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Revue Philosophique de Louvain

André-Jean Voelke, La philosophie comme thérapie de l'âme.


Études de philosophie hellénistique. Préface de Pierre Hadot
Jacques Follon

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Follon Jacques. André-Jean Voelke, La philosophie comme thérapie de l'âme. Études de philosophie hellénistique. Préface de
Pierre Hadot. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 92, n°4, 1994. pp. 588-592;

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Libéra («Albert le Grand ou l' antiplatonisme sans Platon»). Enfin, la


deuxième partie présente, sous le titre «Platon calomniateur, comédien,
plagiaire», des contributions de Marie-Odile Goulet-Cazé («Le cynisme
est-il une philosophie?»), de Laurent Pernot («Platon contre Platon: le
problème de la rhétorique dans les Discours platoniciens d'Aelius
Aristide»), de Luc Brisson («Les accusations de plagiat lancées contre
Platon»), de Sylvain Matton («Quelques figures de l' antiplatonisme de la
Renaissance à l'Age classique») et d'Alain Le Boulluec
(«Antiplatonisme et théologie patristique. Quelques acteurs et témoins de
controverses trinitaires aux xvne et xvme siècles»). Pour terminer, signalons
que ce premier volume s'achève sur un utile index locorum.
Jacques Follon.

André-Jean Voelke, La philosophie comme thérapie de l'âme.


Études de philosophie hellénistique. Préface de Pierre Hadot (Vestigia.
Pensée antique et médiévale, 12). Un vol. 19 x 13 de xvm-143 pp. Fri-
bourg (Suisse), Éditions universitaires; Paris, Éditions du Cerf, 1993.
Prix: 135 FF.
Ce volume rassemble sept articles publiés dans diverses revues
entre 1976 et 1991 par le regretté André-Jean Voelke, qui fut longtemps
professeur de philosophie à l'Université de Lausanne et qui est mort
prématurément en 1991. Comme le titre du livre l'indique, ces articles,
soigneusement choisis dans la bibliographie copieuse de l'auteur,
tournent autour de la fonction thérapeutique de la philosophie à l'époque
hellénistique, thème qui, comme on le sait, a été aussi brillamment
étudié par le préfacier de l'ouvrage, Pierre Hadot, qui était par ailleurs un
ami du disparu. Dans un petit texte inédit, publié ici sous la forme de
remarques préliminaires (p. xv), A.-J. Voelke explique lui-même
comment il a été amené à s'intéresser à cet aspect original de la pensée
antique. Sans doute avait-il depuis longtemps noté les nombreuses
comparaisons qu'on peut trouver dans les textes anciens entre le philosophe
et le médecin, l'ignorance du non-philosophe et la maladie,
l'apprentissage philosophique et la guérison... Mais cette conception de la
philosophie comme thérapie de l'âme ne l'a vraiment frappé que lors de sa
lecture des Investigations philosophiques de Wittgenstein, car ce
dernier aussi «prête à la philosophie une fonction thérapeutique et lui
assigne la tâche de conduire à un état d'apaisement qui peut faire
penser à Yataraxie des anciens {Investigations philosophiques, § 133)»
{ibid.). Cependant, ayant relu, à la suite de ce rapprochement, les textes
anciens où la philosophie est ainsi présentée comme une thérapeutique,
A.-J. Voelke avoue qu'il fut d'abord quelque peu déçu, car, nous dit-il,
«l'idée que je cherchais à préciser se dissolvait en une série de lieux
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communs qui se retrouvaient indifféremment chez les auteurs les plus


opposés, sans que j'arrive à discerner ce qui pouvait revenir en propre
à chacun». C'est alors que Wittgenstein, qui l'avait lancé sur cette piste
de recherches, vint en quelque sorte à son secours en lui indiquant aussi
la voie à suivre: on sait en effet que, pour l'auteur des Investigations
philosophiques, la philosophie est une maladie du langage, dont la gué-
rison, elle-même philosophique, passe nécessairement par une nouvelle
manière de concevoir le langage même. D'où la question inédite que,
partant de là, A.-J. Voelke s'est posée et qui devait lui servir de fil
conducteur tout au long de sa recherche: «la conception du langage
défendue par un philosophe ancien permet-elle de mieux comprendre la
manière dont il conçoit la fonction thérapeutique de la philosophie et de
la distinguer sous ce rapport des autres philosophes anciens?» (p. xv).
De fait, dans les articles ici réunis, l'auteur montre magistralement que
«pour les sceptiques, les épicuriens et les stoïciens, maladie et guérison
se situent dans l'ordre du discours intérieur et impliquent une certaine
conception du langage» (P. Hadot, p. ix).
Mais ce rapprochement fécond qu'A.-J. Voelke avait ainsi opéré
entre Wittgenstein et les philosophes hellénistiques n'était pas le fruit
du hasard. Au contraire, il procédait d'une volonté originale
d'actualisation de la philosophie ancienne, dont on trouve les principes
méthodologiques admirablement définis dans les deux premiers articles,
repris sous la forme des chapitres 1 et 2 du présent volume: «La
fonction heuristique de la tradition en philosophie» et «Intérêt de la raison
et actualité des textes philosophiques anciens». Ces principes peuvent
se résumer comme suit. L'actualisation des textes philosophiques
anciens dépend en grande partie de notre manière de les lire: il convient
certes de les aborder comme des textes qui contiennent des
significations susceptibles de susciter aujourd'hui encore l'intérêt de la raison, et
donc non pas seulement comme des documents simplement historiques
ou psychologiques; mais il faut aussi, impérativement, éviter deux
écueils, qui consistent l'un à ne voir dans la philosophie moderne ou
contemporaine qu'une répétition de la philosophie ancienne, l'autre à
ne considérer la pensée de l'antiquité que comme une anticipation de
celle d'aujourd'hui. Selon A.-J. Voelke, on trouve un bon exemple de la
première attitude dans l'ouvrage bien connu de J.-C. Fraisse, Philia: la
notion d'amitié dans la philosophie antique, tandis que le livre non
moins célèbre de R. Boehm, La métaphysique d'Aristote: le
fondamental et V essential, fournit une belle illustration de la seconde. A première
vue, ces deux types d'herméneutique sont tout à fait opposés, mais en
réalité ils se rejoignent, car tous deux présupposent une permanence des
problèmes et des systèmes philosophiques qui favorise des projections
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faisant «du passé l'annonce du présent ou du présent la résurgence


du passé. Mais trop souvent ces projections ne donnent aux
significations passées qu'une actualité superficielle, voire même illusoire, et
masquent une actualité plus profonde, liée à leur inactualité même,
c'est-à-dire au fait que ces significations sont irréductiblement
différentes de celles qui se font jour dans les investigations des philosophes
d'aujourd'hui» (p. 22).
Ce sont ces principes herméneutiques qu'on trouve précisément à
l'œuvre dans les cinq articles qui forment les chapitres 3 à 7 du recueil:
«Santé de l'âme et bonheur de la raison: la fonction thérapeutique de la
philosophie dans l'épicurisme» (chap. 3); «Opinions vides et troubles
de l'âme: la médication épicurienne» (chap. 4); «La fonction
thérapeutique du logos selon Chrysippe» (chap. 5); «Santé du monde et santé de
l'individu: Marc-Aurèle V, 8» (chap. 6); et «Soigner par le logos: la
thérapeutique de Sextus Empiricus» (chap. 7). En même temps, ces
articles exploitent la découverte de l'auteur selon laquelle l'idée que les
anciens avaitent de la philosophie comme thérapie de l'âme était en fait
liée à leur conception du langage. Plus précisément, les chapitres 3 et 4
constituent une analyse approfondie du sens de la célèbre pensée d' Epi-
cure: «Vide est le discours du philosophe qui ne soigne aucune affection
humaine. De même en effet qu'une médecine qui ne chasse pas les
maladies du corps n'est d'aucune utilité, de même aussi une philosophie, si
elle ne chasse pas l'affection de l'âme» (221 Usener). En effet, A.-J.
Voelke montre bien que dans cette pensée l'adjectif «vide» (kénos) ne
signifie pas seulement «vain» ou «faux», mais implique en fait toute la
doctrine épicurienne du langage, selon laquelle est «vide» tout discours
où les mots (et les opinions) n'ont aucun contenu réel, parce qu'ils ne
correspondent pas aux prénotions ou images mentales enracinées dans
l'expérience commune à tous les hommes. Dans ces conditions, la
thérapeutique philosophique des épicuriens consistait à «remplir» ce discours
«vide» par la vision intuitive de telles prénotions, et donc à «nourrir»,
pour ainsi dire, l'âme, de manière à l'installer dans cet état de satiété qui
constituait, aux yeux d'Épicure et de ses disciples, le vrai bonheur. Le
chapitre 5, quant à lui, est basé sur une analyse du Therapeutikos de
Chrysippe, qui constituait le quatrième et dernier livre de son traité Des
passions. Dans ce livre, en effet, Chrysippe montre que toute passion
découle de deux jugements erronés. Le premier n'est erroné que pour un
stoïcien: il consiste à juger, à tort, que tel fait qui nous affecte et qui ne
dépend pas de nous est un mal, alors que, d'après la doctrine stoïcienne,
le bien et le mal ne concernent que les choses qui dépendent de nous; le
second jugement est celui par lequel on estime qu'il convient de
s'attrister de ce fait que nous considérons comme un mal. Or, selon Chrysippe,
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ce second jugement peut être dissocié du premier et dûment rectifié, sans


que l'on doive nécessairement corriger le premier jugement en
professant le stoïcisme. Grâce à cette distinction, Chrysippe peut alors
entreprendre de venir en aide à tous ceux qui «ajoutent» ce second jugement
erroné au premier, c'est-à-dire à tous ceux qui n'adhèrent pas à la
philosophie stoïcienne et qui souffrent des passions. Bien entendu, chez lui
cette thérapie ne consiste pas, comme chez Epicure, à remplir le «vide»
du discours en faisant voir intuitivement les prénotions ancrées dans
l'expérience collective, mais bien à remplacer le jugement défectueux
par un autre jugement, ou, si l'on veut, le discours erronné par un autre
discours, qui montre que toute passion est un état irrationnel et
discordant. Dans ce but, le philosophe-thérapeute emploiera des arguments
adaptés à la personnalité et aux opinions philosophiques du patient,
quelles que soient celles-ci; ce qui montre que pour Chrysippe il était
possible de soigner les passions sans exiger des malades une adhésion
préalable aux principes du stoïcisme. Le chapitre 6 est une étude
approfondie d'un extrait assez long des Pensées de Marc-Aurèle (V 8, 8), où
celui-ci nous invite à «élever le désir universellement répandu d'être en
bonne santé en lui assignant comme fin non plus la santé de l'individu
infirme que nous sommes, mais celle d'un organisme élargi aux
dimensions du monde et comprenant chacun de nous comme une partie
intégrante» (p. 106). Enfin, le chapitre 7 examine la fonction thérapeutique
de la philosophie chez Sextus Empiricus. Car pour celui-ci le philosophe
sceptique est bien «un médecin chargé de soigner la présomption et la
précipitation des dogmatiques» (p. 1 17), le principe et la cause du
scepticisme n'étant rien d'autre que «l'espoir de parvenir à l'ataraxie en
mettant fin aux troubles et aux apories provoquées par la disparité dans les
choses» (p. 116). Et A.-J. Voelke de préciser: «Cette disparité, qui
introduit la discordance et l'opposition dans l'ensemble des phénomènes
sensibles et des conceptions intellectuelles, s'étend à tous les objets
considérés par les philosophes dogmatiques. Aussi les multiples
problèmes débattus dans leurs écoles sont à l'origine de troubles que le
philosophe sceptique cherche à guérir. On pourrait, en suivant Wittgenstein,
parler à ce propos de difficultés torturantes et opposer à sa manière la
philosophie comme pathologie à la philosophie comme cure» (ibid.). Où
l'on retrouve le rapprochement avec Wittgenstein qui avait été esquissé
dans le premier chapitre... D'ailleurs, comme Wittgenstein aussi, les
sceptiques estimaient que les arguments utilisés pour guérir les
dogmatiques étaient des sortes de purgatifs, qui non seulement éliminaient les
causes de la maladie, mais étaient aussi éliminés avec elle. A.-J. Voelke
remarque cependant que la thérapeutique du scepticisme soulève un
problème «difficile, peut-être insoluble» (p. 122): comment peut-il
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convaincre et guérir, ce sceptique qui s'interdit toute affirmation


dogmatique et se limite à exposer ou plus exactement à annoncer ce qui lui
apparaît ou ce qu'il éprouve, en un mot son pathos, qui est en
l'occurrence «l'état d'une pensée qui ne se prononce pas» (p. 121)? Bref,
comment son langage «peut-il agir sur ses destinataires?» Peut-être, répond
notre auteur, faudrait-il ici «concevoir une communication qui ne serait
en aucun cas l'enseignement d'un savoir» (p. 122).
Au total, ce recueil posthume d'articles est donc le bienvenu, car,
lus d'une traite, les articles qu'il contient, nous permettent de mieux
percevoir l'unité et l'originalité de la recherche d'A.-J. Voelke. Précisons,
pour terminer, qu'il comporte en fin de volume la bibliographie des
travaux de l'auteur, une table des passages cités et un index des termes
techniques.
Jacques Follon.

Edouard-Henri Wéber, La personne humaine au xme siècle.


L'avènement chez les maîtres parisiens de l'acception moderne de l'homme
(Bibliothèque thomiste, 46). Un vol. 24 x 16 de 546 pp. Paris, Vrin,
1991. Prix: 240 FF.
Le point de départ de l'ouvrage d'E.-H. Wéber réside dans la
condamnation le 7 mars 1277 par E. Tempier, évêque de Paris et, à ce
titre, autorité suprême de l'Université de Paris, de 219 thèses
philosophiques et théologiques professées dans la Faculté des Arts et lisibles dans
des œuvres de théologiens qui ne tarderont pas à s'imposer — par
exemple Thomas d'Aquin. Se trouvent ici condamnées des thèses
aberrantes et objectivement hétérodoxes, mais aussi des affirmations
incomprises et déroutantes pour une génération de théologiens et des
philosophes devant faire face à l'émergence, de plus en plus forte et assurée, de
nouvelles problématiques théologiques et philosophiques et donc de
nouvelles thèses. La découverte progressive d'Aristote à partir des Arabes,
depuis la première traduction du grec (le De Anima, vers le milieu du xiie
siècle), ou de l'arabe (la Physique vers 1180), jusqu'à l'inscription
officielle du Stagirite (en 1255) au programme de la faculté des Arts de
l'Université de Paris, la lecture des commentateurs arabes (Avicenne, Averroès,
Alexandre d'Aphrodise) et d'autres philosophes de l'antiquité (VElemen-
tatio Theologica de Proclus est ainsi traduite en 1268) et enfin l'apparition
de plusieurs générations de théologiens exceptionnels font de ce treizième
siècle un moment original dans l'histoire de la théologie et de la
philosophie, un moment aussi qui dut faire face aux incompréhensions de ses
contemporains. Partant du fait que 111 des 219 propositions condamnées
concernent directement des problèmes d'anthropologie — la nature de
l'homme, son activité intellective ou volitive, son statut de créature, le

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