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Toute prise de conscience est-elle libératrice?

(dissertatioo

introduction

On associe très spontanément l’insouciance et l’irresponsabilité, et l’on admet également que les
illusions sont une source d’aliénation. Il est donc logique de considérer que la prise de
conscience (d’une réalité qui nous écrase ou d’une idéologie qui nous mystifie) est un premier
pas vers la liberté. Et telle fut la leçon de l’immense majorité des philosophes, de Socrate à
Spinoza ou Sartre, en passant par Descartes et Freud : commençons par prendre conscience des
causes qui nous font agir, et nous parviendrons déjà à écarter une conception illusoire du libre
arbitre. La philosophie nous recommande donc de « marcher les yeux ouverts », et de préférer la
vérité qui dérange à l’illusion qui nous prive de notre liberté. Cependant, on peut aussi observer
que certaines prises de consciences sont en premier lieu traumatisantes (comme l’a montré
Freud) tandis que d’autres sont même désespérantes. Il n'est donc pas certain que toute prise de
conscience soit par elle-même, est indiscutablement, libératrice.

I On doit accéder à la conscience de soi pour être libre

Cette idée semble aller de soi. En effet elle est au cœur de tout projet philosophique comme de
toute approche psychanalytique. Ce que nous disent Descartes, Malebranche, Kant et tant
d’autres, c’est que la liberté n’est qu’une illusion aussi longtemps que nous n’avons pas « pris
conscience des causes qui nous font agir » (Spinoza).

1) La démonstration cartésienne

Des cartes a été longtemps attirée par des « filles louches » (qui louchaient un peu). Il a fini par
s’en étonner. Il a compris alors, à la suite d’une introspection, que cette attirance s’expliquait par
ce que nous appellerions aujourd’hui un « fantasme ». À la suite de quoi, il a cessé de se croire
épris dès lors qu'il rencontrait une « fille louche ». Il était donc libéré de cette addiction. Or une
addiction ne témoigne pas d’un choix libre. La prise de conscience Descartes fut, dans ce cas,
libératrice.

2) Il vaut mieux marcher les yeux ouverts que les yeux fermés.

Or la conscience est à l’esprit ce que les yeux sont au corps. Tout homme doué d’intelligence
gagnera toujours à en faire usage ; la prise de conscience, par exemple de nos préjugés et de nos
convictions infondées ou irréfléchies, nous libère des pesanteurs familiales et sociales.
Malebranche recommande toujours de « vivre les yeux ouverts » et c’est ce en quoi consiste
toute démarche philosophique. Garder les yeux ouverts, cela veut dire penser par soi-même. Pour
cela, il faut prendre conscience du fait que nos opinions ne sont pas de la pensée, ni notre pensée.

3) Prendre conscience de soi-même, accéder aux sentiments de sa propre identité, c’est ainsi
que l’on devient un être humain à part entière, une personne. L’enfant qui prend conscience de
lui-même le manifeste en disant « je », et ce simple changement constitue une bouleversante
émancipation. « Avant qu'il ne faisait que se sentir, maintenant il se pense » (Kant).

Conclusion de la première partie : prendre conscience de nous-mêmes de nos présupposés des


causes qui nous font agir, c’est accéder au statut de personne, potentiellement libre (la liberté du
jeune enfant reste virtuelle). Toutefois une prise de conscience ponctuelle n'est pas toujours
immédiatement libératrice.

II Des prises de conscience peuvent être traumatisantes

Dans certaines circonstances, une prise de conscience peut-être inhibitrice. C'est même très
souvent le cas : ainsi un enfant ne veut pas prendre conscience de l’absence de ses parents,
l'adolescent peine à admettre qu'il doit assumer l'âge adulte ... De façon générale, tout ce qui
nous met face à de nouvelles responsabilités suscite l'angoisse (« La liberté est un fardeau»
Sartre).

1) Freud explique certaines névroses par le refus de toute prise de conscience douloureuse.

La prise de conscience de nos propres désirs (refoulés) entraîne, selon Freud, une « sanction du
surmoi ». Ainsi par exemple, la jeune fille Anna O. ne veut pas admettre qu'elle a désiré danser
alors qu'elle était au chevet de son père mourant (Freud et Breuer, Etudes sur l'hystérie, 1895).
De façon générale, les symptômes ont une raison d'être : ils permettent de masquer un conflit
virtuel. Le symptôme est un dérivatif - un déguisement - dont la fonction est de nous éviter de
prendre conscience d'un désir (comme le désir oedipien, par exemple) qui entraînerait, s'il était
connu de nous, une situation de conflit douloureuse et inextricable.
2) Les disciples de Freud, comme Donald W. Winnicot par exemple, expliquent aussi certaines
psychoses suivant ce même schéma. La folie, dit Donald W. Winnicot, (dans certains cas) peut
être comprise comme un mécanisme de défense qui permet au malade de ne pas affronter une
situation psychique qu'il suppose ingérable. Réciproquement, la prise de conscience d'une réalité
ou d'une vérité intolérable peut nous rendre « fou ». Ainsi par exemple, un artiste contemporain
évoque ses accès de mélancolie à la suite de la découverte du comportement abominable de son
père pendant l'occupation.

3) Cette analyse vaut aussi pour les prises de conscience collectives. Un peuple entier peut se
réfugier dans la maladie (le totalitarisme est une sorte de maladie sociale) pour éviter d'affronter
une situation de détresse ou d'humiliation trop profonde pour être assumée. C'est de cette
manière que H. Arendt et de nombreux philosophes contemporains analysent la «maladie
totalitaire» (Cornélius Castoriadis, Louis Dumont, Pierre Legendre etc .. ). A contrario, la
démocratie est un régime qui implique la volonté, de la part de chacun de prendre des décisions
et d'assumer les difficultés et les conflits. Ainsi par exemple un peuple pour être démocratique
doit admettre certains principes de tolérance qui sont douloureux, car ils impliquent que nous
renoncions à l'illusion de posséder une quelconque vérité absolue. Cette prise de conscience (il
n'y a pas de vérité absolue, il n'y a pas de source absolue et indiscutable de la Vérité) est très
traumatisante. Selon l'écrivain Etienne de la Boétie (Discours de la servitude volontaire, 1548),
les dictatures ne peuvent être durables que parce que les hommes s'aveuglent sur leur propre
condition. De même ,certaines femmes maltraitées ne veulent pas prendre conscience du fait
qu'elles doivent peut-être quitter leur mari.

Conclusion de la seconde partie: certaines prises de conscience sont trop douloureuses pour
être désirables. Faut-il pour autant préférer l'illusion à la prise de conscience?

III A terme, la conscience ne peut être que libératrice

Il s'agit d'un « devoir être ». On ne peut que prôner encore et toujours la prise de conscience
(« connais-toi toi même »), a priori libératrice, quoiqu'il puisse nous en coûter. Ainsi par
exemple, nous disent les psychanalystes, la mort (le deuil) ne peut être éludée. Si un proche est
mort, il faut le savoir et en prendre vraiment conscience, afin de pouvoir accomplir le travail du
deuil. D'où la nécessité de pouvoir obtenir le corps du défunt lorsque celui-ci a disparu.

1) Il faut distinguer toujours le court terme et le long terme

A court terme, la prise de conscience d'un désir ou d'un « complexe» psychique refoulé est très
douloureuse et traumatisante. On pense par exemple à la première année de « ramonage
psychique» de Anna. 0 (période où elle prend conscience de l'origine de ses symptômes). Mais
on sait que la guérison désirée est à ce prix. Les analyses préconisées par Freud sont toujours
dans un premier temps traumatisantes, car le retour de refoulé se paye au prix fort (crises
d’angoisse, mélancolie…). mais, au fond, ces accès d’angoisse, de dépression sont un passage
nécessaire vers une guérison non pas assurée, mais possible.

2) Freud pensait qu’il valait mieux choisir la vérité qui dérange plutôt que l’illusion qui qui
réconforte. Lui-même nous a toujours encouragé à prendre conscience de vérités dérangeantes,
comme l’importance de la sexualité, même chez les petits enfants. Parmi ces vérités, se trouve
paradoxalement le plus dérangeante d’entre elles : « le moi n'est pas le maître de sa propre
maison ». Mais alors même que Freud a découvert cette vérité (relativisation de la souveraineté
du moi), il n’a jamais cessé de militer pour la lucidité et la prise de conscience de l’intégralité de
notre réalité psychique, aussi dérangeante et décevante qu’elle puisse être.

3) La prise de conscience de notre réalité psychique est une convocation de notre conscience
morale, car « toute conscience est une conscience morale » (Alain). Prendre conscience, c’est
solliciter la part morale de nous-mêmes. C'est pourquoi nous redoutons souvent les prises de
conscience qui nous mettent face à nos responsabilités. Pourtant la conscience est bien cette part
de divinité, ou de sublimité qui nous sépare des bêtes ! De ce point de vue, une prise de
conscience est toujours la bienvenue ! Même « s’il nous coûte toujours de la rappeler, autant
qu’il nous en coûta de la bannir ». Rousseau, Emile, livre quatre.

Conclusion : la conscience est le propre de l’homme. L’homme est libre parce qu’il dispose
d’une conscience morale, c’est elle qui lui confère sa dignité.

Conclusion

il faut ici, comme souvent, bien distinguer le fait et le droit. En fait, une prise de conscience n’est
pas toujours libératrice. Lorsqu’un fils découvre que son père est un criminel, lorsqu’un peuple
comprend qu’il a remis son destin entre les mains d’un tyran, ce type de conscience est plus
traumatisant que libérateur ! Il faut cependant continuer d’affirmer que toute libération
commence par une prise de conscience… notamment de notre servitude ! Jamais une personne
ne peut s’émanciper d’une tutelle tyrannique tant qu’elle n’a pas admis son propre désir
d’émancipation. Et ceci vaut aussi pour le cas des peuples – on le sait bien aujourd’hui – il est
impossible d’importer de l’extérieur la liberté, ou encore la démocratie, si ce peuple n’a pas
conscience d’être asservi ou humilié et ne demande pas d’être libéré d’un régime ou d’un
système qu’il ne voit pas nécessairement comme une servitude.

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