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L’intertextualité | Marie Miguet-Ollagnier, Nathalie Limat-Letellier

Historique du concept
d’intertextualité
Nathalie Limat-Letellier
p. 17-64

Texte intégral
1 Il est d’usage de remonter à l'étymologie pour établir le sens
élémentaire d'un concept. En ce qui concerne l'intertextualité,
le préfixe latin "inter-" indique la réciprocité des échanges,
l'interconnexion, l’interférence, l'entrelacs ; par son radical
dérivé du latin "textere", la textualité évoque la qualité du
texte comme "tissage", "trame"1 ; d'où un redoublement
sémantique de l'idée de réseau, d'intersection.
L'intertextualité caractériserait ainsi l'engendrement d’un
texte à partir d'un ou de plusieurs autres textes antérieurs,
l'écriture comme interaction produite par des énoncés
extérieurs et préexistants. Au-delà de ce premier constat, le
recours à l'étymologie s'apparente à une reconstitution
incomplète et sans doute artificielle. En effet, pour avoir été
reconnue comme une dimension essentielle de la
communication verbale, l'intertextualité renvoie surtout à des
enjeux cognitifs, à l'élaboration de méthodes d'analyse
littéraire actuellement très usitées. Le déploiement de ce vaste
domaine de recherches a donné lieu à des interprétations
variables, à des remaniements terminologiques et à des
rapprochements avec d'autres disciplines. Mais il importe
aussi de dégager les constantes, les recoupements possibles
entre des strates aussi diversifiées. Certes, les principales
contributions et les apports plus marginaux forment autant de
jalons qui confirment, d'un point de vue épistémologique,
l'étendue et la vitalité de ce champ notionnel.
2 En outre, une enquête rétrospective permet d'aborder un
autre problème : tandis que les phénomènes décrits par
l'intertextualité sont anciens, ce néologisme s'inscrit à
l'origine dans la filiation directe des théories du Texte qui, des
années 60 aux années 70, visent à substituer à l'histoire
littéraire des modèles empruntés à la linguistique structurale ;
son apparition renvoie à des objectifs, à des stratégies, à des
prescriptions de la modernité qui, depuis lors, ont eu
tendance à s'effacer, à se réduire. Son impact a suscité des
réactions hostiles ou des malentendus dont les
représentations négatives sont également révélatrices. Ainsi,
on a reproché aux études d’intertextualité d'ouvrir un abîme
insondable où se perdaient, d'écho en écho, la linéarité de la
lecture et la cohérence interne du texte. Par ailleurs, ce récent
métalangage ne risquait-il pas d'instaurer un décalage par
rapport à des pratiques que les écrivains eux-mêmes ont
désignées par d'autres termes ? De nombreuses études
critiques ont contribué à résoudre ces difficultés afin d'utiliser
l’intertextualité comme un ensemble d'indices et de repères,
en y introduisant des critères plus spécifiques comme le
contexte, l'auteur, le genre, le corpus.
3 L'ampleur des phénomènes considérés et les confrontations
nécessaires à des avancées théoriques ont probablement
préservé l'intertextualité du déclin ou d'une certaine
désaffection. Au-delà des effets de la mode et d'une simple
querelle d’étiquettes, cet objet du savoir littéraire semble
avoir atteint une phase de maturité et de stabilité relatives où
il compose plus aisément qu'à l'origine avec des centres
d’intérêt parallèles, avec des problématiques antérieures ou
dérivées.

1. Les principaux modèles de l’intertextualité


et leurs postulats méthodologiques
4 C'est Julia Kristeva qui a forgé en français le terme
d'intertextualité vers 1966, comme en témoignent deux
articles repris dans Semiotikè. Recherches pour une sémanalyse
(1969) : "Le mot, le dialogue et le roman", daté par l'auteur
de 1966, et "Le texte clos", daté de 1966-67. Leurs titres laissent
déjà apparaître ce fait essentiel : la formation de ce concept
kristevien est à replacer dans le cadre de référence que
constituent les travaux de Mikhael Bakhtine à l'articulation de
la linguistique et de la théorie littéraire :
[...] l’axe horizontal (sujet-destinataire) et l'axe vertical (texte-
contexte) coïncident pour dévoiler un fait majeur : le mot (le
texte) est un croisement de mots (de textes) où on lit au moins
un autre mot (texte). Chez Bakhtine d'ailleurs, ces deux axes,
qu'il appelle respectivement dialogue et ambivalence, ne sont
pas clairement distingués. Mais ce manque de rigueur est
plutôt une découverte que Bakhtine est le premier à introduire
dans la théorie littéraire : tout texte se construit comme une
mosaïque de citations, tout texte est absorption et
transformation d’un autre texte. À la place de la notion
d'intersubjectivité s'installe celle d'intertextualité f...]2.

5 On sait que l'importance des ouvrages de Bakhtine a été


tardivement reconnue ; ils ne seront publiés en traduction
française qu'à partir de 1970 ; Tzvetan Todorov en tient
compte, en 1981, dans un essai de synthèse qui explique les
circonstances de leur diffusion3. En faisant ici référence à ce
chercheur soviétique, J. Kristeva commente pour l'essentiel
Problemy poétiki Dostoevskogo (Problèmes de la poétique de
Dostoïevski, trad. fr. 1970), dont la première publication en
russe remonte à 1929 et dont la seconde édition, remaniée et
augmentée par l'auteur, venait de paraître à Moscou en 1963.
En effet, les concepts bakhtiniens de dialogisme et
d'ambivalence opèrent un dépassement critique des
Formalistes russes qui vaut également à l'encontre de
l'influence prépondérante de la linguistique saussurienne
voire jakobsonienne. Ils tendent à récuser "l’objectivisme
abstrait" qui se borne à décrire le langage comme un système
clos, neutre, préétabli et toujours réitérable. Au contraire,
Bakhtine s'intéresse à la production des énoncés singuliers
qu’il analyse comme l'interaction des interlocuteurs dans un
contexte concret. Sous des modalités diverses, l'énonciateur
renvoie toujours à la voix d'autrui et à l'arrière-plan social
(au-delà des rapports intersubjectifs) : tantôt de manière
explicite et directe, pour la comprendre ou la rejeter
(dialogue), tantôt de manière plus cachée, ou ambivalente
pour disqualifier un énoncé (parodie) ou l'imiter de manière
détournée (stylisation, hybridation...). L'on ne saurait
échapper au déjà dit omniprésent, même dans la création
littéraire, car tout discours rencontre à son insu le contexte
culturel contemporain et la trace objective des usages
antérieurs des mots dans la mémoire collective. C'est le roman
qui atteint pour Bakhtine le degré le plus élevé des échanges
dialogiques : ce genre mixte, hybride par essence, exploite
massivement les ressources de l'ironie et de la parodie. Le
roman polyphonique inventé par Dostoïevski marque un
ultime accomplissement de ce potentiel dialogique : les points
de vue inconciliables des personnages se combinent en une
pluralité de consciences autonomes ; l'auteur n'intervient plus
pour imposer une vérité transcendante. La polyphonie
affranchit l'écriture des certitudes dogmatiques, car elle prend
acte de l'altérité fondamentale des rapports humains pour en
assumer pleinement les effets de dispersion. Elle subvertit par
là même le "monologisme", c'est-à-dire le régime autoritaire
d'une parole officielle servant à véhiculer une thèse, une
idéologie.
6 Le principe dialogique ne se limite donc pas aux formes du
dialogue mais il coïncide avec un phénomène "bivocal" ou
"plurivocal". Alors que Bakhtine construit une typologie
différenciée des discours, des styles et des genres depuis
l'Antiquité, l'intertextualité s'applique au statut fondamental
de toute textualité. Cette extension de sens rejoint les théories
du Groupe Tel Quel. En effet, la définition kristevienne du
texte comme intertextualité insiste sur l'"infinité potentielle"
des mots et des discours d'autrui dans la pensée moderne ;
elle confère à l'écriture, au-delà de toute intentionalité, les
propriétés de "l'hybride", les composantes d'un pluriel
indifférencié de pratiques signifiantes : autant de positions
théoriques qui s'attaquent aux prétentions idéalistes de la
conscience créatrice. L'avènement de "l'intertextualité"
annoncerait la fin de l'intersubjectivité où se complaisent
l'écrivain et ses lecteurs : il s'agit avant tout de désacraliser
l'autorité de l'auteur, de le destituer de son illusion
d'originalité, et de récuser par là même les prérogatives de
l'œuvre finie, achevée, autonome ; le déni de l'individualité,
l'impersonnalité de l'acte d'écriture, tels sont les postulats de
l'intertextualité dans sa première acception.
7 Parallèlement à l'intertextualité, "Le Texte clos" proposait un
néologisme plus restrictif, l'"idéologème", qui désigne le
"foyer" de transformation des énoncés. J. Kristeva entendait
ainsi souligner – conformément au principe dialogique – que
tout texte opère dans une intertextualité fondée sur un
contexte historique, sur des déterminations socio-culturelles.
Mais le concept moins neutre d"'idéologème" évoque l'analyse
marxiste et en particulier l'influence d'Althusser ; cet
instrument d'analyse des phénomènes intertextuels n’a pas
rencontré le même engouement consensuel. Ce sont des
théoriciens ultérieurs qui, dans une perspective très
différente, insisteront sur le rôle du contexte de la réception4
dans les phénomènes de l'intertextualité. Les présupposés de
la modernité valorisent ici une représentation matérialiste de
la production textuelle comme « appareil translinguistique
qui redistribue l'ordre de la langue » pour se mettre en
connexion avec « différents types d'énoncés antérieurs ou
synchroniques »5. Le modèle mécaniciste – très répandu chez
les théoriciens de cette période – tend à assimiler le texte à
une productivité, ce qui veut dire : 1. son rapport à la langue
est redistributif (destructivo-constructif), par conséquent il est
abordable à travers des catégories logiques plutôt que
purement linguistiques ; 2. il est une permutation de textes,
une intertextualité : dans l'espace d'un texte plusieurs énoncés,
pris à d'autres textes, se croisent et se neutralisent6.
8 J. Kristeva situe le rôle générateur de l'intertextualité à partir
d'une dichotomie fondamentale en linguistique : l'articulation
de l'axe paradigmatique (permutation, sélection des
emprunts) et de l'axe syntagmatique (redistribution ou
combinaison horizontale de la séquence, enchaînement -
enchâssement dans le contexte). Si les textes littéraires sont
une composante parmi d'autres de ce processus, leur
spécificité n'est pas prise en compte dans Recherches pour une
sémanalyse ; cette catégorie tend à être absorbée dans un
ensemble plus vaste, l'interdiscursivité, d'autant plus
opératoire lorsqu’il s'agit de repérer les signes de l'idéologie
sociale ou de son renversement historique et critique.
9 Dans la mesure où l'intertextualité kristevienne se réclame de
la sémiotique, ne pourrait-elle pas faire intervenir d'autres
codes et contextes d'emprunt ? Un texte, on le sait, peut être
engendré à partir d'autres langages ainsi que de maintes
sources culturelles : les arts plastiques, la musique, l'opéra...
Dans le discours de J. Kristeva, la notion indifférenciée de
texte paraît applicable à d'autres supports que l'écrit :
l'enregistrement radiophonique, les techniques
d'improvisation, de remémoration dans la diffusion de la
poésie orale, des mythes, des contes traditionnels à travers
leurs multiples versions. Elle pourrait s'étendre aussi à des
formes d’expression hybrides, combinant le message textuel à
des systèmes de signes non verbaux : le théâtre, l'opéra, le
cinéma, la bande dessinée, l'informatique, la télématique...
Ainsi, par exemple, dans des créations contemporaines, des
croisements, des permutations rapprochent le texte, l'image,
les rythmes ou des structures mélodiques. Le fait même de
redistribuer des énoncés autour de systèmes de signes
figuratifs ou musicaux accentue encore l'intime fusion de
l'hétérogénéité, le pluriel irréductible des matériaux de
l'intertextualité : citons encore, parmi les possibles de
l’hypothèse sémiotique, la transposition d'un mythe dans une
œuvre théâtrale, l'ekphrasis d'un tableau, l'utilisation des
documents iconographiques à l’origine d’une pratique
d'écriture ; leur insertion ou leur engendrement dans
l'esthétique de certains textes : illustrations, emblèmes,
collages, calligrammes, photomontages, ou encore citations
insérées dans les films de Godard... Dès lors, sur le plan
diachronique, les lois génératrices de l'intertextualité, dans
leur universalité, pourraient même être assimilables à
l'évolution historique d'autres arts que le langage verbal :
l'intégration de l'héritage, le rejet et la transformation des
modèles en peinture, en musique, en sculpture, en
architecture... Cependant, d'une manière toujours
ambivalente, l'extension démesurée du concept en affaiblit la
validité : ce trop puissant levier de la sémiotique lui ôte la
rigueur que lui garantissait son sens étymologique : au niveau
de la stricte dénotation, il s'agit de rendre compte
d'interconnexions ayant pour objet un ou des textes. Tout au
moins faut-il souligner que ces pratiques discursives ou
esthétiques hétérogènes devront être incorporées et
transposées dans un texte.
10 En fait, contrairement aux orientations de Bakhtine, J.
Kristeva s'en réfère aux principales catégories logiques pour
expliquer les règles de transformation des énoncés dans
l'intertextualité. Cette hypothèse témoigne de l’influence de la
grammaire générative de Chomsky. En outre, la référence aux
modèles formels des mathématiques est perceptible dans un
article intitulé "Pour une sémiologie des paragrammes" (1966)
où J. Kristeva expérimente sur le langage poétique une théorie
parallèle à l'intertextualité (dans la mesure où Bakhtine, trop
schématiquement, refusait au lyrisme poétique les
composantes du dialogisme romanesque). Cette théorisation
emprunte cette fois aux travaux de Saussure sur les
anagrammes et "hypogrammes" une conception algébrique du
"réseau paragrammatique", où les éléments transversaux ou
"tabulaires" du signifiant se correspondent dans l'espace du
texte poétique. La lecture linéaire est rompue pour faire
surgir une constellation de signes fragmentaires, éclatés. Les
paragrammes dits "lecturaux" semblent relever de
l'intertextualité : ce sont, par exemple, les textes étrangers
"absorbés" et défigurés dans Les Chants de Maldoror, et les
Poésies de Ducasse. Ils instaurent un « processus dynamique
par lequel les signes se chargent ou changent de
signification7 » pour transgresser les codes. Il importe de
remarquer que cette perspective transformationnelle vise à
dépasser les descriptions immanentes du texte, les modèles
actantiels de l'analyse structurale. Comme le montre le
schéma proposé lors d'une communication au Colloque de
Cluny (1968), l'intertextualité ne relève pas du phéno-texte
mais d'un niveau de structuration plus profond, le "géno-
texte", assimilé à un concept de Chomsky, la compétence
virtuelle :
Aux deux types de structures, celles de compétence et de
performance, correspondraient le géno-texte, c'est-à-dire le
niveau où le texte est pensé, transformé, produit, généré, et le
phéno-texte, c'est-à-dire le niveau du texte accompli, du
phénomène textuel, de ce résidu dans lequel bascule le
processus de production et qui est toujours moins que le
processus de transformation antérieur au produit8.

11 On ne sait pas quels indices de l'intertextualité sont repérables


dans le phéno-texte ou s'il faut partir de la dimension
génératrice de l’écriture. Contrairement à la perspective
kristevienne, les recherches ultérieures sur l'intertextualité
s'efforceront de détailler les méthodes d'analyse. Ici, il est
encore malaisé d'extraire le concept de cette effervescence
théoricienne où l'histoire littéraire et la genèse des œuvres
sont ressaisies dans un langage fort peu académique. Mais de
fait, la valorisation du géno-texte représente pour l'essentiel
une tentative de dépassement du structuralisme. Dans La
Révolution du langage poétique (1974), l'intertextualité est
absente de la table des matières : J. Kristeva constate à regret
dans les premières pages que « ce terme a été souvent
entendu dans le sens banal de "critique des sources" » ;
désormais, elle lui en préfère un autre, la « transposition », qui
exprimerait mieux son propos actuel, l'"effraction" du sujet et
de l'objet9 dans les textes qui vont révolutionner le langage
poétique à la fin du XIXe siècle. Il s'agit ici de montrer que les
textes de Mallarmé et surtout de Lautréamont-Ducasse
dialoguent avec les présupposés des textes antérieurs : ils s'en
approprient et, en même temps, en rejettent les lois (par
négation, transformation) !10 au cours d'une véritable
"épreuve de force" comparée ici, pour la première fois, à la
situation du transfert analytique11.
12 Michel Arrivé, en 1972, dans Les Langages de Jarry et dans un
article de 197312 a suivi un autre cheminement, bien qu’il
utilise, comme Julia Kristeva, les concepts de la linguistique
structurale. Il s'appuie en effet constamment sur Greimas,
Hjemslev et Chomsky pour définir l'intertexte dans sa
littérarité comme le lieu des "isotopies connotées" : la
redondance, la réitération entre les unités linguistiques
(isotopie) se produit entre deux ou plusieurs textes dont les
éléments analogues sur le plan de l’expression ou du contenu
transforment la dénotation antérieure. Cette théorisation
illustrée d'exemples précis conduit à formuler un principe
opératoire : « l’objet donné est le texte, et l'objet construit
l’intertexte »13.
13 Roland Barthes s'est fait le porte-parole autorisé du concept
d'intertexte qu'il commente sans manifester le même souci de
scientificité que J. Kristeva ou M. Arrivé. Le Plaisir du texte,
publié en 1974, permet de repérer cette évolution : l'un des
brefs chapitres qui composent cet essai s'intitule "Intertexte".
Bien que Barthes ne manie le concept que discrètement, sur
un mode allusif, oblique, il amorce une "dérive" vers
l'imaginaire de l'écrivain et la subjectivité du lecteur.
L'intertexte selon lui évoque un halo propice, un jeu de reflets
brouillés ; il acquiert une valeur rétrospective plutôt que
prospective ; ainsi, Barthes reconnaît des traces de Stendhal
ou de Flaubert en lisant Proust :
Je savoure [...] le renversement des origines, la désinvolture
qui fait venir le texte antérieur du texte ultérieur. Je
comprends que l'œuvre de Proust est, du moins pour moi,
l'œuvre de référence, la mathesis générale, le mandata de toute
la cosmogonie littéraire [...]. Proust, [...] ce n'est pas une
"autorité" ; simplement un souvenir circulaire. Et c'est bien cela
l'inter-texte : l'impossibilité de vivre hors du texte infini – que
ce texte soit Proust, ou le journal quotidien, ou l’écran
télévisuel : le livre fait le sens, le sens fait la vie14.

14 La reconnaissance de l'intertexte suscite la connivence d'un


lecteur initié. Mais elle bascule aussi dans l'aporie d'une figure
circulaire ; elle admet la perception confuse et vacillante d'un
phénomène massif et presque incontrôlable. Pratique sans
objet, elle exerce un effet de séduction qui se dérobe à la
caution des hypothèses scientifiques :
Tout ce qui est à peine toléré ou carrément refusé par la
linguistique (comme science canonique, positive), la
signifiance, la jouissance, c'est précisément là ce qui retire le
texte des imaginaires du langage.
Sur le plaisir du texte, nulle "thèse" n'est possible ; à peine une
inspection (une introspection), qui tourne court15.

15 Le structuralisme est ici dépassé au nom de valeurs culturelles


associées à un "bénéfice de plaisir" esthétique ; Barthes tient
un discours volontiers déceptif et intransitif sur le rôle de
l'intertextualité, alors que J. Kristeva insistait en 1974 sur la
désacralisation efficace, le rejet subversif des modèles.
16 Par la suite, le champ de l'intertextualité va être
systématiquement construit, inventorié, complété. Ainsi, Jean
Ricardou, en 1971, dans Pour une théorie du nouveau roman,
propose de distinguer accessoirement deux régimes
possibles : l'externe (le rapport d'un texte à un autre texte) et
l'interne (le rapport d’un texte à lui-même)16 ; en 1975, il
reformule cette dichotomie : d'une part, l'"intertextualité
générale" (rapports entre textes d'auteurs différents), d'autre
part, l'intertextualité restreinte (rapports entre textes du
même auteur)17. Plus récemment, une nouvelle définition est
venue limiter l'intertextualité à des pratiques orientées vers
des textes extérieurs et "allographes" (exogenèse) tandis que
l'intratextualité18 est orientée vers la textualité préexistante
d'un même écrivain. Avec une certaine ambiguïté ce dernier
concept désigne la circulation-intégration de fragments
textuels "autographes" à l’intérieur d'un même texte, ou d'un
texte à un autre, dans la chronologie de l'écriture. L'écrivain
travaillerait au niveau de l’intratextualité quand il réutilise un
motif, un fragment du texte qu'il rédige ou quand son projet
rédactionnel est mis en rapport avec une ou plusieurs œuvres
antérieures (auto-références, auto-citations).
17 Les schèmes linguistiques et logiques vont être remplacés
progressivement par une approche plus spécifique de la
poétique littéraire. Dès lors, les phénomènes de
l'intertextualité seront traités dans une perspective empirique
et pragmatique, et c'est essentiellement la rhétorique qui sera
mise à contribution. Le numéro spécial de la revue Poétique,
en 1976, illustre déjà cet état d'esprit post-kristevien : ce sont
des études littéraires approfondies et variées qui en forment
la substance ; en outre, une contribution propose une
approche spécifique des fonctions pragmatiques de
l'intertexte critique chez Barthes, Butor et Blanchot19. Dans un
article inaugural, "La stratégie de la forme", Laurent Jenny
observe qu'il hérite d'un terme déjà banalisé. Pour lui
restituer un sens plein, il souligne que « le travail
d'assimilation et de transformation de plusieurs textes » est
« opéré par un texte centreur qui garde le leadership du
sens »20. Pour la première fois, la graduation des phénomènes
est prise en compte, depuis l'intertextualité "faible" (l'allusion)
à une intertextualité structurée qui s'étend à l'ensemble du
texte. Le seuil de l'intertextualité n’est pas atteint quand il
s'agit de simples analogies thématiques. L. Jenny admet que
tout texte réfère aux autres textes, mais de manière tantôt
implicite (sur le plan génétique, par rapport aux codes
littéraires en usage), tantôt explicite, "surcodée" (imitations,
parodie, citation...). Les traces de l'intertextualité se
rapprocheraient du travail du rêve sur des représentations-
souvenirs. Différents types d'insertion contextuelle de ces
"corps étrangers" dans le texte récepteur sont analysés :
altération du cadre narratif, transcription d'autres systèmes
signifiants ; segmentation "linéaire", déconstruction des
textes-origines (avec les "cut-up" de W. Burroughs) ou
enchâssement métonymique, métaphorique,
métalinguistique, voire "a-sémantique" de tels fragments. Le
travail intertextuel permet de reconnaître un attirail de
"figures de style" plutôt que des matrices linguistiques :
paronomase (déformation phonétique d'une citation), ellipse
(reprise tronquée) ; amplification, hyperbole, interversion.
L'intertextualité a pour fonction essentielle de perturber, de
détourner les codes ; car elle « répond toujours à une vocation
critique, ludique et exploratoire. Cela en fait l'instrument de
parole privilégié des époques d'effritement et de renaissance
culturels »21. La contribution de Paul Zumthor analyse
historiquement les pratiques de l'intertextualité chez les
Grands rhétoriqueurs comme une série de variations
énonciatives sur des codes rhétoriques traditionnels
(détournement de proverbes, dictons et vers ; sotie, parodie,
allégorie) ; jouant sur l'énigme, l'ironie et l'ambiguïté, ces
poètes cultivent des formes qui détruisent la norme et la
régénèrent : « l'espace textuel [...] inverse et négativise
l'espace intertextuel »22. Dans ce même numéro spécial,
Lucien Dällenbach ("Intertexte et autotexte") joue sur les
préfixes pour décrire les similitudes et jeux de miroirs
internes de l'écriture.
18 D'autres prolongements et ajustements terminologiques vont
être proposés, à partir de distinctions empiriques. Ainsi, dans
Symbolisme et interprétation23 (1978), Mikhaël Bakhtine ou le
principe dialogique24. (1981), Tzvetan Todorov s’efforce de
clarifier les définitions de l'intertextualité. Il revient aux
sources du dialogisme bakhtinien pour établir l'usage
respectif de deux concepts voisins ; néanmoins, il conserve
certains modèles explicatifs empruntés à la linguistique25.
Pour sa part, il rapproche l'intertextualité des schèmes
fondamentaux de l'interprétation : elle figure parmi les
"directions" de l’évocation symbolique (à côté de modalités
comme énoncé/énonciation, contexte
paradigmatique/syntagmatique) ; Todorov introduit
également une distinction complémentaire entre symbolisme
intratextuel (code sémique chez Barthes dans S/Z) et
extratextuel (code symbolique dans S/Z).
19 Les travaux de M. Riffaterre participent également de cet
approfondissement stylistique et rhétorique des recherches
sur l'intertextualité. En effet, la sémiotique intertextuelle chez
Riffaterre est, avant tout, appliquée à l'étude de détail d’un
texte ; elle propose des hypothèses de lecture, des
interprétations particulières. Alors que J. Kristeva avait
orienté initialement la problématique vers la production
littéraire, la méthode d'analyse évolue ici vers la réception (les
rapports entre le texte et le lecteur). Dès lors, une révision ou
une précision terminologique intervient : l'intertexte est
« l'ensemble des textes que l’on peut rapprocher de celui que
l'on a sous les yeux, l'ensemble des textes que l'on retrouve
[...] à la lecture d'un passage donné » et l'intertextualité, « un
phénomène qui oriente la lecture du texte, qui en gouverne
éventuellement l'interprétation, et qui est le contraire de la
lecture linéaire »26. À partir des caractéristiques textuelles de
surface, il s'agit d'actualiser des réminiscences pour faire
surgir un mot-clef, un noyau générateur, une configuration
sémantique dispersée mais récurrente, un hypogramme (ce
terme est emprunté aux travaux de Saussure)27. Riffaterre
s'intéresse aux aspects cognitifs et esthétiques de
l'intertextualité qu'il étudie sur de multiples exemples comme
une interaction entre l'écriture et la lecture. Il lui importe de
déchiffrer les énigmes de ce principe générateur de l'écriture
tandis que Barthes se plaisait à décrire les effets de brouillage
ainsi produits, la confusion des sources. Dans "La syllepse
intertextuelle", il applique aux formes de l'intertextualité cette
figure de rhétorique qui consiste à prendre un mot dans deux
sens différents, au sens littéral et au sens figuré. "La trace de
l'intertexte", pour reprendre le titre d'un autre article de
Riffaterre, relèverait des mécanismes de la signifiance, qui
s'opposent essentiellement à la mimesis référentielle :
L'intertextualité est la perception, par le lecteur, de rapports
entre une œuvre et d'autres, qui l'ont précédée ou suivie. Ces
autres textes constituent l'intertexte de la première. La
perception de ces rapports est donc une des composantes
fondamentales de la littérarité d'une œuvre [...]28.

20 Riffaterre rapproche l'intertextualité de la spécificité des


textes littéraires, de leurs propriétés distinctes. Mais une
description précise des faits s'impose car la trace indélébile de
l’intertexte prend toujours la forme d'une aberration à un ou
à plusieurs niveaux de l’acte de communication : qu’elle soit
lexicale, syntaxique, sémantique, stylistique, elle est toujours
perçue comme la déformation d’une norme ou une
incompatibilité par rapport au contexte. Voici, à titre
d’exemple, l’une de ces obscurités que Riffaterre élucide :
dans "Delfica" de Nerval, l’allusion à la "Sybille au visage latin"
– une anomalie par rapport aux sources hélleniques – est
rapprochée d’un "interprétant", la Chanson de Mignon : ce
poème de Goethe que Nerval lui-même a traduit évoque la
nostalgie d’une terre d'élection, l’Italie, et révèle d’autres
analogies avec certains vers du sonnet des Chimères. Bien que
Riffaterre ait conclu cet article sur « l’interrogation continue
de la trace » intertextuelle comme « système de signes du
désir »29, il a établi une distinction préliminaire entre deux
régimes de l’intertextualité : aléatoire ou obligatoire.
L’intertextualité aléatoire ne constitue qu’un arrière-plan
culturel, une « mémoire circulaire » qui enrichit le sens, mais
dont « l’occultation accidentelle n’affecte pas le sens. »30. Au
contraire, le déchiffrement de l'intertextualité "obligatoire"
s'imposerait, en ce sens qu'elle requiert une compétence pour
lire correctement les présupposés du texte. À l'opposé de
Barthes, qui aurait savouré gratuitement la "suspension du
sens", Riffaterre insiste sur l'utilité et la "rentabilité" du savoir
littéraire quand il valorise le nécessaire déchiffrement des
textes par leurs intertextes. Cette position de principe ne
consiste-t-elle pas à se prémunir des abus de la
"surinterprétation" ? En effet, selon Umberto Eco, « la seule
alternative à une théorie de l'interprétation radicale orientée
vers le lecteur est celle que prônent ceux pour qui la seule
interprétation valide est celle qui vise à saisir l'intention
primitive de l'auteur.31 » En ce sens, il faut poser des limites
aux réminiscences littéraires : l'intention d'un interprète
autorisé, l'auteur (contrairement à la première acception tel
quelienne).

2. Dans la mouvance de l'intertextualité : les


apports périphériques
21 Avec La Seconde Main, ou le travail de la citation (1979),
Antoine Compagnon nous livre une brillante défense et
illustration de l'intertextualité sous un aspect plus technique
que Kristeva et Barthes n'avaient pas envisagé. L'auteur cite
volontiers les principaux courants de pensée de la modernité :
Althusser, Bakhtine, Benveniste, Deleuze, Derrida, Foucault,
Frege, Heidegger, Jakobson, Lacan, Levi-Strauss, Peirce,
Tynianov. En revanche, il ne mentionne jamais Riffaterre dont
les hypothèses sont très éloignées des siennes ; ni l'article
d'André Topia sur les "Contrepoints joyciens"(1976) qui
explorait déjà les différences entre la citation classique et les
jeux de l'intertextualité dans la littérature moderne32.
22 Il faut souligner l'intérêt de ce travail considérable : au
demeurant, la citation ne se situe pas dans les marges du
concept, dans la mesure où elle est une forme régulière,
classique et bien attestée de l’intertextualité ; en outre, son
objet s'écarte de la mouvance de Tel Quel, dans la mesure où
les postulats initiaux de l'intertextualité négligeaient la
citation, trop associée aux privilèges institutionnels de
l'auteur. Néanmoins, les termes d'intertextualité – et
d'intertextuels – sont peu employés. Une note d'A. Compagnon,
à la fin de son "Avant-propos", rappelle qu'une première
version de son travail a fait l'objet d'une thèse de troisième
cycle réalisée à la Fondation Thiers et dirigée par J. Kristeva,
de l'Université de Paris VII.
23 Toutefois, cet ouvrage d'érudition n’exclut pas le ton
personnel et un brio ludique. En effet, sa première partie se
présente comme « une phénoménologie de la citation, de la
production et non du produit » : l'auteur y appréhende l'acte
de citer comme une expérience immédiate que matérialisent
certaines opérations de soulignement, de découpage, de
collage. Avant de citer, il faut avoir été « sollicité », « excité »
par une lecture, d'où la conclusion qui fait suite à ces jeux de
mots :
La citation tente de reproduire dans l'écriture une passion de
la lecture [...]. La citation répète, elle fait retentir la lecture
dans l'écriture : c'est qu'en vérité lecture et écriture ne sont
qu’une seule et même chose, la pratique du texte qui est
pratique du papier. La citation est la forme originelle de toutes
les pratiques du papier, le découper-coller, et c'est un jeu
d'enfant33.

24 Et un peu plus loin :


Écrire, car c’est toujours récrire, ne diffère guère de citer. La
citation, grâce à la confusion métonymique à laquelle elle
préside, est lecture et écriture ; elle conjoint l'acte de lecture et
celui d'écriture34.

25 L'usage de la première personne, et ce commentaire


phénoménologique rappellent assez la manière de Barthes (A.
Compagnon a participé en 1977 au colloque de Cerisy,
Prétexte : Roland Barthes). À propos de la récriture, A.
Compagnon cite d'ailleurs quelques lignes de S/Z (1970), sur la
notion de "scriptible" : « Quels textes accepterais-je d'écrire
(de ré-écrire), de désirer, d’avancer comme une force dans ce
monde qui est le mien ? »35 L’équivalence proposée entre
écriture et réécriture – cette intuition de S/Z – est commentée
en ces termes plus explicites par l'auteur de La Seconde Main :
« Il y a toujours un livre avec lequel j'ai l'envie que mon
écriture entretienne une relation privilégiée, "relation" valant
ici pour son double sens, celui du récit (de la récitation), et
celui de la liaison (de l'affinité élective) »36.
26 Dans la mesure où la citation est perçue comme une
"structure mentale" du sujet, elle convoque un imaginaire et
un "pathos", selon le vœu de Barthes. Ainsi, pour citer une
"constellation" de mots, il faut mobiliser activement une force
de travail : il y aurait fulguration, ex-cision, investissement
obsessionnel, mais aussi circulation "monétaire"... A.
Compagnon se réfère aussi aux métaphores les plus courantes
du travail de la citation chez les écrivains, pour en commenter
les significations subjectives37 Plus aride, la deuxième partie
de l'essai – une "sémiologie" de la citation – est placée sous
l’autorité des linguistes ; elle démontre une certaine ambition
de scientificité ; Benveniste et surtout Peirce sont le plus
souvent invoqués. Toute citation étant un fait de langage,
Antoine Compagnon en propose une typologie formelle, en lui
appliquant les théories sémiotiques de Peirce, qui postule trois
relations du signe "t. (S1)" et de son objet, "t. (S2)", mais aussi
la relation du signe et d’un troisième élément, la série des
interprétants. D'où une combinatoire de formules algébriques
d'un maniement délicat. On distingue d'abord le "Texte" cité
(T1) et le texte citant (T2), mais parfois aussi l'Auteur cité (Al)
et l’auteur citant (A2) ; ces deux systèmes de relations-S1
(Al,T1) et S2 (A2, T2) permettent de discerner quatre
« structures élémentaires ». Tout d’abord, dans une citation,
on peut ne pas citer l'Auteur – et à la limite, il n’y a pas
d'auteur, ce qui s'écrit T1-T2 (régime du symbole) ; par
exemple : les vérités proverbiales : je les répète, sans savoir
d'où elles viennent. On peut au contraire, faire référence à
l'Auteur – citer son nom, l'invoquer, par exemple, dans une
thèse où l’impétrant s'efface devant son objet : c'est la citation
indicielle (A1-T2). Mais, en dernier ressort, l'auteur citant peut
lui aussi se manifester, intervenir comme tel, et A.
Compagnon distingue alors, sous forme d'équations, quatre
variétés, où la relation imiterait et s'approprierait les
caractères de l'objet, par similarité : S1 (Al, T1)-A2 (l'icône) ;
T1-A2 (le diagramme) ; A1-A2 (l'image) ; enfin : S1-S2 :
(amalgame déconcertant, a-sémantique : une tache, un cri...).
27 La troisième partie de l’ouvrage illustre ces axiomes dans une
perspective diachronique. Elle propose une intéressante
"généalogie" de la citation en tant que pratique
institutionnelle, depuis la rhétorique ancienne où A.
Compagnon étudie les connotations de mimesis, de sententio
et d'imitatio chez les Anciens ; il passe ensuite à la tradition
scolastique, fondée sur l'auctoritas, puis à la glose patristique
proliférant autour de la Bible, le Texte sacré. Enfin,
l'avènement de la citation moderne au XVIe siècle est liée aux
possibilités nouvelles de l'imprimerie : apparition des
guillemets, indices typographiques qui permettent d'isoler la
citation et qui deviendront les futurs garants de la propriété
littéraire. Pour comprendre les pratiques de la citation à une
époque-charnière, le XVIe siècle, A. Compagnon prend en
compte un nouveau contexte culturel, le retour aux sources
des Humanistes contre la tradition scolastique. Il analyse aussi
le rapport ambigu de Montaigne à la citation : dans les Essais,
elle n'est plus "indice" mais "icône", dans la mesure où s'y
projette la figure de l'auteur, sujet et objet du discours – et non
plus le texte ou l'auteur cité comme dans la tradition
scolastique ; le véritable enjeu de la citation devient alors
l'expression du moi, par de prudents et savants détours. Cet
effet de miroir préfigure les usages citationnels de la
littérature moderne.
28 La quatrième et dernière partie de l'ouvrage analyse une
"tératologie" de la citation : des anomalies, des symptômes et
des leurres rendent les quatre catégories initiales moins
opératoires chez les Modernes (fin XIXe-XXe siècle). Flaubert,
Mallarmé, Joyce, Aragon et Borgès instruisent ce procès des
pratiques naïves de la citation. Deux principaux effets de
brouillage sont envisagés : la substitution du "sériel" au
structural qui vise à contester la distinction entre la copie et
l'original ; la "maculature", où la densité citationnelle est
comparée à un univers en expansion, à un agencement
complexe de strates, de plans ou de volumes.
29 Après avoir récapitulé ces conclusions historico-évolutives, il
faut peut-être en revenir au fondement de l’édifice : la
définition de la citation. Dès la première partie, A. Compagnon
se propose de considérer la citation au sens large comme « la
forme simple d'une relation interdiscursive de répétition »38 :
la rigueur de cette formulation est empruntée aux théories de
la linguistique (et elle rappelle le concept d'isotopie, la
réitération d'une unité linguistique, dont se servait Michel
Arrivé). L'auteur de La Seconde Main reproche en effet aux
dictionnaires de définir la citation comme un « passage
rapporté d'un auteur ou d'un personnage célèbre », de sorte
qu'ils "canonisent" un produit fini39, figé : ils occultent une
dimension importante, l'acte même de citer. Or, si l'on
considère la définition proposée par A. Compagnon, la
présence des guillemets ne semble pas nécessaire, d'autant
que la troisième partie de l'ouvrage nous rappelle que cette
convention a été ignorée jusqu'aux débuts de l'imprimerie. Ce
signe typographique ne constituerait donc qu'un indice
accessoire. Dès lors, le risque est ici de perdre la distinction
élémentaire qui s'établit pourtant, dans l'usage actuel et
courant – depuis la reconnaissance du droit d'auteur –, entre
la citation et le plagiat. C'est peut-être aussi la tentation
secrète de l'essayiste, à en juger d'après le dernier chapitre, un
épilogue narratif.
30 Une autre objection, plus conséquente, pourrait être
également soulevée : la citation étant définie comme « relation
interdiscursive de répétition », elle inclut le discours rapporté,
au style direct, indirect ou indirect libre, à l'écrit comme à
l'oral (c'est là aussi une ambiguïté déjà inscrite dans la notion
de dialogisme chez Bakhtine). Ainsi, par exemple, La
Recherche du temps perdu : quand Mme Verdurin cite Swann,
il ne s’agit pas d’un phénomène de l'intertextualité, mais d'un
exemple de discours rapporté40. Mémorables ou anecdotiques,
les expressions d'un personnage peuvent en effet être "citées"
par le narrateur ou d'autres personnages. Mais ces citations
intradiégétiques ne transitent pas par des énoncés extérieurs
à l'univers fictionnel de ce texte. En fait, les traces écrites de
cette interdiscursivité ne se présentent pas à la lecture de
l'univers romanesque comme des emprunts explicitement
attestés, même si elles correspondent sans doute en partie à
des propos de salon réellement entendus par Proust, à des
sources biographiques utilisées par l’auteur. Une définition
aussi large de la citation finit par déborder tout le champ
notionnel de l'intertextualité où nous avions initialement situé
la citation. C'est le dialogisme bakhtinien lui-même qui
expliquerait cette extrapolation : si toute activité verbale
évoque la trace omniprésente des discours antérieurs, le "déjà
dit" semble orienter tout acte d'énonciation vers la réitération.
Au contraire, si l'intertextualité est définie comme une activité
d'écriture et de lecture qui implique la transformation
d'allusions et d’emprunts à des textes antérieurs, elle apparaît
comme plus restrictive.
31 Enfin, il est permis d'établir une autre distinction entre
certaines pratiques sociales de la citation et les phénomènes
de l'intertextualité : lorsqu'une citation, nous dit A.
Compagnon, a l'insigne honneur d'être gravée « sur le
piédestal des statues »41 ou au fronton des monuments, il nous
paraît difficile, dans ce cas particulier, de considérer qu'il
s’agit encore d'intertextualité dans la mesure où son support
matériel l'isole de son domaine originel, celui des autres textes
ou des discours. Elle est extraite de son contexte initial pour
s'inscrire sur un support hétérogène. Mais A. Compagnon
aurait pu aussi bien mentionner d'autres formes d'inscription
citationnelle comme le graffiti anonyme, le tag – pratiques
moins nobles mais plus modernes – et pourquoi pas, dans un
sens également trivial, la poétique de la réclame ? (On sait que
l'affiche publicitaire joue souvent sur la réitération, et se
présente comme un palimpseste d'énoncés interdiscursifs)...
Dès lors, et pour se limiter aux citations insérées dans des
œuvres de sculpture et d'architecture, il n'y a plus
permutation, "transformation", assimilation réciproque des
textes ou des discours, mais plutôt séparation, hiatus, entre le
point d'origine et le point d'aboutissement.
32 Gérard Genette, dans Palimpsestes, La Littérature au second
degré (1982) va délimiter avec précision le domaine de
l'intertextualité et le situer par rapport aux autres concepts
théoriques dont il est l'inventeur. (Rappelons aussi qu'en 1966,
parallèlement au concept de J. Kristeva, son article intitulé
"Proust palimpseste" annonçait déjà cette métaphore de
l'écriture)42. Quinze ans après, dans Palimpsestes, plus
systématiquement, il confère à la poétique cm objet, la
"transtextualité", c'est-à-dire les catégories et relations
"transcendantes" dont relèvent les textes. La première est
l’intertextualité proprement dite, cette fois définie
d'une manière sans doute restrictive, par une relation de
coprésence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire [...] par
la présence effective d'un texte dans un autre. Sous sa forme la
plus explicite et la plus littérale, c'est la pratique traditionnelle
de la citation (avec guillemets, avec ou sans référence précise) ;
sous une forme moins explicite et moins canonique, celle du
plagiat (chez Lautréamont, par exemple), qui est un emprunt
non déclaré, mais encore littéral ; sous une forme moins
explicite et moins littérale, celle de l'allusion, c'est-à-dire d'un
énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d'un
rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement
telle ou telle de ses inflexions, autrement non recevable[...]. Cet
état implicite (et parfois tout hypothétique) de l'intertexte est
depuis quelques années le champ d'étude privilégié de Michael
Riffaterre [...]43.

33 Annick Bouillaguet a proposé en 1989 un tableau de ces


modalités strictement intertextuelles selon Genette ; elle leur
ajoute une quatrième forme à la fois explicite et non littérale,
la "référence"44.
34 Le second type de "transtextualité" est formé par le
"paratexte" que Genette étudiera en détail dans Seuils en 1987
(la périphérie, l'environnement, les seuils du texte : titres,
préfaces, épigraphes, notes...). Le troisième est la relation
métatextuelle, le commentaire « qui unit un texte à un autre
texte dont il parle [...]. C'est, par excellence, la relation
critique45 ». Le quatrième type, le plus abstrait et le plus
implicite, est l’architextualité – l'appartenance du texte à un
genre, à des codes littéraires qui déterminent l'horizon
d'attente du lecteur. Quant au dernier type de transtextualité,
auquel Genette va consacrer tout le reste de son ouvrage, il
s’agit de l'hypertextualité :
« J'entends par là toute relation unissant un texte B (que
j'appellerai hypertexte) à un texte antérieur A (que j'appellerai,
bien sûr, hypotexte) sur lequel il se greffe d'une manière qui
n'est pas celle du commentaire »46.

35 Le décodage intertextuel de l’hypogramme selon Riffaterre est


conçu différemment :
J'appelle donc hypertexte tout texte dérivé d'un texte antérieur
par transformation simple (nous dirons désormais
transformation tout court) ou par transformation indirecte :
nous dirons imitation47.

36 Avant d'étudier en détail l'hypertextualité, Genette prend le


soin de préciser que les cinq types fondamentaux de
transtextualité ne sont pas des catégories étanches : leurs
recoupements sont nombreux et souvent décisifs. Ainsi, le
genre d'un texte – son appartenance architextuelle – se
constitue sans doute par voie d'imitation (et donc par la
relation hypertextuelle) tout en se manifestant par des indices
paratextuels (au niveau du sous-titre, par exemple). En outre,
un "genre hypertextuel" comme le pastiche satirique a
souvent une valeur de commentaire critique. Quant au
commentaire critique, cette relation dite métatextuelle
s'accompagne souvent d'une pratique de la citation à des fins
démonstratives. Aux dernières lignes de Palimpsestes, Genette
aboutit à une vision saisissante de la transtextualité qui s'unit
à une apologie de la littérature au second degré :
Ainsi s'accomplit l'utopie borgesienne d'une Littérature en
transfusion perpétuelle – perfusion transtextuelle –,
constamment présente à elle-même dans sa totalité [...] et dont
tous les auteurs ne font qu'un, et dont tous les livres sont un
vaste Livre, un seul Livre infini. L'hypertextualité n'est qu'un
des noms de cette incessante circulation des textes sans quoi la
littérature ne vaudrait pas une heure de peine. Et quand je dis
une heure...48.

37 Mais si toutes les œuvres littéraires – dans leur contenu


fictionnel – sont hypertextuelles, « certaines le sont plus (ou
plus manifestement, massivement et explicitement) que
d'autres »49. Les autobiographies, les romans réalistes, parce
que leurs finalités sont moins représentatives, sont
délibérément écartés du champ de Palimpsestes. La première
partie de l'ouvrage commence par analyser les quatre genres
hypertextuels canoniques, bien que considérés comme des
genres mineurs : la parodie, le travestissement, la charge et le
pastiche (ce sont aussi des domaines auxquels Bakhtine s'était
déjà intéressé, mais ce rapprochement n'est pas signalé).
Genette critique la conception de Riffaterre parce qu'elle
conduit à « traquer dans n'importe quelle œuvre les échos
partiels, localisés, et fugitifs de n'importe quelle autre,
antérieure ou postérieure ». Se disant « brouillé depuis
longtemps et pour [s]on plus grand bien » avec
l'herméneutique (inter)textuelle, il considère « la relation
entre le texte et son lecteur de manière plus socialisée, plus
ouvertement contractuelle, comme relevant d'une
50
pragmatique consciente et organisée » .
38 Les apports de Palimpsestes sont considérables ; cette
exploration systématique a permis de défricher de vastes
territoires. Tout d'abord, dans les premiers chapitres, une
série de termes usuels est clarifiée à l'aide d'une distinction
rigoureuse entre deux types de transformation d'un texte
antérieur : d’une part, la parodie stricte, c'est-à-dire une
réécriture ludique, littérale et souvent minimale ; d'autre part
le travestissement burlesque, la transformation d'un sujet
noble à visée satirique et dégradante. Dès lors, ces deux
modalités peuvent être différenciées de deux registres voisins,
qui correspondent à deux types d'imitation stylistique : l'une
satirique – la charge ou le pastiche héroï-comique – et l'autre
le pastiche à visée ludique. De même, toute la dernière partie
de Palimpsestes consacrée au régime sérieux de
l'hypertextualité reprend cette dichotomie fondamentale des
deux types de relation hypertextuelle : l'imitation à des fins
sérieuses baptisée "forgerie" (continuations attestées ou
apocryphes) et la transformation sérieuse d'un sujet appelée
"transposition" (terme qui avait déjà été utilisé par J. Kristeva).
Cette ultime catégorie de la transposition correspond à un
champ extrêmement riche et varié de pratiques d'écriture ou
plus exactement de réécriture. En effet, elle regroupe : la
traduction ; la mise en prose et la mise en vers ; le passage
d'un genre à un autre (narrativisation quand le sujet d'une
pièce de théâtre devient un roman ou dramatisation quand, à
l'inverse, l'intrigue d'un roman est adaptée au théâtre) ; des
transformations quantitatives (contraction ou expansion du
texte antérieur) ; des transformations "qualitatives" qui
portent sur les techniques d'écriture, sur la signification
(diégétique, pragmatique et idéologique) de l'hypotexte ou
encore sur la démotivation, la transmotivation, la
dévalorisation ou la revalorisation de personnages ou de
situations. Genette s'efforce de dresser ici l'inventaire des
innombrables procédés de la transposition ; mais il n'analyse
pas dans quel contexte interviennent et quels effets de sens
produisent ces pratiques fort dissemblables, tantôt utilitaires
et tantôt créatrices, tantôt fidèles et tantôt infidèles à
l'hypotexte. Il y a peu de remarques générales, si ce n'est l'idée
d'une interversion des tonalités stylistiques : « à texte sérieux,
hypertexte ironique, à texte ironique, hypertexte sérieux »51.
39 En se réclamant d’un structuralisme "ouvert"52, Genette prend
en compte le déploiement des "pratiques mixtes", la gamme
des états intermédiaires en-deçà des dichotomies : la
"transtextualité" assure l'incessante circulation des catégories,
la variation graduelle des écarts par rapport aux définitions.
En outre, ce "structuralisme ouvert" fait valoir son goût des
bricolages ludiques à l'encontre des lois régulières des
systèmes ; il évite les pesanteurs de la théorie pour
promouvoir un jeu culturel d'une séduisante ingéniosité. Le
panorama des pratiques hypertextuelles est agrémenté par
l’humour de Genette qui suggère des exemples savoureux et
fantaisistes53. Tantôt l'auteur commente avec enjouement les
efforts malhabiles de certains écrivains54. Tantôt il utilise au
second degré les trouvailles du métalangage structuraliste
(ainsi l'idiolecte de Renan dont l'élément premier serait le
"renanème"55) ; à propos d'une distinction qu'il vient d'établir
entre "anachronisme" et "prochronisme", il précise entre
parenthèses : « je n'en demande pas vraiment tant ». Quand
l'intérêt du sujet lui paraît épuisé, il en informe le lecteur qui
l'a accompagné dans cette longue exploration des "contrées
hypertextuelles" : « il me semble que cela suffit »56 ou encore
« il sera alors temps de conclure et de ranger nos outils, car les
nuits sont fraîches en cette saison »57.
TABLEAU GÉNÉRAL DES PRATIQUES HYPERTEXTUELLES
(GENETTE, 1982)
IMITATION stylistique <--Relation
TRANSFORMATION d'un texte (Si nulle = la copie)
(Autre "sujet") Régime :
PASTICHE (chap. XIV-
PARODIE (chap. VIII-ΧΙ)
XXVI)
1-à transformation minimale
1-idiolectes d’auteur
Ex. : Chapelain décoiffé (Boileau, Racine...)
Ex. : L'Affaire Lemoine
Paraphrase parodique du Cid
(Proust)
2-Déformation de proverbes ; renversement peremptoire
2-transstylisation :
des aphorismes
Ex. Exercices de style
Ex : Poésies de Ducasse ; 152 Proverbes mis au gout du
(Queneau)
jour (Eluard & Peret)
3-Auto-pastiche
3-Calembours ou allusion parodique (Ex. certains titres)
volontaire ou non ludique
4-lipogramme transformationnel ?(p. 49-50) Ex. : Les
4-Cas-limite avec la
Chats de Baudelaire, réécrits sans "e" par G. Perec
"charge" :
Suggestion genettienne, à la manière de Perec :
Ex. : Les Déliquescences
L'Elision ? (Disparition du "a")
d'A. Floupette
5-"Traducson" : transcription homophone parodique
5-Cas-limite avec la
(p. 50)
charge : l'antiroman
6-Translation et permutation lexicale
(p. 168-175 ; chap. XXV)
Ex. : S+7 (Queneau, Oulipo). Un mot pour un autre (J.
Ex. : Don Quichotte
Tardieu)
(Cervantès)
CHARGE (chap. : idem)
1-pastiche satirique
TRAVESTISSEMENT BURLESQUE
Ex. : À la manière de...
(chap. ΧII-ΧΙII). Opte pour un style bas sans modifier le
(Reboux et Muller)
sujet. Rend "trivial" un texte généralement "noble" satirique
2-pastiche héroï-
Ex. : Virgile travesti (Scarron) = fonction dégradante de
comique :
cette reprise de l'Énéide.
Ex. :Batrachomyomachie
Le Lutrin (Boileau)
TRANSPOSITION (chap. XL-LXXX)
"La plus importante de toutes" (p. 237)
Très diverse. Utilitaire ou créative d'œuvres majeures et
complexes.
1-Traduction.
2-Transstylisation : mise en vers ; mise en prose (p. 244-
256) ; "rewriting" : correction/autocorrection
substitutives (p. 257-261) 3-Transformations purement
quantitatives : réduction (Ex. digest ; Borges et le pseudo-
résumé fictif : p. 263-
FORGERIE (chap. XXVII- 297)/augmentation/ajout/contamination/expansion
XXXIX) diégétiques (p. 298-311) Avec
1-Continuation attestée : démotivation/transmotivation ambigues (Ex. : Hérodias
proleptique ou de Flaubert (p. 314-323).
analeptique, elliptique, 4-Transmodalisation intermodale : "dramatisation" ou
paraliptique (p. 197) ; "narrativisation" (p. 324-330) (Ex. : Dr Faustus de Th.
fidèle/infidèle (p. 198) Mann) sérieux
Ex. : La Suite d'Homère 5-Transformations intramodales (Pour le mode narratif, (hommage)
(autres épopées de divers concernant la diégèse, la focalisation, la "voix narrative"
auteurs) (p. 330-(idéologique). Pour le mode dramatique : p. 339-
2-Apocryphe : 340.
Ex. : "La Chasse 6-Transposition sémantique (diégétique, pragmatique,
spirituelle" (Faux attribué idéologique)
à Rimbaud ?) Ex. : Vendredi ou les limbes du Pacifique (Tournier).
Amphytrion 38 (Giraudoux) Ulysse (Joyce) (p. 339-365).
Avec transmotivation ou (trans)valorisation (p. 372-432)
7-Cas particuliers : absence de modification littérale ou
formelle ? (p. 365-366 : Don Quichotte de P. Ménard
(Borges) ; p. 444-446 : « La Jalousie comme
transformation (maximale) de La Chanson de Roland » ?
Hypertextes à hypotexte inconnu : L'Iliade ? La Chanson
de Roland ? (p. 433) ; jeux sur hypotextes fictifs ?
(p. 435) ; transpositions d'art (peinture-musique) ? (ex.
l'Opéra ; p. 435-443)

40 Les nomenclatures, les tableaux que Genette propose pour


inventorier tous les éléments constitutifs sont dignes d'un
Mendeleïv de la poétique ; le domaine des possibles tend à
être valorisé par rapport à leur actualisation ; l'existence
provisoire d'une case vide démontre le primat de l'hypothèse,
l'avancée autonome de la théorie avant sa confirmation
empirique... Mais un échange dialectique s'opère lorsque la
recherche d'un ou plusieurs exemple(s) fait surgir des types
mixtes et des superpositions d'un concept à l'autre ; ou
lorsque la masse des faits, la surabondance des procédés à
décrire donnent lieu à un catalogue d'une richesse
inépuisable, comme c'est le cas dans les derniers chapitres de
l'ouvrage.
41 Certaines questions demeurent ouvertes, dans la mesure où
les rapports entre l'hypertextualité et l'intertextualité n'ont
pas été envisagés. Les distinctions établies peuvent conduire à
méconnaître leurs parentés fonctionnelles. En effet, puisque
l'intertextualité est redéfinie par la co-présence du texte A
dans le texte B (relation in praesentia), l'hypertextualité, qui
consiste à établir une relation différée entre l'hypotexte (texte
A antérieur) et son hypertexte (texte B ultérieur), se présente
symétriquement comme une variante in absentia de
l'intertextualité. De fait, selon leur contexte, la citation (avec
ou sans référence), l'allusion, le plagiat – ces formes de
l'intertextualité selon Genette – peuvent aussi être produites
selon un régime ludique, satirique ou sérieux, tout comme les
pratiques hypertextuelles. Ajoutons que la parodie stricte se
rapproche d'une quasi-citation doublée d'une allusion.
42 Nous avons résumé les recoupements mentionnés entre les
relations transtextuelles dans le premier chapitre de
Palimpsestes ; mais aucun exemple de cas-limite n’assure
explicitement la transition entre l'hypertextualité et
l'intertextualité. Or, un exemple permet de vérifier que
l'intertexte et l'hypotexte peuvent coexister : À rebours de
Huysmans contient à la fois un (ou des) pastiche(s) de
Baudelaire – pratique hypertextuelle – et des citations de
Baudelaire – pratique intertextuelle. La pression des exemples
a une valeur heuristique lorsque des distinctions
extrêmement pertinentes en principe s’avèrent n’être plus
isolables en pratique à l'analyse d’un texte. Les écrivains
parcourent en tous sens les labyrinthes de la "littérature au
second degré" – par exemple au XXe siècle Aragon, Joyce,
Borges, Butor, Umberto Eco... – et l'on serait bien en peine de
classer leurs jeux vertigineux dans une relation transparente,
constante et unilatérale comme la parodie ou un type de
transposition.
43 Genette met l'accent sur la valeur opératoire de la dualité qu'il
établit entre L'imitation" d'un style et la "transformation" d'un
sujet. Si efficace soit-elle, cette opposition binaire pourrait
néanmoins être interprétée comme le retour ou la
permanence indésirable d'une opposition schématique entre
forme et contenu : peut-être aurait-il été opportun à des fins
didactiques de s’en démarquer pour éviter quelques
malentendus ou contre-sens. Alors que les corrélations entre
"intertextualité" et "hypertextualité" ne sont pas envisagées,
Genette reconnaît l’existence de pratiques mixtes entre
l'imitation et la transformation : « un même hypertexte peut à
la fois [...] transformer un hypotexte et en imiter un autre. [...]
On peut même à la fois transformer et imiter le même
texte »58. Mais implicitement la porosité admise des catégories
sous la pression des cas-limites affaiblit la pertinence de toute
dichotomie conceptuelle.
44 D’autres types de rapports, en dehors de l'imitation et/ou la
transformation, ne peuvent-ils pas s'instaurer entre
l'hypotexte et l'hypertexte ? À cet égard, il est permis de
regretter les effets de la coupure épistémologique que Genette
établit dans Palimpsestes entre la "poétique" et
"l'herméneutique". Cette commodité est garante de la rigueur
mais elle a aussi ses limites et sa contrepartie dans la mesure
où l'imitation ou la transformation peuvent renvoyer à des
enjeux mimétiques, critiques, polémiques, et plus
généralement à des intentions pragmatiques bien réelles – au
premier degré – et non seulement à des critères stylistiques
préexistants comme le sérieux, le ludique ou le satirique...
Pour reprendre l'exemple d'À rebours, l'imitation et la
transposition de Baudelaire correspondent à la fois à des
affinités d'ordre fantasmatique et à un positionnement
critique dans le champ littéraire, à un signe de rupture par
rapport aux prescriptions du roman naturaliste.
45 En fait, le théoricien de Palimpsestes se propose de décrire
objectivement, de l'extérieur, des procédés de fabrication. À la
fin de Figures III (1972), Genette admettait déjà que son
vocabulaire théorique relevait de catégories étrangères aux
"idées de l'auteur" : « la conscience esthétique d'un artiste [...]
n'est pour ainsi dire jamais au niveau de sa pratique [...] »59. Il
appartient selon lui à la poétique littéraire de produire des
avancées scientifiques, des instruments valables pour lire les
œuvres. De même, cette théorie de l'hypertextualité ne prend
pas en compte les intentions de l'auteur dans un contexte
d'écriture. Par là même, elle évite une difficulté intéressante :
les représentations subjectives de l’hypertextualité, les
présupposés de l'imitation-transformation. En effet, il faudrait
peut-être analyser le discours de l'auteur, non plus pour s’y
référer comme s’il s'agissait d'une vérité indépassable, mais
pour se livrer à une évaluation pragmatique des contraintes,
des possibles, des contradictions spécifiques qu'il rencontre.
L'étude du métatexte et du paratexte pourraient affecter la
structure de ce champ de l'hypertextualité et l'orienter vers
d’autres perspectives que le clivage fondamental entre
"imitation" d'un style et "transformation" du sujet. Ainsi, pour
étudier la réécriture de Fénelon dans Les Aventures de
Télémaque, il importe de décrypter les effets de sens de l'auto-
commentaire aragonien qui place constamment l'écriture
romanesque dans le miroir de la lecture et de la réécriture
critiques ; des rapprochements s'établissent avec la
problématique des "incipit"60 et des "collages"61.
46 Enfin, Palimpsestes isole son objet, la littérarité d’une
littérature au second degré qui apparaît comme une entité
indépendante du monde extérieur, au détriment de cas
hybrides et plus complexes. Restons dans le domaine
aragonien : le "mentir-vrai" consiste très largement à
détourner à des fins de dévoilement autobiographique des
citations ou des allusions littéraires, tout autant que divers
hypotextes, par réécriture et transposition de situations
reprises à d’autres œuvres : « Est-ce que tu comprends que
pour te retrouver, pour t'atteindre [...] je ne pouvais imaginer
rien d'autre que le monde tel qu'il est, le terrible monde réel
où je retrouve entrée par le chemin des fables, Luna-Park ou
Hyperion... »62. Cet exemple incite à contester le principe d'une
séparation entre la littérature au second degré et le référent
extérieur : la première est ici un biais pour accéder à l'autre.
Ainsi, les romans réalistes ou autobiographiques peuvent
utiliser de manière très active et intensive les opérations
hypertextuelles. A. Compagnon l'indiquait déjà à propos de la
relation "iconique" entre texte cité et texte citant : elle peut
être motivée par un effet de miroir, une analogie avec le
discours personnel de l'auteur et son autobiographie
d'écrivain. Il en est de même, dans certains cas, des relations
hypertextuelles entre le texte B (l'hypotexte) et le texte A
(l'hypertexte).
47 Par ailleurs, il faut peut-être aussi commenter certains termes
utilisés par les écrivains eux-mêmes pour définir leur relation
à l’écriture. Si le même Aragon renoue avec l'imitatio dans les
années 40, il a également, dès les premières armées 20,
cherché à transposer le collage dans l’écriture – en jouant de
ce désordre, de ce puzzle créateur souvent aléatoire,
ostensible et déconcertant ; point de départ délibéré ou point
de rencontre énigmatique avec des significations nouvelles,
cette pratique relève peut-être d'autres instruments d'analyse
que ceux de Genette. Les théories de l'intertextualité ne
devraient pas occulter l'initiative qui revient souvent aux
écrivains eux-mêmes et en ce sens les travaux critiques
peuvent aussi contribuer à approfondir les efforts de la
théorisation. Au lieu d'inventer de nouveaux concepts, il n'est
pas sans intérêt d'analyser les termes de prédilection qu'un
écrivain a employés pour décrire les phénomènes de
l'intertextualité, non seulement dans le paratexte mais aussi
dans le texte (autobiographique, fictionnel, poétique). Même
s’ils sont discutables au regard du métalangage théorique, s'ils
manquent de rigueur terminologique, certains déplacements
de sens méritent une étude attentive dans la mesure où
l'idiolecte de l’auteur fait connaître une relation particulière à
l'écriture comme réécriture63. Les chercheurs peuvent à la fois
resituer une trouvaille dans son contexte historique et la
réinterpréter par analogie.
48 Ainsi, Francis Goyet a discuté la définition de l'intertextualité
par Riffaterre d'un point de vue empirique : en effet, dans un
article de 1987, il établit des différences entre "imitatio" et
"intertextualité" (sous-titre : "Riffaterre revisited") au profit du
premier terme, l'imitatio, dont la pratique lui paraît plus
souple et l'analyse mieux appropriée à des cas particuliers. Si
tout texte est défini comme un intertexte, rien n'échappe à
l'intertextualité : cette tendance à la généralisation, à
l'abstraction comporte un risque de dogmatisme64. En
particulier, Riffaterre ne permet pas de distinguer entre la
citation – allusion in praesentia – et l'allusion, qui, jusqu'au
XVIIe siècle, connotait le jeu sur le signifiant : si l'intertexte
est, chez Riffaterre, caché, implicite, c'est à la fois une source
et une allusion in absentia. Or, il existe deux régimes possibles
de ce procédé utilisé dans l'imitatio antique : l'allusion vive et
l'allusion morte – cette dernière serait rendue délibérément
imperceptible, en l’absence de traces, de références
repérables – cette figure invisible et perverse, compte sur
l'inculture du lecteur. Les Anciens et les Classiques, quand ils
prônaient l'imitatio, étaient plus sages, car ils ne posaient pas
une loi de facto, une norme "herméneutique" : ils adressaient
aux seuls écrivains – et non aux lecteurs plus ou moins érudits
– un bon conseil, celui de décalquer, de réemployer les
modèles antiques. Par conséquent, la tradition de l'imitatio
n’oblige pas le lecteur à reconnaître les sources : au contraire,
Érasme souhaitait que son lecteur n'identifie pas telle ou telle
allusion à Lucain, pour ne pas "contaminer le texte d'un sens
parasite". Dès lors, paradoxalement, une prudente abstention
serait parfois recommandée, et, en tout cas, appliquée par les
auteurs, par opposition à cet "autoritarisme de la lecture
intertextuelle" chez Riffaterre. D'où ce diagnostic, en
conclusion :
Tout se passe comme si la vieille critique de sources, de
modeste et utile qu'elle est, s'était enhardie à passer pour une
théorie générale de l’écriture et de la lecture. Une telle
prétention à l'universel me paraît venir d'une analogie
trompeuse avec la linguistique. [...]. Que la phrase source
permette de "décoder" la phrase nouvelle, soit. Mais, par
analogie avec le code linguistique, qui s'impose effectivement à
tout sujet parlant, on en a déduit un peu vite que le code
culturel ou littéraire s'imposait à tous. L'idée plaît aux
professeurs, mais elle semble passablement irréaliste, ou
idéaliste65.

49 Cette réflexion critique tend à soumettre l'intertextualité à


l'historicité des pratiques et à des cas particuliers de la
réception ; elle se propose aussi de valoriser les connotations
de l'imitatio par rapport au concept d’intertextualité. La
notion de "collage" a également fait l'objet de travaux
parallèles à l'intertextualité. Par exemple, dans "Le pagure de
la modernité", Henri Behar insiste sur l'invention "dadaïste"
du collage, « procédé terroriste s'il en est », qui « participe
d'une crise de l’esprit particulièrement sensible à l'époque de
référence. »66 Toutefois, il situe le collage parmi les opérations
intertextuelles : dans un tableau qui reprend les six fonctions
du langage selon Jakobson, il assigne au collage la
perturbation du code métalinguistique67. Plus encore, la Revue
d'Esthétique a consacré dès 1978 un numéro spécial au
"collage" ; dans un avant-propos, le groupe "μ" précise que
cette "rupture" par rapport aux codes dominants « tendrait
nécessairement vers une limite ». (Ce constat pourrait être
rapproché de la réflexion développée par Umberto Eco sur la
sémiotique) :
Le sentiment que l'art a exploré tous les possibles en même
temps qu'il est concurrencé par une culture cumulative et
pléthorique, stimule une poétique de la copie où entrent à la
fois du refus et de l'impuissance, de l'ironie et de la révérence
(qui est aussi référence).

50 Malgré cette ambiguïté constitutive, les auteurs soulignent


que le collage est sans doute une contre-rhétorique qui donne
la priorité à la "dispositio" sur "l'inventio". Cette « nouvelle
poétique se libère d'une technique expressive et imitatrice »
pour insister sur le « traitement d'une combinatoire qui se
définit par sa qualité heuristique. » À cet égard, là encore, « le
collage et son bricolage fonctionnent comme jeu » (l'analyse
de la citation chez Compagnon et de l’hypertextualité chez
Genette invoque les mêmes arguments du jeu et du bricolage).
Ici, ils sont valorisés pour leur effet de modernité :
Si l'on considère à présent les éléments hybrides qui entrent
dans la composition des collages, on note qu'ils engagent de
façon particulièrement marquée [...] ce type de poétique
moderne qui se reconnaît dans des notions comme celles
d'œuvre ouverte ou de texte pluriel. [...] Chaque élément citatif
brise la continuité ou la linéarité du discours et convie
nécessairement à une double lecture : celle du fragment perçu
par rapport à son texte d'origine, celle du fragment comme
s'incorporant à un nouvel ensemble, à une totalité différente.
La ruse du collage consiste aussi à ne jamais supprimer
l'altérité des éléments réunis dans une composition
momentanée. Ainsi l'art du collage s'avère comme une des
stratégies les plus efficaces dans la remise en cause de toutes
les illusions de la représentation68.

51 Les articles réunis à la suite étudient essentiellement le


découpage-montage de ces "messages préformés" : soit par
isotopie (ou ressemblance) ; soit par allotopie (ou
dissemblance, hétérogénéité) ; soit par l'effet du hasard et de
l'automatisme verbal, chez les surréalistes (par coïncidence,
ou par surimpression, donc palimpseste...). Genette
envisagerait peut-être sous l'angle satirique les rapports
dialectiques entre le texte-source et le texte-récepteur ; mais la
notion classique de satirique n'est pas nécessairement
pertinente ici.
52 Les travaux critiques s'aventurent souvent au-delà du
concept ; ils échappent aux limites des exemples disparates et
purement illustratifs de la poétique générale. Au lieu de forger
une théorie générale, ils explorent des modes d'individuation
des pratiques de l'intertextualité. Ce n'est plus la rigueur dans
la terminologie qu'ils cherchent à instaurer, mais
l'approfondissement des valeurs personnelles ou culturelles.
Sans doute certains écrivains se prêtent-ils mieux que d'autres
à cette cette perspective de recherche : par exemple,
"l'apologie de l'influence" chez André Gide69 ; le
"détournement des sources" chez Valery Larbaud70...
Proclamant que tout est citation et qu’"il n’y a pas d'œuvre
individuelle", Michel Butor pratique lui aussi très
consciemment une "intertextualité généralisée". Les
dispositifs typographiques, les stratifications matérielles d'une
écriture polyphonique et stéréophonique, la transgression des
frontières entre les arts (collages de peinture ou de
photographie, modèles musicaux de la fugue, récitatifs et
polyphonie) mettent en cause le code narratif linéaire, de type
logico-chronologique71. Plus généralement, le Nouveau Roman
et l'Oulipo ont procédé à des expérimentations systématiques
de l'intertextualité (et de l’hypertextualité) : le pullulement des
emprunts textuels, leur combinatoire, leurs manipulations
investissent et saturent l'activité créatrice de connotations
variées : bricolage ludique, jeux de dérive, d'osmose, vertige et
dissolution du sujet écrivant, selon la conception kristevienne,
formulée dans la même période. Ces courants de la modernité
rapprochent aussi "l'intertextualité" de "l'entre-deux" du sens,
de l'"incertitude" des signes et des sources d'énonciation dont
les enjeux et les modalités paraissent irréductibles à une
opposition binaire comme imitation/transformation.
53 Mais les relations subjectives aux pratiques de l'intertextualité
peuvent aussi s'apparenter au travail du rêve : projection,
transfert, détournement, condensation, déplacement, etc72. Ce
rapprochement entre l'activité d'écriture et l'interprétation
des effets de sens diffère à l'évidence des corrélations
transtextuelles envisagées par Genette. Plus généralement, les
premières études consacrées aux aspects psychanalytiques de
l'intertextualité se situent dans les marges du concept (selon
Freud, un fantasme peut se réitérer dans une œuvre d'art ;
l'inconscient peut investir et transformer les traces des
réminiscences littéraires). En 1973, Harold Bloom montre
qu'un poète ne devient "original" qu’après avoir surmonté son
"angoisse de l’influence" (The Anxiety of influence) ; L. Jenny,
dans un article déjà commenté sur l'intertextualité, rend
compte en ces termes de cette réflexion : tantôt le nouvel
écrivain
prolonge l'œuvre du précurseur tout en l'infléchissant vers le
point ou elle aurait dû aboutir (clinamen), tantôt il s'agit
d'inventer un nouveau fragment qui va permettre de
considérer l'œuvre du précurseur comme un nouvel ensemble
(Tessera), tantôt on s’efforce de rompre radicalement avec le
père (Kenosis), à moins qu'on ne se purge de l’héritage
imaginatif qu'on peut avoir en commun avec lui (Askesis), ou
qu'on ne s'efforce de créer une œuvre qui paradoxalement
paraîtra point d'origine et non conséquence de l'œuvre
antécédente (Apophrades)73.

54 Est-ce uniquement lors de la formation de l'écrivain que surgit


l’essence de ce conflit dramatique ? Il nous semble qu'une
variante de cette crise peut se réitérer à chaque nouveau
projet d'écriture au moment où se fait le partage entre un
héritage "stérilisant" (les topoi, les conventions à éviter,
l'imitation comme obstacle) et les bénéfices de
l'intertextualité, de l'intratextualité, ou de l'hypertextualité ;
les rencontres avec d’autres livres, les trouvailles directement
issues de ce contact, les médiations du discours d'autrui dans
une pratique d’écriture en devenir ne sont pas incompatibles
avec le rôle structurant de l'auto-référence dans un itinéraire
personnel.
55 Michel Schneider, dans Voleurs de mots : essai sur le plagiat
(1985)74, a également déchiffré ces enjeux. Mais le terme
d”intertextualité est ici qualifié d'euphémisme disgracieux ;
tenu à distance, placé entre guillemets, il n'est employé que
pour caractériser une permissivité très vingtièmiste envers les
jeux de la réécriture et du détournement des sources. En effet,
il est interprété comme le symptôme de l'indulgence dont
bénéficie à notre époque la tentation du plagiat (succès du
pastiche ou refus de l'Auteur au profit d'un pluriel de textes
mixtes, indifférenciés). M. Schneider préfère lui substituer
d'autres trouvailles, avec un indéniable bonheur
d'expression : un texte pour l'autre (pour désigner le plagiat),
un texte sous l'autre (pour désigner le palimpseste), un texte
comme l'autre (pour désigner le pastiche). Le propos est
orienté vers la psychanalyse, pour saisir les rapports
constitutifs du moi et de l'autre dans l'activité de lecture-
écriture. Dès lors, la distinction entre la citation et le plagiat
qu'A. Compagnon avait laissée à l'arrière-plan revêt une
importance capitale, puisqu’elle permet de comprendre les
incidences psychopathologiques du mimétisme inconscient de
nos lectures antérieures, et de nos comportements devant la
Loi, l'interdit que fonde l'existence de la propriété littéraire.
56 Une première partie est consacrée à la littérature ; l'autre, aux
démêlés entre Freud et ses disciples, pour la paternité des
concepts. L'emprunt, la reprise, le ressassement sont
envisagés à travers l'imaginaire de la transgression (chez le
plagiaire) ou de la mélancolie (chez le compilateur
scrupuleux). Annick Bouillaguet approfondit ces hypothèses à
propos de Proust qui a évoqué l'agrément et le rôle formateur
des "journées de lecture". Elle associe les pratiques
"polymorphes" de l’intertextualité chez cet écrivain au
bénéfice de plaisir et à l'humour. Proust a, on le sait, un réel
talent pour le pastiche, il manifeste aussi une extrême
prédilection dans l'écriture pour les références aux arts ; il
cultive les citations collectionnées et reprises de manière
littérale (exacte) ou déformée (adaptée, détournée), les
allusions qui jouent sur le non dit et suscitent la connivence.
Mais ces gratifications d'ordre esthétique et poétique
n'excluent pas une angoisse de la répétition, facteur de
créativité, depuis les ébauches jusqu'à la rédaction de
Recherche, dans la mesure où l'écrivain en gestation désire
sans doute, de manière contradictoire, rendre hommage aux
maîtres qu'il admire en les imitant plutôt que de s'affranchir
de l'emprise fascinatrice qu'ils exercent sur lui. Une stratégie
fantasmatique paraît surdéterminer les objectifs de l’imitation
et de la transformation.

3. Bilan et perspectives
57 Malgré le foisonnement des publications, le domaine de
l'intertextualité est aujourd’hui soigneusement défriché et
balisé par des bibliographies et de substantielles études de
synthèse. Les théories de Kristeva, de Riffaterre, puis de
Genette ont rapidement essaimé dans d'innombrables articles,
ouvrages et des numéros spéciaux de revues (Poétique,
Littérature, Texte75). Parallèlement, les encyclopédies et les
ouvrages didactiques ont permis de répandre et d'officialiser
le néologisme. Ce nouvel outillage théorique n'aurait pu
s'imposer sans ce travail de diffusion et de vulgarisation qui,
en retour, tend à confirmer l'efficacité d'une méthode.
58 Le terme d’intertextualité introduit en 1966 par J. Kristeva est
repris dès 1968 dans la Théorie d’ensemble du Groupe Tel
Quel. En 1968 également, Barthes publie dans L’Encyclopedia
universalis un article sur "La Théorie du Texte" : très proche, à
cette date, des promoteurs du concept, il accorde une
attention bienveillante à "l'intertexte" et à d'autres hypothèses
qu'il reformule avec des qualités de style. Sa réputation
contribue à lancer un effet de mode, à cautionner ces
nouvelles théories auprès d'un public élargi. Barthes a pris
conscience des insuffisances de l'approche structurale de la
littérature. Au moment où il amorce le tournant de S/Z, son
intervention en faveur de l'intertextualité souligne que la
parole et le texte actualisent la langue dans un pluriel
irréductible d'indices énonciatifs :
Le texte redistribue la langue (il est le champ de cette
redistribution). L’une des voies de cette déconstruction-
reconstruction est de permuter des textes, des lambeaux de
textes qui ont existé ou existent autour du texte considéré, et
finalement en lui : tout texte est un intertexte [...]. [...]
L'intertextualité, condition de tout texte, quel qu'il soit, ne se
réduit évidemment pas à un problème de sources ou
d'influences ; l’intertexte est un champ général de formules
anonymes, dont l'origine est rarement repérable, de citations
inconscientes ou automatiques, données sans guillemets.
Épistémologiquement, le concept d'intertexte est ce qui
apporte à la théorie du texte le volume de la socialité : non
selon la voie d'une filiation repérable, d'une imitation
consciente, mais selon celle d'une dissémination [...]76.

59 Ici Barthes met l'origine mémorielle de l'intertextualité à


distance de quelques notions périmées de l'histoire littéraire
selon Lanson ("sources et influences"). Il en associe l'effet de
modernité à sa propre réflexion sur le stéréotype ("formules
anonymes [...] données sans guillemets ") et à l'apport des
théories de Derrida sur la dissémination. Il reprendra encore
dans les années 70, de manière discrète, allusive et
fragmentaire, cette problématique très générale du texte
comme intertexte.
60 Peu après, en 1972, la notion d'intertextualité entre dans le
Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage publié par
Wahl, Ducrot et Todorov77 ; en 1976, elle apparaît dans un
manuel destiné aux étudiants : Initiation aux méthodes de
l'analyse du discours, par Dominique Maingueneau.78. En 1983,
la revue canadienne Texte publie une bibliographie annotée
de 339 références, sans prétendre à l'exhaustivité. En outre,
elle se fait l'écho des polémiques suscitées par la fortune du
concept : dès les premières pages, après avoir mentionné une
étymologie latine et les traductions étrangères de cette notion,
Hans-George Ruprecht reproche à Barthes de l'avoir rendue
imprécise et « scientifiquement irrecevable »79. Loin d’être
séduit par la dissémination et la déconstruction, il cherche à
lui substituer des perspectives plus cohérentes qui se
rapportent à sa théorie des "formants" intertextuels. Il se
prononce en faveur des hypothèses historico-évolutives qui
permettront de construire une théorie sémiotique de la
lecture : il mentionne à cet égard l’utilité des travaux de
Riffaterre et du médiéviste Paul Zumthor, qui distingue entre
les "modèles préconstruits" de la tradition, et leurs éventuelles
variations. Cette revue publie aussi des réquisitoires dont
l’intertextualité semble n’être que l’occasion ou le prétexte :
d’une part, un affrontement entre Uri Eisenzweig et Michael
Riffaterre, puis entre Michael Holland et Jean Ricardou.
Eisenzweig, dans "Un concept plein d'intérêts", condamne ce
« privilège institutionnel » de l’érudition universitaire qui,
chez Riffaterre, confère les privilèges de la docte autorité à la
compétence intertextuelle. Michael Holland reproche à
Ricardou une théorisation "pathologique" de la textualité, qui
se couperait de la pratique ; la réponse comminatoire de ce
dernier s'intitule "Le Texte survit à l'excité". Un bilan
provisoire ne peut que souligner la variabilité de la notion,
chez les théoriciens et les vulgarisateurs ; en outre, le discours
des défenseurs et des détracteurs fait apparaître l'incidence
du contexte et des intentions extérieures à l'objet de la
connaissance.
61 Ces débats sur l'intertextualité révèlent les stratégies de
positionnement que provoquent l'impact et les enjeux d'un
nouveau concept. En 1983, Marc Angenot80 est le premier à
enquêter sur l'émergence et la diffusion du concept
d'intertextualité dans la critique universitaire. Il publie dans
cette perspective deux articles fort éclairants dont l'un figure
dans le numéro spécial de la revue Texte. Mais il s'intéresse
surtout à la portée épistémologique d'un secteur de
recherches en pleine expansion, et non aux malentendus, aux
petites querelles de chapelle qu'il peut susciter. En effet, selon
lui, c'est la notion d'intertextualité qui a entraîné un
dépassement critique du structuralisme. Au lieu de décrire
des systèmes très codifiés, des schémas fonctionnels, cette
nouvelle méthode d'analyse conduit à ouvrir des "réseaux de
connexions" qui mettent en évidence l'hétérogénéité des
matériaux prélevés à d'autres textes ; elle fait surgir des « faits
de discordance, de seuil [...] et de dissémination »81. Tout ce
« bricolage productif » aura permis de redécouvrir des
« formes négligées de la pratique littéraire qui s'appellent
plagiat, parodie, satire, montage, cut-ups, burlesque, collage,
doxographies, fragment. »82.
62 L'hostilité de Bakhtine envers l'"objectivisme abstrait" des
formalistes tend à corroborer aussi cette hypothèse. Mais par
ailleurs cette visée profondément novatrice n'a pas été
pleinement assumée comme telle ; Marc Angenot relève très
justement des survivances, des « fétiches » du structuralisme
dans la terminologie des théoriciens de l'intertextualité : le
"dispositif" et le "champ" intertextuels, le Texte comme totalité
immanente et la référence aux codes linguistiques,
sémiotiques...Car, nous l'avons vu, les divergences sont
faiblement marquées dans les premières approches de
l'intertextualité (de 1966 à 1976) ; tout l'appareil conceptuel de
la linguistique servait de cadre. Il est permis, dès lors, de
relever cet apparent paradoxe : avant que la dynamique de ce
nouveau champ notionnel n'ait pu désactiver le "noyau dur"
du structuralisme, des rapprochements sont attestés avec ce
courant de pensée ; ils ont même été proposés par les
théoriciens et revendiqués sur le plan méthodologique, si l'on
en juge par les sources de la réflexion de Julia Kristeva et de
Michel Arrivé. En revanche, quinze ans plus tard, à
l'ouverture d’un colloque international dont les Actes, publiés
en 1986 sous le titre Le Plaisir de l'intertexte, rendent
hommage à Barthes, Michel Arrivé renonce à faire le compte-
rendu inaugural des travaux récents sur l'intertextualité que
les organisateurs attendaient de lui ; il estime que les
publications sont trop nombreuses et trop diverses :
On l'a compris : sauf à entrer dans d'infinis détails, ou à se
contenter d'approximations, il était impossible, ici, de procéder
à une synthèse. Je me contenterai de renvoyer à deux auteurs
qui, plus téméraires que moi, ont osé cet exercice [...] j'entends
Marc Angenot[...] et H.-G. Ruprecht [...].
La synthèse d’ensemble exclue, restait une autre possibilité :
une mise au point terminologique. J'ai essayé. Et j'ai renoncé.
Parce que je rencontrais, au niveau de la terminologie, les
problèmes insurmontables que j'avais préalablement
rencontrées. Ce n’est un mystère pour personne que les mots
intertexte et intertextualité prennent des sens différents selon
les contextes théoriques dans lesquels ils interviennent. Et
d'un autre côté, on a vu fleurir, sur le modèle d'intertextualité,
une foule de néologismes. D'abord par mutation du préfixe :
Genette a introduit 'paratextualité', 'métatextualité',
'hypertextualité', 'architextualité'. Mais on trouve
aussi'autotextualité', 'bibliotextualité', 'catatextualité',
'épitextualité', 'extra'- et 'intratextualité', 'hétéro'- et
'homotextualité', 'hypotextualité', 'mimotextualité',
'péritextualité', 'transtextualité', etc. – chacune de ces
formations ayant leurs équivalents en -texte et -textuel. Après
la mutation du préfixe, sa combinaison avec d'autres : on
observe alors 'intraintertextualité', 'intermimotextualité', et
même – je n’invente rien – 'inter-intermimotextualité'83.

63 Ce pionnier de l'intertextualité semble être passé de


l’enthousiasme à la désillusion. Prudent, mais sceptique, il
condamne l'abus de nouveaux gadgets conceptuels chez les
émules de Genette et de Ricardou. Au-delà même de cet
exemple, il faudrait peut-être nuancer sur quelques points
l'hypothèse de Marc Angenot sur le clivage : 1) certains
chercheurs se sont représentés ou se représentent encore les
pratiques intertextuelles comme des assemblages formels, un
système de similitudes ou d'oppositions signifiantes. Cette
"topologie" immanente s’inscrit dans le prolongement direct
du structuralisme. L'analyse des indices de l'intertextualité
consiste à dresser un tableau quantitatif des occurrences
distribuées dans le texte, à y repérer des effets de rime ou
l'emploi des six fonctions du langage chez Jakobson ; 2) les
travaux sur l'intertextualité, anciens ou plus récents, ne
critiquent pas nécessairement les limites du structuralisme et
du formalisme à partir des hypothèses de travail décrites par
M. Angenot ; ils ouvrent aussi sur d'autres enjeux.
L'intertextualité a été partagée et reconstruite selon diverses
orientations. Nous en voulons pour preuve les dictionnaires et
manuels méthodologiques destinés, ces dernières années, aux
étudiants de lettres : leurs notices sur l'intertextualité
résument les définitions successives (ou certaines d'entre
elles) ; elles intègrent parfois en dernier lieu les propositions
de Palimpsestes, mais une synthèse fait souvent défaut84. En
outre, il importe aussi de tenir compte d'un regard critique, de
l'usure des théories dans la réflexion contemporaine.
64 Le concept d'intertextualité a reçu une nouvelle consécration
en 1989, avec une nouvelle édition de l'Encyclopedia
universalis où une notice lui est consacrée. Dans cet article,
après un exposé très complet du concept, P.-M. de Biasi
regrette, à la suite de Greimas85, d'Angenot ou d'Arrivé, le flou
terminologique qui a permis à l'intertextualité de s'imposer à
la faveur de glissements de sens successifs ; mais il souligne,
en dernier lieu, l'intérêt des contributions les plus récentes et
la clarification apportée en 1982 par Genette et ses
successeurs.
65 Dans Palimpsestes, le champ de l’intertextualité est restreint
au profit de l’hypertextualité, l'un des autres nouveaux
concepts qu'a inventés Genette lui-même : le progrès accompli
par ce travail de refonte terminologique revient à écarter
provisoirement l’intertextualité proprement dite, tandis que
la notice de P.-M. de Biasi dans l'Encyclopedia universalis tend
à mettre en valeur son importance générale dans le savoir
contemporain. Il en résulte une certaine distorsion latente,
puisque les premières lignes de la notice proposent une
définition large qui ne reprend pas explicitement ce nouveau
partage notionnel, même si la fin de l'article se prononce en
faveur de Genette. Dès lors, l'intertextualité recouvre de
nouveau le champ de l'hypertexte puisqu'elle est ici définie
comme « l'élucidation du processus par lequel tout texte peut
se lire comme l'intégration et la transformation d'un ou de
plusieurs autres textes »86.
66 Néanmoins, cette récente définition de l'Encyclopedia
universalis peut faire référence à titre de synthèse provisoire
dans la mesure où elle résume les principales contributions
théoriques avant et après la refonte du concept dans
Palimpsestes. Elle opère aussi un certain retour aux sources,
puisqu'elle met l'accent sur la modalité "transformationnelle"
qui figurait déjà chez J. Kristeva. Une exigence de purisme et
de rigueur incite P.-M. de Biasi à critiquer la simplification de
la notion à des fins pédagogiques ; c'est ainsi qu'il reproche à
D. Maingueneau de l'avoir « infléchie dans le sens d'une
dominante relationnelle, aux dépens de la composante
transformationnelle »87. Dès lors que l'intertextualité est
définie comme « l'ensemble des relations avec d'autres textes
se manifestant à l'intérieur d'un texte », elle perdrait sa
véritable spécificité.
67 S'il importe de réaffirmer sa dimension transformationnelle,
l’intertextualité se rapproche manifestement d'autres
disciplines et méthodes, et tout d'abord de l’étude des
manuscrits, de la critique génétique. Ainsi, P.-M. de Biasi
signale en conclusion que ce nouvel horizon de
l’intertextualité consisterait à élucider « comment se construit
l'emprunt, à l'état naissant ; comment la citation, le plagiat, la
référence et l'allusion résultent aussi d'une appropriation et
d'une intégration ayant l'espace même du texte qui
s'invente »88. Il faut préciser également que Genette dans
Palimpsestes avait déjà envisagé la relation génétique comme
« une affaire d'auto-hypertextualité » dans la mesure où elle
« se ramène constamment à une pratique
d'autotransformation, par amplification, par réduction ou par
substitution. Si inépuisable que soit son champ d'étude et si
complexes que soient ses opérations, elle est bien un cas
particulier [...] de l’hypertextualité [...] : tout état rédactionnel
fonctionne comme un hypertexte par rapport au précédent, et
comme un hypotexte par rapport au suivant »89.
68 Par l'importance des modalités transformationnelles, les
travaux sur l'intertextualité rencontrent donc l'histoire
littéraire et la critique génétique. De ce point de vue,
Raymonde Debray-Genette, dans une récente mise au point,
observe que "l'intertextualité avant-textuelle", dans les
manuscrits, fonctionne « selon les deux modes fondamentaux
définis par Gérard Genette dans Palimpsestes, par imitation et
par transformation »90. Notons que c'est le terme
d'intertextualité – plus usuel, plus consensuel – qu'emploie
Raymonde Debray-Genette, alors qu'elle se réfère ici aux deux
modalités fondamentales de l’hypertextualité : il existe donc
des points de contact dans la répartition d’ensemble des
pratiques. Dès lors, « le travail de la critique génétique, par
rapport à l'intertextualité, relève d'un tissage entre les avant-
textes dont le critique doit, à chaque fois, construire la trame
et la chaîne91 » Dans un travail plus ancien, Raymonde
Debray-Genette avait déjà proposé une hypothèse opératoire
sur le statut de l'intertextualité comme élément du géno-texte
en distinguant deux modalités symétriques dans les "avant-
textes" de Flaubert : l'endogenèse, un processus où l'écriture
est centrée sur elle-même et l'exogenèse, un processus où le
projet rédactionnel s'empare des sources et se sert de
matériaux extérieurs92. La première modalité relève de
l'autoproduction, c’est-à-dire d'un travail autonome à partir
d'un scénario ou de précédentes versions du manuscrit (elle
opère au niveau de l'intra-textualité) ; mais la seconde fait
intervenir entre autres l'intertextualité critique ou
documentaire, par exemple la transcription de notes de
lecture, la recherche d'éléments iconographiques.... Certes, la
dynamique de l'écriture tend en principe à intégrer
l'exogenèse dans l'endogenèse, à nier dialectiquement la
première, sauf précisément dans les cas les plus avérés de
l'intertextualité (texte à forte densité citationnelle) ou encore
dans les genres les plus caractéristiques de l'hypertextualité
(parodie, pastiche, travestissement, digest...).
69 Par un apparent paradoxe, la percée théorique, le
développement rapide et intensif des recherches sur
l'intertextualité ont rencontré une difficulté souvent signalée :
leur assimilation indésirable avec la "vieille" critique des
sources qui leur sert encore de support, de préalable érudit. Il
a fallu tenter de comprendre cet obstacle pour y remédier93 ou
démontrer que les hypothèses et les résultats diffèrent sur
l'essentiel94.
70 Il est vrai que les méthodes sont fort distinctes à l'origine
puisque, sous l’influence du structuralisme, c'est une
approche synchronique de l'intertextualité qui a initialement
prévalu : elle consiste, par exemple, à répertorier, à classer la
liste des occurrences pour décrire leurs configurations
formelles, leurs emplacements et leurs indices contextuels.
Plus généralement, les recherches sur l'intertextualité ne
visent pas à identifier des influences mais à construire une
analyse des modes d'insertion et surtout de transformation,
d'altération des emprunts95. Tandis que l'idée de, la filiation
"naturelle" privilégiait le modèle au détriment des
successeurs, l'intertextualité n'est plus entravée par cet
héritage de la philologie : elle s'intéresse à des pratiques
d'écriture à la fois prospectives et rétrospectives, à la
plurivocité et à la réversibilité des effets de sens. Il est admis
que le texte second (ou texte récepteur), loin d'être une copie,
une pâle imitation de l'original dialectise son rapport au texte-
support ; dès lors, il s'agit d'analyser ces corrélations
objectives comme une série d'opérations techniques. Au-delà
de ce premier centre d’intérêt – les procédés de fabrication –
les recherches sur l'intertextualité se sont tournées de
manière de plus en plus pragmatique vers les enjeux, les
fonctions de ces actes combinés d'écriture et de lecture.
71 Une amplification démesurée a pu également susciter
l'inquiétude et la méfiance : si de simples analogies ne
relèvent pas de l'intertextualité, la perception trop fine des
effets d'écho prête à des confusions gênantes et à des usages
abusifs ; au sens large, l'intertextualité peut aussi désigner
l'assimilation-transformation d'autres matériaux empruntés à
des langages non verbaux. Pour préserver la rigueur d'un
concept aussi productif, il a fallu lui imposer de sévères
restrictions sémantiques ; en 1982 Genette a pris l'initiative de
délester certaines formes de l'intertextualité vers un nouveau
concept en partie concurrentiel : l’hypertexte. Il propose de
délimiter autrement le champ théorique, en assignant à
l'intertexte une position déterminée parmi quatre autres
relations fondamentales (l'architexte, le paratexte,
l’hypertexte, le métatexte). Mais d'autres lignes de partage
fondamentales subsistent : le dialogisme selon Bakhtine
mettait initialement l'accent sur le rôle déterminant du
contexte intersubjectif et du discours social dans une
perspective historico-évolutive. En outre, les travaux sur
l'intertextualité rencontrent des disciplines constituées en-
dehors de la poétique : elles se prolongent vers l'histoire
littéraire, la sociocritique, la critique génétique. Il se pourrait
que l'aspect novateur de la théorie ait été mis en doute avec
l'abandon des premiers modèles linguistiques. Dépouillée
d'un effet visible de modernité, l'intertextualité soulève plus
directement un problème essentiel de l'activité littéraire : les
rapports complexes de la tradition et de l'invention, les
filiations fantasmatiques et le positionnement de la
conscience critique, les questions de l'authenticité, de
l'originalité et du renouvellement.
72 Au demeurant, il n’est pas anodin qu'un nouveau vocabulaire
ait été adopté. Le concept d'intertextualité est le premier né
d'une nombreuse famille de mots dont les préfixes varient
autour du même étymon de "-texte" et de "-textualité". Il
faisait découvrir un objet à investir, et il s'est répandu
d’autant plus aisément qu'il est commode de disposer au
moins d'un concept fédérateur qui regroupe tout un réseau
lexical pour désigner une catégorie abstraite. L'immanence et
la matérialité du Texte et de l'intertexte (texture enchevêtrée,
réseau enveloppant, illimité) ont été célébrées dans les
mythologies du discours théorique contemporain. Au-delà de
cette nécessité rationnelle ou de cette passion fétichiste,
l'intertextualité originaire et sa variante radicalisée,
l'hypertextualité ("hyper" : toujours plus !) semblent se
dissoudre inévitablement à l’analyse en une gamme d'infra-
concepts, de termes plus précis, de modalités plus restreintes :
citation, autocitation, plagiat, allusion, référence, parodie,
pastiche, forgerie, transposition, imitatio, réminiscence, et
pourquoi pas "sources", "influences", etc... La diffraction
infinitésimale des exemples, la pression sous-jacente d'un
riche vocabulaire accentuent cette difficulté méthodologique.
Toute analyse de l'intertextualité introduit subrepticement des
désignations moins neutres et moins techniques, des
connotations variées, des métaphores évocatrices : par
exemple, l'effet de fascination d'un palimpseste généralisé ; la
citation comme proclamation militaire96 ou argument
d'autorité, excitation du lecteur et mélancolie du compilateur ;
tout l’artisanat du collage, de la "sertissure", de la
"farcissure"97, de la greffe et du croisement : bricolage ludique
de matériaux textuels, découpage de fragments ; divers états
psychiques : la manie "correctrice", le symptôme de la
"ré(é)criture" à l'infini ; la transgression provocatrice à l'égard
des modèles, la perversion du plagiaire, l'emprise ou le
détournement des sources ; la fusion jubilatoire, la dispersion,
la dissolution du sujet écrivant dans la matrice des
intertextes... Les autres méga-concepts inventés sur ce même
étymon de "texte" se décomposent eux aussi à l'analyse,
lorsqu'il s'agit de repérer la singularité d'une pratique,
l'évolution des genres, les spécificités d'une période. Par là
même, l'univocité, cette propriété nécessaire aux concepts,
fait défaut à l'intertextualité comme à l'hypertextualité. À
l'évidence, l'histoire de la langue, le contexte culturel, les
pouvoirs de l'imaginaire projettent le substrat d'une
herméneutique dans les théories de la littérature.
73 Certes, les travaux sur l'intertextualité ont édifié un savoir
positif dont les méthodes s'appliquent à des faits observables.
Néanmoins, il appartient à l'exégèse de mettre quelque peu à
l'épreuve leur cohérence et leur valeur. De ce point de vue, les
failles internes, les divergences d'une hypothèse à l'autre
présentent autant d'intérêt que des recoupements qu'il ne
faudrait pas tenir pour des acquis définitifs. Ainsi, au lieu de
construire une synthèse artificielle, il m'est apparu plus
probant de faire dialoguer les composantes d'un champ de
recherches où se révèlent tant de confrontations actives98.

Notes
1. Hans-George Ruprecht, "Intertextualité", Texte (Toronto), no 2,1983,
p. 13-15. (Prépublication d'une notice également prévue pour le
Dictionnaire international des termes littéraires).
2. Julia Kristeva, Semiotikè. Recherches pour une sémanalyse, coll. "Tel
Quel", éd. du Seuil, 1969, "Le mot, le dialogue et le roman", p. 145-146.
3. Tzvetan Todorov, Mikhäel Bakhtine : le principe dialogique, coll.
"Poétique", Seuil, 1981. Cet ouvrage comporte un chapitre intitulé
"Intertextualité" (p. 95-116) ; Todorov admet que l'usage répandu de ce
concept kristevien constitue la traduction française du concept bakhtinien
de "dialogisme".
4. Voir les pages 247-251 de la Bibliographie annotée de Don Bruce, Texte,
Toronto, 1983.
5. J. Kristeva, ibidem, "Le texte clos", p. 113.
6. Ibidem, p. 113. Cet article contient à titre d'illustration une étude de
Jehan de Saintré d'Antoine de la Sale ; il s'agit de montrer dans ce roman du
XVe siècle le passage d'une pensée symbolique fondée sur les universaux à
l'idéologème du signe, fondée sur l'écart, la contradiction ; cette thèse sera
développée dans Le Texte du roman, Mouton, La Haye, 1970.
7. "Pour une sémiologie des paragrammes"(1966), Semiotikè, ouv. cité,
p. 178. Les analyses consacrées à Mallarmé et à Lautréamont seront
reprises et développées en 1974 dans La Révolution du langage poétique.
8. "Problèmes de la structuration du texte", La Nouvelle Critique, no spécial
d'avril 1968, p. 60.
9. Voir J. Kristeva, La Révolution du langage poétique, éd. du Seuil, coll. "Tel
Quel", 1974, p. 59-60.
10. Ibidem, p. 340.
11. Ibidem, p. 339.
12. Michel Arrivé, "Pour une théorie des textes poly-isotopiques",
Langages, no 31, septembre 1973, p. 53-63.
13. On trouvera un résumé détaillé de cette contribution, et des exemples
dans Introduction aux études littéraires, Duculot, Paris-Louvain-la-Neuve
(Belgique), 1987, p. 115-120.
14. Roland Barthes, Le Plaisir du texte, coll. "Tel Quel", éd. du Seuil, p. 59.
15. Ibidem, p. 55-56.
16. Jean Ricardou, Pour une théorie du Nouveau roman, Seuil, 1971, p. 162
et suiv.
17. J. Ricardou, "Claude Simon, textuellement", in Claude Simon, Colloque
de Cerisy-la-Salle, Union Générale d'éditions, coll. "10/18", 1975.
18. Cette terminologie complémentaire est beaucoup moins répandue que
le concept d'intertextualité ; on en trouve, à ma connaissance, une
première mention sous la plume de Jean Verrier dans Poétique, no 26, 1974,
"Segalen lecteur de Segalen", p. 338-339 ; mais le sens en est proche de la
composition circulaire et spéculaire (qu'on appelle parfois plutôt
"autotextualité") : « Le jeu des reflets et des répétitions ne s'établit pas
entre le texte du roman et un référent, mais à l'intérieur du texte même. Il
est le fruit du travail de l'écriture et particulièrement de ce que l'on
pourrait appeler "l'intratextualité" ». Chez Todorov, le régime
"intratextuel" s’oppose à l'extratextuel (voir Symbolisme et interprétation,
coll. "Poétique", Seuil, 1978, p. 61-62). Enfin, dans la revue Texte (1983),
Brian T. Fitch situe "l’intra-intertextualité" au point d'intersection de
l’intertextuel et de l'intratextuel (l'intertextualité externe/générale et
l'intratextualité, au sens d'intertextualité interne – restreinte aux textes
d'un même auteur) (Texte, ouvrage cité, p. 85-86).
19. Leyla Perrone-Moisés, "L'intertextualité critique", Poétique, no 27, 1976,
p. 372-384.
20. Laurent Jenny, "La stratégie de la forme", ibidem, p. 262.
21. Ibidem, p. 281.
22. Paul Zumthor, "Le carrefour des rhétoriqueurs : intertextualité et
rhétorique », ibidem, p. 336 ; voir aussi Poétique, "Intertextualités
médiévales", no 41, février 1981.
23. Tzvetan Todorov, Symbolisme et interprétation, coll. "Poétique", Seuil,
1978, p. 61-62.
24. T. Todorov, Mikhaïl Bakhtine : le principe dialogique, Seuil, 1981.
25. Léon Somville a fait un compte rendu plus détaillé de cette
contribution (et de quelques autres) dans Introduction aux études
littéraires (Sous la direction de Maurice Delcroix, Fernand Hallyn),
Duculot, Paris-Louvain-la-Neuve (Belgique), 1987, p. 120-125 ; voir aussi la
bibliographie p. 364-365.
26. Michael Riffaterre, "L'intertexte inconnu", Littérature, no41, février
1981, p.4-5.
27. M. Riffaterre, La Production du texte, coll. "Poétique", Seuil, 1979, p. 76.
28. M. Riffaterre "La trace de l'intertexte", La Pensée, no215, octobre 1980,
p. 4.
29. Ibidem, p. 18.
30. Ibidem, p. 5
31. Umberto Eco, Interprétation et surinterprétation, P.U.F., trad. fr., 1996,
p. 23.
32. André Topia, "Contrepoints joyciens", Poétique, no 27,1976, p. 351-371.
33. Antoine Compagnon, La Seconde Main, ou le travail de la citation, éd. du
Seuil, 1979, p. 27.
34. Ibidem, p. 34.
35. R. Barthes (S/Z, Seuil, 1970, p. 10) cité par A. Compagnon, op. cité, p. 35.
36. A. Compagnon, ibidem (p. 35).
37. Voir aussi A. Compagnon, "Proust sur Racine", La citation, Revue des
sciences humaines, no 196,1984, p. 39-64.
38. A. Compagnon, La Seconde Main, ouvrage cité, p. 55.
39. Ibidem.
40. Une trace de cette confusion est repérable dans un ouvrage récent qui
commence par analyser les personnages citant des propos fictionnels,
malgré l'absence d'emprunt attesté dans ce cas : Annick Bouillaguet, Le Jeu
intertextuel, Éditions du Titre, 1990, p. 17.
41. A. Compagnon, ouvrage cité, p. 337.
42. G. Genette, "Proust palimpseste", Figures I, Seuil, 1966, p. 39-67.
43. G. Genette, Palimpsestes, La littérature au second degré, Seuil, coll.
"Poétique", 1982, p. 8.
44. Annick Bouillaguet, "Une typologie de l'emprunt", Poétique, no 80,
novembre 1989, p. 496.
explicite non explicite
littéral citation plagiat
non littéral référence allusion

45. Genette, ouvrage cité, p. 10.


46. Ibidem, p. 11-12.
47. Ibidem, p. 14.
48. G. Genette, ibidem, p. 453.
49. G. Genette, ibidem, p. 16.
50. Ibidem.
51. Ibidem, p. 371-372.
52. Ibidem, p. 452.
53. Ibidem, p. 25, p. 43, 46, p. 135, p. 175, p. 254, p. 332.
54. Ibidem, p. 26, 47, 48 ; p. 57 : "la pochade de Jean Tardieu" ; p. 300 : " Il
s'agit de notre vieil ami Houdar de la Motte" ; p. 301 : "Houdar ne passe
certes pas pour un géant de la scène".
55. Ibidem, p. 84.
56. Ibidem, p. 105.
57. Ibidem, p. 40.
58. Ibidem, p. 39 ; voir aussi la définition presque aphoristique de la copie,
effet d'imitation maximale obtenu par un effort de transformation
minimale, p. 444-445.
59. G. Genette, Figures III, coll. "Poétique", Seuil, 1972, p. 270.
60. « Pour moi, la phrase surgie (dictée ?) d'où je pars [...] a ce caractère de
carrefour [...] entre se taire et dire, entre la vie et la mort, entre la création
et la stérilité. Et cela se passe non point au niveau de la volonté, de la
décision herculéenne, mais dans le choix, l'arbitraire des mots empruntés
(à qui ? pourquoi ?) comme par l'étrange détour de l'échangeur ». Aragon,
Je n'ai jamais appris à écrire ou les incipit (1969), coll. "Champs",
Flammarion, 1981, p. 41-42. Et p. 43 : « Comprenez-moi bien, ce n'est pas
manière de dire, métaphore ou comparaison, je n'ai jamais écrit mes
romans, je les ai lus ».
61. Aragon, Les Collages (1923-1965), coll. "Savoir", Hermann, 1980.
62. Aragon, Blanche ou l'oubli (1967), nrf, Gallimard, p. 496.
63. Ainsi, pour reprendre l'exemple du collage, ce concept représente une
contestation subversive de la valeur des arts plastiques ; Aragon
commente dès 1923 les collages de Max Ernst, "peintre des illusions", et
distingue en fait divers types de collage (cubiste, dadaïste, surréaliste). Cet
effet de transposition est indéniable dans Le Paysan de Paris (1926) où le
dépaysement onirique se combine à des fragments prélevés du référent.
Jusqu'en 1965, Aragon va commenter la pratique des collages en parallèle
avec son évolution d’écrivain et sa conception du réalisme. À son tour, la
critique va rapprocher (de manière presque anachronique) le métalangage
aragonien de l’intérêt dont bénéficiait l’intertextualité : voir Wolfgang
Babilas, "Le collage dans l’œuvre critique et littéraire d’Aragon", Revue des
sciences humaines, juillet-septembre 1973, no 151, p. 329-354.
64. Francis Goyet, "“Imitatio” ou intertextualité ?", Poétique, no 71,
septembre 1987, p. 313-314 : « [...] il [Riffaterre] a affirmé péremptoirement
que tout texte dérivait d’un autre : “Il est constant qu’un texte littéraire
signifie par rapport à des textes qu’il présuppose.” [...] Je soutiendrai que
non, en ramenant cette ambitieuse proposition universelle à une modeste
proposition particulière : non pas tous les textes tout le temps, mais
quelques-uns, parfois ».
65. Ibidem, p. 320.
66. H. Behar, "Le pagure de la modernité", Littéruptures, "Bibliothèque
Mélusine", L'Âge d'homme, 1988, p. 189.
67. Ibidem, p. 187.
Procès : /Élément mis en cause :
Transcription canal
plagiat référent situationnel
citation référent contextuel
pastiche substance du message
paraphrase forme du message
parodie message
collage code
68. Collages, Revue d'esthétique, 1978, coll. "10/18", p. 34-35.
69. Éric Marty, "L'apologie de l'influence : la citation dans le Journal
d'André Gide", Revue des sciences humaines, 1984, p. 81-92 ; voir aussi
Daniel Moutote, "Intertextualité et journal dans l'œuvre d'André Gide", Le
Plaisir de l'intertexte, Peter Lang Verlag (Frankfurt am Main-Bern-New
York-Paris), Actes du colloque de Duisburg, 1985 : "Formes et fonctions de
l'intertextualité dans la littérature française du XXe siècle", 2ème édition
1989, p. 137-184 ; Alain Goulet "Narcisse au travail dans l'œuvre d'André
Gide", ibidem, p. 185-208 ; Pierre Masson, "Production-reproduction :
l'intertextualité comme principe créateur dans l'œuvre d'André Gide",
ibidem, p. 209-226.
70. Anne Chevalier, "Du détournement des sources", Revue des sciences
humaines, ouvrage cité, p. 66-79.
71. Jean-Claude Vareille, "Butor ou l'intertextualité généralisée", Le Plaisir
de l'intertexte, ouvrage cité, p. 277-296 ; voir aussi Marie Miguet-Ollagnier,
"Activité et représentations du feu dans Où de Michel Butor", Le Nouveau
Roman en questions 2, Minard, 1993, p. 54-64.
72. Voir déjà La Seconde Main, ouvrage cité, et certaines contributions du
no spécial de la Revue d'esthétique sur les collages.
73. L. Jenny, Poétique, art. cité, p. 258-259.
74. Michel Schneider, Voleurs de mots, "Bibliothèque des idées",
Connaissance de l'inconscient, Gallimard, 1985.
75. Poétique, no 27, 1976 ; Littérature, no 41, 1981 ; no 55, 1984 ; no 69, 1988 ;
Texte (Toronto), no 2, 1983 ; repris l'année suivante dans un volume publié
par Trinity College.
76. Roland Barthes, "Texte" (Théorie du), Encyclopedia Universalis, t. XV,
1968, pp. 1013-7.
77. F. Wahl, O. Ducrot et T. Todorov, Dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage, Seuil, 1972, p. 445-446 ; rééd. 1979.
78. D. Maingueneau, Initiation aux méthodes de l'analyse du discours,
Hachette, 1976.
79. Hans-George Ruprecht, "Intertextualité", Texte (Toronto), art. cité, p. 16.
80. Marc Angenot, "L'intertextualité : enquête sur l'émergence et la
diffusion d'un champ notionnel", Revue des sciences humaines, no 189,
1983, p. 121-135 ; et "Intertextualité, interdiscursivité, discours social",
Texte, ouvrage cité, p. 101-112.
81. M. Angenot, "L'intertextualité : enquête sur l'émergence et la diffusion
d'un champ notionnel", art. cité, p. 131.
82. Ibidem, p. 128.
83. Michel Arrivé, "Intertexte et intertextualité chez Ferdinand de
Saussure ?", Le Plaisir de l'intertexte, ouvrage cité, p. 15-16.
84. Par exemple Introduction aux études littéraires : méthodes du texte,
ouvrage cité ; Michèle Aquien, Dictionnaire de poétique, Le Livre de Poche,
1993, p. 159-160 ; Joëlle Gardes-Tamine, Marie-Claude Hubert, Dictionnaire
de critique littéraire, A. Colin, 1993, p. 100-101 ; Daniel Bergez et alii,
Vocabulaire de l’analyse littéraire, Dunod, 1994, p. 123-125. Cependant, une
étude d'ensemble, cohérente et précise, vient d'être proposée : Nathalie
Piegay-Gros, Introduction à l’intertextualité, Dunod, 1996.
85. A. J. Greimas, J. Courtès, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie
du langage, Hachette, 1979, p. 194.
86. Pierre-Marc de Biasi, "Intertextualité (Théorie de), Encyclopedia
universalis, éd. 1989, p. 514.
87. Ibidem, p. 515.
88. Ibidem, p. 516.
89. Palimpsestes, op. cit., p. 447.
90. Raymonde Debray-Genette, "Histoire littéraire et critique génétique",
Revue d'histoire de la France, Supplément 1995, no 6, p. 158.
91. Ibidem, p. 160.
92. Raymonde Debray-Genette, Essais de critique génétique, coll. "Textes et
manuscrits", Flammarion, 1979.
93. « [...] la critique des sources ne s'est pas privée d'établir de tels
rapprochements. Mais à voir l'intertextualité partout, on perd les moyens
d'identifier et de distinguer les textes où elle joue un rôle constitutif. Il faut
donc que le principe global de la présence nécessaire d'une dimension
intertextuelle soit modéré et nuancé par des règles ponctuelles, qui
permettent d'établir les cas où l'intertextualité est pertinente ou non. » T.
Todorov, Symbolisme et interprétation, Seuil, 1978, p. 61.
94. Voir par exemple Marc Eigeldinger, Mythologie et intertextualité,
Slatkine, 1987, "Introduction", p. 9-10 ; Raymonde Debray-Genette, Revue
d'histoire littéraire de la France, ouvrage cité, p. 158-160 ; et Nathalie
Piegay-Gros, ouvrage cité.
95. Marc Eigeldinger, ouvrage cité, p. 9-10 : « Il faut d'emblée préciser que
l'intertextualité ne saurait se confondre avec l'établissement des sources,
qu'elle s'en distingue parce qu'elle se situe à un autre niveau en tant
qu'acte de l'écriture. Elle renvoie certes à un savoir culturel, mais elle vise
à la reconstruction du texte et elle est déterminée par son fonctionnement.
Davantage qu'à un emprunt, elle correspond à une greffe ou à une trace,
selon la formule de Michael Riffaterre. C'est pour éviter cette confusion
entre l'intertextualité et la recherche des sources que Julia Kristeva a opté
pour le terme de transposition [...]. »
96. Jean-Pierre Guillerm, La Citation, Revue des sciences humaines, ouvrage
cité, p. 5.
97. "La farcissure : intertextualités au XVIe siècle", Littérature, no 55,
octobre 1984.
98. Au sens où Tzvetan Todorov propose de construire "une critique
dialogique" (Critique de la critique, collection "Poétique", Seuil, 1984).

Auteur

Nathalie Limat-Letellier

Université de Besançon

Du même auteur

Correspondance inédite Aragon –


Max-Pol Fouchet in Recherches
croisées Aragon - Elsa Triolet, n°8, ,
2002
Préface in L’intertextualité, , 1998
L’intertextualité, , 1998
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Référence électronique du chapitre


LIMAT-LETELLIER, Nathalie. Historique du concept d’intertextualité In :
L’intertextualité [en ligne]. Besançon : Presses universitaires de Franche-
Comté, 1998 (généré le 28 janvier 2024). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/pufc/4507>. ISBN : 978-2-84867-696-8. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.pufc.4507.

Référence électronique du livre


MIGUET-OLLAGNIER, Marie (dir.) ; LIMAT-LETELLIER, Nathalie (dir.).
L’intertextualité. Nouvelle édition [en ligne]. Besançon : Presses
universitaires de Franche-Comté, 1998 (généré le 28 janvier 2024).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pufc/4457>. ISBN :
978-2-84867-696-8. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pufc.4457.
Compatible avec Zotero

L’intertextualité

Ce chapitre est cité par


Yahyaoui, Sarah. (2022) Intertextualité de « Montréal $ud » : Dead
Obies et le hip-hop. Analyses, 16. DOI: 10.7202/1090841ar

Ce livre est cité par


TURAN, Simay. (2020) Réécriture d’un mythe ou réécriture de
l’humanité ? «Exemple de Le Nom d’Œdipe d'Hélène Cixous».
RumeliDE Dil ve Edebiyat Araştırmaları Dergisi. DOI:
10.29000/rumelide.814666

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