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LÉVINASSIENNES
2002 - n ° l
Lévinas, le temps
SOMMAIRE
LÉVINAS, LE TEMPS
EMMANUEL LÉVINAS
LEITRES CARRÉES
LE DÉBAT
TÉMOIGNAGES
SÉMINAIRES
RECENSIONS
Présentation
« Il y a peut-être une ouverture dans mon histoire, mais tout ce qui doit
être trouvé là n'a pas encore été mis en valeur, il faut se méfier souvent des
gens qui répètent ce qu'on leur ouvre, qui n'entrent pas là où l'ouverture doit
se faire... » 1
Oui, cette ouverture seule permet l'imprévu des rencontres - celle, par
exemple, qui a donné lieu à la fondation de l'Institut d'Etudes Lévinassiennes.
Jamais, Alain Finldelkraut, Bernard-Henri Lévy et moi-même, si différents, nous
n'aurions pu nous allier dans la répétition; nous n'étions pas - plus - chacun à
sa manière, devant le texte de Lévinas, fascinés mais reconnaissants. Condition
de la fécondité. La phénoménologie- qui fut l'histoire de la pensée-, Lévinas,
son judaïsme conduisent simplement à l'ouverture... d'où il faut penser.
Il n'est pas étonnant que la décision qui« fera ouvrir nos livres fermés et
nos yeux »2 se prenne d'abord à Jérusalem.
Benny Lévy
Lévinas, le temps
Elena Bovo
___ j
7
Lévinas, le temps
Elena Bovo
Pour Husserl, le temps introduit une absence, un écart, une altérité dans
la perception, et donc dans celui ou celle qui perçoit. Cette conception du temps
comme altérité qui habite la conscience apparaît déjà dans les Leçons où, par
contre, l'analogie entre l'expérience du temps et celle d'autrui n'apparaît pas
encore6 • Dans ce texte émerge l'idée que la temporalité dont la conscience est
tissée, ses vécus passés et ses vécus anticipés, produisent un écart, une
profondeur ou un espacement au sein même de la conscience. Comme le
souligne Rudolf Bernet dans son texte La vie du sujet1 , chez Husserl le temps
implique l'idée d'une absence« qui surgit au cœur même de la présence du
sujet transcendantal à lui-même » 8 •
L'acte de la conscience perceptive, qui se rapporte à un objet, a toujours
une durée : il garde en soi la conscience des phases précédentes et suivantes.
Les objets sont toujours des« objets temporels» car, comme le dit Husserl, ils
« ne sont pas seulement des unités dans le temps, mais contiennent aussi en
eux-mêmes l'extension temporelle »9 • Ou encore : « Il est évident que la
perception d'un objet temporel comporte elle-même de la temporalité, que la
perception de la durée présuppose elle-même une durée de la perception, que
6. L'analogie explicite entre les deux expériences apparaîtra dans les Méditations
cartésiennes. C'est dans un passage du paragraphe 52 de la cinquième Méditation que
Husserl voit l'analogie entre l'empathie avec l'autre ego et le ressouvenir : « De même que
mon passé, en tant que souvenir, transcende mon présent vivant comme sa modification, de
même l'être de l'autre que j'apprésente transcende mon être propre au sens de "ce qui
m'appartient" d'une manière primordiale» (E. Husserl, Méditations cartésiennes, trad. G.
Peiffer et E. L évinas, Paris, Vrin, 1996, p. 188). Husserl souligne pourtant une différence
capitale entre ces deux expériences : dans le cas du souvenir, le moi se rapporte à un moi
qui, même s'il n'est pas immédiatement présent, est toujours le même; par contre, dans le
cas de l'expérience d'autrui, le moi se rapporte à un autre moi qui ne se laisse pas identifier
sous le flux temporel de son propre vécu. (Pour une analyse et une mise en question de la
critique lévinassienne de la conception husserlienne de l'alter-ego, voir le texte de Jacques
Derrida : « Violence et métaphysique», in : L'écriture et la différence, Paris, Ed. du Seuil,
1967, pp. 173-196).
7. Rudolf Bernet, La vie du sujet. Recherches sur l'interprétation de Husserl dans
la phénoménologie, Paris, P.U.F., 1994.
8. Ibid., p.216.
9. Edmund Husserl, Leçons, p.36.
10 Elena Bava
son propre passé, ce qui fait qu'elle s'appréhende après coup. Le présent de la
conscience est accompagné de rétentions, et si cette conscience est la saisie du
maintenant d'un objet, elle s'appréhende comme action seulement parce que
cette action est retenue dans un présent qui devient passé.
Dans la trace, « Dieu » est signifiant comme un passé qui n'est ni indiqué, ni signalé,
simplement passé. « Dieu» est gardé dans la trace, en creux, pour ainsi dire, comme en
retrait, comme quelque chose qui ne se laisse pas remémorer, toujours déjà passé.
14. En décrivant la structure du ressouvenir comme appartenant à la classe des
vécus intentionnels que Husserl appelle des actes de re-présentation, RudolfBernet souligne
ainsi son caractère reproductif: « Dans un acte de ressouvenir, je me penche présentement
sur un vécu passé que je ressuscite en le rendant présent à nouveau sans oublier pour autant
qu'il appartient à un présent passé. Je revis maintenant ce que j'ai déjà vécu dans le passé et
je vis ainsi simultanément dans deux présents qui restent cependant séparés par une certaine
distance temporelle. » (R. Bernet, La vie du sujet, op. cit., p.246)
15. Emmanuel Lévinas, « La trace de l'autre», in: En découvrant l'existence, op.
cit., p.200.
Le temps,cette altérité intime 13
diffère d'elle-même sans différer ; elle diffère sans différer, autre dans
l'identité» 16• Cette différence dans l'identité, cette altération toujours neutralisée,
cette modification qui n'est pas un changement, coïncide pour Lévinas avec
les concepts husserliens de protention et de rétention. Dans la rétention, le
passé de l'impression subit des modifications, vieillit sans jamais changer
d'identité. Ainsi Lévinas explique le temps de la conscience comme un temps
toujours récupérable. Par contre, le temps de la trace, avec l'idée d'un passé
toujours déjà là, immémorial, ouvre au temps de l'éthique où le moi est impliqué
dans un passé qui se soustrait à toute réminiscence. Comme Lévinas le dit dans
« Diachronie et représentation » 17 , le sens de ce« passé immémorial» ouvre le
moi à l'autre et à son passé - inconnu à ses yeux - qui le concerne pourtant
responsabilité qui se délie de la conscience, responsabilité qui se rapporte à un
passé irréductible à un« présent qu'il eût été». Le passé d'autrui me commande
comme un ordre que je ne peux pas assumer : « L'assujettissement précède,
dans cette proximité du visage, la décision raisonnée d'assumer l'ordre qu'il
porte » 18•
30. Emmanuel Lévinas, Totalité et Infini. Essai sur l'extériorité, Paris, Kluwer-Le
livre de poche, [1961] 1990, p.316.
31. Edmond Husserl, Leçons, p.44.
32. Comme Françoise Dastur le souligne, il n'y a pas vraiment un point initial qui
ne soit pas déjà travaillé par l'histoire. Tout maintenant est « un maintenant étendu qui
comprend en lui-même son propre éloignement à! 'égard de lui-même». Françoise Dastur,
18 Elena Bovo
relation avec le présent, il est ce qui n'est pas saisi, ce qui s'empare du moi.
L'avenir bouleverse le moi comme un choc, il est discontinuité, donc possibilité
d'un tout nouveau commencement. Au lieu d'un continuum, qui inclue tout de
même la modification en termes de protention et rétention, on trouve chez
Lévinas une temporalité constituée par des coupures radicales et définitives.
L'absence de continuité entre le passé et l'avenir permet de penser l'avenir
comme un recommencement absolu rendu possible par la « purification du
passé» : « Un instant ne sort pas de l'autre sans interruption, par une extase.
L'instant dans sa continuation - trouve une mort et ressuscite. Mort et
résurrection constituent le temps. Mais une telle structure formelle suppose la
relation de Moi à Autrui et, à sa base, la fécondité à travers le discontinu qui
constitue le temps.»36
Ce à quoi aboutit la conception du temps chez Lévinas et ce qui la
distingue profondément de celle de Husserl est l'idée de fécondité. Celle-ci
n'indique pas seulement une coupure par rapport à ce qu'il y avait avant, mais
aussi un recommencement radical. L'idée de fécondité conduit à celle de
paternité, catégorie selon laquelle pour Lévinas s'accomplit le temps. La
paternité ouvre à une situation où le moi se rapporte à l'altérité sans se dissoudre
pour autant, où le moi devient autre que soi : « La paternité est la relation avec
un étranger qui, tout en étant autrui, est moi; la relation du moi avec un moi
même, qui est cependant étranger à moi»37 •
La description du temps à travers les images de la paternité, de la fécondité
et du fils nous conduit sur un terrain qui n'est plus celui de la phénoménologie,
comme Lévinas le reconnaît lui-même3 8•
Si c'est autrui qui me donne le temps, peut-on penser, avec Lévinas, une
dimension intersubjective de la temporalité ?
Pour Husserl, l'autre ego ne peut pas donner le temps au moi, car il est
comme lui, temporel. Pour lui comme pour le moi, le temps est à la fois subi et
déployé. La subjectivité est essentiellement intersubjective parce qu'elle est
temporelle, comme Husserl le dit dans un passage des Husserliana XV: « Nous
avons en tout ego la synthèse intersubjective qui se présente en lui, et chacun
peut trouver et décrire l'intersubjectivité elle-même comme étant pure. Chacun
dans son présent immanent trouve cette intersubjectivité dans le recouvrement
de son présent avec le présent de tout autre, et incluse dans le présent en tant
que ce présent est intersubjectif. »39 Quelques pages plus loin, Husserl dira que
c'est parce qu'il y a une forme unitaire du temps, recueillant toutes les monades
(chacune ayant son propre temps), que l'autre ego est apprésenté à l'ego. A
l'intérieur du temps de l'ego trouve place l'intentionnalité de son propre passé
et de son propre futur, ainsi que les perceptions des vécus des autres ego. La
non-coïncidence temporelle avec soi-même, aussi bien que la non-coïncidence
éprouvée dans le rapport avec l'autre, présupposent une co-présence originaire.
Dans le premier cas, il s'agit d'une communauté de conscience avec le moi
passé, dans le second cas, d'une co-présence originaire avec l'autre : « A
l'intérieur de son temps primordial rempli, toute monade a aussi des vécus
emphatiques, par quoi passe de part en part la constitution des co-temporalités,
des monades étrangères »40• La subjectivité, incompréhensible en dehors du
flux temporel, est constitutionnellement ouverte à la dimension intersubjective
impliquée par son caractère temporel.
Pour Lévinas, la temporalité n'est pas intersubjective : c'est autrui qui
ouvre le moi au temps. Et le temps, comme autrui, ne peut libérer le moi de son
« être rivé à soi-même » que s'il lui demeure extérieur. La temporalité doit
échapper à l'emprise du souvenir, comme au sentiment du regret pour les
occasions perdues.
Fabio Ciaramelli
1. Le temps du désir
en tant qu'intuition pure sans aucun contenu empirique est la pure possibilité
de la différence à soi de l'identique : abstraction formelle qui rend a priori
possible l'expérience en général, en donnant une forme continue-un ordre-à
la discontinuité de l'empirique. Mais ce qu'elle présuppose et n'arrive de toute
façon pas à assumer ni à constituer, c'est précisément l'épreuve vécue de
l'altération et de la modification concrètes de l'humain, le traumatisme originaire
du discontinu, l'émergence de l'altérité dont l'éprouvé n'est plus saisissable
comme auto-affection de l'identique. Dans le concret de l'humain - déjà
temporel, mais temporel en un sens qui n'est pas uniquement formel ou a priori,
et qui, donc, échappe d'emblée à l'aventure transcendantale de la connaissance
puisqu'il la nourrit et la soutient -, il s'agit d'isoler autre chose que la
subordination du psychisme au savoir par lequel il thématise ce qu'il égale.
L'épreuve du temps n'est pas la possibilité de l'expérience en général, mais
l'effectivité d'une altération concrète du psychisme, due à l'emprise de contenus
chaque fois déterminés. Bref, l'épreuve du temps n'est que le concret
exceptionnel et quotidien du rapport à autrui 5, que Levinas appelle
« transcendance ».
Il est bien connu que dans la lecture heideggerienne de Kant, l'enquête
transcendantale sur la possibilité de la connaissance a priori - centrée sur le
privilège du temps en tant que forme de l'expérience en général-s'interprète
comme recherche de l'origine ou du fondement de la« transcendance». Celle
ci est à son tour comprise comme transition ou passage de la relation avec
l'étant-présent à la compréhension extatique de son être de part en part temporel.
Cependant, pour Levinas, cette transition altérant le concret de l'existence
subjective n'est véritablement« transcendante» que dans la mesure où elle
atteste l'emprise inassumable-l'œuvre irrémissible-d'un ordre temporel qui
ne revient pas à l'événement purement verbal de l'être au sens heideggerien.
En effet, l'ordre temporel constitue pour Levinas une inversion primordiale de
l'ordre ontologique où tout commence dans l'immanence ou dans l'auto
référence d'une différence à soi de l'identique. Finalement, le temps ne saurait
apparaître, de soi, comme « transcendant » que pour autant qu'il atteste
le plus authentique il [le Dasein] n'existe qu'en vue de soi - il s'est ramassé en
quelque manière en excluant de la compréhension soucieuse de son existence
tout ce qui n'est pas son existence »6 • C'est précisément cette exclusion
- aussitôt qualifiée de « désespérée »7 - qui détermine le mouvement ou la
transcendance de l'existence heideggerienne, dont les articulations« découleront
d'une façon bien déterminée d'exister, c'est-à-dire de comprendre l'existence,
c'est-à-dire encore de se temporaliser »8 • Dès lors, le mouvement temporel de
l'existence qui équivaut à la transcendance n'est ouverture à ce qui déborde les
cadres du présent originel du Dasein que dans la mesure où il s'enracine dans
la structure temporelle, mais auto-référentielle, du souci. « Dans ce souci
-précise encore Levinas -1'existence humaine esquisse, d'ores et déjà, 1'horizon
de l'être en général, de l'être verbe, seul en question dans ce souci »9 • En
n'existant qu'en vue de soi, en vue de son être, le Dasein est bien temporel et
en lui-même transcendant, mais le mouvement de cette transcendance
ontologique ne le ramène qu'à soi. La temporalité heideggerienne, par
conséquent, n'est que la façon dont l'existence se rapporte à ses pouvoir-être
par le fait même d'exister, par l'accomplissement de cette existence moyennant
le souci qui, tout en l'exposant à l'aventure verbale de l'être, en fin de compte
la reconduit toujours à sa solitude du souci et de la résolution. Bref, la
transcendance qu'est le Dasein ne sort pas de l'auto-référence d'un exister
soucieux de son existence. Nous savons déjà que pour Levinas« le temps n'est
pas le fait d'un sujet isolé et seul, mais qu'il est la relation même du sujet avec
autrui » 10• La transcendance heideggerienne est donc dépourvue de temporalité.
Pour Levinas, au contraire, la transcendance doit être entendue comme
le parcours temporel infini qu'esquisse l'existence humaine. Il s'agit d'un
mouvement sans retour et sans achèvement, car le temps est dépourvu d'une
archéologie et d'une téléologie données. L'existence humaine ne parcourt 1'ordre
infini du temps qu'en étant relation avec autrui - rapport à un étant, à un
substantif, qui invertit l'anonymat répétitif du déroulement verbal de l'être, et
14. « [ ... ]de sorte que la fameuse phrase 'Das Dasein existiert umwillen seiner'
peut être considérée comme une transposition de la théorie aristotélicienne de la praxis »,
Jacques Taminiaux, lectures de l'ontologiefondamentale. Essai sur Heidegger, Grenoble,
Millon, 1989, p. 165.
15. GA, op. cit., 24, p. 436.
La déformalisation du temps et la structure du désir 29
dans l'être atteint sa possibilité la plus haute. Dès lors, l'agathon platonicien
compris comme le Worumwillen du Dasein n'est au-delà de l'ousia que parce
qu'il arrive à accomplir au plus haut degré la persistance dans l'être, naturelle
aux étants et constituant leur essence - mais à l'accomplir en les transcendant
pour se soucier de l'être.
A l'opposé de Heidegger, Levinas retrouve dans la formule platonicienne
une connotation éthique irréductible à l'ontologie du souci. C'est le concret de la
relation avec autrui qui déformalise la temporalité de l'existence humaine et qui
dessine le mouvement même de la transcendance, dans la mesure où la temporalité
de l'humain constitue une interruption de l'ordre de l'être. Si le rapport à l'être
implique pour Heidegger une appropriation de la puissance d'être soi, Levinas
insiste sur le caractère impersonnel de l'être au sens verbal, dont l'essence,
anonyme et neutre, n'est qu'une incessante modification revenant toujours au
même, n'impliquant ni discontinuité ni déplacement, ou n'impliquant que
l'altération répétitive par laquelle le Même se décolle de lui-même et se fait
phénomène. La temporalité de l'avènement essentiel de l'être n'est que cette auto
monstration originaire, qui ne sort jamais de son immanence à soi, c'est-à-dire de
la puissance d'être soi-même dans la persévérance d'une répétition irrémissible
et indéfinie. Le surgissement d'un étant au sein de l'être verbe interrompt
précisément le définitif du ressassement de l'essence. Cette interruption inaugure
l'ordre humain du temps au-delà de l'essence verbale de l'être. Par le biais de la
relation avec autrui comme mouvement vers le Bien, le temps déroule et étale le
mouvement même de la transcendance au-delà de l'être.
Dès lors, il n'y a pas de continuité entre l'ordre de l'être - l'ordre de sa
temporalité verbale indéfinie et répétitive, se ramassant dans la présence immédiate
et directe de son auto-monstration - et la temporalisation de l'existence humaine.
Il n'y a aucune déduction possible de la relation à autrui (de la pluralité humaine)
à partir de l'être (de son immanence moniste).
Pour saisir le temps comme relation avec autrui, il faut penser l'altération
infinie de l'humain en nous, qui renvoie à ce qui n'a pas commencé dans un
présent - fût-il le présent révolu d'un passé remémorable - et qui ne se terminera
dans aucun futur destiné à accomplir les pouvoir-être les plus propres du présent.
Or cet enchevêtrement temporel - cette intrigue d'un passage imprévisible de
l'être à l'autre - n'est pas une abstraction spéculative mais le concret de l'existence
humaine, l'épreuve singulière et paradoxale d'un psychisme séparé de l'être mais
implanté dans l'être, originairement irréductible à sa coïncidence avec soi, et
30 Fabio Ciaramelli
3. Temporalité et représentation
philosophe ... Elle est en tout cas pour Husserl l'artefact auquel aboutit La téléologie de la
vie intentionnelle - et non pas l'attribut spinoziste de la Pensée. Projet de possession intellectuelle
du monde, la constitution devient toujours davantage, à mesure que mûrit la pensée de Husserl,
le moyen de dévoiler un envers des choses que nous n'avons pas constitué.» (Maurice Merleau
Ponty, « Le philosophe et son ombre», Signes, Gallimard, 1960, p.227)
18. Emmanuel Levinas, La Théorie.de/ 'intuition dar,s la phénoménologie de Husserl
(1930), Vrin, 1984, pp.202-203, souligné dans l'original.
19. Platon, Septième lettre, 341 c-d.
32 Fabio Ciaramelli
r
l 20. Autrement qu'être, op. cit., p. 38.
l
I'
1
34 Fabio Ciaramelli
4. Intentionnalité et désir
Responsible Time
Richard A. Cohen
of affirmative ("S is p.") and negative ("S is not p.") judgements. These
standards, at minimum, are two: the principle of non-contradiction ("No
statement can be both true and false") and the principle of excluded middle
("Any statement is either true or false"). These two standards, in turn, are both
required by and constitute any knowledge that claims to be systematic, that is,
internally coherent. Within these strict confines, then, the passage or
transcendence of "before" and "after" become forms of non-being, absences
whose sense is limited to the logical opposition of"is" and "is not". Time and
being-the being oftime, the time ofbeing - are thus bound together by means
ofa "copula" limited to and hence ruled by the computational logic ofaffirmative
and negative judgement.
Underlying the reduction of time to proposition logic, then, are two no
less fundamental but perhaps even more hidden - or presupposed-reductions,
bath ofwhich originate in ancient Greek thinking. First, the equation of being
and logos, authorized by Parmenides' Theogony 1 . True being would be only
that being certified by the order ofthe mind. Second, the equation oflogos and
logic, first articulated by Aristotle in his Organon2• The order ofthe mind would
be only that order conforming to the principles of non-contradiction and
excluded middle, and all the permutations (implications) linking propositions
arising from and reflecting that conformity. The result ofthese two reductions
- ofbeing to logos and of logos to logic-would be an understanding oftime
subject to the paradoxes made famous by Zeno, Parmenides' student and fellow
Elean. Subject to the philosopher's logic, reality itselfwould now be counter
intuitive. The fleet footed Achilles would be unable to defeat the slowest tortoise
in a foot race. An arrow shot from a bow would never reach its target. These
and other paradoxes, despite the obvious and profound challenge they
imrnediately raised for classical thought, were -amazingly - never resolved
by subsequent philosophy or theology. Rather, they, along with time, were
dismissed as illusory. Time and reality would have to conform to logic, however
ludicrous the results. What Zeno's paradoxes show for a mind still free of
philosophy is, rather, that something is terribly wrong with the logic of the
A new story appears with the philosophy of Henri Bergson. Exposing and
Responsible Time 43
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46 Richard A. Cohen
past, for its part, remains what it was for Bergson : that from out of which the
present has corne to be and that which the now authentic individual strives to
appropriate but can only do so inadequately, incompletely (" Verschuldung").
The past, in a word, becomes the concrete history that produces Dasein and
that Dasein must but can only inadequately re-appropriate. For both Bergson
and Heidegger, although duration or temporality is the true time, real rather
than represented time, the awakened individual's appropriation of such time
(via "intuition" for Bergson; via "resoluteness" ["Entschluss"] for Heidegger)
remains sporadic. This is because the individual can only rarely pull together
- in intuition or resolution - the real past that leads to the unique present giving
onto the open or death-bound future, rather than being swept away by the
superficial though powerful countervailing pulls of practical and theoretical
interests.
The second step Heidegger takes in his appropriation of Bergsonian
duration is again a limitation. Dasein, in entering into the interior of its own
temporality, facing death, discovers that the being it engages is historical being.
"The specific movement," Heidegger writes in paragraph seventy-two ofBeing
and Time, "in which Dasein is stretched along and stretches itself along, we
call its 'historicizing' ('Geschehen')."6 For Bergson, entering into the interior
of time means entering into the duration of the cosmos itself- its physics and
biology -, in its creative evolution. For Heidegger, no doubt owing to his
Christian theological and German philosophical background7, this engagement
is first and foremost one that reveals the historical unfolding ofbeing, being in
its great "epochal" revelations (pre-Socratic, classical, medieval, modem,
technological). For Heidegger, in contrast to Bergson's cosmic approach,
philosophical engagement - "Denken" - in the temporality of being, would
traverse and remain within its epochal historical manifestations from the
bottom up.
Despite his existential and historical-ontological revisions, however,
Heidegger remains profoundly Bergsonian in his overall outlook. That is to
6. Martin Heidegger, Being and Time, trans. John Macquarrie and Edward Robinson
°
(New York: Harper & Row Publishers, 196'.2), p. 427 (paragraph n . 72).
7. I am tbinking of the Christian theologîcal interpretation of the "Incarnation" as
God's entrance into history ; and of the German phîlosophical tradition of historical
phenomenology from Hegel and Marx to Nietzsche and Dilthey.
Responsible Time 47
say, for both Bergson and Heidegger, the true life is a life attuned to the real, an
engagement with being; and the real or being is fundamentally creative. Indeed,
the Iate Heidegger's well-known critique of"technology" is precisely a defense
of the ontological-historical creativity or generosity ("Es gibt") ofbeing. The
problem of technology, which Heidegger calls "the greatest danger", is only
peripherally a concern with ecological disaster, mass death, agricultural
depletion, nuclear proliferation, and the like, that is to say, a concern with the
host ofother moral issues raised by new technologies. Rather, more grandly as
it were, it has to do with the unique historical-ontological potential within the
present "technological epoch" to permanently occlude any further or new
"revelation" ofbeing. When Heidegger insists that the "essence oftechnology
is not technological", he harps on the notion of "essence" because for Heidegger,
following Bergson, essence is nothing less than "freedom", a new as y et
unknown unveiling ofbeing. In a word, both Bergson and Heidegger are wedded
to aesthetic interpretations of being and philosophy. Being is temporal, to be
sure, but it is so as self-creation. The real is the ever deeper or further or new
manifestation of manifestation, what Bergson, preferring biological-aesthetic
terms over Heidegger's historical-aesthetic terms, calls the "creative evolution"
of a protean "élan vital".
Levinas, for his part, offers a radical alternative account of·time.
As a contemporary thinker, he agrees with Bergson (and Heidegger) that time
is an unsurpassable structure, irreducible and to be interpreted in its own right.
In sharp contrast to the Bergsonian and Heideggerian commitment to an aesthetic
interpretation of genuine being and time, however, Levinas's conception of
genuine time is grounded in ethics, that is to say, in the inter-subjectivity initiated
in moral rather than ontological obligations and responsibilities. How is this
so? How are time, inter-subjectivity and ethics intimately and irreducibly
linked?
Like Bergson, Levinas is struck by the transcendence of time's
dimensions and irreversibility : the futurity of the future as unforeseeable
novelty, the passage ofthe past as immemorial heritage, and the "dia-chrony"
of a present interpenetrated and traced by the irrecoverable excesses of future
and past. But what, he wonders, is capable of opening up such a rupture in
being's identity with itself, its synthesizing and integrating powers? From
whence cornes the true source of an alterity capable of breaking the grip of
being? We have seen that for Bergson it is the inner and essential crea,tivity of
48 Richard A. Cohen
being that outstrips being's integrating functions. Every present is the novel
edge of an accumulating reality. Thus Bergson promotes "intuition", entering
into the interior of creative duration . But such a conception, while
acknowledging the novelty of the present and the unforeseeable character of
the future, nonetheless remains formai, empty ofcontent. 8 One is left to wonder
how meaning accrues to being's ever-unfolding accumulation, how being can
have a sense other than its own blind unfolding.
Regarding Heidegger's concrete determination oftime as, first, Dasein's
temporality, Dasein as being-toward-death, though it is certainly not an empty
formalism, Levinas nevertheless will challenge the phenomenological accuracy
of this determination of futurity. Levinas will ask if one's ownmost
death - unpredictable as to its "when" but inexorable regarding its "that" - is
indeed the utmost and hence the paradigmatic sense of futurity. For Levinas,
contrary to Heidegger, beyond one's ownmost death lies the death of the other.
I will retum to this point shortly. Even in one's own dying, however, one remains,
as long as one lives, not simply in relation to oneself, to one's own utmost
future, but inextricably also in relation to others, to the physician, one's family
(absent or present), one's neighbors, et al. For Levinas, contra Heidegger, death
takes its significance not from one's own being alone, but always from a social
context, in relation to others.
As for Heidegger's claim, second, regarding the epochal historical
unfolding ofbeing, Levinas will again challenge the phenomenological accuracy
of this interpretation of the place and role of history. Is it not rather the case,
Levinas will ask, that humans retain their capacity to judge historical events,
rather than simply being swept up in them, functions or pawns of a narrative
whose meaning history itself would somehow - mysteriously - determine ? Is
history, as the final refuge of meaning, even in its epochal unfolding, capable
ofmoral judgement ? Is not history, taken as the final arbiter ofmeaning, always
rather only the verdict of winners, the history of triumph, realpolitik, and
therefore are not its judgements merely redundant self-congratulations ?
For Levinas, contra Heidegger, there is a deeper time of history, the time of
"sacred history," an invisible history ofmoral agency and the struggle for justice,
a "glory" that remains invisible to the self-congratulatory illuminations ofvisible
history's triumphalism. Against Heidegger's notion of the epochal-historical
revelations ofbeing as the ground oftemporality, Levinas will argue that history
by itself is incapable of the moral judgement that ultimately gives sense to all
historical development. The veritable time of history - moral agency and the
struggle for justice - is deeper than the time of being.
In both cases, then, with regard to mortality and history, contra Heidegger,
Levinas follows an ethical reading, finding a deeper sense of alterity emerging
from the moral significance of mortality and history. Not my death, but the
death - and suffering - of the other concems me most. One can die for the
other. To save the other, to sacrifice the self, to struggle for justice, have a
greater urgency than the call to resolutely become oneselfand care for being's
epochal manifestation. To serve others takes precedence, is a higher calling,
than to serve oneself. The deepest stratum ofphilosophy, then, contra Bergson
and Heidegger, is not the issue of being, "to be or not to be", but rather the
more pressing moral question of one's "right to be."
What do these considerations, Levinas 's ethical critique of Bergsonian
and Heideggerian ontology, have to do with time ? Let us first ofall remember
that the matter of taking time seriously hinges on the meaning of
transcendence. For Bergson, the irreducibility of the transcendence of time
hinges on the creative evolution of the real. For Heidegger, the irreducible
transcendence of creative evolution takes on its concrete significance as a
resolute mortality caring for - "thinking" - the epochal historicity of
being. What Levinas is saying, to the contrary, is that duration, creative
evolution, mortality and history, far from being the source ofmeaning, receive
their ultimate significance - maintain their transcendence - from the absolute
transcendence pressing in the higher claims ofmorality and justice. Time, then,
would not only be a matter of being, whether duration or epochal, but the
impingement ofan alterity with a "face", the alterity, the humanity, ofthe other.
In this way, via the alterity ofthe other person, the priority ofthe other person,
we begin to see how time itself emerges from and as morality and justice. Let
us examine this novel claim more closely.
For Levinas, the past transcends the present not because it is the historical
narrative within which the self finds its ultimate meaning across the work of
recuperation for which the selfis always too late. The selfis not a snake racing
50 Richard A. Cohen
to catch its tail, or if it is, it has no genuine past but only a past incompletely
made present. Rather, more poignantly, the genuine past must be a past so past
that it was never present and never can be present ! Levinas will call it the
"immemorial past". But such a past is found precisely and exclusively in the
moral obligation that the other person imposes on the selfprior to that self's
circuits of self-sameness. One is obligated to the other before oneself- such is
the very structure of moral obligation, beyond self-interest, and at the same
time it is the trace ofan absolute past, a past having passed before it was present.
Or, we can equally say, the self-interested self discovers itself under greater
obligation- is transfigured into its "true self', into its humanity- insofar as its
own self-interest gives way when faced with the moral imperative ofthe other's
suffering. One's own way- always some form of self-presence - gives way to
a suffering for the other 's suffering, self-sacrifice. It is morality, then, obligation
to and for the other, that has the kick- the transcendence- of a priority that is
prior to the self in its identity, rupturing all self-presence with an "immemorial
past".
What has passed irrecoverably before, earlier orprior to any self-presence
"is" moral obligation impinging on the self, coming from the other. Here, then,
in moral obligation, the subject morally subject to the other, serving the other,
Levinas finds the source of the ultimate or paradigmatic sense of pastness : a
past that never was or can be present. Only the other person as moral imperative,
in an excessive proximity that can only be moral, disturbing the subject deeper
than its own self, breaks the self-presence of the self across the passage of an
absolute past. To be sure, it is not the empirical other, or an empirical necessity
that breaks the self ofits selfishness. One can always be selfish, or, as Levinas
says, "one can always refuse the other". Being cannot break out ofbeing. Being
cannot be broken by itself. The other person, however, the one before whom
one is already obligated, the one for whose suffering and mortality one is already
one's brother's keeper, this alterity - moral - pierces through being from on
high.
The past oftime is transcendence, excess, rupture, the before that remains
before. Only morality has the force of such an inordinate transcendence.
It is only the absolute priority of the other persan encountered as moral
imperative that has the alterity to short-circuit all the syntheses ofself-presence,
whether Kant's "transcendental ego", Hegel's "negation of negation",
Nietzsche's "will to power", Husserl's "intentionality", or Heidegger's
Responsible Time 51
"resoluteness" and "epochal being"9• Time cornes from above. The past of the
other cannot be re-collected by the self. Such a piercing of the present,
overwhelming self-presence, is in no way an ontological event. Time does not
"appear", is not a "phenomenon", does not "make itself present", but rather
"disturbs" as the priority of moral responsibility for the other, an obsession
with the other that bears upon the self prior to the self's own natural or
ontological perseverance. The subject of morality is, to use Levinas's
formulation, "more passive than receptivity". Precisely the other 's moral
command is already imposed, already obligates me, has always already passed
- is forever "immemorial" - without ever having been present. In a word, the
moral self is chosen before choosing. The past, then, emerges through and as
compassion.
So, too, the future is also an event of inter-subjectivity. The other person
who bas passed- surpassed me - as moral obligation is also the other who is
always still yet to corne. Only another person, encountered from the first as
moral imperative, retains the otherness of the radically unknowable,
unpredictable, non-graspable. The other whom the subject faces, toward whom
the subject is obligated, escapes the prospective fore-structures of futurity
(whether Husserl's "protention" or Heidegger's "anticipation") that are projected
by the self. The other is always still yet-to-come, always not yet fully arrived
into the present. Nevertheless, to avoid an empty formalism, we must still ask
what is the sense of this "yet-to-come". For Levinas, the "you" one faces has
already passed, to be sure, but the third person singular, the "he" (or "she", if
one prefers) is the one who have not yet arrived. What does it mean that in
facing the other person one at once faces a "you" that is also a "he" ? For
Levinas "the third person singular", which he names "illeity", and the future
must be conceived from the first in terms ofjustice.
Yes, the other obligates the self, and hence has already passed prior to
the subject's self-presence, but the other who faces, "you", is not the only other
person in the world. We are not- or no longer- in the Garden of Eden. One is
bom and lives in society ; there are others. Responding to the other morally,
the subject is also forced to take into consideration all the others who are other
to the one who faces. That is to say, recognizing that "you" are also a "he", the
subject takes upon itself not only moral responsibilities toward this particular
obligating other, but also responsibilities toward all of humanity, all others.
The future, then, is in no way an extrapolation of the present but, as the impact
ofthe other person and ofother persons, it remains not only forever unknowable,
breaking into self-presence with a "not yet" always "to corne", but does so
specifically as the cry of all others, ofhumanity- the call tojustice. The future
that remains future even in the face of the present is the future ofjustice, a just
humanity where, satisfying my moral obligations to "you", the self does not
create injustice to the third persan. The disjunction or disparity between what
the selfowes to "you" and what it owes to all others is precisely the future - the
future as a call to justice.
What, then, of the present ? It, too, is moral non-complacency. Broken
by the priority of moral obligations, called to justice for all humankind, the
present is the work of establishing a just society, a moral society regulated by
just institutions. It is therefore the effort to establish and maintain laws, courts,
schools, democratic institutions, fair weights and measurements, economies of
exchange, communications systems, equal rights, distribution systems for food,
shelter and health care, good manners, entertainment, and the like. It requires
all the resources of knowledge, both science and wisdom. It is interesting to
note, in this regard, that unlike the Hebrew Bible, which bursts with the broad
demands of morality and the prophetic call to justice, the Talmud - the basis
for Jewish "law" - is primarily a work of quantification, measurement, the
refinement, specification, or concretization of the demands of morality and
justice. Philosophy, science and the Talmud, then, like all wisdom, are the work
- the "difficult freedom"- ofthe present. In this way, for Levinas, the "secular"
is not divorced from the "sacred", but rather bec ornes the very work of
sanctification, creatively bringing the demands of morality and justice into the
kingdom of God on earth.
Veritable time is "dia-chrony", a moral responsibility tom and uplifted
by a past that is not its own but the other's, and the same moral responsibility
tom and uplifted toward a future not of its own but humanity's. Thus the
inordinate overwhelming imperatives ofmorality and justice converge, without
ever forming an identity, indeed, uprooting all identities, to "constitut( the
Responsible 'lime 53
deepest meaning of time, subjectivity and sociality. Thus veritable time - the
transcendence of past, present, future, before and after - occurs as each person
serving as a moral atlas, each responsible for each, and each responsible for
all, and I (if it can be said without hubris) responsible before all 1°. Thus emerges
the deepest sense of the past as moral compassion for the one who faces, of the
future as the call to justice for all humanity, and of the present as sanctification,
the "mundane" legal, organizational, economic, social and political labors of
the community of nations seeking shalom.
Richard A. Cohen is Isaac Swift Distinguished Pro/essor of Judaic Studies at the University
of North Carolina at Charlotte. He is author o/Elevations : The Height of the Good in
Rosenzweig and Levinas (Chicago, 1994) and Ethics, Exegesis and Philosophy :
Interpretation after Levinas (2001); editor of two collections on Levinas : Face to Face with
Levinas (1986) andin proximity (2001); and English translator of four books by Levinas.
1 O. For example, as when Abraham, prefacing bis words to God to save Sodom and
Gemorrah from destruction, says of himself : "I am but dust and ash" ( Genesis 18:27); for
further commentary, see, Emmanuel Levinas, "Who is One-Self?", in : New Talmudic
Readings, trans. Richard A. Cohen (Pittsburgh : Duquesne University Press, 1999), pp.
109-126
39
Responsible Time
Richard A. Cohen
of affirmative ("S is p.") and negative ("S is not p.") judgements. These
standards, at minimum, are two: the principle of non-contradiction ("No
statement can be both true and false") and the principle of excluded middle
("Any statement is either true or false"). These two standards, in turn, are both
required by and constitute any knowledge that claims to be systematic, that is,
internally coherent. Within these strict confines, then, the passage or
transcendence of "before" and "after" become forms of non-being, absences
whose sense is limited to the logical opposition of"is" and "is not". Time and
being-the being oftime, the time ofbeing - are thus bound together by means
ofa "copula" limited to and hence ruled by the computational logic ofaffirmative
and negative judgement.
Underlying the reduction of time to proposition logic, then, are two no
less fundamental but perhaps even more hidden - or presupposed-reductions,
bath ofwhich originate in ancient Greek thinking. First, the equation of being
and logos, authorized by Parmenides' Theogony 1 . True being would be only
that being certified by the order ofthe mind. Second, the equation oflogos and
logic, first articulated by Aristotle in his Organon2• The order ofthe mind would
be only that order conforming to the principles of non-contradiction and
excluded middle, and all the permutations (implications) linking propositions
arising from and reflecting that conformity. The result ofthese two reductions
- ofbeing to logos and of logos to logic-would be an understanding oftime
subject to the paradoxes made famous by Zeno, Parmenides' student and fellow
Elean. Subject to the philosopher's logic, reality itselfwould now be counter
intuitive. The fleet footed Achilles would be unable to defeat the slowest tortoise
in a foot race. An arrow shot from a bow would never reach its target. These
and other paradoxes, despite the obvious and profound challenge they
imrnediately raised for classical thought, were -amazingly - never resolved
by subsequent philosophy or theology. Rather, they, along with time, were
dismissed as illusory. Time and reality would have to conform to logic, however
ludicrous the results. What Zeno's paradoxes show for a mind still free of
philosophy is, rather, that something is terribly wrong with the logic of the
A new story appears with the philosophy of Henri Bergson. Exposing and
Responsible Time 43
- ------
46 Richard A. Cohen
past, for its part, remains what it was for Bergson : that from out of which the
present has corne to be and that which the now authentic individual strives to
appropriate but can only do so inadequately, incompletely (" Verschuldung").
The past, in a word, becomes the concrete history that produces Dasein and
that Dasein must but can only inadequately re-appropriate. For both Bergson
and Heidegger, although duration or temporality is the true time, real rather
than represented time, the awakened individual's appropriation of such time
(via "intuition" for Bergson; via "resoluteness" ["Entschluss"] for Heidegger)
remains sporadic. This is because the individual can only rarely pull together
- in intuition or resolution - the real past that leads to the unique present giving
onto the open or death-bound future, rather than being swept away by the
superficial though powerful countervailing pulls of practical and theoretical
interests.
The second step Heidegger takes in his appropriation of Bergsonian
duration is again a limitation. Dasein, in entering into the interior of its own
temporality, facing death, discovers that the being it engages is historical being.
"The specific movement," Heidegger writes in paragraph seventy-two ofBeing
and Time, "in which Dasein is stretched along and stretches itself along, we
call its 'historicizing' ('Geschehen')."6 For Bergson, entering into the interior
of time means entering into the duration of the cosmos itself- its physics and
biology -, in its creative evolution. For Heidegger, no doubt owing to his
Christian theological and German philosophical background7, this engagement
is first and foremost one that reveals the historical unfolding ofbeing, being in
its great "epochal" revelations (pre-Socratic, classical, medieval, modem,
technological). For Heidegger, in contrast to Bergson's cosmic approach,
philosophical engagement - "Denken" - in the temporality of being, would
traverse and remain within its epochal historical manifestations from the
bottom up.
Despite his existential and historical-ontological revisions, however,
Heidegger remains profoundly Bergsonian in his overall outlook. That is to
6. Martin Heidegger, Being and Time, trans. John Macquarrie and Edward Robinson
°
(New York: Harper & Row Publishers, 196'.2), p. 427 (paragraph n . 72).
7. I am tbinking of the Christian theologîcal interpretation of the "Incarnation" as
God's entrance into history ; and of the German phîlosophical tradition of historical
phenomenology from Hegel and Marx to Nietzsche and Dilthey.
Responsible Time 47
say, for both Bergson and Heidegger, the true life is a life attuned to the real, an
engagement with being; and the real or being is fundamentally creative. Indeed,
the Iate Heidegger's well-known critique of"technology" is precisely a defense
of the ontological-historical creativity or generosity ("Es gibt") ofbeing. The
problem of technology, which Heidegger calls "the greatest danger", is only
peripherally a concern with ecological disaster, mass death, agricultural
depletion, nuclear proliferation, and the like, that is to say, a concern with the
host ofother moral issues raised by new technologies. Rather, more grandly as
it were, it has to do with the unique historical-ontological potential within the
present "technological epoch" to permanently occlude any further or new
"revelation" ofbeing. When Heidegger insists that the "essence oftechnology
is not technological", he harps on the notion of "essence" because for Heidegger,
following Bergson, essence is nothing less than "freedom", a new as y et
unknown unveiling ofbeing. In a word, both Bergson and Heidegger are wedded
to aesthetic interpretations of being and philosophy. Being is temporal, to be
sure, but it is so as self-creation. The real is the ever deeper or further or new
manifestation of manifestation, what Bergson, preferring biological-aesthetic
terms over Heidegger's historical-aesthetic terms, calls the "creative evolution"
of a protean "élan vital".
Levinas, for his part, offers a radical alternative account of·time.
As a contemporary thinker, he agrees with Bergson (and Heidegger) that time
is an unsurpassable structure, irreducible and to be interpreted in its own right.
In sharp contrast to the Bergsonian and Heideggerian commitment to an aesthetic
interpretation of genuine being and time, however, Levinas's conception of
genuine time is grounded in ethics, that is to say, in the inter-subjectivity initiated
in moral rather than ontological obligations and responsibilities. How is this
so? How are time, inter-subjectivity and ethics intimately and irreducibly
linked?
Like Bergson, Levinas is struck by the transcendence of time's
dimensions and irreversibility : the futurity of the future as unforeseeable
novelty, the passage ofthe past as immemorial heritage, and the "dia-chrony"
of a present interpenetrated and traced by the irrecoverable excesses of future
and past. But what, he wonders, is capable of opening up such a rupture in
being's identity with itself, its synthesizing and integrating powers? From
whence cornes the true source of an alterity capable of breaking the grip of
being? We have seen that for Bergson it is the inner and essential crea,tivity of
48 Richard A. Cohen
being that outstrips being's integrating functions. Every present is the novel
edge of an accumulating reality. Thus Bergson promotes "intuition", entering
into the interior of creative duration . But such a conception, while
acknowledging the novelty of the present and the unforeseeable character of
the future, nonetheless remains formai, empty ofcontent. 8 One is left to wonder
how meaning accrues to being's ever-unfolding accumulation, how being can
have a sense other than its own blind unfolding.
Regarding Heidegger's concrete determination oftime as, first, Dasein's
temporality, Dasein as being-toward-death, though it is certainly not an empty
formalism, Levinas nevertheless will challenge the phenomenological accuracy
of this determination of futurity. Levinas will ask if one's ownmost
death - unpredictable as to its "when" but inexorable regarding its "that" - is
indeed the utmost and hence the paradigmatic sense of futurity. For Levinas,
contrary to Heidegger, beyond one's ownmost death lies the death of the other.
I will retum to this point shortly. Even in one's own dying, however, one remains,
as long as one lives, not simply in relation to oneself, to one's own utmost
future, but inextricably also in relation to others, to the physician, one's family
(absent or present), one's neighbors, et al. For Levinas, contra Heidegger, death
takes its significance not from one's own being alone, but always from a social
context, in relation to others.
As for Heidegger's claim, second, regarding the epochal historical
unfolding ofbeing, Levinas will again challenge the phenomenological accuracy
of this interpretation of the place and role of history. Is it not rather the case,
Levinas will ask, that humans retain their capacity to judge historical events,
rather than simply being swept up in them, functions or pawns of a narrative
whose meaning history itself would somehow - mysteriously - determine ? Is
history, as the final refuge of meaning, even in its epochal unfolding, capable
ofmoral judgement ? Is not history, taken as the final arbiter ofmeaning, always
rather only the verdict of winners, the history of triumph, realpolitik, and
therefore are not its judgements merely redundant self-congratulations ?
For Levinas, contra Heidegger, there is a deeper time of history, the time of
"sacred history," an invisible history ofmoral agency and the struggle for justice,
a "glory" that remains invisible to the self-congratulatory illuminations ofvisible
history's triumphalism. Against Heidegger's notion of the epochal-historical
revelations ofbeing as the ground oftemporality, Levinas will argue that history
by itself is incapable of the moral judgement that ultimately gives sense to all
historical development. The veritable time of history - moral agency and the
struggle for justice - is deeper than the time of being.
In both cases, then, with regard to mortality and history, contra Heidegger,
Levinas follows an ethical reading, finding a deeper sense of alterity emerging
from the moral significance of mortality and history. Not my death, but the
death - and suffering - of the other concems me most. One can die for the
other. To save the other, to sacrifice the self, to struggle for justice, have a
greater urgency than the call to resolutely become oneselfand care for being's
epochal manifestation. To serve others takes precedence, is a higher calling,
than to serve oneself. The deepest stratum ofphilosophy, then, contra Bergson
and Heidegger, is not the issue of being, "to be or not to be", but rather the
more pressing moral question of one's "right to be."
What do these considerations, Levinas 's ethical critique of Bergsonian
and Heideggerian ontology, have to do with time ? Let us first ofall remember
that the matter of taking time seriously hinges on the meaning of
transcendence. For Bergson, the irreducibility of the transcendence of time
hinges on the creative evolution of the real. For Heidegger, the irreducible
transcendence of creative evolution takes on its concrete significance as a
resolute mortality caring for - "thinking" - the epochal historicity of
being. What Levinas is saying, to the contrary, is that duration, creative
evolution, mortality and history, far from being the source ofmeaning, receive
their ultimate significance - maintain their transcendence - from the absolute
transcendence pressing in the higher claims ofmorality and justice. Time, then,
would not only be a matter of being, whether duration or epochal, but the
impingement ofan alterity with a "face", the alterity, the humanity, ofthe other.
In this way, via the alterity ofthe other person, the priority ofthe other person,
we begin to see how time itself emerges from and as morality and justice. Let
us examine this novel claim more closely.
For Levinas, the past transcends the present not because it is the historical
narrative within which the self finds its ultimate meaning across the work of
recuperation for which the selfis always too late. The selfis not a snake racing
50 Richard A. Cohen
to catch its tail, or if it is, it has no genuine past but only a past incompletely
made present. Rather, more poignantly, the genuine past must be a past so past
that it was never present and never can be present ! Levinas will call it the
"immemorial past". But such a past is found precisely and exclusively in the
moral obligation that the other person imposes on the selfprior to that self's
circuits of self-sameness. One is obligated to the other before oneself- such is
the very structure of moral obligation, beyond self-interest, and at the same
time it is the trace ofan absolute past, a past having passed before it was present.
Or, we can equally say, the self-interested self discovers itself under greater
obligation- is transfigured into its "true self', into its humanity- insofar as its
own self-interest gives way when faced with the moral imperative ofthe other's
suffering. One's own way- always some form of self-presence - gives way to
a suffering for the other 's suffering, self-sacrifice. It is morality, then, obligation
to and for the other, that has the kick- the transcendence- of a priority that is
prior to the self in its identity, rupturing all self-presence with an "immemorial
past".
What has passed irrecoverably before, earlier orprior to any self-presence
"is" moral obligation impinging on the self, coming from the other. Here, then,
in moral obligation, the subject morally subject to the other, serving the other,
Levinas finds the source of the ultimate or paradigmatic sense of pastness : a
past that never was or can be present. Only the other person as moral imperative,
in an excessive proximity that can only be moral, disturbing the subject deeper
than its own self, breaks the self-presence of the self across the passage of an
absolute past. To be sure, it is not the empirical other, or an empirical necessity
that breaks the self ofits selfishness. One can always be selfish, or, as Levinas
says, "one can always refuse the other". Being cannot break out ofbeing. Being
cannot be broken by itself. The other person, however, the one before whom
one is already obligated, the one for whose suffering and mortality one is already
one's brother's keeper, this alterity - moral - pierces through being from on
high.
The past oftime is transcendence, excess, rupture, the before that remains
before. Only morality has the force of such an inordinate transcendence.
It is only the absolute priority of the other persan encountered as moral
imperative that has the alterity to short-circuit all the syntheses ofself-presence,
whether Kant's "transcendental ego", Hegel's "negation of negation",
Nietzsche's "will to power", Husserl's "intentionality", or Heidegger's
Responsible Time 51
"resoluteness" and "epochal being"9• Time cornes from above. The past of the
other cannot be re-collected by the self. Such a piercing of the present,
overwhelming self-presence, is in no way an ontological event. Time does not
"appear", is not a "phenomenon", does not "make itself present", but rather
"disturbs" as the priority of moral responsibility for the other, an obsession
with the other that bears upon the self prior to the self's own natural or
ontological perseverance. The subject of morality is, to use Levinas's
formulation, "more passive than receptivity". Precisely the other 's moral
command is already imposed, already obligates me, has always already passed
- is forever "immemorial" - without ever having been present. In a word, the
moral self is chosen before choosing. The past, then, emerges through and as
compassion.
So, too, the future is also an event of inter-subjectivity. The other person
who bas passed- surpassed me - as moral obligation is also the other who is
always still yet to corne. Only another person, encountered from the first as
moral imperative, retains the otherness of the radically unknowable,
unpredictable, non-graspable. The other whom the subject faces, toward whom
the subject is obligated, escapes the prospective fore-structures of futurity
(whether Husserl's "protention" or Heidegger's "anticipation") that are projected
by the self. The other is always still yet-to-come, always not yet fully arrived
into the present. Nevertheless, to avoid an empty formalism, we must still ask
what is the sense of this "yet-to-come". For Levinas, the "you" one faces has
already passed, to be sure, but the third person singular, the "he" (or "she", if
one prefers) is the one who have not yet arrived. What does it mean that in
facing the other person one at once faces a "you" that is also a "he" ? For
Levinas "the third person singular", which he names "illeity", and the future
must be conceived from the first in terms ofjustice.
Yes, the other obligates the self, and hence has already passed prior to
the subject's self-presence, but the other who faces, "you", is not the only other
person in the world. We are not- or no longer- in the Garden of Eden. One is
bom and lives in society ; there are others. Responding to the other morally,
the subject is also forced to take into consideration all the others who are other
to the one who faces. That is to say, recognizing that "you" are also a "he", the
subject takes upon itself not only moral responsibilities toward this particular
obligating other, but also responsibilities toward all of humanity, all others.
The future, then, is in no way an extrapolation of the present but, as the impact
ofthe other person and ofother persons, it remains not only forever unknowable,
breaking into self-presence with a "not yet" always "to corne", but does so
specifically as the cry of all others, ofhumanity- the call tojustice. The future
that remains future even in the face of the present is the future ofjustice, a just
humanity where, satisfying my moral obligations to "you", the self does not
create injustice to the third persan. The disjunction or disparity between what
the selfowes to "you" and what it owes to all others is precisely the future - the
future as a call to justice.
What, then, of the present ? It, too, is moral non-complacency. Broken
by the priority of moral obligations, called to justice for all humankind, the
present is the work of establishing a just society, a moral society regulated by
just institutions. It is therefore the effort to establish and maintain laws, courts,
schools, democratic institutions, fair weights and measurements, economies of
exchange, communications systems, equal rights, distribution systems for food,
shelter and health care, good manners, entertainment, and the like. It requires
all the resources of knowledge, both science and wisdom. It is interesting to
note, in this regard, that unlike the Hebrew Bible, which bursts with the broad
demands of morality and the prophetic call to justice, the Talmud - the basis
for Jewish "law" - is primarily a work of quantification, measurement, the
refinement, specification, or concretization of the demands of morality and
justice. Philosophy, science and the Talmud, then, like all wisdom, are the work
- the "difficult freedom"- ofthe present. In this way, for Levinas, the "secular"
is not divorced from the "sacred", but rather bec ornes the very work of
sanctification, creatively bringing the demands of morality and justice into the
kingdom of God on earth.
Veritable time is "dia-chrony", a moral responsibility tom and uplifted
by a past that is not its own but the other's, and the same moral responsibility
tom and uplifted toward a future not of its own but humanity's. Thus the
inordinate overwhelming imperatives ofmorality and justice converge, without
ever forming an identity, indeed, uprooting all identities, to "constitut( the
Responsible 'lime 53
deepest meaning of time, subjectivity and sociality. Thus veritable time - the
transcendence of past, present, future, before and after - occurs as each person
serving as a moral atlas, each responsible for each, and each responsible for
all, and I (if it can be said without hubris) responsible before all 1°. Thus emerges
the deepest sense of the past as moral compassion for the one who faces, of the
future as the call to justice for all humanity, and of the present as sanctification,
the "mundane" legal, organizational, economic, social and political labors of
the community of nations seeking shalom.
Richard A. Cohen is Isaac Swift Distinguished Pro/essor of Judaic Studies at the University
of North Carolina at Charlotte. He is author o/Elevations : The Height of the Good in
Rosenzweig and Levinas (Chicago, 1994) and Ethics, Exegesis and Philosophy :
Interpretation after Levinas (2001); editor of two collections on Levinas : Face to Face with
Levinas (1986) andin proximity (2001); and English translator of four books by Levinas.
1 O. For example, as when Abraham, prefacing bis words to God to save Sodom and
Gemorrah from destruction, says of himself : "I am but dust and ash" ( Genesis 18:27); for
further commentary, see, Emmanuel Levinas, "Who is One-Self?", in : New Talmudic
Readings, trans. Richard A. Cohen (Pittsburgh : Duquesne University Press, 1999), pp.
109-126
55
Jacques Dewitte
1. Ces deux articles ont été repris respectivement dans En découvrant l'existence
avec Husserl et Heidegger, nouvelle édition Vrin, 1976, et dans Humanisme de l'autre
homme, Fata Morgana, 1972. Je renverrai à ces deux éditions en recourant aux sigles DE et
HAH. Les sigles DL etAE renverront à Difficile Liberté, Albin Michel, 1963, et à Autrement
qu'être ou au-delà de l'essence, Martinus Nijhoff, 1974.
2. J'entends par là la réflexion menée dans la Revue du MA. U.S.S. (« Mouvement
anti-utilitariste en sciences sociales »), principalement par Alain Caillé, et placée sous
l'invocation de l' Essai sur le don de Marcel Mauss. Mon présent commentaire de Lévinas
s'inscrit directement dans le sillage de cette réflexion.
Un beau risque à courir 57
n'a été qu'un retour à son île natale - une complaisance dans le Même, une méconnaissance
de l'Autre.» (HAH, p.40)
« Au mythe d'Ulysse retournant à Ithaque, nous voudrions opposer l'histoire d'Abraham
quittant à jamais sa patrie pour une terre encore inconnue et interdisant à son serviteur de
ramener même son fils à ce point de départ.» (DE, p.191)
5. L'analyse qui nous occupe est précédée d'une charge en règle contre la philosophie:
« La philosophie préfère l'attente à l'action, pour rester indifférente à l'Autre et aux Autres,
pour refuser tout mouvement sans retour. Elle se méfie de tout geste inconsidéré, comme si
une lucidité de vieillesse devait réparer toutes les imprudences de la jeunesse. L'action à
l'avance récupérée dans la lumière qui devait la guider, c'est peut-être la définition même
de la philosophie. » (DE, p.189)
6. Dans« Sur la mort dans la pensée d'Ernst Bloch» (1976), repris dans De Dieu
qui vient à l'idée (Vrin, 1982), ce thème del'œuvre apparaît à plusieurs reprise (notamment
pp.71 à 73), ainsi que dans les cours en Sorbonne« Lecture de Bloch», in Dieu, la mort et
le temps (Livre de Poche, 1997), notamment p.116.
Un beau risque à courir 59
une forme d'action, mais aussi de don et de générosité (le concept maussien de
don et le concept arendtien d'action en seraient donc d'approximatifs
équivalents).
L'inspiration de ces pages est très belle : c'est un éloge de l'« élan
généreux» qui appartient surtout à la jeunesse, capable d'une absence de calcul,
d'un mouvement vers l'Autre« à sens unique», à la différence de l'attitude qui
« se méfie de tout geste inconsidéré», qui ne conçoit d'action que« d'avance
récupérée ». Eloge de la générosité, mais aussi de l'audace car - il faut le
souligner - il n'y a pas de générosité sans audace, puisqu'elle implique que
l'on courre le risque d'une non-réciprocité (que l'on« en reste pour ses frais»).
Mais inversement aussi, l'audace doit être inspirée par une vraie générosité si
elle veut être autre chose qu'une témérité insensée dans laquelle se manifeste
avant tout une forme d'orgueil égoïste.
En méditant sur la notion d'œuvre et ses implications, Lévinas pose deux
exigences opposées et pour ainsi dire symétriques. La première (j'inverse ici
l'ordre de l'exposition par rapport au texte) réside bien évidemment dans une
récusation de l'attitude calculatrice d'un agent ou d'un sujet qui recherche
« une récompense dans l'immédiateté de son triomphe»:
«... œuvre sans rémunération dont le résultat n'est pas escompté dans le
temps de /'Agent et n'est assuré que pour la patience. » (HAH, p.43,
souligné par moi)
La seconde éventualité est plus intéressante car elle est d'une certaine
façon inattendue. Au lieu de se contenter de réfléchir aux conditions d'une
« expérience hétérodoxe» et d'une action dépourvue de toute intention utilitaire,
Lévinas met également en garde contre une éventualité opposée, que 1'on peut
qualifier de radicalement anti-utilitariste ou qui correspond à ce que j'appelle
un anti-utilitarisme exacerbé. Si on cherche à penser avec la plus grande
radicalité l'idée d'« œuvre » comprise comme « sens unique », comme
« orientation absolue » où le mouvement vers l'Autre doit s'arracher à tout
prix au Même, il semblerait alors logique, à ce niveau de radicalité, d'envisager
l'idée extrême d'une « pure dépense», d'un jeu absolument gratuit ou d'une
action qui irait « dans le vide ». Or Lévinas récuse explicitement une telle
perspective
« Mais d'autre part, l'œuvre diffère d'un jeu ou d'une pure dépense.
Elle n 'est pas en pure perte[. ..}. L'œuvre n'est ni une pure acquisition
de mérites ni un pur nihilisme. Car comme celui qui fait la chasse aux
mérites, l'agent nihiliste se prend aussitôt pour but - sous
l'apparente gratuité de son action » (DE, p.191)
Lévinas aurait pu citer aussi de Gaulle et son Appel du 18 juin, car tout ce
qu'il met en évidence à propos de Léon Blum et du« trou dans l'histoire» de 1941
peut s'appliquer presque mot pour mot au trou noir de 1940. Il y a aussi une noblesse
de de Gaulle qui tient notamment à ce que lui non plus n'a pas tenu compte de tout
ce qui, dans le présent, semblait constituer un « irrécusable démenti »
à la possibilité même d'une action (la perspective d'une domination quasi-éternelle
de l'Ordre Nouveau sur l'Europe). Mais sa supériorité tient à ce que, étant un
militaire doublé d'un grand politique, cette noblesse n'excluait pas de sa part une
évaluation lucide des forces en présence (les « forces immenses » qui
« n'ont pas encore donné» et qui« un jour écraseront l'ennemi ») 7 .
La patience telle qu'elle est pensée par Lévinas, avec la temporalité bien
particulière qui lui est attachée, permet d'éviter les deux écueils symétriques
de l'utilitarisme calculateur et de l'anti-utilitarisme exacerbé (de la mise de
fonds assurée et de la pure dépense ou de l'acte gratuit). Elle dépasse le calcul
utilitaire dans la mesure où elle ne vise pas une récupération ultime (dont l'agent
« serait le contemporain ») et assume donc une indétermination et une non
maîtrise principielles. Elle dépasse aussi l'anti-utilitarisme exacerbé dans la
mesure où est tout de même visée une fin, même si celle-ci est presque infiniment
différée. La patience ainsi comprise est un défi à l'histoire ou à la pensée
historique, dans la mesure où elle ne se soumet pas à leurs conditions ni à la
tyrannie des évidences du présent. Elle se donne un temps qui, pour n'être pas
radicalement a-historique ou au-delà de l'histoire, n'en transcende pas moins
le présent ou ce qui apparaît présentement comme la nécessité historique (en
cela, elle s'apparente à«l'eschatologique» dont il est question dans la Préface
de Totalité et Infini, avec cette différence que l'eschatologie transcende
radicalement l'histoire, alors qu'avec la patience, il s'agit d'une dimension qui
reste interne à la temporalité historique). Cette patience, il faut le souligner
aussi, s'articule d'ailleurs paradoxalement avec une certaine impatience, celle
de l'élan généreux initial qui s'élance en faisant fi de ses propres conditions de
possibilité, qui n'attend pas que les conditions idéales soient remplies pour
commencer et entreprendre.
L'important est que l'œuvre, qui n'est possible que dans la patience,
vise quand même quelque chose : un triomphe, une victoire, un
accomplissement. Ceci s'oppose à toutes les pensées qui présupposent que
toute visée d'une fin, que toute attente de quelque chose est forcément
assimilable à une pensée rationaliste utilitaire ou à une philosophie de l'Histoire
réductrice, et que la seule attitude rigoureuse serait un refus de toute visée
semblable, un renoncement à toute attente, c'est-à-dire une abolition pure et
simple de tout horizon temporel. Il ne resterait plus alors que l'immédiateté
fulgurante, non pas du bonheur ou du repos dans l'instant, mais d'un
«événement» dépourvu de tout contenu : ainsi la«pure dépense», la petite
mort de l'érotisme ou la mort pure et simple, ou bien encore le vide de l'acte
gratuit (ou, chez d'autres auteurs, la«soudaineté» d'un événement esthétique
mais répondu à une situation, inspiré la réplique, cherché les énergies disponibles, ouvert et
balisé l'autre voie. » (p.122).
64 Jacques Dewitte
***
On aurait pu en rester là et conclure ainsi le commentaire des textes de
1963 et 1964, en ne retenant que cette belle méditation autour des notions
d'œuvre et de patience, s'il n'y avait pas un passage et même une simple petite
phrase que je n'ai pas encore citée et qui, depuis que je l'ai remarquée, ne cesse
de me tarauder. Elle apparaît sous une forme quasiment identique dans les
deux versions et c'est en elle que je crois pouvoir repérer le point de
renversement ou de rebroussement que j'évoquais au début: Lévinas y fait un
pas de trop, qui compromet tout le reste et modifie le sens entier de l'idée
d'asymétrie. Je cite ce passage d'après la version de 1964:
9. Jacques Derrida, Donner le temps I, Galilée, pp.26 et 24. Cette pensée hyperbolique
du don chez Derrida ( qui, à force de vouloir le rendre pur, finit par le faire disparaître) a été
critiquée parAlain Caillé dans Don, intérêt et désintéressement, «Bibliothèque du MAUSS»,
70 Jacques Dewitte
- - -
- - -
Un beau risque à courir 71
dans une logique calculatrice abstraite (c'est-à-dire que l'on suppose une unité
de compte et de mesure), en perdant de vue la signification proprement
symbolique du contre-don, dont les formes peuvent varier et se manifester
parfois par une simple gratitude exprimée par des mots. Or, si on surmonte
cette confusion, on peut parfaitement admettre qu'il y ait gratitude sans que
cela constitue une annulation de la différence, du mouvement libre et
inconditionnel vers l'Autre. On peut cesser de supposer que l'ingratitude serait
la condition sine qua non de la générosité. Il est alors parfaitement possible
d'envisager une position moyenne, une« conception modeste du don» qui se
situe entre le pur calcul rationnel et la pure oblativité excluant comme impure
la moindre gratitude de l'Autre.
Une autre leçon générale à tirer de cette critique est que l'on doit se garder
de ne penser qu'à partir de cas extrêmes ou exceptionnels (un travers qui affecte
une bonne partie de la pensée des Temps Modernes). Il faut certes admirer Lévinas
pour avoir osé envisager des situations où l'agent ne sera jamais« le contemporain
de l'accomplissement» de son action et maintenu ainsi la dimension d'un avenir
imprévisible et immaîtrisable qui transcende le présent. Ceci est essentiel, surtout
compte tenu de conjonctures comme celles de 1940 et 1941 (exemple de Léon
Blum) où la tentation était grande de considérer l'occupation allemande et la
domination nazie comme un fait accompli et une donnée définitive. Il en va de
même à propos de la création artistique et littéraire : il importe de continuer à
écrire en vue d'un public ultérieur malgré l'incompréhension et la solitude actuelles
que l'on peut rencontrer. C'est un autre cas de« non-contemporanéité », c'est-à
dire de dissociation, assumée par l'écrivain ou l'artiste, de l'avenir et du présent.
Mais il faut bien dire que de tels cas sont heureusement rares et exceptionnels, et
on ne devrait pas oublier non plus que l'expérience artistique et littéraire comporte
aussi une joie immédiate à avoir écrit oli peint quelque chose que l'on trouve
bon et réussi, à être parvenu à donner expression à ce que l'on cherchait à dire,
un bonheur qui doit forcément exister même dans la plus grande solitude. Et le
plus souvent, !'écrivain solitaire et« incompris» a tout de même autour de lui
un cercle d'amis ou une compagne pour partager avec lui ce bonheur immédiat.
Ce qui revient à dire que l'asymétrie fondamentale qui est inhérente à la
communication artistique ou littéraire ne doit tout de même pas être comprise
comme une totale dissociation du présent et de l'avenir, et moins encore comme
un sacrifice de celui-là à celui-ci. A nouveau, il faut distinguer entre le courage
d'œuvrer pour une époque lointaine où l'on n'y sera peut-être plùs et la
Un beau risque à courir 73
supposition radicale d'une coupure totale entre présent et avenir excluant tout
empiètement et toute immédiateté, comme si une telle coupure était la condition
du vrai courage, de la vraie audace et de la vraie générosité.
Il est d'ailleurs regrettable que, dans ce contexte, Lévinas n'évoque plus
cette expérience, qu'il a longuement analysée dans Totalité et Infini : la fécondité
(envisagée principalement comme paternité et rapport au fils). On sait qu'il la
décrivait comme une relation à un avenir et à ce qui est radicalement autre (au
même titre que la mort)10 • Mais justement, on peut penser que la joie de la
fécondité et de la paternité, qui transparaît dans ces belles pages (la section IV
« au-delà du visage» de Totalité et Infini), ne consiste pas seulement en ce que
l'on sait que quelque chose ou quelqu'un me survivra dans un avenir oùje ne
serai plus (de sorte que je ne serai pas« le contemporain de l'aboutissement»).
Elle consiste en ce que cet avenir est, en quelque sorte, déjà là ici et maintenant,
en ce que l'avenir et le présent (voire le passé) s'entrecroisent, de sorte qu'il y
a un empiètement de l'avenir sur le présent. Car ne peut-on pas dire qu'un
enfant, c'est très exactement une présence de ! 'avenir dans le présent, le bonheur
de cette présence immédiate s'opposant à une radicale « dia-chronie » ? 11 A
nouveau, prendre en compte cette dimension ne neutralise ou n'annule en rien
l'asymétrie en tant que structure temporelle irréductible à la saisie synchronique
ou synoptique, mais cela montre qu'elle peut coexister avec une certaine
immédiateté, avec une présence de l'avenir dans le présent, ce qui empêche cette
asymétrie d'être conçue comme une pure et simple dissociation radicale du présent
et de l'avenir. Et cela devrait également proscrire d'aller plus loin encore dans
l'exigence de radicalité et de soutenir que la radicale « dia-chronie » ou
dissociation tranchée de l'avenir et du présent serait une condition sine qua
non de la générosité d'un acte donateur (don, parole, création artistique,
fécondité, etc.).
***
10. Voir mon article« Instant, avenir et résurrection. La dialectique du temps chez
le premier Lévinas »,in: L'expérience du temps, Ousia, Bruxelles, 1989, pp.185 sqq.
11. Il se peut que cette interprétation de l'expérience de la fécondité soit influencée
par ma lecture de Hans Jonas, chez qui l'idée d'un empiètement de l'avenir sur le présent
est un thème constant dans Le principe responsabilité. Voir, à ce propos, mon article« La
réfutation du nihilisme. Réflexions sur les fondements métaphysiques de l'éthique de la
responsabilité », in : Aux fondements d'une éthique contemporaine, G. Hottois éd., Vrin,
1993, pp.79 sqq.
74 Jacques Dewitte
dont la gratitude est une première forme). Il se peut qu'il y songe, mais ce n'est
pas déterminant, car il a décidé, par son geste même, de mettre cela entre
parenthèses, et c'est pourquoi on peut parler de « gratuité éthique». Il y a eu
confiance et donc attente d'une réciprocité mais aussi, simultanément,
assomption du risque de la non-réciprocité, celle qui se produit si l'autre
n'accepte pas la main tendue. Car, notons-le, c'est d'abord d'une main tendue
qu'il s'agit, avant même la poignée de main effectivement accomplie - lorsque
celle-ci a lieu, quelque chose s'est scellé ou a été confirmé : un lien de confiance.
On le voit, tout cela est en contradiction évidente avec la conception radicale
exprimée dans le texte de 1963-64 et la petite phrase sur l'exigence d'ingratitude.
Et même dans Autrement qu'être, l'ouvrage majeur de la seconde pensée de
Lévinas, où est exposée sa pensée la plus radicale et hyperbolique, tout n'est
pas de la même farine. On y trouve, en quelque sorte hors-système, des
développements d'où ressort une conception plus modeste de l'asymétrie et qui
tranchent avec les passages outranciers les plus connus. Je songe à deux passages
qui ont en commun, tout comme celui sur la poignée de main que je viens de
commenter, de ne pas occulter l'existence d'une réciprocité tout en portant l'accent
sur le risque assumé de non-réciprocité. Au chapitre II, on trouve un long
développement sur l'irréversibilité où apparaît d'abord le thème du non-retour
dans une formulation aussi radicale que dans le texte de 1963-64 : « Dans cette
non-réciprocité, dans ce 'ne pas y penser' s'annonce [ ... ] l'un-pour-l'autre,
relation à sens unique, ne revenant, sous aucune forme, à son point de départ»
(AE, p.106). Mais quelques lignes plus loin, on trouve aussi ce passage, plus
proche de la conception modeste de l'asymétrie pour laquelle j'ai plaidé
Robert Legros
3. « A/sa das an sich erste Fremde (das erste "Nicht-Ich ") ist das andere !ch »
( Cartesianische Meditationen, V,§ 49). Lévinas avait traduit en ces termes:« Par conséquent
l'autre, premier en soi (le premier "non-moi"), c'est l'autre moi» (c'est Lévin�s, et non
80 Robert Legros
Husserl, qui souligne). La traduction de Lévinas (la traduction française des Cartesianische
Meditationen avait été confiée par Husserl à Lévinas et Gabrielle Peiffer, et on sait que
c'est Lévinas qui s'est chargé de la traduction de la cinquième Méditation) est assurément
très libre, mais elle exprime s;ms doute mieux la pensée de Husserl que toute traduction
littérale. Ce que vise à souligner Husserl dans cette phrase, c'est que l'autre au sens de
l'objet est fondé sur l'autre au sens d'un autre moi, ou que l'objectivité est fondée sur
!'intersubjectivité. Cette primauté de !'intersubjectivité est mise en évidence par Lévinas,
notamment dans Autrement qu'être, quand il s'attache à montrer que l'altérité des
«éléments» n'est pas simplement première par rapport à l'altérité du visage mais qu'elle a
un rapport originel avec celle-ci.
4. Le temps et l'autre (1948), P.U.F. (Quadrige), 1982, p.17.
5. De l'existence à l'existant (1947; éd. 1978 avec une préface inédite), Vrin, 1990,
p.160.
L'expérience originaire du temps. Lévinas et Husserl 81
passé qui a été présent, ni mon futur à un présent qui sera, ni mon présent à
l'évidence d'un donné, à la présence d'une chose perçue, représentée. Le temps
est« la relation même du sujet avec autrui» car ce n'est pas du sujet lui-même
que provient le sens de son propre passé, de son propre futur, de son propre
présent. Ce n'est pas exclusivement de moi-même que vient le sens de mon
propre passé, comme en témoigne le pardon, par lequel autrui détermine le
sens de mon propre passé, et ce n'est pas non plus exclusivement de moi
même que vient le se.os de mon propre futur, comme en témoignent la promesse,
l'érotisme ou la fécondité, qui attestent, d'après Lévinas, que mon propre futur
est principiellement redevable à autrui.
«habillé» 7 et, dès lors, telle une chose d'usage, est déjà compris, englobé dans
un contexte. La sortie hors de soi, l'exil hors de soi, l'accueil de l'étranger
radicalement étranger, n'adviennent que par le surgissement d'autrui dans sa
«nudité» (qui, bien entendu, n'est pas la simple nudité du corps, mais le fait
d'une départicularisation, d'un dépouillement de toute appartenance, de toute
identification). La libération ne peut venir que d'une irruption de l'Autre et
non pas du sujet lui-même, car celui-ci ne vit nullement son enfermement dans
sa propre immanence comme un enfermement : c'est d'abord dans la jouissance
du bonheur que le sujet rivé à soi, captif de sa propre identité, vit sa captivité.
Par le surgissement de l'Autre, je ne suis plus avec d'autres autour de quelque
chose, avec d'autres en conservant mon ipséité, avec des collaborateurs ou des
complices ; par cette irruption d'autrui comme autre, je ne suis plus avec un
autre moi-même, un alter ego, mais devant un autre qui me fait face 8 • Et ce
surgissement est indissociable du surgissement du temps. «Comment en effet
le temps surgirait-il dans un sujet seul ? »9 Dans ma vie économique, repliée
sur elle-même, un temps se déroule, certes, mais le futur, essentiellement
prévisible, est déjà présent, tandis que le passé se laisse remémorer comme
passé conduisant au présent. L'instant où surgit autrui dépouillé de toute
appartenance change ma vie. Il interrompt la continuité de ma vie, me permet
de re-commencer, de re-naître. L'instant de la rencontre est l'instant comme
délié du passé, comme surgissant du néant, d'un«intervalle vide» qui est la
condition d'une«nouvelle naissance» 10• Certes, le temps de ma vie économique
est lui aussi constitué d'une série d'instants, dont je tente d'assurer la liaison 11.
Mais le temps qui surgit par la relation avec autrui n'est pas une succession
d'instants qui défileraient devant moi, à travers lesquels je circulerais. Par le
surgissement d'autrui, c'est mon existence elle-même qui se démembre en une
multiplicité d'instants discontinus. L'instant comme présent partant de soi,
comme commencement (comme commencement qui«ne part pas de l'instant
qui précède le commencement » 12), voilà ce que ne peut éprouver un sujet
13. Il est significatifà cet égard que Husserl prenne comme exemple de remémoration
le cas du musicien qui reproduit grâce à sa mémoire toute une mélodie. Il s'agit bien sûr
d'un musicien qui connaît parfaitement sa partition et qui peut ainsi reproduire fidèlement
la mélodie telle qu'il l'a déjà entendue. Cet exemple permet de ne pas prendre en compte
les cas où la mémoire est sélective mais aussi d'écarter implicitement l'hypothèse d'un
passé qui n'aurait jamais été présent et qui, cependant, s'imposerait comme mon passé.
L'expérience originaire du temps. Lévinas et Husserl 85
14. Le privilège explicite du futur peut reposer, selon Lévinas, sur un privilège
implicite du présent : « L'anticipation de l'avenir, la projection de l'avenir accréditées
comme l'essentiel du temps par toutes les théories de Bergson à Sartre, ne sont que le
présent de l'avenir et non l'avenir authentique ; l'avenir c'est ce qui n'est pas saisi, ce qui
tombe sur nous et s'empare de nous. L'avenir, c'est l'autre. La relation avec l'avenir, c'est
la relation même avec l'autre» (Le temps et l'autre, op. cit., p.64).
86 Robert Legros
encore présent dans une rétention actuelle, de même que le futur intuitionné de
manière primaire, donné en personne, c'est le futur déjà présent dans une
protention actuelle. D'après Husserl, la présentation, l'expérience perceptive,
est le fondement de toute conscience intentionnelle du temps, non seulement
parce qu'il conçoit le passé comme un passé qui a été présent, et le futur comme
un futur qui sera présent, et que dès lors il n'y a pas d'expérience du passé et du
futur qui puisse être dissociée de toute expérience du présent, mais aussi parce
que l'acte de se remémorer le passé suppose l'expérience de la rétention, de
même que l'acte de prévoir le futur suppose l'expérience de la protention. C'est
parce que la conscience a d'abord été rétention qu'elle peut « ensuite» faire
revivre le passé, et c'est parce qu'elle a d'abord été protention qu'elle peut
« ensuite » évoquer le futur. C'est en ce sens que la rétention est un souvenir
primaire, tandis que la remémoration est un souvenir secondaire. Husserl aurait
pu appeler la protention anticipation première, et l'attente anticipation seconde.
Est-ce à dire que la perception soit, aux yeux de Husserl, l'expérience originaire
du temps : l'expérience originaire du présent mais aussi du passé et du futur ?
Certes, Husserl a mis en lumière le caractère essentiellement temporel
de la perception d'une chose spatiale. Il a même fait ressortir le caractère
irrésorbable, donc l'altérité irréductible, du temps de la perception. Il a en effet
fait remarquer que, contrairement à l'idée platonicienne ou à la sensation de
l'empirisme, la chose spatiale ne se montre qu'à travers des profils,
jamais simultanément à travers tous ses profils. Elle est perçue comme chose,
et non pas comme suite de profils, précisément dans la mesure où chaque profil
retient encore en lui les profils qui ne sont plus actuellement sentis et porte
déjà en lui des profils qui ne sont pas encore actuellement présents.
Impossible d'isoler un profil qui se donnerait purement dans sa présence
immédiate, mais impossible aussi de redresser la disparité temporelle de la
chose en un présent pleinement présent, sinon à l'infini. La saisie de la chose
comme pleinement présente, l'appréhension ponctuelle de la chose sous tous
ses aspects est sans cesse différée. La perception d'une chose spatiale est par
essence« inadéquate». Comme le précise Husserl, la perception« adéquate»
est une « idée au sens kantien ». Tandis que l'évidence (conçue par
l'intellectualisme ou l'empirisme) est la présence même car elle est censée
se donner totalement et immédiatement telle qu'elle est, sans rien cacher au
regard actuel, donc ne porte en elle ni passé ni futur, ni « déjà plus» ni « pas
encore », et par conséquent est en dehors du temps, éternité, telle l'idée de
_
88 Robert Legros
18. Cf. Entre nous. Essais sur le penser-à-l'autre (1981), Grasset, 1991, p.160.
19. Autrement qu'être, op. cit., Chapitre III, l
O.
L'expérience originaire du temps. Lévinas et Husserl 89
temporels est un« flux absolu»21 • Flux absolu, insaisissable pour lui-même, mais
éprouvé après coup depuis le temps constitué d'un objet temporel. Ce qui signifie
que la conscience de la temporalité d'un objet temporel et la« conscience» que la
conscience a de son propre « flux » sont indissociables l'une de l'autre. La
conscience intime du temps est indissociablement la conscience de la durée de
ce son que j'entends maintenant et conscience de la durée de la perception en
cours de ce son. Le flux de la « conscience absolue» et la temporalité d'un
objet temporel (tel un son, ou une mélodie) sont indissociables car le premier
ne se laisse sentir que depuis la seconde, alors même que celle-ci, la temporalité
de l'objet temporel, se fonde sur le premier, sur la temporalité du rapport à soi
comme rapport immédiat, sensible, pré-réflexif. Le constituant n'est pas une
entité séparable du constitué:« c'est dans un seul et unique flux de conscience
que se constituent à la fois (zugleich) l'unité temporelle immanente du son et
l'unité du flux de conscience lui-même » 22• Bref, c'est en temporalisant que la
conscience s'autotemporalise.
Si la sensation de la durée d'un son est une sensation qui dure, et si cette
sensation qui dure se constitue et se sent comme unité d'une même sensation,
bref, si la conscience constituante est aussi constitutive de sa propre unité,
c'est, dira-t-on, en raison d'une intentionnalité qui opère sur le mode d'une
identification idéalisante : la sensation de la durée d'un son retient et anticipe
sa propre identité, elle se rassemble en une sensation de ses propres« profils»,
en une sensation de la multiplicité des instants à travers lesquels elle se vit.
Cependant cette sensation se sentant une à travers la sensation de la durée d'un
son commence par une impression que Husserl décrit comme l'épreuve d'un
commencement imprévisible surgissant du néant. En quel sens cette impression,
la proto-impression ou impression originaire, est-elle la source de la conscience
du temps?
21. C'est« le flux de conscience comme flux absolu constitutif du temps»:« der
absolute zeitkonstituierende Bewusstseinjluss » (Husserl, ZB, op. cit., § 35).
22. ZB, op. cit., § 39.
L'expérience originaire du temps. Lévinas et Husserl 93
23. « Intentionalité et sensation » (1965), in: En découvrant l'existence, op. ,cit., p.155.
94 Robert Legros
Robert Legros est professeur de philosophie aux universités de Caen et de Bruxelles. Derniers
livres parus: L'avènement de la démocratie (Grasset, 1999) et La souveraineté
(Ellipses, 2001).
99
Emmanuel Lévinas
Etre juif*
Emmanuel Lévinas
* Cet article, paru dans la revue Confluences en 1947 ( Confluences, 7 [ 1947], n. 15-
17, pp. 253-264) est resté inédit depuis lors.
100 Emmanuel Lévinas
II
III
IV
Commentaire
Quand Lévinas parle des Juifs, il ne parle pas du judaïsme mais de l'être juif,
de l'exister à l'existant (juif).
La théologie ne se pense - si elle doit se penser- qu'à partir de l'exister. Un
petit texte de 1935 l'annonçait déjà:
Dans Le temps et l'autre, Lévinas avait fait le silence sur le passé. Pour donner
sa jeunesse au commencement, son élan à l'instant, il avait fait le sacrifice du
passé (à la vérité, il l'avait laissé... à l'arrière, secrètement).
Paganisme qui se prolonge ! Les fondateurs de l'Eglise, que l'on appelle les
« pères » par anti-phrase, ont été formés par les lettres latines. L'empereur
devient chrétien. La société entière dans sa paganicité devient chrétienne.
«Elle n'apporte pas la preuve que le monde chrétien n'est pas assez
chrétien. La vie profane dans le monde, se déroulant au sein d'une réalité
sans pathétique - immuable mais quotidienne - est singulièrement
proche d'une existence qui se réfère à la vie intérieure : l'une et l'autre
se comprennent à partir du présent. »
'1
Cette remontée dans le plus lointain du passé constituera la grande réflexion
ultérieure de Lévinas. Mais en 1947, dans Le temps et l'autre, lui aussi entre,
semble-t-il, dans le présent, tout d'un coup.
« Etre dans le présent, c'est traiter le monde, c'est nous traiter nous
mêmes, comme on traite les gens qui nous entourent, dont on ignore la
biographie, qui arrachés à leur famille, à leur milieu, à leur intérieur,
sont tous de ''père inconnu 11, abstraits en quelque manière, mais, pour
cela précisément, donnés immédiatement. »
« Aussi le rapport avec l'être, dans la vie quotidienne, est-il action. Il est
comme le glaive d'Alexandre qui ne dénoue pas les nœuds, qui ne refait
pas à l'envers les mouvements qui nouent, mais qui tranche. »
Comme l'enfant tire sur le double nœud, au lieu de le dénouer. Etre dans le
monde moderne, c'est déchirer le passé. On déchire le lacet. On tranche le
nœud, au lieu de le dénouer avec précaution, tel Alexandre, fondateur de la vie
moderne en étant le chef du monde grec et la racine du monde romano-chrétien.
Le glaive d'Alexandre, c'est la coupure du présent. Ce geste prend le présent
comme s'il sortait de rien, comme s'il naissait de soi. Autant de formules que
Lévinas lui-même semble reprendre à son compte dans De l'existence à
l'existant et dans Le temps et l'autre.
Le monde moderne est aussi le monde des lois scientifiques. Et les lois sont
des synchronismes, elles ne connaissent pas l'origine. La coupure galiléenne
ne connaît pas, ne connaît plus, se désintéresse de l'origine.
Dans Le temps et l'autre aussi, on coupait dans la trame pour qu'un instant
apparaisse : degré zéro, jeunesse d'un commencement. Ici, cela définit le monde
moderne, l'horizon métaphysique du clocher. Saisissant!
Commentaire 111
La facticité juive, c'est un mode d'exister et, on le voit, qui n'est pas celui de
l'i/ y a. Même irrémissibilité des deux côtés, même fait d'être livré sans
possibilité d'échappement. Lévinas citera toujours le vers de Racine : je fuis
dans la nuit; où fuir? Où se réfugier? Mais le père tient l'ume fatale. Je ne peux
pas fuir. Je ne peux pas fuir dans l'i/ y a. Je ne peux pas m'endormir dans le
sans-cesse de l'insomnie. Je ne peux pas ne pas être juif. Simple: on est dans
l'exister. Il n'y a rien de plus simple que l'existence ; or l'existence juive se
différencie de l'existence moderne. L'existence juive est une facticité qui ne
s'entend qu'à partir du passé, alors que l'existence moderne ne s'entend qu'à
partir du lacet déchiré, de la coupure du présent.
juive : j'ai beau faire, je suis fait, les jeux sont faits, les Juifs sont faits. Un Juif
est fait - comme un rat - quand il essaye de fuir - sa condition juive. Le seul
problème, c'est d'être rattrapé, pas trop tard, pour que le prix ne soit pas trop
élevé.
« Le recours de l'antisémitisme hitlérien au mythe racial a rappelé au
Juif l 'irrémissibilité de son être. Ne pas pouvoir fuir sa condition
- pour beaucoup cela a été comme un vertige. »
«L'essence de! 'homme n'est plus dans la liberté, mais dans une espèce
d'enchaînement. Etre véritablement soi-même ce n'est pas reprendre
son rôle au-dessus d'une contingence toujours étrangère à la liberté du
moi, c'est au contraire prendre conscience de l'enchaînement originel
inéluctable unique à notre corps ; c'est surtout accepter cet
enchaînement. »2
Cette formulation de l'être juif, Lévinas la gardera jusqu'à ses derniers instants.
Le vrai, c'est ce qui fait irruption une fois pour toutes. C'est un effet
d'interruption total.
Tout est dit. On disait« grâce à, à cause de, par le malheur» : virement d'une
malédiction en exultation. Hitler : la malédiction. Exultation : je suis juif.
J'exulte : le judaïsme m'est révélé.
Lugubre, horrible sans-cesse, c'est ce par quoi on« commence» dans l'i/ y a, et
il faut attendre l'événement de la paternité pour que s'accomplisse le présent
libre du sujet. Dans la facticité juive elle-même - virement, l'être rivé lui-même
révélant -, on gagne la liberté sans se déplacer . Tel est le secret du Juif : cette
immobilité. Dès la face juive de l'il y a, je suis déjà le père libre dont Lévinas
nous parle à !afin de De l'existence à l'existant.
Ici, il retourne à un autre passé. Plus clairement : il faut aller du passé simple
au « passé absolu ». Lévinas parle - à propos du monde contemporain, du
christianisme - d'une histoire sans origine absolue. Par la négative se dessine
la notion positive : une origine absolue. Le mot origine renvoie au passé. Passé
absolu. Passé absolu qui libère du passé fatal.
Commentaire 115
Ici, depuis le début, grâce à la face juive de la facticité, nous pouvons gagner,
au regard de ce qui se passe dans l'hypostase, une base pour le présent, qui,
loin de devenir prison, est désormais une assise. La gravité du fait donne une
assise au sujet. La stance qu'il cherchait dans l'instant, et qu'il perdait dans
l'hypostase, c'est l'assise même de l'être juif.
Le virement de la malédiction juive en exultation : la révélation de l'assise.
Le Juif à l'ombre du passé absolu se tient auprès du Père. Je n'ai pas besoin de
me mettre en chemin vers le Père, dit Lévinas. Le Juif est immobile. Le Juif est
un vrai« être là». Il suffit d'être immobile, de ne pas croire au mouvement, au
progrès, de rester dans l'éternelle immobilité de l'assise. Immobilité au niveau
de l'ultime identité de l'être.
Contemporain du passé absolu une fois pour toutes : il n'y a pas de question
juive.
La gravité du fait juif n'est pas encombrement, comme dans les textes
philosophiques : couple fatal du moi et du soi, non-liberté, «responsabilité».
Au contraire
« Dans un nouveau sens, enfin, être créé et être fils, c'est être libre.
Exister comme créature c'est ne pas être écrasé, sous la responsabilité
d'adulte, s'est se référer dans sa facticité même (immobile- c'est moi
qui l'ajoute) à quelqu'un qui porte l'existence pour vous, qui porte le
116 Benny Lévy
« Un fait sera fait d'une manière absolument passive s'il est créature.
L'impératif de la création qui se prolonge dans l'impératif du
commandement et de la loi instaure une passivité totale. Faire la volonté
de Dieu est dans ce sens, la condition de la facticité. »
Je suis une partie du monde, et pourtant le monde est créé pour moi.
Et en même temps (celui du Passé absolu) pour tous les autres (uniques).
« Chaque fils du père est fils unique. » ( Tl, p. 311)
Egalité qui ne suppose aucun tiers : fraternité.
Commentaire 117
« Etre juif» fonctionne, disions-nous, comme un arrière (secret) des textes publiés
au grand jour. Arrière, réserve séminale des possibilités à-venir du penser
« philosophique ». Texte-père.
Dans la guerre métaphysique entre le Père vivant et le Père inconnu, guerre à
l'arrière de tout texte lévinassien, ce texte-père devait rester secret.
Benny Lévy
77
Robert Legros
3. « A/sa das an sich erste Fremde (das erste "Nicht-Ich ") ist das andere !ch »
( Cartesianische Meditationen, V,§ 49). Lévinas avait traduit en ces termes:« Par conséquent
l'autre, premier en soi (le premier "non-moi"), c'est l'autre moi» (c'est Lévin�s, et non
80 Robert Legros
Husserl, qui souligne). La traduction de Lévinas (la traduction française des Cartesianische
Meditationen avait été confiée par Husserl à Lévinas et Gabrielle Peiffer, et on sait que
c'est Lévinas qui s'est chargé de la traduction de la cinquième Méditation) est assurément
très libre, mais elle exprime s;ms doute mieux la pensée de Husserl que toute traduction
littérale. Ce que vise à souligner Husserl dans cette phrase, c'est que l'autre au sens de
l'objet est fondé sur l'autre au sens d'un autre moi, ou que l'objectivité est fondée sur
!'intersubjectivité. Cette primauté de !'intersubjectivité est mise en évidence par Lévinas,
notamment dans Autrement qu'être, quand il s'attache à montrer que l'altérité des
«éléments» n'est pas simplement première par rapport à l'altérité du visage mais qu'elle a
un rapport originel avec celle-ci.
4. le temps et l'autre (1948), P.U.F. (Quadrige), 1982, p.17.
5. De l'existence à l'existant (1947; éd. 1978 avec une préface inédite), Vrin, 1990,
p.160.
L'expérience originaire du temps. Lévinas et Husserl 81
passé qui a été présent, ni mon futur à un présent qui sera, ni mon présent à
l'évidence d'un donné, à la présence d'une chose perçue, représentée. Le temps
est« la relation même du sujet avec autrui» car ce n'est pas du sujet lui-même
que provient le sens de son propre passé, de son propre futur, de son propre
présent. Ce n'est pas exclusivement de moi-même que vient le sens de mon
propre passé, comme en témoigne le pardon, par lequel autrui détermine le
sens de mon propre passé, et ce n'est pas non plus exclusivement de moi
même que vient le se.os de mon propre futur, comme en témoignent la promesse,
l'érotisme ou la fécondité, qui attestent, d'après Lévinas, que mon propre futur
est principiellement redevable à autrui.
«habillé» 7 et, dès lors, telle une chose d'usage, est déjà compris, englobé dans
un contexte. La sortie hors de soi, l'exil hors de soi, l'accueil de l'étranger
radicalement étranger, n'adviennent que par le surgissement d'autrui dans sa
«nudité» (qui, bien entendu, n'est pas la simple nudité du corps, mais le fait
d'une départicularisation, d'un dépouillement de toute appartenance, de toute
identification). La libération ne peut venir que d'une irruption de l'Autre et
non pas du sujet lui-même, car celui-ci ne vit nullement son enfermement dans
sa propre immanence comme un enfermement: c'est d'abord dans la jouissance
du bonheur que le sujet rivé à soi, captif de sa propre identité, vit sa captivité.
Par le surgissement de l'Autre, je ne suis plus avec d'autres autour de quelque
chose, avec d'autres en conservant mon ipséité, avec des collaborateurs ou des
complices ; par cette irruption d'autrui comme autre, je ne suis plus avec un
autre moi-même, un alter ego, mais devant un autre qui me fait face 8 • Et ce
surgissement est indissociable du surgissement du temps. «Comment en effet
le temps surgirait-il dans un sujet seul ? »9 Dans ma vie économique, repliée
sur elle-même, un temps se déroule, certes, mais le futur, essentiellement
prévisible, est déjà présent, tandis que le passé se laisse remémorer comme
passé conduisant au présent. L'instant où surgit autrui dépouillé de toute
appartenance change ma vie. Il interrompt la continuité de ma vie, me permet
de re-commencer, de re-naître. L'instant de la rencontre est l'instant comme
délié du passé, comme surgissant du néant, d'un«intervalle vide» qui est la
condition d'une«nouvelle naissance» 10• Certes, le temps de ma vie économique
est lui aussi constitué d'une série d'instants, dont je tente d'assurer la liaison 11.
Mais le temps qui surgit par la relation avec autrui n'est pas une succession
d'instants qui défileraient devant moi, à travers lesquels je circulerais. Par le
surgissement d'autrui, c'est mon existence elle-même qui se démembre en une
multiplicité d'instants discontinus. L'instant comme présent partant de soi,
comme commencement (comme commencement qui«ne part pas de l'instant
qui précède le commencement » 12), voilà ce que ne peut éprouver un sujet
13. Il est significatifà cet égard que Husserl prenne comme exemple de remémoration
le cas du musicien qui reproduit grâce à sa mémoire toute une mélodie. Il s'agit bien sûr
d'un musicien qui connaît parfaitement sa partition et qui peut ainsi reproduire fidèlement
la mélodie telle qu'il l'a déjà entendue. Cet exemple permet de ne pas prendre en compte
les cas où la mémoire est sélective mais aussi d'écarter implicitement l'hypothèse d'un
passé qui n'aurait jamais été présent et qui, cependant, s'imposerait comme mon passé.
L'expérience originaire du temps. Lévinas et Husserl 85
14. Le privilège explicite du futur peut reposer, selon Lévinas, sur un privilège
implicite du présent : « L'anticipation de l'avenir, la projection de l'avenir accréditées
comme l'essentiel du temps par toutes les théories de Bergson à Sartre, ne sont que Je
présent de l'avenir et non l'avenir authentique ; l'avenir c'est ce qui n'est pas saisi, ce qui
tombe sur nous et s'empare de nous. L'avenir, c'est l'autre. La relation avec l'avenir, c'est
la relation même avec l'autre» (Le temps et/ 'autre, op. cit., p.64).
86 Robert Legros
encore présent dans une rétention actuelle, de même que le futur intuitionné de
manière primaire, donné en personne, c'est le futur déjà présent dans une
protention actuelle. D'après Husserl, la présentation, l'expérience perceptive,
est le fondement de toute conscience intentionnelle du temps, non seulement
parce qu'il conçoit le passé comme un passé qui a été présent, et le futur comme
un futur qui sera présent, et que dès lors il n'y a pas d'expérience du passé et du
futur qui puisse être dissociée de toute expérience du présent, mais aussi parce
que l'acte de se remémorer le passé suppose l'expérience de la rétention, de
même que l'acte de prévoir le futur suppose l'expérience de la protention. C'est
parce que la conscience a d'abord été rétention qu'elle peut « ensuite» faire
revivre le passé, et c'est parce qu'elle a d'abord été protention qu'elle peut
« ensuite» évoquer le futur. C'est en ce sens que la rétention est un souvenir
primaire, tandis que la remémoration est un souvenir secondaire. Husserl aurait
pu appeler la protention anticipationpremière, et l'attente anticipation seconde.
Est-ce à dire que la perception soit, aux yeux de Husserl, l'expérience originaire
du temps : l'expérience originaire du présent mais aussi du passé et du futur ?
Certes, Husserl a mis en lumière le caractère essentiellement temporel
de la perception d'une chose spatiale. Il a même fait ressortir le caractère
irrésorbable, donc l'altérité irréductible, du temps de la perception. Il a en effet
fait remarquer que, contrairement à l'idée platonicienne ou à la sensation de
l'empirisme, la chose spatiale ne se montre qu'à travers des profils,
jamais simultanément à travers tous ses profils. Elle est perçue comme chose,
et non pas comme suite de profils, précisément dans la mesure où chaque profil
retient encore en lui les profils qui ne sont plus actuellement sentis et porte
déjà en lui des profils qui ne sont pas encore actuellement présents.
Impossible d'isoler un profil qui se donnerait purement dans sa présence
immédiate, mais impossible aussi de redresser la disparité temporelle de la
chose en un présent pleinement présent, sinon à l'infini. La saisie de la chose
comme pleinement présente, l'appréhension ponctuelle de la chose sous tous
ses aspects est sans cesse différée. La perception d'une chose spatiale est par
essence« inadéquate». Comme le précise Husserl, la perception« adéquate»
est une « idée au sens kantien ». Tandis que l'évidence (conçue par
l'intellectualisme ou l'empirisme) est la présence même car elle est censée
se donner totalement et immédiatement telle qu'elle est, sans rien cacher au
regard actuel, donc ne porte en elle ni passé ni futur, ni « déjà plus» ni « pas
encore », et par conséquent est en dehors du temps, éternité, telle l'idée de
,
88 Robert Legros
18. Cf. Entre nous. Essais sur le penser-à-l'autre (1981), Grasset, 1991, p.160.
19. Autrement qu'être, op. cit., Chapitre III, l
O.
L'expérience originaire du temps. Lévinas et Husserl 89
temporels est un« flux absolu»21 • Flux absolu, insaisissable pour lui-même, mais
éprouvé après coup depuis le temps constitué d'un objet temporel. Ce qui signifie
que la conscience de la temporalité d'un objet temporel et la« conscience» que la
conscience a de son propre « flux » sont indissociables l'une de l'autre. La
conscience intime du temps est indissociablement la conscience de la durée de
ce son que j'entends maintenant et conscience de la durée de la perception en
cours de ce son. Le flux de la « conscience absolue» et la temporalité d'un
objet temporel (tel un son, ou une mélodie) sont indissociables car le premier
ne se laisse sentir que depuis la seconde, alors même que celle-ci, la temporalité
de l'objet temporel, se fonde sur le premier, sur la temporalité du rapport à soi
comme rapport immédiat, sensible, pré-réflexif. Le constituant n'est pas une
entité séparable du constitué:« c'est dans un seul et unique flux de conscience
que se constituent à la fois (zugleich) l'unité temporelle immanente du son et
l'unité du flux de conscience lui-même »22• Bref, c'est en temporalisant que la
conscience s'autotemporalise.
Si la sensation de la durée d'un son est une sensation qui dure, et si cette
sensation qui dure se constitue et se sent comme unité d'une même sensation,
bref, si la conscience constituante est aussi constitutive de sa propre unité,
c'est, dira-t-on, en raison d'une intentionnalité qui opère sur le mode d'une
identification idéalisante : la sensation de la durée d'un son retient et anticipe
sa propre identité, elle se rassemble en une sensation de ses propres« profils»,
en une sensation de la multiplicité des instants à travers lesquels elle se vit.
Cependant cette sensation se sentant une à travers la sensation de la durée d'un
son commence par une impression que Husserl décrit comme l'épreuve d'un
commencement imprévisible surgissant du néant. En quel sens cette impression,
la proto-impression ou impression originaire, est-elle la source de la conscience
du temps?
21. C'est« le flux de conscience comme flux absolu constitutif du temps»:« der
absolute zeitkonstituierende Bewusstseinjluss » (Husserl, ZB, op. cit., § 35).
22. ZB, op. cit., § 39.
L'expérience originaire du temps. Lévinas et H11Sserl 93
23. « Intentionalité et sensation » (1965), in: En découvrant l'existence, op. ,cil., p.155.
94 Robert Legros
Robert Legros est professeur de philosophie aux universités de Caen et de Bruxelles. Derniers
livres parus: L'avènement de la démocratie (Grasset, 1999) et La souveraineté
(Ellipses, 2001).
99
Emmanuel Lévinas
Etre juif*
Emmanuel Lévinas
* Cet article, paru dans la revue Confluences en 1947 ( Confluences, 7 [ 1947], n. 15-
17, pp. 253-264) est resté inédit depuis lors.
100 Emmanuel Lévinas
II
III
IV
Commentaire
Quand Lévinas parle des Juifs, il ne parle pas du judaïsme mais de l'être juif,
de l'exister à l'existant (juif).
La théologie ne se pense - si elle doit se penser- qu'à partir de l'exister. Un
petit texte de 1935 l'annonçait déjà:
Dans Le temps et l'autre, Lévinas avait fait le silence sur le passé. Pour donner
sa jeunesse au commencement, son élan à l'instant, il avait fait le sacrifice du
passé (à la vérité, il l'avait laissé... à l'arrière, secrètement).
Paganisme qui se prolonge ! Les fondateurs de l'Eglise, que l'on appelle les
« pères » par anti-phrase, ont été formés par les lettres latines. L'empereur
devient chrétien. La société entière dans sa paganicité devient chrétienne.
«Elle n'apporte pas la preuve que le monde chrétien n'est pas assez
chrétien. La vie profane dans le monde, se déroulant au sein d'une réalité
sans pathétique - immuable mais quotidienne - est singulièrement
proche d'une existence qui se réfère à la vie intérieure : l'une et l'autre
se comprennent à partir du présent. »
« Etre dans le présent, c'est traiter le monde, c'est nous traiter nous
mêmes, comme on traite les gens qui nous entourent, dont on ignore la
biographie, qui arrachés à leur famille, à leur milieu, à leur intérieur,
sont tous de ''père inconnu 11, abstraits en quelque manière, mais, pour
cela précisément, donnés immédiatement. »
« Aussi le rapport avec l'être, dans la vie quotidienne, est-il action. Il est
comme le glaive d'Alexandre qui ne dénoue pas les nœuds, qui ne refait
pas à l'envers les mouvements qui nouent, mais qui tranche. »
Comme l'enfant tire sur le double nœud, au lieu de le dénouer. Etre dans le
monde moderne, c'est déchirer le passé. On déchire le lacet. On tranche le
nœud, au lieu de le dénouer avec précaution, tel Alexandre, fondateur de la vie
moderne en étant le chef du monde grec et la racine du monde romano-chrétien.
Le glaive d'Alexandre, c'est la coupure du présent. Ce geste prend le présent
comme s'il sortait de rien, comme s'il naissait de soi. Autant de formules que
Lévinas lui-même semble reprendre à son compte dans De l'existence à
l'existant et dans Le temps et l'autre.
Le monde moderne est aussi le monde des lois scientifiques. Et les lois sont
des synchronismes, elles ne connaissent pas l'origine. La coupure galiléenne
ne connaît pas, ne connaît plus, se désintéresse de l'origine.
Dans Le temps et l'autre aussi, on coupait dans la trame pour qu'un instant
apparaisse : degré zéro, jeunesse d'un commencement. Ici, cela définit le monde
moderne, l'horizon métaphysique du clocher. Saisissant!
Commentaire 111
La facticité juive, c'est un mode d'exister et, on le voit, qui n'est pas celui de
l'i/ y a. Même irrémissibilité des deux côtés, même fait d'être livré sans
possibilité d'échappement. Lévinas citera toujours le vers de Racine : je fuis
dans la nuit; où fuir? Où se réfugier? Mais le père tient l'urne fatale. Je ne peux
pas fuir. Je ne peux pas fuir dans l'i/ y a. Je ne peux pas m'endormir dans le
sans-cesse de l'insomnie. Je ne peux pas ne pas être juif. Simple: on est dans
l'exister. Il n'y a rien de plus simple que l'existence ; or l'existence juive se
différencie de l'existence moderne. L'existence juive est une facticité qui ne
s'entend qu'à partir du passé, alors que l'existence moderne ne s'entend qu'à
partir du lacet déchiré, de la coupure du présent.
juive : j'ai beau faire, je suis fait, les jeux sont faits, les Juifs sont faits. Un Juif
est fait - comme un rat - quand il essaye de fuir - sa condition juive. Le seul
problème, c'est d'être rattrapé, pas trop tard, pour que le prix ne soit pas trop
élevé.
« Le recours de l'antisémitisme hitlérien au mythe racial a rappelé au
Juif l 'irrémissibilité de son être. Ne pas pouvoir fuir sa condition
- pour beaucoup cela a été comme un vertige. »
«L'essence de! 'homme n'est plus dans la liberté, mais dans une espèce
d'enchaînement. Etre véritablement soi-même ce n'est pas reprendre
son rôle au-dessus d'une contingence toujours étrangère à la liberté du
moi, c'est au contraire prendre conscience de l'enchaînement originel
inéluctable unique à notre corps ; c'est surtout accepter cet
enchaînement. »2
Cette formulation de l'être juif, Lévinas la gardera jusqu'à ses derniers instants.
Le vrai, c'est ce qui fait irruption une fois pour toutes. C'est un effet
d'interruption total.
Tout est dit. On disait« grâce à, à cause de, par le malheur» : virement d'une
malédiction en exultation. Hitler : la malédiction. Exultation : je suis juif.
J'exulte : le judaïsme m'est révélé.
Lugubre, horrible sans-cesse, c'est ce par quoi on« commence» dans l'i/ y a, et
il faut attendre l'événement de la paternité pour que s'accomplisse le présent
libre du sujet. Dans la facticité juive elle-même - virement, l'être rivé lui-même
révélant -, on gagne la liberté sans se déplacer . Tel est le secret du Juif : cette
immobilité. Dès la face juive de l'if y a, je suis déjà le père libre dont Lévinas
nous parle à !afin de De l'existence à l'existant.
Ici, il retourne à un autre passé. Plus clairement : il faut aller du passé simple
au « passé absolu ». Lévinas parle - à propos du monde contemporain, du
christianisme - d'une histoire sans origine absolue. Par la négative se dessine
la notion positive : une origine absolue. Le mot origine renvoie au passé. Passé
absolu. Passé absolu qui libère du passé fatal.
Commentaire 115
Ici, depuis le début, grâce à la face juive de la facticité, nous pouvons gagner,
au regard de ce qui se passe dans l'hypostase, une base pour le présent, qui,
loin de devenir prison, est désormais une assise. La gravité du fait donne une
assise au sujet. La stance qu'il cherchait dans l'instant, et qu'il perdait dans
l'hypostase, c'est l'assise même de l'être juif.
Le virement de la malédiction juive en exultation : la révélation de l'assise.
Le Juif à l'ombre du passé absolu se tient auprès du Père. Je n'ai pas besoin de
me mettre en chemin vers le Père, dit Lévinas. Le Juif est immobile. Le Juif est
un vrai« être là». Il suffit d'être immobile, de ne pas croire au mouvement, au
progrès, de rester dans l'éternelle immobilité de l'assise. Immobilité au niveau
de l'ultime identité de l'être.
Contemporain du passé absolu une fois pour toutes : il n'y a pas de question
juive.
La gravité du fait juif n'est pas encombrement, comme dans les textes
philosophiques : couple fatal du moi et du soi, non-liberté, «responsabilité».
Au contraire
« Dans un nouveau sens, enfin, être créé et être fils, c'est être libre.
Exister comme créature c'est ne pas être écrasé, sous la responsabilité
d'adulte, s'est se référer dans sa facticité même (immobile- c'est moi
qui l'ajoute) à quelqu'un qui porte l'existence pour vous, qui porte le
116 Benny Lévy
« Un fait sera fait d'une manière absolument passive s'il est créature.
L'impératif de la création qui se prolonge dans l'impératif du
commandement et de la loi instaure une passivité totale. Faire la volonté
de Dieu est dans ce sens, la condition de la facticité. »
Je suis une partie du monde, et pourtant le monde est créé pour moi.
Et en même temps (celui du Passé absolu) pour tous les autres (uniques).
« Chaque fils du père est fils unique. » ( Tl, p. 311)
Egalité qui ne suppose aucun tiers : fraternité.
Commentaire 117
«Etre juif» fonctionne, disions-nous, comme un arrière (secret) des textes publiés
au grand jour. Arrière, réserve séminale des possibilités à-venir du penser
«philosophique». Texte-père.
Dans la guerre métaphysique entre le Père vivant et le Père inconnu, guerre à
l'arrière de tout texte lévinassien, ce texte-père devait rester secret.
Benny Lévy
119
Lettres carrées
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III
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nn,n ,0,30 ,3v', mmnvo iU'NV nov:i ,l'::llJ opi', ,:i ,m 10No .100 o,v:i n,3v
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N', vno .n'JV oo,,o N., m :i,vn uopu v,,o ,P ON ,N'i1 nvp:inon n',Nvn
,,,n, o,�:i,po ,:i 100 ,(Difficile liberté) 'i1Vi' m1,n'J ,',vo', ,m 11JNIJ ',',:,J
11JNIJ ,1nm l'l ,N,�IJ., 1n'l ,:i, ,"0"11i1'" 0'l"l'))l :in:, 03,1',v 0'J1V 0'11JNIJ
?(Etre occidental) ''l1'))1J mm' OVl
Vi''l ,n,o,o,i,,on ,,,, 1von:i ,03,1',v ,nmvon m,voNn 1:,n,n ,1:im:,
m1voN TN:> m',vn', vp:io 'JN o',iN .:i,v ,0010', lN1 N', pi,, m 10No', vn:,nn',
nn,nv nvv :in:>Ji ,1947 mv:i 001,ov ,",,m, mm" .n nm',vn', vm:i n1nN
',v ,,vo ,O'Tli1-'Nn mn,1 uo N', l"ivv, ,m,,nNn non'mn ,nmn mv1 ,,v
.o,1niNon ,,:in:,:i nm, n1,�:i ,m, 1,mn N',v ,Ol''" ',v ,,�o n,o,o,.,,o mrviJ
1m,o ',io',o ',:,', )>ino ,p ,,,v, 1,:i,, oJ,,., ',v nn�::, m:, i1'lVi1 o',ivn non',o
:i',nvo •,3,i,'n ,o,o,',,on i,1,.n!m ,:i', o,v., 'Ni:> ,m uopu:i) n,:,oo pnvo ',:, N.,.,,
',:, ,nN1J 1:, ,noN ',v O'Vl1l .cn,,n:i, i1N'1l ',v ,,,,n,•n n,v:i m,v:iu:i m:,
,on,,m:, 0,1:i,n nN 0,10,N .1m, o,pn'¾'I? l'N ,noN ',v O'Vl1l .m1om m:ioon
0,1:i,n nN p:in', nvp:ion - n,o,o,i,,onv ,m1,n:i .mn,oN nun,3 n:i m1,n��
.nNv', ,,',,N ,',Nopn,o l!l1Nl ,n',lioo i1l'N - clara et distincta ,0"11l ',v
i1l'N Ol''" ',v mmNOi1 n,,�m ',:, 0Ni1 .,moo VIJVi1 11N ,11\J.,!)N TNIJ ,l:>N1
n,0101',,on ',:, ONn ? 11,,,n, m,n" ',v o,,moon o,n,o,m nN '11v',' 11,oJ N',N
no,pmn-nv,nn"n l'lV ,,m:i n,o,v:, "nvp m1,n11:i l'�IJ Nm nmN - ,.,v
,'li',imm) ,n,o,o,',,o 10,Nl ,noJ', 11,oJ N',N i1l'N - 5"n'::lNli1 nvmn ',v 111:,m 1,:i,
11,,:i 10,Nl ,., 1n'J ,noN ',v Vl1lV no nN
.m1voN
,o,,t'.',1'J n,1JJm m,,i,1J,11HJ i1'!J1171.7'!J' JmJ 'li.'-' 1Hm, vn,vi,, 7.7!Jl"'lt> ,,H
,7m,;; 71:,r.,J mnm ,O"JN'OJ',., o,,,o,',', m1:inon n:,wr., n,-,,:,rr.,J 1Jn mn
.17J'''
'Signature' in: Difficile liberté [1963), Albin Michel, Paris, 1995, p.374 :mq .5
i1 ,,,71,1, mm"!i N)Jr.,
h',\V ,,ipnn n,,;,', ,,in,;, 7\V n,,io,;, i1i''Ti1 nN ,npni,nn ini'.V' nN ,,in,,
.4'n,i,;,,;, nint'i1 nN pi:,n:, ''lJ\V'"3Ni1 \:)J)J'i1 nN l'llJ 1t>1NO il l!liN, 'lt>ij71Wll
7\V ,mm;, 'î'!lNUlJi1 'li,it>liNi1 il�)J)J N�i, ',))i!l:, ni'lJ\V'UlNi1 nN Ol'i, l'�)J
'O,U!l)J'O' U'N Nin .'lJ\V't>lNi1 'l'))l ,,in,� i1\V))l il'N ,,in,;, ,Ol'i', ,il)) .,,i;,,;,
7\V ini'l ,o,oJn 1i,v,n nN ,,,,\V l!liNJ '.V'nnn 'lJ\V'"3Ni1 ,1!l'i1' .'lJ\V'"3Ni1 7\V
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0'1l17 \Vl'lili ,,ipn ',,uJi JN-,it>J ,n,in o,ivJ ,n;, ,,,i;,,-N7'i1 n,,;,;, nniv,
n,,;, Nin .1l))i1 nl,pl ,,p ,lNi1 nl1i'l Nin ,ll Nin ,,in,;, nPi1i1 ,'lt>li!lO t!liNl
,n,,nJ:,i i1N'1J:, ,n,,i;, nN ,n Nin .1l))i1 0)) ,n't'!lNt))J ,n'O'Ol i1i''t 0"i'lJi1
o,iv, mi!l i1l'N\V ,n,,,n:, nl"!liNlJ i1l'N\V n,,n1li)) O'l�)))J n,,nJn, i1N'1li1
n,,;,• :1l))7 n,li,mliN i1i''t nnnpnn n,,n-niv o,,,nvn on .nnnn 1nm 1mn
Nùnl n-nivl 1Jnn .n,ml 7\V O'l\VmJ 1J1', ,n,, oipn PN ,m oipnJi :,,i;,,
i1Niin 1i,nNi1 1t>1"1lJOi1" :Ol'i, 0"0)J ,ii1\V)J-;,n,nt, i1lJ'll ,1:::, .i17'lJi1 lli!J
nN 1"1)) 0'lJ\VU ,UO'NnN:, m�)) nN i1Ni1i1 7Nit>p7Ul'Ni1 ,,,,m\V)J':, ,n�)) nN
.( § IV) "m1nJlni i1N'1li1 ,,non
.niv,n!ln nP!lioi,,!l n,JJ,n omvi mlV'!l' n\Vp uopu Nin ,,,i;,, n,,;,•
.in,v ,,mnn, ,,Ni\V'il Niipn nN O'l'lJtlJ UN ,n,,J))', m inNn 7\V ou,nJ
n,,;," 7\V ,mm;, mipn nN \Vmnn, ,i\VV\V ,inN ,inin m,vn, \Vi'lN ,ovo,
.Ol'i, nJ\VnlJJ ,,,,in,
i�Jipi ,o,li\V nv-'ln:,J n,mn moi!lni1\V ,oPi, ',\V O'l1 o,,nNn, 1U'll
oo,i!l N, ,,,,i;,, n,,;," inNnn ,o,i!lo, ,03,i', 7\V mm\Vn nnn ,,n,, imNn
',v, :,,0101�0:, .,V a,,,:,,:, m" )1)JN)Jl Dt'171"'ilil n7N1Vl 'Ol''' l1 1934 - l 1l:J .3
'Quelques reflexions sur la philisophie de l'hitlerisme', in: C.Chalier et M.:i1N1)t:lt'i',\,,:,:,
.(Abensour (dir.), Emmanuel Levinas - Cahier de /'Herne, Le livre de Poche, pp.113-121
.'nmm'n ,m, cr,,,'-''ill nmn 1:i:J oP,, ,il'l1Vi1 c,,vn nnn,n 'l!l? :in:Jl1V ,m inNn:i
.n nv!lm:i num1"n n't'!lN1"lJil m,,vnivnn nN r:in, c,v ,vp:in �nm ,N1'1l
Dnl)J mm ,:i, n,,nN, D)l1n ,n,,,:,,:, :,',HV,!l 0,,1:,,:, ,11"1N'O ?)!l lN't i1N1 .4
.n"',,vn :i'lN-,n ,c,,v,!ln n"i!lo ,,,Pl'1l
,
.(§ II) u,n,o ,,po ri,,ul ;pi,uo,;, 7'\!.> riP,Nuo, non
11
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•• T
,o:," ,'Ol''' '1l1:> ,1,'\!.>p N,n ,,,N lNn ,lN7 mi'\!.>' m,o ,,,n,;, riPnn ,"um-1:i
u,n,on ,mp,o [ ...] ,1lYl on,,o Yl17 m,011 ,'Ol''' lm:, ,,,,;,,;, o,,;,n" . ,lY 7N 11
N7'\!.> iN p!iil - onnrin, miYIJ'\!.>lJ ,1:i m,n, o,,N .2ll-m,;, m ,,,,n, m,;,
l'\!.>,O ON ,1:, ,l'!tt� ,n,:,l l'N'\!.>, ,'7'\!.> il'il N7 o,,y,\!.) 1:1))7 ,u,n,o 1l))7 - ,,!i,:i
mpmrin ,m,,n illJ!iY7 "'"ln, ,,:, ,nn,m rim,,;,n ;,,o,o,,,on 7'\!.> ;,niy;,
rio'\!.>m ,ilYil ,om, ,ri,no 1'\!.>i' ni,'\!.>pn ,ri,,,;,,;, m,rin,yn'\!.> ,,;, ,1lYillJ
,n,ln ,,'\!.>omn ''lN'il o,po:i .ri,,n:il:, m,rin,y;, ,;,n :l'"''"' mi\!.> m,rin,y
,illJ�))l ,,nl7 ;,ri',,:,,, 1l))IJ ,ON p, ri'1'\!.>0N i11ll))i1" .,nl) N1lli1 '')N'il ,,o�))l
N7l ,m,nllil .(§ III) "n,nll N'il ,,o,,:, ,nl ,,nl ,;,m,rin,y riN '":i' 1:il,
.,,,n, ri,,;,;, 1l'O'l ri,mvn N'il .i1N'1li1 7'\!.> ''lN'il 'O''Oll ri,my;, N'il ,m,,nn
1'\!.>lJl'\!.> ,nN'1ln l!i"'\!.> m,,lo ,ri"',n,o m,,lo o,moon O'l'\!.>llJ - inll:>l N1ll:>
,,ri, ,:ivn ,o,o riN 'O'l:>tJ ,,,,n, m,;,•n - <§III) "p,:,n ,p,nm m,�nn ,!il 1lV7
,ll-m,,;, riN y,,,;, ,,,,n, m,;,;, .1l7l nnnnn ,nn ill'l�Y riN m,omn mN'!ll'l
'Ol''' 7'\!.> ,,,,, 1'\!.>0N)')il Nin ,(§ VI) m,nllm i1N'1li1 ,,mon riN ,,,,v tl'\!.>ll"n
.. T
11
;o,,v, ,ri,n v,,,Nn 7'\!.> il)')�)) il'O'l:>n Nlil ,,,n,;,". o,w, ,ri,n y,,,Nn rio,3:, riN
( § III) ."ri, ''l o,,v 7'\!.> mi'\!.>oNn ,om riN o,m Nm ,p,,, iri'l iN
ni,!i '\!.>ll77 tll n,,:,, 1lVi1 1l'l'l'l7 ,,,n, m,;,n 7'\!.> ri,m,l'.ln ;,;,,m ,oil
'N1:>,) .,.,,lrin, \!.>Pl)') Nlil 1'\!.>N:> - ,,,:iyr.i ;,mrin, il'Oll'.l '1lil'i11'\!.>N:> .ri,,,.,\!.)
ri'T'!lN"l'lil mN'�l'Jil 'TN - (m77llrinn ,v ,,n,nl ,,nril'l 1l'lNl'li1'\!.> ,:i, l7 tl''\!.>7
oil, ,,:,, ll'N'\!.> 'l'l Nlil ,,,n,;, ,'Ol'l' ,,lY .,,30 ',y rinom - ,,,,;,, riPn'n - ,,'\!.>
,,,pnn 'riPn', ,,l!il'l7 ;,mil'l ,,,n,;, .,ririon, ,,:,, ll'N'\!.> ,mil, ,,:,, ll'N'\!.> ,ll!itJl'l
rivom:i ,,,l'l�l'l ON ol ,;,nlm ,,u'l ,l;,)') il�)'), ,,,n,;, 7'\!.> m p,ri,, .,,'\!.>
l�m�n lYIJ? ,,pnn pm, cnJ\?) c,,,� cmNl ,,IJ�)) 11p1J' l'l?)11Jn ?\?) ,,,,, tN:>
1
nY�llJ ,n,�l1i'l,'t:tn lPY1l ,,p ,n,\?) n't:>11Jn n9l11l ,n,,�ln .( § II} " 'mm'
N'n :''lN'n ?\?) ''l?)!:>1nn cPpm ,))11Jn ,cnmm,m cnnn 0''1?)1))'1?) n, ;,mi n?W!l
1lYnlJ ,p'l?)1Jn ni:, nN n,,:i))IJ N'il .nnnn n:m,, ,,1p1Jn nN ,,:iyn nN n,":ilJ
.(nN p,, ,,mr-1:i cl N1n\?) ,ll} mm, ,(lN)
',:, p:i, ,,,�un c,,pn p:i ,,'l?)p? t>l'1?? p CN 1'1?)!:lNIJ mmn ?\?) 'lmn 11Jmn
,11JN1Jn n,,nn:i t>l'1? r,,:,IJ ,,,y ,:i,n p,,n N1il m 1\?)i' .,,,,po;, c,w;, niy!lm
,D?1))il ?\?) il?Nn n,,n, - N?n n1))!l1Mil ',:, Pl ili''î l'))IJ \?)' ,nNr-?:>l" ,:, 1l))1"l
,,m,m-:i, m,1J, ,o,iy;, .( § II} "on, l''1Y ill'il\?) ,m,�m p:i, ll'l np,r Dl m:,
.,,,,n,-N?il n1'il'il nN 0l'1? l"!lNIJ 1:i .n11ill 0?1)) N1il
mmlJ ,,,,n, n,,;,';, - ,,,,n, - N?n n,,;,'n nN l"!lNIJn - n11;,:i DPpn n1J1))?
o,,p;, ?'l?)J ,m,,1p1J ,,,, .o,w:i ,:iy;, 11Jm nN t>'l:>IJ N1il :n,i,;,;, ,,o:i n:,onlJ
.( § III) "mm "1\?)!l\?) o,1v1J ,,1p1J N?? o,1v1J ,,\!.) n,pmn;,:i ;,�1y1 [,,,;,,;,
;,i,n:in ?\!.)1 (création) i1N'1lil ?\!.) m,m,lJil n,,,,l"pnlJ ,nn .''11il'i1 n,,n•n
')N1 t>l'1? ?\?) n,0,01,,!ln 1nl\!.)IJ nN 1:iry, N? nn))IJ'IV n,,,,mp - (élection)
11y 1l'N'I?) DPp ?\!.) ,1p1Jn Nm - ''\!.)lM\?) ,:,:, n,:im n:i,1n n1:i,\!.)n n:i ,oon,
.1l))nlJ 'Dv 01'i' N?N ,nimnlJ 'Dv D1'i'
'illJ1 ?'D?1))il ,,n, 1l))il 11J'IJ nN il1'nli11 i1N'1lil l\!.)1)J N1!:lN 0'0'l:>IJ ,�,:,
1
'l!l? 11)) ,nN'1lil )\?)1)J .nN'1lil )\?)1)J) nn!ll ?1?N D'l\!.)11J DM'N D'N'llJ\?) n,mnn
lNi1 .1:i, lNil l'l on,;, nN t>l''' ,,:iv l"!lNIJ ,'l1?1N'M ,n, - ?i'\!.)IJ ,,,v D't)'IJ)))'.)\?)
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?\?) 1l))i1 - 1?\!.l N? Dl N1il ,'l'i!.) ,�m - llil ;� lNil N1il lNil - 1?\?) N1il ,nN
- imN \!.l'n)Jl'.) ll- lN illllJil\!.l - ilN'1lil l\!.l11J .p,n l'N ll? 1l 'llJT' N1il lNil
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1l'N\?) ,'?\!.l n11il? ,on, 1l'N\?) 1l)) ?\?) 1)J'IJ 0']:>)J ll- lN illllJil :inN 11\?)? .'?\?)
?\?) U,\?)?:> ,N?N ,mm, ,,rnn,, inN 1N m:, l!l1Nl 1Tn\!.l? 1M'l 1n1N '11"0'i1il 1l))il
1l'N n,\?),n 1m:i ;,,,n:im i1N'1lil mVi?'Pl? miN 1\?)N ,,:iv;," . 1 ",nm ,:iv ,t>l'1?
1l))'i1 l\!IHJ ',\!I nl'J1\i)V ,'i1N'1li1 ',\!I 1l))' 1N ,'"',nm 1l))' ',\!) 11'))1l mNi', tn') .1
D'll.V1Y.l ,(immémorial) '1'::>f.- ,n'}l'n ll.V11J ','!V 1N ,(passé pré-originaire) ,,,,p1:1- oipn
:,,n:,', ,:iv� ut n,,:,� nini-t:i ,,",:,. n',:ip,:i N'n\!I ,n:, ,m,1:1:i, ,opi', ',\!I n,!no1',,n:i D"T:>11:1
.(Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, Martinus Nijhof, La Haye,'1974)
l
'Ol'1', .1l'lt1Nl 0'1i11i1lJ '''1J!l1n n,,;,', l11'l' D1Ni1 n,,;, ',)) 1'01N'O ',',V D'V11'i1
n'.Vpln:> 1'01N'O ',',V (la philosophie de! 'engagement) n1'0"lni1i1 nl'.Vnn nN '1J1!llJ
01Nn ,c,ivl- n,,;,;, ,ni,:, - n1livn :n1l1V l'.V1nn ','IJ nn,,,on mln V':iln,
,"O"lnn, N'," .o,,un ,,N, DN1 i1:il1' ON ,01Nn .n,iv!l:> nmnnl m:ilm - mm1liv:,
,i11l1Vi1 ',\!.) 'mi,n'n ,1t mO"lni1 .( § III) "0"lni1', 1"1)) i1T ,in11 ,Ol'1' lm:>
D1'1Vl imN mnn 1l'N ''lN'n nN llion c,,vn ON pi Ol'1' ,'IV ,,,,, N1!lN n'1'1J!lN
,,::iynJJ m,,m,, m;mmn nn,m m,,m,, m,m :m,nN c,,,nl 1N .N'i1'1V 1i,
,n m,,m m:ilV nN o!linn 01Nn ,Ol'1' ,,li:> ,1=> . ,1p1Jn1J m,,m,, mpmnn
:Ol'1' ,'IV ,mpon p cN 'i1H .{ § III) "nnn '01'.V!l'IV c,,vl ,,,pn N,,,, c',,vl
,n,n .mmn nN nn,pm ,ilvn ,v ,,,pnn ,v n,m,nn i1l'IVnn N'i1 mi,nn nl'IVnn
.m:ilV nN o!lin m,,nn ,'.V '!>101,,!ln ''lN'i1 1l ,,v'nn ,n,nn Nin mmn
l'iOnm il1 ',:, il ,m,n c,,vl imN oi!ln, 1'1V11'!l ,mi,n:, c,Nn nN oi!ln,
',n i1T 11'!lN .nim re-presentation l'IV1lJi1'1V '!l:> ,''lN'il ',\!.) nimn 1n1'1V'' ,mm,
Ol'1' lm:> ,,n,,n,,n D1'i'i1 'Jl', :c,inNn •m,n'n 'l!l1N ',:, ,v Dl Ol'Ù ','.V ,,,,,
N, ,lntl l,n'l>n, .,,,,nl piov, :mm cnmnl Dl'il cnnpn1,;, cnnn" ,:, ?'lin,
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n,:,'l)', n'.Vplnil il'l!] N'i1 ,c,,v, ''lN'il ',\V i1\V'li1 nN nl"!lNIJil "'l'Ol1!l0i1 i1'l!li1
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121
Le Débat
Benny Lévy
Exposé
1. Les trois philosophes ont animé des séminaires préparatoires au Débat à l'Institut
d'Etudes Lévinassiennes pendant les trois jours précédents.
122 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
passé d'avant le souvenir qui lui s'efface, sinon l'instant chasse l'instant. Faute
de la passée d'un passé absolu, voilà ce qui se passe aujourd'hui. On a crié dans
les rues de Paris et de Strasbourg: « Mort aux Juifs» et la moitié de l'humanité
au moins, l'arabe ouvertement, et l'européenne en partie mezza-voce,
réclame un Nuremberg pour les « crimes israéliens contre l'humanité».
Constat: ça s'est retourné. De ce constat, deux leçons: le Juif moderne s'est
trompé sur l'homme et il s'est trompé sur lui-même. L'homme, je veux dire
l'occidental, se trompe sur la mémoire et l'oubli, et le Juif s'est trompé sur sa
solitude.
La thèse sur l'homme: pour l'homme - l'homme occidental-, il n'y a
pas de passé absolu, ou pour le dire autrement, ce qui est en avant de soi
- disons le père - est mort. L'homme occidental, comme vous le savez, c'est
dans son excellence l'homme grec et le Grec, par excellence, c'est Platon.
C'est donc avec lui que je vais faire le parcours pour pointer l'erreur. Dans un
dialogue superbe, le Phèdre, Platon se pose la question de la mémoire et de
l'oubli, question liée à celle de l'écriture. Platon privilégie, comme le Juif, la
parole vivante, la parole qui est assistée par son père, la parole du maître, celle
qui ait planter des semences dans l'âme appropriée. Alors qu'en est-il de
! 'écriture, se demande-t-il ? Dans un très beau passage, il met en scène le
dialogue entre l'inventeur de l'écriture et le Roi à qui il propose son invention:
« Voici, ô roi - dit Teûth l'inventeur-, une connaissance qui aura pour
effet de rendre les Egyptiens plus instruits et plus capables de se
remémorer. Mémoire, aussi bien qu'instruction, ont trouvé leur remède.»
3. E. Lévinas, « Etre juif», Confluences 15-17, 1947. Cet article, resté inédit depuis
1947, est reproduit plus haut dans ce numéro.
4. Jean-Claude Milner, « Les dénis », in : Paroles à la bouche du présent. Le
négationnisme: histoire ou politique?, Editions Al Dante, 1997, p.74.
5. De Dieu qui vient à l'idée [1982 ; 2ème édition revue et augmentée, 1986), Vrin,
1992, p.200.
Le Débat 125
passage de« Sans nom», le texte qui clôt l'ouvrage de LévinasNoms propres:
« Mais qui dira la solitude des victimes qui mouraient dans un monde mis en
question par les triomphes hitlériens où le mensonge n'était même pas nécessaire
au Mal assuré de son excellence ? Qui dira la solitude de ceux qui pensaient
mourir en même temps que la Justice au temps où les jugements vacillants sur
le bien et le mal ne trouvaient de critère que dans les replis de la conscience
subjective, où aucun signe ne venait du dehors?
Interrègne ou fin des Institutions ou comme si l'être même s'était
suspendu. Plus rien n'était officiel. Plus rien n'était objectif. Pas le moindre
manifeste sur les droits de l'Homme. Aucune "protestation d'intellectuels de
gauche" ! Absence de toute patrie, congé de toute France ! Silence de toute
Eglise! Insécurité de toute camaraderie. C'était donc cela "les défilés étroits"
du premier chapitre des Lamentations : "Pas de consolateur !" [Ein Menakh 'em],
et la plainte du rituel de Kippour : "Ni grand prêtre pour offrir des sacrifices,
ni autel pour y déposer nos holocaustes !" »6
Solitude totale, solitude noire ; dans cette solitude se réfugie tout l'humain.
Et entendez comment se retourne cette solitude, comment une lumière, de
l'obscur lui-même, pointe:
« Peuple exposé [le peuple d'Israël] - même en pleine paix - au propos
antisémite, car peuple capable de percevoir dans ce propos un sifflement
inaudible à l'oreille commune. Et déjà un vent glacial parcourt les pièces encore
décentes ou luxueuses, arrache les tapisseries et les tableaux, éteint les lumières,
fissure les murs, met en loques les vêtements et apporte les hurlements et les
hululements d'impitoyables foules. Verbe antisémite à nul autre pareil, est-il
injure comme les autres injures ? Verbe exterminateur par lequel le Bien se
glorifiant d'Etre retourne à l'irréalité et se recroqueville au fond d'une
subjectivité, idée transie et tremblante. Verbe révélant à l'Humanité tout entière
par l'entremise d'un peuple, élu pour l'entendre, une désolation nihiliste
qu'aucun autre discours ne saurait suggérer. Cette élection est certes un malheur.
Mais cette condition où la morale humaine retourne après tant de siècles
comme à sa matrice atteste - d'un testament très ancien - son origine d'en
deçà les civilisations. Civilisations que cette morale rend possibles, appelle,
suscite, salue et bénit, mais qui, elle, ne s'éprouve et ne se justifie que si elle
6. « Sans nom», in: Noms propres [1973], FataMorgana, Le Livre de Poche, 1976,
pp.141-142.
126 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
Ouestions
7. Ibid., pp.145-146.
8. Ce propos d'E. Lévinas est extrait d'un entretien publié dans François Poirié,
Emmanuel Lévinas [La Manufacture, 1987), Actes Sud (Babel), 1996, p.90.
9. E. Lévinas, « Le lieu et l'utopie », in : Difficile liberté, Albin Michel, 1963,
p.134.
Le Débat 127
Benny Lévy : Il est vrai que Lévinas a refusé plusieurs fois et dans un texte en
particulier, intitulé« La souffrance inutile » 10, de formuler de manière marchande
tout rapport entre la souffrance qui s'est jouée à Auschwitz et les fautes dont
seraient responsables les victimes de ces souffrances. Cela l'a conduit à critiquer
une certaine tradition qui prétend que, au bout du compte, il faut entendre
derrière le mal, le bien. Il se trouve que Lévinas est pris entre deux feux
(philosophique et juif) : les textes de Lévinas doivent être pris par leurs deux
côtés, il faut comme ouvrir le pli que ces textes recèlent. Après avoir dit qu'il
serait totalement indécent, obscène de faire un rapport entre la souffrance et la
faute à propos d'Auschwitz, dans un commentaire sur un des grands maîtres
lituaniens, de l'époque où la Lituanie était la Jérusalem du monde de la Torah, le
Nefech Ha-haïm, un de ses derniers textes, Lévinas dit la chose suivante
« Peut-on d'ailleurs demander en priant l'adoucissement de nos souffrances
humaines ? Les souffrances ne signifient-elles pas expiation des péchés ? [c'est
Lévinas quiparle] "Pas de souffrance sans faute", dit le traité Chabbath (55a). » 11
Evidemment Lévinas se rend compte que, contraint par le texte, il a dit
quelque chose d'énorme par rapport à ce qu'il avait écrit; alors il ajoute une
note d'une ligne et demie : « Peut-on continuer à le dire [Pas de souffrance
sans faute] depuis la passion d'Auschwitz ? Peut-être toujours de soi à soi;
sans faire entrer cet apophtegme dans un prêche. » 12
Bernard-Henri Lévy: Un mot, d'abord, sur cette question du mal qui me vise
et qui me touche. Reprenons le texte cité, qui est un extrait de De Dieu qui
vient à l'idée. A la page précédente, p. 199, Lévinas parle de la « dérisoire
théodicée des amis de Job. Leur idée de justice procèderait d'une morale de la
récompense et du châtiment, d'un certain ordre déjà technologique du monde.»
Et il ajoute -je cite de mémoire - : « Toute tentative de théodicée n'est-elle pas
une façon de penser Dieu comme la réalité du monde ? » Pour moi, tout est
10. « La souffrance inutile» est publié dans Entre nous, Essais sur le penser-à
l'autre.
11. E. Lévinas, « Judaïsme et Kénose », in: A l'heure des nations, Editions de
Minuit, 1988, p.148.
12 Ibid., note 3.
128 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
dit. Les amis de Job sont« dérisoires». Leur théodicée est« dérisoire». Et
cela, précisément, parce qu'ils prétendent donner un sens à ce qui, aux yeux de
Job souffrant, n'en a pas. Ils sont des techniciens de la souffrance. Ils ont une
vision technicienne de la souffrance. Et c'est le risque pour quiconque entre
dans cette logique du mal qui« me vise», etc. Cette question, ce débat entre
celui qui estime qu'il convient de donner un sens à ce qui n'en a pas, et celui
qui tient pour le noyau irréductible d'insensé au cœur du mal, c'est, cela dit,
une question cruciale à laquelle il faudra peut-être que nous consacrions un
séminaire.
Deuxième point, toujours à partir de l'intervention de Benny. Cette affaire
des rapports entre l'écriture et la parole, deux textes où Lévinas dialogue, plus
ou moins explicitement, avec le Phèdre. Le premier, c'est Totalité et Infini. Le
deuxième, c'est Autrement qu'être. Dans Totalité et In.fini apparaît un premier
Lévinas, qui s'en tient à une position assez strictement platonicienne : primat
de la parole sur l'écriture et primat d'autant mieux affirmé que la parole c'est
le visage, c'est les yeux, c'est l'expression - toutes ces paternités, tous ces
surcroîts de la parole qu'évoquait déjà Platon. Et puis il y a un deuxième texte,
beaucoup plus tard, Autrement qu'être, où Lévinas revient sur cette question et
où il évoque ce qu'il appelle « la situation herméneutique de l'écriture », le
rapport du texte à l'exégèse. Et là, les choses se renversent. On sort de
l'appréciation platonicienne de l'affrontement de la parole et de l'écriture. Et
Lévinas en vient à affirmer le primat de l'écriture dans le sens que Benny
évoquait dans la première partie de son exposé.
Alors ma question est la suivante : y a-t-il un Lévinas et puis un autre?
Et si oui, que se passe-t-il de Totalité à In.fini à Autrement qu'être pour que
s'opère cette sorte de renversement?
(alter ego) et autrui comme apparition du divin. Son grand problème : dire
Dieu dans le texte philosophique. Mais cette parole vivante du maître pour dire
l'extrême originalité de ce qui se joue dans le visage s'avère insuffisante. Visage,
en hébreu, c'est « panim », et dans « panim » il faut entendre « pana », le
radical qui veut dire à la fois se tourner et évacuer. Cette espèce d'évacuation,
d'absolution, c'est celle-là qu'il va essayer de dire en termes d'écriture, mais
pas d'écriture au sens d'écriture littéraire, encore moins mnémotechnique
(condamnée dans le texte de Platon), mais de « l'écriture imprononçable ».
Cette trace de l'absolution, cette trace de l'absolu, il l'appelle l'écriture
imprononçable. Comme vous le savez, le Nom, écrit en quatre lettres, ne se
prononce pas, et à la place de ce nom,c'est un autre nom divin qui est dit: cette
articulation entre le Nom écrit qui ne se prononce pas et !'oralité, voilà ce que
Lévinas a gagné dans Autrement qu'être.
Alain Finkielkraut
Exposé
victimes de toute éternité que seraient les Israéliens. Dès lors qu'Israël s'est
constitué en Etat, Israël s'est exposé- à tous les sens du terme mais notamment
à la critique. Cette critique peut être légitime, en tout cas elle a sa place en
droit. Le problème que je vois aujourd'hui, et ce n'est pas la première fois qu'il
surgit à nos yeux, c'est que la haine a/ait main basse sur la critique. En lieu et
place de la critique, on a la haine. Et cette mémoire-là, cette mémoire
omniprésente, au lieu d'atténuer, au lieu d'inhiber la haine, la nourrit. Parce
que c'est une mémoire simplificatrice, une mémoire qui voit le monde en deux
dimensions. Cette piété et cette vigilance conduisent, si on n'y prend garde, à
réduire la pluralité du monde à l'affrontement de deux forces. Et quand il n'y a
plus que deux forces en lieu et place de la pluralité du monde, alors tous les
renversements sont possibles, alors on peut dire, ou même on ne peut pas
s'empêcher de dire que les victimes d'hier sont les bourreaux d'aujourd'hui. Si
vous n'avez que ces deux catégories pour affronter les réalités explosives, vous
n'avez rien pour vous prémunir contre le renversement. Et de ce renversement,
nous sommes témoins tous les jours. La réalité même de ce qui se joue ces
jours-ci, ces mois-ci entre Israël et les Palestiniens, la réalité complexe est en
quelque sorte réduite à l'affrontement de deux forces, et s'il n'y a plus que
deux forces, alors il y a la force faible et la force forte et la force forte doit être
dénoncée quand bien même elle aurait fait, elle ferait à la force faible les offres
les plus généreuses.
Deuxième effet de simplification de cette mémoire obsessionnelle : si
dans la réalité on ne retient que le crime, alors comment penser la réalité? Et là
encore le retournement se produit : nous avons souvenir d'un crime contre
l'humanité, nous avons dit « plus jamais ça », nous militons pour une
commission d'enquête, voire pour un tribunal qui pourra faire la lumière sur
les crimes commis hier au Liban et plus récemment encore dans la répression
de l'Intifada. Voilà un moment tout à fait paradoxal de complicité d'une mémoire
omniprésente avec la vulnérabilité et la solitude d'Israël, Israël rendu plus seul
encore par la mémoire sans cesse entretenue du crime majeur contre les Juifs.
C'est à cela que nous avons affaire et constater cela, ce n'est pas pour moi,
j'espère que vous l'avez compris mais je me ferai aussi clair que possible,
militer pour l'oubli. C'est d'abord se poser la question : qu'est-il arrivé à la
mémoire? Qu'est-il arrivé à la mémoire pour que nous nous méfiions de son
triomphe au moins autant qu'autrefois nous étions en droit d'avoir peur de
l'oubli?
132 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
Pour répondre à cette question, je ferai un bref détour par un auteur dont
je crois qu'on peut dire qu'il est l'un des très grands donneurs de mémoire, à
savoir Primo Levi. Donneur de mémoire est celui qui, précisément, à l'homme
qui n'a pas vécu l'enfer dont il témoigne, donne la possibilité non seulement
de connaître, de savoir, de s'informer, mais de le comprendre de l'intérieur
grâce à des livres comme La trêve, Si c'est un homme, et aussi son testament
intellectuel: Les natifragés et les rescapés, le livre qu'il a publié un an avant
son suicide. Primo Levi est accompagné, tout au long de son travail, par un
poème dont il cite quelques vers en exergue des Nai�fragés et des rescapés: Le
dit du Vieux Marin de Coleridge. Voici l'exergue: « Depuis lors, à une heure
incertaine, cette agonie revient, et jusqu'à ce que mon histoire soit racontée, ce
cœur en moi brûle.» Qui est le Vieux Marin dans Coleridge? C'est quelqu'un
qui a une histoire terrible à raconter. Il arrête des passants qui se rendent à une
noce. Ils sont pressés les passants, ils vont à une noce. L'un d'entre eux
finalement est hypnotisé par l'œil qui luit du Vieux Marin. D'une certaine
manière, à travers cette histoire, on peut distinguer les stades de la réception de
l'œuvre de Primo Levi. Lorsqu'il est libéré d'Auschwitz et qu'il rentre en Italie,
il est saisi, dit-il, d'une ardeur narrative pathologique: il raconte, il écrit et il
raconte. Le manuscrit de Si c'est un homme est achevé en 1947. Le premier
éditeur le refuse, le deuxième éditeur ne s'y intéresse pas beaucoup. Les passants
vont à la noce. Qu'est-ce que ça veut dire: les passants vont à la noce et ils ne
veulent pas entendre le Vieux Marin? Cela veut dire que l'Europe, à ce moment
là, était dans l'euphorie de ce qu'on a appelé le baby boom ; l'Europe était
heureuse, même les rescapés faisaient la fête, c'était l'euphorie de la victoire,
on avait gagné. Le deuil est venu après: il y a un moment où les passants se
sont arrêtés, ont écouté Primo Levi, et alors ses livres se sont vendus, il est
même allé les présenter dans les écoles. Dans Les naufragés et les rescapés, on
voit Primo Levi combattre un nouvel ennemi, et quel est ce nouvel ennemi ?
C'est le désir de simplification, dit-il, l'allergie aux demi-teintes et aux nuances
de l'existence, la volonté de partager le monde en deux; et il dit: il faut que je
combatte cette volonté pour faire comprendre ce qui se passait là, dans le lieu
même du mal absolu - c'est ce chapitre qu'en quelque sorte il arrache à la
simplification et qui s'appelle « La zone grise ». Et puis il y a le nouveau
moment dans lequel nous sommes entrés, ce moment où le passant, l'auditeur,
prend tellement à cœur le récit de Primo Levi que, d'une certaine manière, il
l'en congédie, il l'assume à sa place; il l'écoute raconter et ensuite, « ,il se le
Le Débat 133
où le malheur était entièrement pris dans les rets du mal et où le mal était
imputable à une origine, était imputable aux méchants, d'où la possibilité, si la
politique se réduit à cet affrontement, d'en finir une fois pour toutes avec le
mal par la politique. Hantise du définitif. A cette hantise du définitif, je crois
que Lévinas nous invite à résister par tous les aspects de son œuvre, dans ce
qu'elle a de talmudique et dans ce qu'elle a de moderne. Dans ce qu'elle a de
talmudique, je me réfère très brièvement à un passage de L'au-delà du verset
où il définit le Talmud comme« lutte avec l'Ange » 14, jurisprudence continuelle,
surveillance des idées générales par les cas particuliers, parce que le général ne
fait pas droit à la multiplicité humaine, aux singularités. Et puis il y a chez
Lévinas une analyse admirable de l'Etat libéral : l'Etat libéral, ce n'est pas
simplement un événement historique, c'est une catégorie. Qu'est-ce que l'Etat
libéral a de meilleur que les autres Etats? Pourquoi l'Etat libéral? Ce qu'il a
de meilleur que les autres Etats, c'est précisément son inachèvement, dit Lévinas,
son inachèvement de principe, le fait que la justice y soit toujours ouverte sur
une justice meilleure. Il y a la justice et puis il y a la reconsidération, la critique,
le remodelage, la contestation de cette justice même : « Le souci des droits de
l'homme, ce n'est pas une fonction étatique, c'est dans l'Etat une institution non
étatique, c'est le rappel de l'humanité encore non accomplie dans l'Etat. »15 La
justice de l'Etat libéral est toujours révisable, elle s'expose à la révision et
c'est précisément cette sorte d'installation dans l'inachevé qui fait, aux yeux
de Lévinas, de l'Etat libéral le meilleur régime. Donc, qu'il s'agisse de la
perspective talmudiste ou qu'il s'agisse de la perspective politique, l'œuvre de
Lévinas nous convie à résister à la tentation de la politique absolue. Peut-être
s'agit-il aujourd'hui pour nous, non pas, bien sûr de combattre la mémoire,
mais d'abord de constater que si conflit il y a, il est à l'intérieur de la mémoire
- Jean-Claude Milner parlerait peut-être à ce propos d'homonymie-, entre
deux usages de la mémoire, deux attitudes qui portent le même nom. Il faudrait
donc sauver la mémoire non pas de l'oubli- cette tâche est accomplie- mais
de cette nostalgie d'une politique absolue. Ne fût-ce aussi que pour emayer
cette mécanique infernale qui fait que plus il y a mémoire de la Shoah, plus
empire et plus s'accroît la solitude d'Israël.
Questions
Benny Lévy: Voilà une thè e paradoxale sur la mémoire. thèse qui se résume
en un mot : omniprésence. Voi i ma que tian : à première vue, la thèse de
l'omniprésence de la mémoire est rigoureu ement opposée à la thèse que j'ai
défendue, à savoir qu'un in tant a chassé l'autre et qu'il n'y a pas de mémoire
vivante d'Auschwitz. Ne pourrait-on pas dire que cette omniprésence
imaginaire, c'est au contraire la défaite de la mémoire ?
Alain Finkielkraut : Bien sûr que c'est une ancienne affaire, qu'on retrouve
des thèmes qui étaient déjà présents lors de la guerre du Liban ; et lorsque j'ai
écrit les articles de La Réprobation d'Israël, c'était en effet pour soustraire la
critique d'Israël à la haine et à l'antisémitisme. Pourquoi se sentait-on si fort, si
invulnérable dans la haine? Précisément parce qu'on attaquait les Juifs d'Israël
au nom des Juifs et du comportement qu'on était en droit d'attendre d'eux.
C'est à cela aussi que nous avons affaire aujourd'hui. Quand je dis triomphe de
la mémoire, ce n'est pas un constat optimiste : il peut déboucher sur une mouture
de l'antisémitisme totalement innocente de tout préjugé antisémite. Si l'on
réfléchit justement à l'antisémitisme d'aujourd'hui, eh bien je crois qu'il a
beaucoup plus d'avenir sous son vêtement progressiste que sous son vêtement
pétainiste, « l'idéologie française». Il ne faut pas se tromper de cible. La question
de l'antisémitisme ne peut pas servir de sauf-conduit, mais il est clair qu'un
antisémitisme progressiste se met en place et j'en donnerai pour finir l'exemple
qui me paraît le plus inquiétant : un livre qui va paraître en France da:os les
Le Débat 137
jours qui viennent, un livre qui va malheureusement avoir dans les cercles de
la gauche de gauche un succès ravageur. Car c'est la gauche de gauche, comme
on dit chez nous, qui sera porteuse de cette violence-là. Ce livre s'intitule
L'industrie del 'Holocauste. L'auteur, Norman G. Finkelstein, est juif. Avec ce
livre, on a le sentiment que ce maximum de violence auquel nous avons eu
nous, dans notre génération, à nous heurter, à savoir le négationnisme, n'était
que le brouillon de quelque chose qui est en train de naître. Que disaient les
négationnistes ? Il n'y a pas eu de chambre à gaz, les chambres à gaz sont une
invention des Juifs pour autoriser la politique expansionniste, oppressive d'Israël
et pour faire chanter le monde. Que disent maintenant les théoriciens de cette
industrie de l'holocauste ? Ils disent : il y a eu des chambres à gaz, et ces
chambres à gaz, l'élite juive les instrumentalise dans une totale froideur au
service d'une politique qui est simultanément la politique de l'Amérique et la
politique d'Israël dont les premières victimes sont les Palestiniens. Ce qui a
pour effet, pour vertu, d'inhiber complètement le monde et évidemment, là, on
ne pourra pas se précipiter pour dire : « mais si, les chambres à gaz ont existé».
C'est comme si le négationnisme avait été maladroit puisqu'on peut dire la
même chose sans nier les vérités factuelles, et là se développe un antisémitisme
qui aura tous les alibis du monde et qui va être absolument terrifiant. Qui va
l'arrêter? Les historiens ne l'arrêteront pas, ni la mise en cause de l'idéologie
française. Je crois que tout cela a très peu à voir avec les traditions antisémites,
celles-là, à mes yeux, durablement déshonorées par le souvenir. La mémoire
omniprésente aura eu au moins cet effet bénéfique de destituer, de délégitimer
toute une tradition européenne ou française de l'antisémitisme ; mais telle qu'elle
se présente, elle peut nourrir aussi de nouvelles formes d'antisémitisme d'autant
plus dangereuses qu'elles n'ont rien à se reprocher.
Bernard-Henri Lévy
Exposé
Sur ce dernier point, je ne crois pas que nous divergerions. Comme disait
Baudelaire, la grande ruse du diable est de faire croire qu'il n'existe pas et la
plus grande ruse de l'antisémitisme est de changer de visage à chacune des
époques de son histoire, d'abandonner ses défroques coupables ou, voyantes
138 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
pour arborer les habits de l'innocence; et il est clair que depuis quinze ou vingt
ans, la rhétorique anti-sioniste est l'habit neuf de l'antisémitisme. Face à cette
affaire-là je ne suis pas sûr qu'on puisse opposer droite et gauche, progressisme
et réaction. Le propre de cette histoire, depuis le début de l'affaire, c'est-à-dire
depuis les années 20 et la naissance du nazisme en Allemagne, c'est que ça
court-circuite cet arc-là. Au commencement du nazisme, les nazis s'appelaient
les nationaux-bolcheviques, des gens d'extrême droite au coude à coude avec
des gens d'extrême gauche.
Mais je voudrais revenir sur ces questions de la mémoire, de l'oubli, de
la solitude d'Israël. Je voudrais revenir sur le débat autour de la mémoire. Rien
ne serait plus dommageable que de faire de ce devoir de mémoire la seule
affaire des Juifs. Rien ne serait plus tragique que de donner le sentiment, et pas
seulement le sentiment, que cette mémoire est une propriété, un trésor sur lequel
nous devrions jalousement veiller. Nous avons, certes, le devoir de veiller sur
l'événement du siècle, la Shoah. Mais les enfants des bourreaux ou les enfants
des indifférents ont le même devoir. Et cela, nous devons non seulement le
reconnaître mais le souhaiter. Un exemple qui va peut-être choquer, mais tant
pis, c'est un exemple-limite, donc un bon exemple. Les fameuses carmélites
qui ont installé un carmel aux portes mêmes d'Auschwitz, sur le théâtre même
de l'horreur, là où se stockait le zyklon B. Je crois que nous avons eu raison,
bien sûr, de militer pour que le carmel soit déplacé, nous avons eu raison de
crier à l'outrage et au scandale. Je ne suis pas sûr, en revanche, que nous ayons
eu raison, à l'époque, de suspecter ou même de tenir pour acquise la non
sincérité des carmélites en question. S'agissait-il, comme on l'a dit et écrit,
d'une tentative de christianisation de la Shoah ? d'appropriation ? Y avait-il
quelque chose de glauque derrière ce qui nous était présenté comme un acte de
repentance, un acte de pénitence, un acte de mémoire? Non. Pas forcément. La
mémoire n'est pas notre affaire. C'est aussi la leur. Et il n'est pas choquant,
après tout, que chacun le fasse selon sa langue, sa théologie, son mode propre.
Autre remarque. La question de la singularité de la Shoah, de son
exemplarité. Pour moi, ce qui fait, ce qui rassemble d'un mot l'unicité de ce
crime, son horreur absolue, son caractère incomparable, c'est la conjonction
comme jamais du radical et du banal, la banalité du mal selon Hanna Arendt et
le mal radical selon Kant. Est-ce que cela veut dire que cette singularité
installerait le mal d'Auschwitz, l'horreur absolue, dans une sorte
d'extraterritorialité de l'histoire et de la pensée ? Est-ce que cela en �ait un
Le Débat 139
-------
142 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
Questions
réveillé-réveillé en tout cas d'une longue veille de la mémoire et non pas d'un
long sommeil dogmatique-, et il a dit:« ça suffit». Et il l'a dit à Ignatz Bubis,
pas aux média. Ignatz Bubis, c'était le président des communautés juives
d'Allemagne, mort l'année dernière. Il a donc dit à Bubis: votre Shoah est
devenue comme une massue morale, nous n'en pouvons plus, nous ne voulons
plus vivre avec le fardeau de cette culpabilité-là, avec le poids de ce crime sur
nos consciences. C'est ça que dit Walser. Je résumais la chose de manière
plaisante en parlant de zapping, en parlant de bogue télévisuel, en évoquant le
désarroi d'un homme qui supplie qu'on lui permette d'éteindre son poste de
télé-ce qu'au demeurant personne ne lui interdit de faire. Ce que disait Walser
c'est que le fardeau devenait insupportable,envahissant. Est-ce que la mémoire
d'Auschwitz est devenue telle qu'elle puisse permettre à un écrivain de dire,
non plus : « plus jamais ça», mais : « assez de ça»? C'est la question.
Quant à l'autre question enfin, quant à la question de savoir pourquoi
j'oppose la mémoire et la mélancolie, je te répondrais que c'est affaire de
tempérament. Dans ma vie d'écrivain,d'intellectuel,d'homme,je suis, comme
toi d'ailleurs,un combattant. Ce qui m'importe,c'est me souvenir d'Auschwitz,
certes. C'est me faire, avec d'autres, le passeur de ces voix tues. Mais c'est
aussi le siège de Sarajevo, la purification ethnique en Bosnie, le génocide du
Rwanda : tous crimes qui, sans avoir la même ampleur, sans être en rien
identifiables à l'absolu d'Auschwitz, sont des crimes qui m'ont bouleversé,
qui m'ont mobilisé. Et au service de cette mobilisation,nous sommes un certain
nombre,toi le premier, à avoir versé notre horreur première,presque instinctive
et en même temps instruite, d'Auschwitz - nous sommes quelques-uns à avoir
vécu ces événements bosniaques, rwandais, etc., dans cette espèce de lumière
noire dans laquelle nos pères nous ont enseigné à vivre l'histoire qui se faisait.
Donc mélancolie, pourquoi pas, mais une mélancolie active, une mélancolie
mobilisée. J'évoquais hier un penseur sur lequel peut-être nous ne nous
retrouverons pas : Michel Foucault. Il parlait d'une guerre des mémoires. Il
parlait du travail de la vérité,du travail de la mémoire,aussi comme de batailles
politiques. Pour moi la mémoire peut être le théâtre de batailles de cette nature
et c'est la raison pour laquelle elle ne saurait se résoudre au ressassement
mélancolique, quelles qu'en soient, à titre privé bien sûr, les justifications.
146 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
Benny Lévy : Alors pour finir, ma question est une question à Bernard,
accrochant au vol le terme de rite, mais je l'élargis aussi bien à Alain. C'est une
question faussement naïve.
Vous avez été tellement convaincants, tellement lucides, quel que soit le
parti pris, par rapport à tous les débats qui ont lieu aujourd'hui. On voit bien que
le point qui fait mal, c'est qu'il y a la mémoire mais qu'il faut aussi qu'elle
dégorge, qu'elle se fasse, selon l'expression de Ricœur,«mémoire heureuse ».
Alors on est à quelques jours d'un « rite » - le mot est détestable mais il a été
employé - où nous allons être vraiment très heureux, heureux au point de
totalement s'enivrer. De l'effacement du nom de Hitler : on le brûle, on se
déguise avec, on en joue. Ce supposé rite, en vérité ce commandement, qui est
écriture, celle d'un verset,«zakhor», que dit-il? Tu dois actualiser l'absoluité
du mal de dor en dor, de génération en génération. Et le verset se termine par
«Lo tichkah'» : tu n'oublieras pas. Il y a un petit signe, un tout petit signe qui
dit : « lo », on s'arrête un tout petit peu, donc on oublie le « lo », puisqu'on
s'est arrêté, et puis«tichkah'»,«oublieras». Cette extraordinaire articulation
du « zakhor », de la mémoire vivante d'actualisation, et de l'effacement, de
l'oubli du nom, du nom mauvais, du nom du mal, se vit heureusement dans ce
« rite »-là. Alors voici ma question, affectueuse : mais pourquoi ne pas vous
tourner vers Zakhor. ?
Alain Finkielkraut : La seule réponse d'une naïveté qu'on veut vraie sans
doute et convoquée par ta question, c'est: je ne crois pas en Dieu.
Benny Lévy : Selon Lévinas, le nom de Dieu ne se mêle pas à cette notion de
croyance. Je rappelle toujours à mes étudiants la phrase de Merleau-Ponty citée
par Sartre:«croire, c'est toujours croire qu'on croit». Mais quel rapport entre
ce croire et ce que nous appelons dans notre langage la«emouna»? On ne dit
pas croire, mais faire crédit.
Benny Lévy: C'est une question profonde, grave. Vous me demandez: comment
se fait-il que le texte de Lévinas ne conduise pas Alain et Bernard-c'est une libre
interprétation de la question mais c'est la question-à se saouler dans une quinzaine
de jours ? Est-ce que ce n'est pas une condamnation du texte de Lévinas, texte qui
n'enjoint pas, qui ne finit pas par être une vraie écriture, c'est-à-dire un
commandement, texte vain ? Comme la question m'est adressée à moi, je vais
répondre, et je répondrai avec la plus grande piété à l'égard de celui qui a été
maître en ce qu'il m'a ouvert l'horizon de l'hébreu. L'enjoignement, la nécessité
d'existence, c'est quelque chose de très profond. On n'a pas arrêté d'en discuter
entre nous, pas seulement pendant le séminaire mais aussi quand on mangeait,
quand on se baladait. On ne passe pas de la nécessité intelligible à la nécessité
d'existence de manière simple. Il y a parfois des nécessités intelligibles. Alain
comprend ce que veut dire Dieu qui vient à l'idée, il y voit une nécessité
intelligible ; mais que cette nécessité intelligible se convertisse en nécessité
d'existence à partir d'un texte qui reste un texte philosophique, c'est autre chose.
Mais comment refuser un texte, celui de Lévinas, alors qu'il dit la nécessité
intelligible tout près de se retourner en nécessité d'existence ? Il n'y a pas ce
retournement effectif dans le texte, c'est vrai, mais ce retournement effectif ne
se trouve que dans une seule écriture, l'écriture de l'enseignement.
L'enseignement est plus décisif que ce qui se dit en grec. Mais aujourd'hui, il
faut multiplier l'expression de la nécessité intelligible vu l'état extrêmement bas
dans lequel se trouve le am Israël, le peuple juif. Nous sommes condamnés à
refaire l'itinéraire d'Abraham qui a tout essayé de penser et de comprendre à
partir de lui-même, au point de s'exposer. .. au Révélant.
149
Témoignages
Shmuel Wygoda
En plusieurs occasions, soit dans ses écrits, soit lors d'entretiens qui ont
ensuite été publiés, Lévinas mentionne explicitement le nom de Chouchani.
C'est de cette personne qu'il a appris, à un âge relativement tardif,
essentiellement le Talmud. Rares sont les cas où le nom de Chouchani est
explicitement prononcé, mais Lévinas se réfère à lui en employant des
expressions telles que « un maître intransigeant », « un maître impitoyable »,
« un maître prestigieux », ou des formules similaires. Pourtant, malgré ces
mentions explicites, on ne trouve quasiment pas de marques d'intérêt pour
l'influence de Chouchani sur Lévinas chez les nombreux chercheurs qui étudient
les divers aspects de la pensée de Lévinas, alors que celui-ci souligne cette
influence dans plusieurs textes. Quelques facteurs peuvent expliquer ce fait :
1- le relativement faible intérêt pour l'aspect juif de l'œuvre de Lévinas ;
2- le fait que Chouchani n'a pas laissé d'écrits ordonnés;
3- le fait que la plupart des personnes qui ont étudié auprès de Chouchani se
souviennent d'avoir été fortement impressionnées par sa personnalité mais ont
du mal à reconstituer le contenu de son enseignement ;
4- le fait que Chouchani a pris soin, durant toute sa vie, d'envelopper de mystère
tout ce qui avait trait à sa personne.
Nous ne nous proposons pas, dans cet article, de résoudre l'énigme qui
150 Shmuel Wygoda
1. Lévinas et Chouchani
Dans son livre Emmanuel Lévinas, qui êtes-vous ?, François Poirié interroge
longuement Lévinas sur l'homme qu'il a rencontré après la deuxième guerre
mondiale et qui devait jouer un rôle si prépondérant pour lui. Cette question a
donné lieu à une réflexion détaillée
« J'ai été très lié, après la guerre, avec un homme extraordinaire par la hauteur
de sa pensée et par son élévation morale. Il est mort il y a quelques années en
Israël. Il vivait tout près d'ici, c'était un médecin gynécologue. Il s'appelait
Henri N erson ou docteur Nerson. Mon livre Difficile liberté lui est dédié. C'est
lui qui m'avait mis, aussitôt après guerre, en rapport avec un autre être
exceptionnel, extraordinaire dans tous les sens et aussi au sens littéral du terme.
Il n'était pas comme les autres : dans son apparaître, dans sa manière extérieure,
il n'appartenait pas à l'ordre de tout le monde. Il n'était pas clochard, mais il
fais dans cet esprit un cours à l'école que je dirigeais autrefois, toutes les
semaines, de onze heures à midi, le samedi3. Je commente dans cette perspective
en recherchant [ 'inspiration qu'il m'a apprise à chercher dans les textes de la
séquence hebdomadaire.
Je lui suis extrêmement reconnaissant de ce que j'ai appris chez lui! Dans un
texte hagadique du Traité Avoth, il y a cette phrase : "Les paroles des Sages
sont comme de la cendre ardente". On peut se demander: pourquoi cendres,
pourquoi pas flammes ? C'est que cela ne devient flamme que quand on sait
souffler dessus ! 4 Je n'ai guère appris à souffler. Il y a toujours de grands
esprits qui contestent cette façon de souffler. Ils disent : Voyez, il tire du texte
ce qui n'est pas dans le texte, il insuffle un sens au texte ... Mais quand on le
fait avec Goethe, quand on le fait avec Valéry, quand on le fait avec Corneille,
ces critiques le tolèrent. Cela leur paraît beaucoup plus scandaleux quand on le
fait avec !'Ecriture. Et il faut avoir rencontré Chouchani pour ne pas se laisser
convaincre par ces esprits critiques. Chouchani m'a appris : l'essentiel, c'est
que le sens trouvé mérite par sa sagesse la recherche qui le révèle. Cela le
texte vous l'a suggéré »5 •
6. Ibid., p.67.
7. Ibid.
8. Il ne faudrait pas en tirer des conclusions hâtives sur l'appartenance des parents
de Lévinas au« monde des Lumières», car lui-même, dans le même entretien, témoigne du
fait que sa famille respectait scrupuleusement les lois alimentaires, le chabbat et,les fêtes,
156 Shmue/ Wygoda
etc. Il convient mieux de se figurer qu'ils aspiraient à une sorte de combinaison entre le
judaïsme traditionnel et la culture moderne. Us considéraient l'hébreu et la Bible comme
essentiels, tandis que le monde de la Torah orale s'identifiait davantage au monde de
yechivot qui fleuJissajent alors en Lituanie (La célèbre yec:Jrivn de Slobodka se Lrouvait
dans les environs de Kovno) et dont ils voulaient s'éloigner id.;ologiquemcnt el pratiquement.
9. Cf. François Poirié, op.cit., pp. 64-65.
10. Ibid., p. 67.
Le maître et son disciple : Chouchani et Lévinas 157
11. Il est intéressant de souligner que dans sa recherche sur la littérature des
commentaires talmudiques du Moyen Age, le professeur Israël Ta-Shma note qu'une telle
approche caractérise l'attitude des Tossafistes dans leurs commentaires sur le Talmud (attitude
opposée à celle de Rachi). C'est pourquoi il écrit par exemple à propos du Ri. hazaquen de
Dampierre : « Le Ri. enseigna comment intégrer des commentaires locaux sérieux,
"classiques", qui seraient fidèles à la langue du texte, à son développement et à son esprit
- au vieux et bon texte auquel on ne peut pas échapper au moment de l'étude habituelle du
texte - et des éléments d'étude comparative, subtile, exhaustive, profonde, selon la manière
caractéristique des grands Tossafistes de l'Ecole de Rabbenou Tarn et de ses collègues. Le
Ri. hazaquen est celui qui transforma Je système d'une méthode destinée à une élite en une
technique plus large et répandue - grâce à ses nombreux disciples qui purent agir en étant
à la tête des yechivot » (Israël M. Ta-Shma, Talmudic Commentary in Europe and North
Aji-ica, Litterary History, Part Il: 1200-1400 [en hébreu], Jérusalem, Editions Magnes,
2000, pp. 97-98).
12. E. Lévinas, Quatre lectures talmudiques, Paris, Editions de Minuit, 1968, p. 21.
Les italiques sont de nous.
158 Shmuel Wygoda
15. E. Lévinas, Ibid., op. cit., p. 22. Les italiques sont nous.
16. Après la mort de Chouchani, on a trouvé de nombreux écrits qu'il avait laissés.
Leur examen a révélé que pour la plupart d'entre eux, il s'agit de la retranscription, de la
main de Chouchani et de mémoire, de commentaires rabbiniques du Moyen Age sur les
textes du Talmud.
1 7. « Nazir » : celui qui a fait vœu de certaines abstinences.
160 Shmuel rt'vgoda
entre ces différents sujets. Finalement, la Guemara termine par l'éloge des
étudiants de la loi qui accroissent la paix dans le monde. Avant d'entamer cette
étude, qu'il avait choisie pour parler de la jeunesse d'Israël, Lévinas dit
« Le texte qui vous a été distribué n'a, de prime abord, aucun rapport avec la
jeunesse. Ce qui est encore plus grave, c'est le peu de rapport que ses diverses
parties semblent avoir entre elles. Mais dans l'unité profonde qu'elles
entretiennent et qu'elles invitent à découvrir réside, peut-être, leur enseignement
le plus suggestif. Et ce fut l'une des raisons de mon choix. » 18
Contrairement à l'approche historico-philologique qui distingue les différentes
couches du texte, Lévinas cherche à dégager l'unité thématique des différentes
parties du texte - et c'est Chouchani qui, là encore, semble être celui qui lui a
transmis cette méthode d'étude du Talmud.
Heidegger, ou encore du fait de sa préférence pour Paul Ricoeur? Quoi qu'il en soit, il ne
fait nul doute que Lévinas s'identifie avec ces approches de l'interprétation littéraire et
philosophique.
162 Shmuel Wygoda
14 juillet 194 7. »20 Lévinas se considérait donc d'abord européen ; aussi n'y a
t-il pas lieu de s'étonner que lorsque son ami proche, le docteur Henri Nerson,
médecin d'origine alsacienne qui connut Chouchani avant la guerre à Strasbourg,
lui propose de rencontrer un homme étrange débordant de connaissances dans
le domaine du judaïsme, Lévinas, dans un premier temps, refuse. De son point
de vue, en tant que philosophe, il n'attendait pas beaucoup de cet homme dont
l'apparence extérieure évoquait davantage le clochard que l'érudit, même si
son ami Nerson lui avait dit que Chouchani possédait une totale maîtrise de la
Bible et du Talmud. On peut donc légitimement penser que lorsque Lévinas a
fini par céder aux demandes pressantes du docteur Nerson, il l'a fait davantage
comme un geste envers son ami que dans l'espoir réel d'une ouverture
intellectuelle. Nous ne connaissons pas les détails de cette première rencontre
entre Lévinas et Chouchani mais certains racontent qu'elle aurait duré toute
une nuit et qu'à son issue, Lévinas aurait dit à Nerson: « Je ne sais pas ce que
cet homme sait mais tout ce que je peux te dire, c'est que tout ce que je sais, il
le sait »21 • Quoi qu'il en soit de la véracité historique de cette anecdote, toujours
est-il que la rencontre avec Chouchani a été l'amorce d'un tournant significatif
dans le rapport de Lévinas à la tradition juive en général et au Talmud en
particulier.
Rappelons le contenu du troisième point au sujet duquel Lévinas
mentionne ci-dessus l'influence de Chouchani sur lui : ayant été témoin de la
façon dont Chouchani étudiait les parties homilétiques du Talmud en les faisant
dialoguer non seulement avec d'autres parties du Talmud mais avec tout le
patrimoine culturel occidental, Lévinas s'en est trouvé inspiré. Lui-même, dans
ses lectures talmudiques, déploiera cette méthode, au risque de se voir accusé
de faire dire au texte ce qui n'y figure pas, comme ce sera effectivement le cas.
Les deux premiers points qui, pour Lévinas, caractérisent la spécificité
de la lecture du Talmud par Chouchani et l'influence que celui-ci a eue sur lui,
n'entretiennent qu'un faible lien avec son propre monde culturel. Mais ce
20. Nous avons découvert cette dédicace par hasard dans un exemplaire du livre De
/ 'existence à! 'existant qui se trouve à la bibliothèque des sciences humaines de l'Université
hébraïque de Jérusalem et qui fait partie du legs du docteur Moshe Schwabe à l'Université.
21. Cette anecdote nous a été relatée après le décès de Lévinas ; nous avons alors
questionné à ce sujet plusieurs membres de la famille Lévinas ainsi que le professeur
E. Meron, mais aucun d'eux n'a ni confinné ni infirmé sa véracité.
Le maître et son disciple : Cho11cha11i et lévinas 163
troisième point, par contre, constitue une sorte de pont entre le monde
philosophique et le monde juif. Les propos de Lévinas sur la manière dont
Chouchani lisait le Talmud en intégrant un très vaste espace culturel rencontrent
un profond écho dans la manière qui caractérise sa propre lecture. En effet,
lorsqu'il étudie un texte talmudique, Lévinas l'aborde avec toute la richesse
culturelle dont il est porteur. Les études talmudiques de Lévinas sont en fait
une lecture philosophique de ces textes, à travers laquelle Lévinas marque
clairement ses points d'accord et de désaccord avec divers courants de pensée
exprimés dans la philosophie et la littérature occidentales. Un exemple frappant
nous en est donné dans sa lecture du Traité Chabbat, pp.88a et b, ayant trait à
la révélation du Sinaï22: dans ce passage, le Talmud suggère que toute la Création
dépendait en fait de l'acceptation de la Torah par le peuple d'Israël rassemblé
au pied du mont Sinaï. Cheskia, à ce propos, évoque le verset des Psaumes
(76, 9) : «Du haut du ciel, tu fis entendre ta sentence; la terre s'en effraya et
demeura immobile (calme). » Ce verset contenant une contradiction flagrante,
le Talmud questionne : « Si elle [la terre] s'effraya, pourquoi demeura-t-elle
calme? Si elle demeura calme, pourquoi s'effraya-t-elle? »23 •
A ce propos, Lévinas ajoute
« Nos talmudistes n'auraient-ils pas lu Corneille ni entendu parler d'une
"obscure clarté qui tombe des étoiles"? [ ... ] Non seulement Cheskia ignore
Corneille et veut ignorer la conciliation des contradictions, mais il semble être
certain que le psaume 76 se rapporte à la donation de la Torah. Sur ce point,
modérons notre ironie ; les grandes pensées ne s'éclairent-elles pas toujours
par les grandes expériences ? Nous autres, modernes, ne disons-nous pas
voici les circonstances qui me font enfin comprendre tel mot de Pascal ou tel
mot de Montaigne? Les grands textes ne sont-ils pas grands précisément par
l'interaction dont ils sont capables avec les faits et l'expérience qui les éclairent
et qu'ils guident? N'a-t-on pas le droit enfin de se demander en lisant le psaume
76 quelle est la situation concrète qui justifie ce lyrisme qui n'est tout de même
pas un morceau d'éloquence? »24
Nous pouvons à notre tour nous interroger à ce propos: est-il possible de
rythme, qui est immuable. C'est une pensée pure, libérée de toutes racines
psychiques. Elle ne dépend pas de stimulations extérieure ni de réactions
humaines. »26
Il faut souligner que, à côté des nombreuses analyses ci-dessus citées, qui tentent de décrire
les fondements de la méthode de Brisk tout en la reprenant à leur compte, cette méthode a
également été très critiquée. Parmi les disciples mêmes du rabbin Haïm Soloveitchick de
Brisk, certains, déjà, ont émis des réserves sur cette méthode et suggéré d'autres voies pour
1' étude du Talmud. L'opposition à la méthode de Brisk a continué à se manifester parmi les
maitres contemporains de la tradition au cours des dernières générations. Citons à ce propos
ce qu'écrit le rabbin Yehiel Yaacov Weinberg, un des survivants de la Shoah et l'une des
figures les plu·s remarquables de l'entre-deux guerres et de l'après-Shoah, sur la méthode
du rabbin Haïm Soloveitcbick de Brisk: « J'ai déjà mentionné que les Novellae du Rabbin
Haïm de Brisk sont cohérentes du point de vue analytique. Cependant, elle ne le sont pas
nécessairement sur le plan historique, c'est-à-dire quant à leur adéquation aux idées de
Maimonide, dont les méthodes étaient différentes de celles du Rabbin de Brisk» (R. Yehiel
Yaacov Weinberg, Responsa Sridei Ech [en hébreu], Jérusalem, Editions Mossad du Rav
Kook, 1977, 2ème partie, p.356).
168 Shmuel Wj,goda
« Rech Lakich dit : Le corbeau répondit à Noé : "Ton Maître me hait et toi
aussi. Ton Maître me hait puisqu'il t'a dit de prendre sept couples d'animaux
purs et deux couples d'animaux impurs, et toi aussi, tu me hais, car tu laisses en
repos ceux qui sont représentés sept fois et tu renvoies ceux qui ne sont représentés
que deux fois. Or si je venais à périr de chaleur ou de froid, le monde serait privé
d'une espèce -à moins que peut-être tu ne désires mafemme?"»
Chouchani commentait ce passage ainsi : la Torah nous relate que Dieu
décida de détruire le monde pour le recréer de nouveau, l'un des motifs de
cette décision étant que « toute créature avait perverti sa voie sur la terre »
(Berechit 6, 12). Ce verset est commenté dans le Talmud, Traité Sanhédrin,
p.108a: « Ce qui revient à dire que les animaux s'accouplaient en-dehors de
leurs espèces respectives, ainsi qu'avec l'homme.». Or, au moment où le noyau
subsistant doit constituer la base du monde nouveau, le corbeau exprime sa
critique envers Dieu et Noé, et en particulier le fait qu'il soupçonne Noé de
s'intéresser à sa femme. Cette lecture suggèrerait donc qu'il n'y a pas moyen
de véritablement recommencer. Il y a des situations existentielles qui entraînent
une dévastation ineffaçable, même face aux intentions les plus nobles.
On peut supposer que ces propos de Chouchani à la fin des années
quarante sont liés à son analyse de la situation géopolitique depuis le
commencement de la seconde guerre mondiale. L'exemple cité ci-dessus, bien
qu'étant extrait d'une hagada talmudique, était commenté par Chouchani en
relation avec le contexte politique de son époque, tout comme il prescrit de le
faire pour la Halakha.
D'autre part, il est évident que cette approche diffère encore davantage
de celle qui prévaut chez les adeptes de la méthode historico-philologique de
l'étude du Talmud, telle qu'elle est pratiquée dans les milieux académiques.
Celle-ci exige avant tout de déterminer quel était exactement le texte original.
Ensuite, à l'aide de preuves philologiques et historiques, elle recherche quel a
été son mode de formation et les influences qui se sont exercées sur ce texte.
C'est seulement en dernier lieu que l'on essaie de déterminer la signification
que le texte revêtait à l'époque de sa rédaction. Ces méthodes de travail,
essentielles d ans ce type de recherche, sont en fait la prolongation
méthodologique de la critique biblique
- Critique basse: clarification du texte original à l'aide de manuscrits,
d'incunables, des premières éditions du Talmud et autres élément� témoins,
--- - - -
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�
170 Shmuel �goda
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172 Shmuel rfygoda
32. De telles affirmations ont été proférées de nombreuses fois au cours de l'histoire.
Un des cas les plus célèbres est celui d'une homélie prononcée au début du XIVe siècle au
cours d'un mariage en Provence, dans laquelle Abraham et Sara étaient comparés à la
forme et à la matière aristotéliciennes. En réaction, le rabbin Abba Meri Astruc demanda au
chef spirituel de la communauté juive d'Andalousie, connu sous son acronyme Rachba,
d'intervenir directement en excommuniant les philosophes et ceux qui proposeraient des
commentaires philosophiques des textes sacrés. De fait, Abba Méir Astruc rédigera tout un
ouvrage à ce sujet, intitulé Minkhat Knaot [Offrande de jalousie]. Dans son introduction, il
écrit : « [ ... ] Tant étaient profondes leur sottise et leur hérésie qu'ils ont fait d'Abraham et
de Sara forme et matière. C'est pour cela que, le cœur desséché [ ... ],j'ai décidé de m'adresser
au grand rabbin vénérable et sage,Rabbi Chlomo fils de Rabbi Avraham BenAderet,reconnu
et respecté. Mon esprit et mon cœur s'unissent pour vous demander de bien vouloir plaider
auprès des autres Docteurs afin qu'ils éloignent tout homme qui tiendrait de tels propos, et
de protéger la foi par une clôture que ni lance ni javelot ne pourront percer.» ; in : Responsa
du Rachba [en hébreu],Jérusalem, Editions Mossad Rav Kook, 1986, pp.225-226. Le style
belliqueux de ces propos n'est pas fortuit mais, selon Abba Meri Astruc, impératif dans la
mesure où il s'agit de défendre la Torah contre les attaques de la philosophie, susceptibles
de produire sur l'esprit humain des effets aussi néfastes que ceux de la lance et du javelot.
Le maître et son disciple : Chouchani et Lévinas 173
33. Ce Rabbi Hillel n'est pas le célèbre Hillel l'Ancien. En fait, c'est le seul endroit
dans tout le Talmud où ses paroles sont rapportées.
34. E. Lévinas, Difficile liberté, Albin Michel, 1976 (2ème édition), p.112.
35. Ibid., p.112.
174 Shmue/ Wygoda
car elle m'a été enseignée par un maître prestigieux) consiste à ne jamais donner
au mot "Israël" uniquement un sens ethnique. Quand on dit qu'Israël est digne
d'une excellence plus grande que le messianisme, il ne s'agit pas seulement de
!'Israël historique. Ce n'est pas par le fait d'être Israël que se définit l'excellence,
c'est par cette excellence- la dignité d'être délivré par Dieu lui-même-que se
définit Israël. La notion d'Israël désigne une élite certainement, mais une élite
ouverte et une élite qui se définit par certaines propriétés que concrètement on
attribue au peuple juif. Cela élargit toutes les perspectives qui s'ouvrent sur les
textes talmudiques et nous débarrasse, une fois pour toutes, du caractère
strictement nationaliste qu'on voudrait donner au particularisme d'Israël. Ce
particularisme existe, vous allez le voir, mais il n'a aucunement un sens
nationaliste. Une certaine notion d'universalité s'exprime dans le particularisme
juif. »36
Mais Lévinas, à propos de l'assertion de Rabbi Hillel, dit que« la pensée circule
entre lui et le pôle opposé ». Ces paroles ne semblent pas moins surprenantes
que celles de Rabbi Hillel. En effet, les discussions talmudiques revêtent en
général un aspect dichotomique, qui donne l'impression que l'un des
protagonistes a raison et l'autre tort. Lévinas corrige cette impression en faisant
remarquer qu'aussi bien l'opinion retenue par la Halakha que celle qui se trouve
repoussée contribuent conjointement à l'élaboration de la pensée talmudique.
Comment Lévinas, qui connaissait ses capacités mais aussi ses limites dans
l'étude du Talmud, a-t-il eu l'audace d'affirmer cela? On peut supposer que
Lévinas exprime ici, au nom de Chouchani, non seulement une façon
d'appréhender la notion d'Israël en la réinscrivant dans un large spectre de
signifiés, mais également une manière audacieuse de rechercher la pertinence
d'une opinion qui a été rejetée, et ce même dans un contexte homilétique.
37. Traduction donnée par Lévinas en tête de son étude « Judaïsme et révolution »
in : Du sacré au saint, Paris, Editions de Minuit, 1977, p.11.
Le maître et son disciple : Chouchani et Lévinas 177
38. E. Lévinas: Du sacré au saint, op. cit., p.18. Les italiques sont de nous.
39. Cf. par exemple le commentaire du Meïri sur le Traité Chabbat, p.156a :
« Rabbi Yohanan dit: "Les astres n'ont aucune influence sur Israël", et il le démontre ainsi:
"Comment savons-nous que les astres n'ont aucune influence sur Israël? Parce qu'il est dit
dans Jérémie (10): 'Ainsi parle l'Eternel: N'imitez pas la voie des nations et ne craignez
pas les signes du ciel parce que les nations les craignent. Que les autres nations les craignent,
mais pas Israël'."» Le Meïri commente:« Ils ont dit que les astres n'ont pas d'influence sur
Israël - et il faut entendre dans le nom Israël tous ceux qui obéissent à un système de lois
morales.» (Beit Habekhira, Traité Chabbat [en hébreu], Jérusalem, Editions Lange, 1974,
p.615 ; nous remercions ici le professeur M. Halbertal, qui a attiré notre attention sur cette
source). Sur le rapport du Meïri avec les Nations en général et les Chrétiens en particulier,
voir le chapitre « Les maîtres de la religion : tolérance religieuse dans le livre du Meïri »
in: M. Halbertal, Between Tora and Wisdom, Rabbi Menahem ha-Meiri and the Maimonidean
Halakhists in Provence [en hébreu], Jérusalem, Editions Magnes, 2000, pp.80-108. On
retrouve d'autres expressions de cette conception du Meïri sur la notion d'Israël incluant les
Gentils qui obéissent à un système de lois morales dans son œuvre L'essai sur la Techouva
[en hébreu] (Jérusalem, Editions A. Sofer, 1976, p.637). Cf. aussi les commentaires originaux
du Meïri dans le Traité Baba Metsia à propos de l 'interdiction de« léser son prochain». On
y lit dans la guemara: « Rav Hinena, le fils de Rav Idi, a dit: "Quel est le sens du verset du
Lévitique (25, 17) 'Ne vous lésez point l'un l'autre' ? Le verset signifie : 'Ne lésez pas le
peuple qui est avec vous dans l'observance de la Tora et des commandements'.".» Le Meïri
commente : « Cette interdiction concerne tout celui qui obéit à des lois moral.es et s'en
178 Shmuel �goda
entoure», ce qui signifie que le critère d'appartenance n'est ni national ni ethnique, mais
normatif, et qu'il inclut des non-Juifs. Cf. les Novellae du Meïri, Traité Baba Metsia,
Jérusalem, Editions Schlesinger, 1973, p.219.
40. Outre les sources indiquées plus haut, voir encore à propos de la dette intellectuelle
de Lévinas à l'égard de Chouchani: François Poirié, Emmanuel Lévinas, Qui êtes vous?,
op. cit., pp.193-198 ; et aussi E. Lévinas, Transcendance et intelligibilité, Genève, Editions
Labor et Fides, 1996, p.68.
41. E. Lévinas, Difficile liberté, op. cit., p.156.
Le maître et son disciple : Cho11chani et Lévinas 179
Ailleurs dans Difficile liberté, dans un texte intitulé« Simone Weil contre
la Bible», Lévinas note que la rencontre d'un tel maître est « une question de
chance » - mais il ajoute : « Chance qui dépend beaucoup de celui qui la
cherche »45• Cette remarque, ici, s'inscrit dans le contexte polémique d'une
Pour conclure, nous voudrions citer encore deux passages dans lesquels
Lévinas se rapporte à Chouchani, une fois implicitement et l'autre,
explicitement. La première de ces évocations apparaît dans une lecture
talmudique sur la fin du Traité Nazir, passage choisi par Lévinas pour traiter du
thème de la jeunesse d'Israël. Dans son exposé, avant de commencer à analyser
le texte même de la michna et de la guemara, Lévinas examine les principales
lois relatives au nazirat : interdiction de boire du vin et de consommer tout
produit dérivé de la vigne, interdiction de se couper les cheveux et interdiction
de se rendre impur au contact d'un mort. Au moment de pénétrer dans l'analyse
du texte, il ajoute :
182 Shmuel Wygoda
« Mais avant d'y entrer, me permettez-vous encore de deviner l'une des deux
millions quatre cent mille significations que comportent les interdits que je
viens de résumer?»47
Il nous semble que là aussi, Lévinas tient ces paroles de Chouchani. En
effet, celui-ci avait l'habitude de dire que chaque mot de la Tora possède au
moins deux millions quatre cent mille significations. En effet, d'après la
tradition, au moment de la Révélation de la Tora au mont Sinaï, six cent mille
Hébreux étaient présents et chacun en a eu une compréhension personnelle,
selon son idiosyncrasie ; or, toujours d'après la tradition, la Tora doit être
comprise à quatre niveaux de sens différents: le littéral, l'allusif, l'homilétique
et le mystique. En multipliant le nombre des Hébreux présents au mont Sinaï
par les quatre modes d'interprétation de chacun, on aboutit au nombre de deux
millions quatre cent mille mentionné ci-dessus48 •
L'autre texte, dans lequel Lévinas cite cette fois explicitement le nom de
Chouchani, fait lui aussi intervenir l'arithmétique. La lecture talmudique
intitulée« Le pacte», qui commente la guemara du Traité Sota, pp.37a et b,
étudie les alliances conclues entre Dieu et Israël. La structure de ce texte est
conçue de manière à mettre en évidence un nombre croissant d'alliances. La
comparaison entre Deutéronome 27 et Josué 8 amène les Sages du Talmud à
conclure qu'en fait, ce n'est pas une mais plusieurs alliances qui ont été conclues
sur les monts Garizim et Hébal : une positive (bénédiction pour ceux qui
respectent les termes de cette alliance) et une négative (malédiction pour ceux
qui les enfreignent). D'autre part, une étude minutieuse du passage de
Deutéronome 27 amène les Sages du Talmud à remarquer que les premiers versets
concernent des clauses particulières, alors que le verset final exige le respect de
toute la Torah. Cette différenciation repérée dans les versets impliquerait donc
deux alliances distinctes supplémentaires. Ainsi, on compte quatre alliances
scellées lors de l'entrée des Hébreux en terre d'Israël. Or le Talmud rappelle que
chaque terme biblique est à comprendre à quatre niveaux : l'étude,
l'enseignement, l'observance et la mise en acte - ce qui élève le nombre total
d'alliances à seize.
47. E. Lévinas, « Jeunesse d'Israël», in: Du sacré au saint, op. cit., p.59.
48. Cette arithmétique trouve sa source dans les écrits de R. Haïm Vital, le disciple
de R. Itshaq Louria, plus connu sous l'acronyme du« Ari» de Safed.
Le maître et son disciple : Chouchani et Lévinas 183
Etudes
Uwe Bernhardt
6. Pour simplifier, nous situerons donc cette œuvre dans la « dernière » période de
la pensée de Lévinas. Notons cependant que Jacques Rolland parle - non sans précaution -
d'une quatrième période dans l 'œuvre philosophique d'Emmanuel Lévinas, qui
commencerait après la publication d'Autrement qu'être. Cf. Jacques Rolland, Parcours de
!'autrement, Paris, P.U.F. 2000, p. 12, note.
7. Emmanuel Lévinas, Autrement qu'être ou au-delà de/ 'essence, La Haye, Nijhoff,
1974, p. 200 sq . Ce texte sera cité par la suite sous le sigle AE.
188 Uwe Bernhardt
Hus erl pose la question de la con titution des généralité empiriques : selon
lui. c est la comparai on (Vergleichw1g) de deux objet A et B qui permet de
donner une généralité a : Je général e t ainsi donné« par Le rapprochement de
deux substrats» comme«élément commun à deux objets » 15 • est donc à partir
d'« objets détenninés individuellement » que le général est saisi ; il peut
cependant acquérir un plu grande extension à plusieurs objet , voire être
détaché d'objet individuels et recevoir« une extension infinie», mais en perdant
la« liaison à ces individus » 16• Husserl. souligne par ailleurs que« le général
renvoie par essence [ ...] aux processus de la spontanéité productrice », sans
laquelle il n y aurait pa de formation du général 17•
Or, chez Lévinas, le généra! ne peut pas déco11ler de la comparaison. fl
faut que le« général» soit donné par le mot pour pouvoir comparer. La différence
avec la conception dLLjugement chez Ru erl d vient ain i évidente : le m t,
pour Lévinas est donné par une langue qui est instituti n symboliqi1e et donc
« arbitrair· » et hi torique. 'est à I aide du mot, c'est à I aide du dit que la
conscience identifie ceci en tant que ceci : « le mot identifie 'ceci en tant que
ceci' énonce l'idéaJité du même dans le divers» (AE, p.45 . Sans le mot, sans
l'apport du« dit» et de I intelligible qu il véhicul l'identification de entités
est impossible: il faut passer par une idéalité pour fixer le identités.« Même
un être empirique individuel s'aborde à travers l'idéalité du logos.>) AE p.125)
Et c'est cette idéalité qui donne un sens aux identités et aux es nces.« Les
'unités identiques' ne sont pas donnée· ou thémati ées d'abord pour recevoir
un sens ensuite : elles sont données par ce. ens. ' eci en tant que cela' - cela
n'est pas vécu, cela est dit. » (AE, p.45)
Il faut donc un dit pour rendre l'être intelligible. Aucune ontologie ne
peut partir d'un monde sans paroles. ans mots, san I apport constitutif du dit,
Le déjà dit
Le sujet qui juge, qui prononce un dit, qui à partir de ce dit« proclame et
consacre ceci en tant que cela», est pourvu d'une certaine« spontanéité». Par
ce terme, Lévinas fait explicitement référence à la Critique de la raison pure
de Kant. Il cite le passage initial de la déduction transcendantale des concepts
purs de l'entendement selon l'édition de 1787. Pour Kant, l'enjeu central de
cette déduction est de comprendre comment, dans un jugement donné, des
termes indépendants peuvent être pris ensemble dans une liaison. Toute liaison
(conjunctio), dit Kant, doit résider dans un acte de l'entendement qui est une
synthèse, et en dernier lieu dans la faculté du moi d'accompagner toutes ses
représentations. Le « je pense doit pouvoir accompagner toutes mes
représentations » ( § 16), l'unité synthétique de l'aperception est la condition
transcendantale pour toute synthèse que nous effectuons dans nos jugements
concernant l'expérience. Non pas que l'expérience soit ainsi conditionnée par
la spontanéité du sujet qui effectue les synthèses- puisque toute connaissance
« objective» doit être confirmée par des données empiriques- mais la faculté
ou la capacité de relier deux termes dans un jugement réside en fin de compte
dans la spontanéité du sujet.
Kant souligne dans ce passage l'indépendance de la spontanéité
subjective par rapport aux données de l 'intuition : la liaison entre
plusieurs données ne peut nous venir de la seule sensibilité. La liaison
de plusieurs données est « un acte de la spontanéité de la puissance
de représentation » et par conséquent un acte de l'entendement
194 Uwe Bernhardt
(B, p.130) 18 • Kant donne à cet acte le titre de« synthèse» puisque (et c'est le
passage cité par Lévinas) « nous ne pouvons rien nous représenter comme lié
dans l'objet sans l'avoir auparavant lié nous-mêmes» (B, p.130). La liaison
(conjunctio) est, parmi toutes les représentations (nous dit Kant), la seule qui
ne peut être donnée par l'objet, mais qui doit être produite nécessairement par
le sujet« puisqu'elle est un acte de sa spontanéité» (B, p.130). Lévinas confirme
que la spontanéité constitue« l'objectivité» de l'objet.« Dès lors», précise-t
il, « le renvoi au sujet n'est ni psychologique, ni simple tic verbal[ ...], mais
précisément transcendantal» (AE, p.45, note) 19.
Lévinas reconnaît ainsi avec Kant la nécessité d'une spontanéité subjective
qui établit des relations, qui proclame et qui consacre « ceci en tant que cela ».
Mais il relativise la vision d'un sujet qui projetterait son jugement à partir d'un
acte pur : le surplus de la spontanéité ne serait pas« suggéré avec exactitude par
la notion d'acte que l'on oppose habituellement à la réception pure du sensible.»
(AE, p.45). Le surplus de la spontanéité n'est pas pure activité : « Ce surplus
situé entre passivité et activité est dans le langage, qui entre dans un ouï-dire,
dans un déjà dit, dans une doxa sans lesquels le langage identifiant, nommant
n'aurait pu atteindre le sensible; doxa, déjà dit, fable, épos où se tient le donné
dans son thème.» (AE, p.45 sq.) La spontanéité du sujet qui juge re-pose sur un
travail déjà fait, sur un savoir sédimenté qui rend possible l'instauration de
nouvelles synthèses. Et ce travail n'est pas uniquement celui d'un sujet isolé et
individuel. C'est sans doute à un acquis intersubjectif que pense Lévinas quand il
évoque les termes du« déjà dit», d'une« doxa»,d'une« fable», d'un« épos» 20 •
Sans le « déjà dit », le langage «n'aurait pu atteindre le sensible» (AE,
p.46). Le sensible est donc pré-formé par cet« épos»,par la« fable». Dans ce
contexte, Lévinas donne son aval au paragraphe 12 de Expérience et Jugement:
la connaissance sédimentée, accumulée dans le déjà dit,n'est-elle« pas doxique,
puisque chez Husserl même, elle s'offre au jugement anté-prédicatif d'emblée
comme Ur-doxa - doxa originaire ? » (AE, p.46). Et Husserl, effectivement,
dans le paragraphe évoqué par Lévinas, parle du « domaine de la passivité
doxique, de la croyance passive en l'être,de ce sol de la croyance [qui] n'est
pas seulement le fondement de tout acte singulier de connaissance, de toute
orientation vers la connaissance et de tout jugement portant sur l'étant, mais
aussi de tout jugement de valeur, de toute activité pratique concernant un étant
singulier - il est le fondement donc de tout ce qu'on appelle 'expérience' et
'faire expérience de' au sens concret du mot. »2 t
Cette doxa où une foi originaire se manifesterait serait donc donnée,
pour Lévinas, par un« déjà dit» : un« déjà dit» qui précéderait le dit du sujet
et lui donnerait une première orientation. Au fond de la visée de l'acte de
prédication s'inscrirait une passivité: le mot est nomination, dit Lévinas, mais
dans son dire se joue ou se produit un« entendement» et une« écoute» qui
orientent le dit:« obéissance au sein du vouloir ('j'entends dire ceci ou cela'),
kerygme au fond d'un fiat» (AE, p.46). Et cette fois-ci, la référence évoquée
par Lévinas n'est plus Kant ou Husserl, mais La voix et le phénomène, où
Derrida expose dans le « s'entendre-parler» une condition à la fois active et
20. Termes qui font sans doute allusion à Heidegger dont Lévinas dit dans ce passage
« Ces lignes et celles qui suivent doivent beaucoup à Heidegger. Déformé et mal compris?
Du moins cette déformation n'aura-t-elle pas été une façon de renier la dette, ni cette dette
une raison d'oublier. » (AE, p.49, note) Il faut effectivement renvoyer, dans ce contexte,
aux analyses du langage que Heidegger entreprend dans Unterwegs zur Sprache (Neske,
Stuttgart 1993), et notamment à l'évocation de la« Sage» dans l'article« Das Wort».
21. Edmund Husserl, Expérience et Jugement, op. cit., p. 53.
196 Uwe Bernhardt
22. Cf. par exemple Jacques Derrida, La vui:c et le phénomène, Paris, -P.U .F., 1967,
p. 87: « Cette pré ence à soi de l'acte animateur dans la splritualité transparente de ce qu'il
anime, cette intimité de la vie à elle-même, ce q11i a toujours faj( dire que la parole est vive
tout cela suppose donc que le sujet parlant s'entend au présent. Telle est l'essence ou la
normalité de la parole. li est impliqué dans la structure même de la parole que le parleur
s entende : à la fois perçoive la forme sensible des phonèmes et comprenne sa propre imention
d'expression. »
23. Emmanuel Lévinas, « Langage et proximité», in: En découvrant l'existence
avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1967.
24. Emmanuel Lévinas, « Langage et proximité», op. cit., p. 219.
Le statut de la théorie chez le dernier Lévinas 197
identification peut avoir lieu. Ce n'est pas à partir des étants ou à partir d'une
couche du réel que l'identification peut être établie; c'est au contraire à partir
du sens que l'identification est possible.
Mais pourquoi identifier? Nous avons vu que le«Dit» doit être pensé
à partir de la question de la justice: la question est à la base de l'identification.
Avant d'être assertion, l'identification est recherche. Le déjà dit qui expose
l'expérience va pour ainsi dire de soi, il est croyance doxique. La question, par
contre, émerge de la recherche de la justice: qui ? quoi ? pourquoi ? à quelle
fin?
Or la finalité de l'identification ne s'ajoute pas a poste rio ri à
l'identification. Il existe certes un«Dire corrélatif du Dit» et un«Dire tendu
vers le Dit et s'absorbant en lui» (AE, p.47), mais ce Dire ne suffit pas pour
donner le sens du Dit. Ce n'est donc pas à partir de l'identification qu'il faut
poser la question du sens, ce n'est pas à partir de la signification qu'il faut
poser celle de la signifiance, mais au contraire : c'est à partir de l'horizon du
sens qu'il faut aller vers l'identification et vers la signification.«Et c'est[ ...]
la signifiance du Dire allant au-delà de l'essence rassemblée dans le Dit qui
pourra justifier l'exposition de l'être ou l'ontologie.» (AE, p.48)
Ce qui rend ce passage particulièrement intéressant, c'est que Lévinas y
renvoie, dans une note en bas de page (AE, p.48), à la page 199 et suivantes
d'Autrement qu'être, et donc aux pages qui thématisent la«naissance latente»
du Dit :«Pourquoi savoir? Pourquoi problème? Pourquoi philosophie?» (AE,
p.199). Une remarque d'ordre formel s'impose : il est dès lors tout à fait
«licite» de lire le chapitre II et le chapitre V d'Autrement qu'être en parallèle:
ce sont des recherches articulées autour des mêmes idées. D'une part, on voit
ainsi que«l'entrée du tiers» et la question de la justice constitutives du«Dit >>
ne sont pas des éléments rajoutés par rapport à la description de la responsabilité
originelle du«Dire» mais en constituent bien un enjeu essentiel. D'autre part,
il s'avère évident que les développements théoriques du chapitre II se situent
bien dans l'horizon de la justice.
C'est«l'entrée du tiers» qui confère son horizon de sens à la question du
savoir, de la connaissance, du jugement théorique. Ici encore, Lévinas affirme:
il n'y a pas de recherche théorétique comme fin en soi ou comme souci de
refléter l'être, comme ontologie. Le jugement théorique se situe d'emblée dans
l'horizon du questionnement pratique, de la question de la justice. Mais la
responsabilité pour autrui est encore anté-prédicative, elle se situe �u niveau
198 Uwe Bernhardt
L'amphibologie du logos
Par le dit, le jugement identifie« ceci en tant que cela» et procède à une
idéalisation. Il fixe les identités dans le temps, à travers le flux du temps, à
travers la temporalisation. Le sensible est flux du temps dans lequel se cristallise
une identité grâce au dit, reposant sur le déjà dit : « dans le sensible comme
vécu s'entend et "résonne" l 'Essence - laps du temps et mémoire qui le récupère,
conscience » (AE, p.46). Mais cette« essence» constituée à travers le temps
n'est pas une idéalité immuable hors du temps ; sa constitution s'effectue
précisément dans le vécu et donc à travers le temps ; elle repose sur une
temporalité spécifique, sur le « retour sur », sur la « réminiscence ». Pour
établir une identité à travers le temps, la conscience doit faire appel à un acte
de« récupération » des écarts différentiels du temps« par la rétention, par la
mémoire, par l'histoire» (AE, p.11). Cette identification de quelque chose à
travers le temps suppose et fait voir le décalage temporel qu'il s'agit précisément
de surmonter. Il y a donc une tension entre un certain dynamisme du temps
- une diachronie liée à la sensibilité- et une synchronie momentanée effectuée
par les configurations idéalisantes de la conscience. Tout jugement à travers le
temps n'arrive pas à se dégager de la temporalité ; une tension permanente
persiste entre le jugement et l'expérience sensible. Le système synchronique
du « Dit » est toujours déjà confronté à la diachronie qui se reflète dans la
sensibilité.
Lévinas parle à ce propos d'une « ambiguïté de l'entendement et de
l'intuition», qu'il met en rapport avec la différence entre le verbe et le nom du
Le statut de la théorie chez le dernier Lévinas 199
langage (AE, p.46). Si le nom est «un signe qui désigne» (AE, p.50), le verbe
n'est pas pour autant une« expression» des événements. « C'est la verbalité
du verbe qui résonne dans la proposition prédicative» (AE, p.50). En amont de
la détermination des essences par le nom, c'est dans le verbe que l'idée d'un
flux du temps et de la temporalisation est sauvegardée. Le verbe est « la
résonance même de l'être entendu comme être » (AE, p.51), si l'on garde en
mémoire que, pour Lévinas, « l'être différent de l'étant » est exprimé par le
terme« essence» (AE, IX). Un passage plus long expose clairement la position
de Lévinas : « Le langage comme Dit peut donc se concevoir comme un système
de noms identifiant des entités et, dès lors, comme un système de signes doublant
les étants désignant des substances, des événements et des relations par des
substantifs ou par d'autres parties du discours dérivées des substantifs, désignant
des identités - bref, désignant. Mais - et avec autant de droit - le langage se
conçoit comme verbe dans la proposition prédicative où les substances se défont
en modes d'être, en modes de temporalisation, mais où le langage ne double
pas l'être des étants, où il expose la résonance silencieuse de l'essence.» (AE,
p.51).
Cette différence entre les fonctions de désignation et d'exposition, qui
correspond à la différence entre le nom et le verbe, relève d'une« amphibologie
de l'être et de l'étant» propre au langage. Il est peu probable que Lévinas ne
fasse pas allusion au célèbre emploi du terme d'amphibologie dans la Critique
de la raison pure. Mais chez Kant, le terme apparaît négativement pour désigner
la confusion entre la comparaison des représentations données par l'entendement
et des représentations données par les sens (B, p.317). L'amphibologie dont
parle Lévinas décrit au contraire un phénomène « positif » : elle renvoie à
l'ambiguïté essentielle du sensible (dans le flux de sa temporalité diachronique)
et de l'entendement (qui est réminiscence et récupération à travers le temps),
qui se manifeste, dans le langage, par celle du verbe (qui expose) et du nom
(qui désigne).
Il est d'ailleurs particulièrement intéressant que, pour Lévinas, il revienne
à l'œuvre d'art d'exposer «la résonance silencieuse de l'essence», en d'autres
termes, l'amphibologie de l'être et de l'étant. «L'essence et la temporalité s'y
mettent à résonner de poésie ou de chant. Et la recherche de formes nouvelles
dont vit tout art tient en éveil partout les verbes, sur le point de retomber en
substantifs. Dans la peinture le rouge rougeoie et le vert verdoie, les formes se
produisent comme contours et vaquent de leur vacuité de formes. » (t1.E, p.52)
200 Uwe Bernhardt
L'art fait irruption dans l'ordre établi de la représentation dans le Dit, il fait
résonner le sensible dans l'intelligible, il ouvre le Dit au sensible. A propos de
l 'œuvre de Paul Celan, qui dit ne pas voir de différence« entre une poignée de
main et un poème»,Lévinas se demande s'il n'y a pas ici un« dire sans dit».
Il poursuit :« Il se trouve donc pour Celan que le poème se situe précisément à
ce niveau pré-syntaxique et pré-logique [ ...], mais aussi pré-dévoilant : au
moment du pur toucher, du pur contact, du saisissement, du serrement, qui est,
peut-être, une façon de donner jusqu'à la main qui donne.Langage de la
proximité pour la proximité, plus ancien que celui de la vérité de l'être - que
probablement il porte et supporte-, le premier des langages, réponse précédant
la question, responsabilité pour le prochain, rendant possible, par son pour
l'autre toute la merveille du donner.»25 Cette longue citation fait apparaître un
mouvement qui va du dit au dire du poète, de la thématisation à la sensibilité,
et de la sensibilité au Dire éthique26•
L'étude«Langage et proximité» confirme queLévinas pense la poésie
à partir du contact et de la proximité : « sur toutes choses, à partir du visage et
de la peau humains, s'étend la tendresse ; la connaissance retourne à la proximité,
au sensible pur »27• Et dans cette« relation de proximité »,Lévinas trouve le
« langage originel, langage sans mots ni propositions, pure communication.
[ ...]La proximité par-delà l'intentionnalité, c'est la relation avec le Prochain
au sens moral du terme»28•Le langage originel ne vise donc pas à identifier, à
désigner, à attribuer des significations, à faire voir ceci en tant que cela. C'est
un « Dire » avant le « Dit », mais qui, bien entendu, ne pourra être saisi et
décrit, dans le discours philosophique, hors du« Dit».
Il faut donc opérer une réduction phénoménologique - une réduction du
Dit au Dire29 - pour faire apparaître une sensibilité dont la signification première
est « l'un-pour-l'autre ». Cette sensibilité est à prendre dans un sens non
classique : dans Autrement qu'être, la sensibilité est liée au Dire et à l'enjeu
éthique fondamental. La sensibilité, pour Lévinas, n'est pas une réceptivité
des sens par rapport aux données du monde extérieur ou un lien entre la
conscience intime et le corps propre.« La sensibilité [ ...] ne se constitue pas à
partir d'une aperception quelconque mettant la conscience en rapport avec un
corps » (AE, p.96). La « sensibilité » dont parle Lévinas se produit dans le
drame de la responsabilité de« l'un-pour-1' autre» avant de désigner un rapport
- extérieur - d'un moi au monde. « Le sensible [ ...] noue le nœud de
l'incarnation dans une intrigue plus large que l'aperception de soi; intrigue où
je suis noué aux autres avant d'être noué à mon corps.» (AE, p.96) La sensibilité,
dit Lévinas, se produit« en deçà» de l'amphibologie de l'être et de l'étant
« Sensibilité, de chair et de sang, je suis en deçà de l'amphibologie de l'être et
de l'étant, le non-thématisable, le non-unis sable par la synthèse.» (AE, p.l 00).
Si le logos est encore« amphibologie primordiale» (AE, p.54), la sensibilité se
produit en amont de la thématisation : la sensibilité peut uniquement concerner
le Même et l'Autre. Elle se produit« avant» l'entrée du tiers. La sensibilité est
un donner et un recevoir avant la thématisation. Mais pour en rendre compte, il
faut remonter du pur« dire» vers le« dit». Ni la sensibilité ni la proximité ne
peuvent être représentées de manière « pure » ou « immédiate » : elles ne le
peuvent pas dans un système du « Dire » puisque le « Dire » ne constitue pas
un système et ne se produit pas avant la thématisation. Elles ne le peuvent pas
non plus dans le système du« Dit» puisqu'elles sont précisément ce qui perce
ce système, ce qui renvoie à un au-delà ou un en deçà du théorique.
Il y a ainsi une tension insolvable entre la sensibilité et la thématisation.
La sensibilité introduit une diachronie qui est liée à la diachronie du Dire.
Cette diachronie n'est pas celle d'un flux temporel s'écoulant de manière neutre
et linéaire ; il s'agit au contraire d'une temporalité faisant des irruptions au
sein du système synchronique. Les retrouvailles du Même, nécessaires pour la
détermination du jugement, peuvent se trouver bouleversées et an-archiquement
subverties par une exigence éthique. Cette irruption par l'exigence éthique
empêche que le système synchronique ne se renferme sur lui-même.
La sagesse de la théorie
est aussi - sur le plan strictement théorique - toujours déjà un jugement qui se
pose à deux niveaux : celui du particulier et celui du général. Il n'est dès lors
peut-être plus nécessaire d'opposer un paradigme de la compréhension au
paradigme de l'explication31 • Le paradigme de l'explication réductrice est exclu
par la structure même du jugement selon laquelle toute détermination est
détermination d'une entité« en tant que cela ...» à un niveau général.
La théorie ne peut donner une représentation d'un monde avant les sujets,
les observateurs, le langage. Cela est exclu, dans le cadre de la théorie
lévinassienne, pour la bonne raison qu'il n'existe pas, avant le jugement subjectif,
de données neutres en soi, prêtes à être représentées de manière
« objective » dans un système intelligible. Il faut le jugement pour les intégrer
dans une représentation ou dans un système.En dehors du jugement qui les institue,
les phénomènes ne peuvent signifier: il n'y a pas de voix absolue de l'être neutre
ou anonyme32 • Lévinas énonce clairement l'apport nécessairement humain à la
constitution du phénomène : « Le phénomène lui-même est phénoménologie.
Non point qu'un discours venu on ne sait d'où arrange arbitrairement les phases
de la temporalité en 'ceci en tant que cela'.» (AE, p.48).
Mais cela ne veut pas dire pour autant que toute structure de l'être ou des
phénomènes résultant d'un tel jugement serait une projection idéaliste d'un
système de significations. La raison en est que pour Lévinas, un système de
signification projeté sur des phénomènes n'aurait pas de « prise » : pour
comprendre et entendre les significations, il faut avoir une première aperception
sensible du vécu qui est donnée, nous l'avons vu, par le« déjà dit». La fonction
du « déjà dit » à l'intérieur de l'épistémologie lévinassienne n'est donc pas
seulement de fournir une couche langagière pour motiver l'existence de divers
horizons culturels, mais également d'empêcher l'arbitraire d'un jugement
31. Cf. notamment les travaux de Paul Ricœur qui discute le paradigme structuraliste
dans« Explication ou compréhension» (in : Du texte à ! 'action. Essais d'herméneutique II,
Paris, Le Seuil, 1986) et dans« Entre herméneutique et sémiotique» (in: Lectures 2. La
contrée des philosophes, Paris, Le Seuil, 1999).
32. Comme pourrait le suggérer la remarque suivante de Merleau-Ponty :« En un
sens, comme dit Husserl, toute la philosophie consiste à restituer une puissance de signifier,
une naissance du sens ou un sens sauvage [ ... ]. Et en un sens, comme dit Valéry, le langage
est tout, puisqu'il n'est la voix de personne, qu'il est la voix même des choses, des ondes et
des bois. » (Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et [ 'Invisible, éd. Claude Lefort, Paris,
Gallimard, 1964, p. 203 sq.)
204 Uwe Bernhardt
Séminaires
1. Cf. son entretien de 1986 avec François Poirié dans lequel Lévinas réaffirme
cette continuité de « la » phénoménologie. D'ailleurs, malgré sa sévère critique à l'égard de
la phénoménologie, celui-ci s'est toujours considéré lui-même comme un phénoménologue.
J'en veux pour preuve la première phrase de la préface à l'édition allemande de Totalité et
Infini, écrite en janvier 1987, où Lévinas le reconnaît explicitement: « Ce livre se veut et se
sent d'inspiration phénoménologique».
Sur cette conception unitaire de la phénoménologie, Cf. notamment les articles de Lévinas
« L'idée de l'intentionnalité» (1932), « L'œuvre d'Edmond Husserl» (1940), « La ruine
de la représentation» (1959).
Séminaires 209
2. S'il est vrai que Husserl a rejeté la critique de Heidegger et s'est défendu d'avoir
cédé au schéma traditionnel qui voit dans la connaissance un«pont», un«saut» entre un
sujet d'abord enfermé dans son immanence et un objet posé comme initialement dehors,
extérieur au sujet (Cf. notamment Husserl, Notes sur Heidegger, Ed. de Minuit, 1993), il a
également explicitement rejeté l'idée lévinassienne d'après laquelle sa phénoménologie
annoncerait celle de Heidegger. Dans une lettre de 1933, Husserl écrit:«[ ...] ainsi du tout
récent exposé de Lévinas [La Théorie de l'intuition], qui place ma phénoménologie sur le
même plan que celle de Heidegger, et lui dérobe par là même son sens authentique. »
210 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
8. Sur ce point, Cf. notamment Husserl, Ideen, §43, 52 et 90, et Lévinas, La Théorie
de l'intuition, p.71, note 24.
9. Sur ce point, Cf. notamment Husserl, Ideen, §41, 44 et 85, Logische
Untersuchungen, V, §11, Zeitbewusstein, §1, al.5, et Lévinas, La Théorie de l'intuition,
p.67 et p.79.
_J
Séminaires 215
1O. Sur ce point, Cf. notamment Husserl, Zeitbewusstein, § 1, al.6, §3, al.3 et 5, et
Lévinas, La Théorie de l'intuition, p. 78.
216 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
Bien qu'on n'en trouve trace dans Sein und Zeit, il est vrai que Heidegger
avait explicité sa dette à l'égard de la phénoménologie husserlienne dans un
cours prononcé à Marburg en 1925, intitulé«Prolégomènes à l'histoire du
concept du temps». Dans ce cours, comme il le fera à nouveau bien plus tard
lors du séminaire de Zahringen (1973), Heidegger attribue à la phénoménologie
de Husserl le mérite de trois découvertes décisives: l'intentionnalité, l'intuition
catégoriale, le sens originaire de l'a priori. Mais d'un autre côté, Heidegger
maintient que Husserl n'a pu s'ouvrir à la« question de l'être ». C'est une
ambiguïté du même ordre que Lévinas décèle dans l'œuvre de Husserl dès sa
Séminaires 217
Recensions
Recensions 221
Uwe Bernhardt
Sabine GüRTLER, Elem entare Ethik. Alter itiit, Generativ itiit und
Geschlechterverhiiltnis bei Emmanuel Lévinas, Munich, Fink, 2001, 424 pp.
démarche de Lévinas, en cela, n'est pas justifiée (pp.83-84), car pour Mattéi, le
départ de l'être vers le Bien ne s'achève pas, chez Platon, par le retour à l'être
-ce qui signifie que la pensée de Platon n'est finalement pas une pensée du Même.
Alain Renaut, lui, propose une relecture de Kant à partir de Lévinas.
Pour Renaut, l'élément autonome de l'éthique kantienne (I'auto-donation de la
loi) présuppose !'hétéronomie comme ouverture à l'altérité du genre humain,
hétéronomie nécessaire du fait de la finitude humaine. En termes kantiens,
!'hétéronomie se manifeste avec l'irruption de la loi (p.102).
Ces deux excellents articles montrent comment on peut relire la tradition
philosophique à partir d'un point de vue Iévinassien. Mais, paradoxalement,
n'aboutit-on pas, à leur lecture, à la conclusion que les concepts lévinassiens,
tels que le visage ou l'infini, ou encore la distinction lévinassienne entre le dire
et le dit, ne sont pas nécessaires à la démarche de l'éthique comme autrement
qu'être? Cela nous ramène au thème principal de ce recueil et à la question de
savoir si la phénoménologie joue un rôle privilégié pour signifier la
transcendance.
L'article de Francis Guibal (« La transcendance»), qui examine la notion
de transcendance chez Lévinas, tente de répondre à cette question. Guibal propose
une étude détaillée du rapport entre transcendance et phénoménologie: d'après
lui, il existe un rapport étroit entre l'intention appropriante et la hauteur qui lui
échappe, c'est-à-dire entre phénoménologie et transcendance (p.219). En suivant
l'analyse que fait Guibal de la lecture lévinassienne de Descartes, on peut déduire
que celle-ci présuppose le passage par la phénoménologie (p.219). Mais, selon
nous, la conclusion de Guibal ne découle pas des écrits de Lévinas. C'est la
raison pour laquelle nous voudrions proposer une interprétation plus réservée
du rapport entre phénoménologie et transcendance chez Lévinas. La
phénoménologie offre peut-être un cadre privilégié pour la révélation de la
transcendance, mais ce cadre n'est pas exclusif.
L'accès à la transcendance est-il possible à partir de la phénoménologie?
Rudolf Bernet, qui se penche sur la question du temps dans son article(« L'autre
du temps»), émet des doutes à ce sujet. Son principal argument est que la tentative
de distinguer, dans l'expérience du temps, entre ce qui provient de la
transcendance d'autrui, ce qui provient de la transcendance du sujet lui-même
et ce qui provient de la structure du temps, échoue (p.162). Et comme cette
distinction est requise par la démarche de Lévinas, sa pensée se heurte là à un
problème majeur. Cette intéressante étude commet cependant, d'après, nous,
Recensions 229
l'on trouve dans son œuvre plus tardive : la première, selon elle, est admirable
et profonde, tandis que la seconde est plate et fait preuve d'une très forte violence
interprétative. Dastur souligne la tension, pour ne pas dire la contradiction, entre
cette dernière interprétation et l'exigence d'ouverture à l'autre qui caractérise
la pensée lévinassienne.
A la fin de son article, elle compare la pensée de la maturité de Lévinas
(celle de Totalité et Infini et de Autrement qu'être ou au-delà de / 'essence) au
«second» Heidegger; et elle repère une proximité frappante entre la conception
heideggerienne d'une appartenance réciproque de l'homme et de l'être, qui
souligne la passivité de l'homme et sa responsabilité à l'égard de« l'envoi de
l'être», et la position éthique de Lévinas (p.138). L'affirmation de cette proximité
exigerait une recherche approfondie, qui n'est pas effectuée dans l'article, sur
les liens pouvant être établis entre Lévinas et le dernier Heidegger. Dastur, ici,
pose en tout cas un défi à ceux qui voient en Lévinas une vraie alternative au
dernier Heidegger. Il ne suffit pas de s'appuyer sur les propos de Lévinas (même
dans les textes de la première partie de ce recueil), selon lesquels la pensée du
dernier Heidegger reste une pensée du Même (p.14), pour infirmer la proximité
que Dastur pointe ici. Un développement poussé dépasse, bien sûr, le cadre de
cette recension ; mais on peut cependant avancer quelques remarques préliminaires
susceptibles d'aider à établir une distinction entre ces deux pensées: tout d'abord,
il faut souligner que chez Heidegger, il est question d'une co-appartenance
-c'est-à-dire que la relation entre l'homme et l'être est symétrique, contrairement
à la relation asymétrique qu'entretiennent le même et l'autre chez Lévinas. Il
s'ensuit que la relation entre l'homme et l'être, chez Heidegger, demeure au
sein du Même. Ensuite, même si Heidegger décrit la relation de l'homme à
l'être en termes éthiques, l'impossibilité, pour l'homme, de s'assimiler l'être,
se dit en termes ontologiques et non éthiques. Par contre, chez Lévinas, ce qui
empêche l'assimilation de l'autre au même est l'impossibilité éthique du meurtre
de l'autre.
L'article de Jean-Luc Marion- qui constitue selon nous la contribution
la plus importante de ce recueil (d'ailleurs dirigé par J.-L. Marion)-, intitulé
« D'autrui à l'individu », soulève encore une autre question : Lévinas
parvient-il à poser l'éthique comme philosophie première ? Marion interprète
les différentes phases de la pensée de Lévinas comme autant d'étapes de la
réalisation du projet philosophique de l'éthique comme philosophie première.
D'après Marion, l'éthique présuppose une relation individuelle avec autrqi. C'est
Recensions 231
seulement grâce à cette individualité que l'on peut sortir de l'anonymat de l' être
et du mal qui, pour Marion, lui est inhérent. Il prétend que ni la mort, ni l'éros
ne parviennent à remplir ce rôle ; et même le visage d'autrui, porteur d'une
signification éthique incontestable, ne permet pas de pointer autrui dans son
individualité mais seulement comme (alter) ego (pp.298-299)-ce qui, d'ailleurs,
est cohérent en soi puisque la loi morale, par définition, ne doit pas revêtir un
caractère individuel. Mais d'un autre côté, si autrui reste anonyme, il ne
transcende finalement pas l'être. Marion en conclut que, en fin de compte,
l'éthique de Lévinas ne réalise pas d'avancée par rapport à celle de Kant. Selon
lui, pour faire un pas supplémentaire, il faut passer de l'éthique à l'amour, seule
possibilité d'accéder à l'individualité d'autrui - et d'après Marion, ce pas a
d'ailleurs été suggéré par Lévinas lui-même (p.308).
L'article de Marion, à lui seul, mériterait une étude approfondie, qui
prendrait en considération toute son œuvre, et surtout Etant donné. Nous nous
contenterons ici de dégager quelques points posant problème dans la position
de Marion et qui ressortent particulièrement de cet article. Selon nous, Marion
opère une confusion entre le but que Lévinas cherche à atteindre et les moyens
qu'il met en œuvre pour y parvenir: l'éthique, pour Lévinas, est-elle un moyen
d'accéder à l'individualité, ou bien son but est-il d'instaurer l'éthique comme
philosophie première ? Si cette dernière hypothèse est celle qui doit être retenue,
comme Marion le pense, alors le problème de l'individualité d'autrui ne remet
pas en question la pertinence du projet lévinassien. Reste le problème de la
distinction entre l'éthique et l'être: selon nous, l'asymétrie de la relation éthique
empêche toute tentative de réintégration de l'éthique au sein de l'être, sans
qu'il soit donc nécessaire, pour conjurer ce risque, de faire ici intervenir
l'amour.
Pour conclure, nous voudrions relever ce qui nous paraît une lacune
générale dans ce recueil : aucun des articles ne se réfère à la réflexion de Derrida
ni à son impact sur la pensée de Lévinas ou sur l'interprétation de sa pensée. Or,
pour Derrida, la sortie de l'être fait encore partie de la métaphysique ; par contre,
l'impossibilité de transcender la métaphysique peut avoir un sens éthique.
D'après nous, c'est sur cette approche que se fondent les derniers travaux de
Derrida sur Lévinas, et il est regrettable qu'ils ne soient pas sérieusement
examinés dans Positivité et transcendance. Cette lacune mise à part, ce recueil
constitue à notre sens une contribution capitale à l'étude de la pensée de Lévinas,
232 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
Michael Roubach
Ethische) d'une part, et comme substantif (die Ethik) d'autre part, désignant
une discipline que les anciens associaient à la logique et à la physique au sein
du système. C'est évidemment au premier sens qu'il faut entendre le mot ici.
Das Ethische se donne d'abord dans la responsabilité pour l'autre,
impliquant une étrange proximité- étrange parce qu'immotivée, ne procédant
d'aucune approche ni d'aucun rapprochement: éthique, donc déjà emphatique
et excessive. Responsabilité comme passivité ; proximité comme obsession,
prise en otage. C'est«sousle coup de ['autre» (p.35) que naît la subjectivité;
assignée à la responsabilité, ou élue, et donc unique: «De par cette unicité, le
je qui pointe àla pointe del'intrigue se poselui-même (sil'on peut ici parler de
position) comme pure pointe d'épingle ...» (p.39).
Mais, comme on le sait, la relation éthique décrite ici comme genèse de
la subjectivité est abstraite. Concrètement, je n'ai pas affaire à autrui mais aux
autres- le tiers, toujours-déjà, s'interpose entre autrui et moi. Le je-otage (obses),
ou moi, se pose en Moi, en conscience, en être, ce qui est certes égoïsme mais à
entendre comme condition positive de la justice. Si le sens même de l'éthique
est l'excès, celui de la justice est la mesure.
On a donc deux origines du sujet : la relation éthique avec autrui d'une
part et, de l'autre, la relation ternaire où le Moi recherche la justice à partir des
questions que soulève l'existence d'une pluralité d'autres. Cette dernière relation
est l'origine du sujet au sens où il se pose face à d'autres sujets, mais elle renvoie
à une situation plus originelle encore, qui est la relation éthique, qualifiée de
«pré-originelle» (les guillemets indiquant qu'il ne faut pas entendre ce terme
au sens temporel, comme un avant). Le pré-originel est ce qui«est» en deçà de
l' archè, du principe comme commencement ou fondement: l'an-archique. C'est
donc ce qui, à rigoureusement parler, n'est pas, mais laisse une trace, dès
l'origine. Cette subjectivité (il s'agit ici du Moi), doublée, grevée d'une
signification (das Ethische) qui jamais n'apparaît (moi-je-otage), est une des
figures de l'ambiguïté lévinassienne. Le Moi révèle l'existence du moi comme
ce qui a déjà existé sans avoir jamais été présent au sens de la synchronie.
1. E. Lévinas, Autrement q11 'être 011 au-delà del 'essence, La Haye, Martinus Nijhoff,
1974.
Recensions 235
comme alter ego, faute de quoi il serait une chose - autre, mais ne remettant pas
en question l'identité du même, du je. La réponse apparaît ici clairement :
l'objection ne vaut que si le je est lui-même un ego, ce que n'est précisément
pas le moi, dont la trace hante le Moi, ce qu'il n'est pas encore. L'autre ne
saurait donc se constituer pour lui en phénomène. Il est énigme ou quasi
phénomène.
« La récurrence quifait passer de moi à soi, au soi-même, et de celui-ci à
l'otage qui serait ultimement substitution, dessine une façon de faire
caractéristique de la pensée qui se cherche dans Autrement qu'être et qui est
comme la respiration de l'écriture dans laquelle sefait cette recherche. Façon
que l'on peut caractériser par les mots d'exacerbation ou d'exaspération, mais
que dit mieux encore celui qui est venu se prendre de lui-même dans nos lignes
surenchère» (p. l 02). Surenchère nécessaire pour que le moi ne coïncide jamais
avec soi, pour qu'il ne soit pas pour-soi mais pour-l'autre. Surenchère présente
au cœur de la responsabilité pour autrui : « Plus je réponds et plus je suis
responsable ; plus j'approche le prochain dont j'ai la charge et plus je suis
loin » (AE, p.119). Surenchère qui, enfin, porte la trace de l'in-fini, dont Lévinas
parle positivement en terme de Gloire -« La gloire n 'est que l'autreface de la
passivité du sujet ... » (AE, p.184) - et dont témoigne la passivité du sujet,
s'avouant dans le« me voici», entendu comme« envoie-moi», selon le verset
d'Isaïe (VI, 8). Rolland note que dans ce« me voici » témoignant de l'infini,
dans cette disponibilité avouée, n'apparaît pas le nom de celui dont le sujet
témoigne. Dans Humanisme de l'autre homme, Lévinas désigne cette présence
en retrait de Dieu par le terme d'Illéité, qui signale que « l'infini est autre
qu'autrui» (Rolland, p.111 ). « La différence du Il, non seulement par rapport
au Je, mais déjà par rapport au Tu, signifierait donc premièrement qu'avec
/ 'Infini il y va d'un Un absolument ou sans mélange » (Rolland, pp.111-112).
C'est-à-dire que si la sauvegarde de l'altérité du visage m'incombait, il n'en va
pas de même de celle de l'infini. Son altérité est pure, au sens de séparée
- sainte - quand celle du visage est toujours-déjà contaminée par l'être.
Ainsi l'infini est-il toujours au-delà - epekeina tès ousias, comme le Bien au
livre VI de La République de Platon. Et ainsi échappe-t-il à l'ambiguïté -
contrairement au sujet ou à autrui. Il y a pourtant à nouveau ambiguïté au point
de « contact » entre l'infini et le sujet : dans la révélation -« . . . l'ambiguïté
affecte seulement la révélation du Transcendant, dont la transcendance consiste
précisément à transcender cette révélation même et, en conséquence, l'ambiguïté
Recensions 237
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238 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
philosophie pour que la lumière qui s'est faite ne fige pas en essence l'au-delà
de l'essence et que l'hypostase d'un éon ne s'installe [pas] comme idole» (AE,
p.56, cité p.189). Ainsi la philosophie serait-elle à même de nous faire remvnter
du Dit au Dire, de nous faire entendre dans le Dit le Dire qui menace toujours
de se figer en celui-ci; soit la philosophie comme retour au Dire- comme
anti-idolâtrie. Son œuvre a pour nom réduction, en un sens qu'il est nécessaire
de préciser : elle n'est ni remontée du sensible à l'intelligible, ni désignation
d'une« apparence transcendantale» comme chez Kant, ni enfin- et voilà qui
est proprement surprenant - réduction phénoménologique au sens de Husserl.
Le nom propre évoqué par Lévinas au début d'Autrement qu'être est celui de
Nietzsche ! Davantage qu'une mise entre parenthèses de l'attitude naturelle, il
s'agit d'une« interruption éthique de l'essence» (AE, p.56), elle-même décrite,
on l'a vu, comme incessante, « sans interruption possible» (AE, p.207-208).
Ainsi la philosophie propose-t-elle une « épokhè de la phénoménologie elle
même, plus encore et plus tôt qu'une épokhè phénoménologique», comme l'écrit
Derrida dans son Adieu. « Ce qu'il faut donc suspendre, c'est l'indice 'étant'
qui, dans sa résonance amphibologique, s'entend dans tout Dit - serait-il
celui du Dire - comme la réduction phénoménologique doit faire porter son
efficace sur l'indice 'là', 'présent', sur lequel peut se fonder tout jugement
d'existence. C'est cette opération que doit permettre d'entendre un autrement
qu'être» (pp.192-193). De cet autrement qu'être n'est jamais saisie que la trace,
puisque sa saisie en chair et en os signifierait sa manifestation, dont la possibilité
vient d'être suspendue. Cette trace se trouve déposée d'abord dans le livre des
livres, mais aussi dans la littérature au sens que lui donne Lévinas.
justifie alors peut-être qu'on lui prête attention. Reste alors la critique de l'image,
qui explique le privilège accordé par Lévinas aux formes artistiques Langagières
poésie et littérature.
de mon temps, déjà plus présent),« réunit tous les temps». Ainsi, le présent de
l'Autre, et non plus celui de la manifestation, de la synchronie entre la conscience
et ce qu'elle vise, est-il présent dans le me voici, qui est le cœur même de la
relation éthique décrite par J. Rolland. Dans la responsabilité bouleversant
l'intentionnalité point un présent« pré-originaire», qui est l'Autre du temps
du-monde qui « va vers un dimanche, pur loisir où le monde est donné. Le
dimanche ne sanctifie pas la semaine mais la compense» (De l'existence à
l'existant, p. 154). Le chabbat comme présent de l'Autre : on est très proche ici
des analyses de Rosenzweig sur le rapport au temps du christianisme et du
judaïsme.C'est d'ailleurs dans un texte sur Rosenzweig que Lévinas décrit le
présent du me voici : «La Mitzwah -le commandement qui tient en haleine le
Juif- n 'est pas un formalisme moral, mais la présence vivante de l'amour, la
"temporalisation" même du présent comme on le dit aujourd'hui, expérience
originelle du présent et de la présence» (« Franz Rosenzweig : une pensée
juive moderne», in Hors sujet 12 , pp.83-84). La révélation comme présent qui
appelle la réponse de l'homme-on sait que cette réponse est version vers l'autre
homme. Lévinas ajoute : «Aimer son prochain, c'est aller à !'Eternité, rédimer
le monde ou préparer le royaume de Dieu».
point de vue, être décrit comme un survivant ou comme cette passivité hantée
par le souci de la mort de l'autre - par le souci de la mort qu'il pourrait être
amené à infliger.
Gilles Hanus
La correspondance
Rares sont les échanges épistolaires d'une telle intensité. On assiste en
quelques lettres à un dialogue, étrange parce que, comme Rosenzweig en fait
lui-même la remarque (p.123, lettre sans date), décalé, mais réel parce que chacun
des interlocuteurs partage la volonté de permettre à l'autre d'aller au plus loin
de sa propre subjectivation et de l'expression de celle-ci. Le dialogue n'est
donc pas toujours amical (Rosenstock, notamment, a des phrases d'une dureté
inouïe envers le judaïsme) et n'arrondit jamais les angles mais il est fascinant
parce qu'il donne à voir (à lire) la subjectivation conjointe de deux individus
dans des champs distincts : celui du christianisme et celui du judaïsme.
Rosenzweig, qui a failli se convertir au christianisme avant d'y renoncer,
est sommé par son ami de s'expliquer sur l'obstination existentielle du judaïsme
(p. 70, lettre du 4 octobre 1916) : comment comprendre que le judaïsme subsiste
alors que, d'une part, l'Etat d'Israël n'existe plus depuis 70 (voir comment
Rosenzweig répond à cette objection dans son cours de 1921-1922, consacré à
La science de Dieu, p.182), et que, d'autre part, d'un point de vue religieux
1. Voir« Entre deux mondes», repris dans Dijjicile liberté (1963), rééd. 1997, Le
livre de poche, Biblio essais, p.256.
Recensions 249
cette fois, la relève a été assurée par le christianisme ? Vidé de toute substance
- politique comme religieuse -, le judaïsme se maintient pourtant, témoignant
ainsi de son absurdité et de son irrationalité (Rosenstock va jusqu'à incriminer
le côté luciférien du judaïsme, dans une lettre d'octobre 1916, p.89 - voir la
réponse de Rosenzweig p. 94).
Assimiler la Torah à une législation nationale, répond Rosenzweig, c'est
ne rien comprendre à son essence puisque c'est la juger à l'aune d'un concept
chrétien (ou plutôt d'origine romaine, mais l'Eglise a intégré l'imperium et, à
ce titre, le nationalisme du début du XX:ème siècle est bel et bien chrétien).
D'autre part, le dépassement du judaïsme n'est concevable que dans une
temporalité à laquelle le judaïsme échappe par essence, puisqu'il est installé
dans l'Eternité - on voit ici se forger la conception du temps qui sera exposée
dans L'Etoile de la Rédemption. Le« concept» d'obstination est inadéquat du
point de vue du judaïsme et, en ce sens, il reste effectivement un « dogme
chrétien » (lettre de Rosenstock citée supra, p. 70) dont la traduction pratique
est dramatique pour les Juifs («Lafaçon qu 'a le théologoumène de l'obstination
juive de se répercuter dans la pratique, quand il est pris au sérieux, est la
haine des Juifs » - réponse de Rosenzweig, p.77). Rosenzweig substitue donc
à ce théologoumène celui de l'élection, à ne pas comprendre naïvement à partir
d'une origine - c'est-à-dire comme un atavisme - mais bien plutôt dans la
perspective d'une destination commune. Ainsi l'élection concerne toujours un
Nous, une communauté (voir le cours sur« La science de l'Homme», p.220).
Rosenzweig montre que toutes les nations européennes chrétiennes prétendent
être élues et que c'est précisément là que réside le principe du nationalisme
(p.92) - que, par conséquent, le reproche d'orgueil n'est pas justifié concernant
le judaïsme, parce qu'il s'adresse à la notion d'élection telle qu'elle a été
détournée par le monde chrétien. Il faut donc distinguer deux conceptions de
l'élection: l'une est politique et chrétienne, l'autre métaphysique et juive (voir
l'analyse de S. Mosès dans L'Ange de l'Histoire2, pp.46 et suiv.).
La Pensée nouvelle
Texte étrange qui vise à tirer les choses au clair quant à la réception de
L'Etoile de la Rédemption quatre ans après sa parution. L'auteur y récuse le
qualificatif de livre juif et refuse également qu'on considère sa pensée comme
une philosophie de la religion. Il revendique bien plutôt d'avoir livré aux lecteurs
un « système philosophique » (p.146) échappant à la problématique
traditionnelle. D'abord parce qu'il s'oppose à la philosophie comme pensée de
l'essence- abstraction faite de l'existence. Une telle pensée est réductrice en ce
sens qu'au-dessus de l'essence, elle vise toujours à identifier une sur-essence à
laquelle tout se réduirait: le Monde (Antiquité), Dieu (Moyen-Age) ou l'H;omme
Recensions 251
(époque moderne). Il s'agit donc d'en finir avec une certaine manière de
philosopher.
« Finis philosophiae? Si c 'était le cas, alors tant pis pour la philosophie! Mais
je ne crois pas que ce soit si grave. C'est au contraire au moment où la
philosophie arrivera au terme de sa propre pensée qu'une philosophie en quête
d'expérience pourra vraiment commence,:» (p.151)
Penser systématiquement, philosophiquement, au-delà de la philosophie
voilà le geste rosenzweigien. Il implique, pour échapper au grand Tout, de penser
le Monde, Dieu et l'Homme d'abord dans leur élémentarité, c'est-à-dire dans
leur absoluité. Autrement dit encore, la nouvelle pensée s'ouvre sur une
philosophie du paganisme, qui n'est« ni plus ni moins que la vérité sous sa
forme élémentaire, bien sûr, invisible et non-révélée» (p.154). Et il s'agit bien
d'une philosophie puisqu'on s'y interroge sur ce que sont en soi les trois éléments
résultant de la déformalisation du tout.
C'est le second livre de L'Etoile de la Rédemption qui va inaugurer une
méthode différente - une méthode du récit que Rosenzweig inscrit dans la
filiation du Schelling des Ages du monde. Il s'agit à présent de« raconter» les
relations qu'entretiennent les trois éléments, c'est-à-dire de les faire entrer dans
le temps. « Connaître Dieu, le monde et l'homme signifie connaître leurs actions
au cours de ces moments de la réalité ou connaître ce qui leur arrive, leurs
actions l'un sur l'autre, ce qui arrive à l'un à cause de l'autre» (p.157).
Ce second livre est celui de la Révélation, qui vient contester le paganisme
perpétuel parce qu'élémentaire du livre premier.« Elle détmit le vrai paganisme,
le paganisme de la création et ses néants, elle ne laisse plus advenir que le
miracle de la conversion et de la renaissance. Elle est toujours présente et si
elle est passée, c'est à partir de ce passé qui est à l'origine de l'histoire humaine,
la Révélation à Adam. » (p.162) Il s'agit donc de montrer que la vérité du
paganisme se manifeste dans la Révélation qui, instaurant la mise en relation
des éléments, est originaire au sens où elle rend la vérité possible dans le temps
(voir le Journal à la date du 26 mars 1922 :« Le paganisme se laisse certainement
comprendre depuis la Révélation mais pas l'inverse» (p.245). Et c'est bien
cette prise en compte de la temporalité qui constitue la nouveauté radicale
revendiquée par Rosenzweig. Il n'est cependant pas encore question des figures
de la Révélation, que décrira le troisième livre.
Le premier livre traitait des éléments, le second de la réalité (c'est-à-dire
de la mise en relation de ces éléments), le troisième traite de la vérité,,entendue
252 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
Je effectif pose tout Tu possible. Il doit savoir Dieu dans son dos et regarder les
autres en face. Il dit par conséquent: Nous» (p.219).
Enfin, les quarante dernières pages de l'ouvrage reproduisent des passages
du Journal de Rosenzweig. Ces fragments, à lire dans la marge des textes dont
on vient de parler, apportent leur lumière sur tel ou tel point, sans développer
les intuitions qu'ils exposent et qui constituent le matériau de la nouvelle pensée
à venir.
Gilles Hanus
depuis les Grecs donne au temps: qu'il ne soit pas "perte", mais ce qui donne;
qu'il soit fécondité et naissance » (p.103).
Gilles,Hanus
Recensions 263
Daniel SrnoNY, Don de soi ou partage de soi? Le drame Levinas, Paris, Odile
Jacob, 2000, 280 p.
On a dit plus haut que dans l'ouvrage de Sibony, l'auteur (E. Levinas)
n'était pas lâché, et qu'il en résultait une lecture décisive. Celle-ci laisse toutefois
le lecteur perplexe, en raison notamment d'un certain défaut d'attention à la
matérialité de l'œuvre. A la limite, Sibony diagnostique que Levinas ne pense
pas, mais compense un trauma3 • Certes; mais à quel prix ce diagnostic? Est
on pour autant quitte de l'œuvre abordée ?
« Levinas ne pense pas»:il y a de cela dans le dire de Sibony; non qu'il
n'y ait pas production de pensées, mais il y aurait, en un point précis, cession
ou capitulation sur l'acuité et l'exigence du désir de penser. Or, dans le même
temps, un tel dire fait présent à l'auditeur de son propre point d'arrimage, sur
le mode suivant:« ne pensez pas ... que pour ma part je ne lis pas Levinas».
En effet, il n'y a pas lecture au sens technique du terme: pas de travail soutenu
sur les textes comme tels, sur l'élaboration des concepts, etc. Certes, ce n'est
pas là le propos de Sibouy quj _prend soin d'indiquer en page 4 de couverture
qu'il«passe par le dramedeLevinas et son éthique du don. de soi» (je souligne).
L'approche en question, si elle trace son sillage à même une œuvre
philosophique, ne traite pas cette œuvre à partir de ce qui, institutionnellement,
l'inscrit dans la philosophie, à savoir le texte. IJ ne s'agit pas plus d'une critique
psychanalytique expressément basée sur le texte lévinassien : le registre est
celui de l'essai. Le diagnostic est posé en faisant I économie de l ascèse du
texte. Economie élégante, qui donne au propos une touche relativement
polémique et laisse des plages vacantes. Que signifie cette invitation à accepter
une lecture qui «ne lit pas» ?
«Et pourtant. .. il (Levinas) pense». Un tel propos serait ici à tenir en
dernière analyse aux fins de faire avancer la question de la contribution de
l'œuvre de Levinas à la phénoménologie. Il y faudrait quelque chose comme
une position philosophique instruite du diagnostic posé par Sibony, mais qui
ne s'en laisserait pas confondre.
Quoi qu'il en soit de la justesse du diagnostic posé, l'œuvre de Levinas
donne en effet éminemment à penser - il faut en assumer la mesure - une
intention qui a son poids propre, qui s'inscrit bel et bien dans la tradition
philosophique ; elle transmet et élabore, et pas nécessairement sur le mode de
! 'échec, une contribution fondamentale qui relève de la visée philosophique, et
singulièrement de la visée phénoménologique. Plus qu'au niveau des thèses,
cette inscription est opérante au niveau du renouvellement de la problématique
poser la question de la relation entre moi et autrui dan l'asymétrie, tâcher de
pen er la manière propre dont I altérité s'annonce sao se réduire à la sphère
du moi, voilà un projet original mené en diaJogue avec Hus erl et Heidegger.
Or Sibony élude la question du statut propre du discours
phénoménologique : il décide que ce statut est ici intégralement réductible au
«drame Levinas » ; de cette réduction, il ne fait pas la théorie. Ne serait-il pas
éclairant d'envisager qu'une telle «réduction» de l'œuvre au drame de son
auteur puisse présenter ses titres, voire frayer avec la réduction
phénoménologique elle-même ? A tout le moins le philosophe soutiendra
d'envisager cette réduction comme une reconduction, qui permette en un second
temps d'apprécier à neuf et de manière épurée l'architecture de l'œuvre. De ce
point de vue il faudra constater que l'�uvre de Levinas n'égale pas �e drame
Recensions 267
4. Voir par exemple p. 201 : un verset évangélique cité dans sa traduction courante
est invoqué unilatéralement pour confirmer l'éthique du don de soi comme violence
symbolique, sans recours au texte original : « il n'y a pas de plus grand amour que de
donner sa vie pour ses amis» (Jn, 15, 13). Or cette traduction fait elle-même violence au
grec, tant pour le choix du vocabulaire que pour la syntaxe et la dynamique du verset.
268 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
Christine De Bauw
were convinced that analysis ofreligious language could reclaim some form of
natural theology, often built on medieval or enlightenment foundations. But
for many this achievement left a fool odor, as if what it saved for modem
consumption was a corpse of religion rather than a living being. Within the
continental tradition, religion was often treated with greater respect but regularly
in the shadow ofNietzsche's pronouncement ofthe "death ofGod" and a general
acceptance of the notion of the disenchantment of the world. Neo-orthodox
theologians, Barth and Rosenzweig among them, did adhere to the centrality
of divine transcendence and some notion of faith and revelation, but such a
commitment seemed wholly alien to the spirit oftwentieth century philosophy.
I am speaking, ofcourse, ofboth historical religions and the very idea of
religion as some kind of engagement between the divine or transcendent and
the human in the world. To take historical religions seriously was to abandon
philosophy's claim to universality, and to take God or transcendence seriously
was to cling to obfuscation and fait to appreciate the importance and sufficiency
ofnature and reason. Among the few dissidents, Emmanuel Levinas is prorninent
and even preeminent, for his career and his thinking are both a challenge to the
philosophical tradition, especially in its twentieth century developments, and a
recovery of religion. He always called himself a philosopher, and his critical
encounters with Husserl and Heidegger and others as well certainly take place
within philosophical venues, about philosophical issues. And yet he used
religious vocabulary in his philosophical writings, wrote extensively about
religious texts and ideas, and went so far as to call ethics itself "religion". In
this regard, Levinas was an iconoclast in his own time and a thinker in advance
ofhis time.
Every book about Levinas faces enormous obstacles, I believe, regardless
of the book's precise theme or problematic. Levinas writes for experts in the
philosophical tradition as it was studied, understood, and developed in
continental philosophy ofthe twentieth century. Yet he writes both within that
tradition and against it, sometimes making points, sometimes giving arguments,
and often formulating and reformulating ideas, in a constantly groping and yet
experimental spirit. Moreover, the face to face, the domain of the primordial,
of ethics and religion, is explicitly in Levinas 's view beyond the limits of
expressibility. Everyday language, philosophical language, the language of
ontology and traditional ethics, politics and metaphysics, all ofthese can in a
certain way "testify" to this primordial domain or phenomenon, but t�y do so
270 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
always inaccurately, with distortion, and with flaws. Levinas's writing uses a
variety of tactics to emphasize this inadequacy : the very terms he uses, so
uncharacteristic of traditional philosophy, his repetitiveness, his use of overt
contradictions, and bis use of seemingly paradoxical expressions. The good
book on Levinas is conscious ofthese strategies and both uses them and clarifies
them, in order to facilitate the reader's understanding of Levinas's ideas and
his thinking.
These two books are good books about Levinas. Indeed, they are excellent
books. I would characterize one, the book by Richard Cohen, as a Levinasian
set of studies about Levinas's indebtedness to his philosophical predecessors
and about bis central views. Cohen registers a deep sensitivity and affinity for
Levinas's thought. Levinas's voice echoes everywhere in Cohen's pages.
Kosky's book, on the other hand, is not a Levinasian book. It is a rich and
significant study ofhis work in the light ofcertain problems and, in the end, an
interesting criticism of Levinas 1• Different as they are, then, these two are
extremely rewarding books, especially, I believe, if one reads them together,
for both focus on the relation ofphilosophy, ethics, and religion in Levinas and
yet differ about this nexus in provocative ways ; in so doing they take us deeply
into the core ofLevinas's contribution to modern philosophy and modern Hfe.
It is best to start with Kosky, since his goals are easier to identify and his
progress easier to plot. Kosky's problem is the role or roles ofhistorical religions
and the idea ofreligion in Levinas's philosophical thinking. This is one way of
describing his goal, to explain what relation Levinas's philosophy has to the
very idea of religion, i.e., in what sense one might call his philosophy a
philosophy of religion.
Here is another way ofclarifying Kosky's goals. He sets himselfa two
fold project. The first part is to show how Levinas, especially the Levinas of
Otherwise Than Being, extends the Husserlian project of a transcendental
philosophy, not only by employing the phenomenological method, which he
does both early, in bis work up to and including Totality and Infinity, and late,
but also by seeking to characterize a mode of subjectivity or selfhood more
1. Kosky's book is inspired by Derrida's famous reading of Totality and Infinity and
by the philosophy ofreligion ofJean-Luc Marion. I will not make much ofthe fact, but this
is a very important difference between Kosky and Cohen, who is very critical both of
Derrida's thinking and ofhis interpretation of Levinas.
Recensions 271
of the saying and the said, that is, to the saying without the said" ; it suspends
the said and leaves the saying, which is not the speech act but the "one for the
other involved in responsibility" (Kosky, p.55). Subjectivity in the form of
saying is just what Levinas means by subjectivity as responsibility. "It is thus
the reduction to the saying which permits philosophy to describe the ultimate
(the subject as responsibility)" (Kosky, p.56)2 . In short, Kosky very clearly
and decidedly treats Levinas as using the Husserlian method of
phenomenological reduction to extend the Husserlian project and even, in a
certain sense, its Cartesian character, the characterization of the ego or self.
Secondly, Kosky at one point in his book takes Levinas to tum to "pre
philosophical experience" and in particular to the face to face encounter with
the other. In Part One ofhis book, he discusses the priority ofethics for Levinas
and the status of ethics as first philosophy or metaphysics. But there he is
intent on showing how Levinas 's ethics, as a case of phenomenological
reduction, is itselfa mode ofphilosophy and metaphysics and hence a mode of
thinking, even if it is a thinking about what is in fact unthinkable. Kosky is
quite clear about this. For example, he refers to the Levinasian mode of
phenomenology as "the description ofethics and the responsible self' (Kosky,
p.57), and in Derridian style, he says that Levinasian ethics both constitutes
the phenomenological reduction and substitutes for it. But the reduction is a
mode of philosophy, of thought, of description and clarification. For much of
the time, that is, Kosky treats Levinas as painting to a description of a
fundamental venue, the face to face. When Kosky tries to clarify Levinas's
reason for identifying the passivity of the self with responsibility toward the
other, he takes this decision to be based on Levinas's interpretive position in
life, before the other, and as a member ofa particular religious tradition. The
tradition is Judaism, a history ofsuffering which in its texts calls for the primacy
ofresponsibility for the other.
Third, it is one ofthe central themes ofKosky's book that while Levinas
does take the Jewish tradition seriously and does give it a role to play, Levinas
is not a Jewish philosopher but rather a philosopher ofreligion. His philosophical
2. For a detailed analysis ofhow Levinas carries out this phenomenological account
ofsubjectivity as responsibility and later as substitution in Otherwise Than Being, see now
John E. Drabinski, Sensibility and Singularity : The Problem ofPhenomenology in Levinas
(SUNY Press, 2001).
274 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
3. Kosky elaborates this criticism of Cohen and Robert Gibbs (pp.156-159) and
also against the strategy ofusing "Judaism's universalizing tendency" to try to mitigate the
particularity of Levinas's historical commitments and account for how Levinas can be a
Jewish philosopher and yet articulate a non-particular account ofthe responsible' self.
Recensions 275
puts it, "My work, which is situated in the fullness of the documents, beliefs
and moral practices that characterize the positive fact of Judaism ... attempts to
return to ... structures or modalities ... hidden beneath consciousness ... [and
which] can be discemed by a phenomenology attentive to the horizons of
consciousness, and in this sense (despite its use of biblical and Talmudic
documents and formulations) it is a phenomenology prior to a theology ..."
(Levinas, In the Time ofthe Nations, quoted by Kosky, 170).
Finally, at the very conclusion of his book, Kosky suggests a criticism of
Levinas's philosophy of religion, his phenomenology of the responsible self
that opens up the opportunity for the word "God" to corne to mind. The
responsible self is a trace of the transcendent. The face of the other appeals to
the self, accuses it, and demands its responsibility. The individual seeks to
grasp the ground of this obligation to the other and for the other, and finds it,
Levinas claims, in an absence beyond the transcendence, in what he calls illeity,
which he calls "God". The face "invokes a naming of God"; "the responsible
self is a witness to God" (Kosky, p.188). God is, as it were, other than the
human other, "whose absence inclines me to responsibility for others" (Kosky,
p.191). But, Kosky points out, this means that "an element of anonymity haunts
responsibility" (Kosky, p.193 ). In his very early work, Levinas had identified
the horrifying anonymity of being itself, which is "interrupted" by the emergence
of subjectivity and then by the face to face encounter with the other (Kosky,
pp.193-94). The il y ais horrifying, terrifying, and threatening, and Levinas
takes subjectivity and responsibility to mark an escape from it. But if
responsibility is itself grounded in anonymity, then it too marks the impossibility
of escape. "For Levinas, then", Kosky argues, "every thing hinges on
distinguishing two types of anonymity ... [but as Levinas describes the self's
situation, it] cannot tell whether it is exposed to God or to the il y a" (Kosky,
p.194). In the end, Levinas may be right that we are primordially responsible,
but that may be all we can know. Beyond that, there is nothing clear. It may be
that the face is a trace of God, of Being, or of nothing at all. "In [Levinas's)
philosophy of religion, God is given only in confusion or ambiguity" (Kosky,
p.196). We may corne to realize that we are obligated, but we may have no idea
why.
Cohen's book is guided by the idea of "ethical exegesis". This is not so
much a central issue or problem as it is the guiding thread of the essays that
compose this book. Cohen does not, like Kosky, organize an argument around
276 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
Recensions 277
Jewish tradition calls upon us to take that tradition and its teachings seriously,
all ofus whether Jews or non-Jews. But Cohen then asks : "after all the horrors
of the twentieth century, are we really expected to continue to take any ethico
religious tradition seriously ?" (Cohen, p.266). Can we still affirm anything
about God, Judaism, and ethics after the horrors ofNazism ? Does the Holocaust
have any positive meaning ? These are the questions Cohen addresses in Chapter
8, where he analyzes Levinas 's essays about the sufferings of the Holocaust
and claims, in their aftermath, that "regardless of God's silence or absence, ...
we must be moved in our afflictions by the afflictions of our fellow humans"
and like the Jewish people "love the Torah more than God". After Auschwitz,
we must continue to act out of our responsibility and sense ofjustice (Cohen,
p.281).
Cohen 's book concludes with a chapter in which he defends Levinas
against the reading and humanistic criticism ofPaul Ricoeur (Chapter 9) and a
final chapter that places Levinas's commitment to the primacy of ethics in our
very scientific world.
I think that Cohen's primary goal is to show how deep the break is between
Levinas and the philosophical tradition and how novel, therefore, his central
teaching really is. There is a tendency to treat philosophy, in the spirit of Plato
and Aristotle , as a cognitive achievement. Philosophy may aim to be
metaphysical, we might say, but its nature is epistemological. Philosophy is a
method of inquiry and argument, an itinerary of thought, which culminates in
an understanding of the world and human existence. I think that for Cohen,
Levinas 's break with this conception of philosophy is at the core of his
achievernent and significance ; it is part of what the contrast between totality
and infinity is all about. Levinas does not want to teach us more about ourselves ;
he wants us to be better persons. His convictions are not pre-ontological as
rnuch as deontological. Infinity and transcendence are not about expanding our
knowledge ; they are about changing our lives. To say that human existence is
fundarnentally and primordially normative is not to say sornething about our
nature or situation as persans ; it is to testify to the responsibilities and obligations
that we ought to be fulfilling in our lives. This, I think, is Cohen's core insight
about Levinas, the core of his account of exactly how Levinas is a follower of
Husserl, a critic ofHeidegger, and a reader ofJewish texts (as well as others). In
short, it is the core insight ofboth Levinas 's philosophy and the ethico-ex�getical
278 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
approach to texts, as Cohen calls it, that Levinas then employs4 • In his book,
Cohen first lets this conception of the ethical in Levinas show itself in Levinas's
emergence from his background and then he exposes it in Levinas's own work,
especially in Otherwise than Being. He examines what it means for his method of
reading texts and then what role it plays historically, in Levinas 's encounter with
the Nazi Holocaust.
Let us say that Levinas's phenomenological method locates the ethical
- the face to face encounter, the self for the other, responsibility- as primordial.
What, then, is the "ethical exegesis" that Cohen claims is Levinas's approach to
texts? Cohen begins his book with a very helpful insight, that Levinas's audience
is not everyday folk, non-intellectuals, but rather the intellectual elite who are
infatuated with knowledge and the quest for knowledge, with science, and who
are among the "cultured despisers of religion" of whom Schleiermacher spoke
(Cohen, pp.1-2). What Levinas seeks to show these intellectuals is that the most
important thing for us is ethics, living lives of responsibility and justice. Cohen
may be overly optimistic when he says that most people know that ethics is
fundamentally important, but he surely is right that to modern intellectuals, the
hegemony of knowledge is powerful and needs to be engaged and overthrown.
Levinas's task, then, is to show that ethics is not the only important thing in our
lives but it is the most important (Cohen, pp.4-6). Moreover, he wants to
demonstrate this ethically, by showing the shortcomings of knowledge and the
character and significance of ethics. Thus, Levinas 's philosophy must be a kind
of testimony or witnessing, a painting to something to which everything else in
our experience is indebted and on which it is grounded. Levinas's point, then, is
simple : "it is better to be good than anything else. It is better to help others than
4. There are times when Cohen uses the expression "ethical exegesis" for the approach
Levinas takes to Talmudic and other texts, that exposes the central ethical teaching as
fundamental and rnost important to human life. There are also times, however, when he
uses the expression to refer to Levinas's philosophy, which seems to include both his
phenomenological inquiry that exposes the face and the being for the other and his
interpretive encounter with Jewish texts. At this stage in his book, I find this imprecision
confusing and so here I take Cohen to be using "ethical exegesis" to refer exclusively to
Levinas's method of reading and interpreting texts ; we might call his philosophy either
"ethical metaphysics" or "ethical phenomenology". In the end, Cohen may mean to claim
that it is really impossible to segregate Levinas 's philosophical thinking from his exegetical
reading. But for our purposes and at least for now, it is helpful to do so.
Recensions 279
to help ourselves. Nothing in the world is more precious than serving others. I am
my brother's keeper. Love thy neighbor as oneself." (Cohen, p.11)
If this is Levinas's central teaching, what is "ethical exegesis" ? Cohen
says, "ethical exegesis ... would be philosophy conscious of the true stature of the
good" (Cohen, p.11), and he says that we find it in Plato and in the Talmud.
Cohen adds : "philosophy as ethical exegesis - discovering the ethical in the
ontological, seeing the lower in the light of the higher, not anthropology but
ethics - is attuned to this deeper, weightier, truer history that defies straightforward
language and is refractory to the light of publicity" (Cohen, p.15). Ethical exegesis,
then, is philosophy insofar as it is a reading of texts - Talmud, Bible, Plato,
Descartes, and more-, the aim of which is to locate the ethical and expose its
stature, as the most important thing for human life. Levinas is not always doing
ethical exegesis, but bis works are filled with episodes of it. Levinas as a
philosopher often reads texts of the philosophical tradition and of the Jewish
religious tradition ; when he does so, he seeks to unearth and expose the ethical.
His task, Cohen claims, should be our task. And to expose the central importance
of the ethical is not different from seeking to be good, as good as one can be,
which is to serve others, to act for the widow, the poor, and the orphan5•
In the final chapter of the book, Cohen shows that he has intended the
expression "ethical exegesis" to have a very broad scope. "Because philosophy
- like life - must be exegetical and ethical does not mean that it is not also
critical, argumentative, analytical, logical, and reflective. Rather, it means that
these approaches, all crucial to philosophical thought concemed with truth, find
their ultimate context - their ultimate significance - in the unsurpassable yet
non-encompassable encounter of one human being with another, and with all
others, and hence in the overriding exigencies of kindness and faimess" (Cohen,
p.326). In the end, when properly understood and properly conducted, thinking
always serves the purposes of morality, and what goes for thinking in general,
certainly goes for philosophy in particular. Ultimately, then, Levinas 's philosophy
and his ethical exegesis cannot be segregated; they are a whole. But also no other
philosophy can be segregated from ethical life ; some philosophies serve and
express that life more honestly, without distortion, and with devotion ; some do
not. Cohen calls "the philosophical manner in which a proper appreciation for
this moral imperative priority is accomplished" "ethical exegesis - commentary
upon commentary" (Cohen, p.336; see also ibid., p.337). This approach, I take
it, includes all of Levinas's philosophical thought and his interpretive, textual
readings. All of this is commentary upon commentary, both his readings of
Talmudic texts and his readings of the philosophical tradition.
Cohen's book is a book of readings, of Bergson, Husserl, Heidegger,
Ricoeur, Levinas, and much else. It is his attempt to engage in and exemplify
ethical exegesis, while attempting to clarify how others have or have not done
so. Hence, it is an exhortation as much as an interpretation, for to witness to
ethics is to expose the central importance of the moral obligation to
responsibility, not just to say what it is but actually to uncover, as it were, its
normative force. To take seriously the central importance of the ethical is to
respond to the ethical, to be good ; there is no other way.
Cohen's book, then, is a deep book about philosophy, ethics, and human
life. lt does not have the linearity that we find so clearly in Kosky's book. But
we find an immediacy, a passion, and an urgency in it that is more than
intellectual and philosophical in some narrow or traditional sense. It does not
make a demand, but it exposes one.
It is not surprising, then, that Cohen and Kosky differ in very interesting
ways. If we look at the four themes that I discussed earlier with reference to
Kosky, some of these differences will become apparent. To be sure, Cohen's
book is very rich. Many topics arise frequently throughout the book and yet
with interesting reformulations and cast in distinctive ways. For this reason, I
may not be doing Cohen complete justice in this type of comparison. But there
certainly seem to be some evident differences between the two, and it is worth
trying to set them out.
First, what does Cohen think about Levinas's relationship to Husserl and
the sense in which Levinas can be thought to have extended the Husserlian
transcendental phenomenology? Cohen, who has translated Levinas's essays on
Husserl, spends part of one chapter and the whole of another discussing Levinas 's
extraordinary and important debt to Husserl. "Where the great phenomenologists
disagreed with Husserl, and among themselves, would not be about the depth or
originality of philosophy, but rather about its starting point, that is to say, about
the origin of signification. For Husserl this source increasingly became the
Recensions 281
---·1
282 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
at ail.
One of the chief legacies of the twentieth centwy is that the history of
philosophy in it has left us perplexed and provoked about the very character of
philosophy and its relation to life and to religion. These books compel the
reader to reflect on this problematic in serious ways and to reflect as well on
deep and important problems raised by the work of Emmanuel Levinas. For
anyone interested in philosophy, these are significant tasks. Insofar as their
books provoke the reader to perform them, Kosky and Cohen leave us in their
debt.
Michael L. Morgan
Ce colloque, qui s'est tenu au mois de juin dernier à Berlin, n'était pas
organisé par une instance universitaire, mais dû à l'initiative de la « Société
pour la philosophie et les science de la psyche» (Gesellchaftfi).r die Philosophie
und Wissenschaften der Psyche), une association qui rassemble des philosophes
et des psychiatres et organise régulièrement des séminaires de lecture et des
colloques d'inspiration phénoménologique.
Ce colloque s'est tenu sous la forme d'un« atelier» (Workshop), précédé
de réunions préparatoires. Il a été encadré par deux conférences de Sabine
Gürtler et Jacques Dewitte, entre lesquelles ont eu lieu trois tables rondes pour
chacune desquelles un intervenant principal a présenté un exposé suivi d'une
longue discussion, chaque séance s'appuyant sur la lecture de passages des
écrits de Lévinas (il faut ici signaler que pratiquement tous ses écrits ont été
traduits en allemand dans des éditions pourvues d'annotations critiques et que
----- ------------------- -
286 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
été avancée l'idée que la première pensée de Lévinas est une pensée du« à la
fois» (à la fois la« séparation» ou la jouissance et la relation éthique ou le
désir métaphysique), alors que la seconde pensée est une pensée du« ou bien...
ou bien» (dilemme qui n'en est pas vraiment un, puisque le sujet ne peut se
soustraire à l'obligation,« il ne peut pas ne pas...»). Cette longue conférence
divisée en deux parties a été suivie d'une discussion très animée.
Cette manifestation témoigne de l'intérêt très vif que continue à susciter
en Allemagne la pensée lévinassienne à travers tous ses aspects. La société
organisatrice compte publier prochainement les actes de cet« atelier».
en francais
1. Les références marquées d'une astérisque sont celles des livres dont la recension
détaillée figure ci-dessus.
Recensions 289
en anglais
•BENSO Silvia, The Face of Things : a different side of ethics, Albany, State
University of New York Press, 2000.
• BLOECHL Jeffrey (Ed.), The Face ofthe Other and the Trace o/God: Essays on
the Philosophy ofEmmanuel Levinas, New York, Fordham University Press,
2000.
•CHANTER Tina, Time, Death, and the Feminine, Stanford, Stanford University
Press, 2001.
• HENDLEY Steven, From Communicative Action to the Face of the Other : Levinas
and Habermas on Language, Obligation, and Community, Lexington Books,
2000.
• NEWTON Adam Zachary, The Fence and the Neighbor : Emmanuel Levinas,
Yeshayahu Leibowitz, and Israel among the Nations, Albany, State university
of New York Press, 2000.
en allemand
,KuJN, Branko, Das Gute var dem Sein. Levinas versus Heidegger, Frankfurt
a.M., Peter Lang, (Reihe der ôsterreichischen Gesellschaft zur Phiinomenologie),
2000.
• ScHWIND, Georg, Das Andere und das Unbedingte. Anstofle von Maurice
Blondel und Emmanuel Levinasfar die gegenwartige theologische Diskussion,
Regensburg, F.Pustet, 2000.
en néerlandais
•DE JoNG, Auke, Perikelen in de ruimte tussen het goede en het zijn: over de
verhouding van Levinas tot Heidegger, Amsterdam, Vossiuspers AUP, 2000.
292 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
en italien
• CHIAPPINI A., Amare la Torah piu di Dio. Immanuel Levinas lettore del Talmud,
Firenze, Giuntina, 2000.
en allemand
en anglais
• Gad, Death, and Time [Dieu, la Mort, et le Temps], trad. Bettina Bergo,
Stanford, Stanford University Press, 2000.
en espagnol
• Ética e infinito [Éthique et infini - Entretiens avec Philippe Nemo], trad. Jesus
Maria Ayuso Diez, Madrid, Ed. La balsa de la Medusa, 2000 (2ème édition).
en italien
D.E.A et Doctorats
L'Institut offre la possibilité aux titulaires d'une Maîtrise ou de son équivalent
(dans les disciplines médicales, économiques, juridiques, diplômés grandes
écoles, etc.) résidant en Israël de s'inscrire en Diplôme d'Etudes Approfondies
(D.E.A) puis en Doctorat dans un département de Philosophie d'une université
française.
Bibliothèque
L'Institut met à la disposition des doctorants, des étudiants et des chercheurs
une bibliothèque de philosophie contemporaine comprenant tous les ouvrages
de et sur Lévinas, ainsi que les textes majeurs de philosophie classique et
contemporaine. Les lecteurs peuvent consulter ces livres sur place, et la
bibiothèque se met au service de tous les chercheurs pour répondre à leurs
296 Cahiers d'Etudes Lévi11assie1111es
Cours sur les Lectures talmudiques de Lévinas, par Shmuel Wygoda (en hébreu)
Centrant sa réflexion sur l'aspect spécifiquement juif des écrits de Lévinas,
Shmuel Wygoda, dans son cours hebdomadaire à l'Institut, étudie les Lectures
talmudiques de Lévinas.
L'Institut d'Etudes Lévinassiennes 297
Le Débat
Chaque année, le Débat réunit à Jérusalem les trois fondateurs de l'Institut,
Alain Finkielkraut, Benny Lévy et Bernard-Henri Lévy, pour un débat public
autour d'un thème d'actualité, précédé de trois séminaires préparatoires à
l'Institut, animés à tour de rôle par les trois philosophes.
Colloque international
Un colloque international sera organisé à Jérusalem à la fin de chaque année
universitaire, confrontant les activités de l'Institut aux travaux de chercheurs
et de philosophes du monde entier, autour du thème annuel de l'Institut.
Informations pratiques
-Le Débat:
Le Débat public a réuni le 14 février 2001, dans la salle du théâtre Gérard Behar
de Jérusalem, les trois fondateurs de l'Institut d'Etudes Lévinassiennes, Alain
Finkielkraut, Benny Lévy et Bernard-Henry Lévy, sur le thème:« La mémoire,
l'oubli, solitude d'Israël ». Les trois philosophes ont animé à l'Institut des
séminaires de préparation au Débat pendant les trois jours qui l'ont précédé 2 .
l. Cf. supra le résumé du séminaire que Robert Legros a animé à l'Institut d'Etudes
Lévinassiennes du 20 au 24 mai 2001 sur« Le temps chez Husserl et Lévinas ».
2. Cf. supra la retranscription de l'essentiel du Débat du 14 février 2001 sur« La
mémoire, l'oubli, solitude d'Israël».
L'Institut d'Etudes Lévinassiennes 299
- Le Débat :
Cette année, les trois fondateurs de l'Institut d'Etudes Lévinassiennes, Alain
Finkielkraut, Benny Lévy et Bernard-Henry Lévy , se réuniront autour d'un
débat sur la laïcité, à l'occasion de la parution du livre de Benny Lévy: Le
meurtre du pasteur. Critique de la vision politique du monde (Verdier-Grasset).
Le Débat sera précédé de trois séminaires préparatoires, animés à tour de rôle
par l'un des philosophes.
300 Cahiers d'Etudes Lévinassiennes
- Le colloque international:
Un colloque international clôturera l'année universitaire au mois de juin 2002,
sur le thème« Philosophie de la Révélation?».