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Introduction:
Classiquement, l'homme est présenté comme un être de raison (cf Aristote: l'homme
animal raisonnable, Pascal...). Mais on reconnaît aussi qu'il est un être de désir, voire de
passion.
Si la raison est classiquement valorisée, la passion en revanche est tenue pour néfaste:
elle est ce qui nous rend déraisonnable. Rappelons que ce terme renvoie étymologiquement
("patior",en latin, signifie "subir"; quant au grec correspondant, c'est "pathos" qui nous a
laissé "pathologie") à la passivité et à la souffrance (cf le verbe "pâtir" ou la "Passion du
Christ").
Le désir fait l'objet de jugements moins manichéens: tout dépend si l'on considère que
l'on se perd ou que l'on se réalise à travers nos désirs, qu'ils menacent ou qu'ils contribuent à
notre bonheur (ce qui induit des "règles de vie", des "sagesses" diverses: écouter nos désirs?
les juguler, sélectionner? ou tenter de les éradiquer?). Dans la mesure où ils peuvent trouver
leur origine dans l'inconscient, ils mettent aussi en cause notre libre arbitre.
NB il ne faut surtout pas confondre l'inconscience (=état dans lequel on peut se trouver
et où manque plus ou moins la conscience première ou la conscience seconde) et
l'inconscient, concept qui vient de Freud (ce n'est pas un philosophe mais un médecin
spécialisé dans ce que l'on appelait "maladies nerveuses", 1856-1939) et de la psychanalyse et
qui désigne un domaine psychique indépendant de la conscience, ayant ses contenus et ses
mécanismes propres. [Remarque : on « a » un inconscienT au sens freudien, et on « est »
inconscient lorsque l’on est dans une situation d’inconscienCE, càp par défaut de conscience
1ère ou de conscience 2nde]
I- L'INCONSCIENT ET LE PSYCHISME
"D'ailleurs il y a mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment un infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans
réflexion, c'est-à-dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont trop petites
et en trop grand nombre ou trop unies., en sorte qu'elle n'ont rien d'assez distinguant à part, mais jointes à d'autres, elles ne laissent pas
de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l'assemblage. C’est ainsi que l’accoutumance fait que nous ne prenons
pas garde au mouvement d’un moulin ou à une chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps. Ce n’est pas
que ce mouvement ne frappe toujours nos organes, et qu’il ne se passe encore quelque chose dans l’âme qui y réponde, à cause de
l’harmonie de l’âme et du corps, mais ces impressions qui sont dans l’âme et dans le corps, destituées des attraits de la nouveauté, ne
sont pas assez fortes pour s’attirer notre attention et notre mémoire, attachées à des objets plus occupants. Car toute attention demande
de la mémoire, et souvent quand nous ne sommes plus admonestés pour ainsi dire et avertis de prendre garde, à quelques-unes de nos
propres perceptions présentes, nous les laissons passer sans réflexion et même sans être remarquées ; mais si quelqu’un nous en avertit
incontinent après et nous fait remarquer par exemple quelque bruit qu’on vient d’entendre, nous nous en souvenons et nous nous
apercevons d’en avoir eu tantôt quelque sentiment (…) Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions
distinguer dans la foule, j'ai coutume de me servir de l'exemple du mugissement ou du bruit de la mer dont on est frappé quand on est sur
le rivage. Pour entendre ce bruit comme l'on fait, il faut bien que l'on entende les parties qui composent ce tout, c'est-à-dire les bruits de
chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l'assemblage confus de tous les autres ensemble,
c'est-à-dire dans ce mugissement même, et ne se remarquerait pas si cette vague qui le fait était seule. Car il faut qu'on en soit affecté un
peu par le mouvement de cette vague et qu'on ait quelque perception de chacun de ces bruits, quelques petits qu'ils soient ; autrement on
n'aurait pas celle de cent mille vagues car cent mille rien ne saurait faire quelque chose. D'ailleurs, on ne dort jamais si profondément
qu'on n'ait quelque sentiment faible et confus, et on ne serait jamais éveillé par le plus grand bruit du monde, si on n'avait quelque
perception de son commencement qui est petit, comme on ne romprait jamais une corde par le plus grand effort du monde, si elle n'était
tendue et allongée un peu par des moindres efforts, quoique cette petite extension qu'ils font ne paraisse pas." Nouveaux Essais sur
l'entendement humain,
Cela témoigne que la conscience peut manquer d'attention, d'efficacité, notamment sous l'effet
de l'habitude ou de la fatigue. Mais il suffit donc de peu pour que ces perceptions soient à
nouveau rendues sensibles: que qqn attire notre attention ou que ce qui était perçu sans que
l'on s'en rende compte se modifie (dans l'ex 1: que le bruit cesse, s'amplifie soudainement ou
s'amenuise). Leibniz n'envisage donc pas encore l'existence d'un inconscient: tout juste révèle-
t-il des degrés d'éveil variables de la conscience, degrés entre lesquels persiste un principe de
continuité. (Rappel : une bonne part de ses études en physique portait sur le calcul
infinitésimal ; cf multiples vidéos en ligne)
Quant au second exemple, il montre que la conscience effectue sans cesse des processus de
globalisation, ce qui montre que nous ne percevons pas toujours le détail de ce qui compose
nos perceptions. Mais là encore, la suprématie de la conscience n'est pas mise en doute.
b- L'inconscient freudien
Lire ce texte
On nous conteste de tous côtés le droit d’admettre un psychique inconscient et de travailler avec cette hypothèse. Nous pouvons ré -
pondre à cela que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l’existence de
l’inconscient. Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l’homme sain
que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d’autres actes qui, eux, ne bé -
néficient pas du témoignage de la conscience […] Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensible si nous nous
obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ; mais ils s’or-
donnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. Or, nous trouvons dans
ce gain de sens et de cohérence une raison, pleinement justifiée, d’aller au-delà de l’expérience immédiate. Et s’il s’avère de plus que si
nous pouvons fonder sur l’hypothèse de l’inconscient une pratique couronnée de succès, par laquelle nous influençons, conformément à
un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce succès, une preuve incontestable de l’existence de ce dont
nous avons fait l’hypothèse. L’on doit donc se ranger à l’avis que ce n’est qu’au prix d’une prétention insoutenable que l’on peut exiger que
tout ce qui se produit dans le domaine psychique doive aussi être connu de la conscience ».
Freud, Métapsychologie (1915), traduction Jean Laplanche et J.B. Pontalis,
Cette affirmation n'est pas un postulat ou une thèse spéculative: elle résulte d'observations
faites par Freud, en particulier les troubles hystériques. (On qualifie ainsi les troubles
physiques qui ne résultent pas de dysfonctionnements organiques ou cérébraux: toutes les
analyses médicales étant normales, leurs causes est à chercher dans l'esprit mais non dans le
corps; dans la mesure où les patients ne semblent eux-mêmes pas les cerner ou y accéder,
force est d'affirmer qu'une part de notre esprit nous échappe tout en agissant sur nous: c'est
l'inconscient.)
Enfin, il met en avant les bénéfices d'ordre scientifique de ses découvertes: elles devraient
permettre de "donner du psychisme une théorie d'ensemble cohérente" (travail d'unification
présent en toute science), et de "dégager les lois du psychisme" (autre visée systématique des
sciences: non pas simplement décrire des phénomènes, mais les rapporter à des mécanismes, à
des causalités non hasardeuses), le domaine de la psychologie se trouvant dès lors
considérablement élargi.
2- Accéder à l'inconscient
Véritable gageure: comment saisir ce qui, par définition, nous échappe? Comment
faire dire au patient ce qu'il ne semble pas savoir lui-même?...
Freud en retint:
- que notre esprit contient des souvenirs que l'on ne peut, en toute rigueur nommer ainsi,
puisque ce sont des "souvenirs in-sus". En fait, on ne s'en souvient consciemment pas, mais
notre esprit les a retenus et ils restent actifs dans le psychisme: ce sont des réminiscences.
- que c'est le maintien dans le non-dit qui est pathogène, alors que la verbalisation est source
de guérison.
- que, la guérison s'étant avérée seulement provisoire (ce n'était donc qu'une rémission), une
thérapie laissant le patient en état d'entendre ce qu'il dit serait peut-être plus efficace. D'où
l'invention de la psychanalyse.