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Freud, lui, écrit : «Nous avons maintenant acquis la conviction qu’il existe des pensées latentes qui

L’inconscient ne pénètrent pas la conscience, si fortes qu’elles soient devenues» (Métapsychologie).


= il y a des pensées qui n’accèdent pas à la conscience, et qui sont pourtant très fortes
Introduction : irréductibilité du psychisme à la conscience selon Freud Comment est-ce possible ? … c’est par l’effet d’un blocage, d’un refoulement de ces pensées.
Freud (1856–1939) rejette de l’idée cartésienne (traditionnelle) selon laquelle pensée et conscience Autrement dit, ce qui est inconscient, ce n’est pas ce qui est trop faible pour accéder à la
coïncident (position qui a suscité des réactions violentes… et aura de lourdes implications). Il prône conscience (comme le serait une locomotive qui s’épuise d’elle-même, parce qu’elle manque de
l’idée selon laquelle le psychisme n’est pas toujours ni tout entier conscient (nous ne sommes charbon), mais ce qui est refoulé (ce qui rencontre un autre train en sens inverse, et ne peut pas
conscients que d’une faible partie de notre activité psychique). aller de l’avant, est repoussé en sens inverse).
Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton âme (…) tu va jusqu’à tenir «psychique» pour identique Autrement dit, l’inconscient s’explique par la présence de conflits dans la vie psychique.
à «conscient» (…) Acceptes donc sur ce point de te laisser instruire ! Le psychique en toi ne coïncide = il y a une force qui maintient un certain nombre de nos pensées à l’écart de la conscience : le
pas avec ce dont tu es conscient ; ce sont deux choses différentes, que quelque chose se passe dans refoulement (sorte de barre de séparation entre deux «lieux» psychiques)
ton âme, et que tu en sois par ailleurs informé. (…) ces renseignements de ta conscience sont
incomplets et souvent peu sûrs (…) Entre en toi-même, dans tes profondeurs, et apprends d’abord à 3. La cure psychanalytique : une méthode cathartique
te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu dois devenir malade, et du éviteras peut-être de le «Notre thérapeutique agit en transformant l’inconscient en conscient» FREUD (Introduction à la
devenir. FREUD, Une difficulté de la psychanalyse psychanalyse).
= redéfinition du normal et du pathologique (Il est normal d’être malade, «névrosé»). = méthode de «purification» de l'inconscient, qui vient substituer à la technique brutale de l’hypnose
= nous ne sommes conscients que d’une faible partie de notre activité psychique. une méthode douce permettant au malade de retrouver par lui-même, sans être endormi, le souvenir
qui l'obsède inconsciemment.
1. La question de l’inconscient n’est pas spécifiquement freudienne Le traitement psychanalytique est long et coûteux : plusieurs séances hebdomadaires pendant plusieurs
années. Le malade est invité à s'allonger sur un divan et à parler librement. Il est tenu d'appliquer la règle de
Néanmoins, Freud n’est pas le premier à imaginer qu’il y a des phénomènes inconscients en nous, à non-omission qui consiste à ne rien cacher des idées qui lui viennent même si elles sont ridicules ou
sentir qu’il y a des forces obscures à l’œuvre, en deçà de la conscience… Bien avant Freud, on savait inconvenantes.
déjà que la conscience n’était pas seule à régner dans l’individu, on avait déjà tendance à se sentir Tout le travail qui s'opère dans la cure psychanalytique repose donc sur la parole du patient. … le
terrorisé ou émerveillé devant ces forces éprouvées en soi… malade en cure est un homme qui parle ; il transforme ses conflits en récits. Les thèmes refoulés
—> Socrate lui-même, le plus sage des hommes, sentait bien qu’il y avait en lui quelque chose de sont ceux que le malade ne peut exprimer par des paroles claires, et qui se traduisent en langage
monstrueux. Il parle d’une partie bestiale, d’un véritable monstre dont il sent l’action la nuit en chiffré, clandestin. L'inconscient, c'est «cette partie du discours concret qui fait défaut à la
rêve : une partie de soi pleine de mauvais désirs, et qui s’éveille pendant le sommeil : disposition du sujet pour rétablir la continuité de son discours conscient». La cure n'a en ce sens
- De quels désirs parles-tu ?. d'autre but que de restituer au sujet «une parole pleine».
- De ceux, répondis-je, qui s’éveillent pendant le sommeil, lorsque repose cette partie de l’âme qui … le psychanalyste est un homme qui écoute, qui déchiffre, qui interprète. C'est un linguiste, un
est raisonnable, douce, faite pour commander à l’autre, et que la partie bestiale et sauvage, gorgée traducteur, un décrypteur. Aux yeux du psychanalyste, je suis ce que mon histoire m'a fait, je suis
de nourriture ou de vin (…) elle ose tout, comme si elle était délivrée et affranchie de toute honte mon passé. La cure psychanalytique a pour but de se délivrer du poids de ce passé en m'en faisant
et de toute prudence. Elle ne craint point d’essayer, en imagination, de s’unir à sa mère, ou à qui prendre une conscience claire : une fois guéri le malade n'est plus son passé mais il a un passé.
que ce soit, homme, dieu ou bête, de se souiller de n’importe quel meurtre, et de ne s’abstenir
d’aucune nourriture ; en un mot, il n’est point de folie, point d’impudence dont elle ne soit 4. L’inconscient : une hypothèse nécessaire et légitime selon Freud (pour un gain de sens)
capable. (…) Ce que nous voulions constater c’est qu’il y a en chacun de nous, même chez eux qui
• Il s’agit d’une hypothèse car l’existence d’un inconscient ne peut être que présupposé, ne peut pas
paraissent tout à fait réglés, une espèce de désirs terribles, sauvages, sans lois, et que cela est mis
être prouvé de manière scientifique.
en évidence par les songes. PLATON, La République (livre IX)
• mais pour Freud, cette hypothèse est nécessaire, car sans elle on ne comprend rien au
—> on avait bien remarqué aussi que tout en nous n’était pas conscient – et en particulier qu’un fonctionnement du psychisme humain («gain de sens») [en particulier, Freud réussit à introduire une
grand nombre de nos perceptions étaient inconscientes (celles qui sont trop faibles, trop habituelles, lisibilité dans le texte décousu et incompréhensible du rêve, qui était d’abord incompréhensible], et légitime,
trop mélangées…). Mais l’inconscient ne se définit-il que comme une conscience trop faible ? car elle permet de guérir les malades (c’est «une pratique couronnée de succès»).
Pour Freud, tous les phénomènes psychiques, même ceux où le désordre semble régner, tel que le
2. Les pensées inconscientes sont efficientes rêve, ont une signification cachée. Même ce qui paraît absurde a une finalité cachée.
L’approche de Freud va cependant aller bien plus là que tout cela. Freud ne va pas définir Ex : un soldat, en 1ère ligne, est brusquement frappé d'une paralysie hystérique. C’est parce qu’il a eu peu, et
l’inconscient par rapport à la conscience, mais va en faire une dimension à part. a eu honte d'avoir peur : il a refoulé sa peur, mais inconsciemment lui a cédé. Sa pseudo-paralysie est
Pour Freud, l’inconscient ne se réduit pas au non-conscient, au «négatif» de la conscience. Il est une l'équivalent inconscient d'une mutilation volontaire, pour le soustraire au danger.
force psychique active, qui obéit à des règles de fonctionnement spécifiques (passage du terme = c’est ce qu’on appelle la thèse du déterminisme psychique absolue
«inconscient» comme adjectif, au terme «inconscient» comme substantif). Autre exemple : selon Freud, il est impossible de choisir un nombre «au hasard» : le choix est toujours
= les pensées conscientes ne sont pas seulement des pensées endormies, elles sont efficientes (= inconsciemment motivé.
elles produisent un effet) = tous les actes que nous attribuons au hasard ou au libre arbitre obéissent en fait à des mécanismes
= ce sont des pensées actives (non passives), dynamiques, qui ont une efficacité propre (cf. inconscients. Le hasard existe dans le monde matériel, mais il n’existe pas dans le monde psychique.
suggestion post-hypnotique) Croire au déterminisme, c’est croire que tout a droit à une interprétation.
Avant Freud, on pensait que les ce qui était inconscient en nous, c’était seulement ce qui n’était pas
assez fort pour venir à la conscience : ce qui «demeurait» inconscient était le résultat d’une
faiblesse de la conscience (= ce qui n’avait pas assez d’énergie pour arriver jusqu’à la conscience).
5. Limites de l’explication psychanalytique
• Explication non scientifique : la psychanalyse prétend s’imposer comme une discipline scientifique,
Freud se veut scientifique, mais cette discipline n’est pas à proprement parler une science. En effet,
ce qui caractérise une théorie scientifique, c’est sa falsifiabilité, c'est-à-dire le fait qu’elle puisse
être réfutée/falsifiée par une expérience. Or la psychanalyse se ne soumet à aucune vérification ni
contestation expérimentale. Cf. texte POPPER.
• Freud prétend tout expliquer (art, morale, religion, etc.) par référence au complexe d’Œdipe et à
la sexualité : explication réductrice, matérialiste, qui explique le supérieur par l’inférieur.
Par exemple la psychanalyse de l'art n'expliquera que ce qui en lui n'est pas artistique :on peut psychanalyser
une œuvre médiocre aussi bien qu’un chef-d'œuvre, et c'est précisément cette diffère ce caractéristique entre
la médiocrité et le génie qu'aucune psychanalyse ne pourra mettre en lumière. De même, l'explication
psychanalytique d'une attitude religieuse laisse entier le mystère de la foi.

6. Les conséquences philosophiques de l’hypothèse de l’inconscient psychique


= Le problème moral de la responsabilité, lié à la perte de la liberté
• Si, comme le dit Freud, «le moi n’est pas maître dans sa propre maison», alors il faut renoncer à la
liberté, en faire son deuil : l’homme ne choisit plus d’agir comme il agit, de dire ce qu’il dit, d’être
ce qu’il est…Cela s’oppose à toute la tradition, qui définissait essentiellement l’homme comme un
être conscient, et donc libre = Freud bouleverse la conception classique de l’homme (3ème
humiliation), L’inconscient est comme un autre moi (formule de Rimbaud : «Je est un autre») ; or
c’est la conscience qui peut donner un sens à l’idée de responsabilité : être responsable, c’est
pouvoir répondre de soi.
• Or sans liberté, il n’y a plus de responsabilité : si l’homme n’a pas le choix entre le Bien et le Mal,
il ne peut pas être jugé responsable moralement (cf. enfants, déficients mentaux, malades mentaux… ou
encore les animaux) – exemple littéraire sur ce thème : le crime de Jacque Lantier dans La bête humaine de
Zola / M. Le Maudit de Fritz Lang.
=> l’hypothèse de l’inconscient psychique conduit donc à l’effondrement de la morale.
• Le danger est alors de profiter de l’inconscient pour se décharger de sa responsabilité (si je suis en
proie à des pulsions incontrôlables et ne suis pas maître dans ma propre maison, alors «ce n’est pas
ma faute»)
… d’où l’importance de pouvoir rejeter cette hypothèse (alors qu’on ne peut pas rejeter celles de
Copernic ou Darwin) pour sauver la liberté et la morale
Cf. Chaumeix, qui compare Freud à Satan (« Freud
Satan fait aujourd’hui de la psychanalyse»)
Cf. Alain, qui reconnaît qu’il y a en l’homme des forces obscures, mais qui refuse de leur donner un
tel pouvoir, d’en faire un autre moi : «La plus grave erreur est de croire que l’inconscient est un
autre Moi». Il est du devoir de l’homme de lutter contre ses pulsions, de «vouloir contre» elles, pour
affirmer son humanité, sa virilité, sa moralité. La théorie de Freud est «un art d’inventer en chaque
homme un animal redoutable», qui a le tort de décourager la lutte que chacun doit mener contre la
partie obscure en lui, et d’inciter à s’y abandonner en toute bonne conscience – ce qui revient à
renoncer à être homme, et à renoncer à la morale.

hypothèse freudienne de perte de liberté perte de responsabilité


l’inconscient psychique (l’homme n’est pas maître = effondrement de la
dans sa propre maison) morale

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