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Marie Vellutini, TG4

Philosophie

Dissertation :
Peut-on agir inconsciemment ?
Le terme inconscient est construit à partir du préfixe latin in signifiant « non » ou « contre »
et de conscire, « avoir connaissance de ». Ce terme est alors négatif, il désigne ce qui est dépourvu
de conscience. Le verbe agir supposant une volonté, une action menée pour un but, l’inconscience
semble s’y opposer. Le pronom « on » peut désigner à la fois un particulier, cette question peut
d’adresser à nous même, comme à un ensemble de personnes, voire l’humanité toute entière. De ce
fait, agir inconsciemment semble poser problème. Comment ne pas choisir et se rendre compte de
ses propres actions ? Est-il possible d’être dépossédé de sa volonté, au profit d’un mécanisme plus
fort, qui nous rendrait alors prisonnier, dans l’incapacité de contrôler nos agissements ? Pour tenter
de répondre à cela, nous nous intéresserons tout d’abord à l’action permanente de l’inconscient sur
notre corps et notre perception du monde, puis aux philosophies de l’inconscient psychique, qui
joue un rôle important dans tous les comportements d’un individu, et enfin, à ceux qui livrent une
critique de cette théorie, pensant que nous sommes maîtres de tous nos actes.

Tout d’abord, l’action de l’inconscient semble être indiscutable pour certains comportements de
notre corps. Cela peut valoir pour la très grande majorité des phénomènes de notre vie organique
comme la circulation du sang, la digestion, la respiration… Le corps semble pouvoir très bien se
passer de la conscience pour fonctionner. On peut ajouter à cela les réflexes naturels (comme le
clignement des paupières), mais aussi les automatismes acquis à force d’apprentissage (comme la
marche, la lecture, etc.) Ces derniers supposent, au départ, un exercice conscient, puis ils deviennent
inconscients au fur et à mesure que l’habitude s’installe. Cette conscience amène, d’ailleurs, une
forme d’action plus assurée parce que plus mécanique. De plus, l’exemple des somnambules
suggère que le corps peut, à lui seul, être capable d’actions assez complexes. Nous croyons que
notre conscience commande notre corps et que nos actions doivent nécessairement être l’effet d’une
décision consciente de notre part, mais en réalité, notre conscience nous permettrait seulement de
prendre connaissance d’une décision déjà prise par notre corps sous la forme des phénomènes qui se
déroulent dans le cerveau par exemple, qui est bien une partie du corps.

De façon plus étonnante, il faut aussi envisager une forme d’inconscient à l’égard du contenu de
notre propre esprit. C’est à première vue paradoxal, dans la mesure où l’on considère que le fait de
penser implique celui d’être conscient. Le philosophe Leibniz met pourtant en évidence l’existence
d’une infinité de petites perceptions inaperçues au sein de notre esprit. Nous ne pouvons pas les
percevoir en elles-mêmes parce qu’elles sont trop infimes mais elles doivent, malgré tout,
nécessairement exister. Par exemple, entendre le ressac de la mer implique logiquement de
percevoir le bruit de chaque vague, lui-même composé du bruit de chaque goutte d’eau. Ces
perceptions inconscientes peuvent, par la suite, expliquer pourquoi nous croyons agir, parfois, sans
raison apparente.

De plus, nombreux sont les philosophes qui pensent que l’inconscient psychique est responsable
d’une grande partie de nos actions. Tout d’abord, Spinoza et Marx estiment que la conscience elle

même est influencée, qu’elle pourrait se révéler subjective, rendant l’ humain obscur à lui-même,
incapable de se connaître en se méprenant sur ses propres états. En ce sens, la conscience serait le
résultat de diverses influences : influence du corps et du désir chez Spinoza, influence du milieu
social chez Marx. Dans le livre III de l’Éthique (1677), Spinoza montre que la conscience crée chez
l’homme l’illusion d’être libre. En effet, lorsque nous agissons, notre conscience nous informe de ce
que nous faisons. Mais alors nous croyons agir par notre propre volonté, de manière libre, la
conscience nous fait croire que l’esprit est, en quelque sorte, à l’origine de nos actions et elle ignore
que cette origine est à situer dans notre corps, lequel nous pousse à agir. Prenant l’exemple de
l’homme ivre qui parle, Spinoza explique que cet homme a conscience de parler et croit donc parler
par sa propre volonté, alors qu’il ne parle que sous l’effet de son corps ivre. Sa conscience lui fait
croire alors qu’il est libre et il n’a pas conscience d’être en réalité influencé par son corps.

La notion d’ « inconscient psychique », théorisée par Sigmund Freud, est plus paradoxale encore,
parce qu’il s’agit d’envisager qu’une partie de l’esprit soit rendue inaccessible à la conscience par
une forme de censure ou de refoulement. Freud décrit l’esprit humain comme étant composé de
différents lieux. Alors que la conscience correspond à la zone des pensées actuelles, l’inconscient
désigne un ensemble de pensées maintenues à l’écart par un mécanisme de refoulement. La
conscience serait ainsi protégée de contenus inacceptables pour elle, qu’il s’agisse de souvenirs
traumatisants ou de désirs incompatibles avec les exigences morales. Néanmoins, des phénomènes
observables en seraient la manifestation. Il s’agit premièrement de certaines maladies psychiques
comme les névroses. Freud a en particulier étudié l’hystérie, caractérisée par des symptômes
physiques comme la paralysie par exemple, inexplicables d’un point de vue anatomique. La cause
est donc à chercher dans l’esprit du patient sous la forme d’idées dont il ignore lui-même
l’existence. Les rêves seraient aussi l’expression de désirs refoulés mais déguisés, de manière à
rester incompréhensibles pour la conscience. Enfin, nos actes manqués pourraient trahir des pensées
inconscientes : il s’agit à première vue de phénomènes banals, comme prononcer un mot à la place
d’un autre, égarer un objet, oublier un mot familier... Notre intention consciente échoue en ce cas au
profit d’un désir refoulé qui réussit, lui, à s’exprimer.

Cependant, s’il semble que chacune de nos actions est régie par notre volonté, certains philosophes
proposent une critique de l’inconscient. En effet, ces derniers estiment que la conception de
l’inconscient menace l’unité et la liberté du sujet. Dans un chapitre des Éléments de philosophie
(1960), Alain critique ainsi ce qu’il appelle le « freudisme » en lui reprochant d’inventer une sorte
d’ « autre moi » en chacun de nous en exagérant l’importance qu’il faut accorder à ce qu’il y a d’un
peu obscure en l’homme. Pour Alain, l’accord d’un rôle prépondérant à la libido dans la théorie
freudienne revient à faire preuve d’idolâtrie à l’égard des phénomènes issus du corps, en les élevant
à la hauteur d’une sorte d’ « autre moi ». Notre vie psychique devient alors comme un lieu de conflit
entre une partie éclairée et bienveillante d’un côté, et une partie plus sombre, animée d’intentions
plus douteuses, de l’autre. Il n’y a donc plus d’unité du sujet puisqu’il se retrouve séparé en deux
Moi. La responsabilité morale est aussi remise en cause dans la mesure où les éventuelles
mauvaises actions d’hommes seraient peut être attribuées à son autre Moi, agissant en diabolique
conseiller. Alain voit dans cette conception une faute au sens où elle peut être interprétée comme
une façon pour l’homme de se dérober à ses exigences morales. Il affirme qu’il ne peut pas y avoir,
selon lui, de pensées inconscientes.

Pour Jean-Paul Sartre, fondateur de l’existentialisme athée, l’évocation de l’inconscient revient à


une conduite de « mauvaise foi » que nous adopterions pour refuser notre liberté, en faisant

semblant d’être poussé à agir par des causes qui nous échappent. Tout cela tendrait, là aussi, à une
déresponsabilisation de l’homme. Sartre refuse qu’on puisse faire de la conscience un phénomène
passif et secondaire. Selon lui, l’homme est toujours conscient de ses actions, l’inconscient serait
donc un prétexte, une manière de dédouaner un acte conscient. Il ne croit pas que l’inconscient soit
une part sombre de l’homme qui donnerait naissance à des actions involontaires, mais bien une
volonté de ne pas assumer ses travers, de peur d’être jugé. De même, le regard extérieur qu’autrui
porte sur nous et sur le monde peut venir rectifier ou compléter le point de vue subjectif de notre
conscience. En définissant autrui comme le « médiateur indispensable entre moi et moi-même »,
Sartre montre que l’on doit passer par le point de vue d’autrui pour se voir plus objectivement,
même si cela implique une épreuve telle que la honte.

En conclusion, la question du rôle de notre inconscient dans nos actions demeure controversée.
Certains pensent que le Moi est une unité, régie par la seule volonté, et que la valeur scientifique de
l’inconscient peut-être discutée, dans la mesure où il ne permet pas une réelle mise à l’épreuve,
n’étant pas observable en lui-même. Cependant, il faut reconnaître que la théorie de l’inconscient
rejoint le projet de la science en montrant que ce qui est irrationnel à première vue peut malgré tout
faire l’objet d’une explication rationnelle. La psychanalyse apporte également un gain de sens en
offrant un regard plus riche qu’une approche simplement matérialiste, comme pour les rêves en
particulier. De plus, les actions inconscientes du corps sont la preuve d’un phénomène inconscient,
si un corps malade réagit aux médicament sans que l’esprit ne le commande, si nos perceptions sont
limitées dans la logique, et que nous réagissons parfois instinctivement au monde qui nous entoure,
il semble qu’il s’agisse de phénomènes purement inconscients, mais cependant perceptibles.

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