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La causalitédu Bien

et la métaphysique
du Mélange platonicien

I. - a. La matière du « Timée » et le non-être du « Sophiste ».

Référons-nousau Sophiste et à son Non-Être. Cette Idée est très


proche de celle de l'Autre,ainsi que nous le suggèrele Parménide:
« Mais suppose d'autres formules: si la grandeurn'est pas, si la peti-
tesse n'est pas, si autre chose de ce genren'est pas. L'intentionn'y est-
elle pas claire d'entendre,sous ce qui n'est point, quelque chose d'à
chaque fois différent ?*»
Comparons maintenant cette Essence avec la Matière du Timée.
Dans ce dialogue, la Matière- ou Espace - nous est désignéepar les
appellationssuivantes :
nécessité• ; nourrice8 ; réceptacle4 ; réceptacleuniversel(qui reçoittout•) ;
topos• ; khôra7 ; emplacement 8;

1. Cf. Parménide, 160 c (VIe hypothèse : « Si l'Un n'est pas, quelles en sont pour
lui les conséquences »)•
2. Timée, 47e : nécessité ; ibid., 48 a : « La naissance de ce monde a eu lieu par un
mélange des deux ordres, de la Nécessité et de l'Intelligence » ; cette nécessité est
opposée à la « persuasion de la sagesse » (48 a), synonyme du nous (ibid.). Dans les
Lois, la Matière sera expressément appelée anola (897 b /898 c). Son autre nom,
d'après le Timée, sera « cause errante » (48 a).
ó. i imee, 4y a.
4. loia., bi a.
5. Ibid., 51 a.
6. Ibid., 52 a.
7. Ibid., 52 b : topos... khôra (cf. Philèbe, 24 d : khôra).
8. Ibid., 52 b. Four emplacement, cf. Fhilèbe, 24 d.

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Revue de Méta. - N° 1, 1962. 5

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N. I. Boussoulas

Cette spatialité,qu'est essentiellement la Matière,nous est décrite


dansle Timéecommeétant« une certaineespèceinvisibleet sans forme
qui reçoittout et participede l'intelligible d'une manièretrèsembar-
rassanteet trèsdifficile à entendre » l. En d'autrestermes,ce réceptacle
universel,qui imiteles formesde l'Être éternel*, est avant tout un
genredifficile *.
Voyonsmaintenantcommentnous est décrit,dans le Sophiste,le
Non-Être: un examenattentifdes textesde ce dialoguenous permet
de constaterque cetteentitéest dépeintepar une terminologie parente
de cellequi concernela Matièredu Timée.
En effet, le Non-Êtren'est que l'abri qui reçoit* dans son obscurité
notresophisterusé.
Dans sonrefuge » du Non-Être,le Sophiste,coïncidant avecles ténèbres
de ce Non-Être, devienttrèsdifficileà voir• ; ceciparceque cetteessence
c'est justementl'espace7 inextricable, dont la structureest celle de
l'infini8. Or il s'avèreque ce lieu du Sophisteimiteles formes de l'Être,
au mêmetitreque la spatialitédu Timée.Comparons à cet effetde nou-
veau les deux dialogues: le Timéenous dit que la Matièrereçoitles
images (mimémata) • (ou aphomolômata 10) des Idées. De même,le
se
Sophiste, confondant, commenous l'avons vu, avec la Matière,est
celuiqui imiteles réalitésll.
En sommele Sophiste,disposantcommematièredu toposdu Non-

1. Timée. 51 a.
2. Ibid. y50 c : « Quant aux figuresqui y entrent et qui en ressortent,ce sont des
images des êtres éternels que ceux-ci imprimenten elle d'une certaine manière diffi-
cile à exprimeret merveilleuse ».
3. Remarquons l'insistance avec laquelle le Timée manie ce terme. Ainsi : 49 a :
« Difficileet obscure » ; 49 b : « Difficile». Pour des termes analogues, cf. 50 c : « Diffi-
cile à exprimer » ; 51 b : aporôtata ; 51 b : « Très difficileà entendre ».
De même, le Philèbe nous dira que le plus chaud et le plus froid et, en général,
les espèces de l'infini,sont « des choses difficilesà suivre » (24 d).
Cf. aussi Cratyle, 420 d /e : Yanankaîon (le nécessaire, synonyme de la Matière)
appartient à la catégorie du « difficile,du raboteux et du touffu».
4. Sophiste,235 c : «... que si, dans les parties successives de la mimétique, il trouve
quelque gîte où s'enfoncer,le suivre pied à pied, divisant sans répit chaque abri qui
l'abrite ».
5. Ibid., 236 d : «... puisque, cette fois encore, le voilà bel et bien réfugiédans une
forme dont le mystère est inextricable » (aporon) ; 237 c : « Difficile» ; « tout à fait
aporon ».
Cf. Cratyle,420 d/e : duspora (cf. fragment18 d'Heraclite : « Inexplorable... aporon »).
6. Sophiste,236 d.
7. Le Non-Etre est expressément appelé lieu (topos). Cf. Sophiste,239 c : « Aporon
topon »; ibid., 264 c : « Vertige ténébreux » ; ibid., 260 c/d : « Or le sophiste, avons-
nous dit, c'est bien, en somme, en cet abri (topos) qu'il s'est réfugié».
o. JLerMon-fc.tre du Sophiste n est-il pas, en enet, un genre infini en quantité ? Cf.
Sophiste, 256 e : « Infinie quantité de non-être » ; 259 b (où l'adjonction de l'Autre
trahit cette infinitédu Non-Être) : « Des millierset milliers de fois... ».
9. Timée, 50 c : « Images de tous les êtres éternels » : 51 b : mimémata.
10. Ibid., 51 a.
11. sophiste,2o4 b : « II ne fabriquera que des imitations et des homonymesdes réa-
lités » ; 234 c : eidôla ; 235 a : « C'est un magicien qui ne sait qu'imiter les réalités » ;
264 d : « Images (mimémata) des êtres ».

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Être l, imiteles Êtres; c'est grâce justementà cetteimitationqu'on


peut l'appeler créateur(démiurge,ou « poète») *.
En réalité,par son ignorancede l'Être vrai, notreSophisten'est
qu'untrèsmauvaisdémiurge, les produitsde sa créationétanttousfaux.
Ainsi cette imitationdu Sophiste est une doxomimêtikê s, puisqu'elle
s'appuieexclusivement sur l'opinion(doxa). Elle s'oppose,par là, à la
véritablemimétiqueque Platon appellehistorikê * et qui se fondesur
la science.
Or seulecetteimitation faitpartiede la véritablecréation (polêsis) • ;
elle se diviseen deux catégories •, dontl'une seulement, ayantle nom
de créationdivine,est justementcette poétique7, créatricede l'être
sensible,grâceà la mimesis,par le Non-Être,de l'Être éternel.Ainsi
que nous le dit notredialogue,« est productrice toute puissancequi
devientcause que ce qui antérieurement n'étaitpoint,ultérieurement
commence d'être» 8.
C'est cetteimitationdémiurgique qui faitqu'il y a passagedu Non-
Être à l'Être,dans le mêmesens que la créationdu Banquet• devient
cause de l'acheminement de l'inexistenceà l'existence10.
Nous rencontrons ici le texte infiniment significatifdu Sophistequi
nous dit que l'Être sensibledans son ensemble(c'est-à-dire le corps
de l'Univers,en termesdu Timée)naîtgrâceà cetteimitation de l'Être
par le Non-Être: « ... tousles animauxmortels, toutesles plantesaussi
que,surterre,semences et racinesfontpousser,enfintoutce qui s'agrège
à l'intérieurde la terre,en corps inanimés,fusibleset non-fusibles,
n'est-cepas uniquement par une opération divineque nous les dirons
de leur non-êtreprimitif? u » Le passage suivant "
naîtreultérieurement,
complètecetteillustrationde la créationdu sensibleà partirdu non-
ètre: « Nous-mêmes...
et le restedes vivants,et leursprincipescompo-

1. Sophiste, 235 e : « Or,on copiele plus fidèlement quand pourparfaireson imita-


tion,on emprunteau modèleses rapportsexactsde longueur,largeuret profondeur »
de
(termes spatialité).
2. Sophiste,236 a : « Est-ce que donnantcongéà la vérité,les artistes(démiurges),
en fait,ne sacrifient pas les proportionsexactespoury substituer, dans leursfigures,
les proportions qui ferontillusion? » Ibid., 267 c : « Mais la conformationde la jus-
ticeet, en général,de toutela Vérité?... », les mimantle plus qu'ils peuventen actes
et en paroles? »
3. Sophiste,267 d /e : « A l'imitationqui s'appuie sur l'opinionnous donneronsle
nomde doxomimétique ».
4. Ibid., 2b7 e : a limitationqui « s appuie sur la science,le nom de mimétique
savante ».
5. Ibid., 265 a : la mimesisest une sortede poïêsis....
6. Sophiste,265 b : « Commençonsdonc par distinguerdans la productiondeux
parties...,l'une divine,l'autre humaine ».
7. Ibid., 265 b.
». îoia., zoo d.
y. Banquet, ¿vo *>•
10. Banquet,205 b. On peutmettreen parallèlecette phrase du Sophiste(265 b)
« du non-êtreà l'être».
avec celle du Banquet(205 b) qui nous décritl'acheminement
11. Sophiste,265 c.
12. Sophiste,266 b.

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N. L Boussoulas

sants,feu,eau et substancescongénères *,ce sontautantde chosesdont


la réalitéindividuellefut,nous le savons,la production et l'œuvrede
Dieu. »
Ainsiles quatreélémentsjaillissentà partirdu non-être - toutcomme
-
dans le Timée,51 a/b du fondde la Matière grâceà l'actionde la
démiurgie divine.
Or ce ne sontpas seulement les êtressensiblesqui découlentde cette
poétiquetranscendante, mais aussi leursombres.Ce sontlà « les deux
œuvresde la production divine: la chose,d'une part; et, de l'autre,
l'imagequi accompagnechaque chose» 2 : telle,par exemple,l'ombre
« que projettele feuquandles ténèbresl'envahissent ; cetteapparence,
enfin,que produit,en des surfacesbrillanteset lisses...» *. On a l'im-
pressiond'une autrelignede la République, nous décrivantla gamme
des apparenceset des ombres.
L'art humain,à son tour,tout commel'art divin,procèdepar infor-
mationde la Matière,ou - ce qui revientau même- par imitation de
l'Être par le Non-Être.Ainsi donc se répète,jusqu'au bout, sur une
doubleligne,cettedualitéd'œuvresde notreactionproductrice : d'une
part..., chose, production de chose ; de l'autre, image, production
d'image4.
En définitive,nousdironsque noussommes,avec le Sophiste, devant
le mêmeproblèmede la constitution du sensibleà partirde l'infìnitude
du Non-Êtreque celui que nous rencontrons dans le Timée,dialogue
où le Non-Êtreest appeléMatièreou Espace.

II. - b. La matière du « Timée »


ET L'UN NON-ÉTANT DU « PaRMÉNIDE ».

Nous venonsde voirque la spatialité,ou Matièredu Timée,est une


entitéanalogueau Non-Être5 du Sophiste.Par conséquent, unenouvelle
comparaison s'impose entre cettemême matière
et cet autre Non-Être
platonicienqu'est l'Un non-étant du Parménide.Cette comparaison
montrera, avec plus de clartéencore,son caractèrefoncierd'illimité,
du sein duqueljaillit l'universdes étants.
Remarquonstout d'abordque la matière,d'aprèsle témoignage du
Timée,n'a aucune détermination, aucune figure: « Car jamais... elle

1. A savoirl'air et la terre.
2. Sophiste,266 c.
3. Ibid., 266 c.
4. Sophiste,266 d.
Il y a ainsi une correspondance exacte entrele Sophisteet la Républiqueen ce qui
concerneles objets fabriqués(qui relèventde l'art humain).Comparer,à cet effet,
Sophiste,266 c/d avec République, 510 a ; ibid.,595 c/599a.
Pour formeet matière,cf. Politique,288 d /e; Philèbe,54 c ; 59 d ; Aristote,Poli-
3
tiaue.I. (8).
5. D'après l'Atomisme, il y a identitéentrele Vide et le Non-être(mêden).

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ne pourraperdreabsolumentses propriétés. En effet,elle reçoittou-


jours toutes et
choses, jamais, en aucune circonstance, elle ne prenden
rienune figure semblableà aucunede cellesqui entrenten elle *. »
Elle n'a, la Matière,absolumentaucune forme,elle est une entité
intégralement amorphe 2, exemptede toutes les figuresqu'elle doit
recevoir.« En effet, si ce réceptacleétaitsemblableà l'une quelconque
des figuresqui y entrent,et si par hasardil lui arrivaitdes figures
contraires à celles-là,ou d'unenatureabsolument hétérogène, il en pren-
draitmal la ressemblance, puisqu'ill'offusquerait par son propreaspect
(Timée,50 d /e).
Référons-nous maintenantau Parménide.Nous allons y trouver
toute une série d'indicationssemblables,presqueidentiques,à celles
du textedu Timée,Ainsil'Un non-étant du Parménide 8 n'a, sousaucun
*
rapport,aucune détermination: il n'a ni grandeurni petitesse,ni
ressemblance ni différence,par rapportà soi ou aux autres*. Il ne par-
ticipeà rien,« riende ce qui est n'estsien», la moindreparticipation à
quelquechosequi est« le feraitimmédiatement participer à l'Être » •.
Cet Un non-étant est, tout commela Matièredu Timée,une entité
qui est au-delàde la naissanceet de la destruction : « L'Un qui n'est
pas ne péritpointet ne naît point,puisqu'ilne participeà l'Être sous
aucun rapport7. » II est, par conséquent, non-être tout commel'entité
du Sophiste un
8. Pourtant,sous autrebiais, et tout commele non-être
du Sophiste, l'Un non-étant participe à l'Être.
En effet,« l'Un, du faitqu'il n'est pas, aura part nécessairement à
l'Être pour réaliserson ne-pas-être » 9. Nous dirons,par conséquent,
que « l'Être mêmeapparaît» en l'Un non-étant 10.
De même,la Matièredu Timéesera une essenceparticipant aporôtata
c'est-à-dire
à l'intelligible, à l'Être ll. Participant tantsoit peu à l'Être,
la Matièreparticipera aussi au mouvement, qui en est un genre,d'après
le Sophiste.Le Timéenousla décriracommeétant,du faitde soncontact
avec les êtreséternels, « empliepar des forcesqui n'étaientni uniformes,

1. Timée.50 b ; 51 a : « Un eidosinvisibleet sans forme»....


2. Ibid., 50 d /e : « Exempt de toutesles figures» ; 50 e : « Absolumentaucune
figure»....; 51 a : « II convientque cela soit, par nature,en dehorsde toutes les
formes »...
3. 164 b.
4. Il en va de même(ainsique nousle verronsplus loin) de lUn-Un de la première
hypothèse(137 e) : « Apeïronet sans figure».
5. Ibid., 164 a.
6. 163 e.
7. Parménide,163 d. Comparerau Timée,52 a : « Impérissable,incorruptible •
(c'est-à-direqui ni ne devientni ne périt).
8. 258 b : « Le Non-Êtreest».
9. Parménide, 162 b.
10. Ibid., 162 b.
11. Timée,51 a.
(Cf. Parménide, 162 b : « Ce qui n'est pas devra participer...à l'êtrede l'êtrenon-
étant,si Ton veutque ce qui n'estpas réalise,de son côté,la perfection de son ne pas
être».... Cetteparticipation à l'Etre constitueun lien(Parménide, 162 a).

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N. 1. Boiissoulas

ni équilibrées » ; forcesqui fontqu'ellene se trouvesous aucunrapport


en équilibre,mais elle est secouéeet ébranléedans tous les sens,rece-
vantainsile mouvement qu'elletransmet à sontourà toutesses régions,
« sous la formede secoussesnouvelles» l.
Il en ira de mêmepourl'Un non-étant du Parménide. Parce que jus-
tementcet Un a communication avec l'Être,il doit comporter le mou-
vement,formede l'Être. En effet, « il s'est révéléavoirchangement de
l'être au ne-pas-être » 2, et nous savons que changement n'est autre
choseque mouvement 3.Enfin,toutcommela Matièredu Timéenousest
apparue« commeen un rêve» 4, de mêmel'Un qui n'estpas comporte
un statutonirique,en posantun universdanslequeltouteschoses(« les
Autres» du Parménide) sontaperçuescommedes fantômes.
Ainsique nousle dit le textede ce dernierdialogue6,les blocsindi-
viduelsdes Autressont« chacunpluralitéinfinie ; on aura beau choisir
le : tel de
celuiqui semble plusminime qu'un rêve nuit,instantanément,
d'un qu'il semblaitêtre il apparaîtmultipleet, d'extrêmement petit,
extrêmement granden facede son propreémiettement ».
Il y auraitlieu de comparercet état caverneuxdes chosesavec celui
que présentele mélangeprimitif (ou Matièreinfinie)d'Anaxagore.Le
fragment 3 nous apprendque chaque chose,comparéeà elle-même, y
est « à la foisgrandeet petite».
Ainsi,par exemple,la phrasedu Parménide, 165a/b : « Quoi que la
penséey veuille de
jamais appréhender tel, le commencement y apparaît
toujoursprécédéd'un autre commencement, la finprolongéepar une
autrefin,le milieuoccupépar quelquechosede plusmédianque le milieu
mêmeet plus petit,parcequ'on ne sauraitappréhender de telleslimites
en ces blocsprisun à un,vu qu'il n'y a pointd'Un » ; ellea, cettephrase,
la mêmetonalitéque cellesdu fragment 3 d'Anaxagore: « II n'y a non
plus un dernier degré petitesseparmi qui est petit,maisil y a tou-
de ce
jours pluspetit» ; « maisil y a toujoursquelquechosede plusgrand
un
que ce qui est grand».
En somme,toutesles partiesde l'Un qui n'est pas, êtreevanescent
du type de la matièreillimitéed'Anaxagoreet du Timée,nous appa-
raissentcommedes dimensions fantomatiques, commede pursfantômes 6
infinis.

1. Timée,52 e.
2. Parménide,162 c.
3. Ibid., 162 c. Pareillementcet autrenon-êtrequ'est l'illimitédu Philèbea mou-
vement,puisqu'ilest en trainsans cessede changer: « Va toujoursde l'avantet jamais
ne demeure» (24 d).
4. Timée,52 b : « C'est lui, certes,que nous apercevonscommeen un rêve,quand
nous affirmons que tout être est forcément quelque part..., mais toutesces observa-
tionset d'autres,leurs sœurs,qui portentsur la naturemêmede cet être,tel qu'il
est en véritéet horsdu rêve,souvent,à l'état de veille,nous sommesincapables,du
faitde cettesorted'état de rêve,de les distinguernettement»....
5. Parménide. 164 d.
6. Timée,49 e. Parménide,165 a ; 165 c ; 165 d ; 166 a/b.

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Causalité du bien et mélangeplatonicien

De toutesces comparaisons, nouspourrions inférerque la Matièredu


Tintée,tout comme le Non-Être du ou
Sophiste, l'Un non-étant du Par-
ménide, est un illimité.L'Espace ne comporte aucune limite, il ne pos-
sède aucuneconfiguration, il n'est,d'aprèsla métaphysique du Parmé-
nide,nullepartK Ainsi,il en est de l'Espace commeil en est du temps:
de mêmeque le tempsest né horsde toutetemporalité, dans l'instan-
tané de l'Éternité", de mêmel'Espace a jailli,horsde toutespatialité,
du fonddu néantabsolude l'Un. En d'autrestermes,l'Espace-Matière
du Timéeest le Non-Êtrerelatifdu Sophistequi découledu Non-Être
absolu que ce dernierdialogueavait renoncéà définir * ; Non-Être
absolu qui se trouveêtre,ainsi que nous nous proposonsde l'établirà
présent,l'Un mêmedu Parménide.

III. - L'ÊTRE ET LE NON-ÊTRE ABSOLUS DU « PARMÉNIDE ».

Nous avons constatéjusqu'ici qu'on se trouve,avec le problèmede


la Matière,en pleinnon-Être; non-Êtredontnous venonsd'entrevoir,
dans le Parménide, les limitesextrêmes: l'illimitéabsolu qu'aucune
pensée philosophique, d'après le Sophiste,n'était capable de définir
dialectiquement.
Or ce non-Êtreintégrals'avère,dans la deuxièmepartiedu Parmé-
nide,l'aspecttranscendant de l'Être total,qui englobel'Être et le non-
Être relatifsdu Sophiste. Nous voyons,en effet, dans la première hypo-
thèsedu Parménide, que l' Un-Un est le non-Être absolu; car il est illi-
mité,sansaucuneforme, sanstempsni lieu(il n'estnullepart),sansêtre
aucun. Il n'estni immobileni mû,ni différent ni identique,ni semblable
ni dissemblable,ni égal,ni plusgrandni pluspetit*. D'aprèsles termes
mêmesde ce dialogue,l'Un-Un« n'a ni définition, ni science,ni sensa-
ni
tion, opinion » 6. Il est,par conséquent, ce néant absolu,ce Non-Être
ineffableet indéfinissable du Sophiste.
Deuxièmehypothèse. - Or ce non-Êtreintégralqu'est l' Un-Un
deviendra aussitôtl'Êtretotal,dès qu'on supposera- dansla deuxième
hypothèse - qu'il existe.

1. Parménide,137 c /d-138a /b (premièrehypothèse).L'Un-Un, illimité absolu,


privéde toutefigure, ne seranullepart : « II ne peutêtre,en effet, ni en autreque soi
ni en soi » {ibid.,138 a).
MgrDiès remarque(p. 72, n. 1) que « GorgiascommeMélissos(fr.2, Diels, Vorsokr.
II», 186) concluaitde l'Éternitéà l'infinitéspatiale». Cf. aussi,l'argumentde Zenon
dirigécontrel'existencede l'Espace (Simpl.,Phys.,562, 3).
Ã. ui. notrejl .titreet la composition aes mixiesaans te rnueoe at riaion, p. y/,
et suiv.
3. Sophiste, 258 e-259 a : « Pour nous, à je ne sais quel contrairede l'Etre, il y a
beau tempsque nous avons dit adieu, n'ayantcure de savoirs'il est ou non,s'il est
rationnelou totalement irrationnel» (alogon).
4. Parménide, 137 c-142a.
D. iota., ii¿ a; ci. pueme ue i-ariiieiuiu;, ¿, / : « ... car lu ne peux. p*u>cuimaiire ce
qui n'estpas - cela est impossible- ni l'exprimer...».

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En effet,il doit alors être considéré comme un mixte, produit du


mélange ou de l'adjonction de l'Un et de l'Être. Il est, dans ce cas, un
et multiple; il implique et engendreet le nombreet l'infiniemultipli-
cité des êtres; il est tout et parties,finiet infinien quantité. Il a limite
et figure.Il comporteainsi la location et la spatialité l, et tous les grands
genresde l'Être, tels que mouvementet immobilité,différence et iden-
tité, ressemblance et dissemblance, égalité et inégalité, grandeur et
petitessef.
Cet Un-qui-estimplique le tout de la temporalitéa. Il est, d'un côté,
plus vieux et plus jeune et de même âge que les Autres; mais, d'un autre
côté, il n'est ni plus vieux ni plus jeune, ni de même âge que les Autres.
Il comporte ainsi le devenir. L'Un-qui-est devient plus vieux et plus
jeune que soi et que les Autres, et il ne devient ni plus vieux ni plus
jeune que soi ni que les Autres.
Il sera, de la sorte,entièrementconnaissable4 : il y a de lui et science
et opinionet sensation; il s'avère, pour tout dire,l'Être total lui-même.
Troisièmehypothèse. - On va pousserici à son extrêmelimitela con-
séquence qu'entraîne deuxième hypothèse: VUn est.
la
Dès lors, on trouvera de nouveau l'Un-Un ineffabledans son carac-
tère véritablequi est d'être au-delà de toute existence.En effet,puisque
PUn-qui-ests'est aussi avéré multiple(Un et non-Un), son changement
de l'Un au multipledoit se faire dans Yinstantané6.
Or, dans l'instantané, l'Un n'est ni mobile ni immobile,ni être ni
non-être.Dans l'instant éternelde l'instantané,sis hors de tout temps,
l'Un se révèle comme l'Un-Un, absolu Non-Être de la premièrehypo-
thèse, aspect transcendantde l'Être-qui-est- ou mélange intégral-
dont il occupe, si l'on peut dire,le sommet.

Quatrièmehypothèse(conséquence de la deuxième).
L'Un-Être est multiple: par conséquent,il implique, ou plutôt il est
les Autres,les Non-Uns. Ce multiple,et comme tout et comme parties,
est illimitéet est participantà la limite qu'est l'Un 6. On dira ainsi que

1. Parménide.145 e : « II est en soi et en autreaue soi ».


2. Ibid., 146 a-151e : il est éternellement immobileet mû,il est différent et iden-
tique des autreset de soi, il est semblableet dissemblableà soi-même.Il a et n'a pas
contactavec les autreset avec soi. Il est égal et supérieuret inférieur en nombreà
soi-mêmeet aux autres.Par conséquent,il est êtreet non-êtreen mêmetempset Ton
peutle considérer commel'analoguede l'Être intégraldu Sophiste: sa limitecompren-
draitl'Être relatif,ainsi que l'Idée du Repos et l'Idée du Mêmede ce dernierdia-
logue; alors que son illimitéenvelopperait les Idées du Non-Être,du Mouvement et
de l'Autre.
3. Parménide,151 e-152a : t Qu est-ceque cet « être » sinonparticipation à l'être
avec tempsprésent,comme« fut » l'est avec tempspassé ; tout comme,d'ailleurs,
« sera » est communion à l'êtreavec tempsà venir?» - « II participedoncau temps,
puisqu'il participeà l'être. »
4. Cf.poèmede Parménide(6) : « De toutenécessitécela doitêtrequi peutêtrepensé
et donton peutparler...».
5. Parménide, 156 d.
6. L'Un est la limitedu multiplequ'il est ; autrement dit,il est sa proprelimite.

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Causalité du bien et mélangeplatonicien

les Autressont semblableset dissemblables, identiqueset différents,


immobiles et mus - tout commePUn lui-mêmede la deuxièmehypo-
thèse1 ; ils serontdonc,pourtout dire,Être total.
Cinquièmehypothèse (conséquenceextrêmede la quatrième).
Le multiple- constituépar les Autres- qui, dans la quatrième
hypothèse, étaitparticipant à la limite(qu'estl'Un) s'en trouvemainte-
nantséparé.Ce multiple, ne possédantpas le nombre,ne peut pas être
pluralité; il ne peut mêmepas avoiren lui le deux. Par conséquent, il
ne peut être identiqueet non-identique, semblableet dissemblable,
puisque,autrement, il participerait au nombredeux, en participant à
ces deux formes: identitéet non-identité, ressemblance et dissem-
blance2.
Il s'ensuitque le multiplen'estni identiqueni différent, ni semblable
ni dissemblable, ni l'un et l'autreà la fois.Autrement dit,les Autres
ne sontni identiquesni différents, ni mobilesni immobiles, ni naissants,
ni périssants, ni plusgrandsni pluspetits,ni égaux.Ils ne sontdoncrien,
sinonpurnon-Être.
En définitive, nousdironsque,si l'Un est,l'Un estmultiple (il implique,
il estlesAutres); et il n'estpas multiple (le multiple n'estrien: cinquième
hypothèse). L'Un-Êtreest donc Un et multiple, c'est-à-direil est l'Être
intégral ; et il n'estni Un ni multiple (il est le Non-Être absolu).
Ce qu'exprime le Parménide en nousapprenantque l'Un :
A. - Est tout :
a. Dans sonrapportà soi : c'est-à-dire Un et multiple, toutet parties,
finiet infini, immobile et mû,etc.
b. Dans sonrapportaux Autres: les Autres,participant à l'Un, sont
tout (quatrièmehypothèse).
B. - N'est pas mêmeUn :
a. Dans son rapportà soi : il est multiple.
b. Dans sonrapportaux Autres: les Autres,ne participant pas à l'Un,
n'ontaucunedétermination, ils ne peuventpas être constitués» ils ne
sont,ainsi,que pur non-Être(cinquièmehypothèse).
du Parménide.
Deuxièmepartiede la série des neufhypothèses
Nous arrivonsainsi à la sixièmehypothèse,conséquencenaturelle
de l'hypothèse et de sa conclusion
: l'Un-qui-est : cet Un n'estpas. Donc
la sixièmehypothèse nouspostulerade primeabordun Un qui est non-
Être (relatif).
Or,il appertque cetUn estmultiple, il impliqueles Autres.
c'est-à-dire
Cet Un a identitéet différence, ressemblance et dissemblance avec soi-
même; il participeà l'égalité,à la grandeuret à la petitesse.Il parti-

1. C'est le plan mêmesur lequel se situe la dialectiquede Zenon : le multipleest


semblableet dissemblable,etc. (cf. Parménide,127 e).
2. Parménide, 1(50a.

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TV./. Boussoûlas

cipe à l'Être et au Non-Être.Il est immobileet mû. Il naît et péritet


ne naîtni ne périt.En somme,il a toutesles participations et, partant,
toutesles déterminations. On peut doncl'appelerÊtre total.
Septièmehypothèse (conséquenceextrêmede la sixièmehypothèse:
l'Un n'est pas).
Le non-être de cet Un est absolu : l'Un-qui-n'est pas n'a absolument
aucune détermination.
Huitièmehypothèse (conséquencerelativede la sixième).
Les Autres(à savoirle multiplequ'estl'Un) ont,commel'Un, toutes
les déterminations : ils sont identiqueset différents, en contactet en
séparation,immobiles et mus,etc. En un mot,ils sontdans le sens le
plus absolu du terme.
Neuvième hypothèse (conséquenceextrêmede la septième).
Les Autresne sontpas. Ils n'ontaucunedétermination : ils ne sont
ni semblablesni dissemblables, ni identiquesni différents,
ni en contact,
ni séparés.
En somme,nouspourronsdireque, si l'Un n'estpas, rienn'est : car
ni l'Un est, ni les Autres(c'est-à-dire les non-uns,le multiple)sont.
L'Un et les Autressontnéantabsolu.- Et voilà la conclusiongénérale
du dialogue,en proprestermesde Platon : « Que l'Un soit ou ne soit
pas, lui et les Autres,et dans leur rapportà eux-mêmes et dans leur
rapport mutuel, à tous les points de vue possibles,sont tout et ne sont
rien,paraissenttoutet ne paraissentrien*. » Nous constatons, en défi-
nitive,que nous obtenons,avec l'Un du Parménide,alternativement le
Non-Êtreabsolu (qui n'a aucunedétermination) et l'Être intégral(qui
a toutesles déterminations) 2.Ainsidansla
Première hypothèse : L'Un n'a aucunedétermination (Non-Êtreabsolu).
Deuxièmehypothèse : L'Un a toutesles déterminations (Êtreintégral).
Troisièmehypothèse : L'Un n'a aucune détermination (Non-Être
absolu).
Quatrième hypothèse : L'Un (sous la formedes Autres)a toutesles
déterminations (Être intégral).
Cinquième ¡hypothèse : L'Un (sous la formendes Autres)n'a aucune
détermination (Non-Êtreabsolu).
1. Parménide,166 c.
2. On peutrésumertoutceci par la sériesuivante:
lr«hyp. 2* h. 3e h. 4e h. 5« h. 6e h. 7« h. 8« h. 9e hyp.
Néant Tout Néant Tout Néant Tout Néant Tout Néant
(Autres) (Autres) (Autres) (Autres)
Un-Un Un-Être Un-non-Être
On s'aperçoitque le commencement et la finde cettesériesontsymétriques : l'Un-
Un et rUn-multiple sonttous les deux néant,pur non-Être.Toutela sérievibreavec
le rythmed'alternance entrele Tout et le Rien, entrel'Être intégralet le Non-Être
absolu. Nous dirions,dans un esprithéraclitéen, aussi bien qu'empédocléen, que l'Un
et
avance recule,se montreet se cache alternativement (cf. fr.91 d'Heraclite: ... f il
avance et se retire»)•

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Sixième hypothèse : L'Un a toutes les déterminations(Être intégral).


Septième hypothèse: L'Un n'a aucune détermination (Non-Être
absolu).
Huitièmehypothèse : L'Un (sous la formedes Autres)a toutes les déter-
minations(Être intégral).
Neuvièmehypothèse : L'Un (sous formedes Autres) n'a aucune déter-
mination(Non-Être absolu).
Ce tableau peut se résumerencore par le schéma suivant, qui réduit
les neuf hypothèsesdu Parménideen deux seulement:
A. L'Un transcendantpar rapport à l'Être intégral.
B. L'Un immanentpar rapportà l'Être intégral.
A L'Un-Unest transcendant par rapportà l'Être
Un transcendant à l'Être et au Non-Être,c'est-à-direpar rapportà l'Être
-f Non-Être(lre hypo- intégraldu Sophiste.Il estalorsle Néantabsolu,
thèse)
B-a. L'Un est(il est immanent à l'Être). Il est alors
Un immanent à l'Etre(2e, l'Être intégralqui englobedans son seinl'Être
3e, 4«, 5e hypoth.) et le Non-Êtrerelatifsdu Sophiste(2e et 4e
hypoth.),mais au-delàl son caractèrede néant
absolu réapparaît(3e et 5e hypoth.).

B-b. L'Un n'est pas (il est immanent au Non-Être).


Un immanent au Non-Être II est alorsl'Être intégralqui englobedans son
(6e, 7e, 8e, 9e hypoth.) sein l'Être et le Non-Êtrerelatifsdu Sophiste

(6e et 8e hypoth.),mais au-delà son caractère
de néantabsolu réapparaît.

Ce qui nous frappedans tout cela c'est le fait que le Non-Êtreabsolu


se présente comme l'aspect transcendantde l'Être intégral.
C'est ainsi que, dans la troisièmehypothèse,le Non-Être absolu se
révèle dans l'instantané,c'est-à-direau sommet,ou à la racine,de l'ad-
jonction du mélange de l'Un et de l'Être, qui constituel'Être intégral.
Nous risqueronsainsi cette hypothèse : c'est le Non-Être absolu qui
s'avère la source de l'Être intégral.
Le Non-Êtreabsolu a encore plus de dignitéet de poids ontologiques
que l'Être ou le Non-Êtrerelatifsdu Sophiste,et nous pouvons voir en
lui le Bien lui-mêmedans son aspect transcendantde Non-Être, situé
au-delà de l'Être. La République (VI, 509 b) ne nous dit pas, en effet,
8
que le Bien n'est pas Être ?
C'est justementcet aspect de Non-Essenceabsolue du Bien que repré-
sente, à notre avis, l'Un transcendantdu Parménide. Il y a lieu de se
référerici au Banquet : ce dialogue nous apprend que la Beauté, syno-

1. En poussantla conséquencede l'hypothèsechaque foisjusqu'au bout.


2. Ibid.
o. tiep.fvi, ouyd : t quoique le Lsienne soil pointessence»....

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iV. /. Boussoulas

nymedu Bien,n'a aucunedétermination : « Elle n'estni commeun logos


ni commeune scienceK »
Or,nousavonsdéjà vu que, d'aprèsle Banquetet le Sophiste, toutêtre
vientdu Non-Êtrea. Dans ce dernierdialogue,le Non-Êtrerelatif(ana-
logue à la matièredu Timèe)nous a été décritcommeétantla source
d'où jaillissaitl'êtresensible.
Pourquoine pourrait-on pas appliquercetteformule au niveauintel-
ligiblemême,en postulantune poétiquesuprême- cellequi feraitjus-
tementl'objet du Parménide- laquelle instaurerait l'Être intégral
lui-même à partirdu Non-Êtreabsolu• ?

IV. - La Cause et le Bien.

Nous nous proposonsà présentd'essayerde retrouver dans les dia-


logues,sous d'autresformulescette fois,l'Un du Parménide,absolu
Non-Être, sourcede l'Être intégral.
Dans le Philèbe,Platon nous parle des quatregenres: l'illimité,la
limite,le mixteet la Cause.
Or, de ces quatre genres,les troispremiersconcernent très mani-
festement l'Être intelligibleaussi bien que sensible.Le passage 16 c
nousditque « toutce qu'onpeutdireexister* est faitd'unet de multilpe
et contient en soi-même, originellement associées,la limiteet l'infinité
».
En d'autrestermes,tout ce qui est,c'est-à-dire l'Être dans son inté-
gralité,est un composé,un mixtede limiteet d'illimité, d'êtreet de non-
êtrerelatifs,qu'il contientd'une et
façonoriginaire intrinsèque.
L'êtreintégralse présenteainsi commeétantconstituépar les trois
genresdu Philèbe: illimité, limiteet mixte.Il est la constellation d'un
côtédes Idéesde l'Être,du Reposet du Même(qui rentrent dansla caté-
goriede la Limite); et, de l'autre,de cellesdu Non-Être, du Mouvement
et de l'Autre(qui rentrent dansla catégoriede l'illimité).Il ne resteque
le quatrièmegenre,celui de la Cause, qui ne semblejusqu'ici absorbé
par l'Essence.Ce genrenous est décrit,dans le Philèbe,non seulement
commerégissant 6 la limite,l'illimitéet le produitde leurunion- leur

1. Banquet, 211 a.
2. Ibid., 205 b : * du non-être à l'être ». Sophiste,265 b, où la poétique est définie
par cette dynamis qui « devient cause que ce qui antérieurementn'était point, ulté-
rieurementcommence d'être ».
3. Cf. Ennéades, V, 2, 1 [11] :
C'est « parce qu'il n'y a rien dans l'Un que toutes choses viennent de lui ; afin que
l'être soit, il faut que lui-même ne soit pas l'Être, mais le générateurde l'Etre ».
Ibid., 14, p. 197, 29 : « Puisque l'Un donne l'être et les autres termes de cette série,
il est supérieur à ce que nous appelons l'être ; et puisqu'il produit ces choses, il ne
peut les être lui-même. » E. Bréhier, citant ces passages, conclue : « Donc, parce que
l'Un est origine, l'Un n'est rien. » (L'Idée de Néant et le problèmede l'origine radicale
dans le néoplatonismegrec,p. 452.)
4. « unwn... einai. »
5. 30 c : Notez le terme epl.

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étant ainsi en quelque sortetranscendant - mais,en surplus,comme


les créantlittéralement l.
Or,il est facilede montrer que ce quatrièmegenrereprésente le Bien-
Un lui-mêmeque nous venonsde voir dans le Parménide.Pour cela,
il suffîtde se référerunefoisde plusà la République (VI), où Platonnous
-déclare que le Bien est transcendant par rapportà la connaissance et à
l'Être qu'il crée: « De mêmepourles objetsconnaissables, tu avoueras
que non seulementils tiennentdu Bien la faoultéd'êtreconnus,mais
qu'ils lui doiventpar surcroîtl'existenceet l'essence,quoique le Bien
ne soit pointessence,mais quelque chosequi dépassede loin l'essence
en majestéet en puissance2. » En sommedans ce dialoguele Biennous
est présenté(ainsique nousl'avonsdéjà faitremarquer) commela Non-
Essenceabsolue,sourcedu toutde l'Être. En effet, le Bienne créepas
seulement l'Être intelligible,synonyme de la Véritéet de la Science8 ;
il créeaussil'êtresensibledans sa totalité,puisquec'estlui qui, d'après
notredialogue,a engendré le Soleil: « C'estle Soleil», dit Socrate,« que
j'entendaisparle filsdu Bien que le Biena engendré à sa propreressem-
blance» {République^ 508 c). Et le mêmelivrede la Républiquede nous
apprendre que c'estle Soleil qui « donneaux objetsvisibles,non seule-
mentla facultéd'êtrevus, mais encorela genèse,l'accroissement et la
bien
nourriture, qu'il ne soit pas lui-même genèse ». Ce Bien, créateur
du mondesensible,nous est présentédans le Timéeà traversla figure
mythique du Démiurgequi a alluméle Soleil*.
Or, dans le Philèbe,la Cause,tout commele Démiurgedu Timée,a
créél'âme et l'espritdu Cosmos8 et, par là, l'Universtoutentier6. En
définitive, le Bien est la cause universelle 7,il est la cause dans le sens
le plus rigoureux du terme; nous pouvons,par conséquent, voir dans
le quatrièmegenredu Philèbey l'Idée mêmedu Bien-Unparménidien
qui, en tant justementqu'Unitéabsolue,synonyme du Non-Êtreinté-
gral et insaisissable8, s'avère la source de l'Être intégral.
1. Philèbe, 27 b : La cause est appelée démiurqique.
2. République, 509 b ; ibid., 509 c : « Merveilleuse transcendance ».
3. Ibid., 508 c : « Ce qui communique la vérité » ; « cause de la connaissance et de
la vérité ». Or vérité et essence - ou être - sont des termes très proches. Cf. ibid.,
508 d : « La vérité et l'être » ; 525 c : « La vérité et l'essence ». Cf. aussi Philèbe (65 a)
où le Bien, en tant que cause du mixte suprême, instaure la vérité.
4. Timée, 39 b : t En vertu de ce raisonnementet de cette intention divine concer-
nant la naissance du Temps » (créé aussi par le Démiurge), « le Soleil, la lune et les
cinq autres astres... sont nés pour définirles nombres du Temps ». (Ibid., 38 c.)
5. Philèbe, 30 d : « Tu affirmerasqu'il y a, dans la nature de Zeus, une âme royale
et un esprit royal, qui sont là par la vertu de la Cause.
6. Ibid., 30 c : La Cause nous y est montréecomme « ordonnant et réglantles années,
les saisons et les mois ».
Cf. Phédon, 97 b, et suiv. : Socrate y considère cette causalité universelle qu'est
le nous (97 c) comme le synonyme du Bien lui-même : «... cet Esprit ordonnateur
qui justement réalise l'ordre universel doit aussi disposer chaque chose en particu-
lier de la meilleurefaçon qui se puisse » (cf. Phédon, 98 a /b ; 99 a ; 99 a /b ; 99 c : le
Bien).
7. République, 516 c.
o. fnueoe, do a : Le tsien ne peut pas être capte sous une seuie rorme ; autrement
d il .en tant qu'Un absolu, il est indéfinissable.

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N. I. Boussoulas

Ainsi la Causalité de ce dialogue n'est autre que le Bien platonicien


qui, étant situé au-delà de l'Être, crée celui-ci; en constituant,pour
ce faire,- d'après la métaphysiquede la dernièredoctrine- d'un côté
ses deux moments fondamentaux,à savoir la limite et l'illimité, ou
encore l'Être et le non-Être relatifs; et, de l'autre, en les mettant -
grâce à sa puissance 1 - en contact mutuel ».
C'est justementpar ce contact que l'Être surgitdans sa totalité. En
premierlieu, les Idées, vivants intelligiblesselon l'expressiondu Tintée,
»
qui entrent, d'après le Sophiste,en mélange réciproque ; en second
lieu, l'Ame mathématique du Monde, mixte des Idées du Même et de
l'Autre * ; enfin,et en tout dernierlieu *, le Corps de l'Univers, mixte-
de l'Être des Idées (limite)et du Non-Êtrede l'Espace-Matière(illimité)'
C'est ainsi que le Bien se trouve être la Cause universelle,créant le
tout de l'Être, intelligibleaussi bien que sensible.Mais ce n'est pas tout.
Il ne suffitpas de direseulementque la Cause créel'Être. Il fautencore
ajouter qu'elle est aussi l'Être, tout en lui étant, dans sa totalité,trans-
cendante. Nous voyons,en effet,lors de l'échelle finaledes biens - vers
la fin du Pkilèbe - que le nous, synonymede l'Être et de la vérité,,
constituele troisièmemomentdu principecausal 7. Le Bien, qui d'après
le Philèbe (20 d) est autosuffisant(hikanon), est - en même temps
qu'il les crée - la limiteet l'illimités, c'est-à-direl'Être et le Non-Être
relatifs.Nous avons trouvé la meilleureillustrationde ce fait dans le
Parménideoù l'Un nous a été présenté comme étant et n'étant pas ;

1. Philèbe,30 d : Par la dynamisde la cause. A compareravec le dynaméldu bien


transcendantdans la Rénubliaue(509 b).
2. Philèbe.23 b : « Considèrela cause du mélangedes deux Dremiersgenres....»
3. Le Sophistenous a apprisque les Idées se prêtentà des mélangesréciproques
(cf.253 b : « Les genresse mélangentmutuellement » ; 259 a : « II y a mélangemutuel
des genres»). C'est la dialectiquede la mixtiondes Essencesau sein de l'Universde
l'Être intégral.
4. Timée,35 a : ... « de la substanceindivisibleet qui se comportetoujoursd'une
manièreinvariable,et de la substancedivisiblequi est dans les corps,le Démiurge
a composéentreles deux,en les mélangeant,une troisièmesortede substanceinter-
médiaire,comprenant et la Naturedu Mêmeet celle de l'Autre».
5. Le Corpsdu Cosmosa été crééaprèsson Ame (cf. Timée,34 c : « CetteAme... le
Dieu n'en a pointainsiforméle mécanismeà une date plusrécenteque celuidu Corps.
Car en le composant,il n'eût pas toléréque le termele plus ancienfûtsoumisau plus
jeune »). Mêmeaffirmation catégoriquedans les Low, X, 896 b ; 896 c : « L'âme a
existéavantle coros.»
6. Timée,48 a et suiv.
Le Corps de l'Universest le mixtedes quatre élémentsque le Démiurgea liés
par l'analogiemathématique(31 b et suiv.). Or les quatre élémentssont forméspar
l'actiondes Idéessurle réceptaclede la Matièreinforme : t ce sontles figures
ou images
des êtreséternelsque ceux-ciimpriment en elle (50 c).
7. Cf. L'Etre et la Compositiondes Mixtesdans le t Philèbe», p. 160 et suiv.
8. Philèbe,27 a : Limiteet illimiténous y sont présentéscommeétantdes espèces
de la Causalité(« ce qui est au servicede la Cause pour qu'elle puisseengendrer».
De mêmedansle Timée,l'illimitéqu'estla Spatialité-Matière seraappelécause errante).

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Causalité du bien et mélangeplatonicien

ccmmeétantl'Être,aussibienque le Non-Être absolu; alternativementl


2 8
transcendantet immanent par rapportà l'Être intégral.
Ainsi nous pourrionsdire qu'il y a non seulementtranscendance,
maisaussiimmanence du Bienparrapportaux Idées; et il en va de même
en ce qui concerneles Idées relativement aux êtresmathématiques, et
ceux-cipar rapportaux vivantssensibles.
Or,un des moments par excellencedu Bien-Causeest,d'aprèsle Phi-
lèbe, le Beau : lors de l'échellefinaledes biens(66 b), Socratenous dit
qu' « au second rang viennent la proportion, la Beauté,la perfection,
et tout ce qui est de la mêmegénération
l'efficacité ». Autrement dit,
la Beauté idéale,en tant que structure fondamentale du Bien,se situe
immédiatement aprèsla Mesure4.
Et le Banquet,allant encoreplus loin dans cettevoie, nous a décrit
le Beau commen'étantque l'autrenomdu Bien 6. Èros,amourdu Beau,
n'estau fondque le désirpassionnédu Bien•. Il appert ainsi que la
Beauté, étant l'objet par excellencede l'Amour,cause,par l'intermé-
diaireet grâceà la médiationde celui-ci,le contactde la limiteet de
de l'Être et du Non-Être,en vue de la création.Commenous
l'illimité,
le dit,en proprestermes,ce dernierdialogue,l'uniondu mâle et de la
femelleest engendrement 7.
Or,ce derniern'estque le synonyme de la création(poiêsis),équiva-
lent,commenousl'avonsvu, au passagedu Non-Êtreà l'Être8.
Et le Banquetde nous suggérer, en toutedernièreanalyse,que c'est
la Beauté qui s'avère,grâceà sa puissance,la cause universelle
terrible
de la génération ; et, par là, de l'immortalisation, dans la mesuredu

1. Cette alternance entre le Non-Être absolu et l'Être intégral, au cours des neuf
hypothèses du Parménide, a été illustrée par le schéma suivant (dans lequel figurent

Cause-Bien-Un-non-Êtreabsolu fc 5 ^^$£ mîxte absolu- Bien-Cause- 1


Js^
<T */ g. ^ non-Être absolu
1? 5? et 9? hypoth. £ ¿> 3? et 7? hypoth.
^>. j^t>

maintenant les quatre genres du Philèbe) : L'Être intégral,enveloppant la Limite (Être


relatif) et l'illimité (Non-Être relatif), se situe dans les hypothèses 2, 4, 6, 8.
2. Philèbe, 30 c.
3. Ibid., 30 a /b : la Cause nous est décrite comme étant dans tous les genres ^a
savoir dans l'in lini, dans le mixte et dans la limite) : enon.
4. Nous allons voir par la suite que Mesure et Beauté se trouvent, en réalité, sur le
même plan métaphysique. _ _ _ _
5. Banquet, 201 c : « Les choses bonnes ne sont-elles, en outre, Denes Y » ¿U4 e :
« Ou'à la place du beau, on mit le bien. » République, 531 c : « Du beau et du bien. »
6. Banquet, 206 a : la seule chose qu'aiment les hommes, c est le Bien.
7. Nous savons, d'après la table des opposés pythagoriciens,que le couple nomme-
femme (ou mâle-femelle) est l'illustration même du couple limite-illimité.
8. Banquet, 205 b : la création est « quelque chose de très vaste : quand, en enei,
il y a, pour quoi que ce soit, acheminement du Non-Être à l'Être, toujours la cause
de cet acheminementest un acte de création ». Ainsi, grâce à la Beauté, on arrive aux
confinsdu Non-Être pour toucher à l'origine de la poiêsis : fertilitédu Néant !

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A' /. Boussoulas

possible,de l'Être mortel.C'est la visionde la Beautél qui pousseles


êtresvivantsà s'unir,grâceà l'Amour,et à créerainside l'êtresensible
aussi bien que du temps.Car ce que tout êtremortelveut réaliserici-
bas n'est au fond qu'une instaurationde temporalité ; instauration
qui primecellemêmede l'existencesensiblequi n'en est que le moyen.
La naturemortelle,nous dit le Banquet,chercheselon ses moyensà
se perpétueret à êtreimmortelle.
Or, le seul moyendont elle disposepour cela c'est de produirede
l'existence,en tantque perpétuellement, à la place de l'êtreancien,elle
en laisseun nouveauqui s'en distingue2.
La mêmechose doit se passeraussi dans la sphèreintelligible : là,
également,les vivantsque sont les Idées entrenten communion,
poussés par une sorte d'Amourempédocléensuprasensible - grâce
justementà la puissancede la Beauté idéale du Bien. Les termespar
lesquelsundialoguetel que le Sophiste nousdécritla mixtion des Essences
sontà cet égardbiensignificatifs 8.
La naturede l'Autrenousy est présentée commel'entitéqui pénètre1
toutesles Idées6. En définitive, c'est grâceà cettepénétration, dontla
cause n'estautreque le Beau, ou le Bien,que limiteet illimitéentrent
en union,pour créer,sur le plan intelligible, la constellationde l'Être
intégral, avec l'Éternité
qui lui est inhérente•.

V. - La causalité intégrale du Bien d'après la ligne


DE LA « RÉPUBLIQUE ».

Nous venons de voir que le Bien, s'identifiant avec le quatrième


genredu Philèbe,crée,en tant que Cause,le toutde l'Être,intelligible
aussi bien que sensible.
Essayonsmaintenantde montrercette causalitéintégraledu Bien,
sous un autre angle,en nous appuyantsur les témoignages que nous
apportent les textesde la République.
Dans le VIe livrede ce dialogue,Glaucondemandeà Socratede lui
direce que peut êtrele Bien. Or, ce dernierse refusede rechercher
ce

1. Banquet, 212 a.
2. Banauet. 207 d.
3. Sophiste,254 b : « Ethéléïn ».
4. Terme de résonance erotique.
5. ibid., 255 e ; 2o9 a : « L'être et l'autre pénètrentà travers tous et se compénètrent
mutuellement.... »
C'est dans ce même univers qu'appartient le terme « oréghetaï » caractéristique
de la communion, ou participation, d'après le Phédon (74 e-75 a) : « Les égalités
aspirent (oréghetaï) à être telles qu'est l'Égal.... »
b. Banquet, 212 a : « Immortel ».

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qu'estle Bien« en lui-même » *,se limitantà décrirel'image*de celui-ci:


le Soleil.C'est en partantde cetteimagequ'il sera amenéaussi bien à
la ligne ontologiquedes quatre objets de la connaissance(VIe livre)
qu'à l'allégoriede la Caverne(VII) qui, ainsi qu'il est connu,n'en est
que le revêtement mythique.Le Bien,tel qu'il est en son essence,lui
paraîtencoreinaccessible pourla dynamisdu logos.
Pourtant,grâceà cettedoubleimage- dialectiqueet allégorique-
qu'il va donner, on arriveraà voir,nonseulement le Biendanssa nature,
mais aussi toutesa puissancetranscendante de création.
En effet,on n'a qu'à bien se penchersur cetteligne remarquable
- objet d'infinie méditation - pourse rendrecomptede la producti-
vitéexhaustivede cetteentitéqui est au-delàde l'Essence« en ancien-
netéet puissance». On y remarquera un courantontologiquecontinu
allant de la premièresection,celle des ombres,jusqu'à la quatrième,
celledes Idées et de leurlimiteextrême, le Bien. En se mouvantdans
un sens ascendant,on apercevraen imagedans chacunede ces quatre
sections,les êtresde la sectionsuivante.Plus précisément : on verra
d'abord,dans les ombresde la Caverne8, crééespar le feu,l'imagedes
êtressensiblesde la deuxièmesection,à savoirles objetsfabriqués, les
plantes,les animauxet les hommes.Et dans les ombresagitéesdu feu
extérieur 4, l'imagedu Soleil,qui coïncided'aprèsnotredialogueavec
les confinsmêmede l'Univers.
Ainsi,rienqu'en regardantdans la première section,on obtientdéjà
une vue sur tout l'Être sensible - mais d'une façontroubleet frag-
mentaire, comme en un rêve.
En passant maintenantdans la deuxièmesection- celle du Réel
visible- et, en la parcourantd'un bout à l'autre,on contemplecet
Être sensibletotal, cette fois clairement, dans toute sa consistance.
ce on
Mais, faisant, aperçoitdéjà quelque chose de plus : les structures
des êtres mathématiques, le nombre et les figuresgéométriques, bref,
les linéamentsde l'ensembledes sciences.Cependantcette dernière
visionresteencoreaussitroubleque c'étaitle cas, dansla première sec-
tion,pour les êtresdu monde visible.
En effet,déjà la perception charriedes éléments géométriques, comme
1. République,506 d /e : « Laissonslà, quant à présent,la recherchedu Bien tel
qu'il est en lui-même; il me paraît trop haut pour que l'élan que nous avons nous
porteà présentjusqu'à la conceptionque je m'en forme.»
2. Procédé typiquementplatonicien,utilisédéjà lors de la recnercnede la aeu-
nitionde la Justice(République,IVe livre).
3. Ces ombres,universivre du prisonnier souterrain,sont le produitdu melange
de la terrequ'est la Caverne(514 a) et du feu(514 b). Ces fantômes, mixteseffacés,
obscurs,imparfaits, se démènentdans la Caverne,maisonde l'Indéterminé, espace
inconsistant d'un rêvede rêve.
4. Le feu est l'image du Soleil sur la terreet, dans le cadre apparemment limité
dans lequel se placentle VIe et VIIe livresde la République,le feu se trouveêtre
l'image,non seulementdu Soleil, mais du Mondetout entier.Voir le feu c'est, en
quelquesorte,voirle Cosmos; plusencore,c'est voirl'Être et ce qu'il y a de plus étin-
celant dans ce dernier: la Cause universelle,le Bien lui-même.

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Revue de Méta. - N° 1, 1962. 6

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N. /. Boussoulas

l'on dirait en parlant le langage de la psychologiemoderne; et quant


au nombre, qui est l'essence même des êtres de la troisième section,
le Timée nous apprend que c'est la contemplationdu Ciel sensible et
de ses révolutionsqui a permissa connaissanceaux humains.
Ainsi, dans la deuxième section, on découvre déjà, confusément,la
troisième; la même chose se produisanten ce qui concernela troisième
par rapport à la quatrième.
Là aussi, dans la section des sciences,on a, au contact avec les êtres
mathématiques,une premièreaperception - mais vague et relevant
de l'état onirique 1 - des configurationsdes Idées et du Bien. Nous
dirons,par conséquent,qu'il y a un passage continude la premièreà la
quatrièmesection,un courant sans cesse ascendant de visibilitéet, par-
tant, de connaissance.

♦%

Ayant parcourula ligne de la Républiquedans le sens de la Hauteur,


descendons-lamaintenant.
Nous allons alors constater,en nous mouvant dans la directionqui
nous mène de nouveau vers la Caverne, que l'être de chaque section
créecelui de la sectionsuivante.
Pour ce faire,nous n'aurons qu'à réfléchirtout d'abord - pour plus
de facilité* - sur le segmentdu sensible,refletde l'intelligible.En effet,
il va de soi que les êtres de la deuxièmesection- les vivants sensibles
- créentavec le concoursdu feu (image fragmentéedu Soleil-Univers)■
les ombresde la premièresection.
Or, ces êtres sensiblessont, à leur tour, constituéspar les quatre élé-
ments 4 liés entre eux par l'analogie mathématique,autrementdit par
le nombre 6 ; quant à ces éléments,ils se résolventaussi, ainsi que nous
l'apprend le Timée •, en entitésmathématiques: les configurations géo-
métriquesdes triangles.
Ils sont donc situés, avec le nombrequi les lie, sur le niveau ontolo-
gique de la troisièmesection,laquelle s'avère ainsi constitutivedes êtres
de la deuxième- qui n'en est, en somme,que la simpleimage. Passons
à présentà la quatrièmesectionet étudions-ladans ses rapportsavec la
troisième.Ici encore,il est facile de voir que cette quatrièmesectionest
la sourceet le fondementde la troisième.

1. République,533 b /c : si les mathématiques(à savoir « la Géométrieet les arts


qui s'y attachent>) « saisissentquelque chosede l'Essence », pourtant,c leurconnais-
sance de l'Être ressembleà un rêve » ; c'est qu'elles sont « impuissantesà le voiren
pleinelumière».
2. Fidèles en cela à la méthodeplatoniciennemême.
3. Ce feulointainet infinique sontles constellations du Cosmos....
4. Philèbe,29 a /b; Timée,31 b et suiv.
analogie...nombre....»
5. Timée,31 c : « Lien... synagôgon...
6. Ibid., 53 c et suiv.

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En effet, il est évidentque les êtresscientifiques de la troisième sec-


tion ont le nombrecommeessenceK Or, le nombre,qui n'est autre
que la troisième substanceintermédiaire}1, est né dans l'âme du Monde
par la mixtiondes Idées du Mêmeet de l'Autre; qu'est-ceà diresinon
que le nombredoit son êtreaux entitésintelligibles appartenantà la
quatrièmesection?
Il en ira de mêmepourles configurations géométriques - les triangles
-
et les solidesqui en résultent crééesà la suitede l'adjonctionde l'Être
des Idées (Limite)au non-Être• de l'Espace-Matière(illimité).Ainsi
le mélangedes Idées, créateurde l'âme universelle, fondeaussi, par
l'intermédiaire et grâceà la médiationde cettedernière 4, les triangles
et, partant,toute la série des figuresgéométriques.
Or, la mixtionde l'Idée du Mêmeet de l'Idée de l'Autrese réalise
grâceà la puissancedu Bien-Démiurge* du Timée; celui-cimet ces
deux Idées en contactet les lie d'un lien indissoluble, donnantainsi
naissanceà toute l'arithmétique savante que comportela structure
internede l'Ame. Nous dirons,par conséquent,que tout commedans
la deuxièmesectionles vivantssensiblescréaientles ombres,grâceà
la lumièredu Soleil•, de mêmeici,dansla quatrième section,les vivants
-
intelligibles que sontles Idées - instaurent les êtres mathématiques
à causedu lien7 qu'estla lumièredu Soleilsuprasensible du Bien.
Maisce n'estpas tout.
De mêmeque le Soleildansla deuxièmesection,et à la limitede celle-
ci, est la cause de la génération des vivantssensibles,de mêmele Bien,
aux confinsde la quatrièmesection,engendreles vivantsintelligibles,
les Idées. Ce qu'exprimejustement la République(509 a) par la phrase:
« De mêmepourles objetsconnaissables, tu avouerasque nonseulement
ils tiennentdu Bienla facultéd'êtreconnus,mais qu'ils lui doiventpar
surcroîtl'existenceet l'essence.»
II y auraitcependantlieu ici à l'objectionsuivante: puisquele Bien
crée les Idées, il devrait,d'aprèsla structure mêmede la lignede la
République, être situédans une section supérieureà la quatrième, disons
dans un cinquièmesegmentde cetteligne.
Ce que l'on pourraitrépondreà pareilledifficulté seraitque le Soleil,

1. Philèbe,55 c : « Si, par exemple,on écartaitde tousles artsce qu'ils contiennent


de sciencedu nombre(arithmetikê), de sciencede la mesure,de sciencede la pesée,
ce qui resteraitde chacunserait,pourainsi dire,nul. »
2. Ainsique le relèveLéon Robin(La Theorieplatonicienne des IdéesetdesNombres,
p. 487 et suiv.).
3. Nous avons déjà essayé de montrerque la nature de la spatialité-matièreest
quelque chosede trèsanalogueà l'Idée du Non-Être.
4. Ainsique nousle verronsen détailpar la suite.
5. Cf. notretravailsur1b,treet la Composition des mixtesdans le « Philèbe», p. 54
et suiv.
6. Le Xe livrede la Républiquenous dit que la lumièreest un lien céleste(Mythe
d'Er le Pamphylien, 616 c).
7. Phédon,99 c : le Biennousest présentécommele liensuprime.

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N. I. Boussoulas

imagedu Bien,quoiquecréant(d'aprèsla République) les êtressensibles,


n'enest pas moinssituédansla mêmesectionque ces derniers.
Le Soleil, bien qu'il ne soit pas genèse,d'après le mêmedialogue,
prend place toutefoisdans le segmentde la génération ; de mêmele
Bien,qui n'estpas être,se situedansla sectionde l'Essence.Par ailleurs,
noussavons,d'aprèsle Tintée, que le Soleilestengendré - avecles autres
-
corpsstellaires par le Démiurge, faisantainsipartieintégrante de la
genesis; de leur côté,le Parménide et le Philèbenousont apprisque le
Bien-Unest,qu'il est aussi êtreet esprit.Nous dirionsainsi,en défini-
tive, que les êtresde chaque section,en se combinant, c'est-à-direen
se mêlantréciproquement, créentles êtresde la sectionsuivante(dans
le sens descendant).
Dans la sectionn° 4, les deux groupeslimiteet illimité,auxquelsse
partagent les Idées- en l'occurrence, l'Idée du Mêmeet l'Idée de l'Autre
- se pénètrent mutuellement, instaurant ainsile nombre, êtrepar excel-
lencede la troisième section.Les Idées,en continuant à se mêlerau Non-
Être de la Matière,nous donnentles triangleset les autresconfigura-
tions géométriques, produitsdérivésdont la sourcepremièreremonte
aux Figures Idéales (Géométrieméta-mathématique des Essences
absolues).
Dans la troisième section,maintenant, les figuresgéométriques en se
combinant produisent - avec le concours du nombre qui les lie - les
corps des vivants inférieurs, êtres de la deuxième section. Enfin, dans
celle-ci,les vivantssensibles, en se mélangeant avec la lumièredu Soleil
- ou du feu- créentles ombresde la première.
Notonsque les produitsdes combinaisons sontinfiniment plus nom-
breuxque leursconstituants. Ainsi,par exemple, les ombres d'un être
sensiblesonten trèsgrandnombreen comparaison de l'unicitéde cet
être; de mêmeles êtres sensiblespar rapportaux structuresgéomé-
triquesde la conjonction desquellesils dérivent.
Il en va pareillement des êtres mathématiquespar rapportaux
Idées, et des Idées relativement au Bien-Un.Et tout comme,dans la
quatrièmesection,le Bien produitles Idées - situéesdans la même
sectionque lui - offrant ainsil'imagela plusclairede la continuité de
la créationà l'intérieur d'un mêmesegmentde la ligne,de même,dans
la troisième section,les configurations géométriques et toutela géomé-
trie(aussi bien d'ailleursque les relationsnumériques et l'arithmétique
tout entière)se construisent d'une façoncontinuepar combinaison des
êtresmathématiques les plus simpleset, partant,supérieursqui leur
serventde base. De la mêmesorteaussi,dans la deuxièmesection,les
vivantssensibless'unissent, créanttoutela sériedes êtresqui habitent
cettesection- ainsique les ombresde la première.Enfinces dernières,
en se mêlantà leurtour,tissentla gammeinfiniedes fantômes, de plus
en plus obscurset compacts,de la Caverne.Nousremarquons ainsique

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le mélange,à l'intérieur de chaquesection,a au fondle mêmeeffetque


la divisionet le morcellement : il pluraliseles étants.Les êtresse multi-
plient,grâce à la mixtion, et nous pourrions peut-être voirlà la double
fonction que comporte la Cause : unir en même temps que diviser,mettre
en contactlimiteet illimitépourles séparerde nouveau,faisantainsi
jaillir un nouvel être,produitde cette union : le mixte,enfantdu
MélangeK
C'est ce secondaspect de l'opérativité causale qui établitla gamme
des spécificités, avec toutela discrimination et la ségrégation des indivi-
dualités.C'est ainsi que toutle long de la lignede la Républiquenous
assistonsà une sérieinterminable qui comprend autantde mélangeset
de mixtesque de discontinuités et de coupures2.
En somme, et pourrécapituler nosconsidérations jusqu'ici,nousdirions
que, dansla lignede la République, c'estle Bien qui créeles Idées ; qua-
trièmesectionqui se constitueelle-même : noussommesdans la région
de l'anhypothétique. Ce mêmeBien instaure,grâceà la médiationdes
Formes,non seulementle nombreet tous les êtresmathématiques et
scientifiques de la troisièmesection,mais aussi,par l'intermédiaire de
ces derniers, les êtreset les ombresde la deuxièmeet de la première sec-
tion.Bref,le Bien créele tout de l'Être intelligible aussi bien que sen-
sible,conclusion à laquellenous étionsarrivésdéjà au coursde ce tra-
vail. Nousavonsici,avec la ligne,l'imagemêmede ce principesuprême
dans toute sa créativité.
Or le rythme de celle-cine peutêtreautreque celuide la progression
et de l'analogiemathématiques. En effet,la Républiquenous a appris
que les quatresegments doivent être rangés« ana logon» * ; car « ce que
l'essenceest par rapportà la génération, l'intelligencel'est par rapport
à l'opinion,et ce que l'intelligence est par rapportà l'opinion,la science
l'est par rapportà la foi,et la connaissance discursive par rapportà la
conjecture » *.
Par conséquent, en appelanta, byc, d les quatresectionsde la ligne,
nouspouvonsécrirela formule suivante:
a __ b c a i b ,. c • d
= = I II I
b c d
analogiquedu Bien démiurgique.
qui exprimela structure

1. Dans le Philèbe,nous remarquonsune sorte de complémentarité entrel'union


et la division: la constitution du mélangeimpliquela division,celle-ciétant suivie,
à son tour,de mixis.Ainsi,par exemple,l'adjonctiondu nous au plaisirnous fait
obtenirles scienceset les arts ; autrementdit, cette adjonctionéquivautà une divi-
sion de l'esprit,puisqueles scienceset les artsen sontdes espèces.
2. Parmilesquellesquatre sont les plus importantes ou, pour employerune termi-
nologiemathématique, les plus singulières: les quatre pointsdélimitantles quatre
segments de la ligne,c'est-à-dire les confinsdes quatre ensemblesdifférents,consti-
tutifsde la Mixtionintégrale.
3. Républiaue.VI. 511 e.
4. République, VII, 534 a (« analogie »)•
Cf. notre travail sur YÊtre et la Compositiondes mixtesdans le « Philèbe », p. 167.

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N. I. Boussoulas

Nous dirionsainsique le courantcontinude naturemathématique et


de la
métamathématique genesisuniverselle, déploiementtotal de l'être
intégral,est tel que chacunde ses produitsest un moyentermeentre
le termequi le précèdeet celui qui le suit. Ce courantde génération
ininterrompue va de l'unitédu Bien jusqu'à l'infinité du termedernier
qu'est l'universdes ombres.
Ainsique nousl'avonsvu, en effet, les produitsde la mixtionsont,à
chaque fois,en plus grandnombreque leursconstituants. Nous aurons,
d'unpointde vue quantitatif : a > b> c > d 1
et, à la limite,d - le dernierterme- seral'absolument Un, sourcede
tout l'infini.
Nous pouvonsvoiraisément,par là, que noussommesplacés,avec la
lignede la République, devantle mêmeproblèmeau fondque celuique
nous présentele Philèbe: à savoirla divisionde l'Un-multiple-illimité
en ses espèceset l'obtentiondu nombreessentielqui le caractérise ".
Or cet Un-infini est ici le Bien lui-même. Ce Bien,que Socraterefu-
sait toutà l'heureà définir, vientjustementd'êtredivisé,par le même
Socrate,en ses espèces - et le nombreessentielqui le caractérise a été
établi.Ce nombre n'est que celui des quatresegmentsontologiques de
des
la ligne,c'est-à-dire quatre intervalles
•, ou modes de connaissance
- nous,dianola,pistis,elkasia4 - par lesquelsnoustouchonsle tout
de l'Êtreoù noussommesde touteéternité plongés.
Nous pouvonsainsi dire que la lignede la Républiqueest celle des
divisionsdu Bien lui-même 5. Chacune,en effet,des sectionsde cette
ligne ne faitque représenter Vagathon, vu chaquefoisà traversl'organe
de la connaissancecorrespondante. Ainsi,par exemple,la sectiondes
ombresest celledu Bien et des Idées aperçuspar Velkasia,c'est-à-dire
par l'ignorance e.
De même,la sectiondu mondesensiblen'estque l'imagedu Bien. Le

1. C'est ce qu'exprime le texte de la République (509 d) par le mot anisa. Nous


sommes, à ce sujet, contre l'interprétation de Stallbaum, Richter et Dümmler qui
lisent isa ou an' isa ; nous adoptons celle de Schneider, Steinhart, Adam en spécifiant
que les segments doivent devenir de plus en plus petits à mesure que Ton va vers
l'intelligible pur. (Cf. République, p. 140-141, n. 2.)
2. Philèbe, 18 a /b : « De même, en eilet, que prenant une unite quelconque n ne
faut pas, disions-nous,porter aussitôt le regard vers la nature de l'infini,mais plutôt
vers un nombreprécis, de même et inversement,lorsqu'on est forcé de prendre comme
début l'infini,ne faut-il pas aller tout de suite à l'Un, mais cette fois, encore, à un
nombrequi offreà la pensée une pluralité déterminée,et n'en venir finalementà l'Un
qu'après avoir épuisé tout l'ensemble. »
3. Philèbe, 17 c/d : intervalles qui determinem íes comoinaisons.
4. Il y a correspondanceparfaite entre r ontologique et le gnoseoiogique, entre intre
et l'Esprit. . m^m _ „
5. Ainsi que nous avons tâché de le montrerdans lüfre et la compositionaes mixtes,
les quatre segments de la ligne de la République peuvent être considéréscomme l'illus
tration des quatre genres du Philèbe : Cause, limite, mixte, infini(p. 47).
d. Ignorance qui, d après oocrate, est le mai lui-même, iu mccuuticcicne sigmumn,
au fond, que le fait d'ignorer le Bien. C'est ainsi que le Phédon (97 d) nous dira que
le Bien etle Mal sont les objets d'une même science. Ibid., 98 b : « Afin d'être au plus
vite instruit du meilleuret du pire. »

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Soleilet,en général, le Cosmosne sontau fondque Vagathon appréhendé


par nos sens limités. Le même Soleil-Cosmos, examiné par les yeux de
la dianola,c'est-à-dire de la réflexion scientifique,se résout en toute une
série de rapportsphysico-mathématiques ; contemplé,enfin,par les
yeuxde l'intellection pure(noêsis),il s'avèrel'Idée des Idées. Ses cons-
tellationsvisiblesne sont autresque les constellations intelligiblesdes
Formesimpalpables,essencesvivanteséternelles, mal vues ici-bas.De
mêmeencore,la sectiondes êtresmathématiques est celle des Idées et
du Bien- aperçusd'unefaçontrouble,dans un état de mi-éveil.
C'est en ce sens,pensons-nous, qu'il faudraitrelirela phrasesignifi-
cativede la finde la deuxièmehypothèse du Parménide concernant l'Un-
Bien (lorsde son immanence dansl'Être) : « II peut...y avoir,de lui,et
scienceet opinionet sensation,puisqueaussi bien nous-mêmes, présen-
tement,ne laissonspointde mettreà l'œuvre,à son sujet,toutesces
manières de connaître » (155 d). Et la tâchedu purphilosophe consistera,
au fond,à éliminer les modesinférieurs de la connaissance, pourse can-
tonner,grâce à la techniqued'un isolementdialectique,dans le seul
modereprésenté par la sciencesuprême.
C'estpourcetteraisonjustementque Socrate,dans le livreVII de la
République, parlantde l'Arithmétique, de la Géométrie, de l'Astronomie
et des autres sciences destinées à être inculquées au futur gardiende la
Cité, nous dit que ce dernier doit s'y appliquer de son mieux afinde voir,
à traversleurslinéaments, le Bien lui-même x.
A notresens,on commetla pire naïvetéen interprétant ces indica-
tions de la Républiquecommedes critiquesd'ordrenettement épisté-
mologiqueet techniciste, adresséepar Platonaux savantsde son temps.
Tout le livreVII relatifaux sciences- toutaussi biend'ailleursque
le livreVI - ne concerne essentiellement que la sciencesuprêmedu Bien.
C'est ainsi qu'en plein chapitresur la Géométrie *, Platon nous dit
« qu'il fautexaminersi le fortde cettescienceet ses partiesles pluséle-
vées tendentà notreobjet,qui est de fairevoirplus facilement l'Idée
du Bien», objetque l'âme « doitcontempler à toutprix».
Cettefaçonde parlerne conviendrait guèreà celuiqui se limiterait à
fairedes reprochesou des observations d'ordrepurementméthodolo-
gique - toutesrégiespar la « techniquede l'isolement » * - aux spé-
cialistesdes différentes disciplinesscientifiques.
Nous dirionsainsi, en définitive, que le Socratede la République,
caché derrière l'écrand'une ironiesuprême,ne croitau fondqu'à une
seulechose: le Bien-Un-infini qui crée,en tantque promoteur universel
des mixtions, le toutde l'Être.

VII, 526 e.
1. République,
2. Ibid.
.
3. Selonl'expressionheureusede GastonBachelard(Le nouvelnspnt scientifique)

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VI. - La nature du bien-soleil intelligible.

Dans les pages qui ont précédé,nous avons passé en revue,grâceà


l'analysede cet incomparable spectroscope dialectiquequ'estla lignede
la République, la procession totale de l'Être, depuisl'Un suprêmejus-
qu'à l'infinides ombres- déploiement dernierde Vagathon.
Nous y avons,en d'autrestermes,envisagéla créativitéprogressive
et exhaustivedu Bien afind'êtreà mêmede détecter, d'une façonplus
sa
efficace, structure, ainsi que celle de certainesrégionsspécifiques du
Réel, déterminantes par rapport à la constitution du Monde physique.
Par cetteanalyse,que nous avons voulu la plus détailléepossible,
la lignede la Républiquenous est apparuecommel'histoiremétaphy-
sique mêmede l'ensembledes aspectset des phases que présentele
Bien, selon qu'il est vu avec plus ou moinsde clarté.Car c'est cela
qu'exprimeau fondla phrasedu VIe livrede ce dialogue: « Range-les
(à savoirles quatresectionsontologiquesde la ligneavec les quatre
opérationsintellectuelles qui leur correspondent) par ordrede clarté,
en partantde cetteidée que plus leursobjetsparticipent de la Vérité,
plus ils ont de clartéK »
Nous voyons,de la sorte,que le déploiement total de l'Essenceest
fonctionde la clarté(ou lumière)émanantdu Soleil suprasensible du
Bien,dontl'étudeplus approfondie faitl'objetdes pagesà venir.
Or, dans notreessai sur YÊtre et la composition des mixtes2, nous
avionsessayéde montrer le
que principe causal des Mixtions - à savoir
-
le Bienlui-même étantla transposition du feu,n'estdans son essence
qu'un feu, qu'un Soleil intelligible 8.
Mais nouspouvonsarriverau mêmerésultaten nousréférant au pas-
sage 16 c du Philèbequi nousdit que le don suprêmede la Dialectique
(qui n'estautreque la sciencemêmedu Mélange)est un présent« venu
des dieuxaux hommes», « lancé qu'il futdu haut des régionsdivines
par quelque Prométhée, en mêmetempsque le feule plus éclairant.»
il
A notreavis, y auraitdans ce passageune comparaison - présen-
tée, pourtant, d'une façon si fine qu'elle risque passerinaperçue-
de
entrela dialectique,comportant la doubleopérationde rassemblement
et de division,et le feuqui,lui aussi,lie et divise4.
Mais ce n'estpas tout.
Ce feu,ainsique nousle suggèrele textedu Philèbe,est le feupromé-
théenlui-même, symbolede la causalitéde toutemixtion.Pour détecter
la natureprofonde de ce feu,on n'a qu'à se référer, dès lors,au Promé-

1. République,511 e.
2. P. 38 et suiv. (en nous aidant de ¡analogie existantentreles quatre éléments
et les quatregenresau Philèbe).
3. Analogueau feu-logos-un d Heraclite.
4. Cf.L'Etreetla Composition desmixtes, p. 40.

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théed'Eschyle: on y voit la description d'un feuastronome et mathé-


maticien, facteur
efficace d'omniscience 1.
Avant le feu,nous dit le Prométhée, les hommesétaientprivésde
raison.Prométhée, grâcejustement à la flammedérobée,leur enseigne
le nombre,l'astronomie,les lettresassemblées; tous arts qui rentrent,
d'aprèsle Sophiste(253 a /b) et le Philèbe(17 b/18c) 2, dans la caté-
gorie des sciencesrelevantde la compositiondes mixtes,Prométhée,grâce
à la vertumagicienne de cet agent brûlantdes mixtions,apprendaux
humainsl'agriculture, la navigation,la médecine(art par excellence
du Mélange: noterle mot« crases»), la divination : en somme,tousles
artset toutesles industries 3.
Ainsila flamme, cause de liaisonet de division,et, par là, sourcede
l'instauration de toute mixis,s'avèrel'originede cetteviolence-effica-
cité sachantequ'est l'Artpleinde sagesse*.
Nousdirons,par conséquent, que le feuprométhéen, auquel faitallu-
sion le passagedu Philèbey n'est riend'autrequ'un feu spiritueldont
la structure interneest cellede la sagesse: il est,par là, l'incomparable
brasseurdes mélanges,au mêmetitreque le nousanaxagoréen.
Ce derniernous est décrit,par le Cratyleplatonicien,commeune
sortede feu subtil,rapide5 et pénétrant (dialon), synonyme du juste
«
(dikaion), qui, indépendant, sans aucun mélange » ordonne toutes
en
choses parcourant tout •. On peut direque l'esprit chez Anaxagore,
dontl'œuvreest cellede la justice- c'est-à-dire, pourparleren termes
la miseen ordre,la hiérarchisation et l'harmonisation 7-
platoniciens,
accomplit, tel le feumathématicien de Prométhée, la diakosmêsis grâce
à des divisionsininterrompues et infinitésimales...8.
Il est l'artistepar excellencede la mixtion,descendantpar un pro-
cessusde reversion dans ses propresgouffres internes- autrement dit
au sein de l'infinidu Mélangeprimitif, qui n'est que son autre aspect
- pour tirer,de cettedescenteaux Enfers,les formeset les modes,
réalisationterminaleet suprêmeéquilibrede son essence». Or ce feu
spirituel estle technicien promoteur des mélanges au mêmetitrequ'Éros
dans le Banquet.Le discoursdu médecinEryximaqueest, à cet égard,
des plussignificatifs 10.Il nous dit qu'Éros,dans l'élan de sa flamme.

1. Prométhée,p. 252-254.
2. Dialogues faisant l'apologie, par excellence, du Mélange.
3. Prométhée,p. 477 : « Porous ».
4. Protagoras, 321 d.
5. Cratyle,412 d : « Infinimentrapide et subtil ».
6. Ibid., 412 d.
7. République, IV, 441 e et suivant.
8. Pour toute la puissance de coupureque possède le feu, cf. la descriptiondu 1 imée,
61 d /62 a.
9. Il y a une corrélation profonde entre ce feu artiste (tekhmkon) qu'est le nous
et le soufflecréateur dans l'Art. L'organisation cosmique est un processus esthétique
en même temps qu'ontologique. C'est grâce à cette élaboration de l'infini par l'un
du nous que surgitla statue de l'Être et du Cosmos.
10. Banquet, 186 b /188d /e.

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N. L Boussoulas

tel le feuprométhéen, est le pèresavantdes mixtions et, par là, de tous


les arts: de la médecinel, de la gymnastique *, de l'agriculture % de
la musique4. En sommel'Amour,dieu des unions,produitun aussi
grandnombrede scienceset d'arts que la sagessedu feu prométhéen
que nous venonsde comparerau nousd'Anaxagore.
Èros,coïncidantavec sa flamme, agit tel le feumêmeou l'esprit.Il
est ainsi,en tant que feuspirituel, le granddépositaire de la sagesse*,
le révélateur par excellencedes structures les plusprofondes des sciences
et des arts- enfantsde la crase.
Dans le Philèbe,ce feu intelligible qu'estla Cause ne faitque repré-
senterle nouse, qui correspond à l'art de la dialectique7 suprême:
celui de la combinaison des mélanges,d'une part - c'est la fonction
de la
syncrétique la Cause, synagôghê ; et, de l'autre,celuide la division,
de la dichotomie et de l'énumération des intervalles et des nombrescri-
tiques des ensembles - c'est la fonction diacritique la Cause,la divi-
de
sioncorrespondant à la voie qui mèneversle sensible.
Dans YÊtreetla composition des mixtes 8,nousavionsessayéd'établir
le
que cinquième genrecoïncidait, en dernière analyse,avecle quatrième ;
que, par conséquent, la Causalité une, en tant que la poétiquesuprême
dontnous a parléle Sophiste,jouait simultanément le rôle d'agentde
liaisonsaussi bien que de discriminations.
CetteCausalité,étantéminemment créatrice(Philèbe,27 b : démiur-
on
gique), peut dire que la création du Réel,qui est son œuvre,consiste
- toutcommela dialectiquequi lui correspond - en un processus alter-
natifd'unionset de séparations.Car qu'est-ceque la synagôghê sinon
l'adjonction de l'illimité à la limite •, autrement dit la participation du
multiple à l'unité de la Forme ?
La participationplatoniciennen'est, au fond,qu'un processusde
fondement, d'instauration ontologique à partirde la multiplicité infinie.
C'estainsique la dialectique, dontla synagôghê représente l'un des deux
moments,correspond à la vibrationmêmedu Réel qu'elle prospecte.

1. Banquet.186 e-187a : « La médecine...est tout entièrerégiepar le dieu Eros. »


2. Ibid.y186 e-187a : « Le cas est le mêmepour la gymnastiqueet pourl'agricul-
ture. »
3. Ibid.
4. « Quant à la musique...son caractèreest identiqueà celui de ces autresarts »
(ibid.). Plus particulièrement, en ce qui concernece dernierart, le Banquet,187 c,
nous dira qu'il est « la scienceerotiquede l'harmonieet du rythme» ; car l'Amour
est accompagnéd'omonola(187 c), entitétrèsprochede la t symphonie» et de l'har-
monie(188 a : « Harmonieet crase >).
5. ChezHeraclite,le logos,synonyme de l'espritet du sage,est le feului-même.
6. Philèbe,30 c.
/. Dialectique: art au dialogue,inouspensonsque îe mot aiaiogossuggérerait que
le logos,tel l'esprit-feuomniscient,pénètre(dia) les âmes,en y instaurantla cosmi-
cité philosophique.
8. P. 68 et suiv.
y. i^a limitecomportecette lonctionue liaison grace a îaqueue se realisei inter-
dépendancedes partiesau sein de toutbon mélange(cf. Philèbe,27 d : « Tous les illi-
mitésliés ensemblepar la limite») [Ibid., 18 c : i lien ».]

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Causalité du bien et mélangeplatonicien

Mais,d'un autrecôté,la constitution de celui-cicomportetouteune


sériede divisions.Lorsquele Démiurgedu Timéecréel'Univers,il ne
faitautrechose,au fond,que procéderà unesuitede coupures: ce sont,
en langagedu Philèbe,les genéselsels ousiansuccessivesrésultantde la
fragmentation et de la spécification de l'Ontologique1 : âme du Monde,
corpsdu Monde,âmes et corpsparticuliers, partiesde ce Monde.Ainsi
la dialectique,dans son doubleprocessusde synagôghé et de division,
correspond - au même titre que la voie en haut et en bas héraclitéenne
- au rythme mêmede l'ensemblede la Création.
Et c'est justementla connaissancede ce feu intelligible qu'est la
Cause, ou le Bien *, qui devientla sourcede toutedialectique,consti-
tuantce que le Philèbeappelle« la voiela plus belle» s : à savoirla voie
royalede l'intellection, à trouver4,qui en traversant
si difficile l'ensemble
-del'Ontologiqueet en instaurant, grâceà cettetraversée, les sciences
et les arts - qui sont autant d'échelonset d'intermédiaires - rend
toutechosevisible6.
En somme,la connaissancedu Bien, feu créateur,Soleil de la révé-
lationabsolue,constituera la Sciencedéfinitive. PourtantcetteScience
ne s'acquiertpas à froid, ellese refuse, malgréles apparences, à se laisser
résumeren une formule rapide,vu qu'elle ne relèvepas exclusivement
de la simplelogique- qui peuttrèssouvent,par contre,constituer le
plus grandobstacleà son expérience vécuee.
En effet, chaque foisque le Bien est considérédans une perspective
purement abstraitequi néglige, par conséquent, sa structuredynamique,
il s'appauvrit,il s'atrophie: son aspect d'infinitudeabsolue disparaît
et il devient,dès lors,impossible de saisircet Infinicommen'étantque
l'autreaspectde l'Un lui-même.
Ce n'est qu'en étudiantces pointssinguliersde la proximitéimmé-
diate du Bien, que sont les Idées dans leur dynamismeintrinsèque,
<jueTonpeuts'apercevoir de toutela tensionque leurconfère leursource

1. Timée,36 a. , _
2. Cf. Lettre,VII (341 c/d) qui met en parallèlela connaissanceau cien avec le
jaillissementde la flammedans les tréfondsde l'âme. C'est à la suite de ce passage
que Platon nous parle des modesde la Connaissance.
3. Philèbe, 16 b : l'art de la composition des mixtes consume ia « pius uene vuic
possible ».
4. Ibid. y16 c : « Bien des fois déjà elle m'a fui et m'a laissé sans guide et sans issue »,
confesse Socrate.
5. Ibid., lbc: « Tout ce qu'on a jamais pu inventeraans îe aomaineue i aru,c e&i
par cette voie qu'on l'a découvert» (phanera) [cf. le Prométhée: « Je leur rendis clairs
les signes de flammejusque-là enveloppés d'ombre »]. Nous avons là le thème majeur
des phanères- ainsi que des adèles - explicitement formulédéjà par le fragment21
d'Anaxagore : « Ce qui se montre est une vision de l'invisible » (cf. le travail si péné-
trant de M. P. M. Schuhl : Adèles et Phanères, Annales de la Faculté des Lettres de
Toulouse, 1953).
6. La Lettre,VII, nous dit expressément que le Bien n'est pas comme les autres
sciences discursives (341 c/d) ; car il est expérience vécue, essence de toute une vie
<le méditation et de contemplation (ibid.). Il se révèle dans l'instant foudroyant de
l'instantané (341 d).

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N. I. Boussoulas

dans le champfonctionnel de l'Être intégral.Les Essencesnourries par


la flammesuprêmede Vagathon, sont des structures et brû-
efficaces
lantesqui ne se manientpas gratuitement : leurêtreest commeune par-
celledu Soleil.On en comprend bienplus facilement l'aspectapollinien
et plastiqueque celui,musicalet dionysien, que comporte leurgrandeet
uniquesymphonie l.
Or c'est là que se cache l'intensité, la tensiondes Idées ; telles des
colonnesde lumière,ellesse meuvent,verticaleset célestes,en cortèges
d'un dynamismemagiciendans le Parthenonmusicaldu Bien, dans
l'Universsymphonique du Mélangeintégralet parfait2. Et le Bien,
Idée des Idées,est le summum mêmede cettetension-procession. Étant
à la limite,il impliquel'antinomie, la lutte-harmonie des extrêmes ; il
estl'Un-infini,l'Un qui estle toutde l'Être- et qui n'estrien: le néant
absolu,l'infinidu Non-Être.
Étant à l'origine,il est l'inconditionné et l'absolu- toutce qui est à
l'origineesttel. Et étantmaximal,il explose,tel le Soleilet la Foudre%
à cause de sa superlativité même; et c'est de cetteconflagration que
jaillitle multipleinstantanéde la créationet de la connaissance.

VII. - L'axiomatique platonicienne.

Nousvenonsde voirque le Bien,Causeuniverselle, en tantjustement


crée
que Soleilintelligible, la des
totalité scienceset des arts.
Nous nous proposons maintenant d'étudier de plus prèsla structure
de ces voies de connaissance - pourreprendre formule
la heureusede
M. P. Kucharski4 - en fonction de la dialectiquedu Bien et des Idées
qui en dérivent.
Noussavonsque chaquesectionde la lignede la Républiqueest,lors-
qu'onse meutdansle sensascendant, à savoirl'imageobscurcie
le reflet,
et défigurée,de la sectionsupérieure la
qui produit.
Ceci veut dire qu'en regardantdans la troisièmesection(celle des
êtresmathématiques), on voit en déformation intel-
les configurations
des
ligibles Essences éternelles.
Les mathématiques, en d'autrestermes,sontles ombresdes Idées et

1. Synonymede la Philosophiemême,d'aprèsPhédon,61 a.
2. L'Etre intégraldu Sophistese présente,dans la constellation de sa mixtionHar-
monieuse,sous l'aspect d'une symphonie dans laquelle les accentsseraientles Idées.
Cf.253 d : « Une formeuniquedéployéeen toussensà traversune pluralitéde formes
mutuellement qu'une formeuniqueenveloppeextérieurement
différentes, ; une forme
uniquerépandueà traversune pluralitéd'ensemblessans y rompreson unité; enfin
de nombreusesformesabsolumentsolitaires.»
3. Dans notreétude sur le Mélangehéraclitéen(Essai sur la structure du Mélange
dans la Pensée Présocratique, Revuede Métaphysique et de Morale,juillet-septembre,
1955,n° 3), nous avionsessayéd'établirque la foudrechez l'Éphésienest l'acmé de
le sommetdu « cheminen haut » (ou synagôghê
la verticalitédu logos-feu, en termes
de Platon).
4. Cf.Les cheminsdu Savoir dans les derniersdialogues de Platon.

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Causalité du bien et mélangeplatonicien

nous dironsainsi que les mathématiciens - et les savantsen général


- voientl'Être mal,d'une façonobscure,qui relèvepresqued'un état
onirique.La Républiquel nous apprendra,à cet effet,que la connais-
sance que les mathématiciens ont de l'Être ressemble « à un rêvequ'ils
sontimpuissants à voiren pleinelumière».
Les sciencesmathématiques sonttroppleinesde pénombres - elles
ne sontpas encorela Science: « Si l'on prendpourprincipeune chose
que l'on ne connaîtpas, et que les conclusions et les propositions inter-
médiaires soienttisséesd'inconnues, on peutbienmettretoutcela d'ac-
cord,maison n'enferajamais une Science2. »
On est là devantdes obscurités bienorganisées, devantdes techniques
<l'ombres dontle typenousestreprésenté parcettephysiquedesténèbres
que les prisonniers cultiventdans la Caverne8.
Nouspourrions de la sortedireque ces techniciens que sontles mathé-
maticiensne voient,au fond,que les empreintes de l'Être. C'est ainsi
que, d'aprèsVEuthydème 4, les géomètres, les astronomes, les calcula-
teursqui se livrentà la recherche des figures,ne saventpas au fond
les utiliser,« maisseulement leurdonnerla chasse». Aussiles remettent-
ils aux dialecticiens,pourqu'ils tirentpartide leurstrouvailles
« ».
Or, il est certainque dans cetterecherche, les dialecticiens traiteront
les configurations mathématiques à leur juste taille : à savoircomme
des ombreset des imagestroubleset défigurées des Idées - ou, ce qui
revientau même,de l'Être et de la Vérité qui lui correspond.
Par conséquent les dialecticiens nousinterdiront de considérer la con-
naissancemathématique comme une discipline touchant la vérité abso-
comme un intermédiaire 6 entre la Vérité -
lue, maistout simplement

1. 533 c.
2. République,533 c. .. .. . .
3. Ibid., 516 d : « Celui qui discernait,de l'œil le plus pénétrant,les oDjets qui
passaient,qui se rappelaitle plus exactement ceux qui passaientrégulièrement les
premiers ou les derniers,ou ensemble,et qui, par là, étaitle plus habileà deviner celui
qui allait arriver....»
^^ *"^^^ *

of ideas (p. oy et suiv.;,penseque


* •

5. Sir David Ross, dans son livre: Flatos theory


■--.« #»■ t ^ /» * « '

les Mathématiques, êtresde la troisièmesection,ne sontpas des intermédiaires entre


le sensibleet l'intelligible,mais des Idées : les Idées mathématiques, inférieures aux
Idées moraleset esthétiques(qui constitueraient les êtres de la quatrièmesection).
« en
« Les Idées éthiques», écrit-il, sont rapportDeaucouppius eiroit ei ouvie avec
l'Idée du Bien que les Idées mathématiques ».
Il nous sembleque cette vue contredittout d'abord tout ce que nous dit un dia-
logue tel que le Gorgiasau sujet de Végalitégéométrique, entitéqui, malgrésa réso-
nance mathématique, se confondavec la Justice,réalitééthiquepar excellence.En
second lieu, le Phédonnous déclareque Yégal-en-soi est parmiles êtresintelligibles
qui représentent le mieuxle mondedes Idées ; quant au Sophiste, il nousapprendque
les Idées de l'Être, du Même,du Repos, du non-Être, de l'Autreet du Mouvement
- Idées qui ne sont pointéthiquesou esthétiques- prennentplace parmiles Idées
les plus hautes.
Gommentadmettre,par ailleurs,que seules « les Idées inférieures impliquentle
nombreet l'espace » (p. 64), du momentque le Parménide(2e hyp.) nous a montré
que la spatialité(figureet location)trouveplace au sein mêmede l'Un ? (Et toute
la Méta-mathématique des NombresIdéaux et des FiguresIdéales ?)
EnfinS. D. Ross ne fait,à notresens,qu'établirune coupuretoute artificielle et

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N. 1. Boiissoulas

ou seule Science vraie, relative au Logos - et la doxa concernantle-


sensible.
Le nom de la connaissancemathématiquesera donc dianola - entité
située entre (metaxy) le nous et la doxa x - désignant cette sorte de
connaissance approchée, intermédiaireentre la Vérité et l'Erreur. Il
sera donc à présumerque même les axiomes, vérités mathématiques
premièreset bases de tout l'édifice des mathématiques,ne devrontêtre
pris pour la Véritémême 2.
Nous pourrons ainsi affirmer, en accord avec les dialecticiens,que
l'axiome des deux parallèles, être mathématiquepar excellence et fon-
dement de toute la géométrie,ne devra être considéré comme étant
absolument vrai. En conséquence, on pourra le toucher sans trop de
crainte - ce qui constituedéjà la premièredémarchede VAxiomatique.
Cette entité n'étant, au fond, qu'une image déformée,on tâchera de
la retoucheret de la rectifierde plus en plus par la méditationpurement
ontologique.C'est grâce à cetteméditationque l'on sera à mêmede détec-
ter de nouveaux indices majeurs qui permettrontde voir chaque foifr
plus clair dans la structuredes originaux- à savoir des Idées et du Bien-
De la sorte,la ligne de la Républiquenous permetd'esquisser une axio-
matique, en nous élevant tout le long de l'échelle des axiomes - jus-
qu'à l'Être. C'est par là que nous pourronsfonder,définitivement, la
Physique dialectique, Science des Essences suprêmes, absolument efficace^
dans son applicabilité sur le réel sensible.
Or les êtres mathématiques,étant des empreintes8, tout ce que nous
leur demanderonsc'est de concorderentre eux - ce qui constitue une

^justifiéeau sein du mondedes Idées lorsqu'ilaffirme que, ♦quand on partdes Idées


inférieuresdans la hiérarchie,la possibilitéde les fairedériverde quelque chosed'évi-
dent par soi-mêmesemblesi lointainequ'on est inévitablement portéà renoncerà
la tentative,se contentantsimplement à prendreles Idées commedes donnéeset en
tirertoutesles conséquencespossibles; tandis que si l'on part du haut de la hié-
rarchie,la possibilitéde relierles Idées supérieures- qui constituentle point de-
départ- avec d'autresplus hautesencore,et finalement avec l'Idée du Bien,devient
toutenaturelle,et l'on se meutalorsdans un sens ascendantplutôtque descendant»
(p. 64).
Il nous est avis, quant à nous, que les mathématiquesde la troisièmesectionne
sont que les refletsdes Idées et que seulesdes entitéstellesque les NombresIdéaux
et les FiguresIdéales pourraientêtre appeléesdes Idées Mathématiques dans le sens
de notreauteur.
1. République,533 d. C'est en ce sens que Platon nous dira encoreque « la Science
ne comporteriende sensible» (ibid.,529 b).
Le sensible,régiondes perturbations (529 a /c), domaineencoreplus obscur que
celui des mathématiques, n'aura rien à faireavec la Sciencede la Vérité,de l'Être
et de l'Esprit.
2. Ainsique le fontles mathématiciens, d'aprèsla République, 533 c : ils ♦se tiennent
à des hypothèsesauxquellesils ne touchentpas fautede pouvoiren rendreraison».
Ou bien,« ils estimentqu'ils n'ontplus à en rendreaucuncompte,ni à eux-mêmes ni
aux autres,attenduqu'elles sont évidentes à tous les esprits». D'ailleursc'est là le
côtéle plus gravede leurignorance: croiresavoiralorsqu'ils ne saventguère.
3. Découvertes,d'aprèsVEuthydème (290 b /c)par ces chasseurs que sontles hommes
des sciences.Ceux-ci,en effet,« ne produisentaucunementles figures, dans chacun
de ces métiers: on se borneà découvrircellesqui existent».
Le thèmede la chassejouera un rôleessentieldans le Sophiste,dialogueoù il s'agit
de la recherchedu Non-Êtreaussi bien que de l'Être.

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Causalité du bien et mélangeplatonicien

des démarches essentielles de toute axiomatique. En somme, devant


les entités du type mathématique (vestiges qui annoncent la présence
encore cachée de PÊtre intelligible),deux attitudes s'imposent avant
cette concordancel qui, confirmant
tout : voir, d'une part, si elles offrent
leur authenticitéet leur validité, jettera une premièrelueur sur l'Être
qui les a laissées et que nous sommesen train de rechercher; les mettre,
de l'autre, à Vépreuve(basanizéïn) 2 en émettant des hypothèses.Ces
dernièresauront la double tâche de les purifieret les rendrede plus en
plus claireset intelligibles,et d'en fairerejaillirde nouvellesempreintes,
invisiblesjusque-là : ce serontles hypothèsesmajeures qui expliqueront
un plus grand nombrede faitsde l'ordre ontologique.
En d'autres termes,éliminerune hypothèsetrop étroite,en émettant,
à sa place, une autre plus générale qui enveloppera la précédente-
celle-ci n'en constituantqu'un cas particulier: voilà l'impératifcaté-
gorique de cette axiomatique que le Phédon (101 d) exprimepar le lan-
gage dialectiquesuivant :
« Puis quand le momentserait venu pour toi de rendreraison de cette
hypothèseen elle-même,tu en rendrascompte par le même procédé,en
posant cettefoispour base une autre hypothèse,celle de toutes à laquelle,
en remontant, tu trouveraisle plus de valeur,jusqu'à ce que tu fusses
arrivé à quelque résultatsatisfaisant.»
Ce serait là justementle sens du mot analreln de la République*. On
arrive ainsi à la formulesuivante : traiter ontologiquementles mathé-
matiques (êtres de la troisièmesection) c'est instituervis-à-vis d'eux
une Axiomatiquephilosophiquequi, s'identifiantde plus en plus avec la
Dialectique même, permettra,d'après la République, la coordination
des sciences 4.
Grâce à la básanos qu'exercera cette axiomatique dialectique, les
ombres faciles,les empreintessuperficielles- autant d'axiomes immé-
diats - serontniées et écartées. De cette façon,tournésvers une trace
plus profondeet plus fondamentale,on touchera,chaque fois,à quelque
chose de plus général et de plus essentiel; c'est-à-dire,en langage pla-
tonicien,de plus simple: on s'approcherade plus en plus de l'Être intel-
ligibleet de la Vérité 5.
-
Ainsi, par exemple, en allant de la mathématiquevers la logique

1. République,510 d : homologouménôs. Cette démarcheest de structureessentiel-


lementdialectique: cf.à ce sujet Phédon,101 d : ... « Si quelqu'uns'attachaità l'hypo-
thèseen elle-même, c'est à lui que tu diraisbonsoir; et, pourrépondre, tu attendrais
d'avoirexaminési, entreles conséquencesqui en partent,il y a, selontoi, consonance
ou dissonance.»
2. Autrement dit, menervis-à-visde l'Etre intelligiDie une enquêteau type pou-
cieren s'attaquantà ses empreintes.
3. République,533 c : « Rejetantsuccessivement les ñypotñeses.»
Ceci est le proprede la méthodedialectiquemême.
4. Ibid., 537 c : On pourraainsi embrasser« d'un coup d'œii a la lois les rapports
que les sciencesont entreelles et la naturede l'Être».
5. République,537 d : « S'éleverpar la forcede la vente jusqu a rcire même.»

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TV./. Boussoulas

corameTa faitB. Russell- on purifiecettepremière et on la généra-


lise ; on atteint,de la sorte,une mathématique infiniment plus vasteet
plus efficacequi englobedes structures et des modesbien supérieurs
aux mathématiques ordinaires.
Au coursde cetteascension, on obtiendra de nouveauxaxiomes,points
d'appui pourla découvertede nouveauxêtresmathématiques ; s'assu-
rantchaquefoisde la validitéde ces tremplins grâceau faitde vérifier,
d'unepart,si les conséquences des nouvelleshypothèses présentent cette
concordance qui est leurcriterium par excellence1 ; et, de l'autre,si ces
conséquences peuventrejoindre ou absorber- touten étantsituéessur
-
un plan supérieur les conséquences tiréesdes axiomesdépassés.Ce
n'estque dansce cas seulque Tonpourraconsidérer lesnouveauxaxiomes
obtenuscommedes indicesplus dignesde foi; autrement dit, comme
des empreintes plus révélatricesde la structure de l'Être recherché.
Pour parlerle langagede l'Epistemologie moderne, nous dirons,par
exemple,que la Géométried'Euclide,basée tout entièresur l'axiome
des deux parallèles,constitueune étape déjà de notretraverséevers
l'Être intelligible: les conséquencesqui découlentde cet axiomecon-
cordententreelles.Pourtantce n'estlà que le premier moment du périple
ontologique. second,plus essentiel,apparaîtralorsqu'onse mettra
Un
à rendrecomptedu premier. On formulera, dèslors,unehypothèse supé-
rieure- celle,par exemple,d'un Riemannou d'un Lobatchevski - et
on érigera,de la sorte,un édificeplus largeà l'intérieur duquel sera
il
possible de retrouver le cosmos euclidien comme un cas à la limite.La
nouvellemathématique ainsi obtenueva devenirun outil opératoire
bienplusefficace dans la prospection du Réel que celled'Euclide*.
En définitive, l'éducationmathématique, régie par l'Axiomatique
dialectique,sera cet Art (tekhnê)8 qui tourneral'âme tout entièrede
l'obscuritédu devenirversla luminosité la plus éclatantede l'Être. Ce
qu'exprimela Républiqueen nous disantque le nombreest « propreà
tirerl'âme versla vérité» 4, ou - ce qui revientau même- « vers
l'essence» 5.
Le nombre,quintessence mêmedes mathématiques et,en un mot,des
sciences,en poussantl'âme à s'éleverdu mondesensiblevers l'intelli-
gible,s'avèrele promoteur de ce mouvement circulairede la periagôghê «
- sortede conversion-révolution à
psychiquegrâce laquelles'accomplit
la cosmicitéépistémologique.
Grâce au nombre,l'âme parcourt,en se mouvanten cercle(c'est-
1. D'après le Phédon,101 d.
2. C'est ainsi, par exemple,qu'Einsteinappliqueraavec fruitla Géométrienon-
Et il en ira de mêmeen ce qui concerne
classiqueaux espacesinfinisdes constellations.
'infiniment petitde la Microphysique.
3. République, 518 c/d.
4. Ibid., 527 b.
5. Ibid., 524 e.
6. Ibid., 518 c /d.

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à-direselonunefigure), la régiondu physiqueet du géométrique - région


pleinede tous ces linéaments mi-lumineux mi-obscurs que sontles êtres
mathématiques - vers la Géométrie Idéale des Essences intelligibles,
versle lieu intelligibledes Idées 1.
Or, dans ce mouvementpsychique,qui correspond au mouvement
mêmede l'Axiomatique tel
dialectique, que nous essayons de le montrer,
l'âme traversedes couchesmathématiques de plus en plus pénétrées
par la lumièredu Bien; c'est ainsi qu'elle accomplitsa marcheà tra-
vers les constellations suprêmesdes FiguresIdéales■,vers le sommet
compactet parfaitde la Beautéde l'Un.
Nous pourrions dire,de la sorte,que plus une théoriemathématique
estnéede l'intuition du Beau et pluselleseraprèsdu Réel.Le fondement
de l'Axiomatique, et, par là, des sciencesen général,ne peut être,en
dernière analyse,que de natureesthétique.
En effet, les Idées,ces entitésqui constituent l'Être dans sa totalité,
en tant que vivantsintelligibles 3 douésde mouvement *, se meuvent
au sein de l'Être intégralselonles lois de la mixtiondes Essences,qui
ne sontautresque cellesde la Beauté; c'est dans ce mouvement intelli-
gible,qui exprimel'architectonique de la mixistotale,que les Idées
projettent, dans la lumièresuprasensible, ces ombresmultiformes que
nousnommons les êtresmathématiques. Il existeraun trèsgrandnombre
de ces derniers, et parmieux il s'en trouveraqui révéleront mieuxque
d'autresla structure des originauxdesquels émanent, ils seront
ils car
du
plus caractéristiques mouvement, du processusdes archétypes : on
les appellera les axiomes fondamentaux. Et il n'y aura le moindre dan-
gerque quelqu'unde ces êtresne puissetrouverson applicabilité surle
vu
réel sensible, qu'ils appartiennent tous à la troisième section de la
ligne - section dont les habitants créent ceux de la deuxième.
C'est pourne s'êtrepas suffisamment appesantisur ce dernierpoint
qu'A. Rivaud s'étonne que les lois mathématiques viennentavantmême
la constitution de l'Univers.Dans sa noticedu Timée(p. 52), il écrit:
« ... de cettecomposition » (de l'Amedu Monde)« qui pouvaitsembler
quelque chose de purement idéal,il (le Démiurge)a entrepris de former
une réalitévisibleet concrète,la voûte du Ciel. Ainsi,par une fiction
biendéconcertante pournos espritsmodernes, Platontraiteséparément
des lois mathématiques qui président au mouvement des astreset ces
astreseux-mêmes.Il nous forceà considérer les rapportsimmuables,

1. République, 508 c.
2. Cf.L'Etre et la Composition
des mixtes,p. 156 : les FiguresIdéales de la dernière
doctrineplatonicienne correspondentà la Beauté.
3. Timée,30 c.
4. Sophiste,248 e-249a : l'Être intégral,ensembledes Idées, a le mouvementet
la vie. Nous devonsprésumerpour des raisonsde symétrie(symétriequi est l'âme
mêmede la lignede la République)que tout commeles vivantssensiblesse meuvent
dans la lumièredu Soleil, de mêmeles êtresintelligibles se meuventdans celle du
Bien en cortègesdivinsque le Phèdrea chantés.

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Revue de Méta. - N° 1, 1962. 7

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N. I. Boussoulas

soumisà la puissancedu nombre,avant de connaître les corps,dontces


rapportsdirigeront les révolutions ».
Mais il suffitde se penchersurla lignede la République, où les êtres
mathématiques de la troisième section engendrent ceux du Mondesen-
sible,pourse persuaderque ces êtressont antérieurs au physique,par
rapportauquel ils ont,par conséquent, en mêmetempsqu'une dignité
ontologiqueplus grande,une autonomieet une efficacité absolues.
Autrement dit,n'importe quellethéoriemathématique, pourvuqu'elle
possèdeune concordance et une continuité internespermettant d'ériger
un systèmecohérent et fertile,pourradevenirefficace par rapportà cer-
tainesrégionsde l'Universdes phénomènes.
En prenantces ombresontologiques que sontles êtresmathématiques
et en essayantde les combiner, pourallerdansle sensdes conséquences,
on fera œuvre de constructivité, d'essencepurementmathématique ;
mais,en mêmetemps,on obtiendraun tissu d'obscuritésqui sera de
plusen plusexplicatif par rapportà ce produitencoreplusobscurqu'est
le sensibledontle complexus mathématique constituela source.Et la
sourcede cettesourcec'estjustement le mondevivantdes Idées,consi-
dérédans toutela tensionde son déploiement, de sa vie. Les Formes,
qualités-essences dynamiques,déterminent dans ce champfonctionnel
suprêmequ'est l'Être intégral,l'élémentquantitatifdes sciences,les
conceptset les unitéslogiques,avec toutela sériedes entitésmathéma-
tiques1. C'est par là que les Idées sontle fondement de l'Universde la
quantité : leur mouvement de mixtion (de structureméta-mathématique)
n'est-ilpas l'originedu nombreet des quatreopérationsarithmétiques
fondamentales ?
En effet,le Mélange,parcequ'il procèdedu Bien (Cause qui comporte
la doublefonction d'unionet de séparation) implique,par là, d'unepart,
l'addition2 : adjonctionde la limiteà l'illimité; de l'autre,la division:
disjonction du finiet de l'infini- aussi bien d'ailleursque la multipli-
cationet la soustraction 8.
Nous en avonsla preuve,en premier lieu,dans le Parménide où, par
l'adjonctionde l'Être à l'Un illimitéde la premièrehypothèse,nous
avons obtenula génération du nombredeux ainsi que ses opérations4.
Cettegénération, en effet,impliqueautomatiquement la multiplica-
tionet,avec elle,le nombre toutcourt.
Ainsique nousle ditnotredialogue,« dès qu'il y a deux,il y a néces«
sairement deux fois,et dès qu'il y a trois,troisfois,puisquedeux c'est
1. Ainsi,par exemple,l'Idée du Non-Être,analogueà la Spatialité-Matière, est à
la base de tous les espaces géométriques.
2. Une additionmunimentplus dynamique,à 1origine,que celle de 1arithmétique
ordinaire,toute quantitative.
3. Nous avionsessayéde montrerdans Vhtreetla Composition desmixtes(p. 82-00))
que la soustraction est étroitementliée à la division.Inversement
la division,syno-
nymedu morcellement, s'avèresourcede la multiplication.
4. Parménide(2e hypothèse),143 a /144a : t Générationdu nombre».

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deux foisun, et trois,troisfoisun. Posés « deux » et « deux fois», ne


vient-ilpas nécessairement deux foisdeux ? Et troisavec troisfoisne
donneront-ils pas forcément trois fois trois? Alors étant donnétrois
et deux foisdeux et trois fois,n'y aura-t-ilpas nécessairement deux
foistroiset troisfoisdeux ? »
Bref,nous obtenonslà toutesles modalitésde la multiplication *.
Nousen avonsla preuve,en secondlieu,dans le Timée,lorsde la cons-
titutiondu mixtede l'âmeuniverselle. En effet, le brassagedu Démiurge
comporteet Yaddition(35 a) et la multiplication (35 b) et la division
(35 b). C'est grâceà la combinaison
(35 b) et la soustraction de toutes
ces opérationsque le Brasseurdivindes mixtionstissela constellation
mathématique compliquéede l'Amedu grandTout. Or le Mélange,réa-
lité esthétique,axiomesuprêmesur lequel est basé tout l'édificeonto-
logique,et par là mathématique et physique,est par naturemêmeirra-
tionnel; d'une irrationalité,pourtant,qui est infiniment supérieureà
celleque comporte le sensible.
Son être n'est-il
pas, en (ainsique nous
effet
l'avonsdéjà faitremarquer) l'antinomie même, la réconciliation et l'union
des contraires dansle dynamisme explosif de l'instantané * ?
Nous dirons,par conséquent, en guisede conclusion, que la base des
sciencesest d'ordreesthétiqueet métaphysique, entitéque la logique
seule ne peut épuiser,sourced'une axiomatiqueéternellepar rapport
au simplequantitatif.

VIII. - Le mixte psychique et sa causalité


INTERMÉDIAIRE PAR RAPPORT AU SENSIBLE.

Nous avons précédemment constatéque le mouvementde l'Axio-


matiqueplatonicienne correspondà celuide l'âme,nombrequi se meut,
allantdu sensibleversl'intelligible
et parcourant, le longde cetteascen-
sion,des structures de
épistémologiques plus en plus simples,efficaces
et profondes.
Proposons-nous, à présent,
l'analysedu mouvement inversede l'âme :
celuiqui partde l'intelligible
pour aboutirau sensible.
Pour ce faire,penchons-nous une foisde plus surle champmétaphy-
sique de l'Être intégral.C'est dans cet universde l'Essence* que le
mélangedes Idées du Mêmeet de l'Autrenous donnel'Ame cosmique.
1. Parmenide,144 e.
2. G est à la suite de cette sorte d'instancesuperlativeque surgitl'apollinien,le
plastique.Celui-ci,enveloppéet régipar la lumièrede l'instantfoudroyant (à Tins-
tar du récitque dominele chœurdans la tragédie)n'est autre que l'harmoniecachée
des extrêmes.Il est appelé, par son essence,à comblerl'abîme de la discontinuité
des contraires,en établissanttoutela gammedes degréset des intermédiaires (inter-
valles: Philèbe,17 d).
S. Sophiste,249 d : « L'Etre et le Tout » - synthèsequi s'exprimepar l'Etreintégral.

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N. I. Boussoulas

Nous devonsprésumerque le mêmemélangenous donnera,dans un


secondmomentde mixtion,le corpsdu Monde.En effet, qu'est-ceque
l'Idée du Mêmesinonle typemêmede l'Être l - limitequi agitsurla
spatialité-matière 2, entitéanalogue,ainsi que nousl'avons déjà vu, à
l'Idée du Non-Êtreet de l'Autre?
C'est en ce sens que nous dironsque VArneestcréatrice du sensible.
Le témoignage des Lois est à cet égarddes plus formels. Il nousdit que
l'âme est « la mêmechoseque le premier principede la génération et du
mouvement, commeaussi de la corruption et du repos,dans tous les
êtresprésents, passés et à venir,puisquenous avons vu qu'elle est la
cause de tous les changements et de tous les mouvements dans tout ce
qui existe» 8. C'estainsique, dansle Timée,il y a constitution du corps
universeldès que le mélangepsychiquea été réalisé.
Nous remarquons, en effet,une antériorité ontologique, parallèleau
courantde la Causalitéintégraledu Bien : nous avons commepremier
produitde l'instauration et de la mixtionde la limiteet de l'illimité,
au sein de l'Essence intégrale,les Idées ; commesecond,le mixtede
l'âme ; commetroisième, venantaprès celle-ci4, le corpsdu Cosmos,
autrement dit le tout du sensible.Or la questionqui se pose mainte-
nant c'est de savoirpar quel mécanismequalitatifl'âme créele monde
physique,commeelle est créée,elle-même, par l'intelligible.
La réponseà cela nous sera donnée,une foisde plus,par les Lois :
l'âme, nousdit ce dialogue,est cause de l'élémentsensible,grâceà son
mouvement uniforme originaire,intermédiaire entrele mouvement pro-
prement ditet le repos 5.
Voyons,en détail,de quelle manière: Nous savons que l'Être inté-
gralest le Vivantintelligible intégrals, qui enveloppeaussibienle mou-
vementet la vie que l'âme et le nous-phronêsis 7. C'est donc dans cet
univers- dans lequel s'engendrent les vivantsintelligibles et sensibles
- que prennent place aussi bien le mouvement le
que repos8.

1. L'Idée du Mêmen'appartient-elle pas, effectivement,à la mêmecatégorieonto-


logique que celle de l'Être ? Chaque foisque Platon nous décritles Essencesintelli-
gibles,il s'empresse,avant tout,de mettrel'accentsur l'identité foncièrede la nature
de chacuned'elles. Ainsi,par exemple,Philèbe,59 c : « Ces réalitésqui demeurent
toujours dans le même état, de la même manière....»
2. Timée,50 c : 51 b et suiv.
3. Lois, X, 896 a ; 897 a.
4. i imee>01 c ; ¿.ois,^v,ov¿ a : le corpsvieni apres1ame.
o. Lois, a., oyóe-oy/a : « Jraríes mouvements qui lui sontpropres.»
t>. 1 imee, óv c /a.
7. Pour les rapportsunissantla vie à l'âme et aux Idées, consulterl'articlemagis-
tral de M. Gueroult: La méditation de l'âme surl'âme dans le Phédon(Revuede Méta-
physique,1926).
H. ùopmste,Z4ya/D/c/a: « 11nous iaut aonc conclure...que a aDora, s 11ny a
qu'immobilité, (nous) nullepart,en aucunsujet,pouraucunobjet »
il n'y a d'intellect
(249 b). « Et, par contre,si nous acceptonsde mettreen toutla translation et le mou-
vement,ce sera encorelà supprimerce mêmenous du rang des êtres » (249 b). La
seule solutionqui s'impose,par conséquent,c'est de « fairesien,commeles enfants
dans leurssouhaits,toutce qui est immobileet toutce qui se meut» (249 d).

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Or,le Tintéenousa apprisque le Monde,« êtrevivantpourvud'une


» *,est né tel par l'actionde la providence
âme et d'unintellect du dieu
fpronoîa) 2.
Nous sommesd'avis que ce passage nous suggère,d'une manièreà
peinecamouflée, que le dieu-démiurge, sous le nomde pronola,crée,en
tant qu'antérieur au nous (pro-noïa),ce dernier- commec'est le cas
avec le Bien de la Républiquepar rapportà l'être8.
Mais nous savons que le nous impliqueautomatiquement l'âme 4.
Cettedernière est distinguée, d'aprèsles Lois, en âme bonneet en âme
mauvaise; l'âme bonnecoïncidantavec le nous,l'âme mauvaiseavec
Vanóla.L'âme du Monde,mixtedu Mêmeet de l'Autre,de la limiteet
sera,de touteévidence,situéeentrele nouset Vanóla.Or,
de l'illimité,
ce qui caractérise cetteâme mathématique du Cosmos,c'estbienla sub-
stance intermédiaire, ce nombrequi appartient,d'aprèsla ligne de
la République,à la dianola. Nous pouvons,en conséquence, tracerla
lignesuivantede la noêsis: anola dianola nous pronola.
Sur cetteligne,la pronolareprésente la cause qui engendrele nous
(limite); quantà la dianola et à Vanóla,elles figurentrespectivement»
l'une le mixte,l'autre, l'illimité.
Nousavonslà un parallèleavec la lignede la République- en trans-
position- qui nouspermetde constater que Vanólane peutappartenir
- à la genesis6, ou encore,à l'élé-
qu'à la doxay r-p-correspondant
mentcorporel6.
Nous pouvons,ainsi,écrireen termesde ce dernierdialogue:
anoia dianoia nous pronoia
doxa mathématiques Idées (Être) Bien
(pistis, eikasia) (noêsisinférieure)(noêsissupérieure) (au-delàdes
Idées et du nous).

1. Timée, 30 c.
2. Ibid.
3. Auquel le Bien est supérieur en ancienneté (presbéia). Le Bien démiurgique,
parce qu'il est justement antérieur à l'être et au nous, a tout droit au nom pronoïa.
4. Cf. Sophiste, 249 a ; Timée, 30 b : le nous « ne peut naître en nulle chose, si on
le sépare de l'âme ». Philèbe, 30 c : « II ne pourra jamais y avoir de sagesse et d'intel-
lect (nous) sans âme. •>
5. République, 534 a. La genesis relève de la doxa privée du nous (anoïa). Ibid.,
508 d : « Lorsque l'âme se tourne vers ce qui est mêlé d'obscurité, sur ce qui naît et
périt, elle n'a plus que des opinions (doxazeï), elle voit trouble, elle varie et passe
d'une extrémité à l'autre (elle change les doxas), et semble avoir perdu touteintelli-
gence (noun). Dans ce cas, l'âme tend à devenir pareille à Yanoïa.
6. Le problème se présente ici comme chez Farménide ou il y a deux voies : l une
est celle de l'Être ou du nous (8, 34 : « La chose qui peut être pensée et celle à l'égard
de laquelle la pensée existe sont une seule et même chose ») ; l'autre - seule prati-
cable par les mortels - est la voie de la doxa (121). Il en va de même chez Anaxa-
gore, dans le système duquel nous avons, d'une part, l'esprit, et, de l'autre, le mélange
primitifqui représente la corporéïté ; le corps constitué du Cosmos n'appartenant
qu'au genre mixte (mélange du nous et de l'élément corporel).

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TV. /. Bo ussoûlas

Ou encore,en termesd'Anaxagore et du Philèbe :


(Illimité) (mixte) (limite) (cause)
anoïa dianoia nous pronoia
mélangeprimi- mixtecosmique noustranscen-ce qui :
tif (ou Matière (nousimmanent dantparrapport a. instaurele nous
du Timée) au mélange
pri- au mélangepri- et le mélangepri-
mitif) mitif mitif ;
b. les faitse mélan-
ger.
Cettedernière lignenousmontreclairement que la pronoïa- en tant
que la Cause par excellence- crée, d'unepart,le nouset Yanoïa(limite
et illimité); et, de l'autre,elle les met en adjonctionpourinstaurer le
mixtede l'âme.
C'est ainsi que le nous,en pénétrant 1 Yanoïa,créel'êtrepsychique
avec son mouvementintermédiaire entrele reposabsolu de la limite
(ou Esprittranscendant) et le mouvementincessantet chaotiquede
Yanoïa (illimitéde la Matière,ou mélangeprimitif) 2.
Avec ce mouvement, le Corpsde l'Universapparaît,toutcommedans
le systèmed'Anaxagore.C'est ainsi que nous dironsque Pâme, dont
l'êtren'est,en somme,que ce mouvement de mixtion,comporteune
causalitéintermédiaire par rapportà l'instauration de l'Être sensible.
Uanoïa - ou matière- en recevantce mouvement de pénétration,
se rendvisibleet tangible: le feuet la terre,qu'ellecontenaiten puis-
sance,d'une manièreamorpheou absolumentdiluée,commencent, dès
lors,à jaillirde son sein.Commenousle ditle Timée(36 d/e),« quand
toutela construction de l'Ame eut été réaliséeau gré de son auteur,
celui-ciétenditensuiteà l'intérieur de cetteâme toutce qui est corporel
fsômatoeïdés)et faisantcoïnciderle milieudu corpset le milieude VAme,
il les miten harmonie». Autrement devenuâme -
dit,l'esprit-limite,
une foisqu'il est tombéde sa transcendance absolue- pénètred'abord
la Matière( anoïaou sômatoeïdés ) à soncentre,et c'estjustement ce mou-
vementde pénétration qui devient celuide la périkhôrêsis,
enveloppant
et circulaire 3, source de l'organisationuniverselle.Nous avons déjà
essayéde montrer que cetteactiondu nousest synonyme de la justice*,
car elle est la mêmeque celle exercéepar la partiesupérieure de l'âme
(logistikon ou nous) sur ses deux autresparties(la colèreet la concu-
piscencerelevantde l'élémentcorporel); action qui définitla justice
d'aprèsla République.
1. Cf. Timée,50 c pourcettepénétration: la matière- anoïa en terminologie des
Lois - est « miseen mouvement et découpéeen figures par les objetsqui y pénètrent
(à savoirles Idées, le nous); ibid. : « Eïsionta...exionta» (formulesde pénétration).
2 Cf. notreétude sur le mélangechez Anaxagore(BulletinGuillaumeKudé, n° 6t
1956).
3. ihid.
4. Ibid.

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Ce dernierdialoguenous apprendque le nous doit son pouvoirde


domination * au faitqu'il possède« la sciencede ce qui est utile (sum-
phéron)à chaquepartie(de Pâme)et à la communauté qu'elles(ses trois
parties)forment à ellestrois » 2. le
Or, sumphéron, qui impliquele mou-
vement universel *,n'est le
que synonyme du beau et du bon 4,ou encore,
du kerdaléon se
qui mélange à toutes en
choses les traversant6.
En définitive, l'âme,grâceà sa connaissance du Bien - connaissance
qui estla sourcede sa dynamis • - meten contactle Non-Êtrequ'estla
Matière( sômatoeïdés you anoïa) avec les Idées, Formesimmédiates du
Bien7.
C'estgrâcedoncà cetteactionpsychique8,homologuedu mouvement
de pénétration et de mixtion,ainsi que d'harmonisation et de justice,
que s'effectue,en dernière analyse,la diakosmêsis de cetteCité univer-
sellequ'estle toutorganisédu Sensible.

IX. - Le tempset le cosmos.

xNousvenonsd'étudierle mouvementde pénétration, synonymede


celui de l'âme, grâce auquel cette dernièreimprimeà l'a/Mia-matière
le rythme uniforme de la révolution
et circulaire en langage
(perikhôrêsis
anaxagoréen).
Or, ce mouvement psychique,créateurdu mondephysique,va nous
donnerdu mêmecoup le temps.
En effet,le tempsnaît avec le sensible,car le sensibleest deveniret
le devenircomportele changement, le mouvement et la temporalité.
C'estainsique le Timéenousdit que lorsque Démiurgea comprisque
le
1. République, 441 e : « N'appartient-ilpas à la raison(logistikon)de commander? »
Ce « commander » (arkhéîn)a le mêmesensque le kratéïnanaxagoréen,ainsiqu'on le
«
voit dans le passage444 d (ibid.) : Établirune hiérarchiequi les subordonne(kra-
téin...kratéïsthaï) les uns aux autres.» C'est en cela que consistele fait d'instaurer
cette harmoniequ'est la justicedans l'âme. La définition de la justiceplatonicienne
est ainsi d'une teneurtrèsanaxagoréenne.
2. République, 442 e.
ô. voici,en enei, commentle sumpneron est aeuni aans le L.ratyie,41/ a : n y est
appelé « le frèrede la science». « Car il ne traduitpas autrechoseque le mouvement
simultané de l'âme avec les choses; et il montreque les effetsd'unetelleactivitétirent
leurs noms (sumphéronta... sumphora)de ce mouvementsimultanéet circulaire»
(sumpériphéresthaï). Ce sumpériphéresthaï est évidemmentl'analoguede la perikhô-
rêsisanaxagoréenne.
4. Cratyle, 416e/417a:« Les noms qui ont traitau bonet au beau sont : avanta-
geux (sumphéronta) yprofitable(lusitélounta), utile (ôphélima),lucratif(kerdaléa).t
En ce qui concernele dernierde ces synonymes, Platonnous dit qu'il dérivede kerdos
cruine signifieQue « se mélangerà touteschosesen les traversant» (417 a).
5. Ibid. Comparerle dïexïon(417 a) avec le dia pantônionta(413 c) [causede l'orga-
nisationuniverselle!ainsi au'avec les eïsionta-exionta (Timée,50 c).
6. Cf. O. Jöhrens: Die Fragmente des Anaxagoras,ainsi que notretravail sur le
Mélange chez Anaxagore(Bulletin Guillaume Budé, n° 3, 1956).
7. Léon Robin a fortheureusement insisté(La théorieplatoniciennede YAmour)sur
l'œuvre de liaison (entrele mondeintelligibleet le mondephysique)qu'accomplit
l'âme.
8. Par cetteaction,la matière,espace obscur,se rendvisible: le nous,partiesupé-
rieurede l'âme, n'est-ilpas, d'après la République,l'œil intelligiblepar excellence?

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N. 1. Boussoulas

le mélangecosmique- le Monde- « se mouvaitet vivait», « il créala


Durée » l. Avantl'actionordonnatrice du dieu,cause de l'instauration
du Cosmos,il n'y avait pas de temps.Celui-cia commencésimultané-
mentavec le mixtequ'estl'Universet est sujetau mêmedestinque ce
dernier2. Le mythedu Politiquenous apprendque lorsquele grand
Tout se met- du faitque son pères'en est retiré- à se dissoudreen
tournantdans le sensrétrograde, le tempsen faitde même.Il se pro-
duit,dès lors,un renversement de la Temporalité parallèleà celui de
la Cosmicité: le plusvieuxdevientle plusjeune 8.Ce renversement risque
de provoquer, à la fin,la désagrégation totalede ce mixtequ'estle cos-
mos et le tempsen le précipitant au plus profondde l'infini(Politique,
273 e : apéïron).
Aussile Démiurgeet piloteuniversel- grâceà l'âme qui véhicule
(okhéï)et maintient(ékhêï)la nature(physis)* - se rassied-ilà son
gouvernail et, « redressant les partiesque ce cycleparcourusans guide
vientd'endommager ou de disloquer,il Yordonne et le restaurede façon
à le rendreimmortel et impérissable » 6.
En définitive donc le tempsse révèleune entitéhomologueà celle
qu'est le mixte indéfectibledu Cosmos.
Le Bien démiurgique, se servantde l'âme en tantque causalitéinter-
médiaire,a créé,à l'instarde l'espritanaxagoréen, la temporalité cos-
mique parallèlement à la Constitution du Monde. Or, le Tintéenous a
apprisque celui-ciest né à partirdes quatrecorpsélémentaires, feu,
air,eau et terre•, corpsréductibles aux triangles 7.
En chaque pointde l'Espace-Matière où s'est forméeune constella-
tion de triangleset, partant,de solidesgéométriques s, s'engendraient
les élémentsconstitutifs du Corpscosmique.Mais, automatiquement,
avec ce découpagegéométrique, le tempsjaillissait.
On peutdireainsique les quatreéléments, en tantque configurations
géométriques, sontmesurés, en quelquesorte,par l'âme, nombre qui se
meut; il en ira de mêmepourle temps: cetteimage- le motmêmene
pas l'idéede figure
suggère-t-il ? - qui se meuten cercle, seraitpeut-être

1. Le tempsjaillitdans la constellationde l'Être intégralsimultanément avec l'âme,


le mouvementet la vie. On le voit bien au coursde la deuxièmehypothèsedu Par-
ménide(151 e-155e), nous décrivantce Cosmosde l'Essenceintégrale.
2. Timée,38 b. « Le Tempsest donc né avec le Ciel (synonyme de l'Univers)« afin
que nés ensembleils se dissolventensembleaussi,si jamais ils doiventse dissoudre.»
L'éventualitéde cette dissolutionnous est décritejustementpar le mythedu Poli-
tique,273 d /e : « Aussi le dieu qui l'organisa,voyantle dangerde sa situation,se
prend,dès lors,à craindrequ'il n'aille se disloquersous la tempêtequi le bouleverse
et s'abîmerdans l'océan sans fondde la dissemblance.»
3. Pour la temporalitédu plus jeune-plusvieux,cf. Parménide, 2e hypothèse.
4. Cratule,400 b : phusékhê.
5. Politique,237 e : « Immortel »
et inveillissable.
6. 31 b-32c.
«
7. öd c : L essencedu corpspossèdeaussi toujoursrépaisseur.Mais toute épais-
seurenveloppenécessairement la naturede la surface.Et toutesurfacede formation
rectiligneest composéede triangles.»
8. Timée,54 d-55c.

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Causalité du bien et mélangeplatonicien

une entitésituéeentrele nombrede l'âme et la géométrie des éléments.


Ces considérationsnousautoriseraientd'affirmerque nousavonsaffaire,
avec l'intuition
platonicienne concernantla Temporalité, à un système
à quatredimensions : troispurement géométriques, la quatrièmeétant
une dimension temporelle.
Nouspourrions tracerle petitschémasuivant:

cl

r *
^/

dans lequelles vecteursa, ¿>,c désignent l'élémentgéométrique, ou cor-


porel,d se référant au temporel, plusprochedu psychique.En toutpoint
du sensiblenousaurons,de la sorte,le complexeespace-temps *,champ
fonctionnel enveloppant chaque foisdes dimensions différentes2. Ainsi,
par exemple,le vecteurtemporeldu feucomportera une tensioninfini-
mentplus grandeque celle de la terre,corpsstable8 ; ceci grâceà la
parentéque présentela structure de cet élémentavec celle de l'âme et
de l'esprit(feuintelligible) qui lui ontdonnénaissance.
Or,toutechosedu mondevisible,ayantsurgide la Spatialitégrâceà
l'actiondu nouset de l'âme,doiten porterla marque.C'estainsique là
où l'âme et le nousont laissé des traces profondes, nous contemplons
un êtredoué d'une vibrationexistentielle de plus en plus puissanteet
irréductible au simpleélémentgéométrique, au zéro temporel.
Tel justementse présentel'êtreanimé- ce mixtecomposéde corps
et d'âme - auquel l'âme fournit, en s'y adjoignant,une sourcepro-
fondede temporalité 4 : toutêtreanimén'est-ilpas capable,en effet, de
procréer et, par là, de s'immortaliser, « dans la mesure du »
possible %
en enfantant, parallèlement à sa progéniture sensible,de la durée?
Ce serale cas, éminemment, pourle Vivantuniversel: avec l'âme,la
corporéïté organisée de la matière se verraautomatiquement pourvue
de temps8.

1. Cf.A. E. Taylor: A commentary on Plato's Timaeus,p. 687-688et suiv.


2. Timée.39 d : chaqueastrea son tempspropre.
3. On n'a qu'à songerà la temporalité rudimentaire qui doitrégnerdans la Caverne,
universde l'élémentterre.Pour la stabilitéet la lourdeurde ce dernier,cf. Timée,
à mouvoirdes quatreespèceset c'est de tous les
55 e : « La terreest la plus difficile
corpsle plustenace.»
4. L'âme, constellation ne peut que vibrerdu mêmerythme
d'essencesintelligibles,
éternelaue celles-ci.
5. Banquet,207 d : « Dans la mesuredu possible.» Le tempsinstaurépar les êtres
mortels- grâceà l'Amour- sera,de toutenécessité,aussi limitéque ces derniers.
6. Pourles rapportsexistantentrerame et le temps,cf. Timée,36 e
4

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N. I. Boussoulas

Le Mondeest,en effet, constituépar la pénétration, grâceà l'âme,du


réceptacle par l'être des Idées.
Or, tout commel'essencede cettematièren'est autreque la spatia-
lité (Timée,52 b), l'essencedes Idées s'avèrel'Éternitépure1.
Nous pourrions, par conséquentdire,que le temps,parallèleau sen-
sible,est le mixtede VÉternité et de VEspace.Son maximumexistentiel
(à savoirsa limite)est le toujoursde l'Éternité,et son minimum (son
illimité)le jamais de la Spatialité2.
Autrement dit, l'Espace est infinipar nature,alors que le temps,
n'étantqu'un mixte,s'avèrenécessairement une entitélimitée.
Or, nous savons que le mondeest sphériqueet qu'en dehorsde sa
sphère,il ne peut y avoirrien: pas mêmela moindreparcellede Spa-
tialité■.Nous en présumerons, en conséquence, que l'Être,grâceà sa
dynamisd'éternité,a limitél'Espace, originairement infini,qu'il l'a
incurvé,créantainsila sphèrede l'universet du temps.
Le Tout comporteainsi, chez Platon, une étendueintrinsèquement
illimitéeet uneduréedérivéeet limitée4 ; en d'autrestermes, nousavons
là un univers est
qui simultanément et
fini infini: infinipar son espaceet
finipar son temps.
Et ce tempsn'estautrechoseque la spatialitéenglobéeet délimitée
par l'éternité de l'Être,à l'aide de la motricité de l'âme circulaire.Cette
dernière, « étendue dans toutes les directions,
depuis le milieujusqu'aux
extrémités du Ciel,l'enveloppeen cercle,du dehors» 6.
C'est à cause justementde cet enveloppement impliquantl'incurva-
tion,que cette « image mobile de »
l'Éternité 6,qu'estla Durée,présente

1. Platon nous décritl'intelligiblecomme étant, avant tout, éternel.Cf. Timée,


27 d, 37 d : « L'êtreéternel» (le mêmedialoguenous déclare,de la façonla plus expli-
cite,que le vivantintelligible est aeï immuable,48 e). Chaque foisqu'il est question
des Essencesdans les dialogues,c'est toujoursun toujours(aeï) qui revient.
2. En ce qui concerne,en effet,la Matière,elle doit,elle aussi,comporter, en tant
qu'eïdosintelligible, la temporalitééternelle; pourtant,commeelle est hors de tous
les eïdê (Timée,51 a), son éterniténe peut être qu'un toujoursnégatif,le jamais du
Non-Être (Timée, 50 b/c : « Aucune... jamais... aucunement... nulle part »...).
Nous rejoignons ainsi, en quelque sorte, l'intuition fondamentale d'Henri Bergson
(Les donnéesimmédiates de la Conscience,l'ÉvolutionCréatrice)selon qui le temps
mathématique, autrementdit le tempsextérieuret factice,n'est que de la temporalité
spatialisées'opposantradicalementà la Durée (seul tempsauthentiquequi toucheles
racinesles plus profondesde l'Existence).
Il existe,pourtant,sur ce point,une différence considérableentreBergsonet Pla-
ton. Pour ce dernier,ainsi que nous nous proposonsde l'établirun peu plus loin,il
n'y a pas de coupureinfranchissable entrele tempsdes mathématiqueset celui de
la Durée.
3. Timée,32 c ; 33 c : L'organisationdu Mondea absorbéen totalitécnacunaes
quatre élémentssurgisde la Matière-Espace.Ainsi la constitution cosmiqueayant
nécessitéla totalitéde la Matière,la diacosmêsisne peut laisserle moindrerésidu
d'espace et de temps.En dehors donc du Cosmos il n'y aura absolument rien.
4. Que le tempsest une entitélimitée,on peut le voirpeut-êtredans la tnêonepla-
toniciennede la grandeAnnée,« au bout de laquelle toutesles apparencescélestes
reviennent à leursituationinitiale» (cf. Noticedu Timée,p. 151).
5. Timée,36 e.
6. Timée,37 d.

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un mouvement similaireà celui de Tame,nombrequi se meut1 : elle


<(se dérouleen cercle», « suivantla loi des nombres» a.
Nousavonslà un rapportétroitentrele nombreet le temps8 qui nous
est soulignéunefoisde plusparla phrasesuivantedu Timée* : « Ce sont
le jour et la nuit,les mois,les périodesrégulières des saisons,les equi-
noxes,les solstices, touteschosesque nousvoyons,qui nousontprocuré
l'inventiondu nombre, fournila connaissancedu temps,et permisde
spéculersurla naturede 1'Univers.»
Or nousavonsdéjà vu que le nombreest l'essencemêmedes Sciences.
Par conséquent- puisquele nombreest aussi la mesuredu temps-
plus on approfondira la naturedu nombreet des sciencesqu'il structure,
et mieuxon scruterale cosmosde la Temporalité.
Mais à la limitede l'ensembledes sciencesse trouvela dialectiquedes
Idées *.
Celle-cidoit donc correspondre aux confinsde la Temporalité, cons-
tituéspar des instantsaussi singuliers et extra-temporels que le kaïrion
du Philèbeet du Politique, ou Vinstantané du Parménide et du Banquet-
tel surtoutque ce dernierdialoguenous le décrit,lorsde la révélation
de la Beauté parfaite•. Et l'on peut dire,inversement, que lorsqu'on
saisitun rythme supérieurde temporalité, on est mieuxà mêmede fon-
der un systèmescientifique qui, illuminant les tréfonds de la nature
cosmique7, finit, dans son efficacitéopératoire,par coïncider avec l'On-
tologie même 8.
Avec l'effort incessantpour toucherla Beauté parfaiteet le Bien,
dans l'ivressede la Temporalité- pressentiment de l'Éternel- on
atteintdes Essencesqui sontsupérieures à toutce qui est mathématique
et, en un mot,sciencedu quantitatif.
On a, dès lors,le sentiment d'une dilatation,d'une croissance totale;
l'âme s'accroît•, ses liens se tendent,ils deviennent les Formeselles-

1. Le nombre est né avec la constitutionde l'Ame du Monde : n'est-il pas, en effet,


le produit de l'union du Même et de l'Autre, génératricede la compositionpsychique ?
¿. iimee, 0/ a/00 a.
3. JLenoniDre est en liaison airéete avec ia ioncuon aiacnuque ei aivisame ae ia
Metrétiquedu Politique, 287 c : « II faut toujours diviser, autant qu'on le peut, dans
le nombrele plus proche. » Or la metrétique (metron,metrion) n'est qu'un synonyme
du kaïrion, instance par excellence du jaillissement de l'Être intégral et du temps
qu'il englobe (cf. notre étude sur l'Esthétiquede la Compositionplatoniciennedes mixtes)
[Revue de Métaphysiqueet de Morale, 1961].
4. Timée, 47 a.
5. Ainsi qu'en témoignentcatégoriquement des dialogues tels que la République, le
Banquet et le Philèbe.
6. Cf. notre Esthétiquede la Composition platonicienne des mixtes {Revue de Méta-
phusiaue et de Morale. 1961).
7. Timée,47 a : « Spéculer sur la nature de l'Univers. »
8. Ibid., il a /b : « Par là nous avons été dotés de cette sorte de science (à savoir la
philosophie), telle que nul bien plus grand ne fut jamais accordé, ni ne sera jamais,
Dar les dieux à la race des mortels. »
9. C'est Yaccroissementpsychique que nous décrit le Banquet (210 d) lors de l'ini-
tiation parfaite : « II aura assez pris de forceet de croissance» (cf. aussi fr. 115 d'Héra
dite : « L'âme est une essence qui s'accroît elle-même »).

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N. 1. Boussoulas

mêmes.L'âmetendtoutentièreà se confondre aveccelledu grandTout*.


L'âme humainedevientalorsle mixteparfaitdu Philèbe- miroirfidèle
du Bien- dontl'existenceauthentique et bienheureuse est toute tra-
verséepar la tensionde l'Époptieet de la sur-conscience *.
En fixantles processionsdes Essencessidérales,elle se senten extase
devantle visagede l'Êtreet de l'Un, toutepureen facede la duréecir-
culairedu Toujours.

Conclusion.

Tout ce que nousavonsvu au coursdes pages qui ont précédé,nous


autoriseraitd'envisager la procession de l'Êtreintégral, créépar le Bien,
de la façonsuivante: Le Bien,en tantque l'Un, Non-Êtreabsolu,source
infiniedu tout de l'Essence,instaure,grâceà sa fonctiondiacritique,
la limiteet l'illimité- pourles mettreaussitôten adjonctionmutuelle,
en tantque Beautéqui unit.Cetteadjonctionfondel'universdu mélange
de l'Être total,Vivant intelligible appelé, par le Sophiste,l'Être inté-
gral.C'està l'intérieur de ce Cosmosaccomplide l'Essenceque les Idées
du Mêmeet de l'Autrenousdonnentcettenouvellemixtion, qu'estl'Ame
cosmiquedu Timée.Ce dernier mixteferanaître,avec la vie et le temps,
le nombre- liende la composition des quatreéléments, constitutive du
Corpsuniversel. - Ou encore: la Beauté suprêmequ'est le Bien met
en unionlimiteet illimité, moments par excellencede l'Un,fondant ainsi
l'Éternitéet l'Être,avec l'Amequi les porte.Êtreet Éternitédeviennent
à leurtour,grâcejustement à la causalitéintermédiaire de l'Ame,source
du
et modèle Cosmos et du Temps 8.
Or le déploiementintégraldu Bien - Un-infini, Être et non-Être
total- s'est révélécommeétantde structureanalogique* : le Bien,
étantaussi Mesure,c'est-à-direNombresIdéaux 5, se déroulesuivant
la natureet la loi du nombre,tel une âme du Mondetransposée.

1. Timée,90 d : « Les révolutionsrelativesau devenirqui ont lieu dans notretête


et qui ont été troublées,il fautles redresserpar la connaissancede l'harmonieet des
révolutionsdu Tout : que celui qui contemplese rendesemblableà l'objet de sa
contemplation, en conformité avec la nature originelleet que, s'étant ainsi rendu
pareilà elle, il atteigne,pour le présentet pour l'avenir,l'achèvementparfaitde la
vie que les Dieux ont proposéeaux hommes.»
2. Lois, X, 903 c : « La petiteportionqu est ta personne,si chétivequ elle soit,,
malheureux, est toujourstournéeet tendversle Tout. Maistu ne te rendspas compte
que toutegénération se faiten vue du Tout,afinqu'il ait une vie heureuse,et que tu
n'es pas né pourtoi,maispourVUnivers.»
3. C'est avec le temps,afinde lui servirde mesure,que naissentles astres,dieux
inférieurs par rapportà Zeus (illustrantl'univers).Ceux-cideviennentcréateurs,à
leur tour,des vivantsmortels,dont le principevital n'est qu'une parcellefugitive
de l'Ame du grandTout.
4. Cf.La causalitéintégrale du Bien d'aprèsla lignede la « République» du présent
travail,ainsi que notreÊtreet la Composition des mixtes,p. 167. Le Bien serait,en
somme,le Logos suprême(Logos étant pris dans le sens d'analogie: cf. là-dessus
le chapitreHeraklitdu livre de Fränkel: Dichtungund Philosophiedes frühenGrie-
chentums).
5. L'Etre et la Composition,p. 156 et suiv.

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Causalité du bien et mélangeplatonicien

On pourrait,par conséquent,affirmer que son premiermoment,la


Mesure,est le Nombre(ou l'ensembledes NombresIdéaux) qui mesure
l'Éternitéde l'Être, tout commele nombrede l'âme cosmiquemesure
le tempsdu sensible; que son autremoment,la Beauté (constellation
des FiguresIdéales*) est la configuration méta-géométrique qui mesure
la spatialitéintelligible
(ou le lieu 2,le toposdes Idées) tout commela
configuration de l'âme circulairedu Cosmosmesuregéométriquement
l'espace des corpsélémentaires. Mesure,originede la Temporalité, et
Beauté,sourcede la Spatialité,déterminent en se composant l'Être8des
Idées,vivantsintelligibles qui ont ainsicommecorps(si l'on peuts'ex-
primerainsi)l'espacepur des FiguresIdéales,et commeâme le temps
pré-éternel* des NombresIdéaux. En se mélangeant, à leur tour,ces
vivantsintelligiblesfondentcettetemporalité et ce nombrequi consti-
tuentl'Amedu Monde,et cettespatialitéordonnée, ces figuresgéomé-
triquesqui instaurent les élémentsdu corpscosmique; autrement dit,
le toutdu Sensible.
Ainsi,en définitive,le déploiement total du Bien n'est,au fond,que
l'histoirecomplètede la composition des mixtes,synthèseontologique
et métaphysique suprême.
N. I. Boussoulas.

1. Ibid.
2. La Beauté (correspondant aux FiguresIdéales) étantsituéesur le mêmeniveau
que l'instantané- dans lequel elle se révèle- s'avère,avec ce dernier,une physis
atopos(Parménide,3e hypothèse,156 d) ; autrementdit, la Spatialitéjaillit horsde
toutekhôraet de touttopos,tout commele tempsnaît horsde toutkhronos.
3. Ce que le Philèbe,66 b appellele troisièmebien (le nouset la vérité).
des Néoplatoniciens.
4. Analogueà celuide run, au-delàde l'essenceetde l éternité,

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