écriture, c’est-à-dire d’une part en suivant la logique interne à
l’Écriture, et, d’autre part, sans rechercher à suivre un sens
métaphorique, c’est-à-dire un sens qui viendrait de l’extérieur de
l’Écriture et auquel on devrait la rapporter.
Spinoza recommande de respecter le texte de l’Écriture pour ce
qu’il est, c’est-à-dire de respecter sa nature, laquelle est tout
entière contenue dans sa langue et dans les types de discours qui
le composent. Et, de même que pour comprendre la nature de la
nature, il faut rechercher les causes de ce que l’on observe (la
connaissance est une connaissance des chaînes de causalité qui
produisent les événements, les êtres, les situations…), pour
comprendre la nature du texte biblique, il faut élucider les causes
qui expliquent sa production et son énonciation.
Sciences de la nature et
sciences de l’esprit
Toutes les manifestations de la vie et de l’esprit vont devenir un
objet d’interprétation dès lors qu’elles peuvent avoir des sens
multiples. C’est le philosophe Wilhelm Dilthey (1833-1911)
qui, au XIXe siècle, thématise cet élargissement du concept
d’interprétation. Pour lui, en effet, tous les phénomènes
psychiques et toutes les manifestations de l’esprit sont des
expressions de la culture et ne peuvent recevoir, par conséquent,
un sens unique. C’est cette absence de transparence de leur
signification qui rend nécessaire un travail d’interprétation.
Pourquoi les manifestations de l’esprit requièrent-elles
l’interprétation ? Pour répondre à cette question, nous pouvons
nous aider de l’argumentation que déploie Dilthey dans son
ouvrage intitulé L’Édification du monde historique dans les
sciences de l’esprit (1910). Cet ouvrage, qui constitue une sorte
de suite à son Introduction aux sciences de l’esprit (1883),
contient une organisation de ses recherches sur la connaissance
historique. Il y analyse la valeur, sur un plan épistémologique,
des constructions intellectuelles qui permettent au monde
historique de devenir un objet de connaissance scientifique.
Dilthey part du constat suivant : la fin du XIXe siècle correspond
à l’apparition et à l’autonomisation progressive des sciences de
la société en général – qu’il nomme « sciences de l’esprit » – et
de la science historique en particulier, par rapport aux sciences
de la nature. Parce que l’homme se comprend comme porteur
d’une volonté qui est au principe de ses actes et qui lui permet
d’exercer une action sur la nature, il va avoir besoin de
distinguer son domaine propre, celui de l’histoire, c’est-à-dire le
domaine dans lequel il peut agir, de l’ordre naturel.
Le cas de la psychanalyse
Il est possible de comprendre le travail de la psychanalyse
freudienne à partir de cette distinction. En effet, Sigmund
Freud (1856-1939), dans L’Interprétation des rêves (1900),
nous donne un exemple d’élargissement du concept
d’interprétation. Il est possible d’avoir sur le rêve deux points de
vue différents (et qui néanmoins se complètent) : d’une part le
rêve est, en son sens usuel, ce dont je me souviens à mon réveil,
et, d’autre part, il cache pour Freud un sens latent qu’il faut
déchiffrer. De ce second point de vue, le rêve est la
manifestation déguisée d’un désir refoulé.
La distinction que pose Dilthey apparaît ici dans toute sa
pertinence : dans le cas du rêve, il est impossible de remonter à
une cause (comme cela serait possible dans un système
déterministe). C’est ce qui rend nécessaire la compréhension. Il
faut encore ajouter que réduire le rêve à une explication
consisterait à inclure l’activité de l’esprit humain dans le
déterminisme complet des causes et des effets. Autrement dit,
cela reviendrait à nier la liberté humaine.
Fiche 59 : Interprétation et
sociologie du langage
Parce que l’interprétation est une activité qui s’exerce avec des
mots sur des mots, c’est-à-dire dans et par le langage lui-même,
une réflexion sur l’interprétation ne peut faire l’impasse d’une
analyse du statut du langage et de sa fonction. Telle est
précisément la mission que le sociologue Pierre Bourdieu
(1930-2002) se donne dans son ouvrage intitulé Langage et
pouvoir symbolique (publié en 2001).
Faut-il voir dans le langage un simple vecteur de la pensée, un
moyen pour communiquer, c’est-à-dire un outil neutre dont les
productions seules seront à interpréter et à juger ou, au contraire,
un phénomène social doué d’une valeur symbolique et toujours
déjà traversé par des rapports de pouvoir ?
Un modèle économique du
discours
La pertinence d’un énoncé, c’est-à-dire sa capacité à produire les
effets escomptés (et donc, pour celui qui le prononce, à parvenir
à ses fins) n’est pas compréhensible à partir du seul contenu
linguistique de l’énoncé. L’originalité de l’analyse de Bourdieu
consiste à montrer que cette pertinence ou cette efficacité est
proportionnelle à la valeur que cet énoncé va avoir dans un
contexte social donné.
Ainsi, un énoncé sera efficace s’il correspond à un habitus
linguistique qui a une grande valeur dans le contexte social dans
lequel il est prononcé. L’interprétation du discours se fait donc
nécessairement à partir de cette loi du marché, loi selon laquelle
c’est le groupe social en position de dominance qui établit les
normes linguistiques qui seront dotées de valeur. Sera donc en
mesure de transformer en richesse sa capacité à parler un
individu qui aura les deux compétences suivantes : être capable
de déterminer ce qui a, dans tel contexte social, de la valeur, et,
par voie de conséquence, être capable, lorsque cela s’avère
nécessaire, de dissimuler son appartenance à telle classe sociale,
notamment en utilisant un niveau de langage plutôt qu’un autre.
Chapitre 16
Le vivant
DANS CE CHAPITRE :
» Expliquer le vivant
» L’expérience de la douleur
» L’évolution
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
Contre le modèle de la
machine
Au paragraphe 65 de la seconde partie la Critique de la faculté
de juger, Kant développe cette difficulté en prenant comme
exemple de machine, celui de la montre.
Le propos kantien tient en trois arguments :
Définition de la douleur
L’association internationale pour l’étude de la douleur définit
cette dernière comme « une expérience sensorielle et
émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle
ou potentielle, ou décrite dans ces termes ». Cette définition
nous apprend deux choses : la douleur se comprend avant tout
comme ce que ressent l’individu, et elle n’est pas toujours la
conséquence d’une lésion. Elle permet aussi de mettre en
évidence deux difficultés : d’une part, la douleur ne saurait être
intégralement saisie par et dans un discours objectif (puisqu’il
est question du ressenti de l’individu ou du patient), et, d’autre
part, elle est difficile à quantifier et à qualifier.
Ce qui peut néanmoins faire l’objet d’une description objective,
c’est le parcours que l’information douloureuse accomplit dans
l’organisme. Prenons un exemple : je pose ma main, sans le faire
exprès, sur une source vive de chaleur. La brûlure stimule les
terminaisons nerveuses situées, dans notre exemple, au niveau
de la peau. L’information est relayée par les nerfs jusqu’à la
moelle épinière, puis jusqu’au cerveau. C’est le cerveau qui va
comprendre ce signal comme signal de la douleur ou signal
douloureux. Mais, avant même que le cerveau ne puisse
accomplir ce travail, j’aurai enlevé ma main de la source de
chaleur.
Le sens de la douleur
Il nous faut donc mettre hors jeu l’hypothèse d’une utilité de la
douleur. Mais faut-il pour autant nous débarrasser aussi de l’idée
selon laquelle la douleur pourrait avoir un sens ? À strictement
parler, la douleur n’a pas en elle-même un sens – pour soutenir
cela, il faudrait, par exemple, penser la douleur comme une
punition divine et adhérer à une croyance métaphysique –, mais
nous pouvons, à l’occasion de l’expérience particulière qu’elle
constitue, prendre conscience du sens du réel et de nous-mêmes.
JE SOUFFRE, DONC JE SUIS
La conception classique du
normal au XIXe siècle
Georges Canguilhem se caractérise par le fait qu’il possède une
double formation de philosophe et de médecin. C’est à partir de
cette double formation, et à l’occasion de sa thèse de médecine
qu’il commence à développer sa réflexion sur la nature du fait
pathologique. La conception classique au XIXe siècle – issue
d’Auguste Comte et de Claude Bernard – consiste à penser la
différence entre l’état normal (la santé) et l’état pathologique (la
maladie) comme une différence, non pas de nature, mais de
degré.
Dans cette perspective, le pathologique se définit comme une
variation quantitative par rapport à l’état normal, variation selon
la modalité du trop ou du trop peu. L’action du médecin consiste
à tenter de réduire ou de faire disparaître cette variation ou cet
écart. Le normal, c’est-à-dire l’état de santé, appartient ici à
l’ordre du factuel et peut faire l’objet d’une description dans les
termes de la statistique : décrire le normal revient à décrire la
moyenne statistique.
La notion de sélection
naturelle
La lutte pour l’existence n’est pas, pour Darwin, elle-même le
mécanisme ou la loi qui opère la formation des nouvelles
espèces. Cette loi est la sélection naturelle et elle dérive de la
lutte pour l’existence. Autrement dit, la lutte pour l’existence
donne à la fois le domaine de définition de la loi et les variables
sur lesquelles cette loi s’exerce.
Voici les deux points centraux de la théorie darwinienne de la
sélection naturelle :
» Le membre fantôme
» Sujets possibles
» Bibliographie
· Merleau-Ponty, Phénoménologie de la
perception (1945), Gallimard, « Tel », 1976.
» Filmographie
Le mythe cartésien du
« fantôme dans la machine »
Ryle entend développer une critique nouvelle de problèmes
anciens dans l’histoire de la philosophie : il s’intéresse à ce que
nous appelons penser et se demande comment il est possible de
rendre raison de cette activité. Il s’agit pour lui de découvrir à
partir de quel modèle nous pouvons la saisir. Il s’attaque à la
thèse dualiste qu’il qualifie de « mythe cartésien » et qu’il
synthétise grâce à une formule devenue célèbre, celle du
« fantôme dans la machine » (the ghost in the machine).
Le dualisme, sous sa forme radicale – c’est-à-dire, pour Ryle,
sous sa forme cartésienne – sépare le corps et l’esprit, c’est-à-
dire les objets physiques (mon corps) ou les événements
physiques (courir), d’une part, et les objets mentaux (l’idée de
nombre) ou les processus mentaux (l’activité de compter),
d’autre part. De cela découle une distinction stricte entre ce qui
peut être défini comme l’aspect public du monde extérieur ou de
nos comportements observables, et l’aspect non public, privé, de
la vie psychique ou intérieure de chaque individu.
Le corps et l’action
Pour y parvenir, il faut considérer le corps propre pour ce qu’il
est, c’est-à-dire un être toujours déjà pris dans une existence, en
train d’agir dans un monde qui est le sien et capable d’y
développer des conduites porteuses de signification. Ainsi, le
membre fantôme ne relève ni de l’être (le corps que je suis) ni de
l’avoir (le corps que j’ai), mais de l’action.
Pour le pianiste, par exemple, son corps n’existe qu’avec une
main droite qui joue la partie de la main droite. Sa main disparue
n’apparaît pour lui sous la forme d’une main fantôme qu’en tant
qu’elle apparaît dans le contexte d’une action, d’une pratique qui
s’inscrit dans un horizon au sein duquel sa main droite
remplissait une fonction. Et, en ressentant la présence de sa main
pourtant disparue, le pianiste se contente en réalité de se définir
comme étant encore pianiste. Autrement dit, il faut avoir été
pianiste, pour ressentir cette illusion-là de cette façon-là. C’est la
raison pour laquelle l’illusion cesse dès lors que celui qui est
mutilé accepte sa mutilation.
Cette analyse du cas du membre fantôme permet à Merleau-
Ponty de mettre en évidence le fait que la vérité du corps en
général (c’est-à-dire aussi et surtout du corps sain) ne réside ni
dans le corps pris comme objet ou extériorité ni dans l’intériorité
de la conscience, mais dans l’action en tant qu’elle m’engage
dans le monde et me lie à lui. À même l’action, le corps vécu
produit à la fois lui-même et le monde.
Chapitre 18
La vérité
DANS CE CHAPITRE :
» Le rapport à l’opinion
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
Résolution du problème
Il s’ensuit que, pour Descartes, l’illusion est ce qui peut être
évité, car, d’une part, nos sens, donnés par Dieu, ne sont pas
trompeurs – Dieu est ainsi disculpé de toute culpabilité dans
cette affaire –, et, d’autre part, c’est à nous qu’il revient
d’accorder ou de suspendre notre assentiment à ce que notre
corps nous présente. Dans l’exemple proposé par Descartes,
c’est le sujet pensant qui choisit, voyant le bâton brisé dans
l’eau, de penser qu’il est réellement brisé et que cela n’est pas dû
à une illusion d’optique.
C’est donc par une bonne éducation que l’on peut prévenir
l’illusion sensible : il faut à la fois éduquer les enfants le plus tôt
possible, et s’éduquer soi-même à la fois à distinguer les deux
substances (le corps et l’esprit) et à ne pas soumettre l’esprit au
corps. L’illusion sensible à laquelle on acquiesce n’apparaît donc
ici que comme la conséquence d’une mauvaise éducation et
donc d’une confusion conceptuelle entre les deux substances.
Fiche 70 : Vérité et réussite
Qu’est-ce que la vérité ? Qu’est-ce qu’une proposition ou une
idée vraie ? Dans la préface de son ouvrage intitulé Le Sens de la
vérité, William James (1842 – 1910) répond à cette question en
proposant, du même coup, une sorte de résumé de la théorie
pragmatiste : « Les idées vraies sont celles que nous pouvons
assimiler, valider, corroborer et vérifier. Les idées fausses sont
celles qui ne peuvent pas l’être… La vérité d’une idée n’est pas
une propriété stagnante qui lui est intérieure. La vérité survient à
une idée : l’idée devient vraie, elle est rendue vraie par les
événements. La vérité est en fait, un événement, un processus, à
savoir le processus de se vérifier, sa véri-fication. »
Mensonge et vérité
Du point de vue de Nietzsche, « être véridique » revient à se
couler dans le moule des conventions du langage. Mentir, au
contraire, c’est refuser de se soumettre à la convention imposée
par le groupe. En effet, il faut de la force et de l’inventivité pour
mentir alors que la vérité ne requiert qu’une capacité d’obéir à
l’accord des plus nombreux. La vérité est donc le chemin le plus
sûr pour se faire adouber par le groupe social et pour garantir sa
propre sécurité. Au contraire, mentir, c’est prendre un risque, le
risque de devoir affronter la convention et les plus nombreux.
La force de l’habitude et la contrainte imposée par la convention
des plus nombreux vont peu à peu faire oublier le caractère
métaphorique du langage, c’est-à-dire le fait que les mots ne
correspondent pas à des choses mais seulement au rapport des
hommes aux choses ou encore des hommes entre eux.
» Le contrat social
» La passion de l’égalité
» L’État totalitaire
» La désobéissance civile
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
· Costa-Gavras, Z, 1969.
La faiblesse de la force
Comme la force est de l’ordre du fait, elle peut, à tout moment,
être supplantée par une autre force. La force a, par conséquent,
besoin d’autre chose que d’elle-même pour pouvoir exercer un
pouvoir. Autrement dit, la force politique ne peut jamais se
contenter d’être seulement physique. Elle doit toujours aussi
consister en des relations qui sont de l’ordre de la croyance, de
la conviction ou de l’opinion. Par exemple, un dictateur se doit
de convaincre sa garde rapprochée de le défendre.
Plus généralement, ce que soutient Rousseau, c’est que ceux qui
fondent leur pouvoir politique sur la force doivent toujours aussi
persuader leur peuple d’obéir par devoir. Autrement dit, il s’agit
pour le tyran quel qu’il soit de produire une illusion qui va venir
soutenir la force dans les moments de faiblesse qu’elle va
nécessairement rencontrer (puisqu’elle est de l’ordre du fait). En
effet, Rousseau dit que, pour réussir, le tyran doit transformer la
force en droit (et non fonder la force sur le droit). Or,
transformer une chose qui est de l’ordre du fait en autre chose
qui est de l’ordre du droit est par définition impossible.
L’originalité de la méthode
L’avènement de Louis-Philippe en France va être l’occasion
pour Tocqueville d’accomplir un voyage en Amérique. Censé
faire une étude du système pénitentiaire américain, il en profite
pour mener à bien une observation précise de la démocratie
américaine. Cette dernière se caractérise par le fait que, pour
s’établir, elle n’a pas eu à lutter contre une aristocratie (désireuse
de préserver ses privilèges).
La méthode utilisée par Tocqueville se propose d’aller du
particulier vers le général, du concret vers l’abstrait, et non
d’emprunter le chemin inverse. Tocqueville constate que si, dans
les faits, le désir d’égalité et la réalisation de cette dernière
constituent un caractère propre des démocraties, il n’en reste pas
moins que, parce que ce désir peut devenir excessif, la liberté
qu’il permet d’abord de produire va ensuite se trouver mise en
danger.
Égalité et liberté
La citation convoquée dans notre introduction souligne que,
pour Tocqueville, c’est l’égalité et non – comme on pourrait s’y
attendre – la liberté qui caractérise en propre les régimes
démocratiques. Un chapitre de l’ouvrage porte d’ailleurs le titre
suivant : « Pourquoi les peuples démocratiques montrent un
amour plus ardent et plus durable pour l’égalité que pour la
liberté. » L’égalité dont il est question ne saurait se réduire à une
égalité entre les hommes du point de vue du droit. Ce que
Tocqueville nomme « égalité des conditions » comprend aussi
l’égalité des conditions matérielles : il s’agit donc de tendre à
réduire les inégalités de fortune.
Or, ce désir d’obtenir toujours plus d’égalité dans tous les
domaines, et surtout dans la sphère économique et sociale, ne
peut être satisfait qu’au détriment de la liberté que Tocqueville
définit comme « le droit égal et imprescriptible [pour chacun] à
vivre indépendamment de ses semblables en tout ce qui n’a
rapport qu’à lui-même et à régler comme il l’entend sa propre
destinée ». Lorsque l’égalisation des conditions est réalisée de
façon excessive, elle peut nuire à la liberté et transformer la
démocratie en une sorte de régime despotique d’une espèce
nouvelle.
TOTALITARISME
Les conditions de la
démocratie véritable : liberté,
action, publicité
Cette analyse du totalitarisme permet à Arendt de définir les
conditions d’émergence et d’existence d’une démocratie
véritable, démocratie que l’on ne saurait trouver dans la
démocratie contemporaine, laquelle déploie au contraire les
conditions de possibilité du totalitarisme (confusion du public et
du privé, et développement de la société de masse et de
consommation).
Contre le totalitarisme qu’elle identifie à une négation du
politique (et non à son hypertrophie), la démocratie correspond à
l’essence du politique. Elle s’articule donc autour de trois
principes :
» La liberté, qui n’est pas ici à comprendre comme
une potentialité interne à l’individu, mais comme
la puissance de prendre des initiatives, puissance
rendue possible par le fait que la démocratie met
en rapport des individus égaux qui forment une
communauté (Arendt parle à ce propos d’une
« communauté d’égaux »).
» L’action, pensée ici comme action politique, et
qu’Arendt qualifie de seule activité proprement
humaine dans la mesure où elle seule est
l’expression de l’essence libre de l’homme.
» La notion d’échange
» Le don
» La nature de la monnaie
» Monnaie et violence
» Sujets
» Bibliographie
La prohibition de l’inceste
Pour répondre à cette question, Lévi-Strauss commence par
mettre hors jeu trois explications qu’il juge non recevables :
» La première consiste à dire que la prohibition de
l’inceste est imputable à une répulsion que nous
éprouverions instinctivement pour l’inceste. Lévi-
Strauss objecte que les interdits impérieux dont
l’inceste fait pourtant l’objet seraient alors
superflus et inexplicables.
NATURE ET CULTURE
L’anthropologie structurale
Dans l’Anthropologie structurale (1958), Lévi-Strauss établit
une analogie de méthode entre l’anthropologie et la linguistique.
De même que le linguiste pense la structure de la langue en
partant de ses briques élémentaires que sont les phonèmes, de
même l’anthropologue comprend la société à partir de la relation
qui est au principe de la parenté et qui lie ensemble quatre
termes : le père, la mère, l’enfant et l’oncle maternel. De même
que l’échange des paroles est à la fois la conséquence du langage
et ce qui le rend possible et le constitue, de même l’échange des
femmes découle de l’existence de la société, mais est aussi ce
qui constitue la société réelle, et ce sans quoi une société ne
saurait subsister.
La structure – qui est dans les deux cas ici une structure de
l’échange – prime sur ses composants, lesquels ne reçoivent un
sens qu’à l’intérieur du contexte d’échange défini par la
structure. Il s’ensuit que les rapports entre les briques
élémentaires de la société comme du langage priment sur les
éléments eux-mêmes (individus ou phonèmes).
Fiche 77 : Le don
L’introduction de l’Essai sur le don (1925) de Marcel Mauss
s’ouvre sur une épigraphe qui rapporte quelques strophes d’un
poème de l’Edda scandinave – qui date de l’Antiquité des
régions du nord de l’Europe. Voici la strophe 44 :
Tu le sais, si tu as un ami
en qui tu as confiance
et si tu veux obtenir un bon résultat,
il faut mêler ton âme à la sienne
et échanger les cadeaux
et lui rendre souvent visite.
Le don et l’échange
Marcel Mauss définit le don comme une prestation qui prend
l’aspect de la circulation de richesses ou de services, d’un
individu vers un autre ou d’un groupe vers un autre et qui, au
moment même de son effectuation, ne peut se produire que dans
un sens (de l’individu A vers l’individu B). L’originalité de la
thèse de Mauss – et son caractère paradoxal – consiste en ce que
c’est à partir du phénomène du don que va être construite une
théorie de l’échange, et ce, alors même que l’échange apparaît
en première analyse comme ce qui s’oppose au don. En effet, au
sens courant, il y a don si et seulement si celui qui donne refuse
par principe que quelque chose lui soit rendu en retour.
Dans son Manuel d’ethnographie, Mauss écrit : « La forme de
ces échanges suppose toujours qu’ils sont volontaires :
obligatoires, mais volontaires. […]. Il n’y a aucun moyen de
contrainte, l’individu est libre. » Ainsi, contrairement à la thèse
soutenue par Durkheim (voir fiche 85), l’individu donne
librement et n’est pas déterminé à le faire par la société. Mieux
encore, c’est le déterminisme social – c’est-à-dire l’ensemble
des règles, usages, normes, et coutumes en vigueur dans une
société et qui la constituent – qui rend possible la liberté de
donner.
Le don en retour
Ainsi, pour notre auteur, le don est un échange, c’est-à-dire qu’il
appelle en retour un contre-don, si et seulement si il s’inscrit
dans un combat. Comment peut-on expliquer que celui qui reçoit
doive en retour donner ? La réponse de Mauss consiste à
affirmer que ce qui pousse le donataire à donner en retour se
situe dans la chose. En effet, dès lors qu’une chose est donnée à
quelqu’un, elle n’est plus simplement une chose : elle devient
porteuse d’une signification sociale, elle contient en son sein le
pouvoir que celui qui l’a donnée exerce, par son intermédiaire et
à travers elle, sur celui qui l’a reçue.
C’est parce qu’en donnant la chose, le donateur se donne aussi
lui-même que celui qui la reçoit se doit de la recevoir et doit, en
retour, rendre quelque chose. Ceci nous permet de mieux
comprendre ce que signifie, pour l’individu le fait d’être obligé
de donner, de recevoir et de rendre : l’individu est pris dans la
dynamique du don, il est entraîné par elle un peu comme il le
serait en entrant dans une farandole.
Mauss souligne que ce qui vaut pour le don dans les sociétés
archaïques vaut aussi pour nos sociétés, et que l’analyse du don
nous permet d’expliquer le fonctionnement des sociétés en
général. Pour lui, dans le don, apparaît « l’instant fugitif où la
société prend ».
Fiche 78 : Qu’est-ce que la
monnaie ?
Chacun pourrait d’emblée fournir une définition de la monnaie :
elle apparaît comme un moyen dont disposent les individus et
qui leur permet d’échanger entre eux à la fois leur travail et le
fruit de leur travail. La monnaie possède par conséquent de
nombreuses fonctions : elle peut faire office d’instrument
d’échange ou encore de réserve de valeur ; elle a le statut
d’équivalent général dans la mesure où elle rend possible la
définition d’un rapport d’échange simple entre deux
marchandises de nature différente.
Mais, ce qui nous semble aller de soi ne doit-il pas faire l’objet
d’une interrogation ? Voltaire, dans Le Sottisier, mœurs du temps
nous met la puce à l’oreille en écrivant : « Le peuple reçoit la
religion, les lois, comme la monnaie, sans l’examiner ». Qu’est-
ce qui donne son autorité, son pouvoir et son statut à la
monnaie ? Ce pouvoir est-il fondé en raison ou relève-t-il d’une
simple croyance ou confiance de notre part ?
L’histoire des idées (économiques) propose, pour l’essentiel,
deux grands courants interprétatifs en ce qui concerne la nature
de la monnaie.
La monnaie comme
intermédiaire des échanges
La première interprétation, qui est la plus largement répandue
chez les économistes, pense la monnaie comme un simple
intermédiaire des échanges au sein de l’économie de marché.
Elle est un moyen ou un outil qui va simplifier les échanges et,
par conséquent, la circulation des marchandises. Ce courant
interprétatif tire la fonction qu’il attribue à la monnaie de
l’analyse du troc. Selon lui, les échanges de marchandises qui
ont lieu par l’intermédiaire de la monnaie ne sont qu’une forme
accélérée et simplifiée de l’activité de troc.
Pour que le troc fonctionne, il faut qu’un individu possesseur
d’un bien A et désireux d’acquérir un bien B rencontre un
individu possesseur du bien B et aspirant à devenir propriétaire
du bien A. Il faut donc ce que les économistes nomment « une
double coïncidence des besoins ». La rareté de cette double
coïncidence ne permet que peu d’échanges directs. Il faut encore
ajouter que cette rareté s’accroît avec la diversification de la
qualité des marchandises disponibles. Ce n’est qu’en octroyant à
une marchandise précise – la monnaie – le statut d’intermédiaire
dans tous les échanges que ces derniers vont pouvoir se
développer. Dans cette perspective, l’instrument qui rend
possible la circulation des marchandises reçoit aussi la fonction
d’unité de compte : les prix des biens vont être exprimés dans
une certaine monnaie.
Dès lors que la monnaie est conçue comme un simple
instrument, elle est pensée comme neutre : elle facilite les
échanges sans pour autant avoir une quelconque incidence sur la
quantité et la valeur de ce qu’elle permet d’échanger. Elle ne
cause ni accroissement ni diminution de la quantité de biens
produits, et donc de la quantité d’emplois disponibles. Elle ne
modifie pas non plus la valeur relative des marchandises les
unes par rapport aux autres. Elle est donc une simple convention
facilitant les échanges.
Cette conception, quelle que soit la forme qu’elle prend,
présuppose que la commensurabilité des biens existe de façon
autonome et indépendamment de la monnaie. Autrement dit, elle
s’appuie sur une théorie de la valeur, théorie que l’on trouve
aussi bien chez les économistes modernes qui définissent la
valeur à partir de l’utilité des biens que chez Marx qui définit la
valeur d’un bien par la quantité de travail humain nécessaire à sa
production. Pour ce courant interprétatif, la monnaie est
inessentielle au sens où elle ne préside pas à la production de
l’économie, mais n’est qu’une convention utilisée après coup.
Cette conception « réaliste » – encore appelée « métalliste » – de
la monnaie doit faire face à un certain nombre d’objections qui
concernent pour l’essentiel la difficulté à expliquer que les États
cherchent à réguler la monnaie et à maîtriser l’inflation.
La maîtrise souveraine
Dans sa première acception, en tant qu’elle est entendue comme
maîtrise souveraine, la propriété équivaut à un pouvoir de
direction exercé sur les choses matérielles ou sur toute réalité
transformée en chose par le droit. Les choses matérielles ou les
réalités réifiées sont ici réduites à la passivité et soumises à la
puissance de celui qui les possède.
Dans ce cas, la propriété correspond au droit d’user – c’est-à-
dire d’utiliser le bien, de le louer ou de le vendre – ou de
mésuser – ne pas restaurer ou ne pas entretenir le bien, l’abîmer
ou encore le détruire – de ce que l’on possède, et, de ce point de
vue, la propriété a un caractère absolu. Cette conception de la
propriété divise le réel en deux catégories : d’une part les biens
matériels qui sont des choses étendues dans le monde et
dépourvues de qualités, et, d’autre part, les personnes qui
exercent un pouvoir sur ces biens et considèrent ces derniers
comme l’espace au sein duquel leur action libre peut se
déployer.
LA PROPRIÉTÉ
L’appartenance patrimoniale
Il en va autrement lorsque la propriété est définie par
l’appartenance patrimoniale. En effet, cette dernière fait de la
propriété un ensemble de droits à jouir et à gérer des biens. Pour
comprendre précisément ce qu’est l’appartenance patrimoniale,
il faut encore ajouter que ces droits ne sont pas à penser comme
ayant la structure de « droits à » faire telle ou telle chose, ni de
« droits de » faire telle ou telle chose, mais de « droits pour »
faire telle ou telle chose.
Autrement dit, c’est le but en vue duquel le patrimoine est donné
qui fonde la propriété et qui explique les raisons pour lesquelles
elle est confiée à telle personne ou entité juridiquement définie.
Dans cette perspective, les biens seront plus ou moins
inaliénables selon qu’ils seront plus ou moins nécessaires à la
poursuite du but constitutif du patrimoine. Seront par conséquent
totalement inaliénables les biens dont la perte irait de pair avec
la cessation de l’existence du patrimoine ; à l’inverse, seront
pensés comme devant être aliénés (c’est-à-dire vendus) ceux
dont la cession seule rend possible la poursuite de l’objectif qui
justifie l’affectation du patrimoine en question.
Il en résulte que dans cette conception de la propriété, toutes les
choses sont pensées comme pouvant faire l’objet d’une
appropriation parce qu’elles peuvent être rapportées à la
poursuite d’un objectif, et qu’elles sont un moyen ou un obstacle
à sa poursuite. Le patrimoine, en tant qu’il est défini et constitué
artificiellement par le droit, est aussi la forme que prend la
volonté qui préside à sa constitution. La différence entre les
personnes et les choses se trouve ici brouillée dans la mesure où
le patrimoine cristallise dans le monde la volonté de celui qui l’a
constitué en vue d’un but précis, lequel produit sa définition.
La réservation de jouissance
Enfin, lorsque la propriété prend une forme dite réservataire, elle
correspond au fait d’allouer, de manière exclusive, à une ou des
personnes, le privilège de jouir d’un patrimoine et/ou de
pratiquer une activité de production grâce à lui ; la structure
juridique qui accorde ce privilège attend – comme rémunération
en retour – un service. Ici, la propriété ne saurait être déliée de
ce rapport d’échange.
Il s’ensuit que l’appropriation est nécessairement temporaire et
qu’elle n’est pas toujours exclusive : le privilège d’usufruit peut
être accordé à plusieurs entités. On parle, dans ce cas, de
« saisines multiples ». Les choses et le monde sont pensés
comme une source intarissable de valeur. La propriété, sous cette
forme, peut donc s’étendre à tous les biens, dès lors qu’ils
peuvent faire l’objet d’une estimation.
Chapitre 21
La justice et le droit
DANS CE CHAPITRE :
» La justice aristotélicienne
» Le châtiment
» Le tribunal
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
· Alfred Hitchcock, La Loi du silence, 1953.
Le tribunal
Qu’est-ce qu’un tribunal ou une cour de justice ? C’est un
espace public au sein duquel les différences entre les individus
doivent être mises hors jeu afin que chacun, accusé ou plaignant,
soit traité comme tout autre devant la loi. On parle ici d’égalité
des citoyens devant la loi. Ainsi, ce qui se joue au sein du
tribunal est aussi un objet d’étude pour la philosophie politique.
Par ailleurs, Levinas insiste sur le fait qu’il faut penser la justice
à partir du justiciable. Autrement dit, il faut chercher à
déterminer, pour chaque individu, ce qu’il est à la fois pour les
autres – les jurés, ceux qu’il accuse ou ceux qui l’accusent – et
pour le juge. Dans le cadre du tribunal, le rapport à autrui prend
une forme spécifique, forme que l’on peut comprendre en
reprenant la distinction que Levinas introduit entre le prochain et
le tiers.
Le prochain et le tiers
Pour Levinas, le rapport à autrui, c’est-à-dire le face-à-face avec
le visage d’autrui, est toujours déjà et nécessairement un rapport
asymétrique – et non un rapport d’égalité.
De la singularité du visage à la
série des autres
Parce que le face-à-face avec autrui se démultiplie en de
nombreux face-à-face et parce qu’il y a la présence du tiers,
autrui m’oblige toujours, mais cette obligation ne va pas jusqu’à
l’excès : je ne suis plus, dans le cadre du tribunal, l’otage
d’autrui. C’est la raison pour laquelle l’injonction éthique qui
s’imposait à moi à même la présence du visage et qui me
commandait de me demander « Que puis-je faire pour autrui ? »
se transforme, dans le cadre du tribunal, en un appel toujours vif,
mais plus modéré (et donc fini) à pratiquer la justice et qui
pourrait se résumer par la question : « Qu’ai-je à faire avec
justice ? »
Ici, la relation asymétrique que j’entretenais avec le visage laisse
la place à une réciprocité symétrique au sein de laquelle les
prochains sont interchangeables : il est question de réciprocité
dans la justice sociale, de rapport entre les droits et les devoirs.
La relation qui s’institue est donc à comprendre comme une
relation politique ; d’ailleurs, Levinas emploie dans Autrement
qu’être ou au-delà de l’essence (1974) le terme « citoyen ».
Si l’égalité de tous les citoyens devant le tribunal correspond à
une réciprocité systématique des droits et des devoirs (j’ai des
droits et autrui a envers moi des devoirs, et inversement), il n’en
reste pas moins que subsiste ce que Levinas nomme le « surplus
de mes devoirs sur mes droits ». Pour lui, ce qui anime la justice
n’est pas d’abord ou fondamentalement l’égalité, mais « l’oubli
de soi ».
Chapitre 22
La société
DANS CE CHAPITRE :
» L’espace social
» La sociologie économique
» La microsociologie
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
Résidus et dérivations
La tâche que se fixe la sociologie de Pareto consiste à rendre
raison des actions non logiques. Pour y parvenir, il va élaborer
les notions de « résidu » et de « dérivation ». Si, pour Pareto, les
causes fondamentales des actions humaines sont à rechercher
dans les instincts, ces derniers ne constituent pas un objet
d’étude pour le sociologue et ils sont confiés à la recherche du
psychologue. Le sociologue, pour sa part, étudie les
manifestations extérieures, visibles ou constatables de ces
instincts, c’est-à-dire les croyances, les tendances ou les
dispositions que Pareto regroupe sous la catégorie des
« résidus ».
Pareto distingue six grandes classes de résidus :
» Le résidu sexuel.
Par ailleurs, les actes qui trouvent leur source dans les résidus
(lesquels dérivent des instincts) font l’objet d’un travail de
pseudo-rationalisation par les individus qui les accomplissent.
Pareto nomme « dérivation » l’apparence logique que les
individus donnent à leurs actions non logiques. Par exemple, un
élu encore en ballottage au deuxième tour d’une élection, poussé
par le besoin de faire des combinaisons (c’est le résidu), va
nouer des alliances politiques en se réclamant de la défense de
l’intérêt général (c’est la dérivation) ; ce qui va lui permettre
d’être réélu et de conserver son pouvoir (désir de maintenir
l’intégrité de l’individu et de ce qui lui « appartient »).
Comme au théâtre…
Dans cette interaction, chaque individu est semblable à un
acteur, qui s’emploie à préserver l’image du soi qui est le sien en
tenant une représentation, laquelle est destinée à orienter celui
qui l’observe ou y assiste vers la ou les représentations que
l’acteur se fait de lui-même. Cette mise en représentation, que
Goffman nomme « figuration » (face-work), a aussi, comme au
théâtre, un « décor » (l’organisation du salon, la présence ou non
de livres, etc.) et présente une « façade » de l’individu, dont les
interactions vont valider ou, au contraire, invalider la pertinence.
Comme au théâtre, si l’acteur joue mal son rôle, c’est-à-dire si
ses gestes ou ses mots le trahissent – par exemple, si sa façon de
se tenir à table ou de saluer les autres ne correspond pas au soi
qu’il essaie de présenter comme le définissant –, sa façade (ou
face) va être anéantie par ce qu’il faut bien appeler un public. De
même, et comme au théâtre encore, c’est hors de la vue du
« public » que l’acteur se prépare à jouer le rôle qu’il s’est
défini : il s’apprête dans la salle de bains, se regarde dans la
glace pour voir si rien dans sa tenue ne dénote, prévoit ce qu’il
va dire… Pour que la représentation soit parfaite et apte à
confirmer aux yeux des autres – ses spectateurs – la définition
qu’il a de lui-même, l’acteur peut compter parfois sur la
coopération d’autres acteurs.
LA NOTION DE « FACE » OU DE « FAÇADE »
CHEZ GOFFMAN
» La liberté de l’homme
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
· Patrick McGoohan, Le Prisonnier (série),
1962.
Liberté et nécessité
Pour répondre à cette question et ne pas se méprendre sur le sens
de la citation ci-dessus, il faut avoir à l’esprit que la notion de
liberté est pensée par Spinoza à partir de celle de nécessité et
toujours en lien avec elle. Pour lui, la nature – c’est-à-dire Dieu
ou l’ensemble des chaînes de causes et d’effets qui constituent le
réel – est tout entière régie par la nécessité, mais cette nécessité
admet trois modalités ou degrés.
Ainsi, nous pouvons noter les points suivants :
» Dieu et son action relèvent de la libre nécessité et
Dieu seul est libre car il est cette chose « qui existe
par la seule nécessité de sa nature et est
déterminée par soi seule à agir » (Éthique, 1677).
Comme Dieu est la totalité de ce qui est, il n’y a
rien qui soit à l’extérieur de lui et il ne peut donc
faire l’objet d’aucune contrainte extérieure. La
liberté de Dieu ne saurait être assimilable à une
liberté de vouloir tout et son contraire – elle n’est
pas une liberté de la volonté –, mais il faut la
comprendre comme la liberté qui correspond à sa
nature de tout et que Spinoza qualifie de
« puissance infinie » ou encore de « libre
nécessité » (puisque tout ce qui existe ou se
produit trouve sa cause en Dieu).
» Le mal
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
· David Lean, Le Pont de la rivière Kwaï,
1957.
L’impératif catégorique et le
règne des fins
Non seulement le bien suprême, objet de la loi morale, est d’une
nature autre que les biens intermédiaires, sensibles, mais il se
présente aussi à nous d’une façon tout autre. Les biens du monde
sensible apparaissent comme étant compréhensibles au sein d’un
impératif que Kant qualifie d’hypothétique (c’est-à-dire soumis
à ou dépendant de conditions). Le raisonnement est le suivant :
si je veux obtenir tel bien (la réussite à un examen), alors je dois
accomplir le travail nécessaire (lire un certain nombre
d’ouvrages, faire des fiches, m’entraîner à la rédaction de
compositions, etc.).
Le souverain bien, pour sa part, s’impose à notre volonté comme
un impératif, non pas hypothétique, mais catégorique ou absolu.
Il est de l’ordre du « il faut ». Il constitue une obligation au
regard de laquelle toutes les autres contraintes ou obligations
présentes dans l’expérience sensible ne peuvent peser. Kant
explique cela en disant que nous appartenons à la fois au « règne
de la nature » et au « règne de la liberté » qu’il nomme aussi
« règne des fins ».
En tant que nous appartenons au premier de ces règnes, nous
sommes soumis à la nécessité et à la causalité des lois de la
nature ; en tant que nous appartenons au second, c’est-à-dire en
tant que nous sommes des êtres doués de moralité ou auxquels
l’idée du devoir s’impose, nous transcendons l’ordre de la nature
par le déploiement de notre liberté. C’est une des raisons pour
lesquelles Kant établit un parallèle entre la loi morale en nous et
le ciel étoilé au-dessus de nous.
Fiche 93 : Le devoir
Dans la première partie des Fondements de la métaphysique des
mœurs (1785), Emmanuel Kant (1724-1804) écrit : « Une
action accomplie par devoir tire sa valeur morale non pas du but
qui doit être atteint par elle, mais de la maxime d’après laquelle
elle est décidée ; elle ne dépend donc pas de la réalité de l’objet
de l’action, mais uniquement du principe du vouloir d’après
lequel l’action est produite sans égard à aucun des objets de la
faculté de désirer. » Ainsi, pour lui, ce n’est pas la fin visée par
l’action qui déterminerait son caractère bon, mais ce qui préside
à cette visée. Examinons, de plus près, cette conception originale
de l’action morale.
La volonté bonne
La seule chose qui puisse être considérée comme absolument
bonne en ce monde est, pour notre auteur, une volonté bonne.
Qu’est-ce qu’une volonté bonne ? Elle ne se reconnaît ni à sa
capacité d’atteindre la fin visée (réussir l’action entreprise), ni
même à la nature de cette fin (vouloir le bien). La volonté bonne
peut se définir comme étant une volonté qui veut agir par devoir.
Ceci nous amène à préciser un point : nous n’avons accès qu’à
l’extériorité de l’action d’autrui. Autrement dit, cette dernière se
présente à nous comme un comportement dont nous ne pouvons
prétendre connaître les motivations avec certitude. Ainsi, nous
pouvons déterminer avec facilité si une action est conforme ou
non au devoir, mais pas si elle est accomplie ou non par devoir.
Or, pour Kant, seule est morale l’action qui est accomplie par
pur devoir, et non par intérêt, par amour-propre ou pour quelque
autre motif sensible.
L’homme qui agit parce qu’il y est (aussi) poussé par ce que
Kant nomme sa sensibilité, et non seulement par ce que lui
commande sa raison, n’agit pas moralement. Son action est
conforme à la loi morale, mais elle n’est pas morale, car son
intention n’est pas pure.
Uti et frui
Dans son ouvrage intitulé De la doctrine chrétienne (livre I,
chapitre 3), saint Augustin affirme que, puisque Dieu seul est le
bien suprême, c’est en lui seulement que nous pouvons nous
reposer et jouir de tout ce qui existe. Les choses du monde ne
sont donc que des instruments ou des médiations en vue de nous
rapprocher de Dieu, et non pas des fins qui seraient
subordonnées à une fin supérieure qui serait Dieu.
Ainsi, en tant que nous sommes ici-bas des voyageurs en
pèlerinage vers la cité céleste, nous n’avons pas à jouir – le
verbe latin qu’il emploie est frui – de la beauté du paysage, des
biens de ce monde. De toutes ces choses, nous ne devons
qu’user – le verbe latin est uti –, mais sans nous laisser divertir
par elles de notre but ultime réel : Dieu. Ainsi, ce qui est
mauvais ne réside pas dans les choses elles-mêmes (puisqu’elles
ont été créées par Dieu), mais dans notre façon de les considérer
et de nous rapporter à elle.
» Aristote et le bonheur
» Un simple idéal ?
» Sujets possibles
» Bibliographie
» Filmographie
La méthode aristotélicienne
Aristote (384-322 av. J.-C.), dans ce texte, comme souvent,
adopte une méthode qui lui est propre pour définir son objet
d’étude : loin de mettre hors jeu l’opinion du sens commun, il la
prend en compte pour la tirer au clair et la rationaliser.
Autrement dit, contrairement à son prédécesseur et maître
Platon, Aristote ne pense pas l’opinion comme un obstacle
épistémologique à la compréhension de la nature du réel. Elle est
pour lui ce qu’il faut prendre en compte.
En effet, si la plupart des gens, les plus sages ou encore les plus
anciens soutiennent une thèse, il ne faut certes pas l’adopter telle
quelle sans l’examiner, mais il est nécessaire de se demander ce
qui fait qu’ils l’ont adoptée. Ainsi, dans le cas qui nous occupe,
si la plupart des gens soutiennent que le bien suprême, c’est-à-
dire ce que nous recherchons en dernier lieu et au travers de
chacune de nos actions dans l’existence, est le bonheur, c’est que
cette affirmation n’est pas dépourvue d’intérêt. Le travail du
philosophe va consister à partir de ce point d’accord pour voir
comment il est possible de dépasser les divergences d’opinions
concernant le contenu de ce bonheur.
Un bien composite
La suite du texte indique que certains identifient le bonheur au
plaisir, d’autres à la richesse ou encore à l’honneur, que le
malade le définit comme la santé. Aristote en déduit que le
bonheur est un bien composite. Si la vertu est la condition
nécessaire pour obtenir le bonheur – sans elle, il ne saurait y
avoir de bonheur –, elle n’est pas pour autant une condition
suffisante : elle ne saurait à elle seule constituer le bonheur
puisque la vertu n’est pas une fin en soi. Les hommes ne
recherchent pas, dit Aristote, la vertu pour elle-même, mais pour
ce qu’elle peut produire : le bonheur.
Pour qu’il y ait bonheur, il faut que la vertu s’accompagne d’un
certain nombre de biens extérieurs comme une fortune
suffisante, la santé, le fait d’avoir une famille et des amis.
Aristote ajoute : « On ne peut pas tout à fait prétendre au
bonheur si on est trop laid, que l’on vient d’une famille infâme
ou qu’on est seul sans enfants ; on le peut encore moins si on a
des enfants ou des amis mauvais ou, quand ils sont bons, s’ils
viennent à mourir. » Aristote est par conséquent tout à fait
étranger à la conception chrétienne qui met le bonheur dans la
vertu seule, quelles que soient les souffrances vécues et les
difficultés rencontrées par l’individu.
Un état stable
Enfin, il faut encore ajouter qu’Aristote est étranger à l’idée
chrétienne selon laquelle l’homme pourrait accéder subitement
au bonheur ou le perdre tout aussi abruptement en cas de
conversion ou, au contraire, en cas de chute dans le péché. En
effet, pour lui, le bonheur est un état stable auquel le sujet
parvient grâce à une activité vertueuse (et à la possession d’un
certain nombre de biens extérieurs) et que seules des conditions
exceptionnellement douloureuses et durables et des accidents
répétés pourraient lui faire quitter.
Il s’ensuit que le bonheur trouve le principe de sa stabilité et de
sa durabilité dans la permanence de la vertu en l’individu, et
que, par conséquent, le bonheur dépend pour l’essentiel des
choix que l’individu va faire et des actions qu’il va accomplir,
choix et actions qui vont faire de lui un individu vertueux ou, au
contraire, mauvais.
Fiche 99 : Le bonheur comme
idéal de l’imagination
Le bonheur est-il ce que nous devons rechercher à tout prix ?
Peut-il constituer, à lui seul, le bien suprême de l’homme ?
Le souverain bien
Il n’en reste pas moins que le bonheur est un élément du
souverain bien, dès lors qu’il dérive de la moralité. Pour Kant, le
souverain bien est composé non seulement du bonheur, mais
aussi de la vertu qu’il définit comme ce qui nous rend dignes
d’être heureux, c’est-à-dire comme l’intention ferme et pure
d’accomplir le devoir tel qu’il est prescrit par la loi morale. La
vertu est ici pensée sur le modèle d’une résolution ferme de la
volonté, et non pas, comme c’était le cas chez Aristote, comme
une disposition cristallisée en nous par l’habitude.
Autrement dit, c’est la vertu qui doit définir ce qui peut nous
paraître désirable. Il serait vain de vouloir atteindre le souverain
bien en recherchant simplement ce qui plaît à notre sensibilité,
c’est-à-dire ce qui nous est agréable. Nous devons déterminer, en
utilisant notre raison et notre capacité intelligible, ce qui est bien
et ce qui est mal à partir du contenu de la loi morale. Nous
voyons donc que, dans cette pensée, la loi morale n’est pas
énoncée à partir du bien comme principe, mais que c’est le bien
qui est défini à partir de la loi. Là se situe une rupture forte entre
un certain nombre de penseurs antiques qui liaient ensemble
savoir, vertu et bonheur, et Kant.
Mieux encore, la satisfaction du bonheur peut aller à l’encontre
du devoir dans la mesure où le bonheur consiste souvent à
rechercher l’agréable alors même que l’obéissance à la loi
morale que l’on s’est soi-même prescrite – c’est-à-dire le
devoir – peut ne pas être agréable. Cependant, Kant ne récuse
pas le bien-fondé de la recherche du bonheur. Il la qualifie même
de devoir pour autant qu’elle va dans le sens de la moralité.
Fiche 100 : Nietzsche et la
pensée du bonheur
S’il apparaît excessif de parler d’une philosophie du bonheur
chez Nietzsche, et si ce dernier n’a consacré aucun de ses
ouvrages en particulier à la question du bonheur, il n’en reste pas
moins que la lecture de son œuvre permet de dégager une
conception originale du bonheur.
Quelle méthode notre philosophe utilise-t-il pour penser le
bonheur tel qu’il l’entend, et quel est le contenu propre qu’il
donne à cette notion ?
L’ami
Qui est celui que j’appelle mon ami ? Le terme ami vient du
latin amicus, qui désigne l’ami ou l’amant, et ce terme est issu
du verbe amare qui veut dire aimer. Mais dire de l’ami qu’il est
celui que j’aime et qui m’aime ne saurait suffire à le caractériser
en propre.
Nous pouvons commencer par envisager l’hypothèse selon
laquelle l’ami est celui pour lequel je ferais tout. Ne dit-on pas,
en effet, que pour ses amis, on est prêt à transporter un cadavre,
c’est-à-dire à les aider même lorsqu’ils ont commis
l’irréparable ? Là encore, la définition manque de précision ou
de spécificité puisqu’il semble possible d’envisager de faire cela
pour ses enfants ou encore pour son conjoint.
Une piste de définition intéressante pourrait consister à suivre
Aristote qui nous explique, dans l’Éthique à Nicomaque, que
l’ami est à la fois celui que je souhaite rendre meilleur et celui
qui me rend meilleur. Là encore, et même si ce n’est pas la thèse
que défend Aristote, nous pourrions envisager que cette
affirmation puisse s’appliquer à nos enfants, à notre conjoint, à
nos parents…
Pour bien comprendre qui est l’ami, nous devons encore ajouter
que l’amitié est liée à la notion de liberté. En effet, le sens
commun rappelle souvent que si l’on choisit ses amis, on ne
choisit pas sa famille. Il en va de même pour celui ou celle qui
fait l’objet de notre passion : nous tombons amoureux et nous ne
choisissons donc pas la personne concernée. Cette liberté
élective apparaît encore davantage dans l’affection ou
l’attachement qui me lie à mon ami : dans l’amitié, je choisis
d’aider, d’accompagner, d’encourager, de chérir une personne
particulière alors que, dans la charité, le rapport que j’entretiens
avec autrui, quel qu’il soit, se doit d’être le même (il y a une
universalité de la charité). Tout ceci explique sans doute en
grande partie la raison pour laquelle, à mon ami, je me sens en
mesure de tout avouer.
Le fou
Le fou est-il celui qui souffre, dont la maladie peut faire l’objet
d’un diagnostic médical, que l’on doit tenter de soigner, dont
l’état est à redouter ou peut-on tenter d’esquisser une conception
positive de la folie ? Autrement dit, y a-t-il quelque chose à
sauver dans la folie ?
Le terme fou, qui a donné fol en français (attesté dès 1080) vient
du latin classique follis qui désigne à la fois le soufflet dont on
se sert pour attiser le feu et un objet semblable à une outre
gonflée ou à un ballon. Ainsi, le fou serait celui dont les
caractères ou les traits seraient déformés et par conséquent
dénaturés par la folie, que cette dernière soit imputable à la
maladie ou encore à une passion comme la colère. Ainsi, le fou
serait, sous divers aspects, une forme déformée de l’humanité de
l’homme, un être privé de sa bonne nature : l’homme rendu fou
par la maladie mentale aurait une raison dénaturée – qui, au sens
strict, déraisonnerait –, celui rendu fou par la colère ou la
passion s’écarterait, peut-être momentanément, de la norme de
la bonne conduite.
Cependant, dire cela reviendrait à passer à côté de la spécificité
de la folie. Bergson nous est sur ce point d’une aide précieuse.
Dans sa conférence intitulée L’âme et le corps, il présente le fou
comme étant celui qui a un raisonnement cohérent, mais délié du
rapport (pertinent) à la réalité, tout comme un navire ayant
largué les amarres voguerait sur les flots sans être attaché à un
port. Ainsi, la pensée du fou aurait une forme de cohérence
interne, mais celle-ci serait dénuée d’une correspondance avec la
réalité.
Enfin, il ne faut pas oublier l’usage que notre langue fait du
terme folie lorsqu’elle l’utilise pour désigner la fantaisie ou
l’originalité d’une personne. C’est en ce sens que l’on emploie
l’expression « un grain de folie ». La folie est alors à la fois ce
qui met du piment dans l’existence et nous tire hors de la
monotonie, et ce qui relève de l’originalité et qui permet à
certains individus de créer de la nouveauté et d’être, à
proprement parler des individus, c’est-à-dire de sortir de la
norme.
Le philosophe
Qu’est-ce qu’être philosophe ? S’agit-il d’une compétence, d’un
savoir, d’une attitude par rapport à l’existence ? Il faut aussi se
demander si le fait d’être philosophe peut constituer un idéal à
poursuivre pour l’homme.
L’usage vulgaire du terme, c’est-à-dire étymologiquement celui
que fait la foule (en latin vulgus), semble servir à désigner, sinon
quelqu’un qui n’est pas concerné par ce qui se passe autour de
lui, tout au moins, celui qui est capable (ou qui préfère) se
mettre en retrait ou à l’écart, prendre de la distance avec une
situation, une difficulté ou encore un conflit. En ce sens, être
philosophe consisterait à se désintéresser du monde et des
autres, et, par conséquent, dans une certaine mesure, à fuir ses
responsabilités. À ce modèle du philosophe, nous serions tentés
de préférer l’homme d’action, celui qui s’engage, aide les autres,
prend parti, défend la veuve et l’orphelin…
Fort heureusement, l’histoire des idées et de la langue nous
permet de mettre en évidence un sens plus précis et aussi
davantage digne d’intérêt du terme. Étymologiquement, est
philosophe celui qui est sophos, c’est-à-dire qui possède une
forme de savoir ou de maîtrise, une connaissance théorique et/ou
pratique de la vérité, du bien, de ce qu’il faut préférer ou encore
de la conduite à adopter. L’inconvénient de cette définition du
philosophe est qu’elle semble faire de ce dernier une forme
d’idéal que la plupart d’entre nous ne pourront atteindre et qui
présuppose l’existence d’une vérité une et d’un bien unique.
Peut-être faut-il, par conséquent, s’intéresser comme le font la
plupart des philosophes antiques, au terme dans sa totalité. En
effet, le philosophe n’est pas nécessairement celui qui sait, mais
aussi ou plutôt celui qui est ami (philos) de la sagesse (sophia).
C’est notamment en ce sens que Platon utilise parfois le terme
afin de mettre en évidence le fait que, si seule la divinité est en
mesure d’atteindre la sagesse, c’est-à-dire la connaissance du
vrai et du bien, l’homme en revanche peut et doit prétendre à
apprendre à connaître cette sagesse et à s’en rapprocher.
L’homme courageux
Que veut-on dire lorsqu’on affirme d’un homme en général
(c’est-à-dire d’un homme ou d’une femme) qu’il est courageux ?
De quelle qualité, de quelle capacité, de quelle vertu morale fait-
il preuve ? À quoi reconnaît-on l’action de celui qui est
courageux ?
L’histoire de l’emploi du terme « courage » dans la langue
française nous apprend que le courage a d’abord désigné une
intensité du désir, une tension psychique, une intention (ce sens
a perduré dans certains verbes en français comme
« encourager » ou encore « décourager »). Le courageux est, par
conséquent, celui qui par définition ne se décourage pas à la
première difficulté : il persévère pour atteindre le but fixé,
accomplit les efforts nécessaires, supporte des souffrances et des
inconvénients… Dans cette acception déjà se profile le sens que
le français contemporain a retenu du courage, à savoir celui
d’une vertu morale ou encore d’une qualité de caractère.
Ainsi, dire de quelqu’un qu’il est courageux ou encore qu’il ne
manque pas de courage revient à affirmer qu’il a la force et la
détermination pour affronter l’adversité, les difficultés de
l’existence en général ou, en un sens plus précis et plus restreint,
le danger, le péril, alors même que ce dernier concerne parfois sa
survie elle-même. Le courageux serait donc celui qui choisirait
d’accomplir ce qu’il pense devoir faire quoi qu’il lui en coûte,
quoi que les autres puissent en penser, quelles que soient les
conséquences pour le reste du monde.
Dans cette dernière acception du terme, nous voyons apparaître
l’idée d’un excès. Or, il n’y aurait aucun sens à dire que le
courageux puisse faire preuve d’un excès de courage. Il nous
faut donc repenser plus précisément la notion, par exemple en
nous aidant de ce que propose Aristote dans l’Éthique à
Nicomaque : le courage est, pour le Stagirite, une vertu, c’est-à-
dire comme toute vertu, une excellence, une ligne de crête entre
deux excès qui sont des vices, à savoir la lâcheté (laquelle
consiste à ne pas agir, car on a peur) et la témérité (qui consiste à
agir parce que l’on n’a pas peur ; il s’agit d’une forme
d’inconscience). Le courage consiste ici à agir alors même que
l’on connaît les dangers encourus. Le courageux choisit d’agir
parce qu’il sait que ce qu’il s’apprête à faire peut être dangereux
pour lui, mais que c’est l’attitude qui convient dans les
circonstances qu’il rencontre.
Le hors-la-loi
Peut-on dire du hors-la-loi, c’est-à-dire du criminel ou du
brigand, qu’il est hors de toute loi, que son action n’est régie par
aucune norme, et, que c’est ce qu’il revendique ?
Le terme hors-la-loi semble en lui-même transparent : il désigne
celui qui choisit de se mettre en dehors de la loi, c’est-à-dire
d’enfreindre cette dernière. Ceci permet de décrire l’action et
l’attitude du voleur ou du meurtrier. Voler le bien d’autrui, c’est
choisir d’enfreindre la loi qui garantit le droit de propriété, et
c’est choisir à la fois de s’exposer aux sanctions prévues par
cette loi.
Mais celui qui choisit d’enfreindre une loi particulière, positive
(c’est-à-dire la loi telle qu’elle existe dans un État déterminé à
un moment déterminé), peut le faire par pur intérêt immédiat
(l’intérêt de se procurer un objet sans l’acheter) ou au nom d’une
loi supérieure – la loi naturelle par exemple – ou d’une justice
transcendante ou idéale et au nom de laquelle chacun ne devrait
par exemple posséder que ce dont il a besoin ou ce qui lui
revient de droit. Ainsi, le hors-la-loi pourrait être celui qui se
réclame d’une forme de légitimité contre la pure légalité. Nous
pouvons ici penser à la figure de Robin des bois.
Enfin, il faut encore ajouter que, comme le souligne Platon ou
comme il est aisé de le remarquer dans la plupart des films
mettant en scène des hors-la-loi ou des mafieux, ces derniers
suivent, sinon un code d’honneur, tout au moins un code de
conduite. En effet, pour que plusieurs cambrioleurs s’entendent
pour braquer une banque et pour s’entraider à cette fin, il faut
qu’ils s’accordent sur un certain nombre de règles élémentaires :
chacun doit arriver à l’heure, faire sa part du travail, n’en parler
à personne d’extérieur au groupe, ne pas dénoncer les autres à la
police, ne pas voler une partie du butin aux autres… Ainsi, la
figure du hors-la-loi nous donne à voir que toute action humaine,
aussi singulière et hors-norme soit-elle, ne peut se passer de
normes ou de règles.
Le poète
Le terme poète vient du grec poiêtês qui signifie auteur, créateur,
fabricant, artisan. Le poète serait donc détenteur d’un pouvoir
particulier de créer. Quel est donc précisément ce pouvoir ?
Autrement dit, que peut le poète ?
Du poète, nous pouvons commencer par affirmer qu’il est celui
qui produit du beau : il a la capacité de dire ce qui est sous une
belle forme, et, par conséquent, d’embellir le réel qu’il nous
donne à voir. Il produit, en quelque sorte, une imitation plus
vraie que nature. De là vient le reproche de mensonge que
Platon, notamment dans La République au livre X, fait au poète :
parce que ce dernier a la capacité de nous faire croire que ce
qu’il montre, par exemple sur une scène de théâtre, est vrai, il a
aussi le pouvoir de modifier notre âme en bien ou en mal. C’est
la raison pour laquelle Platon en appelle à une forme de censure
et se propose de chasser certains poètes de sa cité idéale.
Nous pouvons cependant quitter cette méfiance à l’égard du
poète dans la mesure où ce qu’il produit a à voir avec le vrai.
Nous pourrions définir une poésie comme une production, qui
n’est pas nécessairement écrite (nous pourrions parler d’une
poésie de la peinture ou de la musique), qui lie ensemble le
beau, le sens et le vrai et qui est, par conséquent, en mesure de
faire naître une émotion qui nous touche. Le poète nous parle en
faisant exister dans une œuvre ce qui constitue la vérité de notre
existence.
Enfin, nous pouvons faire un pas de plus dans l’analyse en
affirmant que la poésie fait être une réalité, porte au monde ce
qui sans elle n’était pas. Le pouvoir du poète serait donc de faire
être un monde qui a du sens pour nous, car il a du sens pour lui.
Le maître
Qu’est-ce qu’un bon maître ? Qu’est-ce qu’un maître qui remplit
pleinement son rôle ? La réponse à cette question va, bien
entendu, dépendre de celui dont le maître est le maître, c’est-à-
dire du type de relation dont il est question.
Si le maître est le maître du chien, il doit faire en sorte que le
chien lui obéisse, ne morde pas les amis, garde la maison, et il
doit aussi s’occuper de son animal (le nourrir, se soigner,
l’emmener en promenade, lui tenir compagnie…). Parce qu’il
est un être humain, et qu’il a une conscience morale, le maître
sait que son animal peut souffrir et il doit veiller à son bien-être.
Du maître de l’esclave, nous attendons, au nom du droit qu’a
chacun d’être libre, qu’il renonce à réduire autrui en esclavage.
Mais qu’attendons-nous du maître de l’élève ou du disciple ?
Le bon maître est celui qui développe la nature de son élève ou
de son disciple dans le bon sens et au maximum de ce qu’elle
peut atteindre. L’enseignement qu’il lui dispense doit permettre
à son élève de déployer toutes ses potentialités, de vaincre ses
faiblesses, et de corriger ses éventuelles déviances. Parce que
l’élève manque de connaissances, d’expérience du monde et de
maîtrise de soi, le maître peut et doit l’accompagner dans ses
diverses découvertes.
Il s’ensuit que l’élève a besoin du maître, mais ce dernier ne doit
pas entretenir cet état de dépendance : il doit amener son élève
ou son disciple peu à peu à pouvoir se passer de lui. Ainsi, loin
d’être le gourou d’un adepte infantilisé, le maître cherche à
développer en son élève la raison et la liberté. Le bon maître est
donc celui qui veut que son élève le dépasse (ainsi que le
rappelle l’expression consacrée) et qui met tout en place pour
que ceci soit possible.
Le guerrier
Qu’est-ce qu’un guerrier ? Pour répondre à cette question, il est
utile de se demander quelles sont les qualités dont un individu a
besoin pour être un guerrier, et quelles fonctions le guerrier a à
remplir.
En premier lieu, le guerrier n’est pas celui qui veut la guerre,
mais qui la fait lorsque cela est nécessaire. Pour cette raison, il
doit disposer de qualités physiques (endurance, adresse…) qu’il
cultive en s’entraînant, de qualités morales (courage, maîtrise de
soi…), et de qualités intellectuelles (ingéniosité, sens de la
stratégie, capacité à feindre…).
La fonction du guerrier (ou de la guerrière) est de protéger la
liberté des citoyens et l’État. Son but est par conséquent la
victoire, en tant que cette dernière est un moyen pour établir et
garantir une paix durable. Autrement dit, le guerrier vise la paix.
Le guerrier et le pacifiste veulent donc une seule et même chose,
mais ils entendent y parvenir par des moyens très différents.
Pour atteindre cette fin, le guerrier doit mettre en œuvre, comme
le note Machiavel à propos du prince dans son ouvrage
éponyme, un certain nombre de moyens. Lorsque les
circonstances s’y prêtent, la meilleure stratégie pour parvenir à
la paix (et assurer la survie et la liberté de l’État) peut résider
dans une attaque rapide pour créer un effet de surprise et tirer
profit des circonstances (ce que Machiavel nomme « réduire la
fortune à sa plus basse intensité »). Parfois, il est préférable
d’avoir recours à la dissuasion en faisant la démonstration de sa
force. Autrement dit, le guerrier efficace est celui qui ne fait la
guerre qu’à bon escient et qui utilise la ruse : il est, pour
reprendre les termes de Machiavel, à la fois lion et renard.
L’athlète
Prendre l’athlète comme objet d’étude et d’analyse
philosophique peut surprendre dans la mesure où nous pourrions
être tentés d’opposer le philosophe qui pense et qui cultive ses
capacités intellectuelles au sportif qui ne se préoccupe que des
performances de son corps. Pouvons-nous nous en tenir à cette
opposition entre une intériorité intellectuelle et une extériorité
qui serait celle de l’apparence du corps, et que nous apprend
l’athlète sur nous-mêmes ?
En premier lieu, il est indéniable que l’athlète est celui qui
conduit les capacités de son corps au maximum de leurs
potentialités. Il remporte des médailles parce qu’il court vite,
saute haut ou lance loin. Mais, s’en tenir à cela, c’est réduire
l’homme qu’est l’athlète à n’être qu’un corps ou un animal bien
dressé.
L’étymologie même du terme athlète nous invite à abandonner
ce point de vue. En effet, l’athlète vient du grec athlêtês qui
désigne « celui qui s’exerce à la lutte ». Ce nom vient lui-même
du verbe athlein qui signifie « lutter » ou « concourir ». Aussi
faut-il se demander contre qui ou contre quoi l’athlète lutte.
En tant qu’il est celui qui concourt, l’athlète est en compétition
avec les autres concurrents, par exemple aux Jeux olympiques.
Mais il est aussi et toujours celui qui lutte avec lui-même, pour
repousser les limites de résistance à la fois de son organisme et
de sa volonté. Dans la figure de l’athlète, ou même pour ma part
lorsque je m’essaie à faire un peu de sport, je me découvre tout à
la fois et inséparablement corps et esprit : je suis ce corps que
seul un esprit peut conduire à accomplir certaines prouesses, et
je suis cet esprit qui vit dans un corps et qui découvre qu’il peut,
grâce à ce corps, éprouver des souffrances et remporter des
victoires.
Le tyran
Qu’est-ce qu’un tyran ? Faut-il voir, dans le tyran, une figure
politique qui ne peut servir que de repoussoir ou pouvons-nous
tirer de la figure du tyran un enseignement quelconque ?
En grec ancien, le terme turannos qualifie celui qui est un maître
absolu dont le pouvoir ne connaît aucune limite et n’est contraint
par aucune loi. C’est la raison pour laquelle la langue grecque
utilise ce terme pour qualifier le pouvoir de Zeus. Parce que le
tyran exerce un pouvoir sans limite aucune, le terme turannos va
ensuite qualifier celui qui a volé le pouvoir, par opposition à
celui qui l’exerce légitimement (le monarque ou le roi).
Si, une fois au pouvoir, le tyran peut pour les Grecs être un bon
gouvernant, le terme a perdu pour nous ce sens pour ne
conserver qu’un sens péjoratif et désigner celui qui prive ses
sujets ou les citoyens de son État de la liberté. Par suite, nous
avons qualifié de tyran domestique celui qui exerce un pouvoir
démesuré et irraisonnable sur les membres de sa maisonnée.
La lecture de Platon permet de mettre en évidence que, si le
tyran prive les autres de la liberté à laquelle ils ont droit, il ne
faut pas oublier que c’est d’abord lui-même qu’il prive de la
liberté dans la mesure où son âme, guidée par de mauvais désirs,
devenue déraisonnable, est elle-même tyrannisée par un désir de
domination sans limites. La figure du tyran met en évidence ce
qu’est une liberté excessive, dévoyée et mal comprise, qui se nie
elle-même. La tyrannie est donc une forme pathologique de la
liberté et de son exercice, et elle est un risque pour toute liberté
et pour chacun.
Chapitre 27
Dix formules au crible de la
philosophie
DANS CE CHAPITRE :
La loi de la jungle
L’expression « la loi de la jungle » peut sembler être une
contradiction dans les termes. En effet, la jungle apparaît
d’abord comme le lieu de tous les dangers, dans lequel ma
sécurité n’est aucunement garantie : je peux être mordu par un
serpent venimeux, être dévoré par une bête sauvage ou tout
simplement me perdre et mourir de faim et de soif. Cette
dernière remarque nous invite déjà à penser que, pour survivre
dans la jungle, il faut suivre certaines lois et que, par
conséquent, la jungle a des lois.
Connaître les lois de la jungle, c’est à la fois prendre conscience
de ma vulnérabilité, de ce dont j’ai par conséquent besoin pour
survivre dans la jungle (un équipement adapté, une boussole et,
pourquoi pas, un fusil) et reconnaître que les causes ont des
effets (la chaleur produit la déshydratation). Je ne saurais, en
effet, m’extraire par la seule puissance de mon esprit, de la
causalité de la nature.
Plus généralement, l’expression « la loi de la jungle » attire
notre attention sur le fait que tout milieu naturel et a fortiori
toute société sont constitués par des normes, des règles et des
lois, écrites ou non, et, sur fond desquelles et au sein desquelles
seulement peut se construire et se déployer ma liberté.
Couverture
100 fiches de philosophie pour les Nuls CONCOURS
Copyright
À propos de l’auteur
Remerciements
Introduction
À propos de cet ouvrage
À qui ce livre s’adresse-t-il ?
L’organisation de ce livre
Par où dois-je commencer ?
Chapitre 2. La perception
Fiche 4 : L’empirisme : saisie du réel ou construction abstraite ?
Chapitre 3. L’inconscient
Fiche 8 : L’inconscient avant Freud
Chapitre 4. Autrui
Fiche 11 : L’amitié
Fiche 12 : La sympathie
Chapitre 5. Le désir
Fiche 15 : Qu’est-ce que désirer ?
Chapitre 8. L’art
Fiche 28 : Qu’est-ce que l’art ?
Chapitre 9. Le travail
Fiche 32 : Travail, valeur et marchandise
Fiche 61 : La douleur
Fiche 74 : Le totalitarisme
Fiche 77 : Le don
Fiche 79 : La propriété
Fiche 82 : Le châtiment
Fiche 93 : Le devoir
Le fou
Le philosophe
L’homme courageux
Le hors-la-loi
Le poète
Le maître
Le guerrier
L’athlète
Le tyran