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PARTIE 1ère

Le droit objectif
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Etudier le droit objectif suppose tout d’abord une réflexion sur la règle de droit (Chap. 1) et,
ensuite, une analyse de ses sources (Chap.2)

Chapitre 1
La Règle de Droit

18.- Le droit objectif, a-t-on dit, est un corps de règles (ou normes) générales, impersonnelles
et obligatoires destinées à gouverner la vie sociale. Bien qu'elle soit juste, une telle définition
s'avère insuffisante pour caractériser le droit car celui-ci n'est pas le seul régulateur de la vie
sociale. Il existe bien d'autres sources de commandement et de régulation des rapports
humains telles que la morale, la religion, la curiosité, voire le phénomène de mode, dans
certains milieux. Comment peut-on alors faire le départ entre la règle juridique stricto sensu et
la règle morale ou religieuse?

La réponse à cette question impose le recensement des différentes caractéristiques de la règle


de droit afin de déterminer son critère d'identification (Section I).

Mais une fois la règle juridique identifiée, nous nous interrogerons sur son but (Section II) et
surtout sur son fondement philosophique (Section III) avant d'opérer une classification des
différentes règles de droit afin de les rendre plus facilement accessibles (Section IV).

Section – I
Identification de la règle de Droit1
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19.- Une analyse attentive de la règle de droit montre que celle-ci présente des caractères
communs avec les règles morales, religieuses ou de courtoisie (§1). Cependant elle comporte
une caractéristique qui lui est tout à fait particulière c'est la coercitivité (§ 2).

§ 1 - Caractères communs à la règle de droit et aux autres règles de conduite sociale2

Trois traits semblent être communs à la règle de droit et aux autres règles de conduite sociale:
la généralité, la finalité sociale et l'extériorité. Du fait qu’ils sont communs à ces différentes
règles, ces traits ne sauraient servir, seuls, de critère d'identification de la règle juridique.

I.- Le caractère de généralité et d'abstraction.


20.- De par sa formulation, la règle le de droit se présente toujours comme un ordre
impersonnel adressé par le législateur à un nombre indéterminé de personnes non identifiées
(quiconque, toute personne, celui qui, etc.) se trouvant dans la situation particulière qu'il
cherche à réglementer: (situation de débiteur, situation de délinquant, situation de
commerçant, etc.).

1 Roubier, Théorie générale du droit, 1951


2 Jeammeaud, la règle de droit comme modèle, D. 1990.chr. 199
Cette règle s'adresse à tous les individus (personnes physiques) et aux personnes morales sans
viser une personne en particulier car elle a vocation à s'appliquer aux situations juridiques, et
non aux personnes qui se trouvent dans ces situations.
Ce caractère général et impersonnel fait que la norme juridique s'applique de façon objective
(d'où le terme "objectif") indépendamment des personnes visées par son commandement.
Exemple: Les règles de droit qui régissent les examens de licence en droit s'appliquent à tous
les étudiant-es inscrit-es dans les différentes facultés de droit du pays, peu importe leurs
noms, leur nombre, leur sexe, leur origine sociale ou encore leur région.

Cependant, il faut signaler que ce caractère de généralité de la norme juridique n'est pas
absolu. Car son objet est de réglementer des situations, or ces situations sont par nature
délimitées dans le temps et dans l'espace et réduites aux personnes qui s'y trouvent.

Par conséquent la règle juridique voit son empire circonscrit aux seules personnes se trouvant
dans ces situations. Ainsi si les règles juridiques régissant les examens de licence en droit
(situation juridique) concernent tous les étudiants en droit, elles n'ont aucun titre à régir les
examens en vue de l’obtention de diplômes d’ingénieur, de journaliste ou d’architecte. On
voit donc que cette généralité de la règle n'est pas absolue. Elle est relative.

Cependant, il faut se garder de commettre l'erreur de croire que cette relativité lui fait perdre
son caractère de généralité. Loin de là ; certaines règles ne concernent, dans la réalité qu'une
seule personne, et pourtant elles gardent malgré tout leur caractère de généralité et
d'abstraction1. Tel est le cas, par exemple, des règles régissant l'élection d'un chef d'État, par
définition unique.

Ce caractère de généralité et d'abstraction attaché à la règle de droit s'explique par la nécessité


de mettre tous les citoyens sur le même pied d'égalité devant la loi. Car sans lui les gens ne
seraient pas égaux devant les droits et les devoirs publics.

C’est ce principe d’égalité qui constitue la vraie protection contre les discriminations. Il est
reconnu par le droit constitutionnel.
En effet, la constitution marocaine du 13 septembre 19962 se réfère, dans son préambule, aux
chartes des organismes internationaux3 et proclame le principe d’égalité devant la loi4, quant à
la jouissance des droits politiques5, et à l’accès aux fonctions et emplois publics6.
« Mais l’égalité n’est pas nécessairement l’uniformité. Il est légitime de traiter différemment
en droit ce qui est différent en fait. Le tout est de savoir si la différence de fait justifie la
différence de droit7 ».
Le principe de généralité et d’abstraction permet, par ailleurs, de distinguer la règle juridique
des mesures et décisions individuelles telles que les nominations de fonctionnaires ou les
1 Il y a, certes, un rétrécissement du domaine de la règle de droit qui entraîne, à priori, l’affaiblissement de
la protection personnelle contre les discriminations.
2Dahir n° 1-96-141 du 24 août 1996 B.O du n° 4407bis du 26 Août 1996
3 Formulation suivante : « Conscient de la nécessité d'inscrire son action dans le cadre des organismes
internationaux, dont il est un membre actif et dynamique, le Royaume du Maroc souscrit aux principes, droits
et obligations découlant des Chartes des dits organismes et réaffirme son attachement aux droits de l'Homme
tels qu'ils sont universellement reconnus. »
4 Article 5 « Tous les Marocains sont égaux devant la loi. »
5 Art 8 al 1er «  L'homme et la femme jouissent de droits politiques égaux. »
6 Article 12 «  Tous les citoyens peuvent accéder, dans les mêmes conditions, aux fonctions et emplois
publics. »
7 F. Chabas ; Introduction à l’étude du droit. Montchrestien. 1996. 11ème éd. n° 4-2.
décisions des tribunaux. Ces décisions et nominations sont strictement personnelles et restent
intimement liées aux personnes qu'elles concernent. De même les décisions de justice
demeurent personnelles et n'obligent, en principe, que les parties au procès (autorité relative
de la chose jugée) quand bien même elles émaneraient de la cour suprême.

D'ailleurs la loi interdit aux tribunaux de se prononcer par les décisions générales et abstraites
sinon le juge deviendrait législateur et le principe de la séparation des pouvoirs serait sacrifié.

Cependant, valable pour marquer la différence entre la norme juridique et la décision


individuelle, le caractère de généralité est-il a même de permettre la distinction entre la règle
de droit et les autres règles de conduite sociale?

La négative ne fait aucun doute, car ce caractère de généralité est inhérent à toute règle quelle
qu'elle soit et sans lui, celle-ci ne serait qu'un simple cas d'espèce et non une règle au sens
plein du terme.
Bien plus, on constate que la règle religieuse est plus générale et plus abstraite que la règle
juridique. Les religions monothéistes (Islam, Christianisme et judaïsme) s'adressent à tous les
humains sans distinction de nationalité de couleur ou de race.
Au vu de tout ce qui précède, on peut conclure que la généralité de la règle juridique est loin
d'en constituer le critère déterminant. En est-il de même de sa finalité sociale?

Fiche n°5
Christian Atias,
Ce que savent les juristes
Les états du droit
RTD Civ. 2013 p. 315
23. Le « droit positif » oscille en permanence entre la généralité de la règle et la spécialité de la décision. Sa
fonction n'est pas de ramener de force le complexe des faits à la simplicité de la règle, le divers à l'unique. Elle
est d'extraire, du divers inédit, ce qui peut relever d'une règle commune à une série de cas, afin de fonder une
position appropriée.
La généralité est seulement la contre-épreuve relative et imparfaite des raisons qui ont paru convaincantes et
justifiées ; elle peut en révéler les limites. La place que lui attribue le savoir juridique est déterminante. Il la
suppose volontiers supérieure et plus juridique parce qu'elle échappe à l'insaisissabilité du fait et parce qu'elle
est la forme donnée aux règles instituées. Cette supériorité est toute relative ; le droit ne se dit pas en général.
Pour régir réellement les particuliers et leurs relations, le droit descend du piédestal de la généralité. Les
résultats auxquels il parvient ne peuvent être négligés ; ils font partie intégrante du droit le plus positif qui soit.

II - La finalité sociale.
21.- Pour Kantorowicz1 « le droit est un ensemble de règles sociales susceptibles d'être employées
par un organe de jugement ». Autrement dit, le conflit, le litige, le différend est l'élément clé qui
provoque la clarification et l'intervention de la règle, dont la mission devient immédiatement de
prévenir l'occurrence de problèmes semblables dans l'avenir2. A première vue, la règle de droit
se distingue nettement des règles morales ou religieuses quant à sa finalité sociale: alors que
celles-ci(morale et religion) visent principalement à porter l'homme à la perfection ou au salut
dans l'au-delà et visent davantage, dans l’esprit des croyants, les relations entre le créateur
(Dieu) et sa créature(l'homme), celle là ( règle juridique) vise en premier lieu à asseoir et
sauvegarder l'ordre et la paix publics et à réorganiser les rapports entre les hommes au sein de
la société parfois même en violation du commandement moral ou religieux.
Un vieil adage enseigne que ce qui est le plus conforme au droit est aussi le plus injuste
« summum jus, summa injuria ».
1H. Kantorowicz, The Definition of Law (1939), New York, 1958.
2 L. Assier-Andrieu, Le droit dans les sociétés humaines. Essais et recherches. Nathan.1996
Ex: l'autorisation du prêt à intérêt, l'extinction des dettes par prescription, le divorce dans les
pays catholiques, etc.
Mais comme l’affirme Goethe : « Mieux vaut une injustice qu’un désordre ».
Il y a lieu, cependant, de nuancer ce jugement car dans toutes les sociétés; droit, morale et
religion sont intimement liés et visent malgré les différences de formulation à favoriser
l'harmonie et la concorde dans les rapports humains.

Un regard sur notre code de statut personnel (la Moudouana), aujourd’hui remplacé par un
code de la famille1, suffit pour convaincre que notre droit positif en matière de mariage, de
divorce ; de filiation et de successions, présente une dimension confessionnelle certaine
puisqu'il est issu de la religion musulmane2.

Remarquons, enfin, que certaines notions très couramment usitées en droit, notamment la
bonne foi, la justice, l'obligation naturelle ; etc.; sont du propre même de la morale ou de la
religion. Il existe ainsi une coïncidence entre le commandement juridique et les autres
commandements : l'obligation alimentaire est, à titre d'exemple, à la fois une obligation
juridique, morale et religieuse.

Force, donc, est de soutenir que le caractère de finalité sociale est à son tour impropre pour
servir de critère de distinction entre la règle juridique et les autres règles de conduite sociale.
Aussi faut-il nous pencher sur un autre caractère : celui de l'extériorité de la règle de droit.

III - Le caractère d'extériorité.


22.- Dire que la règle de droit présente un caractère d'extériorité par rapport à l’homme,
signifie que le consentement de l'individu n'est pas une condition de son application.
En effet une fois établie, la règle de droit échappe à l'individu pour s'imposer à lui comme un
fait objectif, extérieur.
A ce niveau, une question d'importance se pose : ce caractère d'extériorité permet-il de
distinguer le droit des autres règles de conduite en société ?

En réalité, impropre à distinguer la règle de droit de la règle religieuse en ce sens que l'une et
l'autre jouissent d'une certaine indépendance, donc d'extériorité par rapport à la volonté
humaine, ce caractère semble constituer bel et bien un critère de démarcation nette entre le
droit et la morale.
En effet, si l'on examine le commandement religieux on est forcé de constater qu'il est
d'origine divine donc extérieur à la volonté individuelle et ressemble de ce fait au
commandement juridique.

En revanche, l'examen du commandement moral permet de remarquer que celui-ci provient


principalement de la conscience individuelle de chacun d'entre nous, Il est donc intérieur à
l'homme et, ce, à l'opposé du commandement juridique.
Il existe, bien entendu, une morale sociale collective, extérieure à l'individu. Mais, celui-ci
est libre d'y adhérer ou non.

1 Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant Code de la Famille.
Bulletin Officiel n° 5358 du Jeudi 6 Octobre 2005.
2 cf., infra. Les sources de la règle de droit.
Dès lors, on peut dire que le caractère d'extériorité de la règle juridique permet dans une large
mesure d'opposer celle-ci à la règle morale qui demeure un moyen d'expression de chaque
individu.
On peut néanmoins être tenté de mettre en doute l'extériorité de la règle juridique en soutenant que
la volonté individuelle joue un rôle non négligeable dans la création du droit soit directement à
travers l'acceptation de l'usage coutumier, soit indirectement par le biais du choix des gouvernants
qui légifèrent pour nous (élection des députés) cela sans oublier bien entendu l'hypothèse ou les
citoyens sont officiellement appelés à se prononcer sur un texte juridique par voie de référendum.

Mais cette vision paraît peu satisfaisante. En effet, si les volontés individuelles contribuent à
l'élaboration du droit, ce dernier, une fois élaboré, s'impose aux hommes comme un fait social
objectif incontournable. Ils ne peuvent ainsi y échapper au motif qu'ils ont participé à son
élaboration.
Bien au contraire, dès qu'elle est établie, "la règle de droit échappe à l'individu pour s'imposer
à lui comme le produit de mécanismes plus ou moins complexes qui sont extérieurs" 1. Que
serait d'ailleurs le droit si son application était laissée au bon vouloir de l'homme? Cette
différence entre le droit et la morale devient encore plus manifeste lorsqu'on considère le
dernier caractère de la règle juridique à savoir son caractère coercitif. Celui-ci provient de ce
que le respect du droit est en principe assuré dans les sociétés contemporaines, par la menace
de la sanction étatique. C'est justement ce trait spécifique à la règle de droit qui sert
réellement de critère d'identification de celle-ci

§- 2 La coercition étatique: critère principal de la règle juridique


23.-Le caractère coercitif de la règle de droit résulte de ce qu'elle est sanctionnée. De ce fait,
le propre de toute règle est d'être sanctionnée, caractère sans lequel elle ne serait pas une
véritable règle: si la règle de grammaire n'est pas respectée, la sanction correspondante
consiste à déclarer fausse la construction qui la viole. Cela vaut à fortiori pour la règle
juridique destinée de surcroît, comme on l'a vu, à organiser les rapports humains.

Par conséquent, dépourvue de toute sanction, la règle de droit ne serait rien d'autre qu'un
conseil, une indication, ou un renseignement.
Cependant, pourquoi le caractère contraignant est-il précisément le critère d'identification de
la règle juridique par rapport aux règles de conduite sociale?
Parce que la sanction attachée à la transgression de la règle juridique diffère de celle qui
résulte de la violation de la règle morale ou religieuse non seulement par son origine mais
aussi par sa nature.

I - l'origine de la sanction
24.- Le droit, a-t-on dit, est incarné par l’Etat et l’Etat suppose le droit 2. Si le droit relève de
l’Etat, c’est avant tout parce qu’il y puise les moyens de sa mise en œuvre 3. Le droit est
assimilable à une dimension de l’Etat parce que celui-ci constitue l’organisation sociale de la
force réglée et disciplinée de la contrainte 4. Le trait marquant de la règle de droit est qu'elle

1 J.L. Aubert; introduction à l'étude du droit. Armand Colin. Paris 1984. p 19.
2 L. Assier-Andrieu, 0p.cit ; 44.
3 Ibidem
3
Ibidem
4
V.Jestaz, La sanction ou l’inconnu du droit, D 1986. Chr.197
Dahir du 26 novembre 1962 portant approbation du code pénal. BO. n° 2640 bis du 5 juin 1963, p. 843

4
est sanctionnée par l'État ; cette considération de l'origine étatique de la sanction permet à elle
seule de tracer la frontière entre le droit, la religion, la morale et la courtoisie.
En effet, si la sanction juridique trouve son origine de nos jours dans le pouvoir étatique : les
sanctions de la règle de droit1 sont en principe confiées à la puissance publique, la sanction
religieuse découle de la volonté divine. Quand à la sanction morale, elle relève de la
psychologie de l'individu ou du groupe social auquel celui-ci appartient mais elle n'est jamais
d'origine étatique. Et si elle le devient, la règle qu'elle sanctionne cesse d'être une règle morale
pour devenir une règle réellement juridique.

Ainsi, le fait de céder sa place dans un autobus à une personne âgée constitue en l'absence de
sanction étatique un geste de pure morale. Mais une fois assorti de sanction étatique, il devient
un comportement imposé par le droit.

II - La nature de la sanction
25.- le propre d’une règle est d’avoir un aspect contraignant. Cette contrainte n’est pas
toujours pénale. Elle peut revêtir plusieurs aspects.

A. les aspects de la contrainte


Alors que la sanction de la violation d'une règle morale ou religieuse est de nature
psychologique (remords) ou eschatologique (l’enfer dans l'au-delà), celle attachée à la
violation de la règle juridique est à la fois temporelle (terrestre, séculière) et matérielle.
Elle peut être de nature pénale et sa sévérité varie en fonction de la gravité de l'infraction
commise, peine et/ou mesure de sûreté (la mort, la réclusion criminelle, l'emprisonnement,
l'amende, la dégradation civique, l'interdiction légale, etc.), mais elle peut être de nature
civile (réparation en nature ou allocation de dommages intérêts).
A ce propos, il convient de rappeler que certains auteurs opèrent une autre classification des
sanctions juridiques et distinguent, la sanction-exécution qui consiste à saisir les biens du
débiteur , la sanction-réparation qui se manifeste par la nullité de l'acte juridique entâché
d'illégalité et l'allocation de dommages intérêts, et la sanction-punition qui se révèle par
l'application des peines pénales telles que celles-ci sont prévues aux articles 16,17,18 et 36 du
code pénal2.
Cela étant, que les règles de droit soient coercitives parce que sanctionnées par l'Etat, cela ne
fait aucun doute, néanmoins, il y a lieu de remarquer qu'elles ne présentent pas toutes le même
degré de coercitivité ; c'est-à-dire de contrainte.

En effet, si certaines règles de droit sont impératives ou d'ordre public, d'autres, en revanche,
sont simplement supplétives ou interprétatives de la volonté3.

A.-Les règles impératives ou d'ordre public.


26.- Ces règles s'imposent aux citoyens de manière absolue parce que leur observation est
ressentie et considérée comme indispensable au maintien de l'organisation sociale. Nul ne
peut les transgresser sans encourir la sanction étatique appropriée. De la sorte, les particuliers
ne sont nullement autorisés à y déroger par des accords contraires (mise en échec du principe

1
2
3 Le droit musulman opère une distinction semblable mais plus nuancée entre les différents comportements
de l'homme qu'il classe en obligatoires, recommandés ou indifférents d'une part et les comportements
blâmables ou interdits d'autre part. Voir à ce propos R. David, les grands systèmes de droit contemporains.
Paris. Dalloz 1987. 7ème éd. no 436.
de l'autonomie de la volonté). Quant au juge, il est tenu de les appliquer d'office c'est-à-dire
de son propre chef même si aucune des parties au procès ne le lui demande.
On considère habituellement comme impératives: les règles gouvernant le statut personnel et
successoral (c'est-à-dire le mariage, le divorce, la filiation, la capacité, le testament,
l'héritage). Les règles de droit pénal et de droit public,
Certaines règles de droit du travail (Smig, les congés payés, règles relatives à l’hygiène et la
sécurité du travail, notamment),
La plupart des règles de procédure civile et pénale

B.-Les règles supplétives (interprétatives ou dispositives)


27.- Elles ne s'imposent pas avec la même force que les précédentes. Bien au contraire elles
peuvent être tenues en échec par la volonté contraire des personnes auxquelles elles
s'adressent (suprématie du principe de l'autonomie de la volonté).

Le juge n'est tenu de les appliquer que dans la mesure où les justiciables n'ont pas prévu le
recours à d’autres règles. Le défaut d'impérativité de ces règles peut être expliqué par la
considération qu'elles ne sont pas indispensables pour la pérennité de l'ordre social en place,
et que leur objectif est tout simplement d'indiquer ce qui est permis ou souhaité par le
législateur.

Leur avantage est de suppléer (d'où leur qualification de supplétives) à la défaillance de la


volonté des parties au rapport de droit considéré ; que cette défaillance soit due à leur
ignorance ou à leur désaccord.

A ce stade, une question d'importance se pose:


Comment savoir si l'on est en présence d'une règle impérative ou simplement supplétive?
Parfois c'est la règle de droit en cause qui nous renseigne sur sa nature. Ainsi, une loi qui
comporte une mention du genre "toute disposition contraire est réputée non écrite" ou encore
"cette règle est d'ordre public" est, à coup sûr, impérative. Tel est le cas par exemple de
l'article 73 du dahir formant code des obligations et contrats (D.O.C.) qui dispose: « Le
locateur d'ouvrage (c’est-à-dire l’entrepreneur) répond non seulement de son fait mais de sa
négligence de son imprudence et de son inertie. Toute convention contraire est sans effet».
Il est évident que ce texte est impératif en raison du fait qu'il interdit aux parties au contrat
d'entreprise de faire échec à l'obligation de garantie qui pèse sur l'entrepreneur par des
conventions contraires.
En revanche, serait tout simplement supplétive, la loi qui autorise les parties à prévoir une
solution différente de celle qu'elle donne. Ex: l'article 734 du D.O.C. relatif au contrat de
travail qui dispose:
"A défaut de convention (contraire) le prix n'est dû qu'après l'accomplissement des services ou
de l'ouvrage qui font l'objet du contrat. Lorsqu'il s'agit de travailleurs engagés à temps, le
salaire est dû par jour sauf convention ou usage contraire".

Cela étant dit, le plus souvent, les textes ne comportent pas de telles mentions. Dans ce cas
c'est au juge qu’il revient de dire si la règle de droit en cause est impérative ou simplement
supplétive.
Pour ce faire, il doit analyser la lettre et l'esprit de la règle. S'il constate qu'elle concerne
l'ordre public ou les bonnes mœurs, il doit la ranger parmi les règles impératives.
Par contre s'il remarque qu'elle ne vise qu’à faciliter les transactions entre les particuliers, et
que son éviction par les parties n'aura aucune répercussion sur les bonnes mœurs et l'ordre
public, il la considérera comme supplétive.
Il y a lieu de remarquer, cependant, que la plupart des règles supplétives résident dans les lois
qui régissent les obligations ou transactions c'est-à-dire, principalement, le code civil et le
code de commerce. En effet, dans ces domaines, le législateur présume que les parties au
contrat sont suffisamment avisées pour prévoir des solutions différentes de celle que prévoit la
loi.
Maintenant que nous avons passé en revue les caractères et le critère d'identification de la
règle de droit, il convient de rechercher son but.

La science juridique entre politique et sciences humaines (XIXème-XXème siècles)


Frédéric Audren
Jean-Louis Halpérin
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
2001/1 (no 4)
Science historique, science morale et politique, science sociale... Ces expressions ont été
utilisées pour l’étude du droit depuis plusieurs siècles. L’idée de joindre le droit à l’histoire
a fleuri au XVIème siècle, dans le milieu des humanistes français de l’École de Bourges
étudié par Donald R. Kelley. Avec les Lumières le droit trouve sa place dans les sciences
morales et politiques, toujours en étroit contact avec l’histoire, dans le sillage de
Montesquieu. Sous la Révolution, les Idéologues, comme Daunou ou Destutt de Tracy,
envisagent de créer des écoles supérieures de sciences morales et politiques où serait
enseignée la législation. Le schéma d’organisation de l’Institut répond à cette classification.
Et l’expression « science sociale » est déjà appliquée au droit par des juristes de la première
moitié du XIXème siècle, à l’instar de Cabantous en 1839, à une époque où Jean-Baptiste
Duvergier écrit que « l’influence de la société sur la législation et l’action de la législation
sur la société sont également incontestables ». Pourtant, en dépit de ces rapprochements
précoces, la science juridique a pendant des siècles cultivé l’isolement: dans toute le
continent européen, sur la base de la compilation de Justinien redécouverte à la fin du XI ème
siècle – avec l’élaboration d’une « Écriture du droit en une pratique nécessairement
tautologique et sui-référentielle » (Yan Thomas) – puis particulièrement en France avec
l’avènement de la codification napoléonienne qui fait table rase des sources de l’ancien droit
et s’accompagne de la mise en place d’écoles de droit fermées sur elles-mêmes, destinées à
former des praticiens par la seule connaissance du Code, sans recours aux réflexions
historiques ou philosophiques. Ce sentiment de singularité du Droit par rapport aux autres
disciplines s’est prolongé jusqu’à nos jours: dans les réticences des juristes à faire entrer la
sociologie ou la linguistique dans leurs facultés, dans les relations toujours difficiles entre
historiens-juristes et historiens littéraires depuis les rendez-vous manqués (ou limités à
quelques exceptions comme Gabriel Le Bras) avec les Annales, dans un discours formaliste,
se proclamant positiviste, voire normativiste, qui affirme « l’autonomie absolue de la forme
juridique par rapport au monde social » (Pierre Bourdieu) et la séparation entre la science du
droit et la connaissance des réalités sociales. Un tel isolationnisme explique la pauvreté de
l’historiographie des disciplines juridiques en France jusqu’à ces dernières décennies, y
compris de la part des historiens du droit, comme s’en plaignait Jacques Poumarède en
1980.
2
Dans le cadre d’un regain d’intérêt pour l’histoire de l’enseignement du droit – dont
témoigne la Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique depuis 1984 –,
pour l’histoire de la science juridique française et surtout allemande (notamment Olivier
Beaud, Carlos Miguel Herrera ou encore Olivier Motte), d’une curiosité avivée des
chercheurs en sciences humaines pour un champ juridique réputé en expansion dans les
sociétés post-modernes, ce numéro propose une série de réflexions sur les rapports entre
droit et sciences humaines sous le titre La science juridique entre politique et sciences
humaines. L’histoire sert de lien à ces analyses, dans la mesure où elle a joué un rôle de «
pont » ou de « fenêtre » entre le droit et les sciences humaines, en tant que discours
hétérogène, comme discipline spécifique ou au titre de la défense de la tradition face aux «
dangereuses innovations ». L’ouverture du droit à l’histoire, avec tout ce qu’elle suppose en
termes de signification politique, est ici abordée à travers une série d’assauts ou de chocs
venus du dehors ou ressentis comme tels par les juristes confrontés aux démarches
scientifiques des non-juristes.

Section 2
La finalité de la règle de droit
_________________________________________

28.-Il est unanimement admis que l'objectif du droit est d'organiser la vie des hommes vivant
en société. « Le droit, écrivait Jhering, représente la forme de la garantie des conditions de vie
de la société, assurée par le pouvoir de contrainte de l’Etat 1 ». Toutefois dès que l'on aborde
la question des rapports entre l'intérêt général (de la société) et l'intérêt individuel (des
particuliers) cette unanimité s'effrite. Tant que les intérêts de la société, et de l'individu
concordent il n'y a pas de problèmes: le droit sert les deux intérêts.

Mais dès qu'ils entrent en conflit des difficultés surgissent en termes de priorité. Autrement
dit, quel intérêt le législateur doit-il faire prévaloir? Celui du groupe ou celui d'un membre du
groupe?

La réponse à cette question relève d'avantage des préoccupations du philosophe que de celle
du juriste. Elle a toujours été au cœur de la classique polémique qui a opposé les
individualistes (§1) aux collectivistes. § (2).

§1-. La thèse des individualistes.

29.- Pour les individualistes le but suprême du droit doit être de servir l'intérêt de l'individu,
celui-ci étant de par sa nature même, doté d'un certain nombre de droits subjectifs, c'est-à-dire
de prérogatives et de pouvoirs qu'il faut respecter et protéger juridiquement. Bref l'homme
doit être totalement libre. Et les seules limites à sa liberté doivent être celles auxquelles il a
volontairement consenties en souscrivant au contrat social créateur du pouvoir politique2.
Historiquement, les doctrines individualistes ont été à l'origine du triomphe du libéralisme au
18ème et 19ème siècle en occident. Sur le plan juridique stricto sensu, elles ont défendu avec
acharnement les principes de l'autonomie de la volonté, du respect des contrats, de la propriété
privée, etc.
Cependant, depuis le début du siècle dernier, les dites doctrines vont subir l'épreuve des
changements économiques et sociaux, la montée du marxisme et s’affaiblir, de ce fait, au
profit des doctrines collectivistes.

§ 2 - La thèse des collectivistes


1 R.von.Jhering, L’évolution du droit, cité par L. Assier-Andrieu, 0p.cit ; 44.
2 En référence aux thèses développées par J. Hobbs et J.J Rousseau.
30.-L'idée de base des collectivistes est que l'homme ne vit pas isolé. Bien au contraire, il ne
peut vivre qu'en société, il doit donc vivre pour cette société. Celle-ci est une entité distincte
des éléments qui la composent. Elle dispose, à ce titre, d'intérêts propres, parfois différents de
ceux de ses membres. Ce sont justement ces intérêts collectifs que le droit doit servir,
sauvegarder et protéger même au détriment des intérêts particuliers des citoyens.
En conséquence, l'État est autorisé à faire prévaloir l'intérêt général sur l'intérêt particulier.
Sur le plan économique et social les doctrines collectivistes ont jeté les bases théoriques de
l'interventionnisme étatique tous azimuts qui s'est perpétué jusqu'à la fin de la guerre froide.
Cela ne pouvait, bien sûr, aller sans affaiblir les principes juridiques libéraux classiques.
Ainsi le principe de l'autonomie de la volonté a perdu beaucoup de terrain au profit du
dirigisme contractuel et ce en raison de la nécessité de protéger le contractant faible tel que le
salarié ou l'assuré.
Quant à la conception, autrefois, absolue du droit de propriété, on lui oppose désormais la
fonction nécessairement sociale de ce droit (expropriation pour cause d'utilité publique,
nationalisation).
Enfin la force obligatoire des contrats tombe devant la mutabilité essentielle des contrats
administratifs, contrat qui cristallisent, plus que tout autre acte juridique, la primauté de
l'intérêt général sur l'intérêt particulier.
Cela étant, les discussions entre individualistes et collectivistes ne peuvent être soulevées
qu'en relation avec celles qui ont opposé les philosophes au sujet d'un autre problème, non
moins important : celui du fondement philosophique de la règle de droit.

Section 3

Le fondement philosophique de la règle de droit1


________________________________________________

31.- Pour identifier la règle de droit nous avons examiné ses caractères intrinsèques et conclu
que c'est son caractère coercitif qui permet de la différencier nettement des autres règles de
conduite sociale. De la sorte nous avons conclu que c'est le caractère coercitif qui en constitue
le critère décisif.
Maintenant que cet aspect formel des choses est surmonté, se posent alors les questions
inévitables suivantes : pourquoi le droit existe-t-il et pourquoi est-il respecté? Le droit positif
est-il tout le droit ou bien existe-t-il d'autres règles juridiques en dehors de la loi positive?
Le droit positif est-il toujours digne de respect?
En réalité, pour répondre à ces questions, il faut discuter du fondement même du droit. Or,
c'est là une question d'ordre philosophique qui a divisé les auteurs depuis l'antiquité grecque
jusqu'à nos jours.

Il est vrai que le cadre étroit de cet ouvrage ne permet pas de s'appesantir sur ce débat dont les
termes interpellent plus le philosophe que le juriste.

1 H. Batiffol, la philosophie du droit, problème de base 1979 ; Perelman, Droit moral et philosophie, 2ème
Édition 1976 ; Dorf, les dimensions du droit, Études de philosophie du droit ; Villey, philosophie du droit .Précis
Dalloz 1975 ; A. Brimo, les grands courants de la philosophie de l'État et du droit. Pedone.1978  ; P. Roublier.
Théorie du droit, histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs sociales .2ème Ed. 1951. Voir
également les volumes des archives de philosophie du droit publiés depuis 1952.
Cependant, il ne serait pas dénué d'intérêt de tenter de faire l'exposé sommaire des théories les
plus connues en la matière et qui sont: le jus naturalisme (§1), le positivisme (§2) et le
marxisme (§3).

§1. - Le jus - naturalisme ou Théorie du droit naturel.

Le jus- naturalisme n'est pas une conception monolithique du droit: il existe, en effet,
plusieurs courants jus-naturalistes. Cependant, le point commun et le postulat de départ de
tous les jus-naturalistes est de considérer le droit positif, c'est-à-dire le droit en vigueur dans
un pays donné à un moment donné, comme l'incarnation, le reflet sur terre du droit naturel,
c'est-à-dire de cet idéal de justice considéré comme éternel, universel, invariable et commun à
toute l'humanité.

Par conséquent n'est considéré comme droit, réellement, droit que ce qui est conforme au droit
naturel. Dès lors, à partir du moment où le droit positif n'est plus respectueux du droit naturel,
il cesse d'être droit et ne mérite plus d'être respecté à son tour et les citoyens sont autorisés à y
résister et à le combattre par la violence le cas échéant.

Cette proposition, on la voit bien, est lourde de conséquence pour la stabilité de l'ordre
public. Aussi doit-on s'interroger sur les procédés d'identification du droit naturel (I).
Pour ce faire, il convient de parcourir rapidement l'évolution du droit naturel, avant de nous
interroger sur ses fonctions (II) et enfin de préciser ses limites (III).

I - Identification du droit naturel

C'est au sujet de cette question que les jus- naturalistes vont se diviser en sous-courants de
pensée depuis l'antiquité gréco-romaine jusqu'à nos jours.

A.- Dans l'Antiquité Gréco-romaine.

33.- Les philosophes de l'antiquité gréco-romaine faisaient de la justice l'objectif suprême du


droit. Celui-ci était considéré comme une perpétuelle quête de la justice. Loin d'être au service
de l'ordre ou de la sécurité, le juriste devait servir la justice. D'ailleurs le terme droit et justice
étaient traduits par le même mot grec "Dikaion".
Mais comment déterminer ce qui est juste?
Pour les jus naturalistes de l'antiquité, c'est l'observation de la nature c'est-à-dire de l'univers
qui livre au juriste les secrets de la justice. Cette observation laisse apparaître, en effet, selon
ces mêmes auteurs, un cosmos parfaitement ordonné et harmonieux où l'homme prend
soigneusement place. " De ce qui est, on tire l'essentiel des choses et institutions, on discerne
ce qui doit être"1
Avec les stoïciens grecs notamment Zénon et Chrysippe et romains, surtout Cicéron, le droit
naturel cesse d'être perçu par le sentiment du juste. Désormais, il sera découvert
exclusivement par la raison.
C'est ce qu'exprime Cicéron dans ce passage de son ouvrage intitulé "Republica": «  Il existe
une loi vraie c'est la droite raison conforme à la nature, diffuse en tout et constante. Elle n'est

1 J. Ghestin et G. Goubeaux. Droit civil. Introduction générale. L.G.D.J. 1977 p 8.


pas autre à Rome ou à Athènes elle n'est pas autre aujourd'hui que demain mais une loi
éternelle et immuable ; elle sera pour toutes les nations et tous les peuples ».
Dans cette lignée, Ulpien distingue le jus-civile (droit propre à une cité) le jus-gentium (droit
des gens admis par tous les peuples à une époque donnée) et le jus-naturel (c'est-à-dire le droit
commun éternel et immuable parce qu'il est juste).

B.- Le droit naturel dans la pensée Médiévale


34.- Le moyen âge était marqué en occident par le triomphe de la féodalité comme formation
économique et sociale et du christianisme comme superstructure. A mesure que le droit
naturel s'éclipsait, le droit positif féodal propre à chaque seigneurie devenait formellement
inégalitaire consacrant la hiérarchie, la subordination et la ségrégation en fonction de l'origine
sociale.

Curieusement c'est l'église catholique qui va tenter de remédier à cette situation


fondamentalement inégalitaire. Désormais, la voix des théologiens et des canonistes allait se
faire entendre.

Le plus illustre parmi les penseurs du moyen âge est sans conteste Saint Thomas d'Aquin
(1225-1274) considéré à juste titre par les historiens comme le continuateur de l'apport
d'Aristote dans la pensée chrétienne.
Selon Saint Thomas "le juste est donné par Dieu". Aussi la connaissance du droit naturel peut-
elle emprunter deux voies:
La première, la voie laïque, déjà utilisée par les auteurs grecs, consiste à observer
attentivement la création, l'univers biologique et en déduire le droit par la raison. Celle-ci
n'étant nullement en contradiction avec la foi, elle en est plutôt la démonstration la plus
éclatante.
La seconde, la voie religieuse, réside dans l'étude des textes bibliques qui renfermaient
l'essentiel des principes du droit naturel.
A cet égard la science juridique est devenue intimement liée à la théologie.

C.-Le Droit Naturel dans la philosophie du 18ème siècle


35.- L'histoire de la philosophie du droit nous enseigne que la notion de droit naturel religieux
au moyen âge va se laïciser au 18ème siècle dit "siècle des lumières".
Le juriste hollandais Hugo de Groot, plus connu sous le nom de Grotius, est
traditionnellement considéré comme le père du droit naturel moderne.
Certes, cet auteur ne rejette pas totalement l'idée d'un droit naturel divin mais il déclare croire
à l'existence d'un droit naturel laïque et rationnel "tellement immuable qu'il ne peut être
changé même par Dieu".
Ce caractère d'extrême rationalité attaché par Grotius au droit naturel ne pouvait manquer
d'influencer la démarche adoptée pour la découverte de celui-ci.
Selon Grotius deux méthodes s'offrent à l'esprit humain pour l'appréhender1.
La première (méthode déductive) est fondée sur le raisonnement.
Elle consiste pour le juriste à extraire les principes fondamentaux du droit naturel par l'analyse
rationnelle de la nature humaine (Ex: instinct de sociabilité chez l'homme, nécessité d'une
organisation politique - juridique et du respect des contrats).
La seconde méthode dite comparative consiste à déduire des usages comparés des peuples les
règles qui peuvent être considérées comme naturelle parce qu'elles traduisent la sociabilité
humaine.

1 Cf. A. Brimo, les grands courants de la philosophie du droit et de l’Etat. Pedone 1978 PP 95 et s.
On constate donc qu'en laïcisant le droit naturel, Grotius a coupé les ponts avec la théologie
pour lui substituer une conception purement rationaliste du droit naturel.
Parallèlement au droit naturel, Grotius admettait l'existence d'un droit positif volontaire tirant
sa force du consentement des peuples. Le principe "pacta sunt servanda" (respect des
conventions), est selon cet auteur, à la base de tout droit positif qu'il soit public ou privé,
interne ou international... "Puisqu'il est de droit naturel de tenir ses engagements, il est
justifié de donner effet aux règles reposant sur la volonté concordante des individus".

C'étaient les prémices de la célèbre théorie du contrat social qui fera fortune plus tard avec J.
Locke (1632-1704) et surtout J.J. Rousseau (1712-1778).

II - Les fonctions du Droit Naturel

36.- La supériorité du Droit Naturel sur le droit positif lui fait jouer une double fonction: celle
d'inspirer et orienter le législateur (fonction normative) (A) et celle de servir d'arme de combat
politique contre les ordres jugés injustes (fonction politico idéologique) (B).

A.-La fonction normative du Droit Naturel.


Étant un droit abstrait tiré d'une source supérieure (la nature biologique, Dieu ou la nature
humaine) le droit naturel doit, selon ses partisans, orienter le législateur dans sa recherche de
la justice et du bien. De ce point de vue, il constitue le critère d'appréciation du droit positif.
Si ce dernier lui est conforme il sera respecté parce qu'il aura les attributs du droit. Sinon, il
sera perçu comme un ensemble d'ordres sans autorité et donc dépourvus de légitimité ce qui
autorisera les citoyens à les combattre.

B.-La fonction Politico idéologique du droit naturel


Cette fonction s'est surtout manifestée à travers le discours juridico-politique de la révolution
française de 1789. En effet la société féodale était une société ouvertement inégalitaire
reposant sur la domination de la noblesse et du clergé sur l'écrasante majorité du peuple
français que représentait le tiers État. Pour renverser l'ordre féodal, la bourgeoisie française a
eu recours au droit naturel: « l’ordre féodal, disait elle, est injuste, il est contraire au droit
naturel. Par conséquent il faut y mettre fin ».
C'est ce qui ressort de la constitution de 1793 qui énonça :"face aux lois injustes, la rébellion
est le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs".

Et même de nos jours, il n'est pas rare que le droit naturel soit invoqué par les peuples et les
classes sociales opprimées pour légitimer leur lutte contre les ordres injustes.
C'est au nom du droit naturel humanitaire (droits de l'homme) que les nations soumises à des
régimes dictatoriaux revendiquent des réformes constitutionnelles.
C'est au nom du jus-naturalisme que les peuples colonisés réclament leur droit à
l’autodétermination, ce qui par un curieux retour de situation a donné au jus naturalisme une
vigueur nouvelle.

III. - Critique du Droit Naturel1.


37.- On a reproché à la théorie du droit naturel d'être discutable dans son principe même (A),
inefficace et dangereuse dans sa mise en œuvre (B).

1J.P. Gridel. op. cit. p 14.


A.- L'inexactitude de la théorie du droit naturel.
Il a été constaté que le postulat de départ, des jus-naturalistes consistait à dire qu'il existe un
droit naturel supérieur et antérieur au droit positif, que ce droit pouvait être recherché soit
dans la nature extérieure soit dans la nature humaine soit dans l'écriture sacrée.
Ces affirmations sont toutes contestées.

1- L'incertitude sur les sources du droit naturel.


Comment prouver l'existence du droit naturel?
Révélation divine, conviction intime, raison humaine, les jus-naturalistes n'apportent aucune
réponse sérieuse quant à la preuve tangible de l'existence de ce droit.

2- L'imprécision quant au contenu du droit naturel.


A supposer même que le droit naturel existe, il n'a pas un contenu ident ique pour tous les
auteurs. Il est difficile de souscrire à l'idée d'une justice éternelle et universelle et
invariable : " des principes fondamentalement ressentis dans tous les temps et sous toutes les
latitudes de la même manière". Ce qui est considéré comme juste dans un pays donné pourrait
être ressenti comme abominable dans un autre c'est parce que; à son époque, l'esclavage se
rencontrait partout qu'Aristote le disait de droit naturel1".
C'est ce qu'exprime Pascal dans sa formule célèbre "plaisante justice qu'une rivière
borne, vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà".
Afin d'échapper à cette objection, certains auteurs comme l'allemand Stamler et le Français
M. Villey ont tenté d'avancer l'idée selon laquelle le droit naturel aurait un contenu variable
selon les civilisations. Une telle variabilité, reconnaissons le, entraîne une incertitude
absolue quant à son contenu. Or, si le droit naturel doit servir d'instrument de mesure pour
juger de la légitimité du droit positif, il doit être stable, condition élémentaire de tout
instrument de mesure.

Pour sortir la thèse jus-naturaliste de l'impasse, certains juristes contemporains tels que Geny,
Planniol et Capitant ont soutenu que le droit naturel se réduirait finalement à quelques
directives générales, quelques principes fondamentaux qui servent de références au droit
positif, tels que l'obligation alimentaire entre proches parents, le respect de la personnal ité
humaine, l'obligation d'honorer ses engagements, etc.

L'idée est séduisante, mais si l'on accepte de réduire le droit naturel à ces principes, aura-t-il
l'intérêt théorique qu'on lui reconnaît habituellement en tant que critère d'appréciation du droit
positif?
La réponse ne peut être, là encore, que négative !

3- La relativité du droit naturel


« Le droit naturel d'Aristote suppose que l'homme soit un (bon) animal politique, et
accessoirement celui de Grotius que la raison humaine soit immanquablement droite. C'est
une vue optimiste des choses. Elle n'est pas à ce point évidente au spectacle que l'homme nous
donne chaque jour, maintenant en direct sur les écrans de télévision.
On peut légitimement y substituer une vision pessimiste que la nature est mauvaise et que
l'homme est pervers, que l'état naturel de la société est l'état de guerre de chacun contre
chacun et de tous contre tous. L'homme est un loup pour l'homme, et la collectivité des
1 Ibidem.
hommes une lutte à mort de l'individu comme du groupe pour affirmer leur existence et la
possession des biens qu'ils convoitent. Tel est le postulat de Hobbes. En cet état, la norme
supposée pour que l'homme puisse entrer dans une société civile consiste en l'aliénation de sa
liberté contre la sécurité que lui apportera le monarque. Celui-ci édicte des lois et les fait
exécuter, il tranche les conflits et impose son jugement. Le pacte social ne peut être garanti
que par la force qui n'est qu'une violence légale.1 »

B. - L'inefficacité du Droit Naturel


Admettre l'existence du droit naturel, répétons le, entraîne deux conséquences:
L'obligation pour le législateur d'édicter des lois justes, et l'obligation pour le citoyen de se
révolter contre les lois injustes.
Or, c'est précisément ici que se manifeste l'inefficacité de la théorie du droit naturel.
D'une part il n'y a aucun moyen pour contraindre le législateur à se conformer au droit naturel:
l'exemple de l'Apartheid en Afrique de Sud fut, à cet égard, très édifiant.
D'autre part, la résistance des citoyens aux lois injustes suppose que le rapport de force au
sein de la société ait déjà basculé contre l'ordre établi, ce qui est souvent difficile à réaliser.
D'où le caractère dangereux du droit naturel.

C - Danger de la théorie du Droit Naturel.


Ce danger provient du fait que la théorie jus-naturaliste autorise, voire, recommande aux
citoyens de résister aux lois qu'ils jugent injustes alors qu'il peut exister plusieurs conceptions
de la justice au sein de la société.
Ce qui est injuste pour le salarié ne l'est pas forcément pour l'employeur. Ce qui est juste pour
l'épouse peut être injuste pour le mari, etc.
La justice étant une notion contingente et subjective, il serait très dangereux pour la stabilité
de l'État de recommander aux citoyens de remettre en cause les lois au motif qu’elles ne
seraient pas conformes au droit naturel.
C'est en partie à partir des critiques du droit naturel, qu'une autre doctrine verra le jour pour
expliquer le fondement du droit: c'est la doctrine positiviste.

§ 2. - LA DOCTRINE POSITIVISTE
38.- Le positivisme philosophique se présente comme une philosophie générale, embrassant
tous les problèmes de l’homme2.
C’est la doctrine qui cherche à expliquer la réalité par l'observation scientifique des
phénomènes et l'expérimentation, en dehors de toute spéculation métaphysique.
En droit, le positivisme est la conception qui nie l'existence du droit naturel au profit du seul
droit positif.

I.- Exposé de la doctrine positiviste


39.- Les positivistes partent du droit positif, c'est-à-dire non du droit donné par la nature ou
par Dieu mais du droit posé par les hommes dans un pays donné à une époque déterminée.
Pour eux, nul besoin de chercher à légitimer le droit par l'idée de justice comme le proposent
les jus - naturalistes. Le droit, affirment-ils, tire son fondement, sa justification et son titre
d'application de sa propre existence, peu importe qu'il soit juste ou injuste.
Par conséquent, on peut dire que le positivisme est la négation totale et formelle du droit
naturel. Le droit idéal, estiment les positivistes, ne peut-être qu'affaire d'options politiques ou
morales personnelles qui ne saurait entrer dans les préoccupations des juristes scientifiques.3

1 R. Martin : « Aller et retour de Kelsen à Aristote ». RTD Civ. 1997 p. 387


2 A. Brimo : Op.cit. p 272 et s.
3 M. Viraly. Le phénomène juridique. Revue de droit public.1966.p59
Par conséquent la tâche du juriste doit se limiter à appliquer et expliquer le droit positif. Dès
lors que l'on critique le droit en vigueur au nom de la justice, on abandonne le terrain
scientifique pour la politique et le juriste redevient alors un simple militant. Certes le citoyen
peut critiquer le droit positif mais il doit le faire en tant que citoyen et non en tant que juriste.

Fiche n° 6
X. Magnon
En quoi le positivisme - normativisme - est-il diabolique ?
Etude critique
RTD Civ. 2009 p. 269

Le positivisme, selon ses différents courants, peut être synthétisé ensuite autour de cinq thèses mises
en lumière par Herbert Hart :
« (1) les règles de droit sont des commandements émanant d'êtres humains [étude des
commandements humains] ;
(2) il n'y a pas de connexion nécessaire entre droit et morale, ou entre le droit tel qu'il est et le droit
tel qu'il devrait être [indépendance du droit et de la morale] ;
(3) l'analyse ou l'étude des significations des concepts juridiques constitue une étude importante qu'il
faut distinguer (...) des recherches historiques, des recherches sociologiques, et de l'évaluation critique
du droit au regard de la morale, des finalités sociales, des fonctions, etc. [autonomie et spécificité du
discours juridique] ;
(4) un système juridique constitue un « système logique fermé » dans lequel les décisions correctes
peuvent être déduites, par des méthodes exclusivement logiques, de règles juridiques prédéterminées
[déterminisme logique du système juridique] ;
(5) des jugements moraux ne peuvent, contrairement au jugement de fait, être émis sur [la] base d'une
argumentation rationnelle, d'une évidence ou d'une preuve (« non cognitivisme dans le domaine
éthique ») ».
Parmi ces différentes thèses, trois d'entre elles semblent les plus touchées par les critiques : la thèse 2
(indépendance du droit et de la morale), la thèse 3 (autonomie et spécificité du discours juridique) et
la thèse 5 (non-cognitivisme dans le domaine éthique).

Au delà de ces idées communes à tous les positivistes, on distingue habituellement trois
tendances au sein du positivisme: le positivisme juridique ou étatique (A), le positivisme
sociologique (B) et le positivisme marxiste (C).

A.-Le positivisme juridique.


40.- Pour les partisans du positivisme juridique, la seule source du droit est la volonté du
titulaire du pouvoir politique.
A l'origine, cette doctrine a trouvé ses principaux défenseurs parmi les théoriciens du pouvoir
absolu du prince. On peut citer à cet égard J. Bodin 1 (1530-1596), Bossuet2 (1624-1740) et
Machiavel (1469-1527).

Mais le positivisme étatique, n'atteindra en réalité, son apogée, qu’au XIXe siècle avec Hegel
(1770-1831) et au XXe siècle avec Jelinek et Kelsen.

1 Jean Bodin (1529-1596). Juriste, économiste, conseiller politique, mais aussi historien, et astrologue.
2Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704). Théologien, orateur historien, philosophe cartésien indépendant. Ses
œuvres principales sont ses Oraisons funèbres (Henriette d’Angleterre, Prince de Condé, etc.) et ses Sermons,
le Discours sur l’Histoire universelle, le Traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même et l’Histoire des
Variations des Églises protestantes. 
Pour Hegel: "le rationnel et le réel se confondent". Ce qui est rationnel, dit il, est donc
acceptable pour l'esprit humain, c'est ce qui existe de manière effective. Par conséquent, le
droit tire sa justification de son existence effective.
C’est ce que Hegel veut dire en écrivant "il (le droit) se révèle par la puissance qui réussit à le
réaliser" (l'État qui en impose l'application). Dès lors l'État est la seule source du droit.
D’où l’existence d’un véritable culte de l'État, attitude à comprendre en relation avec la lutte
des peuples d'Allemagne au XIXe siècle pour leur unité en une seule nation, ce qui se
réalisera effectivement en 1870 sous l'influence de la presse et la conduite de guillaume II et
de Bismarck.
Quant à Ihering, il a mis l'accent sur la contrainte étatique pour expliquer le phénomène
juridique: "Le droit, dit-il, est la politique de la force".
L'auteur a dégagé par ailleurs, la théorie de l'auto- limitation de l'État qui sera développée plus
tard par Jelinek. En effet, dans sa théorie générale de l’Etat (1900), la pensée de Jelinek 1
consiste à dire que l'État étant la seule autorité habilitée à produire le droit (d'où la
marginalisation de la coutume) ; que la règle juridique se caractérise par le fait qu'elle émane
du pouvoir étatique qui en garantit l'application et l'effectivité, par conséquent si le droit qui
est donc une création de l'État s'impose à l'État lui même c'est parce que ce dernier s'y soumet
volontairement par une sorte d'auto - limitation (limitation personnelle).

S’agissant de H. Kelsen2, cet auteur considéré comme le symbole du normativisme et la


source de toutes les dérives positivistes3, construit sa doctrine sur le fait que les règles
juridiques sont classées rigoureusement selon une hiérarchie qui fait apparaître une sorte de
pyramide au sommet de laquelle on trouve la constitution et à la base de laquelle on trouve
les actes juridiques des particuliers et les décisions de justice. Chaque règle tire sa force
obligatoire de la règle qui lui est immédiatement supérieure dans cette pyramide appelée, par
ailleurs, ordonnancement juridique.
Ainsi les règlements de l'autorité administrative sont-ils subordonnés à la loi formelle
(émanant du pouvoir législatif) elle même subordonnée à la constitution. La règle de droit
apparaît ainsi comme le produit des différents organes de l'État (législatif, exécutif, judiciaire)
le tout sous l'autorité suprême de la constitution, c'est-à-dire de l'État. Par conséquent il y a
une sorte de fusion du droit dans l'État.

Cette construction de Kelsen pour rigoureuse quelle fût, souffre d'une faiblesse que les
auteurs postérieurs n'ont pas manqué de mettre en évidence. La pyramide des règles
Kelseniennes reste, suspendue à une règle que l'auteur ne définit pas.
Quelle est en effet cette norme d'origine de laquelle émane la constitution elle-même?
Cela importe peu, la théorie de Kelsen avait le mérite, soulignent certains auteurs, de dégager
la science juridique de sa gangue morale ou métaphysique. Cependant Kelsen a fait la part
trop belle à l’État et au juridisme pur et dur.

1 Georg Jelinek (1851-1911). Juriste allemand, resté célèbre pour ses réflexions sur la philosophie du droit et
la théorie du droit. Il est, notamment, connu pour être à l'origine d'une définition de la souveraineté et d’avoir
inventé le concept de la "doctrine des droits publics subjectifs".
2 Hans Kelsen,(1881-1973 est un juriste austro-américain. Dans le domaine du droit, il est à l'origine de la
« théorie pure du droit ». Il est le fondateur du normativisme et du principe de la pyramide des normes.
Parmi ses œuvres : la théorie pure du droit. Traduction 1962. Sur l'œuvre de Kelsen voir notamment: Mjedz,
Angora, philosophie positiviste du droit ou droit positif .1970. Heraux.
L’influence de Kelsen dans la doctrine française contemporaine. Annales de la faculté de droit de Toulouse.
1958. T. VI. Fasc. 1. p 171. Maure, observations sur les idées du professeur Kelsen Revue critique de législation
et de jurisprudence. 1929. P, Anselek, Réflexions critiques autour de la conception kelsenienne de l'ordre
juridique. Revue de droit public 1978 p.5-19 et la réplique de M.Troper, la pyramide est toujours debout.
Revue de droit public 1978 pp.1523-1536
3 X. Magnon. En quoi le positivisme - normativisme - est-il diabolique ? Etude critique. RTD Civ. 2009 p. 269
B - Le positivisme sociologique
41.- Défendue à partir du XIXe siècle par les juristes Français et certains juristes Allemands,
cette doctrine considère que le droit provient non pas de la seule volonté de l'État comme le
prétendent les positivistes étatistes, mais de la société dans sa globalité (mœurs, coutumes,
usages, histoire, culture, etc).
Au sein du positivisme sociologique, on a pu distinguer deux écoles: l'école historique
allemande et l'école sociologique française.

1- L’école historique Allemande


Pour l'école historique Allemande, représentée par son illustre chef de file Friedrich Karl Von
Savigny1, le droit positif n'est rien d'autre que le produit de l'évolution propre à chaque
peuple. S'il s'impose aux citoyens ce n'est par parce qu'il est l'expression de la volonté de
l'État mais parce qu'il est l'expression de l’âme des nations (Volksgeist).
Il ne saurait être une construction abstraite et rationnelle comme le prétendait les auteurs de la
révolution française.
Par conséquent au lieu d'élaborer des lois rationnelles et à vocation générale et quasi-
universelle comme l'a fait Napoléon (extension du code civil Français à tous les pays
conquis), l'école historique Allemande proposait de laisser "jouer" les forces profondes de
chaque société sur le droit et d'accorder l'attention au droit spontané (coutume) propre à
chaque nation. Mais Savigny n'ignorait pas tout de même pas la parenté qui existait entre les
droits des pays du Continent Européen du fait de leur commune filiation à l'égard du droit
romain d'une part et de la religion chrétienne, d'autre part
2.-L'école Sociologique Française
Représentée par Auguste Comte2, Emile Durkheim3 et Léon Duguit4 , cette école part de
l'affirmation selon laquelle, les lois de l'histoire des peuples ne représentent pas une grande
certitude scientifique. Le droit étant un produit de la société (point commun à tous les
positivistes sociologistes), sa découverte ne peut se faire qu'à travers une analyse scientifique
de la société. Et donc on peut découvrir le droit par la sociologie appuyée sur l'histoire,
l'ethnologie, les statistiques et l'économie politique.
Cette analyse, une fois accomplie, laisse à penser que le droit est d'une part un produit de la
conscience collective (selon L. Duguit) et d'autre part un révélateur de la solidarité sociale.
A cet égard, L. Duguit soutient que le droit positif trouve son fondement dans le sentiment
d'interdépendance des hommes vivant en société. Si le droit s'impose aux citoyens, disait il,
c'est parce que ceux-ci (la masse des consciences individuelles) sont convaincus de l'intérêt,
voire, de la nécessité du droit pour la cohésion et la solidarité entre les membres du groupe
social considéré.

II. - Critique du positivisme

Le positivement subit la critique qu’il soit étatique (juridique) (A) ou sociologique (B).
A - Critique du positivisme étatique

1 Friedrich Carl von Savigny (1779-1861) est un juriste allemand qui créa l'école historique allemande. Pionnier
de la réforme du droit pénal allemand, et l’un des fondateurs de l'école moderne d'histoire du droit 
2 Philosophe et sociologue français, (1798 1857). Il forgea en 1839 le terme de sociologie dans son Cours de
Philosophie Positive pour désigner l’étude des lois relatives aux phénomènes sociaux.
3Sociologue français, (1858-1917), considéré comme le fondateur de la sociologie moderne. Ses cours et ses
écrits traitent, notamment, de la solidarité sociale, du suicide, du fait moral et religieux, des méthodes
pédagogiques.
4 Juriste français spécialiste de droit public (1859–1928) . Il est l'inventeur d'une méthode : Le positivisme
Sociologique. Etudiant de Durkheim, il devient professeur agrégé de droit public et doyen de l'Université de
Bordeaux.
42.-Le positivisme étatique pèche d'abord par un excès d'admiration de l'État. Or, l'État n'est
rien sans la société.
Ensuite, dire que le droit est l'œuvre de l'État, c'est accorder la primauté à la loi au détriment
de cette autre source directe du droit qu'est la coutume, d'autant qu'il existe des systèmes
juridiques où l'essentiel des règles est d'origine coutumière. (Système anglo-saxon).
Enfin, en recommandant aux citoyens de se plier au droit positif considéré comme le seul
droit existant et en interdisant au juriste dit scientifique de porter un jugement de valeur sur le
droit positif au motif qu'un tel jugement de valeur relèverait de la philosophie ou de la
politique et non de la science juridique, le positivisme étatique est tombé dans une prudence
proche de l'immobilisme et a conduit ses partisans à cautionner même les ordres les plus
injustes (pouvoir absolu, dictateurs...).
C'est ce qui explique en grande partie l'admiration que le régime nazi du 3 ème Reich en
Allemagne avait pour Hegel, le plus illustre des positivistes étatistes.

B - Critique du positivisme sociologique


Le positivisme sociologique assigne à la coutume un rôle démesuré par rapport à la loi dans
la création des règles juridiques. Or, nul ne saurait ignorer le rôle que peut jouer la loi dans la
création du droit et dans son évolution. Dans certains pays l'État a mis sur pied des réformes
que la société civile était loin de revendiquer.
D'ailleurs, l'histoire nous enseigne que les grandes avancées du droit ont été le résultat d'une
volonté politique des gouvernants donc de l'État et non le produit de la société civile. C'est le
cas de la réforme du droit de la famille en Tunisie, de laïcisation du droit en Turquie, de la
réforme du droit du travail en France.
Le positivisme sociologique s'est vu également reprocher de se borner à affirmer que le droit
est le produit de la société. Cela semble insuffisant!
Ce qui importe, c'est d’expliquer et dire pourquoi tel type de société, tel type de droit. Il
s’agit, en d’autres termes, de montrer la dimension de classe du droit.
C'est ce que les marxistes ont tenté de faire.

Fiche n6
X. Magnon
En quoi le positivisme - normativisme - est-il diabolique ?(1)
Etude critique
RTD Civ. 2009 p. 269
«Parce que la doctrine positiviste interdit, dès son principe, toute interrogation fondamentale, elle
fait peser sur le droit un lourd soupçon : n'aboutit-elle pas à défier, par l'aridité contradictoire et
mortelle de sa volonté scientiste, l'idéalité et les valeurs de l'humanisme ? »(2).
« Le positivisme juridique se défend de toute impureté idéologique et métaphysique (...) : il parlerait
seul du vrai droit et toute autre théorie serait condamnée à errer dans le rêve, dans les choix
idéologiques et métaphysiques »(3).
Selon le « dogme général du positivisme », le juriste ne doit jamais « discerner le juste », il doit
demeurer « neutre ; peu lui importe que [les] textes [qu'il étudie] visent la domination de la race
germanique sur le monde, l'élimination des bourgeois, l'épanouissement des libertés, ailleurs la
justice »(4).
(1) Cet article est issu d'un rapport écrit présenté au VII e Congrès français de droit constitutionnel
qui s'est tenu Paris les 25, 26 et 27 sept. 2008.
(2) S. Goyard-Fabre, L'illusion positiviste, in Mél. Paul Amselek, Bruyland, 2005, p. 374.
(3) C. Atias, Fonder le droit ? (Simples propos extra petita et obiterdictum sur les contradictions du
positivisme juridique), in Mél. Paul Amselek, op. cit., p. 31.
(4) M. Villey, Philosophie du droit. Définitions et fins du droit (t. 1). Les moyens du droit (t. 2),
Dalloz, réédition, 2001, p. 137.
II.-La théorie Marxiste du Droit
43.- Contrairement à une croyance largement partagée, l'œuvre de Karl Marx 1 ne comporte
pas un exposé systématique, une théorie, explicite et complète du droit.2
Ce que l'on appelle, volontiers aujourd'hui, la théorie marxiste du droit n'est en réalité que le
résultat d'un travail d'interprétation accompli par les juristes se réclamant du marxisme sur
quelques fragments parsemés ici et là dans l'œuvre de Marx.

A.-L'idée marxiste du droit


Nous savons à présent que pour les jus-naturalistes le droit en vigueur dans un pays donné ne
s'explique et ne se justifie que par l'idée de justice c'est-à-dire par sa conformité au droit
naturel, et que pour les positivistes, en revanche, le droit trouve sa raison d'être soit dans la
volonté de l'État (positivisme juridique) soit dans celle de la société (positivisme
sociologique).

En affirmant que "les rapports juridiques ainsi que les formes de l'État ne peuvent être
compris ni par eux-mêmes ni par la prétendue évolution générale de l'esprit humain mais
qu'ils prennent au contraire leur racine dans les conditions d'existence matérielles", Marx
renvoie dos à dos l'idéalisme et le positivisme dans ses deux variations étatique et
sociologique.
Pour Marx, le droit ne s'explique pas "par lui même" et ne tire pas sa justification de "sa
propre existence" comme le soutiennent les positivistes; il n'est pas non plus le résultat de la
« prétendue évolution de l'esprit humain » comme l'affirment les jus naturalistes.
C'est le produit des hommes. Mais comment naît-il et pourquoi est-il contraignant?

A ces questions, auparavant, adressées aux jus-naturalistes et aux positivistes, Marx construit
sa réponse à partir de l'analyse suivante: « dans la production sociale de leur existence, les
hommes entrent dans les rapports déterminés nécessaires et indépendants de leur volonté;
rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs
forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constituent la
structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure
juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de consciences sociales
déterminées ».
La lecture exégétique de ce texte permet une meilleure assimilation de l'analyse marxiste dans
les termes suivants: le droit et les institutions politiques (ex: l'État) font partie au même titre
que les idées, et les expressions artistiques de ce que Marx appelle: la superstructure.
Celle-ci s'élève sur la structure économique, la base concrète de l'infrastructure qui comprend
les rapports de production existant dans un pays donné à une époque historique déterminée,
c'est-à-dire les relations qui se nouent entre les hommes à l'occasion de la production des
biens destinés à satisfaire les besoins sociaux. Ces rapports sont à leur tour déterminés par
l'état des forces productives humaines et matérielles.

Mais quelle est, alors, la relation entre base économique et superstructure, autrement dit entre
les rapports de production et le droit?
Marx répond: « tout changement dans la base économique renverse plus ou moins
rapidement toute l'énorme superstructure». Cela veut dire que tout changement dans
l'infrastructure entraîne un changement parallèle dans la superstructure y compris le droit.

1 Karl Heinrich Marx, (1818-1883) était un philosophe, économiste et théoricien socialiste et


communiste allemand.
2 Marx abandonna très tôt le droit pour s’orienter vers l’histoire et la philosophie. A. Brimo. Op. cit. p 471
Ainsi, il apparaît qu'à chaque régime économique correspond une superstructure bien
déterminée, un droit propre et que c'est la base économique, c'est-à-dire l'infrastructure qui
détermine et oriente l'évolution de la superstructure, donc du droit.
Tant que la société sera une société de classe la superstructure aura un caractère de classe et
aura pour objectif de défendre de manière directe ou indirecte les intérêts de la classe
dominante, propriétaire des moyens de production.
Ainsi lorsque le régime économique féodal était dominant en Europe, le droit était
formellement inégalitaire et consacrait la hiérarchie et la domination de la féodalité sur le
reste de la société.
Mais lorsque le capitalisme a triomphé, le droit s'est mis au service de la bourgeoisie ; il est
devenu un moyen de maintien des nouveaux rapports de production; (respect de la propriété
privée, liberté contractuelle, liberté du commerce et de l'industrie, etc.).
Il est certes apparemment égalitaire dans ses symboles (liberté, fraternité, égalité) mais en
réalité il est inégalitaire (exploitation du travail par le capital).

Cependant, dire que le droit à l'instar des autres composantes de la superstructure est le reflet
de la base économique (l'infrastructure) ne doit pas signifier que la superstructure n'a qu'un
rôle passif. Bien au contraire, elle agit de son côté sur l'infrastructure soit dans un sens
réactionnaire lorsqu'elle tend à maintenir les vieux rapports de production (ex: rapports
féodaux au XVIIIe siècle et rapports capitalistes au XIXe siècle) soit dans un sens
progressiste lorsqu'elle tend à créer de nouveaux rapports de production mieux adaptés au
niveau des forces productives.

En conclusion, on peut dire que pour les marxistes le droit en tant qu'élément de la
superstructure est élaboré et imposé par la classe qui domine au sein de chaque société. Son
histoire est aussi celle de la lutte des classes.

B.- Applications historiques du marxisme


44.- A l’origine, observe Engels1, la société humaine était dépourvue de classes sociales parce
que les individus étaient dans la même situation par rapport aux moyens de production.
Certes, ils observaient un certain nombre de règles de conduite mais celles-ci n'avaient rien de
juridique puisqu'elles n'étaient pas contraignantes.
Plus tard, avec la division du travail, une partie de la population s'est emparée des moyens de
production et a commencé à exploiter l'autre partie
D'où la formation de deux classes sociales antagonistes. La classe des propriétaires des
moyens de production et la classe des non propriétaires des dits moyens.
C'est à ce moment là que le droit et l'État sont nés selon Engels.
Selon les marxistes, par conséquent, l'origine du droit est liée à celle de l'État. Autrement dit,
il existe une corrélation entre le phénomène juridique et le phénomène étatique. Étant issus de
la même infrastructure économique, ils sont considérés comme des réalités interdépendantes.
De même qu'on ne peut imaginer l'existence du droit sans sanction étatique, on ne peut
concevoir l'existence de l'État sans système de contrainte juridique.
Pour les marxistes, l'État et le droit sont pratiquement synonymes. Il s'agit de deux notions
identiques et simultanées entre lesquelles il n'y a ni ordre chronologique ni primauté
hiérarchique: droit et État ne sont pas deux problèmes distincts mais deux faces d'un même
problème, des frères jumeaux2.
1 Friedrich Engels (1820-1895) fut un philosophe et théoricien socialiste allemand, grand ami de Karl Marx.
Ouvrage fondateur de la conception marxiste de l’Etat : "les origines de la famille de la propriété et de l'État".
1884.
2 Vychinski cite par J.J. Chevalier et D. Loschak. Science administrative. Tome I. LGDJ. 1978.p. 524 A. Brimo;
Op. cit. p 476 et
Il est évident que la puissance de l'État et son empire sur la société civile s'exprime avant tout
par la norme juridique qui est le signe caractéristique et le moyen privilégié du pouvoir
institutionnaliste de l'État.

Comme chez Kelsen, les notions d’Etat et de droit coïncident parfaitement, dans la vision
des marxistes, à telle enseigne que l'ordre juridique peut être appelé indifféremment droit ou
État.
Mais à la différence de Kelsen qui fait abstraction totale de la réalité sociale et ignore les
rapports sociaux de production, pour se réfugier dans sa théorie du pur droit, comme si celui-
ci était d'origine extraterrestre, à l'opposé, les auteurs marxistes partent du réel, du vécu, de
la base économique pour montrer les liens étroits et indéfectibles existants entres la réalité
socio-économique et la norme juridique.
Aux yeux des auteurs marxistes, de la société esclavagiste à la société capitaliste en passant
par la féodalité, le droit n'aura été que l'instrument de consécration de la domination de la
classe propriétaire des moyens de production.
Par conséquent, dans la société communiste qui sera sans classe à la suite de la
collectivisation de tous les moyens de production, il n'y aura plus besoin ni de l'État, ni du
droit1.

Cependant les changements intervenues, au crépuscule du siècle dernier, dans l'Est de


l'Europe (effondrement du mur de Berlin, réunification allemande; Disparition de l'union des
républiques socialistes soviétiques: (URSS) et les démocraties populaires qui furent ses
satellites.) enlèvent à cette prophétie toute pertinence.
Certes le postulat de départ des marxistes est juste, à savoir le lien étroit entre le droit et les
rapports sociaux de production. Mais l'application effective de la théorie marxiste du droit
semble poser problème.

Section 4
Classification des règles de droit
__________________________________________

45.- L'objectif du droit, nous le savons maintenant, est d'organiser la vie et l'activité des
humains vivant en société.
Or pour atteindre cet objectif, le législateur doit éviter autant que possible, d'édicter des règles
trop vagues, trop générales. Au contraire, il doit prendre en considération les particularités de
chaque situation sociale afin de lui réserver une réglementation spécifique et adéquate. Ainsi,
par exemple, il serait inacceptable de soumettre le contrat de mariage aux règles applicables
au contrat de société. De même on ne saurait appliquer au travailleur indépendant le statut
protecteur du salarié.
Mais le progrès technologique, l'intervention de l'État dans les activités économiques,
l'internationalisation du commerce (mondialisation2), le développement des rapports sociaux
de tous genres sont autant de facteurs qui ont conduit à la multiplication et la diversification
des règles juridiques.
D'où la nécessite de classifier ces règles afin de faciliter leur application par le juge.
A cet égard, plusieurs techniques sont envisageables.
46.- La première consisterait à prendre en considération la formulation de la règle de droit.
Elle aboutirait à faire la distinction entre les règles écrites (législatives) et les règles non
écrites (coutumières). Mais ce procédé, aboutirait s'il était retenu, à des résultats peu

1 K. Stoyanovitch, La théorie marxiste du dépérissement de l’État et du droit. A.P.D 1963,p. 125 et s


2 On fait, aussi, usage du terme « globalisation » qui relève plutôt d’un anglicisme.
satisfaisants, car nul juge ne peut se dispenser de connaître et d'appliquer à la fois les règles
écrites et les règles non écrites.
Le second procédé de classification reposerait sur la fonction de la règle de droit.
Il déboucherait sur la distinction entre les règles de fond et les règles de forme ou de
procédure. Les premières étant celles qui déterminent les droits et les obligations des sujets du
droit tandis que les secondes seraient celles qui tendent essentiellement à prouver l'existence
des droits et à faciliter l'administration de la justice.
Cette distinction est à son tour impropre à servir de base de spécialisation des études
juridiques car le juriste doit connaître non seulement les règles de fond mais aussi celles
relatives à la forme et à la procédure.
Cela étant, la classification la plus connue et la plus utilisée en droit comparé est celle qui est
fondée sur la nature du rapport juridique auquel s'applique le droit.
Elle conduit enfin de compte à répartir les règles juridiques en deux branches principales: le
droit public et le droit privé.
Il n'est pas sans intérêt de remonter à l’origine de la distinction (§1) pour s'interroger sur ses
critères (§2), et analyser le contenu de cette distinction (§3).

§1- L’origine de la distinction

Dans une formule fort intéressante, Ulpien, l'un des cinq grands jurisconsultes du droit
romain, compilé dans le Corpus juris civilis1 effectué par ordre de l'Empereur Justinien,
disait, « Cette étude (le droit) a deux objets, le droit public et le droit privé. Le droit public est
relatif à l'organisation de la chose publique, le droit privé à l'intérêt des particuliers2».

Pour mieux étayer cette formule, on lui associe les paroles attribuées au christ : « rendez à
César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », desquelles découlera la distinction du
spirituel et du temporel, des affaires publiques et des affaires privées.

C’est l’édifice sur lequel se base la société française, Etat laïque 3 caractérisé par la distinction
entre les affaires publiques et les affaires privées 4 . Cela n’est pas le cas au Royaume Uni, par
exemple, où cette séparation n’existe pas, et où l’anglicanisme est religion nationale d’Etat.

§2 - Les critères de distinction: droit public, droit privé


Plusieurs critères ont été proposés en doctrine pour opérer la distinction droit public / droit
privé5.

I - Critère reposant sur l'objet des deux disciplines


46.- Certains auteurs estiment, en effet, qu'il existe une différence d'objet entre le droit privé
et le droit public. Alors que le premier s'adresse aux particuliers et régit les relations
économiques et sociales qui sont nouées entre eux, tel que le mariage, le divorce, les contrats,
la responsabilité civile, les successions, etc., le second, c'est-à-dire le droit public, s'applique
aux personnes morales de droit public telles que l'État, les collectivités territoriales (les
1 V° Corpus juris civilis par J. GAUDEMENT in Dictionnaire de la culture juridique.
2 Hujus studii duae sun tpositiones publicum et privatum…publicum jus est quod adstatum rei romanae
spectat, privatum quod ad singularum utilitatem. Formule et sa traduction B. Beignier et C. Blery. Cours
d’introduction au droit. Monchrestien. Ed.2006-2007
3 V° Laïcité par J. Morange ; in Dictionnaire de la culture juridique.
4 Lecture d'un bref livre (158 p.) de P NEMO, Qu'est-ce que l'Occident ? Puf, collection Quadrige-Essais, 2004.
Les « cinq grandes clés » pour comprendre la civilisation européenne contemporaine.
5 V. Grua, Les divisions du droit, Rev.Trim.dr.civ. 1993.59. Savatier, Du droit civil au droit public, 2 ème édit.,
1950.
régions, les wilayas, les provinces, les municipalités, les communes, etc.) et les établissements
publics administratifs (les universités, les hôpitaux, les offices, etc.).
Il organise les rapports tissés entre ces entités d'une part et entre elles et les particuliers
d'autre part.

Cependant, en dépit de son importance, ce critère s'avère aujourd'hui inapproprié car


l'expérience a montré qu'il n'est pas rare, surtout depuis la seconde guerre mondiale, que
l'État intervienne tantôt directement tantôt par l'intermédiaire de ses subdivisions dans les
activités économiques et commerciales, exactement comme le feraient des particuliers, se
soumettant, par là même, indirectement mais sûrement au droit privé.

II - Le critère s'appuyant sur le but des deux disciplines


47.-Le recours à ce critère permet de dire que le droit public vise à défendre et garantir
l'intérêt général tandis que le but du droit privé est de protéger les intérêts particuliers.
Ce critère n'est pas plus convaincant que le précédent car il est souvent difficile de distinguer
avec précision ce qui constitue l'intérêt général et ce qui est intérêt particulier. Certaines règles
de droit visent en réalité à sauvegarder l'intérêt général et l'intérêt particulier.
Ainsi l'article 832 du code civil français permet-il à l'un des héritiers de recueillir une
entreprise industrielle ou commerciale faisant partie de la succession à charge pour lui de
verser aux autres cohéritiers une compensation adéquate.
Comme on peut le constater cette règle sert l'intérêt de l'héritier bénéficiaire de l'attribution en
lui permettant d'accéder à la propriété d'une unité productive, mais elle sert également l'intérêt
général en évitant le morcellement de cette unité entre plusieurs héritiers et par conséquent la
disparition de l'exploitation avec toutes les conséquences néfastes qui peuvent en résulter
(chômage, baisse de la production à l'échelle macro-économique, etc.).

Les exemples sont nombreux, il suffit de se référer ici au droit de la famille ou au droit des
libertés publiques qui servent à la fois l'intérêt général et les intérêts particuliers.

III - Le critère prenant en considération la nature des règles de droit


48.- Il a été avancé que les règles de droit public seraient par nature impératives aussi bien
pour les justiciables que pour le juge, si bien que celui-ci doit les appliquer d'office et ceux-là
ne peuvent en écarter l'application par des conventions contraires, alors que les règles de droit
privé ne seraient que de nature supplétive, c'est-à-dire, en réalité, simplement facultatives ou
optionnelles.
Mais pas plus que les précédentes, cette proposition n'échappe pas à la critique, car
nombreuses sont les règles de droit privé qui sont de nature impérative. Et pourtant elles ne
changent pas de catégorie, elles demeurent des règles de droit privé. On donnera comme
exemple les dispositions du statut personnel qui sont des règles impératives malgré leur
appartenance incontestée au droit privé (droit de la famille).

IV. - Le critère ayant trait à la nature de l'activité que le législateur cherche à


réglementer

49.- Selon ce critère, le droit public traduit la spécialité de la puissance publique. De ce fait, il
s'applique à l'État et aux autres personnes publiques mais uniquement lorsqu’ils agissent en
tant que puissance publique. Par contre le droit privé s'applique en dehors des activités de
puissance publique quelle que soit la personne concernée.
En d’autres termes, lorsque l'État agit en tant que personne privée en recourant aux techniques
juridiques utilisées habituellement par les particuliers (égalité contractuelle, arbitrage), il se
soumet au droit privé.
En revanche lorsqu'il intervient comme puissance publique utilisant les privilèges que la loi
lui reconnaît tels que le privilège d'exécution d'office, l'insaisissabilité des biens publics, etc.,
il échappe au droit privé pour se placer sous l'empire du droit public.
Ce dernier critère semble être le moins critiqué en doctrine et le plus utilisé en jurisprudence.
En définitive, aucun des critères, ci-dessus exposés, n'est en lui même suffisant et
déterminant. Cela est dû à un double phénomène lié à l’évolution du droit et du rôle de l’Etat.
D'un côté, on constate une certaine publicisation du droit privé par suite de l'intervention de
l'État dans les domaines économique et social à travers les nationalisations, la multiplication
des établissements publics et surtout la floraison des polices contractuelles dont les clauses
sont imposées par le législateur (ex: contrat d'assurance, contrat de travail, contrat de bail,
etc.).
De l'autre côté, on assiste à la tendance inverse, de plus en plus accrue, à la privatisation des
activités de l'État par le recours aux techniques du droit privé et plus particulièrement celles
du droit commercial (ex: les contrats privés de l'administration, l'arbitrage commercial
international, le statut de l'entreprise, etc.).

Quoi qu'il en soit, et malgré son caractère artificiel, à notre sens, la distinction droit
public/droit privé est devenue une tradition dans les universités francophones, elle est
aujourd'hui largement reçue dans les études juridiques au Maroc.

Fiche n° 7
H. Mazeaud, Défense de droit privé (D. 1946. chr., p. 17)
Le droit public est-il en voie d'« absorber » ou d'« envahir » le droit privé ?
Voici la réponse donnée par M. Henri Mazeaud à cette question

Aimez-vous la chasse à 1’autruche ? Alors faites-vous "publiciste" et partez en campagne contre le


droit privé !
« Les naturalistes enseignent que l'autruche, quand elle se sent menacée, commence par dissimuler sa
tête derrière un caillou. Bientôt elle entrouvre un œil. Elle prend alors le caillou pour une montagne,
craint d'être écrasée, et s'enfuit vers les filets que les chasseurs ont tendus.
« Longtemps les "privatistes" sont demeurés sereins dans leur conception du droit privé et de sa
primauté. Ils fermaient les oreilles au murmure timide, puis de plus en plus insistant.
Et lorsque le bruit est devenu menaçant, ils ont pris la fuite en criant plus fort que l'assaillant "Le droit
public pénètre le droit privé !" "Le droit public envahit le droit privé !" "Le droit public submerge
le droit privé !"

« Qui de nous n'a proféré de pareils slogans ? Faisons notre examen de conscience en grande
sincérité, nous pouvons tous passer au mea culpa. Sans doute, un slogan couvre toujours une idée
fausse, car, si l'idée était juste, elle s'imposerait d'elle-même. Mais un slogan fait toujours du mal,
parce que la formule demeure dans les esprits désormais tout prêts à recevoir la contrevérité qu'il
dissimule.

« Aussi est-il grand temps de faire le point. L'envahissement du droit public par le droit privé ? Que
veut-on dire par là ? La montagne n'est-elle pas simple caillou ?

« La délimitation des domaines respectifs du droit privé et du droit public, telle qu'elle a toujours été
enseignée, est simple Le droit privé règle les rapports des individus entre eux ; le droit public, ceux des
individus avec l'État.
Opposition fondamentale, qui justifie des méthodes et des solutions distinctes, car les mêmes problèmes
vus sous l'angle du droit privé et du droit public revêtent des aspects tout à fait différents en droit
public, la collectivité tient le rôle de l'un des partenaires voilà qui suffit à changer toutes les
données.

« Sans doute, comme tout critère de démarcation, il comporte des régions frontières qui demeurent
incertaines, il est des matières qui peuvent être revendiquées par le droit privé comme par le droit
public. Telle la nationalité (Ch. réun., 2 fév 1921, D.P 1921 1.1, et note Ambroise Colin) ou le régime
des ex-"Comités d'organisation" (Cons. d'État, 31 juill. 1942, D.C. 1942J.138). Mais il n'est pas de
délimitation sans zones incertaines.

« Est-ce donc à ce critère que l'on se réfère quand on prétend que le droit public submerge le droit
civil ? Est-il vrai qu'il n'y a plus de rapports juridiques entre les individus, mais seulement des
rapports entre l'État et les individus ?
« II est certain qu'on assiste à une évolution dans ce sens avec le mouvement des nationalisations.
Quand une entreprise privée, une personne morale privée, se trouve nationalisée, l'État prend sa
place. De telle sorte que les particuliers qui traitaient avec la personne morale privée, donc avec un
particulier, vont maintenant traiter avec l'État ainsi les clients des banques nationalisées. Mais alors
l'État se camoufle en personne privée. Le loup a pénétré dans la bergerie mais il s'y cache sous la peau
d'un agneau. Il va traiter comme un particulier traite avec des particuliers. Qui parle alors d'un
envahissement du droit public ? C'est bien plutôt le droit privé qui pénètre le droit public.
«Aussi n'est-ce pas cela que visent les champions de l'expansion du droit public, ni même les
privatistes qui crient au déluge.
« Ce qu'ils veulent dire, mais ils le disent mal, c'est tout simplement que, de plus en plus, le
législateur (il ne faut pas écrire l'État) édicte dans les rapports de droit privé des règles impératives.
Pour eux, là où il y a loi impérative, là il y a droit public.

« Nul ne saurait nier que les rapports entre particuliers sont de plus en plus souvent régis par des
dispositions impératives : famille, incapacités, biens, successions il est bon de le rappeler, car beaucoup
sont tentés de l'oublier, personne cependant n'a jamais prétendu que ces matières faisaient partie du
droit public. Mais le domaine des obligations était en 1804 le terrain d'élection des lois
supplétives ; là régnait comme un dogme la règle de l'autonomie de la volonté, encore que les
rédacteurs du Code civil n'aient pas donné cette liberté sans y mettre aucun frein.
Or, aujourd'hui les lois impératives se multiplient dans le domaine des contrats. Phénomène qu'on
peut nommer phénomène de socialisation du droit, si l'on veut entendre par là que notre liberté
individuelle subit chaque jour des atteintes plus nombreuses.
« Voilà ce que l'on constate. Et voilà ce dont on se prévaut pour prétendre que le droit privé
disparaît derrière le droit public. Où est le rapport ? En quoi, édicter dans une matière une
réglementation impérative, est-ce faire de cette matière une matière de droit public ?

Il s'agissait de relations entre particuliers, relations que les intéressés pouvaient régler à leur guise.
Aujourd'hui, ces relations sont définies selon des règles qui sont imposées aux parties. Mais les
parties n'ont pas disparu pour autant. L'État n'est pas pour autant devenu contractant. Où est le droit
public dans tout cela ? Même si le législateur impose à un particulier de passer un contrat avec une
autre personne, il ne fait que rendre obligatoires des rapports entre particuliers, édicter des obligations
légales, faussement alors qualifiées contractuelles, mais la question reste de droit privé.
« Ne nous payons donc pas de mots et tâchons d'employer les termes du langage juridique avec leur
véritable sens. Disons que, dans le domaine des contrats, les lois impératives se font de plus en plus
nombreuses , encore ne faut-il rien exagérer et ne pas oublier, d'une part, que les relations de travail ne
sont pas véritablement contractuelles, car le travail n’est pas une marchandise , d'autre part, que toute
une partie de la réglementation impérative des contrats est due à la raréfaction des produits et
disparaîtra avec elle.

Mais n'allons pas proclamer que le droit public pénètre et asservit le droit privé.
« La primauté de celui-ci demeure nécessairement. Car le droit a pour seul but de régler les rapports
des hommes entre eux, afin de leur permettre de vivre en commun. Sans doute, cette vie en société n'est
pas possible si les individus ne forment pas un groupement soumis à une autorité, s'il n'y a pas un
État.
Mais un tel groupement n'est pas une fin en soi ; il n'est qu'un moyen pour les particuliers
d'entretenir les uns avec les autres des relations juridiques. Le moyen ne doit pas faire oublier la fin. Le
droit public ne peut pas prétendre se substituer au droit privé. »
Dans une brillante chronique (Droit public et droit privé : conquête ou statu quo ? D. 1947 chr. 69),
un maître du droit public, M. Rivero, après avoir souligné que s'il n'y a pas annexion du droit privé par
le droit public, il faut du moins constater des infiltrations du droit public dans le domaine du droit
privé, relève un « ébranlement du droit public », dû à « l'apparition du droit privé, dans le champ des
services publics ». Cf. également Dabin, Les transformations du droit civil, Bulletin de la Classe des
Lettres et des Sciences morales et politiques de l'Académie royale de Belgique, 1958, p. 196. — V
aussi la réponse apportée par M. René Savatier, in Droit privé et droit public, D. 1946. chr p. 25.

Fiche de lecture n°8


Bernard Beignier,
Le droit civil, droit privé fondamental
RTD Civ. 1998 p. 289

 
Comme le calme précède la tempête, l'enseignement du droit civil est sujet à une crise latente qu'il ne
perçoit pas encore mais qui devrait se révéler dans toute son étendue à bref délai.

Dans la stupide « guerre » qui a opposé, entre les années cinquante et quatre-vingt, « privatistes » et
« publicistes », la défaite consommée de ces derniers nourrit encore la perplexité des premiers qui n'y
croyaient guère. Comme l'effondrement du bloc soviétique a laissé sans voix une Europe occidentale
habituée et résignée qui redoutait un adversaire surestimé, les sections de droit privé contemplent
interloquées les ruines de l'empire publiciste. Les faits sont là : les maîtrises de droit public n'attirent
guère, selon les établissements, qu'un huitième des étudiants, les enseignants de droit public ont des
difficultés à remplir leurs obligations de service se disputant les cours avec les politologues ou les
historiens tandis que les privatistes ne font que refuser offre sur offre d'heures complémentaires. Il
n'est d'année où ne se créent de nouveaux diplômes de troisième cycle.

On raconte qu'après la prise de Carthage, Scipion l'Africain, monta sur une colline pour contempler
l'incendie de la ville et se mit à fondre en larmes. Surpris, un soldat lui en demanda la raison et le
général romain de répondre que ce n'était pas sur Carthage qu'il pleurait mais sur Rome qui un jour
connaîtrait le même sort. Etonnant présage.

Les civilistes feraient bien de pleurer sur le droit civil plutôt que de se réjouir de ce qu'il est
inconvenant d'appeler une victoire sur le droit public car les mêmes causes qui entraînent
présentement un terrible reflux des études de droit public vont avoir dans la décennie à venir les
mêmes effets pour le droit civil, s'ils n'y prennent garde.

Quelle est l'explication immédiate de cette déroute des publicistes ? A l'évidence le fait que les
facultés de droit, submergées par un public excessif, ont, au cours des vingt dernières années,
revendiqué d'être les établissements de « formation professionnelle » des juristes. Or l'évolution de la
société a conduit, d'une part, à une « dépublicisation » des rapports sociaux et, d'autre part, à un
renforcement de la « juridicisation » de ces mêmes rapports au profit du droit privé. L'Etat de droit,
notion si chère aux publicistes, se retourne aujourd'hui contre leur discipline.
Dans le même temps, la paradoxale anxiété d'une société tournée vers une modernité dont elle a
perdu la foi, amène les étudiants à requérir de ces mêmes facultés de faire d'eux des juristes «
opérationnels ». Et là où l'on voit, avec tous les ravages que cela engendre dans les esprits et les
comportements, se corrompre les « idées » politiques au profit des « techniques » de gestion des
conflits sociaux, on distingue la transformation inévitable du juriste en un « technicien » de la «
normativité ». Le jeune étudiant entend devenir, au plus vite, celui qui saura fournir rapidement la
bonne « réponse » au problème soulevé. C'est oublier que le bon juriste n'est, d'abord, pas celui qui
sait « trouver » la bonne réponse mais celui qui, analysant correctement la situation, a l'aptitude à
déceler la bonne « question ». Qu'ensuite seulement, il lui appartiendra non pas de donner la réponse
habituelle, mais d'« inventer » une nouvelle solution. L'ignorance de ce processus du raisonnement
juridique rabaisse le juriste à n'être que celui qui connaît des solutions issues de « précédents », ce
qui conduit inexorablement à fausser systématiquement toute interrogation nouvelle.
Le principe d'autorité si fort dans les facultés de droit et l'esprit docile de l'étudiant si désireux de se
fondre dans ce moule ne constituent pas la meilleure maïeutique d'esprits libres en quête d'une
difficile justice parmi les hommes. Entre le maître et le disciple se concluent de singulières
complicités de paresse intellectuelle. L'une des contradictions les plus étonnantes en est que ce juriste
de la modernité est un conservateur sans convictions, assez belle illustration de la « fin du droit »
comme on a pu prétendre à une « fin de l'histoire ».
Tentation qui incline inévitablement à la régression des études « classiques » de droit dont l'utilité
immédiate n'est pas avérée. Si nous revenons au droit public, comment ne pas considérer avec
tristesse que les cours de droit constitutionnel ont été miné, peu à peu, par l'explication réductrice de
la vie politique grâce aux seules sciences politiques au détriment du droit, celui-ci à son tour,
sombrant dans des discussions d'une rare banalité sur la prétendue « jurisprudence » du Conseil
constitutionnel, lui-même dissolvant le « politique » dans un « juridique » illégitime et
incompréhensible. L'étudiant de première année, dont on invoque les carences pour refuser de
l'élever vers de plus hauts horizons (insigne forme de mépris qu’engendrent le désespoir et le
reniement du devoir d'état), est donc prié de comprendre la République en dissertant sur un article du
Monde et en faisant une besogneuse exégèse d'une réserve byzantine d'une décision de la rue
Montpensier. L'idée de nation, le rôle de l'Etat, le sens de la souveraineté autant de thèmes jugés «
théoriques » et frappés de proscription.
Ce qui a conduit à la chute des études de droit public, c'est qu'elles n'ont pu remplacer ce somptueux
magistère du temps de leur splendeur par des enseignements plus techniques. C'est ce qui différencie
notablement le problème du droit public de celui du droit privé, car là où la technique fait défaut,
ailleurs elle surabonde. La difficulté actuelle des études de droit privé étant de limiter les options et
les spécialités.
A partir de là qui ne voit que le conflit néfaste qui opposa longtemps le droit privé au droit public va
se reporter au sein même du droit privé. La nouvelle querelle qui agite les sections de droit privé
étant celle qui divise « civilistes » et « affairistes », nouveaux Proculiens et Sabiniens. Est-il besoin
de dire qu'elle est aussi stupide que la première guerre punique précédemment évoquée ?

Les arguments échangés de part et d'autre n'ont quasiment aucune valeur, faute d'être honnêtes. Les
civilistes invoquent les traditions et les coutumes, les commercialistes jouent sur du velours en
désignant la vie quotidienne et la « mondialisation ». Vanité à parts égales. Les civilistes devraient
objectivement se rendre compte qu'un cabinet d'avocat ne plaide pas tous les matins des affaires de
mariage putatif, que la Cour de cassation rend péniblement deux ou trois arrêts sur la cause dans les
obligations chaque année et que la question de savoir si le complice de l'indigne est lui-même frappé
de la même exclusion que celle qui atteint l'auteur principal ne suscite pas d'ardentes polémiques
dans les palais de justice. Reste que ces théories de la bonne foi, de la cause déterminante et de la
peine privée sont parmi les plus fondamentales du droit.
De leurs côtés les commercialistes ont beau jeu de mettre en avant le rôle aujourd'hui capital du
contentieux des sociétés et de l'entreprise, de faire prévaloir les contrats commerciaux sur les contrats
civils, d'écarter le droit commun des obligations en excipant du droit de la consommation. Qui aurait
l'audace de nier une telle évidence ? Affirmer à la légère que le droit des affaires n'existe pas revient
à se placer du côté de ceux qui condamnèrent Galilée ou Pasteur. C'est vouloir puiser dans une peur,
de la force.
Pourtant le droit commercial (Ripert en donna le témoignage) n'est qu'une matière d'application
tandis que le droit civil est la matière matricielle. Il n'y a aucune théorie de la société commerciale
laquelle ne peut se comprendre sans le rappel du débat classique entre le contrat et l'institution (que
l'on retrouve, et à quel degré, dans le droit du couple). Il n'y a aucune théorie dans les procédures
collectives mais ce droit est la magnifique mise en œuvre de concepts de droit civil : propriété, effet
relatif du contrat, patrimoine, etc. sans compter son apport déterminant à la procédure civile (intérêt à
agir, appel-nullité, etc.). Il n'y a certainement pas non plus de théorie dans le droit de la
consommation et pourtant quel fabuleux renouveau des débats sur la volonté et le consentement
(l'idée même de rétractation vient du monde des affaires non du droit civil classique), l'imprévision,
l'obligation de conseil et d'information (que l'on a bien du mal à rattacher à l'antique vice de dol), les
clauses abusives, etc. Prenons un tout dernier exemple. S'il est un aspect évincé avec constance dans
les cours de droit civil de deuxième année (qui n'en finissent plus entre les histoires de faux tableaux
et de carambolages en série : rubrique des faits divers) c'est bien celui du régime des obligations.
Pourtant sans la maîtrise de ces fascinants rapports d'une extrême finesse comment prétendre
enseigner ensuite les chaînes de contrats, les modes de crédit de l'entreprise, les assurances, etc.

Les commercialistes ne peuvent rien sans le travail de fond des civilistes mais ceux-ci seraient
condamnés à un droit irréel sans la formidable activité de la vie des affaires. Les civilistes devraient
prendre conscience de cette profonde mutation du droit privé. La part qui leur incombe est encore, et
pour longtemps, la plus belle. A eux de poser, d'affermir, les fondations sur lesquelles d'autres
élèveront des murs solides. Comment alors ne pas inviter à un renouveau de l'enseignement de ce
droit ? Souhaiter sa mise en perspective avec sa filiation légitime que sont tous les autres droits
privés et non sa compétition avec eux. Qu'il renonce enfin à faire croire à une hégémonie qui n'existe
plus mais qu'il montre sa puissance et sa force, par sa capacité à être le droit d'hier et de demain,
c'est-à-dire celui de la permanence, son autorité de « constitution civile de la France », c'est-à-dire le
droit, comme le traduit son qualificatif, des « citoyens », le droit politique par excellence. C'est à
travers le droit civil que se forme l'esprit du juriste, qu'il y apprend le rôle des concepts, les modes de
raisonnement, les voies de l'interprétation, les secrets de la qualification. Le droit civil est destiné à
devenir de moins en moins un droit de la pratique mais de plus en plus un droit fondamental.
Mutation qui n'est certainement pas une régression, mais qui astreint à le contempler d'un regard
nouveau. Le droit civil sera à l'apprentissage du droit privé ce que le latin est aux littéraires.

Entre de médiocres combats et de suprêmes ambitions, doit-on hésiter ? La place qui sera faite dans
l'avenir à un enseignement de droit civil non plus conçu comme se suffisant à lui-même mais comme
la vigoureuse souche de la fécondité du droit privé moderne, si divers et varié dans ses
particularismes, sera l'un des critères qui permettront de savoir si nous voulons des « facultés » de
droit ou si nous nous contentons d'« écoles » de droit. Et derrière tout cela se profile l'autre
interrogation, aspirons-nous à être des « juristes » ou des « légistes » ?

§ 2. - Le contenu de la distinction
Examinons d’abord le contenu du droit public (I) avant de nous attarder sur le contenu du
droit privé (II).

I.- Les branches du droit public


49.- A la faveur des développements précédents, on peut définir le droit public comme étant
l'ensemble des règles juridiques qui régissent les relations auxquelles l'État prend part en tant
que puissance publique. En cette qualité l'État peut entrer en relation soit avec un autre État
soit avec l'un de ses ressortissantes personnes physiques ou morales. Dans le premier cas la
relation relève du droit international public (A) dans le second cas elle est soumise au droit
public interne (B).
A.- Le droit international public
50.- Le droit international public est l'ensemble des règles juridiques qui régissent les rapports
entre États d'une part et entre États et organisations internationales d'autre part et cela aussi
bien en temps de paix qu'en période de guerre ou de neutralité.
De ce fait, il embrasse des domaines très divers. Ainsi porte-t-il sur l'étude de l'État en tant
que sujet de droit international et détermine, à ce titre, ses éléments constitutifs (territoire,
population, gouvernement), sa forme (État unitaire, État fédéral), ses droits et obligations
internationales.
Par ailleurs, il fixe les conditions de validité des traités internationaux, précise les règles de la
représentation diplomatique et les modes de règlement pacifique des différents et détermine
enfin la condition juridique de l'État en cas de belligérance ou de neutralité.
S'agissant de ses sources, il tire ses règles essentiellement des traités internationaux, de la
coutume internationale, des principes généraux du droit ainsi que de la jurisprudence
internationale (article 38 du statut de la cour internationale de justice de la Haye).
Mais aujourd'hui encore, à défaut d'un législateur pour créer de nouvelles dispositions sur le
plan international et d'un exécutif capable d'en imposer le respect aux États qui demeurent
trop jaloux de leur souveraineté, le droit international se réduit à une simple virtualité
dominée par la force. La guerre du golf, le conflit du Proche Orient, l’intervention américaine
en Irak en sont quelques démonstrations éclatantes.

B - Le droit public interne


51.- Il comprend, principalement, le droit constitutionnel, le droit administratif et les finances
publiques.

1.-Le droit constitutionnel


52.- On dit, en France, que le droit constitutionnel est le droit des corps constitués de l’Etat.
Dans une acception restrictive, le droit constitutionnel est la branche du droit public qui a
pour objet l'étude de l'organisation politique de l'État et de ses composantes à travers les
règles contenues dans la constitution, ainsi que l'exercice du pouvoir au sein de l'État.

A ce titre, le droit constitutionnel renseigne sur la forme de l'État (État fédéral ou unitaire), sur
le régime politique (monarchie; république, etc.) sur les modes de désignation de ses
gouvernants et leurs relations avec les gouvernés, la répartition du pouvoir entre les différents
organes de l'État et leurs relations réciproques et de façon générale sur les droit et libertés
reconnus aux citoyens.
Le droit constitutionnel englobe non seulement l'étude de la constitution et des institutions
étatiques et sociales mais aussi celle de la pratique politique au sein d'un État donné. On parle
alors non pas de droit constitutionnel mais de droit politique.

2 - Le droit administratif
53.- C'est la branche du droit public interne qui s'attache à l'analyse de l'organisation et de
l'activité de ce qu'on appelle l'administration, c'est-à-dire l'ensemble des autorités, agents et
organismes chargés sous l'autorité du pouvoir politique, d'assurer les interventions de l'État
moderne. De ce fait il comprend deux volets:
Le premier concerne les structures de l'administration, c'est-à-dire l'organisation
administrative (pouvoir central, régions, collectivités locales et établissements publics).
Le second se rapporte aux fonctions de l'administration 1 à ses moyens d'action 2 et au
contrôle qui pèse sur elle3.

Au Maroc, le droit administratif est d'apparition récente car le droit musulman ignorait la
théorie du droit administratif comme mode de limitation du pouvoir4.
En réalité notre droit administratif s'est largement inspiré du modèle Français sans s'y
confondre toutefois. Cela apparaît au niveau, non seulement de l'organisation administrative
qui tranche nettement avec l'organisation administrative française, mais aussi sur le plan des
principes de fond régissant l'activité administrative.
En France, le droit administratif a connu une remarquable évolution : il fut d’abord
républicain (jurisprudences fondatrices des arrêts Blanco5 et Cadot6, Etat providence7) pour
devenir, ensuite, démocratique (l’Etat au service des citoyens).
Avec la création des tribunaux administratifs au Maroc, le rapprochement avec le droit
français est devenu plus évident, même si les Français sont devenus politiquement et
administrativement des citoyens et ne sont plus des sujets.

3. - Les finances publiques


54.- Jusqu'à une époque relativement récente, les finances publiques, ou droit public financier,
faisaient parties du droit administratif car liées à l’organisation financière de l'administration.
Mais compte tenu de l'évolution caractérisant le droit administratif et la science
administrative, les finances publiques ont acquis leur autonomie et se rapprochent davantage
de la science économique.
Aujourd'hui le droit public financier a pour objet l'étude des règles qui gouvernent les finances
de l'État et de ses subdivisions. Ces règles déterminent, en effet, les ressources de l'État et ses
dépenses. Elles précisent les modes d'établissement et d'exécution du budget.

Avec le développement des relations économiques et financières internationales (prêts


internationaux, conventions fiscales internationales) on assiste à l'éclosion d'une nouvelle
branche au sein du droit public financier à savoir, le droit fiscal international.

II - Les branches de droit privé

55.- Le droit privé est l'ensemble des règles juridiques applicables aux relations entre
particuliers et aux activités de l'administration lorsque celle-ci n'agit pas en tant que puissance
publique.
A l'origine, le droit privé comprenait exclusivement le droit civil. Mais avec le développement
des relations socio-économiques de tous genres, La spécialisation s'est imposée aussi bien
relativement au contenu de la discipline que pour les juristes, si bien que l'on a assisté à
l'émergence d'un droit commercial, d'un droit du travail, d'un droit international privé,
lesquels; ont éclaté à leur tour en plusieurs sous branches.

1 Il s’agit de la police administrative, des activités de service public et des fonctions d’orientation et
d’incitation économique
2 Deux moyens d’action sont mis à la disposition de l’administration : les actes administratifs unilatéraux et
bilatéraux (contrats administratifs) et la fonction publique
3 Il s’agit plus précisément, ici, du contentieux administratif (recours en annulation pour excès de pouvoir et
responsabilité de l’administration).
4 M. Rousset, D. Basri et autres ; droit administratif marocain. Ed. La porte. 4ème édition. 1984. p 15
5 Arrêt du tribunal des conflits du 8 février 1873 consacrant à la fois la responsabilité de l’État à raison des
dommages causés par des services publics et la compétence de la juridiction administrative pour en connaître.
6 L'arrêt Cadot du 13 décembre1889 consacre l'abandon définitif de la règle du ministre-juge : le Conseil
d'Etat devient la juridiction administrative de droit commun en 1er  et dernier ressort.
7 Ouvrage classique sur la question : F. Ewald. Histoire de l’Etat-Providence. Livre de poche-essai, 1996.
A.-Le droit Civil

56.- C'est le droit commun en ce sens qu'il comprend l'ensemble des règles de droit privé
applicables en l'absence de règles spécialisées telles que les règles de droit commercial, de
sociétés commerciales, de droit social, des contrats spéciaux, etc.
Autrement dit, le droit civil s'applique lorsque le juge ou les justiciables ne trouvent pas de
règles appropriées dans les branches spécialisées du droit privé.
De ce point de vue, il apparaît comme un droit de réserve auquel il est fait recours chaque fois
que l'on se trouve en face d'une lacune dans une branche particulière de droit privé.
Ainsi, en est le cas, pour le droit commercial qui ne contient pas de dispositions particulières
applicables aux vices du consentement en matière de contrats commerciaux.
Par conséquent pour apprécier la validité d'un contrat commercial du point de vue de la
validité du consentement des parties, on recourt aux règles du droit civil et plus précisément
aux articles 39 et suivants du D.O.C.
La base positive de principe du droit civil marocain se trouve dans le Dahir formant code des
Obligations et contrats, lequel est une très longue loi (1250 articles)1.
En ce qui concerne son contenu, le droit civil détermine d'une part le statut personnel (état et
capacité, mariage, divorce, filiation) et successoral, et d'autre part le statut réel 2 et le régime
des actes juridiques (contrats) et des faits juridiques (responsabilité civile)3.
Au Maroc, le statut personnel et les successions sont régis séparément par le code de 1957
appelé, communément, Moudawana, réformé, complété à plusieurs reprises (1958, 1959 et
1993), et complètement refondu (à l’exception du livre relatif aux successionsi) par le dahir
du 3 février 20044.
Cette séparation s'explique sans doute par la dimension confessionnelle de notre droit de la
famille.
Par contre le statut réel ainsi que les actes (contrats) et les faits juridiques (responsabilité
civile) sont soumis à une législation d'origine occidentale.

B.- Le droit commercial


57.- On définit habituellement le droit commercial comme " la partie du droit privé relative
aux opérations juridiques faites par les commerçants, soit entre eux soit avec leurs clients.
Ces opérations se rapportent à l'exercice du commerce et son dites pour cette raison acte de
commerce"5.

Certains auteurs ont pris l'habitude d'opposer le droit commercial au droit civil. En réalité le
droit commercial n'est pas l'équivalent du droit civil. Le premier constitue le droit commun et
le second comprend l'ensemble des règles particulières établies dans l'intérêt du commerce6.

1 A titre de comparaison; le code civil français contient 2283 articles


2Réel, du latin "res" c'est-à-dire chose, donc statut réel signifie le statut des choses ou des biens.
3 Voir IIème partie du programme: droits subjectifs.
4 Sur l’évolution de la codification en matière du droit de la famille. V notamment M. Benradi ; Genre et droit
de la famille. De la révision de 1993 à la réforme de 2003. in Masculin .Féminin. La marche vers l’égalité au
Maroc 1993-2003. Fès. Maroc. 2004. p 17 et s.
5 Ripert et Roublot, traité élémentaire de droit commercial T1 paris LGDJ. 10ème Ed. Paris 1980. p1.
6 Idem. p.2
Tant que ces règles n'étaient pas suffisamment développées, le droit commercial n'avait
aucune autonomie par rapport au droit civil. Mais avec le développement du commerce et
l'organisation corporative des marchands, il va être codifié de manière indépendante du droit
civil.
En ce qui concerne son contenu, la matière comprend l'ensemble des règles applicables à
l'organisation générale du commerce, aux commerçants et aux actes de commerce, aux
sociétés commerciales, aux opérations de bourse et de banque aux contrats commerciaux et
aux procédures collectives, (prévention des difficultés de l'entreprise, redressement de
l'entreprise, liquidation de l'entreprise).

Au Maroc le droit commercial tire l'essentiel de ses règles de la législation et de la coutume.


Quant à la jurisprudence et la doctrine, elles n’y jouent qu'un rôle accessoire.
S'agissant de la législation stricto sensu, elle était jusqu'à une date récente formée
principalement des lois héritées du protectorat (Dahir du 12 Août 1913 formant code de
commerce terrestre, Dahir du 11 Août 1922 sur les sociétés par actions qui a rendu applicable
au Maroc la loi française du 24 Juillet 1867, Dahir du 1 er Janvier 1939 formant législation sur
le paiement par chèque, etc.

Mais en 1996 le droit commercial marocain a connu une refonte générale, ce qui a abouti à
l'abrogation de tout l'édifice législatif du protectorat.

Désormais avec la loi 15-95 formant le nouveau code de commerce adoptée au mois d'Avril
1996, la loi 17-95 sur la S.A. promulguée le 30 Août de la même année; la loi 5-96 sur les
sociétés commerciales autres que la S.A. votée par la chambre des représentants lors de la
session d'octobre 1996, et la loi portant création des tribunaux de commerce adoptée lors de la
même session, le droit des affaires marocain va devenir plus homogène, plus facile à
connaître et à appliquer et surtout mieux adapté aux relations commerciales modernes.

Signalons enfin que sous la pression de l'évolution des relations économiques internes et
internationales le droit commercial a éclaté à son tour en plusieurs sous branches dont
notamment, Le droit maritime, le droit aérien, le droit de la propriété industrielle, le droit du
commerce international, etc.

C - Le droit du travail
58.- C'est l'ensemble des règles régissant les relations individuelles et collectives du travail.
Les premières sont celles qui se nouent entre un employeur et un salarié et qui se matérialisent
dans un contrat de travail. Quant aux secondes elles s'établissent entre un ou plusieurs
employeurs et un groupe de salariés dans les conventions collectives du travail, la
représentation du personnel au sein de l'entreprise et les conflits du travail c'est-à-dire la grève
et le lock-out.
L'intérêt de cette banche s'explique par le fait qu'elle concerne la vie et l'activité d'une grande
partie de la population avec toutes les conséquences sociales économiques et de sécurité qui
s'y attachent.

A l'origine, le droit du travail s'intéressait exclusivement aux relations individuelles du travail


consacrées par un contrat particulier: le contrat de travail.
Aujourd'hui son domaine s'étend aux relations collectives du travail: syndicats, convention
collectives, organisations du travail, hygiène et sécurité, congés payés, etc.
Parallèlement au droit des relations individuelles et collectives du travail, une tendance à
l'élargissement du champ du droit de travail semble s'imposer avec l'apparition et le
développement de la sécurité sociale. Il en résulte une évolution au niveau de la terminologie:
on utilise, de nos jours, le terme "droit social" au lieu de celui, plus restreint, de "droit du
travail" afin de souligner l'importance du champ de la matière qui englobe désormais la
sécurité sociale et les autres organismes sociaux.

Au Maroc, le droit du travail a pris naissance avec l'avènement du protectorat.


A partir de 1926 et surtout 1936, l'œuvre législative va s'accélérer. Avec l'indépendance,
l'effort de construction de cette discipline va être maintenu toujours sous l'influence du droit
français.
Jusqu’à l’adoption du nouveau code du travail 1, le droit du travail dans notre pays, fut
caractérisé par deux grandes faiblesses à savoir:
-La multitude de textes et l'insuffisance de la protection qu'ils assurent aux salariés,
- La dualité secteur moderne/secteur traditionnel et l'ineffectivité du droit. Car, même dans les
secteurs les plus modernes le droit du travail fût loin d'être respecté dans la pratique2.
D.-Le droit international privé
59. Le droit international privé est la branche du droit privé qui gouverne les relations privées
internationales, c'est-à-dire à chaque fois que dans une relation privée, il existe un élément
d'extranéité. Ce qui est le cas, par exemple, des relations qui s'établissent entre personnes
privées, ressortissants, de différents pays3.
Ex: un mariage mixte entre un marocain et une française ou le contraire, ou encore un contrat
de vente internationale entre un américain et un belge, etc.

Relativement à son objet, la matière est assez vaste. Elle porte sur la nationalité marocaine 4
(attribution, acquisition, perte, preuve, etc.). La condition des étrangers au Maroc (entrée,
séjour, droits publics, droits privés, l'exercice de certaines professions, etc.)5.

Les conflits de lois6 c'est-à-dire la concurrence entre les lois de plusieurs pays à l'effet de régir
les relations privées internationales, tels que les mariages entre marocains et étrangers, les
contrats commerciaux internationaux etc., et les conflits de juridictions, c'est-à-dire les
situations de concurrence entre les tribunaux de deux ou, plusieurs pays afin de connaître des
litiges comportant un élément d'extranéité.

Au Maroc les textes de base, en droit international privé sont: le Dahir du 12 Août 1913 sur la
condition civile des étrangers au Maroc7, le Dahir du 6 Septembre 1958 sur la nationalité
marocaine8, le Dahir du 4 Mars 1960 sur la célébration des mariages mixtes entre marocains
et étrangers, le code de procédure civile et le code de la famille du 3 février 20049.

1 Dahir n° 1-03-194 du 11 septembre 2003 portant promulgation de la loi n° 65-99 relative au Code du travail.
Bulletin officiel n° 5210 du 6 mai 2004.
2 R. Filali Meknassi, " la marginalité du travailleur en droit social : constat et proposition d'analyse " in droit et
environnement social du Maghreb Ed. CNRS. Paris 1989. PP 105-122.
3 V. Bibliographie dans les ouvrages du DIP et notamment pour la Maroc : A. Ounnir. Op.cit.
4 Dahir n° 1-58-250 du 6 septembre 1958 portant code de la nationalité marocaine. .Bulletin officiel n° 2394
du 12/09/1958 (12 septembre 1958), tel que modifié par le dahir
5Dahir n°1-0 3-196 du 11 novembre 2003 portant loi n°02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au
Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières. B.O. n°5162 du 20/11/2003, p1295.
6 Dahir du 12 août 1913 su la condition civile des français et des étrangers dans le protectorat français du
Maroc. B.O du 12 septembre 1913
7 Dahir du 12 août 1913
8 Modifié par Dahir n° 1-07-80 du 23 mars 2007 portant promulgation de la loi n° 62-06 Bulletin Officiel n°
5514 du 5 Avril 2007, p. 457 

9
III- Les disciplines intermédiaires
On les qualifie ainsi, car elles sont situées à la frontière entre le droit public et le droit privé et
parce qu’elles, empruntent, par conséquent aux deux.

A.- Le droit pénal


60.- Au sens large, le droit pénal comprend l'ensemble des règles juridiques qui détermine les
infractions et les peines qui leur sont applicables. Cette discipline se divise en trois sous
branches : le droit pénal général (1), le droit pénal spécial (2), la procédure pénale (3).

1.-Le droit pénal général


61.- Il a pour objet l'étude des règles communes à toutes les infractions et aux conditions de
leur répression. A ce titre il comporte les deux grandes parties suivantes:

a- La théorie générale de l'infraction


Elle a trait à la notion d'infraction, la classification des infractions, les éléments constitutifs de
l'infraction (élément légal, matériel et moral) et la responsabilité pénale.

b- Théorie générale de la mesure pénale


Son contenu est relatif aux caractères, aux classifications, à l'individualisation et à l'extinction
la mesure pénale.

2- Le droit pénal spécial


62.- Le droit pénal spécial est une étude exhaustive de tous les agissements considérés
comme infractions par le législateur ainsi que les sanctions qui leur sont prévues. Ainsi,
détermine-t-il les éléments propres à chaque infraction, les circonstances qui atténuent ou en
augmentent la gravité.
Exemple: que tel agissement est un vol simple ou aggravé car commis la nuit, avec effraction
ou avec violence; que tel autre agissement est un homicide volontaire ou involontaire; un
meurtre simple ou un assassinat car commis avec préméditation ou à la suite d'un guet apens,
etc.

3.- La procédure pénale


63.- On peut dire que d'une manière générale la procédure pénale a pour objet le procès pénal.
A ce titre elle détermine tout d'abord l'organisation et la compétence des tribunaux répressifs.
Elle prévoit également les règles de forme, de procédure et de délais que doit suivre le procès
pénal depuis la constatation de l'infraction jusqu'à l'exécution de la peine en passant par la
recherche des preuves, le jugement du délinquant, et les voies de recours.
Au Maroc, la procédure pénale actuellement en vigueur fut régie pendant plus de quarante ans
par le dahir du 10 Février 1959 qui a fait l'objet de plusieurs réformes successives dont la
dernière en date remonte au 10 Septembre 1993 ; pour être réformée en profondeur par le
dahir du 3 octobre 2002 constituant nouveau code de procédure pénale1.

Le caractère public ou privé des disciplines qui composent le droit pénal a toujours été sujet à
discussion.
Certains auteurs arguent de l'intervention de l'État dans le procès pénal pour ranger ces
disciplines parmi les matières de droit public, d'autres en revanche, estiment qu'en réalité
l'intervention de l'État se justifie par sa détention du monopole de la contrainte car en
1 Dahir n° 1.02.255 du 3 octobre 2002 portant promulgation de la loi 22.01 relative au code de procédure
pénale. B.O n°5078 du 30 janvier 2003.p 315, tel que complété et modifié par le dahir du 28 mai 2003 relatif à
la lutte contre le terrorisme B.O. n° 5112 du 29 mai 2003p 1755.
commettant l'infraction, le délinquant trouble l'ordre public et porte atteinte à la sécurité et à la
quiétude de la société dans son ensemble, ce qui justifie l'intervention de l'Etat pour
rechercher le délinquant, le juger et lui appliquer la sanction appropriée.
Mais, il ne reste pas moins vrai que le procès pénal oppose aussi, le prévenu (délinquant) et la
victime de l'infraction touchée dans son intégrité physique, sa dignité ou son patrimoine.
Par conséquent l'intervention de l'Etat en matière pénale ne suffit pas pour justifier la
classification du droit pénal parmi les branches du droit public.

En définitive, en partant de son objet qui consiste à sauvegarder la paix publique, à définir les
infractions et le régime des sanctions applicables, le droit pénal semble bien faire partie du
droit public. Mais par sa technique, il s'apparente au droit privé puisqu'en effet, la plupart des
dispositions pénales sont destinées à faire respecter les droits reconnus aux particuliers.

Ainsi par exemple, en réprimant le vol, le législateur cherche à protéger le droit de propriété,
et en sanctionnant la diffamation, il tend à sauvegarder l'honneur et la dignité des citoyens.
Par ailleurs, les juridictions pénales coïncident dans une large mesure avec des juridictions
civiles. Ce sont les mêmes tribunaux qui rendent à la fois les jugements civils et les jugements
répressifs. Voila pourquoi la tradition a voulu que cette matière trouve place parmi les
disciplines du droit privé et soit enseignée en tant que telle à la faculté de droit.

B.-Le droit judiciaire privé


64.- C'est la branche du droit qui a pour objet de déterminer l'organisation judiciaire, en ce
sens qu’elle fixe la hiérarchie et la carte des tribunaux avec leurs compétences respectives.
(Tribunaux de 1ère instance, cours d'appel, cour suprême).
Elle pose par ailleurs la procédure que suit le procès depuis le dépôt de la requête jusqu'à
l'exécution de la décision de justice (formalités, délais, voies de recours, voies d'exécution).

Le droit judiciaire privé est une matière intermédiaire car d'un côté, il détermine la manière
dont les justiciables peuvent faire valoir leurs droits, et de l’autre, il concerne un service
public important: celui de la justice et se rapproche de ce fait du droit public.

Au Maroc, comme nous allons le voir plus loin1, le droit judiciaire privé a connu une longue
évolution. Celle-ci a abouti en fin de compte à l'unification, la marocanisation et l'arabisation
de la justice (loi du 25 Janvier 1965).

Aujourd'hui les principaux textes de base en la matière sont le Dahir du 15 Juillet 1974
portant création des tribunaux communaux et d'arrondissements2, le Dahir du 15 Juillet de la
même année fixant la nouvelle organisation judiciaire du Royaume3, le Dahir du 28
Septembre 1974 portant nouveau code de procédure civile 4, le Dahir du 11 Novembre 1974
portant loi formant statut de la magistrature5, la loi 41-90 portant création des tribunaux
administratifs6 et le dahir du 17 août 2011 relatif à l’organisation judiciaire marocaine et
instaurant les juridictions de proximité7.

1 Cf. infra: l'organisation judiciaire.


2B.O. du 17 juillet 1974. p1990. Ces juridictions ont été supprimées par la nouvelle relative à la justice de
proximité²
3B.O n° 3220 du 17 Juillet 1974 p. 1018.
4 Dahir portant loi n° 1-74-447 approuvant le texte du Code de procédure civile B.O. 30 septembre 1974.
5 B.O n° 3230 du 30 septembre 1974. p. 1305
6 B.O. n° 3237 du 13 novembre 1974. p. 1578.
7 B.O n° 5978 du 15 septembre 2011.pp 2074 et s.
III.- Les matières auxiliaires
Le droit ne pourrait ni évoluer ni répondre aux attentes légitimes des citoyens s’il ne
s'abreuvait pas aux sources de certaines disciplines telles que l'histoire en général et, plus
précisément, l'histoire du droit(A), le droit comparé(B), la sociologie du droit(C), notamment.

A-. L'histoire du droit


65.- C'est une discipline qui participe de cette vertu de l'histoire générale qui est de nous
rendre le présent intelligible.1

L'histoire fait connaître la genèse et le pourquoi du droit. On ne peut connaître et maîtriser le


droit positif marocain, saisir et comprendre son caractère composite et marginal 2et analyser
son évolution actuelle sans avoir étudier et s'être référé à l'histoire de notre pays. Quelle soit
politique, législative ou institutionnelle3.
Il en est de même pour tous les pays et tous les systèmes de droit4.

B-. Le droit comparé5.


66-. C'est une discipline qui a pour objectif de décrire le contenu des législations étrangères.
C'est au début du XXe siècle, que des auteurs comme R. Saleilles ou E. Lambert ont lancé
l'étude comparative des droits étrangers. Aussi le droit comparé met-il en évidence des
familles de droits, ou des systèmes juridiques et la classification retenue varie selon le degré
de recherche détaillée des différents systèmes.
Dans une démarche simplificatrice, on peut envisager deux classifications, fruit de l’évolution
des systèmes juridiques et des études du droit comparé : la classification classique et les
nouvelles classifications.

1.-La classification classique


C’est une manière de faire ressortir les différents systèmes en tenant compte des principales
doctrines marquant le monde sur le plan politique ou religieux.
On distingue à cet égard la famille romano-germanique (a), La famille de la Common Law
(b), le système du droit musulman (c) et le système socialiste (d).

a.- la famille romano-germanique


67.- Elle regroupe tous les droits nationaux ayant le droit romain pour origine. Il s’agit, ainsi,
principalement de l’Europe occidentale et centrale. Le modèle romain a été "exporté" par les
colonisations vers le Maghreb, une grande partie de l’Afrique, d'Amérique latine, et du proche
Orient.

2.- La famille de la Common Law


68.- C'est le droit de l'Angleterre, des pays du Commonwealth et des pays qui se sont modelés
sur elle à savoir le Canada et la majeure partie des États –Unis d’Amérique.
Ce système juridique se distingue du système latin par la part considérable qu’il fait à la
coutume dite « Common law » comme source du droit. « La coutume, telle qu’elle résulte des

1 J.P. Gridel. Op.cit. p 149


2 Il est tout à fait regrettable que l’histoire du droit ne soit pas enseignée dans les facultés de droit
marocaines contrairement à ce qui se pratique à l’étranger.
3 Les pratiques de la rédaction des mémoires et des expériences vécues commencent timidement à voir le jour
au Maroc. On peut à cet égard citer l’intéressant ouvrage de Fassi Fihri : itinéraire de la justice marocaine… et
aussi A. Boutaleb : 25 ans dans les arcanes de la politique marocaine
4 Cf. Supra. n°.
5 1. Seroussi, R., Introduction au droit comparé. Dunod. 3 ème éd. 2008 ; Froment, M., Grands systèmes de droit
étranger, Paris. Mémento Dalloz 2004 ; David, R., Droit comparé, Paris, Economica 2008.
décisions de jurisprudence, est la source essentielle du droit, la loi écrite ne venant que s’y
adjoindre12 ».

Fiche n° 7
J. BLONDBEL
La Common Law et le droit civil
In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 3 N°4, Octobre-décembre 1951. pp. 585-598.

La Common Law d'Angleterre, œuvre jurisprudentielle par excellence, a été développée lentement
par les juges anglais agissant comme arbitres suprêmes et créateurs du droit du pays, et souvent dans
un esprit de réaction contre les ordonnances dictatoriales du roi (2).
La grande autorité de la jurisprudence confère au juge anglo-américain une position sociale de tout
premier plan, qui explique en partie le traditionalisme juridique anglo-saxon.
La magistrature est considérée dans les pays anglo-américains comme une récompense venant
couronner une longue carrière dans le domaine du droit. Le plus souvent une nomination est
intimement liée à des succès d'ordre politique, académique ou professionnel (5).
En France et en Belgique, au contraire, la magistrature est actuellement une profession fermée où
l'on doit pénétrer de bonne heure pour atteindre les échelons supérieurs ; souvent les juges
continentaux paraissent jeunes aux visiteurs des pays de la Common Law. C'est une profession à vie
comportant une grande stabilité.
Particulièrement depuis la première guerre mondiale, les juges continentaux ont été recrutés dans
des classes sociales moins élevées qu'autrefois. La magistrature d'antan était formée de membres de
la noblesse et de la haute bourgeoisie qui acceptaient les fonctions judiciaires comme un honneur, et
non pour la rémunération. Cependant, la démocratisation de la magistrature n'a pas été accompagnée
d'un relèvement des traitements. De ce fait, les magistrats se rapprochèrent d'une classe sociale
inférieure et de ses besoins
Enfin l'enseignement de la profession aux étudiants de la Common Law et aux juristes de droit civil
a également son incidence sur notre problème. Le juriste de la Common Law apprenait son métier
comme stagiaire chez un vieux maître du barreau, compulsant les dossiers de son patron,
l'accompagnant au tribunal et recevant la formation de l'une des Inns of Court. Sa formation
juridique était principalement pratique et concrète ; et ceci reste toujours la caractéristique spécifique
de l'enseignement du droit anglo-saxon. Quelques Etats ont encore conservé le vieux système de law
reading (apprendre le droit dans le cabinet d'un avocat), mais les Facultés de droit ont également
préservé le climat de l'ancienne méthode par la lecture et l'analyse des recueils de jugements (case
books), par les discussions en auditoire et par les débats devant des tribunaux fictifs (mootcourts)
(1).
La méthode d'enseignement du droit civil est plus abstraite, systématique et générale (2).
L'enseignement est donné au moyen de conférences qui souvent suivent l'ordre logique des chapitres
et des articles des codes et des lois. Dans l'ensemble on accorde moins d'attention à l'étude de la
jurisprudence, bien qu'une tendance nouvelle en faveur d'un enseignement plus réaliste soit en voie
de se dessiner (3).
Cette différence essentielle d'enseignement du droit se retrouve dans la rédaction des jugements.
Les décisions de la Common Law contiennent généralement une relation très détaillée des faits,
suivie d'une très longue analyse des précédents.
Ils étonnent le civiliste par leur longueur, leurs détails et leur sens du concret. L'influence du jury,
tout spécialement en matière civile, n'est évidemment pas étrangère à ces traits caractéristiques de la
jurisprudence anglo-américain.
Cette différence de méthodes éducatives n'est pas limitée au seul domaine du Droit. Elle s'enracine
peut-être plus profondément dans une divergence d'orientation entre les pensées anglo-saxonnes et
continentales.

1
2 F. Chabas, op. cit p 105
Descartes, Spinoza et Kant ont été des constructeurs de systèmes rationnels tandis que Bacon,
Hobbes et Locke furent les prophètes de l'empirisme moderne.
Ayant ainsi esquissé le climat sociologique des deux systèmes juridiques, nous comprendrons mieux
le problème des relations entre la Common Law et le Droit civil.

Tableau récapitulatif des grands systèmes juridiques

(Voir présentation en cours)

C.- La sociologie du droit1


69.- Cette discipline a comme champ d’étude et de réflexion le droit en tant que faisceau de
phénomènes sociaux ou de psychologie sociale. L'importance de cette discipline se révèle au
moins à trois niveaux et par les terminologies suivantes.
1- La sociologie politique en droit public
70.- Cette discipline a pour but la recherche des influences ayant abouti à l'élaboration de la
loi (syndicat, grandes entreprises, idéologie, lobbies professionnels, etc.).
2.-La criminologie en relation avec le droit pénal
71.- La criminologie sert à étudier la déviance et plus particulièrement, le phénomène criminel
et les données objectives qui rendent les délits plus ou moins fréquents.
3.-La sociologie juridique en droit privé
72.- C'est la discipline qui analyse dans quelles proportions, telle règle privatiste est connue et
comprise; ressentie et appliquée par ses destinataires théoriques. C'est le baromètre du
législateur.
V- Les regroupements nouveaux
73.- L'évolution économique et sociale a entraîné un double phénomène: l'éclatement du droit
commun (droit civil) et l'apparition de nouvelles disciplines irriguées par des parties détachées
à la fois du droit public et du droit privé.
A cet égard, on peut citer, principalement, le droit de l’entreprise (A) et le droit économique
(B).
A.- Le droit de l'entreprise ou droit des affaires.
73.- C'est l'ensemble des règles de droit appartenant à des branches diverses du droit public et
du droit privé mais qui ont pour point commun d'être relatives à l'entreprise.
Le droit des affaires peut être, donc, défini comme l'ensemble des règles qui régissent la
création, le fonctionnement et l'activité des entreprises.
Entre notamment dans la sphère du droit de l'entreprise:
1- Une partie du droit administratif; notamment les règles relatives aux marchés publics
conclus entre les entreprises et les administrations.
2- Une partie des finances publiques notamment la fiscalité de l'entreprise.
3- Une partie du droit pénal dite" droit pénal des affaires" relatives aux infractions commises
et aux peines encourues par les chefs d'entreprises dans le cadre de leur activité (escroquerie,

1
abus des biens sociaux, répartition de dividendes fictifs, infractions relatives à la création, au
fonctionnement et la liquidation de l’entreprise, etc.).
4- Une partie du droit civil notamment le droit des biens, des contrats, des assurances.
5- L'ensemble du droit commercial, y compris les droits spécialisés (droit des transports;
bancaires, des sociétés, des brevets; etc.).
6- Le droit social si l'on inclut dans l'activité de l'entreprise la gestion des ressources
humaines.
B.- Le droit économique.
74.- Constitué de l'ensemble des règles concernant le libre exercice de la concurrence dans les
relations commerciales et organisant le droit de la consommation.
Droit économique ou droit des affaires ?

Certains auteurs font référence à un droit nouveau fruit de l’évolution des activités humaines
en ce début du XXIe siècle, un droit composé à la fois d’un droit économique et d’un droit des
affaires : le droit des activités économiques.

Fiche n°8
J. Paillusseau
Le droit des activités économiques à l'aube du XXIe siècle
Recueil Dalloz 2003 p. 260

B - Le système du droit des activités économiques
28 - Le système du droit des activités économiques comporte deux caractéristiques
fondamentales :
La première est celle de l'affirmation sans précédent de la fonction organisationnelle du
droit ; la seconde est que le droit n'est pas seulement limité à l'organisation des rapports des
hommes entre eux ou de leurs rapports avec la société. Il a aussi pour fonction l'organisation
juridique, à titre d'objet principal, d'activités en tant que telles, en particulier dans le
domaine des activités économiques.
a) La fonction organisationnelle du droit
29 - Le droit a toujours eu une fonction d'organisation. Mais, si le mot « organisation »
apparaît parfois dans les écrits juridiques, la réalité et la portée de la fonction
organisationnelle du droit ont été totalement ignorées.
Pourtant, elle a toujours existé.
Ainsi, le droit des successions n'est rien d'autre que l'organisation juridique de la succession
patrimoniale d'une personne qui décède. Le décès d'une personne fait apparaître un grand
nombre de questions : que vont devenir ses biens et ses dettes ? A qui peuvent-ils être
transmis ? Qui, et dans quelles conditions, peut en devenir le propriétaire ou le débiteur : les
enfants, le conjoint, les ascendants, d'autres personnes ? Comment organiser la gestion des
biens et des dettes quand plusieurs personnes en héritent ? Peut-on refuser une succession
dans laquelle il y a plus de dettes que de biens ? Les questions sont innombrables. Il faut
leur donner des réponses. Il est clair que chaque disposition du droit des successions est une
réponse appropriée à une question. C'est de l'organisation juridique.
Les mêmes réflexions peuvent être faites dans de multiples domaines du droit. Par exemple,
qu'est-ce que le droit des régimes matrimoniaux, sinon l'organisation juridique des rapports
patrimoniaux entre les époux ? Le droit leur propose plusieurs solutions - sous forme de
régimes - qui constituent autant d'organisations juridiques possibles de leur situation et de
leurs relations.
30 - Ce qui est vrai pour les textes l'est aussi pour les contrats.
Si, par exemple, l'on examine quelques instants un bail commercial, on s'aperçoit que l'objet
même du bail est d'organiser les relations économiques et financières entre le bailleur et le
locataire. Les stipulations contractuelles ne sont que des réponses économiques et juridiques
aux multiples questions que posent ces relations.
Dans tous les domaines du droit, on trouve la même démarche.
31 - Pourquoi, dans la théorie juridique, n'a-t-on pas pris réellement conscience de cette
fonction organisationnelle du droit et tiré les nombreuses conséquences qui s'imposent ?
Peut-être est-ce parce que l'on a toujours considéré le droit comme une chose acquise, même
s'il est en constante évolution : ce sont les lois, les usages, les coutumes, la jurisprudence. Il
est très tentant de partir d'un donné juridique, d'un existant, et de s'y cantonner.
32 - La même constatation peut être faite en pratique, alors que c'est précisément le domaine
privilégié - avec celui de la conception des textes législatifs - de l'organisation juridique.
Par exemple, si deux parties veulent conclure un contrat de vente, elles trouvent dans le
code civil, ou dans des lois particulières en fonction de l'objet de la vente, la plupart des
règles qui s'appliquent à leur convention, ou au moins celles qui sont essentielles, il suffit
qu'elles s'y conforment. Elles font entrer leur convention dans un cadre préexistant. Leur
travail est d'ailleurs simplifié dans la mesure où ces règles ont été reprises dans des
formulaires : il leur suffit d'adapter une formule à leur situation pour que leur convention
soit complète. Plus les règles d'un contrat particulier ont été développées par le législateur,
plus elles sont impératives, et plus leur travail d'organisation juridique est limité, quand il
n'est pas inexistant.
C'est incontestablement de l'organisation juridique. Mais l'idée que le contrat est de
l'organisation juridique n'est pas très apparente. Le contrat ne se dégage pas assez de son
contexte légal et technique pour qu'on en prenne conscience.
Ce genre de situation concerne la plupart des contrats traditionnels dont les règles sont bien
connues.

Fiche n°9
C. Champaud
Pour un droit économique
A propos du livre de Gérard Farjat publié aux Presses Universitaires de France dans
la collection Les voies du droit
RTD Com. 2005 p. 243

Cette idée nous paraît avoir commandé le plan de l'ouvrage. Après avoir rappelé la jeune
histoire du droit économique, son auteur montre comment cette nouvelle approche des
organisations juridiques a (comme celle du droit des affaires) fait évoluer des catégories
juridiques traditionnelles qui paraissaient figées. C'est le cas pour la propriété, pour le
contrat et pour la responsabilité. Ce sont donc les concepts de base du Droit de nos pères qui
se trouvent affectés. Dès lors on comprend mieux pourquoi et comment l'approche juridique
du droit économique des problèmes sociétaux conditionne les acteurs et les méthodes
d'organisation des rapports économiques, sociaux et culturels qui forment le tissu de la vie
en Société qui fournissent la matière des chapitres suivants. De ces révolutions qui affectent
les fondements de nos Droits résultent des méthodes nouvelles d'analyse et d'action, dont
comme le montre le chapitre V, la compétition économique marchande alias « la
concurrence » a fourni le modèle matriciel. Au terme de ces démonstrations qui s'enchaînent
et se déroulent avec une puissance rhétorique que renforce l'harmonie d'une pensée
originale, libre et tolérante forgée par un demi-siècle de réflexion, de doutes et de quelques
convictions, G. Farjat peut aborder, en prophète du Droit, qu'il fut toujours, les « grandes
questions du droit économique » contemporain qu'il ramène à quatre thèmes dont l'actualité
ne saurait être mise en doute : la mondialisation, l'éthique, la culture et la transmission des
savoirs, des savoir-faire et des savoir-être et, enfin, les rapports de l'économique et du
politique. Cette revue de détail prépare cette longue et remarquable conclusion dont nous
avons parlé plus haut.

On aura compris qu'on ne saurait trop recommander la lecture de ce livre à tous les juristes
qui ne veulent pas mourir idiots. Mais que valent les louanges sans critique comme l'aurait
dit (ou à peu près) Figaro Beaumarchais ? Il faut donc sacrifier à cette confraternelle
obligation que pratiquaient les cisterciens. Si le signataire de ces lignes doit formuler un
reproche fraternel à un collègue qu'il admire cordialement, ce sera pour regretter que,
malgré sa vaste culture extra-juridique, l'auteur soit demeuré sous l'empire d'une conception,
traditionnelle, purement intellectualiste de la philosophie et que dans ses analyses les plus
pertinentes, il n'ait pas recouru aux enseignements des sciences biologiques et éthologiques
qui, dans de nombreux cas, paraissent apporter une dimension explicative des phénomènes
sociétaux et de leur régulation juridique singulièrement plus convaincantes que celle que
proposent certaines « sciences humaines » quelques peu éculées, telles que la sociologie,
l'économie et les sciences politiques, par exemple. Ce venin caudal (diront certains) n'altère
en rien l'admiration que suscite chez nous ce « petit grand livre » écrit par un auteur qui aura
marqué la doctrine juridique du XXe siècle et qui vient de montrer qu'il peut encore graver
son sillon sur celle du XXIe.
i

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