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LA "MÉTAPHYSIQUE" D'ARISTOTE: "ONTO-THÉOLOGIE" OU "PHILOSOPHIE PREMIÈRE"?


Author(s): Enrico Berti
Source: Revue de Philosophie Ancienne, Vol. 14, No. 1 (1996), pp. 61-85
Published by: EURORGAN s.p.r.l. - Éditions OUSIA
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/24354598
Accessed: 31-12-2015 04:32 UTC

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE:

"ONTO-THÉOLOGEE" OU "PHILOSOPHIE PREMIÈRE"?1

1. L'interprétation heideggérienne de la Métaphysique comme


"onto-théologie"

Dès que Heidegger, dans la deuxième partie de Identität und


Differenz (1957), a parlé de la "constitution onto-théo-logique de
la métaphysique", c'est devenu un lieu commun d'affirmer que
la métaphysique, depuis Aristote, est essentiellement une "onto
théologie", c'est-à-dire une science qui réduit l'être à un "étant"
particulier, même si c'est l'étant suprême, c'est-à-dire Dieu, et
que par conséquent elle oublie la "différence ontologique" entre
être et étant. Pour cette raison, la métaphysique est considérée,
en substance, comme un "oubli de l'être" et, en tant que telle,
comme un discours qui doit être "dépassé" (au moyen de la bien
connue Überwindung der Metaphysik), ou bien comme un dis
cours dont on doit se "remettre" comme d'une maladie (au moyen
de ce que Heidegger appelle Verwindung), même si ce n'est pas
pour aller plus en avant qu'elle, mais au contraire pour remonter
plus en arrière, peut-être en passant de nouveau à travers d'elle,
c'est-à-dire en "se souvenant" d'elle 2. De cette manière le "dé
passement" heideggérien a fini par converger avec l'autre "dé

1. Cette contributionest la version abrégée et mise à jour d'un texte


de titre analogue publié dans A. Bausola et G. Reale (édd.), Aristotele.
Perché la metafisical, Milano, Vita e pensiero, 1994, pp. 117-144.
2. A cet égard il est inutile d'indiquer des noms, parce que l'on dev
rait citer la plupart des philosophes contemporains, qui sont presque tous
influencés par l'inteprétationheideggérienne.
REVUE DE PHILOSOPHIE ANCIENNE, XIV, I, 1996

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passement", qui se fait au moyen de l'analyse logique du langa


ge, soutenu par Carnap en 1932 précisément contre Heidegger
(auquel Heidegger ensuite opposa le sien), dans un refus presque
unanime, aussi bien que dogmatique, de la métaphysique3.
Dans l'écrit mentionné ci-dessus Heidegger ne fait aucune
allusion explicite à Aristote, mais il affirme que la métaphysi
que est onto-théologie parce que, au moyen d'un "défèrement"
(Austrag) de la différence ontologique, elle présente l'être, objet
de l'ontologie, comme "le fondement qui porte devant", c'est-à
dire comme Dieu, objet de la théologie; un Dieu évidemment
dont l'homme ne sait que faire, parce qu'on ne peut pas lui adres
ser des prières, ni lui offrir des sacrifices, et devant lequel on ne
peut pas "tomber à genoux plein de révérence", ni "faire de la mu
sique et dancer" 4. On perçoit dans ces mots tout le ressentiment
du luthérien contre la théologie rationnelle d'origine aristotéli
cienne, utilisée surtout par l'Église catholique5.
En réalité le nom d'Aristote est présent dans tous les écrits
précédents, où Heidegger développe son interprétation de la mé
taphysique comme onto-théologie, à partir du cours sur le Sophi
ste de Platon donné à Marbourg dans le semestre d'hiver 1924
25, où il présente pour la première fois la philosophie première
d'Aristote comme dédoublée en ontologie et théologie6. Ensuite,
dans le cours sur les Concepts fondamentaux de la philosophie
ancienne (1926), la recherche entreprise par Aristote sur l'être

3. Je me permets de renvoyer à mon essai "Überwindung" délia me

tafisical, réimprimé dans E. Berti, Le vie délia ragione, Bologna, Il Mu


lino, 1987, pp. 149-186.
4. M. Heidegger, Identität und Differenz,Pfullingen, Neske, 1957, p.
70.
5. J'ai aussi illustré l'attitude de Heidegger à l'égard de la métaphysi
que conçue comme onto-théologie dans mon livre Aristotele nel Novecen

to, Roma-Bari, Laterza, 1992, pp. 64-79.


6. M. Heidegger, Platon: Sophistes, hrsg. ν. I. Schüßler (Gesamtaus

gabe, Π/19), Frankfurta. M., Klostermann, 1992, pp. 221-224.

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en tant qu'être dans le livre Γ de la Métaphysique est présentée


comme une recherche sur l'être de l'étant, c'est-à-dire comme
ontologie dans le sens le plus valable du terme, tandis que la dé
finition de la science en question comme recherche des causes
premières de l'être et surtout comme recherche de "l'étant qui
est plus que tout autre", c'est-à-dire qui correspond plus que tout
autre à "l'idée d'être", est présentée comme une réduction de l'on
tologie à la théologie7.
C'est intéressant de voir comment Heidegger explique cette
réduction: il déclare explicitement se fonder sur l'interprétation
de la métaphysique d'Aristote donnée par F. Brentano dans son
livre Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Ari
stoteles (1862), où les quatre significations de l'être distinguées
par Aristote dans Metaph., A 7, c'est-à-dire l'être par accident,
l'être par soi, l'être comme vrai et l'être comme puissance et acte,
sont toutes réduites à l'être par soi, c'est-à-dire à l'être des caté
gories, et celui-ci est à la fois réduit à l'ousia, entendue par Hei
degger comme "étantité" (Seiendheit), c'est-à-dire comme l'es
sence elle-même de l'être. Il déclare ensuite que la primauté de
Vous ία sur les autres catégories se fonde sur l'"analogie d'attri
bution", c'est-à-dire sur la même analogie que Plotin emploie
pour expliquer le rapport entre l'intelligible et le sensible, et la
Scolastique pour expliquer le rapport entre Dieu et les créatures.
Mais l'analogie d'attribution permet, selon Heidegger, de conce
voir Dieu lui-même comme la "suprême concrétisation de l'ou
sia", par conséquent comme l'être par essence, c'est-à-dire com
me "l'étant où l'être proprement dit se manifeste de la manière
la plus pure". Pour cette raison l'ontologie se tranforme en théo
logie
Cependant Heidegger refuse l'utilisation que la Scolastique a

7. M. HEIDEGGER, Grundbegriffeder antiken Philosophie, hrsg. F.-K.


Blust (GA, 11/22), 1993, pp. 149-151.
8. Ibidem, pp. 152-155 et 179-181.

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faite de cette conception: tout en étant convaincu, de même que


Brentano, que le moteur immobile, ou pensée de la pensée, dont
parle Aristote, est l'être par essence, il juge que cet être n'a rien
à faire avec le Dieu du christianisme, parce qu'il ne connaît pas
le monde et ne le crée pas. Heidegger par conséquent refuse
l'onto-théologie d'Aristote aussi bien du point de vue de la phi
losophie, parce qu'il la considère comme le résultat de l'oubli de
la différence ontologique, que du point de vue de la religion, puis
que l'être suprême qu'elle atteint n'est pas un Dieu personnel,
auquel on puisse adresser une prière.
La même interprétation d'Aristote se trouve dans le cours sur
les Principes métaphysiques de la logique (1928), où Heidegger
cite explicitement la définition de la philosophie première comme
science de l'être en tant qu'être, donnée par Aristote dans Mé
taph., Γ 1, et la définition de la philosophie première comme
"science théologique" (θεολογική) donnée en Métaph., Ε 1, affir
mant: "la philosophie en tant que philosophie première a donc un
double caractère, elle est science de l'être et science du divin",
c'est-à-dire ontologie et théologie. Heidegger déclare dans la
suite que cette duplicité pose un problème signalé déjà par Paul
Natorp, dont il cite l'article Thema und Disposition der aristote
lischen Metaphysik ("Philosophische Monatshefte", 24, 1888,
pp. 37-65 et 540-574), problème qu'à son avis on ne peut pas ré
soudre au moyen d'une interprétation historico-philologique com
me celle avancée par Werner Jaeger (dont il cite Γ Aristoteles du

1923), c'est-à-dire en attribuant la théologie à la jeunesse et l'on


tologie à la maturité d'Aristote, mais qui demande une "compré
hension" nouvelle, pour laquelle Heidegger renvoie à Kant '.
Le sens de ce renvoi et de la nouvelle compréhension de la

philosophie, souhaitée par Heidegger, est éclairci dans son livre


sur Kant et le problème de la métaphysique, paru l'année suivant

9. M. HEIDEGGER, Metaphysische Anfangsgründe der Logik im Aus

gang von Leibniz, hrsg. ν. K. Held (GA, Π/26), 1990, pp. 16-17.

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(1929), où il ramène la distinction entre ontologie et théologie à


celle entre metaphysica generalis et metaphysica specialis, que
Kant a trouvée chez Baumgarten et a réinterprétée en termes de
"philosophie transcendentale" et "métaphysique" proprement di
te l0. Or, il est bien connu que Kant développe la philosophie trans
cendentale et, au contraire, critique la métaphysique, et que Hei
degger fait la même chose dans son livre sur Kant, bien qu'inter
prétant la philosophie transcendentale comme "ontologie fonda
mentale", ou bien ontologie du Dasein. De cette façon, il résulte
clairement que, selon Heidegger, on doit reprendre l'aspect onto
logique de l'onto-théologie aristotélicienne, bien qu'en termes
nouveaux, et laisser tomber son aspect théologique.
L'exposition la plus complète de l'interprétation heideggé
rienne de la métaphysique d'Aristote est contenue dans le cours
sur Aristote. Métaphysique Θ1-3 (1931), où les différentes signi
fications de l'être correspondant aux catégories sont réduites à
Yousia entendue comme "quelque chose de commun, qui subsi
ste en soi comme une modalité de l'identique pour maintenir en
unité les plusieurs qui lui correspondent", c'est-à-dire exacte
ment comme l'essence elle-même de l'être; la "réduction" (άνα
γωγή) en question, pour laquelle Heidegger se rattache surtout au
livre Κ de la Métaphysique (où effectivement Yousia est conçue
comme un koinôn), est présentée comme fondée sur Yanalogia
attributionis de la Scolastique, entendue comme "participation"
des différentes significations à la première; et finalement Dieu
est présenté comme le summum ens, c'est-à-dire comme l'étant
où l'être se manifeste dans son sens le plus haut
Cependant, dans ce cours Heidegger refuse la thèse de Bren
tano, qu'il acceptait auparavant, selon laquelle les autres signifi

10. M. HEIDEGGER, Kant und das Problem der Metaphysik, hrsg. v.


F.-W v. Herrmann (GA, 1/3), 1991, pp. 5-13.
11. M. Heidegger, Aristoteles. Metaphysik Θ 1-3. Von Wesen und
Wirklichkeitder Kraft,hrsg. ν. H. Hüni (GA, Π/33), 1981, pp. 26-35.

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cations de l'être se ramènent toutes à l'être des catégories et par


conséquent à Yousia-, il réaffirme la conviction selon laquelle le
Dieu de la foi chrétienne n'a rien à voir avec ce summum ens\
finalement il indique la nouvelle signification-guide de l'être
dans l'être selon la puissance et l'acte, bien plus, dans l'être con
çu comme "force" {Kraft), c'est-à-dire puissance 12.Abstraction
faite de cette dernière prise de position, qui annonce un réexa
men de la philosophie d'Aristote toute entière, destiné à se réa
liser dans le séminaire de 1939-40 Sur l'essence et le concept de la
φύσις". Aristote, Physique Β 1, il faut remarquer que Heidegger
suit encore Brentano en attribuant à Aristote l'"analogie d'attri
bution", qui fait de Yousia l'essence des autres catégories et de
Dieu l'essence de tous les êtres, et se sert pour cette fin du livre
K, aujourd'hui considéré par la plupart des interprètes comme
inauthentique, précisément parce qu'il révèle cette tendance pla
tonisante à concevoir Yousia comme un genre commun à toutes
les catégories ".
Mais la critique la plus dure à la métaphysique d'Aristote,
conçue comme onto-théologie, est développée par Heidegger
dans Y Introduction de 1949 à la conférence Qu'est-ce que la mé
taphysique! (1929), où il affirme que le caractère théologique de
l'ontologie aristotélicienne dépend de la manière dont dès le dé
but l'être s'est manifesté aux Grecs comme étant, manière qui a
permis à la théologie chrétienne de s'emparer de la philosophie
grecque. Cependant cela a été un dommage, selon Heidegger,
pour la théologie chrétienne, qui aurait oublié l'affirmation de
Saint Paul selon laquelle "Dieu a transformé en folie la sagesse
du monde" (I Cor., I 22). Cette sagesse recherchée par les Grecs
serait précisément la "philosophie première" d'Aristote, qui en

12. Ibidem, pp. 35-36.


13. Voir P. Aubenque, Sur l'inauthenticité du livre Κ de la Métaphy

sique, dans P. Moraux et J. Wiesner (édd.), Zweifelhaftes im Corpus Ari


stotelicum, Berlin-New York, W. de Gruyter,1983, pp. 318-344.

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effet dans la Métaphysique est dite "science recherchée" (ζητου


μένη)14.
En somme, pour Heidegger, la métaphysique est onto-théolo
gie parce qu'elle conçoit l'être comme Dieu, c'est-à-dire comme
un étant, bien entendu comme l'étant qui a comme essence l'être
lui-même. De cette façon non seulement elle néglige la différen
ce ontologique entre être et étant, c'est-à-dire oublie l'être, mais
elle s'oppose diamétralement à la foi chrétienne, parce que le
Dieu qu'elle propose n'a rien à faire avec le Dieu de la foi. Du
point de vue de ce demier, la métaphysique d'Aristote, c'est-à
dire la "sagesse du monde", devient, comme le dit Saint Paul,
une folie. Il est difficile d'imaginer une critique de la métaphysi
que plus "cléricale" que celle-ci; cependant cette critique est à la
base de la plus grande partie du refus actuel de la métaphysique.

2. Origine et développements de l'interprétation heideggérienne

Avant d'examiner si l'interprétation heideggérienne de la


métaphysique d'Aristote est correcte du point de vue exégétique,
c'est-à-dire si elle saisit ce que les textes aristotéliciens disent
vraiment et, par conséquent, si Aristote mérite les critiques à lui
adressées par le philosophe allemand, il faut voir quelle est l'ori
gine d'une telle interprétation, parce que l'origine elle-même en
révèle les intentions et les conditionnements, et de cette façon
nous aide à en mesurer la valeur. Son origine se résume en qua
tre noms, explicitement indiqués par Heidegger lui-même, c'est
à-dire Brentano, Braig, Natorp et Jaeger, dont les deux premiers
renvoient à la Scolastique (ou mieux à la Néo-scolastique) et les
autres à Kant.
Dans cette sorte d'autobiographie spirituelle qu'est la confé

14. M. Heidegger, Einleitung zu: Was ist Metaphysik?, dans Weg


marken, hrsg. v. F.W. v. Herrmann (GA, 1/9), 1976, pp. 378-383.

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rence Mein Weg in die Phänomenologie (1962) Heidegger nous


dit que depuis 1907, c'est-à-dire avant le début de ses études
universitaires, "le seul appui (Stab und Stecken) dont il disposait
dans ses maladroites tentatives pour s'introduire dans la philoso
phie" était la dissertation de Brentano Sur les multiples significa
tions de l'étant selon Aristote, et que son problème était, par
conséquent: "si l'étant est dit en plusieurs sens, quelle est alors
"
sa signification-guide fondamentale? que signifie être? 15.Stab
und Stecken, à la lettre "bâton et houlette", est l'expression em
ployée dans le psaume 23 pour indiquer l'aide de Seigneur.
Comme l'a montré Franco Volpi, l'itinéraire philosophique
de Heidegger peut se résumer dans les tentatives de saisir "la
signification fondamentale" de l'être successivement selon cha
cune des significations distinguées par Aristote dans le livre Δ de
la Métaphysique, c'est-à-dire premièrement dans Vous ία (de
1907 à 1916, période "catholique", dominée par l'influence de
Brentano et de la Néoscolastique), deuxièmement dans Valétheia
(de 1916 à 1930, période "phénoménologique", dominée par l'in
fluence de Husserl); troisièmement et dernièrement dans Yenér
geia (de 1930 à sa mort, période postérieure au "tournant") 16.
L'interprétation de la métaphysique d'Aristote comme onto
théologie naît dans la première période, lorsque Heidegger par
tage cette métaphysique, mais elle perdure aussi dans les deux
périodes successives, lorsque Heidegger, précisément en consé
quence de cette interprétation, refuse cette même métaphysique
et cherche à sauver d'autres aspects de la philosophie d'Aristote,
c'est-à-dire sa philosophie pratique, sa théorie de la vérité anté
prédicative et sa conception de la physis comme enérgeia.

15. M. Heidegger, Mein Weg in die Phänomenologie, in Id., Zur


Sache des Denkens, Tübingen, Mohr, 1969, pp. 81-90.
16. F. Volpi, Heidegger e Aristotele, Padova, Daphne, 1984; Id., Da
sein comme praxis: L'assimilation et la radicalisation heideggerienne de
la philosophie pratique d'Aristote, dans Heidegger et l'idée de phénomé

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE 69

Mais l'interprétation de Brentano, selon laquelle les multiples


significations de l'être distinguées par Aristote se réduisent à
Yousia, est insatisfaisante pour différentes raisons. Avant tout, il
n'est pas vrai que l'être selon la puissance et l'acte et l'être com
me vrai se réduisent à l'être par soi, c'est-à-dire à l'être des caté
gories, dont l'ousia est la première, parce que l'être comme vrai,
selon Aristote, appartient essentiellement à la pensée (διάνοια) ",
et l'être comme puissance et acte, toujours selon Aristote, tra
verse toutes les significations précédentes (των είρημένων τού
των), c'est-à-dire qu'elle s'applique aussi bien à l'être par acci
dent qu'à l'être des catégories, et à l'être comme vrai Bien
plus, si l'on doit assigner une "primauté à quelqu'une des signi
fications susdites, quoique non dans le sens d'une "réduction"
des autres à elle, cette primauté doit être reconnue à l'être com
me acte, étant donné qu'Aristote affirme explicitement: "puisque
l'être se dit en plusieurs sens, le principal est l'acte" (τό είναι
έπεί πλεοναχώς λέγεται, τό κυρίως ή έντελέχειά έστιν) A cet
égard le dernier Heidegger a vu plus juste que Brentano et que le
jeune Heidegger lui-même.
En deuxième lieu il n'est pas vrai que la primauté de Yousia
par rapport aux autres catégories se fonde sur l'analogie d'attri
bution, comme le prétend Brentano M, parce que cette dernière
est un type d'analogie inconnu à Aristote (qui connaît seulement
l'analogie de proportionnalité), né dans le milieu du néoplatonis
me, qui l'appliqua au rapport du sensible à l'intelligible, et par
lui transmis, probablement à travers les Arabes, à la Scolastique

nologie, Dordrecht-Boston-London, North-Holland Publishing Company,


1988, pp. 2-41.
17. Aristote, Metaph., Ε 4,1027 b 25-1028 a 1.
18. Metaph., Δ 7,1017 a 35-b 2.
19. De an., Π 1,412 b 8-9.
20. F. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden
nach Aristoteles, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1960,
pp. 85-98.

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chrétienne, qui l'appliqua au rapport entre les créatures et Dieu2I.


L'analogie d'attribution suppose une relation de participation,
c'est-à-dire une relation entre un princeps analogatum, qui pos
sède un certain caractère par essence, et des analogués dérivés,
qui possèdent le même caractère
par participation au premier.
Cela ne peut pas être dit, chez Aristote, de Vousia, qui n'est pas
être par essence, parce qu'Aristote exclut explicitement qu'il y
ait une ousia ayant comme essence l'être lui-même (αυτό öv)22.
La relation de participation, d'ailleurs, est un concept platoni
cien, qu'Aristote considère, de même que la relation d'imitation,
comme "discours vide et métaphore poétique" (κενολογεϊν έστί
και μεταφοράς λέγειν ποιητικός)23, et qui suppose une certaine
homogénéité des termes qu'il relie, tandis que les catégories
pour Aristote sont totalement hétérogènes l'une à l'autre et Vou
sia n'est nullement un genre commun à toutes. Brentano au con
traire tend à admettre une certaine homogénéité parmi les caté
gories, comme il est prouvé par le fait qu'il parle d'une possible
"déduction" des catégories 24, déduction qui pour Aristote, com
me il est bien connu, est possible seulement à l'intérieur d'un
même genre.
Le deuxième livre qui a influencé Heidegger dans son inter

21. Voir A. de Muralt, "Comment dire l'être? Le problème de l'être


et de ses significations chez Aristote", Studia philosophica, 23, 1963, pp.
109-162, spéc. 145-162; P. Aubenque, "Les origines de la doctrine de
l'analogie de l'être", Les études philosophiques, 103, 1978, pp. 3-12; E.
BERTI, L'analogia dell'essere nella tradizione aristotelico-tomistica, dans

V. Melchiorre (éd.), Metafore dell'invisibile, Brescia, Morcelliana, 1984,


pp. 13-33.
22. Metaph., Β 4, 1001 a 4-b 6. Voir aussi E. Berti, Le problème de
la substanHalité de l'être et de l'un dans la Métaphysique, dans P. Au

benque (éd.), Études sur la Métaphysique d'Aristote, Actes du VIe Sym

posium Aristotelicum, Paris, Vrin, 1979, pp. 89-130.


23. Metaph., A 9,991 a 21-22.
24. Brentano, op. cit., pp. 148-175.

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE 71

prétation de la métaphysique d'Aristote est, comme lui-même


nous le dit, le traité Vom Sein. Abriß der Ontologie de Cari Braig
(1896), qui était son professeur de théologie à l'Université de
Fribourg, où la philosophie était conçue comme une recherche, à
partir de la multiplicité des significations de l'être, coordonnée
selon l'analogie d'attribution, d'une signification fondamentale,
capable de donner unité à l'être tout entier. Cette signification
était trouvée par Braig en Dieu, conçu comme Ipsum esse·, bien
plus, en commentant le passage célèbre de Yltinerarium mentis
in Deum de Saint Bonaventure (V, 3-8), où Y esse ipsum est dis
tingué des autres êtres, Braig avançait déjà l'idée, qui dans la
suite devait devenir fameuse à cause de Heidegger, de la "diffé
rence ontologique" entre l'être et l'étant, et soutenait que l'onto
logie a son propre accomplissement dans la théologie2Î.
De Braig, en outre, Heidegger apprit, comme il le témoigne
lui-même, "l'importance de Schelling et Hegel pour la théologie
spéculative en opposition à la doctrine de la Scolastique", ce qui
détermina l'entrée dans sa recherche de la "tension entre ontolo
gie et théologie spéculative comme armature de la métaphysi
que" 26.L'"armature", c'est-à-dire la structure porteuse, de la mé
taphysique lui apparut de cette façon constituée par la "tension",
c'est-à-dire par le contraste, entre l'ontologie d'Aristote et une
théologie qui n'était plus la théologie aristotélisante de la Sco
lastique, mais bien la théologie "spéculative" de Schelling et He
gel, c'est-à-dire une théologie fondée sur la révélation chrétienne
ou sur la rationalisation de cette dernière. De cette manière était
jeté le germe de la future opposition entre Aristote et le christia
nisme.

25. C. Braig, Vom Sein. Abriß der Ontologie, Freiburg i. B., Herder,
1896, pp. 6-28 et 149-158. La présence de la "différence ontologique"
chez Braig a été relevée par R. Schaeffler, Frömmigkeit des Denkens.
Martin Heidegger und die katholische Theologie, Darmstadt, Wissen
schaftliche Buchgesellschaft, 1978, p. 7 ss.
26. Heidegger, Mein Weg, cit., p. 82.

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72 Enrico BERTI

Une autre
source de l'interprétation de la métaphysique
d'Aristote comme onto-théologie, généralement négligée par les
spécialistes, est à mon avis l'article de Natorp cité par Heidegger
dans son cours de 1928 sur les Principes métaphysiques de la
logique. Il ne faut pas oublier que Heidegger avait obtenu son
poste de professeur à Marbourg par décision de Natorp à la suite
de la lecture, par ce demier, du programme de recherches sur
Aristote connu comme Natorp-Bericht (1922), que Heidegger lui
avait envoyé sur le conseil de Husserl 27; et il semble que les
deux philosophes se rencontraient toutes les semaines à Mar
bourg, où Heidegger donna continuellement des cours sur Aris
tote, avant la mort de Natorp, survenue en 1924 n.
Dans son article très long, Thema und Disposition der aristo
telischen Metaphysik, Natorp avait soutenu que l'œuvre d'Aris
tote intitulée Métaphysique est constituée de deux recherches
différentes et irréconciliables entre elles, la recherche sur la sub
stance sensible, exposée dans les livres ΖΗΘ, et la recherche sur
la substance suprasensible, exposée dans les livres ΜΝΛ: pour
les unifier, selon Natorp, Aristote aurait conçu l'idée d'une scien
ce de l'être en tant qu'être et aurait écrit, comme introduction à

27. M. HEIDEGGER, Phänomenologische Interpretationen zu Aristote


les (Anzeige der hermeneutische Situation), hrsg. v. H.-U. Lessing, "Dil

they-Jahrbuch",6,1989, pp. 237-269.


28. Cette information est rapportée, probablement sur le témoignage

de Hannah Arendt, dans la biographie de celle-ci écrite par Elisabeth


Young-Bruehl (Hannah Arendt: For the Love ofthe World, New Haven

London, Yale Univ. Press., 1982, pp. 76-77). Dans ce même livre on lit
que "Heidegger trouva en Natorp un exemple stimulant et fécond de re

tour aux Grecs [...]. Le retour à la philosophie grecque convainquit Hei


degger que l'histoire de l'ontologie, depuis les Grecs, devait être critique
ment réinterprétée, de manière à voir plus clairement l'ontologie grecque
et la réadapter au présent [...]. La Critique de la raison pure de Kant se

situait, pour Heidegger, à l'extrémité d'un long procès d'"oubli de l'être"


et rendait possible sa manière de rappeler une recherche transcendentale

sur le terrain de l'être".

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE 73

celle-ci, les livres ΑΒΓ. Cependant la recherche sur l'être en tant


qu'être, appelée aussi ontologie, et la recherche sur la substance
suprasensible, appelée par Aristote théologie, seraient toujours
selon Natorp irréconciliables, de manière que les passages où
Aristote cherche à les réconcilier, c'est-à-dire les premiers chapi
tres du livre Κ et quelques lignes de Metaph. Ε 1 (1026 a 18,
21), seraient inauthentiques29.
En ce qui concerne en particulier ce dernier passage, qui est
décisif pour l'interprétation de la Métaphysique toute entière, Na
torp avait parlé d'une "contradiction insupportable" (unleidliche
Widerspruch) contenue dans la double conception de la tâche de
la métaphysique, parce que celle-ci d'un côté serait conçue com
me "la science universelle, fondatrice pour toutes" (die allgemei
ne, für alle grundlegende... Wissenschaft), et de l'autre côté com
me la science "de l'être immatériel, immuable, c'est-à-dire du
genre le plus noble de l'étant" (vom stofflosen, unwandelbarer
Sein, als der vornehmsten Gattung des Seienden)30.
Naturellement le choix du néokantien Natorp entre ces deux
conceptions de la métaphysique est entièrement et exclusive
ment en faveur de la première, parce qu'il identifie le concept
aristotélicien d'être en tant qu'être, objet de l'ontologie, avec le
concept kantien de "l'objet en général" (vom "Gegenstand über
haupt"), tout en relevant qu'Aristote "ne reconnaît pas qu'une
recherche sur l'objet en général n'a de sens que comme recher
che sur les conditions et les lois de l'objectivité en général" 31.

29. L'inauthenticité du livre Κ a été soutenue par Natorp dans l'article


"Über Aristoteles Metaphysik, Κ, 1-8, 1065 a 26", Archivfür Geschichte
der Philosophie, 1, 1988, pp. 178-193. Heidegger cite pour la première
fois ces deux articles dans son Nachruf auf Paul Natorp, prononcé au dé
but de son cours de 1924-1925 sur le Sophiste déjà cité (p. 2).
30. P. Natorp, "Thema und Disposition der aristotelischen Metaphy
sik", Philosophische Monatshefte, 24, 1888, pp. 37-65 et 540-574, spéc.
49-55.
31. Ibidem, p. 39 et note 5.

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74 Enrico BERTI

Mais Natorp devait être encore plus sévère, on doit le supposer,


à l'égard d'une recherche sur la substance suprasensible, c'est-à
dire à l'égard de la "théologie" d'Aristote, qu'il considérait avec
Kant comme une simple illusion transcendentale, totalement im
possibile comme science.
Jaeger, qui après ses études universitaires à Berlin s'était ren
du à Marbourg pour suivre un cours sémestriel de Natorp, con
corde entièrement avec le diagnostic contenu dans l'article de ce
dernier, lorsque dans son Aristoteles (1923) il considère le passa
ge final de Metaph., Ε 1 comme une adjonction postérieure, in
troduite par Aristote afin de réconcilier deux lignes de pensée
complètement irréconciliables, c'est-à-dire la platonicienne, re
montant à sa jeunesse, qui concevait la philosophie première
comme théologie, et Γ antiplatonicienne, appartenant à sa matu
rité, qui concevait la philosophie première comme ontologie. La
première, c'est-à-dire la Urmetaphysik, selon Jaeger, serait expo
sée dans les livres M (9-10) ΝΛ, dont l'introduction seraient les
livres ΑΒΓΕ, et la deuxième, c'est-à-dire la Spätmetaphysik, se
rait exposée dans les livres ΖΗΘΙΜ (1-9). Finalement le livre Κ
(1-8) serait authentique, mais remontant à la jeunesse d'Aristote32.
À propos du passage final de Metaph., Ε 1 Jaeger affirme: "il
ne reste par conséquent qu'à admettre que le philosophe n'a pas
pu résoudre l'aporie, et que de toute façon elle s'est présentée à
lui seulement après qu'il ait fondu ensemble les deux rédactions.
Sans doute les deux déductions du concept de la métaphysique
ne sont pas résultées d'un seul acte spirituel. Deux procès de
pensée essentiellement différents se trouvent ici encastrés l'un
dans l'autre. On voit tout de suite que le plus originaire et ancien
est le procès théologico-platonicien, et non seulement pour des
considérations historiques, mais aussi parce qu'il est de loin le
moins développé et le plus schématique. Il dérive de la tendance
du platonicien à distinguer les royaumes du sensible et du supra

32. W. JAEGER, Aristoteles. Grundlegung einer Geschichte seiner

Entwicklung, Berlin, Weidmann, 1923, pp. 200-236.

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE 75

sensible, tandis que la définition de l'être en tant qu'être com


prend tout étant dans un grand et unitaire édifice hiérarchique.
Entre les deux, la plus aristotélicienne est la dernière, conforme
à l'ultime et à la plus originale des phases évolutives de la pen
sée d'Aristote" M.
Comme il résulte de ces mots, l'approbation de Jaeger, de
même que celle de Natorp, va elle aussi à l'ontologie, parce que
la théologie, selon le philologue allemand, n'est pas matière à re
cherche rationnelle, mais seulement de foi religieuse, comme
c'est le cas à son avis chez Platon et chez le jeune Aristote; la
philosophie au contraire doit être plutôt reliée avec la recherche
scientifique, comme c'est le cas, toujours selon l'avis de Jaeger,
chez l'Aristote de la maturité M. Il n'est pas difficile de reconnaî
tre même dans cette position l'influence du néokantisme, bien
que Jaeger, de même que son ami Julius Stenzel, ait cherché à
réagir contre l'interprétation néokantienne de Platon développée
justement par Natorp.
Heidegger en général n'est pas tendre à l'égard de Y Aristote
les de Jaeger, que dans son cours de 1928 sur les Principes mé
taphysiques de la logique il juge, comme nous l'avons vu, une
interprétation purement "historico-philologique", qui "a besoin
d'être guidée par une compréhension des problèmes qui soit à la
hauteur de ce qui nous a été transmis", et dans son séminaire de
1939-1940 Sur l'essence et sur le concept de la φύσις il l'accuse
de "penser la philosophie d'Aristote d'une manière absolument
non grecque, scolastico-moderne et néokantienne" 3S.Cependant,
on ne peut pas nier que son interprétation de la métaphysique
d'Aristote commeune onto-théologie, dont la partie valable est
l'ontologie alors que la théologie serait caduque, est tout aussi
néokantienne que celle de Jaeger et, auparavant encore, que celle
de Natorp.

33. Ibidem, p. 227.


34. Ibidem, pp. 428-434.
35. Heidegger, Wegmarken, cit., p. 242.

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76 Enrico BERTI

Il est intéressant de remarquer que les interprètes les plus ré


cents qui s'inspirent de Heidegger, comme Aubenque et Brague,
vont dans la même direction, de même que ceux qui, à travers la
philosophie analytique, se rattachent à Kant, comme Leszl. Au
benque en effet, dans son livre très connu sur Le problème de
l'être chez Aristote, où cependant il accomplit un effort remar
quable pour soustraire Aristote à l'interprétation traditionnelle,
c'est-à-direscolastique, n'hésite pas à attribuer à Aristote le dua
lisme entre ontologie et théologie, c'est-à-dire metaphysica ge
neralis et metaphysica specialis, affirmé par la Scolastique mo
derne, pour laquelle il indique lui-même les noms de Suarez,
Wolff et Baumgarten, refusant dans le même temps la solution
évolutive proposée par Jaeger et considérant le passage final de
Metaph., Ε 1, où Aristote montre la coïncidence entre science de
l'être en tant qu'être et théologie, comme un programme idéal
plutôt que comme une véritable solution du problème36.
Brague, dont le livre plus récent sur Aristote et la question du
monde s'inscrit dans la ligne d'Aubenque, mais en déclarant ex
plicitement son inspiration heideggerienne, n'hésite pas à parler
lui aussi d'une "constitution onto-théologique" de la métaphysi
que, rebaptisée par lui comme "structure katholou-protologique",
et propose de l'étendre à toute la philosophie d'Aristote, c'est-à
dire à la cosmologie et à l'anthropologie aussi. Pour Brague, de
même que pour Heidegger, cette structure est due au passage
d'Aristote de l'être à l'étant, c'est-à-dire à une latence de la dif
férence ontologique, qu'Aristote mentionnerait (dans Soph. el.,
25, 180 a 34), mais sur laquelle il ne refléchirait pas
Même Leszl, qui certainement n'a pas été influencé par Hei

degger, mais a retenu critiquement le meilleur des études aristo


téliciennes faites dans le milieu de la philosophie analytique an

36. P. AUBENQUE, Le problème de l'être chez Aristote, Paris, P.U.F.,

1962, pp. 279-281, 305-310.


37. R. Brague, Aristote et la question du monde, Paris, P.U.F., 1988,
pp. 110,513-514.

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE 77

glaise, dans son remarquable livre sur Aristotle's Conception of


Ontology a révélé clairement la tendance à opposer l'ontologie
d'Aristote, conçue comme une recherche sur les connexions pu
rement conceptuelles de l'être, à la théologie, conçue comme
une tentative pour donner de véritables explications causales. Il a
par conséquent été obligé de déclarer que les lignes finales de
Metaph., Ε 1 sont une glose de quelque copiste ou bien une ques
tion restée ouverte, à laquelle Aristote n'a pas su donner une ré
ponse, laissant le texte de quelque façon interrompu 38. Mais on
pourrait citer nombre d'autres interprètes qui vont dans la même
direction, au prix d'interventions implausibles dans le texte
d'Aristote.

3. La métaphysique comme "philosophie première", c'est-à-dire


comme connaissance de ce qui est "premier"

Il est bien connu que la recherche exposée dans l'œuvre inti


tulée Métaphysique n'est jamais appelée par Aristote de ce nom,
qui est clairement d'origine postérieure (bibliothécaire, selon
l'opinion traditionnelle, ou remontant déjà à l'ancien Péripatos,
comme on l'a soutenu récemment39), mais elle est indiquée dans
les trois premiers livres (A, α, B) génériquement comme "sages
se" (σοφία) "°, comme "philosophie" (φιλοσοφία)41, comme "scien
ce" (έπιστήμη)42, comme "science recherchée" (έπιστήμη ζητου

38. W. Leszl, Aristotle's Conception of Ontology, Padova, Antenore,


1975, pp. 537-538 et 541-542.
39. Voir H. Reiner, "Die Entstehung und ursprüngliche Bedeutung
des Namens Metaphysik", Zeitschriftfür philosophische Forschung, 8,
1954, pp. 210-235.
40. Metaph., A 1, 981 b 28.
41. Metaph., A 3,983 b 21.
42. Metaph., A 2, 982 a 4.

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78 Enrico BERTI

μένη) 4\ ou comme la "recherche de la vérité (περί της αληθείας


θεωρία) **.
C'est seulement à partir du livre Γ, après la célèbre affirma
tion qu'"il y a une science qui étudie l'être en tant qu'être et les
attributs qui lui appartiennent par soi", et l'explication ultérieure
que Yousia est la première parmi les plusieurs significations de
l'être, qu'Aristote nous laisse entendre, bien que ne l'affirmant
pas encore explicitement, que la science en question peut être
appelée "philosophie première" au moyen des deux déclarations
suivantes: "la philosophie a exactement autant de parties qu'il y
a d'ousiai; il y en a donc nécessairement une qui est première et
une autre qui suit"45; et, "du moment qu'il y a quelqu'un qui est
encore au-dessus du physicien (car la physis est seulement un
genre déterminé de l'être), c'est à lui, lui qui étudie l'universel
(περί τοΰ καθόλου) et Yousia première (περί την πρώτην ού
σίαν), qu'appartiendra aussi l'examen de ces principes [c'est-à
dire des axiomes]"46.
Par "parties de la philosophie" on doit entendre des types de
science, c'est-à-dire de connaissance de la réalité à travers les
causes, tandis que par ousiai on doit entendre les deux types de
substance, la sensible et la suprasensible, ou bien, ce qui est la
même chose, la matérielle et l'immatérielle, la mobile et l'im
mobile. La première de ces substances est pour Aristote, comme
il est bien connu, la substance suprasensible, ou immatérielle, ou
immobile, parce que de celle-ci dépend, comme de sa propre
cause motrice, la substance sensible, ou matérielle, ou mobile.
Puisque cette dernière est identifiée par Aristote avec la physis,
c'est-à-dire avec la nature, la science qui s'en occupe, c'est-à
dire la physique, sera dite "philosophie seconde", tandis que la

43. Metaph., A 2, 983 a 21; Β 1, 995 a 24.


44. Metaph., a 1, 993 a 30.
45. Metaph., Γ 2, 1004 a 2-4 (traduction de J. Tricot, légèrement mo
difiée).
46. Metaph., Γ 3, 1005 a 33-36.

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE 79

science qui s'occupe de l'autre type de substance, c'est-à-dire de


la suprasensible, immatérielle, immobile, sera dite "philosophie
première". Ici, comme l'on voit, le rang, et par conséquent la dé
nomination de "première" ou "seconde", de la science dérive du
rang de son objet, qui peut être la substance "première" ou la
substance "seconde"47.
Naturellement la différence de rang entre les substances n'est
due qu'au fait que l'une est cause et l'autre est effet, c'est-à-dire
à la dépendance causale (on pourrait dire "ontologique", en en
tendant par là la dépendance dans l'être) de l'une par rapport à
l'autre, tandis que celle entre les sciences, ou "philosophies",
n'implique nullement une priorité logique ou méthodologique de
la première par rapport à la seconde, parce qu'au contraire pour
Aristote, comme il est bien connu, la physique précède la philo
sophie première dans le chemin de la recherche, et la précède par
conséquent du point de vue aussi bien logique que méthodolo
gique 48.
Il faut faire attention, dans le second des passages cités, à la
précision selon laquelle la recherche sur les axiomes, c'est-à-dire
le principe de non-contradiction et celui du tiers exclu, qui ap
partiennent à l'être en tant qu'être tout entier, auquel probable
ment l'expression "l'universel" se réfère, doit être attribuée à la
science qui est au-dessus de la physique, parce qu'elle étudie la
substance première. Cette précision démontre en effet que l'étu
de de l'être en tant qu'être, et par conséquent aussi des axiomes,
qui lui sont cœxtensifs, appartient à la même science qui étudie
la substance première, ce qui coupe à la racine toute possibilité

47. Voir sur cela l'article toujours valable de A. Mansion, "Philoso


phie première, philosophie seconde et métaphysique chez Aristote", Re
vue philosophique de Louvain, 56,1958, pp. 165-221.
48. J'ai cherché d'expliquer cela dans mon article Logical and ontolo

gical priority among the généra of substance inAristotle, dans Kephalai


on. Studies in Greek Philosophy offered to Prof. C. J. de Vogel, Assen,
van Gorcum, 1975, pp. 55-69.

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80 Enrico BERTI

de dualisme entre une "ontologie", entendue comme science de


l'être en tant qu'être, et une "théologie", entendue comme scien
ce de la substance première 49. Mais les raisons de cette coïnci
dence seront éclairées dans la suite.
L'expression "philosophie première" (η πρώτη φιλοσοφία),
avec la signification de science première, apparaît seulement
dans le livre Ε de la Métaphysique, à l'intérieur de la fameuse
classification aristotélicienne des sciences. Celles-ci, comme il
est bien connu, sont divisées en sciences, ou bien "philosophies",
théorétiques, pratiques et poïétiques. Parmi les théorétiques on
trouve avant tout la science de l'être en tant qu'être, qui se
distingue de la physique et de la mathématique parce qu'elle
n'étudie pas "un être déterminé et un genre déterminé" (öv τι και
γένος τι), mais "l'être simplement" (άπλώς), c'est-à-dire en tant
qu'être (ή δν). Or, la physique rend manifeste l'essence (τί έστιν)
de son objet seulement au niveau de la sensation, et la mathéma
tique l'absume comme hypothèse, mais toutes les deux démon
trent ses propriétés essentielles d'une manière respectivement
"plus faible" et "plus rigoureuse", sans discuter le fait qu'il exi
ste (εΐ έστιν) ou qu'il n'existe pas. Au contraire, la science de
l'être en tant qu'être explique aussi bien l'essence que l'existen
ce de son objet au moyen d'"un autre mode de manifestation"
(τις άλλος τρόπος της δηλώσεως)50.
La physique - poursuit Aristote - est elle aussi théorétique,

parce qu'elle étudie un certain genre de l'être, précisément la


substance qui a en soi le principe du mouvement et du repos,
c'est-à-dire les substances naturelles, qui sont mobiles, réglées

49. Cela a été souligné par nombre d'interprètes, à partirde E. Zeller


dans son compte-rendu de l'article cité de Natorp, Archivfür Geschichte
der Philosophie, 2, 1889, pp. 264-271, jusqu'à V. DÉCARIE, L'objet de la
métaphysique selon Aristote, Paris, Vrin, 1961, pp. 105, 108, 120, 133, et
G. Reale, Il concetto di filosofia prima e l'unità délia metafisica di
Aristotele, Milano, Vita e pensiero, 1961, pp. 109-121.
50. Metaph., E 1,1025 b 3-18.

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE 81

par de lois valables "dans la plupart des cas" et ne sont pas "sé
parées" de la matière. Et la mathématique, qui considère ses ob
jets en tant qu'immobiles et en tant que séparés de la matière
(même s'ils ne le sont pas réellement), est théorétique elle aussi.
"Mais s'il existe quelque chose d'éternel, [réellement] immobile
et séparé, c'est manifestement à une science théorétique qu'en
appartient la connaissance; toutefois cette science n'est du moins
ni la physique [...] ni la mathématique, mais une science antéri
eure à l'une et à l'autre (προτέρα άμφοίν). Cette science est
"première" (πρώτη) et concerne des réalités séparées et immobi
les (χωριστά και άκίνητα), qui sont "les causes de ce qui, parmi
les choses divines, tombe sous les sens", c'est-à-dire les causes
des corps célestes. Mais, "si le divin existe quelque part, il existe
dans ce type de réalité, et la science la plus digne d'honneur doit
avoir pour objet le genre le plus digne d'honneur"; par consé
quent "il y a aura trois philosophies théorétiques: la mathémati
que, la physique et la [science] théologique (θεολογική)"51.
Tandis qu'au début Aristote avait distingué, parmi les scien
ces théorétiques, la science de l'être en tant qu'être de la phy
sique et de la mathématique, maintenant il distingue de ces deux
sciences la science "théologique", c'est-à-dire la théologie philo
sophique, dont l'existence cependant est encore douteuse du point
de vue méthodologique, car elle dépend de l'existence d'une sub
stance immobile et immatérielle, qui n'a pas encore été démon
trée. Cela semble suggérer une identité entre la science de l'être
en tant qu'être, c'est-à-dire l'"ontologie", et la science de la sub
stance immobile et séparée, c'est-à-dire la "théologie", toujours
à la condition que cette dernière existe.
Cette identité est explicitement thématisée dans le passage
qui suit immédiatement, le célèbre final de Metaph., Ε 1, dont
l'authenticité a été mise en question par certains interprètes. Il
vaut la peine, par conséquent, de le reproduire intégralement.

51. Metaph., Ε 1,1025 b 18-1026 a 23.

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82 Enrico BERTI

"On pourrait, en effet, se demander - affirme le texte - si la phi


losophie première (ή πρώτη φιλοσοφία) est universelle, ou si elle
traite d'un genre particulier et d'une réalité singulière, suivant
une distinction qui se rencontre dans les sciences mathémati
ques, où la géométrie et l'astronomie ont pour objet un genre
particulier de la quantité, tandis que la mathématique générale
étudie toutes les quantités en général. À cela nous répondons
que, s'il n'y avait pas d'autre substance que celles qui sont cons
tituées par la nature, la physique serait la science première. Mais
s'il existe une substance immobile, cette substance sera antérieu
re et la science qui s'en occupe sera première, et elle sera univer
selle pour cette raison, c'est-à-dire parce que première (και κα
θόλου οΰτως ότι πρώτη); et ce sera à elle de considérer l'être en
tant qu'être, c'est-à-dire à la fois son essence et les attributs qui
lui appartiennent en tant qu'être"52.
Dansce passage, à bien considérer, il n'y a rien de nouveau
par rapport aux précédents, aussi bien ceux contenus dans le liv
re Ε que ceux contenus dans le livre Γ: la seule nouveauté est
que l'identité de la science de l'être en tant qu'être, c'est-à-dire
de Γ "ontologie", et de la science de la substance immobile et sé
parée, c'est-à-dire de la "théologie", y est affirmée explicite
ment; en outre elle est clairement subordonnée à l'existence
d'une substance séparée et immobile, qui n'a pas encore été dé
montrée; et finalement elle est expliquée par l'expression "uni
verselle parce que première". Mais même cette expression, com
me nous le verrons tout de suite, trouve un pendant très précis
dans un passage précédent. Par conséquent il n'est pas possible
de considérer ce passage comme une adjonction postérieure, in
troduite par Aristote ou par un autre auteur.
La raison pour laquelle la science première est aussi univer
selle, est expliquée dans Metaph., Γ 2, où Aristote affirme: "par

52. Metaph., Ε 1, 1026 a 23-32 (traduction de Tricot, légèrement


modifiée).

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE 83

tout la science a pour objet principalement ce qui est premier


(τοΰ πρώτου), ce dont toutes les autres choses dépendent (έξ οΰ
τα άλλα ηρτηται) et en raison de quoi elle sont dites (δι' ô λέγο
νται)" 53. La signification de cette affirmation est claire: puisque
la science d'un objet est connaissance de sa cause, ou bien de
son principe, quel que soit le sens où ce principe est entendu
(principe de l'être, c'est-à-dire ontologique, ou du "dire", c'est
à-dire logique), et puisque "ce qui est premier" est précisément
le principe, la science d'une pluralité d'objets est connaissance
de celui parmi eux qui est "premier".
L'identification de ce qui est premier avec le principe est
d'ailleurs attestée par des autres passages, tels que la définition
de "principe", donnée en Metaph., A 1, selon laquelle "le caractè
re commun de tous les principes, c'est donc d'être le premier
(πρώτον) d'où l'être, ou la génération ou la connaissance déri
ve" M, et la définition d'"antérieur" (πρότερον), terme comparatif
dont "premier" est le superlatif, contenue dans le même livre: "il
y a aussi l'antérieur et le postérieur selon la nature et la substan
ce (κατά φύσιν και ουσίαν): sont, en ce sens, antérieures les cho
ses qui peuvente exister indépendamment d'autres choses, tandis
que les autres choses ne peuvent exister sans elles, selon la dis
tinction dont usait Platon [...]. D'une certaine manière, tout ce
qui est dit antérieur et postérieur dépend de ce demier sens" Si.
Or, il est clair que, plus un principe est "premier", c'est-à-dire
élevé dans la série des principes, plus l'objet dont il est principe
sera compréhensif, de même que plus un point d'observation est
en haut, plus le panorama qu'on peut observer de ce point sera
étendu. Par conséquent le premier parmi tous les principes sera

principe de l'objet le plus compréhensif parmi tous les objets, et


sa connaissance sera la science "universelle parce que première".

53. Metaph., Γ 2, 1003 b 16-17 (traduction de Tricot, légèrement mo


difiée).
54. Metaph., Δ 1,1013 a 16-18.
55. Metaph., Δ 11, 1019 a 2-4, 11-12.

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84 Enrico BERTI

A cet égard on peut être en désaccord avec Aristote, c'est-à


dire qu'on peut refuser son identification du principe avec ce qui
est premier (identification d'ailleurs partagée, comme le dit l'un
des passages cités, par Platon), mais on ne pourra plus douter de
ce qu'il pense effectivement. On pourra voir à une autre occa
sion quelles sont les conséquences de cette identification, qui
résultent du développement complet de la recherche exposée
dans la Métaphysique 56.En tout cas, on doit tenir compte du fait
qu'elle n'emporte pas l'identification de l'objet d'une science,
par exemple de l'être en tant qu'être, avec son principe: la scien
ce de l'objet et la science du principe sont la même science non
parce que l'objet et le principe seraient identiques, mais parce
que la science d'un objet consiste dans la connaissance des prin
cipes et des causes de cet objet, connaissance qui permet de l'ex
pliquer, d'en donner une raison, que ce soit du point de vue de
l'être, c'est-à-dire de l'existence, que du point de vue du dis
cours, c'est-à-dire de la notion, du concept51.
susdite ne comporte aucune "réduction" de
L'identification
l'objet à son principe, mais seulement une "dépendance" (ηρτη
ται) du premier par rapport au second 58.En effet, le principe, ou
bien 1'"antérieur", dont il est question, est conçu seulement com
me une condition nécessaire, non comme une raison suffisante,
de l'existence ou de la connaissance des autres choses; par con

56. Je dois renvoyer, à ce propos, à mon essai mentionné dans la

note 1.
57. Metaph., A 1, 981 a 28-29.
58. On parle de "réduction" (άναγωγή) seulement dans le livre Κ de
la Métaphysique (3, 1061 a 11), qui pour cette raison aussi, c'est-à-dire
parce qu'il confond la relation à un seul terme avec la réduction à un

genre commun, est considéré comme inauthentique presque l'unanimité.

C'est dans un sens différentque les choses se "réduisent" (άνάγεται) aux


contraires dans Metaph., Γ 2, 1004 b 27-29: à ce propos je me permets de
"
renvoyer à La "riduzione dei contrari in Aristotele,dans Zetesis. Bijdra
gen aangeboden aan Prof. Dr. Emile de Strijcker, Antwerpen-Utrecht, De

nederlandsche Boeckhandel, 1973, pp. 122-146.

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LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE 85

séquent il est vrai que, une fois posées ces dernières, il doit y
avoir nécessairement le principe, mais il n'est pas vrai que, une
fois posé le principe, il doive y avoir nécessairement les autres
choses. Le principe, en somme, ne contient d'aucune façon en
soi les autres choses, c'est-à-dire qu'il n'est aucunement la tota
lité de l'être.

Enrico Berti

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