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Lestringant Frank. C. Blanckaert. Naissance de l'ethnologie ? Anthropologie et missions en Amérique (XVIe-XVIIIe siècle). In:
Revue de l'histoire des religions, tome 204, n°2, 1987. pp. 186-190;
https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1987_num_204_2_2189
,
français par le père dominicain Raymond Breton (1609-1679).
Elaborant une description linguistique qui demeure précieuse, surtout
sur le plan lexical, le P. Breton traduit pour évangéliser. Mais pour
transcrire une formule aussi simple en apparence que le Au nom du
Père, etc., il est contraint de forger des noms et de créer en caraïbe
un article qu'il sait inexistant, toutes manières de briser l'altérité.
L'analyse à cet égard exemplaire de Sylvain Auroux et Francisco
Queixalos (p. 107-124), tout comme l'étude de Patrick Menget,
montre que, sous couvert de donner à l'Indien une identité acceptable
par l'évangélisateur, ce dernier, en fait, le neutralise ou le détruit.
Trois autres contributions, celle de Thierry Saignes sur les Chiri-
guanos de la Bolivie orientale, courtisés tour à tour par les
missionnaires jésuites et franciscains, et le diptyque consacré par Michel
de Certeau et Jean-Louis Fischer à Joseph-François Lafîtau, l'auteur
des Mœurs des sauvages amériquains comparées aux mœurs des premiers
temps (1724), se rapportent également au savoir recueilli par les
enquêtes des ordres catholiques. Lafltau, indûment considéré par
certains historiens comme le précurseur de l'anthropologie sociale
et dont le comparatisme descriptif, hérité d'Oviedo ou de Marc
Lescarbot, est une invention du siècle des Grandes Découvertes,
apparaît du moins symptomatique, comme le veut Michel de Certeau,
du pouvoir silencieux d'une science formelle qui élabore contre le
temps et l'oralité un système textuel tyrannique et solitaire.
Occupe une place à part dans ce recueil l'ample et neuve étude
de Britta Rupp-Eisenreich sur la mission des Frères mora ves, ce
mouvement dissident du luthéranisme orthodoxe, aux îles Vierges
danoises dans le second tiers du xvine siècle. Relevant du piétisme
allemand et animé d'un fort espoir chiliastique, ce courant pose le
problème de la spécificité des missions protestantes, plus tardives
que celles de l'Eglise catholique. Entreprise décentralisée, laïque et
formée d'exilés politiques appartenant aux classes industrieuses
modestes, la mission morave s'oriente vers ceux qui, dans la société
coloniale, apparaissent comme les plus déshérités : les esclaves sont
en effet pour eux l'incarnation vivante du Christ souffrant (p. 133).
Il est vrai que le ferment subversif d'un tel projet est tempéré par le
légalisme des missionnaires. Ils partagent l'existence des Noirs qu'ils
ont pour mission ď « éveiller » à la vie chrétienne, sans pour cela
remettre en cause l'ordre existant. Mais en rendant la parole aux
nègres humiliés, ils ont pu contribuer à la création, par-delà le désastre
de la traite, d'une identité nouvelle.