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“ L’inconscient échappe-t-il à toute forme de

connaissance ? ”
Introduction
On peut définir la connaissance comme une activité par laquelle l’homme cherche d’une manière ou
d’une autre à saisir un phénomène par la pensée. Cette compréhension est associée à des
représentations sensibles ou intellectuelles, mais est toujours gouvernée par une conscience qui
appréhende le monde qui l’entoure. La connaissance s’oppose à l’ignorance, qu’on peut définir
comme un manque d’expérience ou de discernement dans un domaine donné.

L’inconscient, de son côté, peut renvoyer à différentes choses. On appelle « inconscient » les
contenus perceptifs ou cognitifs qui n’ont pas ou pas encore accédé à la conscience. En ce premier
sens, ce terme désigne donc un état défini par la négative, comme une simple privation temporaire
ou définitive de conscience. Mais le concept d’inconscient, tel qu’il a été théorisé au tournant du
XXe siècle par la psychanalyse, renvoie à une réalité psychique avec un mode de fonctionnement et
des caractéristiques propres. Cette réalité psychique n’est pas seulement inaccessible par la
conscience. Elle y résiste positivement, dynamiquement.

Si la connaissance est la saisie d’un phénomène par une conscience et que l’inconscient est ce qui se
dérobe – accidentellement ou activement – à cette conscience, il semble donc impossible, voire
contradictoire, d’accéder à une connaissance de l’inconscient ! Cependant, le fait même qu’on
puisse nommer et même décrire, à la manière de Freud, les structures de notre inconscient, signifie
bien que nous en avons peut-être une forme de connaissance.

Nous nous demanderons donc si nous sommes condamnés à deviner ou à supposer notre inconscient
sans jamais le connaître, ou bien si nous pouvons y avoir accès par une forme de savoir.

Dans un premier temps, nous verrons que l’inconscient, défini comme une simple privation de
conscience, ne peut pas être connu de manière positive et systématique. Cependant, si l’on postule
que l’inconscient est un phénomène parmi d’autres, dont les effets s’observent par les médecins et
les psychanalystes, alors il devient possible d’en produire une connaissance globale. Cette
connaissance n’a rien à voir avec la démarche hypothético-déductive qu’on trouve en science, ni
même avec l’intuition sensible du monde qui nous entoure. Nous verrons dans un troisième temps
qu’elle se construit par chaque individu de manière indirecte, à travers le langage.
Première partie / L’inconscient échappe par définition à la
connaissance et la conscience

L’inconscient, s’il est défini comme un contenu perceptif ou cognitif qui échappe à la conscience,
est pure négation de la conscience. Il ne peut donc pas apparaître comme un objet de connaissance à
part entière.

Leibniz constate déjà, dans les Nouveaux essais sur l’entendement humain, que nous sommes
incapables de saisir consciemment toutes nos perceptions. Il donne l’exemple du bruit des vagues :
lorsqu’on entend le ressac, on entend en réalité un nombre infini de bruits de petites vaguelettes, des
gouttes qui les composent, dont on est simplement incapable d’avoir conscience.

L’inconscient, dans cette définition, peut être assimilé à une zone de notre esprit qui comporte
toutes les perceptions et les représentations auxquelles nous n’avons pas immédiatement accès.
C’est une sorte de trésor caché de notre esprit.

Transition : Mais les contenus dont nous n’avons pas conscience sont-ils simplement
dissimulés dans les recoins de notre esprit, ou se dérobent-ils activement ? S’il est si difficile
d’avoir accès à certaines de nos motivations profondes ou à des souvenirs enfouis, n’est-ce pas que
quelque chose, dans notre pensée, œuvre parfois contre notre conscience ?

Deuxième partie / L’inconscient est aussi une force dynamique


qui peut être saisie de manière indirecte

C’est l’hypothèse que formule Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal, lorsqu’il constate : « Une
pensée ne vient que quand elle veut, et non pas quand moi je le veux. » Si c’est la pensée qui décide
quand se montrer ou se dérober, il y a peut-être une part de notre inconscient qui se
refuse activement à notre conscience, comme s’il y avait quelque chose à cacher.

C’est justement cette composante active de l’inconscient, dynamique, que Freud tente de théoriser.
Il développe notamment la notion de Ça (nos désirs inconscients) et de Surmoi (les interdits que
nous avons intériorisés) pour expliquer la position instable et tiraillée du Moi, pouvant mener à des
névroses ou des psychoses.
Le concept d’inconscient a donc une place dans la connaissance : il est le postulat de la théorie
psychanalytique. En ce sens, l’inconscient n’échappe pas à une forme de connaissance : il est l’objet
même de la psychanalyse, qui aura une longue postérité après Freud, avec par exemple Jung ou
Melanie Klein.

Transition : La psychanalyse ne fait toutefois pas l’unanimité. Est-ce une science ? Le philosophe
des sciences Karl Popper fait ce reproche à Freud : pour lui, l’inconscient ne peut pas prétendre à
une connaissance quelconque, mais il est simple objet de discours, qui ne s’ouvre pas à sa propre
falsification. Cependant, faut-il qu’une discipline soit une science pour permettre d’offrir une forme
de connaissance ? Pas nécessairement. La cure psychanalytique montre qu’il est possible de
connaître l’inconscient indirectement, en observant ses effets dans notre vie quotidienne, sur notre
corps et notre langage notamment.

Troisième partie / Il est possible d’avoir accès à des


manifestations de l’inconscient par l’analyse du corps et du
langage

Contrairement à la physique ou la biologie, la connaissance de l’inconscient n’est pas la rencontre


pure et simple d’une conscience et d’un phénomène observable extérieur à elle. Il faut donc
dépasser le schéma classique de la connaissance « Sujet / Objet ».

Comment faire ? En analysant les traces, les manifestations de l’inconscient. Le Sujet se prend
comme objet lui-même, à travers divers éléments qui émanent de lui : rêves, lapsus, actes manqués,
symptômes, fantasmes sexuels, etc. Ces symptômes expriment un désir refoulé de la conscience,
c’est-à-dire de l’inconscient.

La cure analytique doit permettre d’interpréter l’inconscient. Freud, dans L’Interprétation des rêves,
donne des pistes pour décoder ce que l’inconscient exprime. Le Sujet peut ainsi se comprendre,
mais il a besoin d’un médiateur (le psychanalyste) pour rendre transparent ce qui est a priori opaque
à sa conscience.
Conclusion 

Si l’on définit l’inconscient comme une simple privation de conscience, alors il semble difficile de
le connaître comme on connaît d’autres phénomènes qui nous entourent. Si au contraire, on s’y
intéresse comme à une force psychique ou un principe explicatif, il semble possible d’en décrire les
structures et le fonctionnement objectif. Nous avons vu que d’après la théorie psychanalytique, nous
avons tous un inconscient structuré à peu près de la même manière. 

Cependant, nous avons également compris que le concept même d’inconscient déjouait l’opposition
« Sujet / Objet » qui est à la base de la définition de la connaissance. La connaissance de
l’inconscient va de pair avec la naissance d’un Sujet qui, sans pouvoir être totalement transparent à
lui-même, se construit autour d’un récit psychanalytique.

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