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L’affrontement entre Mathilde et Adrien

Problématique : En quoi l’opposition entre frère et sœur est-elle visible dans ce texte ?

1. Une tentative d’humiliation

ADRIEN – Tu crois, pauvre folle, que tu peux défier le monde ?

Ton donné dès le début de la réplique : terme dévalorisant accompagné d’un adjectif subjectif > mépris
affiché. Opposition entre « folle » et « défier le monde » = tentative de déstabilisation.

Enumération des reproches : anaphore (= mépris) +


Qui es-tu pour provoquer tous les gens verbes de jugement à l’infinitif > véritable procès fait à
honorables ? Qui penses-tu être pour bafouer les sa sœur = accusation de vouloir déstabiliser la société.
bonnes manières, critiquer les habitudes des Opposition entre sa sœur et la bonne société (dont lui-
autres, accuser, calomnier, injurier le monde même pense faire partie) : « tous les gens honorables »,
entier ? « les bonnes manières ». Elargissement au « monde
entier ». Mathilde n’a pas sa place dans ce monde
conformiste.

Formulation d’un mépris profond : emploi de la négation restrictive Tu n’es qu’une femme, une femme
(>rabaisser Mathilde), gradation croissante avec des termes de plus en sans fortune, une mère célibataire,
plus humiliants dans la bouche d’Adrien (= conforme à la vision de la une fille-mère, et, il y a peu de
bonne société bourgeoise). Dans le monde d’Adrien, la fe est inférieure temps encore, tu aurais été bannie
à l’ho, et la « fille-mère » est à la place la plus basse. de la société, on te cracherait au
Emploi du conditionnel passé et présent : formulation d’un souhait. Il visage et on t’enfermerait dans une
renvoie à l’époque (« il y a peu de temps encore ») où vivait encore le pièce secrète pour faire comme si tu
père > regret de ne plus pouvoir agir comme celui-ci. n’existais pas.

Que viens-tu revendiquer ? Oui, Une seule envie, humilier sa sœur : Il aimerait avoir l’envergure et
notre père t’a forcée à dîner à l’autorité naturelle de son père (« oui, notre père t’a forcée…à genoux »).
genoux pendant un an à cause de Emploi du terme religieux « péché » (vision bourgeoise conformiste +
ton péché, mais la peine n’était pas terme sans doute employé par le père) = 1ère tentative d’humiliation.
assez sévère, non. Aujourd’hui Désir formulé (conditionnel « tu devrais ») de ressembler à ce père en
encore, c’est à genoux que tu réitérant son despotisme à l’égard de Mathilde : emploi de formulation
devrais manger à notre table, à emphatique + anaphore. Enumération avec gradation décroissante des
genoux que tu devrais me parler, à personnes devant lesquelles il désire l’abaisser : « ma femme », « mme
genoux devant ma femme, devant Queuleu » (= domestique), « tes enfants (= nés en dehors du mariage et
madame Queuleu, devant tes Fatima métisse) = 2ème tentative d’humiliation.
enfants.

Pour qui te prends-tu, pour qui nous prends-tu, pour sans cesse nous maudire et nous défier ?

Il se répète > échec à endosser la stature du père….

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2. Un défi obsessionnel
Le défi d’une femme meurtrie : 7 occurrences de
MATHILDE. – Eh bien, oui, je te défie, Adrien ; et avec ce verbe < elle a été rejetée par son frère (« te »),
toi ton fils, et ce qui te sert de femme. Je vous défie, vous sa famille et la maisonnée (« vous, vous tous »),
tous, dans cette maison, et je défie le jardin (1) qui et par toute une région : cf élargissement aux
l’entoure et l’arbre (2) sous lequel ma fille se damne, et le éléments naturels car ont des liens avec sa famille
mur (3) qui entoure le jardin. Je vous défie, l’air (1) que (voir les sub relatives + emploi de l’adj possessif
vous respirez, la pluie (2) qui tombe sur vos têtes, la terre « vos »), à la « ville » dans laquelle il vit, à tous
(3) sur laquelle vous marchez ; je défie cette ville (1), les êtres vivants et mêmes aux « morts » => elle
chacune de ses rues (2) et chacune de ses maisons (3), je exècre cette région et tout ce qui touche de près
défie le fleuve qui la traverse, le canal et les péniches sur ou de loin à la figure paternelle.
le canal, je défie le ciel qui est au-dessus de vos têtes, les Tout ceci appuyé par des rythmes ternaires.
oiseaux dans le ciel, les morts dans la terre, les morts
mélangés à la terre et les enfants dans le ventre de leurs mères.

Et, si je le fais, c’est parce que je sais que je suis plus solide que vous tous, Adrien.

Revanche de Mathilde : emploi du comparatif de supériorité. Son frère et sa famille représentent un


monde révolu. => apparaît comme une véritable héroïne de tragédie.
Remarque…derrière Mathilde, c’est Koltès lui-même qui vomit Metz et le conformisme bien-pensant de la
bourgeoisie qui l’habite durant sa propre jeunesse…

Aziz1 entraîne Adrien, Édouard entraîne Mathilde. Mais ils s’échappent et reviennent.

Véritable duel : Opposition et violence visibles aussi dans le jeu des comédiens < didascalie externe.

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3. La vengeance de Mathilde

MATHILDE. – Car sans doute


Malédiction portée sur ce milieu bourgeois : l’usine ne m’appartient-elle pas,
Rappel de la fragilité de la fortune avec chp lex de la ruine (« fait mais c’est parce que je n’en ai
faillite..tombe en ruine…hangars déserts ») ; semble se montrer plus réaliste pas voulu, parce qu’une usine
et avisée que son frère car elle a fait le choix de renoncer à cette usine, aux fait faillite plus vite qu’une
apparences (emploi de prop sub de cause). maison ne tombe en ruine, et
Emploi du futur catégorique à valeur prophétique et de prop sub que cette maison tiendra encore
d’opposition : sa descendance prospèrera longtemps (« après celle de mes après ma mort et après celle de
enfants ») à l’abri de la maison (= solidité), et il ne restera que le fils mes enfants, tandis que ton
d’Adrien (« ton enfant ») dans des décombres et devenu fou (répétition des enfant se promènera dans des
paroles d’Adrien : « c’est à moi »). hangars déserts où coulera la
Vision de la ruine = symbole de cette bourgeoisie déclinante. pluie en disant : C’est à moi,
= 1ère forme d’humiliation c’est à moi.

Non, l’usine ne m’appartient pas,


Accomplissement de sa vengeance : Opposition forte dans l’emploi
mais cette maison est à moi et, parce
des pronoms et adj possessifs de 1ère et 2è personne.
qu’elle est à moi, je décide que tu la
Enonciation d’une volonté forte « je décide que » (ici verbe
quitteras demain. Tu prendras tes
performatif : elle reprend la figure paternelle) et emploi du futur
valises, ton fils, et le reste, surtout le
catégorique : elle chasse son frère et « son fils » comme elle-même a
reste, et tu iras vivre dans tes hangars,
été chassée de cette maison avec son propre fils, 15 ans auparavant.
dans tes bureaux dont les murs se
Mépris : « et le reste, surtout le reste » (= épouse et Mme Queuleu)
lézardent, dans le fouillis des stocks
Emploi d’un vocabulaire dépréciatif pour décrire l’état de l’usine.
en pourriture. Demain je serai chez
= 2ème forme d’humiliation
moi.

Un conflit à son paroxysme : enchaînement des répliques de plus ADRIEN. – Quelle pourriture ? Quelles
en plus courtes > violence et tension croissantes lézardes ? Quelles ruines ? Mon chiffre
Aveuglement d’Adrien devant la réalité (interrogatives très d’affaires est au plus haut. Crois-tu que
brèves). j’ai besoin de cette maison ? Non. Je
Opposition Adrien-Mathilde dans la vision qu’ils ont de la figure n’aimais y vivre qu’à cause de notre père,
paternelle : en mémoire de lui, par amour pour lui.
-Adrien vit dans le souvenir de la gloire de son père (rythme MATHILDE. – Notre père ? De l’amour
ternaire), son modèle qu’il n’arrive pas à égaler. => réponse pour notre père ? La mémoire de notre
ironique et méprisante de Mathilde (« je l’ai mise aux père, je l’ai mise aux ordures il y a bien
ordures ») : elle n’éprouve aucun respect pour ce père qui l’a longtemps.
humiliée et chassée, elle ne lui est redevable en rien.
-seules injonctions que peut encore formuler Adrien à la forme ADRIEN. – Ne touche pas à cela,
négative ou positive = respecter la mémoire du père => réponse Mathilde. Respecte au moins cela. Cela au
hautaine et méprisante de Mathilde (emploi du superlatif): elle moins, ne le salis pas.
n’a pas besoin de « salir » la mémoire de celui-ci…implicite =
attitude du père avait déjà tout sali et brisé. MATHILDE. – Non, je ne le salirai pas,
=> Mathilde sort victorieuse de cet affrontement : phrase cela est déjà très sale tout seul.
brève et cinglante. Bernard-Marie Koltès, Le Retour au
désert, 1988.

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