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L’expérience

L’expérience est une des trois catégories qui permettent d’organiser l’étude de la vie mentale
humaine, avec l’action et la pensée.

I : Définition et problèmes


Les définitions sont tirées du Dictionnaire de la philosophie et des sciences humaines de L. M Morfaux
Au sens psychologique : Acceptation immédiate du réel, soit par l’intuition sensible (données des
sens : expérience externe), soit par l’intuition psychologique (données de la conscience :
expérience interne).
Arrêtons-nous un instant sur cette définition. Dans la mesure où l’expérience est constituée des
données immédiates des sens et de la conscience, elle présuppose comme une sorte de passivité du
sujet par rapport à l’expérience. L’expérience du retard d’un train ou d’un avion est totalement subie
par le sujet.
Pourtant, l’expérience nous met en contact avec le monde extérieur. Comme la pensée, elle
constitue un élément crucial de la vie intérieure. Que dire de l’expérience d’une brûlure ou d’une
piqûre de guêpe par exemple ? Peut-on prétendre savoir ce que c’est si on ne les a jamais
éprouvées ?
Au sens épistémologique : action d’observer ou d’expérimenter en vue de former ou de contrôler
une hypothèse et résultat de l’observation et de l’expérimentation. En ce sens l’expérience est
synonyme de méthode expérimentale : qui consiste à faire varier les conditions et voir ce qu’il
advient. Expérience scientifique.
Ici il convient de souligner que l’expérience ne doit pas être séparée du travail de la raison. Le sens
commun a tendance à séparer voire à opposer l’expérience et la pratique à la théorie et à la raison.
Pourtant, il est indéniable qu’une expérience requiert d’être interprétée pour dévoiler son sens.
L’expérience scientifique ne peut avoir de sens que si elle est construite, réfléchie, analysée.

« Avoir de l’expérience » : c’est avoir du vécu, c’est à dire avoir vécu une vie suffisamment riche
pour ne pas se laisser surprendre par un événement inattendu.

On comprend donc que cette notion d’expérience est étroitement liée aux questions de la vérité, de
la connaissance.
L’expérience instruit-elle ?
Comment, dans quelle mesure l’expérience peut-elle nous mettre sur la voie de la connaissance, de
la vérité ?
Peut-on seulement se fier à nos sens ? À notre expérience ? Pourquoi ? N’est-elle pas trop subjective
pour contribuer à la connaissance ?
Peut-on se fier à l’expérience ? Que nous apporte-t-elle ? Est-elle porteuse de vérités ?
Quels sont les liens entre la raison et l’expérience ? Peut-on les opposer ?

II : Peut-on se fier à l’expérience ? Si oui, pourquoi ? Comment ? Si non, pourquoi ?

Il existe, dans l’histoire de la philosophie, un débat sur cette question. Il oppose les rationalistes aux
empiristes. Il porte sur la contribution de l’expérience à la recherche de la vérité et de la
connaissance. L’expérience serait, pour les rationalistes, une épreuve subie alors que le
raisonnement est actif. Pourtant, l’expérience fournit à notre esprit des éléments que le seul
jugement, le seul raisonnement seraient incapables de lui procurer. Reprenons notre exemple de la
douleur qui exige d’être éprouvée pour être connue.
Le rationalisme :

 Caractérise toute doctrine qui attribue à la raison humaine la capacité de connaître et


d’établir la vérité.
 Doctrine qui pose la raison comme indépendante de l’expérience sensible et qui affirme que
la raison est innée, a priori et immuable chez tous les hommes.
 Doctrine qui n’admet dans le domaine de la connaissance que l’autorité de la raison et
rejette toute intervention du sentiment

L’empirisme :

 Nom générique de toutes les doctrines philosophiques selon lesquelles la connaissance


humaine dérive toute entière, directement ou indirectement, de l’expérience sensible
(externe ou interne), y compris les principes dits rationnels de la connaissance, et qui
n’attribuent à l’esprit aucune activité propre.

En résumé, les rationalistes affirment que nos connaissances ont toutes leur origine première dans
la raison, alors que les empiristes affirment au contraire qu’elles découlent toutes de notre
expérience.
Pour les empiristes l’expérience instruit, le jugement est comme secondaire, il accompagne
l’expérience. C’est au XVIII° s. que l’empirisme connaîtra son apogée. C’est Newton qui, dans le
domaine scientifique, fait toute la démonstration de l’importance de l’expérience. Nous en
reparlerons ci-dessous. En philosophie ce sont des philosophes anglais comme J. Locke ou D. Hume
qui en seront d’éminents représentants.
Pour les rationalistes, seuls les concepts procurent la connaissance vraie. La connaissance est une
croyance vraie justifiée par des concepts précis, rigoureux, résultats de la pensée.

Rappelons-nous le texte de l’allégorie de la caverne extrait du ch. VII de la République de Platon, où


ce dernier illustre sa théorie des Idées afin de montrer que la vérité se cherche et se trouve par un
difficile travail de la raison. Mais c’est surtout au XVII° s. que des philosophes comme Spinoza et
particulièrement Descartes vont défendre le rationalisme.

Texte de Descartes qui accompagne cette partie du cours.

« Commençons par la considération des choses les plus communes et que nous
croyons comprendre le plus distinctement, à savoir les corps que nous touchons que nous
voyons. Je n’entends pas parler des corps en général, car ces notions générales sont
d’ordinaire plus confuses, mais de quelqu’un en particulier. Prenons pour exemple ce
morceau de cire qui vient d’être tiré de la ruche, il n’a pas encore perdu la douceur du miel
qu’il contenait, il retient encore de l’odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa
figure, sa grandeur, sont apparentes : il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le
frappez, il rendra quelque son. Enfin, toutes les choses qui peuvent distinctement faire
connaître un corps, se rencontrent en celui-ci.
Mais voici que cependant que je parle on l’approche du feu, ce qui y restait de saveur
s’exhale, l’odeur s’évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il
devient liquide, il s’échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu’on le frappe il ne rendra
plus aucun son : La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu’elle
demeure, et personne ne le peut nier. Qu’est-ce donc que l’on connaissait en ce morceau de
cire avec tant de distinction ? Certes ce ne peut être rien de tout ce que j’y ai mis par
l’entremise des sens, puisque toutes les choses qui tombaient sous le goût, ou l’odorat, ou la
vue, ou l’attouchement, ou l’ouïe se trouvent changées, et cependant la même cire
demeure. Peut-être était-ce ce que je pense maintenant, à savoir que la cire n’était pas, ni
cette douceur du miel, ni cette agréable odeur de fleurs, ni cette blancheur, ni cette figure, ni
ce son, mais seulement un corps qui un peu auparavant me paraissait sous ces formes, et qui
maintenant se fait remarquer sous d’autres. Mais qu’est-ce précisément parlant que
j’imagine, lorsque je la conçois en cette sorte ? Considérons-le attentivement, et éloignant
toutes les choses qui n’appartiennent point à la cire, voyons ce qui reste. Certes il ne
demeure rien que quelque chose d’étendu, de flexible et muable : Or qu’est-ce que cela
flexible et muable ? n’est-ce pas que j’imagine que cette cire étant ronde est capable de
devenir carrée, et de passer du carré en une figure triangulaire ? non certes ce n’est pas cela,
puisque je la conçois capable de recevoir une infinité de semblables changements, et je ne
saurais néanmoins parcourir cette infinité par mon imagination, et par conséquent cette
conception que j’ai de la cire ne s’accomplit pas par la faculté d’imaginer.
Qu’est-ce maintenant que cette extension ? n’est-elle pas aussi inconnue ? Puisque
dans la cire qui se fond elle augmente, et se trouve encore plus grande quand elle est
entièrement fondue, et beaucoup plus encore quand la chaleur augmente davantage ; et je
ne concevais pas clairement et selon la vérité ce que c’est que la cire, si je ne pensais qu’elle
est capable de recevoir plus de variétés selon l’extension, que je n’en ai jamais imaginé. Il
faut donc que je tombe d’accord, que je ne saurais pas même concevoir par l’imagination ce
que c’est que cette cire, et qu’il n’y a que mon entendement seul qui le conçoive. Je dis ce
morceau de cire en particulier, car pour la cire en général il est encore plus évident : Or
quelle est cette cire qui ne peut être conçue que par l’entendement ou l’esprit ? Certes c’est
la même que je vois, que je touche, que j’imagine, et la même que je connaissais dès le
commencement ; Mais ce qui est à remarquer, sa perception, ou bien l’action par laquelle on
l’aperçoit n’est point une vision, ni un attouchement, ni une imagination, et ne l’a jamais été,
quoiqu’il le semblât ainsi auparavant, mais seulement une inspection de l’esprit, laquelle
peut être imparfaite et confuse, comme elle était auparavant, ou bien claire et distincte,
comme elle est à présent, selon que mon attention se porte plus ou moins aux choses qui
sont en elle, et dont elle est composée. 

R. Descartes, Méditations métaphysiques, extrait de la 2° Méditation,


1641

Dans ce texte Descartes a pour objectif de démontrer que la connaissance découle de la raison. La
thèse exposée de la ligne 40 à la fin du texte affirme que la connaissance des choses, y compris
matérielles, relève d’une « inspection de l’esprit ».
Pour défendre sa thèse, Descartes va construire son argumentation en plusieurs étapes.
Paradoxalement, il va se livrer à une expérience pour démontrer que seule la raison procure la
connaissance et qu’on ne peut se fier à nos sens, à notre expérience.
Ce texte peut être découpé en trois parties :
1. l. 1 à 17 : on ne peut se fier aux sens.
2. l. 18 à 29 « imaginer » : le rôle de l’imagination.
3. l. 30 à 45 : c’est la raison (= entendement, esprit) qui procure la connaissance.
Dans la première partie du texte Descartes prend l’exemple d’un corps en particulier, un morceau de
cire, et examine attentivement ses caractéristiques sensibles : il a une certaine couleur, une certaine
odeur, forme, « si vous le frappez, il rendra quelque son ». Ainsi grâce à nos sens nous pouvons
prétendre connaître le morceau de cire, mais « voici cependant que je parle on l’approche du feu… »
Toutes les caractéristiques énoncées auparavant disparaissent, il n’a plus la même couleur, la même
odeur, la même forme… Pourtant, la même cire demeure « et personne ne le peut nier ».
Mais, si toutes les choses qui m’étaient apparues par l’entremise des sens ont disparu et que je sais
qu’il s’agit toujours du même morceau de cire, c’est donc bien que je le connaissais autrement que
par les sens ! Qu’est-ce donc alors que la connaissance du morceau de cire si ce n’est pas ce que mes
sens m’en donnaient à saisir ? Qu’est-ce que j’entends par morceau de cire lorsque je le conçois ?
Que reste-t-il du morceau de cire lorsque j’élimine tout ce que mes sens me livraient de lui ?
Dans cette partie on voit comment Descartes vise à démontrer que nos sens ne nous servent à rien
dans la connaissance. Il jette le discrédit sur l’expérience sensible. Celle-ci n’est pas fiable, elle serait
même source d’erreur…En partie en raison du fait que les choses changent. Le changement serait
une cause de l’insuffisance de nos sens dans la connaissance. La vérité serait-elle la connaissance de
ce qu’il y a de permanent dans les choses ?

Dans la seconde partie du texte Descartes considère donc qu’au-delà du témoignage des sens je sais
que la cire est quelque chose de « flexible et muable ». Ici on voit bien comment le rejet de
l’expérience sensible appelle, exige la conceptualisation. Mais ces deux adjectifs ne sauraient épuiser
la réalité de ce qu’est ce morceau de cire. Faut-il alors avoir recours à l’imagination  ? Est-ce
l’imagination qui me permet de concevoir l’infinité de changements que pourrait prendre ce
morceau de cire ?
Non répond Descartes, car celle-ci est trop limitée pour me permettre de concevoir cette infinité  :
« je ne saurais néanmoins parcourir cette infinité par mon imagination ».
Par conséquent, « cette conception que j’ai de la cire ne s’accomplit pas par la faculté d’imaginer ».
La connaissance ne découle donc pas non plus de l’imagination. Nous pourrions prendre un autre
exemple pour corroborer cette idée. Prenons l’exemple d’un polygone à 10000 côtés, et considérons
que l’imagination doit être entendue comme la faculté de former des images. Je peux concevoir une
telle figure, mais il me faut admettre que cette conception ne peut découler de l’imagination. Car
avec cette seule faculté, je n’aurais jamais la certitude d’avoir exactement atteint le nombre 10000
et, de surcroît, cette figure aurait l’allure d’un point. C’est donc bien l’esprit, par la force du concept
qui peut se représenter un polygone à 10000 côtés, en associant les concepts de figure, de nombre
et de côté.

Dans cette troisième partie Descartes va conclure son raisonnement et affirmer que c’est donc bien
l’esprit, la raison ou encore l’entendement qui est à l’origine de la connaissance, y compris du
particulier. Il est encore plus évident que c’est la capacité qu’a l’esprit de conceptualiser le réel, de le
catégoriser, qui nous ouvre les portes de la connaissance. « …pour la cire en général il est encore plus
évident », en effet, c’est grâce à la combinaison rigoureuse et logique d’une association d’idées
générales que l’esprit accède à la vérité. Chez Descartes ces idées sont innées. La rectitude d’une
connaissance repose sur le travail de l’esprit, de la raison, seul capable de nous procurer une
connaissance des propriétés des choses. La connaissance passe par la faculté qu’a l’esprit, la raison,
d’accéder aux propriétés immuables et objectives des choses.

La vérité d’une théorie est dans ton esprit, pas dans tes yeux  » disait Einstein

On comprend mieux l’importance des mathématiques pour Descartes. Elles offrent selon lui la
preuve du pouvoir de la raison à rendre compte du réel de manière vraie.
Ce texte apparaît manifestement comme une profession de foi rationaliste dans laquelle le
philosophe rejette la contribution des sens et de l’expérience à la connaissance.
Rq : Deux siècles plus tard, chez Nietzsche par exemple, on trouvera un vif rejet de la raison et de sa
« dictature ». Il faut se souvenir du texte étudié dans le cours sur la vérité, où Nietzsche fustigeait le
rôle prépondérant accordé aux concepts « décolorés et froids » pour décrire le réel.

III : Sans expérience, pas de connaissance : l’empirisme de Hume

Dans ce texte Hume veut montrer, à partir de l’exemple d’une table, que l’opinion commune
selon laquelle les choses existent indépendamment de nous, de nos perceptions, peut être
remise en cause (l. 1 à 7). En effet, les choses n’existent dans notre esprit qu’à partir des
images que nos perceptions nous permettent de former.
Des l. 8 à 13, Hume affirme que nous n’avons aucune perception intellectuelle immédiate. Il
n’y a pas de rapport immédiat entre les choses et mon esprit. Seules les perceptions des
sens peuvent garantir des conceptions de l’esprit. « Rien ne peut jamais être présent à
l’esprit qu’une image ou une perception.
Ainsi, de la l. 13 « La table… » à la l. 17, Hume reprend l’exemple de la table pour affirmer
que toutes les représentations de l’esprit découlent des sens.  

« Notre présence ne lui confère pas l’existence ; notre absence ne l’anéantit pas. »
Le monde existe indépendamment de nous et de notre perception. Ce n’est donc pas moi
qui donne existence aux choses. Que je sois présent ou absent, les choses sont. Sans moi, les
choses peuvent exister. Sans moi le monde ne serait pas un pur néant.
C’est cette idée que Hume va remettre en cause. Cette idée ne tient pas, même avec la
philosophie la « plus légère ».
En effet, Hume pense que c’est la perception qui nous renseigne sur la réalité. Les choses
n’existent que par les représentations que nous en avons. Sans la perception que j’ai du
monde, celui-ci n’est rien, un pur néant. (Ex du sommeil ou de la mort). Le monde se réduit
donc à ce que j’en perçois. C’est donc d’abord avant tout par les sens et par l’expérience que
le monde existe.

Les sens ne sont donc pas « capables de produire un rapport immédiat entre l’esprit et
l’objet ». Pourquoi ?
Les sens sont un médiat nécessaire entre moi et le monde. Comme on vient de le dire, sans
eux, le monde n’est rien. Ils jouent le rôle d’un intermédiaire incontournable, essentiel entre
les objets et mon esprit. Par exemple, lorsque je m’éloigne de la table, l’image de celle-ci
diminue dans mon esprit. Pourtant, la table elle, ne diminue pas, ne subit aucune
transformation. Tout objet est donc perçu par moi avant d’être pensé. Si j’avais un rapport
immédiat au monde la table m’apparaitrait telle qu’elle est, où que je sois. C’est le jugement
qui vient corriger, rectifier ma perception. On voit donc bien que les sens sont comme des
guichets par lesquels transitent les images des choses, sans lesquelles le monde n’existerait
pas. Nous ne nous confondons pas avec le monde, il est par nos sens.

On voit donc que la question de savoir si on peut se fier à l’expérience, si celle-ci contribue à
la connaissance et comment, est une question difficile et délicate.

A vrai dire, le XVIII° s. a été un siècle particulièrement florissant dans le domaine de la


connaissance. Mais ce n’est pas un hasard, car le siècle des Lumières a produit un nombre
incroyable d’instruments de mesures fiables, et a permis de faire progresser la science de
manière saisissante. On a donc progressivement compris que la connaissance du monde,
notamment par la science, exige le concours de l’expérience et de la raison. Si nous pouvons
espérer nous fier à nos expériences sensibles c’est uniquement en reconnaissant que celles-
ci prennent leur sens avec la lecture, l’interprétation que la raison permet d’en faire. De
plus, on peut raisonnablement avancer l’hypothèse que la part de contribution de
l’expérience et de la raison dans la connaissance, dépend peut-être de la nature même de
l’objet à connaître.

Soulignons que le philosophe Kant, philosophe des Lumières, a réfléchi à cette question.

« Si toute notre connaissance débute avec l’expérience, cela ne prouve pas qu’elle dérive
toute de l’expérience, car il se pourrait bien que même notre connaissance par l’expérience
fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre
propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles) produit de
lui-même. […]
Par connaissance a priori nous entendrons désormais non pas celles qui ne dérivent point de
telle ou telle expérience, mais bien celles qui sont absolument indépendante de toute
expérience. A ces connaissances a priori sont opposées les connaissances empiriques ou
celles qui ne sont possibles qu’a posteriori, c'est-à-dire par expérience. Mais parmi les
connaissances a priori, celles-là sont appelées pures auxquelles n’est mêlé absolument rien
d’empirique. Par exemple cette proposition : Tout changement a une cause, est bien a priori,
mais n’est point pure cependant, puisque le changement est un concept que l’on ne peut
tirer que de l’expérience.
Il nous faut maintenant un critérium1 qui permette de distinguer sûrement une connaissance
pure de la connaissance empirique. L’expérience nous apprend que quelque chose est de
telle ou telle manière, mais non point que cela ne peut être autrement. Si donc,
premièrement, on trouve une proposition dont la pensée implique la nécessité, on a un
jugement a priori ; si cette proposition n’est en outre dérivée d’aucune autre qui vaut elle-
même, à son tour, à titre de proposition nécessaire, elle est absolument a priori.
Secondement, l’expérience ne donne jamais à ses jugements une véritable et stricte
universalité, mais seulement une universalité supposée et relative (par induction), qui n’a
pas d’autre sens que celui-ci : nos observations, pour nombreuses qu’elles aient été jusqu’ici,
n’ont jamais trouvé d’exception à telle ou telle règle. Par conséquent, un jugement pensé
avec une stricte universalité, c'est-à-dire de telle sorte qu’aucune exception n’est admise
comme possible, ne dérive point de l’expérience, mais est valable absolument a priori. »

Kant, Critique de la raison pure (1781), Introduction à la 2° édition,


trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud.

Kant montre donc que l’esprit est capable de produire lui-même des connaissances a priori,
et d’établir des connaissances qui ne procède d’aucune expérience. Par exemple, la
proposition « la somme de deux chiffres impairs donne un chiffre pair » est une proposition
qui peut être produite, construite par l’esprit seul. En revanche, la proposition « tout
1
Critère
changement a une cause » est une proposition qui repose sur le concept de changement qui
est empirique, mais aussi, sur l’idée de cause qui elle est une idée innée, pur produit de la
raison. Le jugement : « cette table est grise » est un jugement qui dérive de l’expérience. On
voit bien que chez Kant, les deux facultés jouent un rôle déterminant dans la connaissance.
Toutefois, pour Kant, il existe deux critères de la connaissance vraie : l’universalité et la
nécessité. Or, l’expérience n(est jamais à même de produire ces critères, car : « L’expérience
nous apprend bien que quelque chose est de telle ou telle manière, mais non point que cela
ne peut être autrement. Celle-ci offre donc une connaissance partielle. Je peux bien mener
la même expérience x fois et trouver le même résultat, mais je n’ai jamais la certitude que la
conclusion sera identique au nombre x + 1.
L’expérience est donc nécessaire mais non pas suffisante pour construire la connaissance.

Pourtant, aujourd’hui, la science nous a bien fait comprendre que l’observation, l’expérience
sont des données fondamentales, nécessaires à toute science, à toute compréhension du
réel. Quel point de vue la science offre-t-elle sur l’expérience ? Nous permet-elle de trouver
la vérité ?

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