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L E GRAND CONTINENT

L’Europe est-elle
chrétienne ?
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

A UTEUR Olivier Roy

I MAGE Kupka, La cathédrale, 1912-13 -


Musée Kampa (Prague)

D ATE 19 octobre 2018

Dans une société sécularisée en quête de valeurs,


chasser le religieux revient à en faire la proie des
braconniers du fondamentalisme

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L E GRAND CONTINENT

Nous avons l’habitude, aujourd’hui, des débats sur les rapports entre Islam
et Europe, Islam et laïcité, Islam et démocratie… Or derrière ces débats se
cache un débat plus profond sur la nature même de l’Europe, et sur sa
relation avec le religieux en général. Une grave crise portant sur la définition
de l’identité européenne et sur la place du religieux est en cours, comme le
montre d’ailleurs la radicalisation catholique en France autour de la Manif
pour Tous, voire la radicalisation laïque autour de questions comme
l’abattage rituel ou la circoncision.

Tout État est séculier par principe, et tend à séculariser la religion. Ce


processus historique, issu des traités de Westphalie (1648), a
progressivement défini une identité chrétienne de l’Europe, en tant
précisément que « christianisme sécularisé », qui s’est longtemps maintenue
en dépit de l’affaiblissement des pratiques religieuses. Mais la pertinence de
ce concept est à interroger depuis les années 1960 et la rupture du
consensus moral qu’il sous-tendait et qui animait auparavant en Occident
les consciences à la fois chrétiennes et laïques.

L’État ne peut, depuis lors, plus traduire en normes les « valeurs » car ces
dernières se sont autonomisées dans des sphères politiques distinctes qui se
les disputent âprement, rompant avec plusieurs siècles d’un implicite moral
partagé par la majorité et qui ne nécessitait pas codification. Face au vide
laissé par l’abandon d’un implicite collectif, l’on voudrait codifier le
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religieux et en limiter toujours davantage la place dans l’espace public. Mais


l’en chasser revient peut-être à en faire la proie des braconniers du
fondamentalisme. Il importerait donc de re-socialiser le religieux d’une
manière qui rendrait sa visibilité acceptable.

L’HÉRITAGE DES GUERRES DE RELIGION

L’importance du christianisme dans l’Histoire européenne, dans l’idée


même d’Europe, ne fait aucun doute. L’espace qu’on appelle Europe
aujourd’hui correspond dans le fond à l’espace du christianisme latin au XIe
siècle. Que les principaux concepts juridiques, politiques, etc., qui ont
structuré la construction étatique, puis la construction de l’Europe aient été
forgés très largement dans un milieu chrétien, cela va de soi. Il est évident
que les premières universités étaient des institutions religieuses et que les
premiers intellectuels étaient des clercs. Ce christianisme n’était pas non
plus fermé sur lui-même, et il a bénéficié des échanges, des apports grecs,
romains, musulmans, etc. Les érudits de l’époque étaient ouverts et
prenaient leur bien là où ils le trouvaient. Je ne veux pas ici entrer dans une
reconstruction du Moyen Âge, où l’on ferait de l’Andalousie le paradigme de
la coexistence des religions : ces représentations sont très largement des
constructions anachroniques (quel multiculturalisme au Moyen Âge ?) qui
servent à penser les problématiques d’aujourd’hui, et que l’on peut

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instrumentaliser à droite comme à gauche. Si les festivals œcuméniques de


musiques sacrées sont des réussites esthétiques, ils ne disent pas grand-
chose des relations entre communautés religieuses.

Le XIe siècle est un moment clé : au moment précis où le grand schisme de


1053 sépare définitivement la latinité catholique de l’orthodoxie orientale, le
violent conflit entre le Pape et l’Empereur, sur la source du pouvoir
politique et de la légitimité, pose la question du lien entre religion et
politique, entre autorité et pouvoir (auctoritas et potestas). À la longue,
l’Empereur, ou plutôt le souverain temporel, gagne. Non pas par la victoire
du séculier sur le religieux, mais par la définition du pouvoir comme
expression de la volonté de Dieu. Le pouvoir est légitime en soi comme
volonté, c’est-à-dire comme reflet de la volonté de Dieu, le pouvoir
l’emporte sur l’autorité du savoir : c’est cette matrice théologico-politique
qui jouera un rôle clé dans l’élaboration du concept de nation souveraine et
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dans celui de la Loi comme expression de la volonté politique et non pas


reflet du droit naturel. Tout cela, le Moyen Âge l’a très largement élaboré et
débattu dans un espace de fait européen, où clercs et idées circulaient
indépendamment de leur appartenance « nationale ». L’Église a défini très
tôt une supranationalité (pardonnez l’anachronisme, puisque le concept
d’État-nation s’est construit lentement au cours des siècles).

Le grand traumatisme européen remonte aux


guerres de religion.

O LIVIER ROY

La généalogie de l’État-nation se solidifie autour des traités de Westphalie de


1648. Cela vient essentiellement de la grande rupture de la Réforme, qui
casse l’idée de l’universalité de l’Église, et met fin à sa prétention de
contrôler le politique. Cette coupure fondamentale est toujours présente.
Mais assimiler l’américanisation (ou la globalisation) à la protestantisation
de notre vieille Europe est un peu rapide : le protestantisme est

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extrêmement divers, et il y a loin de l’auto-sécularisation propre au


luthéranisme à la résurgence d’un calvinisme évangélique en Amérique.

Mais il est vrai que le grand traumatisme européen remonte aux guerres de
religion. Ces guerres démarrent sur des questions théologiques (la grâce et
le salut) considérées comme essentielles et non négociables par les acteurs
— les deux dernières des 95 thèses de Martin Luther ne laissent pas de place
au compromis : « Il faut exhorter les chrétiens à s’appliquer à suivre Christ
leur chef à travers les peines, la mort et l’enfer. Et à entrer au ciel par
beaucoup de tribulations plutôt que de se reposer sur la sécurité d’une
fausse paix ».

On peut bien sûr expliquer comment la Réforme exprime plus qu’elle ne


crée un bouleversement des cadres sociaux, culturels et intellectuels de
l’époque en faveur de nouveaux acteurs. Mais il n’empêche que l’on se tue
bien pour des dogmes et pour la foi.

La violence est religieuse dans son fond comme dans sa mise en scène,
comme l’ont montré par exemple Olivier Christin et Denis Crouzet 1 . Or, il
n’y a rien à négocier sur le religieux, malgré les efforts incessants des rois et
des empereurs (François Ier et Charles Quint par exemple) pour amener les
théologiens des deux camps à trouver un compromis (Poissy, Worms,
Ratisbonne). Les religions se révèlent alors incapables de faire la paix entre
elles car on ne peut pas négocier sur le dogme, mais seulement sur la place
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du religieux (avis aux laïques qui veulent réformer l’Islam !). Comme le
montre Olivier Christin, la paix des religions a été faite par les politiques, en
posant justement que c’est le politique qui devait décider de la place du
religieux 2 . Ce n’est nullement la séparation, car le politique intervient
directement dans le religieux (par exemple la Déclaration des Quatre
articles en 1682, suscitée par Louis XIV, affirme la supériorité du concile sur
le Pape).

Tout État est séculier, et cela n’a rien à voir avec la


pratique religieuse des populations.

O LIVIER ROY

Aujourd’hui, on continue à promouvoir le dialogue interreligieux pour


s’opposer à la violence religieuse, mais cela ne marche pas plus qu’au XVIe
siècle. On ne résoudra pas des conflits religieux par des débats
théologiques. Commencer par la question théologique est une impasse.
Petit à petit, les politiques des XVIe et XVIIe siècles comprirent que les

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guerres de Religion n’étaient pas gagnables : l’État a donc décidé de faire lui-
même la paix religieuse, en organisant la place du religieux, résolvant ainsi
le vieux conflit entre le Pape et l’Empereur au profit de ce dernier. C’est ce
que signifie le principe Cujus regio, Ejus religio : le souverain décide du
religieux. C’est l’État qui fixe les règles du jeu en matière de religion, et ce
jusqu’à aujourd’hui.

De toute façon, même dans un État religieux, comme la République


Islamique d’Iran, c’est le politique qui décide du religieux. Il n’y a nulle part
d’instance religieuse autonome et indépendante qui dicterait à l’État ce que
devrait être un État religieux. En 1995, j’ai donné une conférence à Qom en
Iran, à l’université islamique Moufid, qui m’avait demandé de venir faire
m’expliquer sur le titre de mon dernier livre, L’échec de l’Islam politique 3 . Je
développe mon propos et pose la question de savoir qui décide de l’islamité
des lois votées par le parlement. Un conseil des Gardiens est certes prévu
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par la constitution pour valider l’islamité des lois votées par le Parlement.
Mais les conflits entre les deux institutions sont permanents.

Alors intervient une troisième instance, le conseil des Experts, qui doit
mettre d’accord le conseil des Gardiens et le parlement. Cette instance est
constituée des hommes du pouvoir, de cette équipe dirigeante qui a fait la
révolution 4 . Je pose la question classique « Qui garde les gardiens ? », c’est-
à-dire qui décide en dernière instance de la vérité religieuse. Alors, un
mollah au fond de la salle lève la main et crie « la Kalachnikov ! ». La
réaction fut très mitigée dans la salle, mais l’argument était posé de manière
juste. Nulle part un théologien n’ira impunément taper à la porte du
dictateur, du président, ou du pouvoir en général pour contester la
conformité d’un argument du pouvoir politique sur des termes religieux.
Cet individu finira invariablement en prison, en Iran comme en Arabie
Saoudite (et autrefois sur le bûcher comme Savonarole à Florence)

S OUVERAINETÉ ET SÉCULARISATION

Tout État est séculier, et cela n’a rien à voir avec la pratique religieuse des
populations. Il existe des États séculiers où la pratique religieuse est très
forte, par exemple les États-Unis, où le premier amendement défend la
séparation du religieux et du politique. La différence avec la France réside
dans le fait que dans le système américain, la séparation protège le religieux

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du politique, alors qu’en France, elle protège le politique du religieux. Les


États-Unis n’en restent pas moins un pays de stricte séparation des Églises et
de l’État. En France, la loi de 1905 sépare d’abord l’Église catholique et
l’État républicain. Ce n’est pas une loi de séparation des religions en
général. Les Israélites et les protestants ont soutenu cette loi.

Nous avons donc deux formes de sécularisation, la


sécularisation politique, celle de la séparation de
l’Église et de l’État (la laïcité juridique), et la
sécularisation sociologique, qui est celle de la chute
des pratiques.

O LIVIER ROY

Il faut distinguer laïcité et sécularisation : une société complètement


sécularisée peut n’être pas laïque (Grande-Bretagne et Danemark) et une
société très religieuse peut être laïque (Inde, États-Unis et Italie). La
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« laïcité » n’est pas la conséquence mécanique d’une déchristianisation due


à la sécularisation de la société. Le gallicanisme interdisait au Pape de
communiquer directement avec les catholiques (par exemple un curé ne
pouvait lire en chaire une déclaration du Pape), sans l’approbation du Roi.
L’État s’imposait contre la papauté mais le roi Louis XIV était lui-même un
grand dévot.

La sécularisation n’est pas non plus nécessairement une déchristianisation.

Mais il se trouve qu’en Europe, elle l’a aussi été. Cette déchristianisation est
sociologiquement mesurable. Par exemple, historiquement on l’a faite par
l’étude des testaments. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les hommes et
femmes dotés d’un patrimoine tendent à léguer une partie plus ou moins
importante à l’Église à leur mort, pour assurer le salut de leur âme 5 . Au
XVIIIe, les femmes continuent à léguer dans la même proportion, tandis
que les legs masculins chutent. Au XIXe siècle, le phénomène se poursuit
avec la montée du dimorphisme sexuel dans l’Église. Si le clergé reste
masculin, l’assistance des paroisses se féminise de plus en plus, tandis que
le nombre de nonnes dépasse le nombre de moines. De nombreux critères
objectifs de pratique religieuses sont au XXe établis par les sociologues.
Leur travail est facilité avec l’Église catholique, puisque c’est une
bureaucratie qui tient des registres. On a des registres de participation à la
messe, du denier de Saint-Pierre, des baptêmes, des confessions, etc.

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Aujourd’hui encore, l’Église a un registre des conversions, qu’elle ne montre


pas trop pour ne pas créer des problèmes. On sait par exemple parfaitement
le nombre de musulmans qui se convertissent chaque année à l’Église
catholique. Les statistiques pour les protestants sont moins bien tenues.

Nous avons donc deux formes de sécularisation, la sécularisation politique,


celle de la séparation de l’Église et de l’État (la laïcité juridique), et la
sécularisation sociologique, qui est celle de la chute des pratiques. Ce sont
deux phénomènes qui sont le plus souvent parallèles. Au moment du traité
de Westphalie et des débuts de la sécularisation politique, toute l’Europe est
croyante. Au XIXe siècle commence en effet une sécularisation sociologique
en France. Mais l’observation n’est pas vraie de toutes les sociétés. Le cas du
Québec est intéressant. Très catholique jusqu’en 1960, la pratique s’y
écroule en dix ans dans les années 1960. Encore plus récent est le cas de
l’Irlande, qui s’est décatholicisée encore en dix ans. Le prochain pays à se
décatholiciser sera sans doute la Pologne, dernier bastion de l’identité
catholique.

Il faut distinguer laïcité et sécularisation : une société


complètement sécularisée peut n’être pas laïque
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(Grande-Bretagne et Danemark) et une société très


religieuse peut être laïque (Inde, États-Unis et Italie)

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Ceci dit, la chute de la pratique religieuse n’enlève pas sa pertinence à la


référence religieuse. Selon la formule fameuse de Marcel Gauchet, si « le
christianisme est la religion de la sortie de la religion », alors la culture
européenne dominante est un christianisme sécularisé. Cette thèse, sous
des formes différentes, existe depuis Feuerbach, voire Hegel, et est reprise
par Max Weber et Pierre Legendre. Ce n’est pas parce que les gens ne
croient plus que la société n’est plus chrétienne dans ses concepts
fondateurs (le « for intérieur »), ses valeurs, et ses institutions. On peut
encore rappeler l’influence du christianisme dans le droit, ou bien le rôle de
l’Inquisition dans la construction de l’enquête policière et l’importance de
l’aveu. Les cultures artistiques et philosophiques de l’Europe moderne sont
bien ancrées dans le christianisme. Même Descartes a passé beaucoup de
temps à tenter de prouver l’existence de Dieu, pour se faire pardonner son
invention du Cogito qui rendait la vérité autonome.

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L’EUROPE EST-ELLE CHRÉTIENNE ?
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On peut donc défendre l’idée d’une identité chrétienne de l’Europe, et


mettre en avant ses « racines chrétiennes », sans se voir opposer la chute de
la pratique et l’effacement de la foi. On peut tout à fait se réclamer d’une
culture chrétienne et ne pas croire en Dieu, comme Maurras, ou même Jean-
Marie Le Pen. Pour eux, la foi importe peu mais le catholicisme joue un rôle
fondamental en Europe, parce que la culture dominante est considérée
comme un christianisme sécularisé. Incidemment, on dit souvent
aujourd’hui « judéo-christianisme », mais l’expression n’a pas de sens. Ce
qui est passé du judaïsme au christianisme, c’est ce que l’Église a bien voulu
y laisser passer, et l’Église n’y a pas laissé passer grand-chose.

Pour l’Église, l’un des pires péchés consistait à « judaïser » le catholicisme.


L’Église a alors fait la police de ce qui pouvait sortir du ghetto. Quand la
culture juive est passée au XIXe dans la culture dominante, ce qu’on appelle
métaphoriquement la « sortie du ghetto » (qui a parfois un aspect très
concret), c’est l’essor de la grande culture Yiddish, qui bien qu’influencée
par la religion est une culture séculière.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’idée que la culture dominante est un


christianisme sécularisé allait donc sans dire. On peut à l’époque parler de
l’identité chrétienne de l’Europe sans évoquer la question de la foi, de la
croyance, ou de l’Église comme institution. Quand les pères fondateurs de
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l’Europe, Robert Schuman, Jean Monnet, De Gasperi ou Adenauer lancent la


construction européenne, leur groupe est composé aux deux tiers de
catholiques pratiquants, avec un tiers de sociaux-démocrates. Il ne leur est
jamais venu à l’esprit d’inscrire l’identité chrétienne de l’Europe dans aucun
des textes fondateurs, non parce qu’ils étaient des laïcs ou parce qu’ils
avaient peur de déclencher des réactions hostiles mais parce qu’au
contraire il était tellement évident pour eux que la culture européenne était
un christianisme sécularisé qu’ils ne voyaient pas l’intérêt d’une
redondance.

On peut donc défendre l’idée d’une identité


chrétienne de l’Europe, et mettre en avant ses
« racines chrétiennes », sans se voir opposer la chute
de la pratique et l’effacement de la foi.

O LIVIER ROY

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La question s’est posée en termes explicites à la fin des années 1990, lorsque
des députés européens proposent de mentionner les racines chrétiennes de
l’Europe dans le préambule de la constitution européenne.

Mais pourquoi rappeler les évidences ? Si on veut rappeler une évidence,


c’est précisément parce qu’il n’y a plus d’évidence. Bien sûr, pour beaucoup
de partisans de la référence aux racines religieuses de l’Europe, il s’agit de
s’opposer à l’Islam et à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
Depuis, la référence identitaire au christianisme semble pour beaucoup être
purement incantatoire et réactive : il s’agit de dire que l’Islam n’a pas de
place en Europe. Mais pour les deux Papes qui ont défendu cette référence
( Jean-Paul II et Benoît XVI), elle était loin d’être purement incantatoire : il
s’agissait en effet pour eux deux de ramener l’Europe à ses racines, de
tourner le dos à une culture dominante totalement sécularisée devenue
pour le Pape Jean Paul-II une « culture de la mort » (expression mentionnée
douze fois dans l’encyclique Evangelium vitae de 1995).

En un mot, l’Église catholique pense qu’il n’y a pas d’identité chrétienne


sans retour aux valeurs chrétiennes, alors que tant les populistes d’Europe
du Nord que les militants laïcs de tout bord défendent, sous le nom
d’Europe chrétienne, les valeurs issues de la sécularisation (droits de la
femme et des LGBT). Bref, la question de l’identité pose la question des
valeurs. Et c’est ici que les choses sont plus compliquées. Comment peut-on
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dire que la culture européenne est une sécularisation du christianisme si les


valeurs dominantes ne sont plus des valeurs chrétiennes sécularisées ? Que
signifie invoquer une référence chrétienne dans l’Europe d’aujourd’hui ?

Le concile Vatican II dans les années 1960 voit le triomphe de l’auto-


sécularisation du religieux. Dieu parle séculier (dans la ligne du théologien
luthérien Dietrich Bonhoeffer). Les prêtres s’habillent comme tout le monde
(en attendant la fin programmée du célibat), les églises n’ont plus de
clocher, elles se cachent (comme les gares) dans l’urbanisme moderne. Le
passage aux langues vernaculaires édulcore la vigueur du dogme en latin,
l’enfer se vide, en tout cas dans l’au-delà, car ici-bas ce sont les autres. C’est
le triomphe du sécularisme, dans ce qu’Habermas appelle la translation.

En abordant son aggiornamento, l’Église se


demande alors comment développer une pastorale
dans une société devenue analphabète sur le plan
religieux.

O LIVIER ROY

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Puisque les laïcs ne comprennent plus rien au sacré, et qu’ils trouvent les
croyants au mieux bizarres, au pire fanatiques, si les croyants veulent vivre
paisiblement leurs convictions dans la société sécularisée, ils doivent les
transcrire en langue laïque. L’Église a bien compris cette traduction : la lutte
contre l’avortement devient la « lutte pour la vie ». La défense de la famille
traditionnelle devient le refus d’une « révolution anthropologique dans les
sociétés occidentales ». On ne parle plus des normes divines ou de la
volonté de Dieu. Le discours de l’Église ne dit plus s’opposer à l’avortement
à cause de tel passage des Écritures, mais au nom du droit à la vie. Sur
Vatican II, il est intéressant d’écouter la position des traditionalistes
ennemis du concile. Ce n’est pas parce qu’ils sont de droite ou d’extrême-
droite que leurs arguments sont fallacieux 6 . Le passage du latin au français
comme langue liturgique a donné lieu à une édulcoration des formulations
latines. Certaines prières ne sont aujourd’hui autorisées qu’en latin, comme
la prière pour la conversion des juifs (oremus et pro perfidis judaeis), pour
sauver les apparences (on dit alors que perfidus ne se traduit pas par
perfide) 7 .

En abordant son aggiornamento, l’Église se demande alors comment


développer une pastorale dans une société devenue analphabète sur le plan
religieux. Les auteurs de la loi de 1905 connaissaient parfaitement l’Église,
certains d’entre eux étaient d’anciens séminaristes, dont Émile Combes. Si
l’on avait demandé à ces laïcs de 1905 la définition de la transsubstantiation,
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de la communion, de la Trinité, ils auraient répondu sans hésitation ; le


dernier des présidents alphabétisés religieusement fut Mitterrand. La
période actuelle est caractérisée par cet analphabétisme généralisé. Si on
demande dans la rue à des passants les trois personnes de la Trinité, il est
probable qu’ils vous répondront Marie, Jésus et Dieu. Ne leur demandez pas
ce qu’est l’Eucharistie. Les Québécois, on le sait, jurent en utilisant un
vocabulaire religieux (on dit « tabernacle » plutôt que « b… de m… »). Or,
une campagne de communication avait été lancée dans les années 2000 par
l’évêché de Montréal pour ramener les gens à l’alphabétisme religieux (les
prêtres étant aux avant-postes pour observer la déchristianisation). Sur
l’autoroute, une grande pancarte indiquait « Tabernacle », un peu plus loin
une autre « Savez-vous ce que c’est ? » (la réponse supposée étant « ben quoi !
un gros mot ! »), puis une troisième « Demandez à l’évêque, tapez
eveque.com ». Les gens continuaient à jurer sans plus savoir le sens des
mots.

Les années 1960 sont selon moi une période clé, équivalente aux années
juste après 1517 et la publication des 95 thèses. Après Vatican II, triomphe de
l’auto-sécularisation du religieux, vient en 1968 Humanae Vitae, encyclique
qui défend une position maximaliste interdisant toute pratique sexuelle non
destinée à la procréation. Les catholiques ne comprennent pas ce coup de
tonnerre dans un ciel bleu. Les laïcs s’indignent de ce pape réactionnaire.

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Pourquoi, alors que l’Église avait mis en place une théologie de la


modernité, insiste-elle à ce point sur la norme ? Parce que nous nous
trouvons alors sur un pivot, la rupture fondamentale des années 1960 : les
nouvelles valeurs fondées sur l’individualisation, la liberté et la valorisation
du désir ne sont plus des valeurs chrétiennes sécularisées. La liberté de la
personne l’emporte sur toutes les normes transcendantes, il n’y a plus de
morale naturelle. Il n’y a plus de morale partagée. Les valeurs chrétiennes
reviennent alors sous forme de normes explicites, parce qu’elles ne sont
plus comprises et partagées. Mais comme nous le verrons, c’est aujourd’hui
la culture elle-même qui se reformule comme système de normes explicites.
En ce sens, « Metoo » et « Balance ton porc » sont l’« Humanae Vitae » des
laïques qui découvrent enfin leur mea maxima culpa avec cinquante ans de
retard : le sexe demande une norme

Jusque dans les années 1960, dans le cadre de cette culture dominante
chrétienne sécularisée, la référence à la loi naturelle, élaborée entre autres
par saint Thomas d’Aquin, fait qu’il n’y a pas besoin d’être croyant pour être
moralement bon. L’humanité partage une morale naturelle fondée sur une
loi naturelle. Jules Ferry, dans sa « Lettre aux instituteurs », leur explique
qu’ils trouveront d’eux-mêmes des paroles qui ne heurteront aucun « père
de famille ». Pour Jules Ferry, il est évident qu’à l’époque il n’y a qu’une
morale partagée par tous (il la compare à l’arithmétique dans l’évidence
qu’elle implique).
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Aujourd’hui, on continue à promouvoir le dialogue


interreligieux pour s’opposer à la violence religieuse,
mais cela ne marche pas plus qu’au XVIe siècle. On
ne résoudra pas des conflits religieux par des débats
théologiques.

O LIVIER ROY

La lutte entre l’État républicain et l’Église catholique est politique, non


morale. Mais dans les années 1960, la référence à la morale naturelle
disparaît : celle-ci n’est, pour la nouvelle génération en révolte, qu’un
habillage idéologique de l’ordre conservateur et patriarcal (on accuse le
capitalisme aussi, sans voir qu’il s’accommode fort bien du relativisme
moral). Ce n’est pas tant que la sécularisation marque de nouveaux points
(on était déjà dans des sociétés largement sécularisées), mais c’est plutôt la
disparition de la zone grise entre les croyants et les non-croyants, c’est-à-

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L E GRAND CONTINENT

dire le consensus plus ou moins large sur des questions fondamentales : la


définition de la famille, le rejet de l’homosexualité, la division des rôles
entre les sexes, la dissymétrie des rapports à la sexualité, etc. Les années
1950 avaient été bien sûr des années de conflit politique intense en France
opposant cathos et laïcs, mais ce conflit ne portait pas sur les valeurs mais
sur le contrôle de la société civile.

Dans l’Ouest de la France, par exemple, existaient deux sociétés : la


paroisse avec son patronage et le cercle laïque. Chacun avait ses institutions
de sociabilité, son club de foot, son bal (il faut bien que le groupe se
reproduise), son ciné-club, ses colos de vacances, ses conférences. Les
mariages mixtes étaient rares. Les deux sociétés n’étaient cependant pas
vraiment en désaccord sur la question des valeurs. Par exemple, en 1967, au
moment de la campagne pour légaliser les contraceptifs, Jeannette
Vermeersch, la compagne de Maurice Thorez et l’égérie du Parti
Communiste, fit une grande déclaration selon laquelle la contraception était
un complot bourgeois pour limiter les naissances dans la classe ouvrière. En
Italie, on pouvait s’entretuer sur les questions politiques, mais le consensus
subsistait sur les questions privées de la famille.

Ce consensus se brise totalement dans les années 1960, et les zones grises
disparaissent (et avec elle, très logiquement, les « cathos de gauche »). On
peut constater l’évolution de la paroisse territoriale. Le baptême dans une
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paroisse ouvrait automatiquement le droit aux prestations de l’Église. C’était


un droit d’être marié dans l’église qui vous avait vu naître. Mais à partir des
années 1980, on voit arriver de jeunes curés qui demandent aux candidats
s’ils font bien partie de la « communauté », car on ne les voit pas à la messe
du dimanche. On constate ce glissement de la paroisse à la communauté, à
un ensemble de gens qui partagent les mêmes convictions, et n’hésitent pas
à changer d’église en fonction de leur « sensibilité » ; on assiste au
développement des fraternités non diocésaines de « droit pontifical » (en
Italie, les Focolari, Communion et Libération, Sant’Egidio). Les
communautés de foi définissent un dehors et un dedans. C’est la disparition
des tièdes et des agnostiques. On n’accepte dans la communauté que les
vrais, ceux qui s’engagent pleinement. Sinon, il faut obtenir son « ticket
d’entrée », c’est-à-dire que les curés donnent par exemple une période de
formation pour expliquer ce qu’est le mariage chrétien aux futurs époux,
etc.

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Gottfried Honegger, Vitraux de la haute nef de la Cathédrale Saint-Paul (2013) – Liège

C RISE DE LA CULTURE ET RETOUR DE LA NORME

On ne partage donc plus les mêmes valeurs. Ce que les Américains


appellent les « Culture Wars » ne sont pas des guerres de culture (rien de
huntingtonien ici), mais des guerres sur les valeurs. Dans les années 1970, le
débat politique cesse de porter sur l’économie ou la politique étrangère,
mais commence à se centrer sur les « valeurs ». Aujourd’hui, les conflits ont
lieu sur des concepts essentiels comme la définition de la famille, la
question du genre, l’avortement, le mariage gay, tous devenus des sujets
politiques centraux (remarquons que le débat sur l’immigration et les
réfugiés se centre aussi sur la question des « valeurs » et de l’identité,
comme l’a montré l’impact des agressions sexuelles de Cologne le 31
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décembre 2016).

« Metoo » et « Balance ton porc » sont l’« Humanae


Vitae » des laïques qui découvrent enfin leur mea
maxima culpa avec cinquante ans de retard : le sexe
demande une norme

O LIVIER ROY

La culture dominante, désormais, n’est plus le christianisme sécularisé. Je


m’inscris ici en rupture avec Marcel Gauchet ou Pierre Legendre. L’Église fut
consciente très tôt du fait que nous ne partagions plus les mêmes valeurs
(c’est bien le sens d’Humanae Vitae). Pendant le débat sur le mariage
homosexuel, ce fut la première fois en France que les catholiques
descendaient dans la rue en tant que catholiques depuis 1904. En 1984,
pour la défense de l’École libre, ils ne manifestaient pas en tant que
catholiques, et ils n’étaient pas seuls dans la rue. Depuis le toast du cardinal

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L E GRAND CONTINENT

Lavigerie en 1890, l’épiscopat comme la papauté avaient toujours refusé que


les catholiques français s’organisent comme parti politique : mais
aujourd’hui « Sens Commun » est une innovation et une rupture.

Désormais, les communautés de foi se replient sur elles-mêmes et


considèrent que le monde qui les entoure n’est pas séculier mais profane,
voire païen. En même temps, l’épiscopat et le Vatican ne veulent pas en tirer
les conséquences et cherchent à revenir sur la grande rupture. Les deux
papes précédents, Jean-Paul II et Benoît XVI, étaient des papes de la
Reconquête, ils considéraient que la culture dominante était une culture de
mort, mais qu’en revenant à ses racines on pouvait la ramener à la vie. Jean-
Paul II exhortait les catholiques français par son fameux « France, qu’as-tu
fait de ton baptême ? ». Benoît XVI aussi fait toujours appel aux racines
chrétiennes. Mais pour eux, le christianisme n’est pas une identité, c’est une
foi. Pour redonner sa christianité à la culture européenne, il faudrait revenir
à la foi, ou du moins il faudrait qu’une partie suffisante de la population y
revienne, pour redonner une âme à l’Europe.

Évidemment, c’est un échec. Les statistiques de la présence des jeunes aux


Journées Mondiales de la Jeunesse ( JMJ, lancées en 1983) sont certes très
encourageantes, la participation ne cessant de croître. Mais en même
temps, de moins en moins de jeunes entrent au séminaire. Cela signifie soit
que plus les jeunes voient le pape, moins ils ont envie de devenir prêtres,
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

soit qu’ils vont chercher quelque chose de différent auprès du pape. Ils
viennent aux JMJ pour participer à une grande messe, ou même simplement
à une grande rencontre chaleureuse où l’on est entre soi, entre frères et
sœurs sous le regard du Père. On y vit une grande expérience, on éprouve
un flash de spiritualité, puis on rentre à la fac ou au lycée, en gardant peut-
être contact avec la fille ou le garçon qu’on a rencontré…

Dans le fond, les gens qui se raccrochent à la foi et qui se disent croyants, et
en particulier les born-again et les convertis, ne sont pas dans une quête
culturelle. Ce qui les intéresse, ce n’est ni la culture, ni l’institutionnalisation
du religieux. Il s’agit d’une quête individuelle, éventuellement
individualiste, entre pairs.

La culture dominante, désormais, n’est plus le


christianisme sécularisé.

O LIVIER ROY

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L E GRAND CONTINENT

Cela, dans le fond, va de pair avec la déculturation du religieux que j’ai


décrit dans La Sainte Ignorance 8 . Alors que la culture dominante est
analphabète en religion, les communautés de foi ont un problème avec la
culture, qui est pour elles devenue païenne plus que profane et apparaît
menaçante. Parfois on va donc jusqu’à interdire la culture, les films en
général, comme dans certains collèges évangélistes américains, ou
l’internet, comme dans les communautés Loubavitch. Mais on a beaucoup
de mal à reconstituer une culture religieuse, parce que les gens dans les
communautés de foi ne s’intéressent pas à la culture en tant que telle.
L’Église catholique lance des « pastorales » à destination des différentes
catégories, avec des tentatives un peu baroques pour se reconnecter à cette
culture qu’elle a abandonnée : le rock chrétien par exemple. D’autres
tentent les romans bien-pensants « à l’eau bénite » qui marchent très bien
chez les islamistes en Turquie, dans lesquels tout se termine bien, c’est-à-
dire avec beaucoup d’enfants. On voit bien qu’au niveau culturel, il y a un
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

problème d’adéquation.

Derrière la crise du religieux se trouve évidemment une crise de la culture.


Si on maintient que le pivot essentiel est la décennie 1960, tout commence
en Californie : y surgissent le mouvement hippie tout comme les
mouvements évangéliques charismatiques. Mais peut-être que tout revient
encore aujourd’hui en Californie. Car le paradoxe du grand mouvement de
libération sexuelle, c’est qu’il aboutit aujourd’hui non pas à une réaction qui
voudrait un retour en arrière, mais plutôt à une demande de normativité
pointilleuse des comportements sexuels et d’exigence de transparence de la
vie privée, certes accentuée par les réseaux sociaux, mais centrée autour
d’une recherche plus générale d’une normativité explicitée en permanence
9 .

Les valeurs reviennent sous la forme de la norme. Il n’y a guère d’endroit


aussi normé que la Californie, de la taille du gazon à la gestuelle sexuelle.
On s’aperçoit que toute la culture dite de libération achève sa course dans
une explosion de normativité. On pourrait croire au retour de la réaction,
mais ce sont les mêmes personnes qui ont fait la révolution sexuelle et
culturelle des années 1960 et qui sont impliquées dans « Metoo » (soit
comme coupables, soit comme nouveaux distributeurs de la norme). La
nouvelle génération des victimes ne demande pas le retour au
conservatisme moral, mais la mise à la norme de la libération sexuelle. En

15
L E GRAND CONTINENT

ce sens, on ne peut pas parler de « puritanisme », sauf de manière


métaphorique. La normativité contre le harcèlement sexuel se fait
précisément au nom de valeurs de 1968, féminisme et égalité des genres. On
répond à un problème réel (le harcèlement sexuel) par un système de
normes explicites. On donne aux garçons par exemple, dans des écoles
américaines, des cours de comportement envers une fille (l’inverse n’est pas
attesté, à moins d’inclure les cours de self-defense). Il s’agit d’énoncer les
normes de l’interaction. Ce qui compte, c’est que tout doit être explicite. On
voit disparaître les zones d’ambiguïté et d’implicite. Certains accusent alors
le puritanisme américain, coupable tout trouvé qui arrange beaucoup de
gens. Mais je pense que ce mouvement, s’il est apparu aux États-Unis, est un
symptôme global.

La norme est explicite tandis que la valeur est implicite. On peut, bien sûr,
traduire des valeurs en normes. On peut traduire par exemple une valeur
comme l’honneur en un code de l’honneur. Toutes les cultures ont inventé
des codages variés pour les valeurs qui les animent. Mais si on a besoin que
tout soit explicite, c’est qu’on ne partage plus d’implicite. Aujourd’hui, rien
ne va sans dire, et ce qui est non-dit est suspect. Le simple terme de non-dit
est dévalorisé, ce qui met la psychanalyse dans une crise profonde,
puisqu’elle est maintenant considérée comme réactionnaire, patriarcale,
parce qu’elle pose une certaine irréductibilité de ce non-dit. La crise
profonde de la culture est liée au fait que l’on partage de moins en moins de
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

choses dans l’implicite, et que tout doit être dans le dit et dans le normé. Ce
n’est pas par hasard que cette exigence d’explicite s’attaque aussi à la liberté
religieuse : le secret de la confession vient d’être aboli par le Parlement
australien (janvier 2018) et la circoncision des enfants pour des raisons
religieuses est sérieusement contestée en Europe du nord, parce qu’elle ne
repose pas sur l’accord explicite de l’enfant.

Les valeurs reviennent sous la forme de la norme.

O LIVIER ROY

Parallèlement, les fondamentalismes sont tous basés sur le code, du


salafisme aux formes d’évangélisme les plus extrêmes. Ils usent bien sûr
aussi du registre émotionnel, mais on remarque là aussi une codification de
l’émotionnel : on ne peut pas entrer en transe n’importe où ni n’importe
quand. La codification de l’émotionnel, de l’émoticône aux grands aveux
télévisés, fait partie de cette exigence d’explicite normatif.

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R ESOCIALISER LE RELIGIEUX
L E GRAND CONTINENT

Nos sociétés réagissent à cette nouvelle situation par l’angoisse déclenchée


par un religieux qui ne rentre pas dans les codages, et donc par une volonté
de coder le religieux. On déteste le fondamentalisme, mais on fait comme si
tout le religieux était du fondamentalisme, parce qu’ainsi le religieux est au
moins explicite et clair. On prend donc la religion à la lettre (d’où la bataille
sur les versets du Coran concernant le djihad ou les Juifs). On recherche le
verset scandaleux comme on cherche le tweet qui tue. Prendre le texte à la
lettre, c’est bien le propre d’une démarche fondamentaliste. Il est clair dans
les « débats » d’aujourd’hui que le mot (et surtout le bon mot) a tué le sens.

Certains avancent l’idée qu’il faudrait promouvoir le soufisme, le


spiritualisme. Mais nos États sont bien incapables de promouvoir quelque
spiritualité que ce soit. C’est là un fait structurel : un État produit de la
norme, et non de la valeur, laquelle ne peut qu’émaner d’une culture
commune. Au même moment, tous les pays parlent de « valeurs
européennes ». Les Allemands et les Hollandais font remplir aux
demandeurs de visas dans leurs consulats des questionnaires pour vérifier
l’adhésion des requérants à celles-ci. En Hollande, on montre une photo de
femme aux seins nus et on demande à l’interrogé si la photo le choque. Si
oui, il n’est pas en accord avec la culture hollandaise. En Allemagne, on
pose la question de savoir si le naturisme est une valeur allemande.
Heureusement que Joseph Ratzinger n’a jamais eu à demander de visa
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

allemand !

On parle donc d’Europe chrétienne sans être capable de lui donner


beaucoup de contenu au-delà du pique-nique « saucisson – vin rouge » (c’est
au moins une forme de communion sous les deux espèces : l’identité
chrétienne est bien la caricature du christianisme). Ou bien on inscrit dans
les valeurs européennes la liberté sexuelle, l’égalité de l’homme et de la
femme, le mariage homosexuel, autant de valeurs combattues par l’Église
Catholique, ou bien on abandonne la référence chrétienne.

Cette situation est caractérisée par une hypocrisie totale. Sous le terme
d’identité chrétienne, on ne met plus les valeurs chrétiennes sécularisées, et
ce depuis la coupure des années 1960. À la place, on installe les nouvelles
valeurs. Vous remarquerez que les partis populistes européens ne sont
pratiquement plus chrétiens. Les uns ne se réfèrent plus aux racines
chrétiennes comme le parti de Geert Wilders aux Pays-Bas, qui porte haut
les valeurs de 1968. En tournée au Texas face à des extrémistes locaux, il est
applaudi à tout rompre jusqu’au moment où il dit que le problème avec les
musulmans est qu’ils refusent les droits des homosexuels. Ce n’est pas
exactement l’attitude que ces Texans reprochaient aux musulmans.

L’évolution de Marine Le Pen est intéressante : elle qui a hérité d’un parti
qui défendait explicitement l’identité chrétienne de l’Europe, elle a mis en

17
L E GRAND CONTINENT

avant la laïcité comme indicateur de l’identité française. Quand elle propose


de défendre les églises, c’est en les transformant en monuments historiques,
ce qui est une bonne formule d’enterrement. Dans un pays catholique
comme l’Italie, la Lega Nord est en conflit permanent avec l’archevêque de
Milan, qui ne peut accepter la xénophobie érigée en principe politique. En
Pologne, Droit et Justice, qui se réclame explicitement du christianisme, a
organisé des cérémonies de fermeture de frontières avec des rosaires.
L’archevêque de Varsovie a dû protester vivement en interdisant aux prêtres
de participer à ces manifestations.

Les partis populistes européens ne sont


pratiquement plus chrétiens.

O LIVIER ROY

En Italie, la situation politique et sociale était, dans les années 1950, très
clivée, comme en France, avec un fort Parti Communiste, une Démocratie
Chrétienne, et deux sociétés civiles différentes, avec certes un peu plus
d’intermariages qu’en France. Il y a très souvent des crucifix dans les salles
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

de classe et jamais un député communiste italien n’a demandé qu’ils soient


retirés. Il a fallu qu’une Finlandaise athée s’inquiète de l’influence néfaste
du crucifix sur son fils pour que l’affaire finisse par être portée devant la
Cour européenne des droits de l’homme, qui déteste par ailleurs s’occuper
de religion (et préfère botter en touche en arguant du principe de
subsidiarité pour laisser les États gérer le religieux : mais cela ne marche
plus car la question religieuse s’est justement globalisée). Pour défendre la
présence du crucifix, les avocats de l’État italien l’ont défini comme un
symbole national de la culture italienne, qui n’a rien à voir avec la foi. Le
crucifix, pour l’État italien, n’est au fond qu’un morceau de bois culturel.

L’État italien a gagné, mais les évêques ont de bonnes raisons de s’inquiéter
de cette assimilation d’un symbole religieux à une sorte de gadget culturel.

La cause du crucifix a été gagnée au prix d’une sécularisation du religieux.


Ainsi, soit on est dans la culture, et il n’y a plus de religieux, soit on est dans
la religion et il n’y a plus de culture. Avec la « culturisation » du crucifix, on
n’est plus dans la religion.

La prochaine affaire qui sera bientôt jugée à la Cour européenne des droits
de l’homme à Strasbourg et que j’attends avec impatience est l’interdiction
des minarets en Suisse. L’État helvétique, qui était contre l’interdiction des

18
L E GRAND CONTINENT

minarets, mais qui, une fois la votation effectuée, fut obligé de défendre les
résultats auprès de Strasbourg, a mis en place une argumentation habile.

Selon lui, l’interdiction n’est pas une atteinte à la liberté religieuse des
musulmans puisque le minaret relève du culturel. Il est exact que le minaret
n’existait pas à l’époque de Mahomet, qu’il en a existé des variétés
différentes selon les régions, que c’est à l’origine une construction inspirée
des clochers d’église, et il n’est en rien nécessaire à la pratique. On peut
répondre à toutes les exigences rituelles de la religion sans minaret, or les
mosquées sans minaret ne sont pas interdites. L’argument de l’État suisse
contribue à dé-culturaliser l’Islam traditionnel. On ne peut plus construire
des mosquées turques en Suisse, mais rien ne vous empêche de construire
des mosquées suisses (avec une tour d’horloge par exemple). D’ailleurs, il
n’y avait que quatre mosquées avec minarets dans toute la Suisse, parce que
les ambassades saoudiennes ou turques, mécènes des édifices, avaient exigé
des mosquées semblables à celles de leur pays d’origine.

La pratique judiciaire contribue donc à accentuer


cette séparation entre politique et religieux, soit en
culturalisant le religieux jusqu’à en faire disparaître
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

l’élément religieux, soit en dé-culturalisant le


religieux pour que ne subsiste plus que l’élément de
la croyance.

O LIVIER ROY

La pratique judiciaire contribue donc à accentuer cette séparation entre


politique et religieux, soit en culturalisant le religieux jusqu’à en faire
disparaître l’élément religieux, soit en dé-culturalisant le religieux pour que
ne subsiste plus que l’élément de la croyance.

Enfin, on peut évoquer le jugement du tribunal de Francfort interdisant la


circoncision (2013), rendu immédiatement caduc par une loi du parlement
allemand autorisant explicitement la circoncision. Il s’agit là d’une sorte de
coup de force législatif. Si une loi a dû être votée, c’est parce que
l’argumentaire du tribunal de Francfort était très cohérent. Puisque le
tribunal ne peut juger les croyances, il ne juge que les conflits de droits. La
protection de l’enfant, la protection de l’intégrité corporelle et la liberté de
conscience sont des droits essentiels, au nom desquels ce tribunal interdit la
circoncision. En effet, dans la décision rendue, la circoncision est décrite

19
L E GRAND CONTINENT

comme une atteinte à l’intégrité corporelle, comme une marque indélébile


d’appartenance religieuse infligée à un enfant qui ne peut la refuser,
l’engageant dans une religion qu’il peut quitter à l’âge adulte mais par
laquelle il reste marqué à vie.

Le tribunal propose de ne pas imposer de circoncision avant dix-huit ans, et


demande aux parents de laisser la liberté religieuse aux enfants. Mais que
devient alors la transmission ? On aboutit à une définition du religieux
explicitement coupé de toute culture. Le religieux ne saurait être transmis,
c’est seulement un choix personnel. Cela impliquerait d’élever les enfants
dans la plus stricte neutralité, puis de donner le choix aux enfants à dix-huit
ans, tout comme on leur fait choisir une banque. Le jugement a été bloqué
par la loi du parlement. S’il a fallu en arriver là, c’est parce que sur le plan
juridique la décision du tribunal se tenait parfaitement et aurait pu passer
l’étape de la Cour constitutionnelle.

Au Danemark, l’abattage rituel est interdit, parce que le droit des animaux
l’emporte désormais sur la liberté religieuse, dixit la ministre de la Justice.
Cela revient à faire de la liberté religieuse une liberté comme une autre,
mais sur le plan mineur. Or la liberté religieuse est très spécifique.

La loi de 1905, par exemple, n’est ni une loi sur la religion, ni sur la foi, ni
sur la croyance ou sur la pratique privée. Elle est une loi sur l’exercice du
culte, c’est-à-dire sur la pratique publique de la religion. Si on interroge
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

encore une fois des personnes dans la rue sur la définition de la laïcité, elles
répondront invariablement qu’elle signifie que la religion est privée. La loi
de 1905 fixe au contraire l’organisation de la pratique religieuse dans
l’espace public sous le contrôle de l’État, qui décide de la place du religieux,
mais considère que le religieux a sa place dans la société. Par exemple, les
prières de rue ne sont pas illégales en France, sinon la police aurait arrêté
les contrevenants. Seulement, quand on organise une manifestation sur la
voie publique, il faut déclarer sa présence auprès des services municipaux.
Mais aucune loi n’interdit à l’archevêque de Paris de faire un chemin de
croix de Notre-Dame à Montmartre.

Les instruments juridiques à notre disposition pour penser le religieux sont


par ailleurs tous des instruments qui le sécularisent. La loi énonce par
exemple que nul ne saurait être discriminé en fonction de sa race, son sexe
ou sa religion. La religion y est donc présente comme partie de l’identité,
mais pas du tout comme pratique. La liberté de penser est celle d’avoir des
opinions « politiques, philosophiques et religieuses ». Or pour un croyant, la
foi est bien plus qu’une opinion. L’opinion se négocie, pas la foi.

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L E GRAND CONTINENT

Pour faire en sorte que la simple visibilité du


religieux n’apparaisse pas comme provocation, la
solution serait la re-culturation et la re-socialisation
du religieux.

O LIVIER ROY

À cause de ce découplage permanent entre culture et religion, et parce que


la religion fait retour comme pure religion, cette dernière apparaît alors
comme bizarrerie et au pire comme fanatisme, et tout l’effort est de
séculariser le religieux. Quand la police fait une enquête pour le badge de
sécurité d’un candidat bagagiste à Roissy, du fait que statistiquement la
plupart des candidats sont d’origine musulmane si près de la Seine-Saint-
Denis, une des premières questions concerne la pratique religieuse. Le
meilleur moyen de s’en sortir sans encombre est d’affirmer spontanément
que l’on boit de l’alcool (un rare cas où boire facilite l’embauche).

L’intensité de la pratique religieuse est considérée comme un signe de


radicalisation (comme le montrent aussi les mesures de détection de la
radicalité avancées par le gouvernement français en février 2018). Mais une
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

intense pratique religieuse n’a rien de surprenant chez une partie des
croyants, quelle que soit la religion (Luther n’était ni un libéral, ni un simple
maître à penser). Chaque religion essaie de mettre en place des systèmes et
des institutions de gestion de cette intensité ou radicalité. Les catholiques
ont le monastère, institution reconnue et respectée. Les moines n’ayant pas
de descendance, cela simplifie le problème. Mais les salafistes n’ont pas de
monastère, vivent en famille, et prêchent dans les rues, ce qui bien sûr créé
le problème du « scandale », de l’excessive visibilité du religieux (que l’on
retrouve avec les pacifiques loubavitchs).

Pour faire en sorte que la simple visibilité du religieux n’apparaisse pas


comme provocation, la solution serait la re-culturation et la re-socialisation
du religieux. En France, l’opinion publique ne veut pas de cela, et à chaque
crise, on expulse encore plus le religieux de l’espace public. L’an dernier, un
burkini sur une plage a entraîné l’interdiction générale de ce vêtement au
nom de la lutte contre le terrorisme (rappelons que le mauvais goût n’est
pas un délit). Plus on expulse le religieux, plus on le donne clairement aux
radicaux. Donc derrière toutes les questions sur l’islam qui sont légitimes, il
nous faut repenser la place du religieux dans nos sociétés occidentales
européennes, et ensuite traiter la question de l’Islam à partir de notre
conception de la place du religieux.

21
C ONCLUSION
L E GRAND CONTINENT

Quelles conclusions pour l’Europe ? Cette déconnexion entre le religieux et


la culture dominante se fait partout sous des formes variées. Cela va de
l’auto-sécularisation absolue du religieux dans les pays luthériens à la
rupture des derniers liens existants entre l’Église et l’État dans les pays
catholiques. Dans les pays scandinaves, l’Église nationale luthérienne (Église
d’Etat) a désormais l’obligation de célébrer religieusement les mariages
homosexuels, car la loi du parlement s’impose à elle, ce qui veut dire que
l’absence de séparation entre la religion officielle et l’État a tué le religieux
(ou bien plutôt l’a chassé du public pour le réduire au privé, car un pasteur
peut, à titre individuel, demander d’être exempté de bénir un mariage
homosexuel). La laïcité juridique n’est donc pas une condition nécessaire à
l’achèvement du processus de sécularisation. Cela confirme ma thèse que
tout État est séculier… et sécularise la religion.

Le problème de l’Europe est aujourd’hui de


promouvoir non pas l’expulsion du religieux vers la
sphère privée, mais au contraire la resocialisation et
la reculturation du religieux
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

O LIVIER ROY

Dans les pays catholiques, l’Église perd un peu partout son rapport
privilégié à l’État et n’a plus de relais politique (c’est la droite espagnole qui
a voté le mariage homosexuel). La démocratie chrétienne a disparu (en
partie par usure et en partie parce que l’Église – le Pape Jean-Paul II – ne
voulait plus de parti intermédiaire, incarnation politique de la « zone grise »
dont nous parlions plus haut). En revanche, l’influence de l’Église se
développe à travers les associations internationales de fidèles de droit
pontifical, qui, on l’a vu, ne sont pas territoriales et non soumises au
contrôle de l’évêque. Même dans des pays aussi profondément catholiques
que l’Italie, l’Église dominante se reconstitue en communauté de foi et tend
à se vivre de plus en plus comme une minorité, phénomène accentué par le
fait que la droite conservatrice et populiste a cessé de se référer au
catholicisme pour ne plus se réclamer que d’une vague « identité
chrétienne » qui n’a plus rien à voir avec les valeurs défendues par le Pape.

C’est donc la fin de la diversité des statuts spécifiques de la religion dans


chaque pays européen, telle qu’elle a été peu à peu fixée dans la foulée des
traités westphaliens. Les problématiques de la place du religieux se

22
L E GRAND CONTINENT

rejoignent mais chaque pays continue de les gérer à partir d’un imaginaire
politique « traditionnel » (au sens de tradition reconstruite) : la laïcité en
France, la catholicité en Italie et en Pologne (où elle est reconstruite en
idéologie d’État)… Mais aucune de ces nostalgies, exacerbées par les
populismes, ne peut justement gérer la demande religieuse, la demande de
foi, exprimée par des individus qui soient rejoignent des « communautés de
foi » qui s’organisent sur d’autres valeurs (fraternités chrétiennes, salafistes,
haredims), soit peuvent être tentées par des formes de nihilisme suicidaire.

Le problème de l’Europe est aujourd’hui de promouvoir non pas l’expulsion


du religieux vers la sphère privée, mais au contraire la resocialisation et la
reculturation du religieux.

S OURCES
1 Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion, vers
1525-vers 1610, Seyssel, Champ Vallon, 1990 ; Olivier Christin, Une révolution symbolique :
l’iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique, Paris, Éd. de Minuit, 1991. Olivier
Christin, La paix de religion. L’autonomisation de la raison politique au XVIe siècle, Paris, Éd.
du Seuil, 1997↑
2 Olivier Christin, La paix de religion. L’autonomisation de la raison politique au XVIe siècle,
Paris, Éd. du Seuil, 1997.↑
Olivier Roy, L’échec de l’Islam politique, Paris, Éd. du Seuil, 1992.↑
P IÈCES DE DOCTRINES • R ELIGION

4 Nous pouvons ici constater l’ambiguïté du concept de souveraineté dans le contexte iranien.
En effet, adoptée en 1979, la Constitution de la République islamique d’Iran repose sur deux
piliers fondamentaux : la reconnaissance de la souveraineté absolue en Dieu – souveraineté
divine, essence de l’Etat islamique – et la reconnaissance de la souveraineté populaire,
fondement de légitimité politique. Cette double souveraineté à la base de l’Etat islamique
rend le système politique iranien assez complexe dans sa conception ainsi que dans son
fonctionnement. La double souveraineté peut donc être vue, d’un côté, comme l’expression
du double caractère de la République islamique (comme son nom l’indique) : républicain et
théocratique ; et, de l’autre, comme “cause” d’un double effet : l’institutionnalisation de la
fonction du Guide Suprême en tant que chef de l’Etat (couvrant une fonction politique et
religieuse) et l’intégration du recours au suffrage universel pour la légitimation du régime,
conformément au modèle de l’État moderne démocratique.↑
5 Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle. Les
attitudes devant la mort d’après les clauses de testaments, Paris, Éd. du Seuil, 1973 ; Pierre
Chaunu, La mort à Paris, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1978.↑
6 Voir http://home.scarlet.be/amdg/pn/traductions_francaises_missel.pdf.↑
7 Nous rectifions : aujourd’hui la mention de la judaica perfidia et des perfidi judei est
désormais absente dans la liturgie latine. Elle a disparu du rite latin avant la fin du Concile
Vatican II (1959) avec es corrections apportées par Jean XXIII.↑
8 Olivier Roy, La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, Paris, Éd. du Seuil,
2008.↑
9 Voir Olivier Roy, « De quoi le cochon est-il le nom ? », Le Monde, 10 janvier 2018. Note de
l’éditeur ↑

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L E GRAND CONTINENT

C RÉDITS

Ce texte prononcé à l'École normale supérieure le 17 novembre 2017 dans le cadre du cycle de
conférences Une certaine idée de l'Europe a été transcrit par Pierre Mennerat et édité par
Emmanuel Phatthanasinh, Lucie Rondeau du Noyer, Pierre Salvadori et Raffaele Alberto Ventura.
Une version remaniée par l'auteur et élargie est parue chez Seuil en janvier 2019 sous le même
titre.
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