Vous êtes sur la page 1sur 14

GUY 2011-11-21-125

Boîtes et coffrets : reliques et authentiques


Ivoire d’éléphant. Sicile (?). xiie siècle.
Namur, Musée provincial des Arts anciens du Namurois – Trésor d’Oignies (TreM.a)
Coll. Fondation Roi Baudouin. Dépôt à la Société archéologique de Namur, inv. n° TO 23.
AUTOUR DES AUTHENTIQUES DE RELIQUES
DU TRÉSOR DIT D’HUGO D’OIGNIES
Paul Bertrand

Le concept de trésor fascine – celui du prieuré d’Oignies n’échappe pas à la règle. Mais le trésor
au Moyen Âge reste une réalité complexe. Lié à un désir de « collection », qui reste encore à mieux
définir, le trésor rassemble des objets particuliers, dotés d’une valeur extraordinaire1. Loin de pouvoir
être réduit à une réalité monétaire, patrimoniale ou muséographique, le trésor se situe à l’intersection
de conceptions théologiques et juridiques de la valeur et des biens, entre matérialisation et dématérialisation.
C’est bien une forme singulière d’accumulation, qui présuppose un échange spirituel et/ou social entre homme et
puissance divine, ainsi qu’un pouvoir qui s’en proclame le gardien oficiel2. Le trésor se découvre de multiples
formes. On connaît les « trésors des chartes », qui rassemblent les chartes et documents attestant
de droits d’un comté, d’une principauté, d’un royaume même. Le plus célèbre reste celui du roi
de France, magistralement étudié par Yann Potin3. Mais ces ensembles documentaires, érigés au fil
du Moyen Âge et de l’époque moderne en trésor, sont à placer dans le sillage des premiers trésors,
amassant richesses et sacralités – principalement des trésors d’église4. Ainsi donc, toute étude sur le
concept de « trésor » doit être envisagée de manière extensive5.
Plus qu’un entassement de richesses matérielles, le trésor est avant tout une collection aux contours
sacrés. Et il n’est pas anodin que les collections les plus importantes aux yeux des princes sont, du
moins avant 1200, des rassemblements de reliques, tels ceux réalisés par les Carolingiens dans l’espace

1. Sur le concept de « collection », beaucoup étudié ces dernières années, s’agissant des documents écrits, on se rapportera
par exemple à K. Pomian, Des saintes reliques à l’art moderne.Venise-Chicago xiiie-xxe siècle, coll. Bibliothèque des Histoires, Paris, 2003,
ou encore à S. Gioanni et B. Grévin (éd.), L’Antiquité tardive dans les collections médiévales. Textes et représentations, vie-xive siècles,
Collection de l’École française de Rome, 405, Rome, 2008, pp. 85-111.
2. Introduction, dans L. BurKart, P. Cordez, P. a. mariaux, Y. Potin (éd.), Le trésor au Moyen Âge. Questions et perspectives de
recherche. Der Schatz im Mittelalter. Fragestellungen und Forschungsperspektiven, coll. L’atelier de Thesis, 1, Neuchâtel, 2005, p. VIII.
3. Sur les trésors des chartes, et particulièrement celui des rois de France, on se réfèrera aux travaux deYann Potin :Y. Potin,
La mise en archives du trésor des Chartes (xiiie-xixe siècle), 3 vol., Thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe, 2007 et Id. Identité,
légitimité et fonction des trésors du roi (France, xiiie-xive siècle), dans L. BurKart, P. Cordez, P. a. mariaux, Y. Potin (éd.), Le trésor au
Moyen Âge... op. cit., pp. 89-117
4. Sur les trésors d’église, je renverrai particulièrement aux travaux de Ph. Cordez, dont sa thèse, en cours de publication :
Ph. Cordez ,Trésor, mémoire, merveilles. Les objets des églises au Moyen Âge, à paraître fin 2014 aux éditions de l’EHESS.
5. De nombreux travaux ont déjà ouvert la réflexion comparative : notamment L. BurKart, P. Cordez, P.-a. mariaux, Y.
Potin (éd.), Le trésor au Moyen Âge... op. cit. et L. BurKart, P. Cordez, P. a. mariaux (éd.), Le trésor au Moyen âge : discours, pratiques
et objets, coll. Micrologus Library, 32, Florence, 2010. On n’oubliera pas le Trésor des grâces (Ph. Cordez, Les usages du résor des
grâces. L’économie idéelle et matérielle des indulgences au Moyen Âge, dans L. BurKart, P. Cordez, P.a. mariaux,Y. Potin (éd.), Le trésor
au Moyen Âge... op. cit., pp. 55-88 ou encore les trésors monétaires (en fait, la « caisse » du royaume : H.-J. SChmidt, Schatz, Geld
und Rechnungsführung des Königs von Frankreich, dans L. BurKart, P. Cordez, P. a. mariaux (éd.), Le trésor au Moyen âge : discours, ...
op. cit., pp. 199-220).

123
saxon ou encore tel le trésor de reliques de Magdebourg constitué par les Ottoniens6. Il est d’ailleurs
significatif que des objets reliés par la tradition à Charlemagne – un étrier, une lettre « A »… –
deviennent à leur tour sinon des reliques, du moins des objets porteurs de sacré et vecteurs d’une
mémoire religieuse et politique, comme dans le dossier étudié par Ph. Cordez et relatif à l’abbaye de
Conques aux xie et xiie siècles7. Mais chaque église possède son trésor de reliques. Le plus important
est bien sûr celui du Sancta Sanctorum au Latran8. Probablement le Trésor d’Oignies est-il avant tout
composé de reliques, avant que la monétisation (et la muséographie) moderne et contemporaine ne
s’en emparent pour en faire un rassemblement d’œuvres d’art médiéval.
On distinguera les reliques premières des reliques de contact, suivant la vieille définition de Nicole
Hermann-Mascard9 : les reliques corporelles sont liées directement au corps du saint ; les reliques
représentatives ou de contact sont soit des objets ayant touché le saint (l’étrier de Charlemagne,
donc, dans une certaine mesure ; mais aussi l’étole dite de saint Hubert10) ; soit des objets que les
pèlerins ou les religieux mettent en contact avec les ossements. Mais des reliques d’un troisième type
apparaissent, qui se rattachent au genre dont nous avons déjà vu une expression avec les objets rattachés
à Charlemagne : les reliques créées à partir d’objets profanes mais qui se sacralisent a posteriori, sous
la pression religieuse ou sociale. Ainsi, le denier dit de sainte Hélène, détenu par les Hospitaliers de
Rhodes en 1395 et décrit ensuite comme un des trente deniers de Judas. Ce denier permettait, en le
reproduisant, de fournir des amulettes curatives pour les pèlerins11.
Ce rassemblement d’objets plus ou moins sacrés est donc complexe, mouvant. On comprend que
très vite, des angoisses et des critiques se sont faites jour. Il fallait identifier voire authentifier ces
objets sacrés. L’authentique de relique est donc née. Une authentique est traditionnellement définie
comme une bandelette de parchemin jointe à une relique et portant le nom du saint auquel est
censé avoir appartenu la relique ou qui a touché cette relique. Actuellement, ces petits documents
sont souvent et avant tout utilisés par les paléographes qui s’en servent comme autant de carrières
d’écritures anciennes. En effet, certaines authentiques peuvent être très anciennes, mérovingiennes
ou carolingiennes : elles sont donc témoignages d’écritures pour des temps où les témoignages
originaux ne sont guère nombreux. Les paléographes et les éditeurs de texte font donc grand cas

6. Pour le monde carolingien, on verra notamment h. röCKeLein, Reliquientranslationen nach Sachsen im 9. Jahrhundert. Über
Kommunikation, Mobilität und Öffentlichkeit im Frühmittelalter, coll. Beihefte der Francia, 48, Stuttgart, 2002 ; pour les Ottoniens,
je me permets de renvoyer à P. Bertrand et Ch. mériaux, Un trésor de reliques à Magdebourg au xe siècle, dans Médiévales, t. 51,
2006, pp. 85-96 et surtout à P. Bertrand, Le trésor des reliques de Magdebourg sous les Ottoniens, dans N. BroCard, F. vannotti et A.
WaGner (éd.), Autour de saint Maurice. Actes du colloque Politique, société et construction identitaire, 29 sept-2 oct 2009, Besançon-Saint-
Maurice, Saint-Maurice, s.d. (2013), pp. 177-218.
7. Ph. Cordez, Vers un catalogue raisonné des « objets légendaires » de Charlemagne. Le cas de Conques (xie-xiie siècles), dans Ph. Cordez
(éd.), Charlemagne et les objets. Des thésaurisations carolingiennes aux constructions mémorielles, coll. L’Atelier. Travaux d’Histoire de l’art
et de Muséologie, 5, Berne, 2012, pp. 135-167. Je remercie P. Cordez pour les riches échanges que nous avons déjà eus et pour
ceux à venir.
8. B. GaLLand, Les authentiques de reliques du ‘Sancta Sanctorum’, coll. Studi e Testi, 421, Vatican, 2004.
9. n. herrmann-maSCard, Les reliques des saints. Formation coutumière d’un droit, coll. Histoire institutionnelle et sociale, 6, Paris,
1975. De nombreux travaux sont parus, ces derniers temps, à propos des reliques de saints, comme par exemple E.BozoKi, La
politique des reliques de Constantin à saint Louis, Paris, 2006.
10. P. Bertrand, Hubert, évêque de Tongres-Maastricht, dans Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastique, t. 25, fasc.
144/145, Paris, 1994, col. 21-26.
11.Th. rainer, Judas, der König und die Münze. ZurWunderkraft des Geldes im Spätmittelalter, dans m. maYr, Vom goldenen Gebeinen.
Wirtschaft und Reliquie im Mittelalter, coll. Geschichte und Ökonomie, 9, Innsbruck, 2001, pp. 28-65.
12. Voir les éditions en fac-similé des Chartae latinae antiquiores : H. atSma, P. GaSnauLt, R. mariChaL, J. vezin (éd.), Chartae
latinae antiquiores. Facsimile-edition of the latin charters prior to the ninth century, t. 18 : France VI, Zürich, 1985 et t. 19 : France VII,
Zurich, 1987 ou encore J.-L. LaPorte, Le trésor des saints de Chelles, Chelles, 1988.

124
de ces documents12. Les historiens utilisent parfois ces authentiques pour préciser la première
occurrence d’un culte ou dater un document13. Mais au-delà de ces usages, les authentiques ne
semblent guère être mises à contribution par l’historien. Cette vision très « positiviste » de l’usage
scientifique de l’authentique doit être nuancée. Quelques chercheurs ont déjà commencé ce travail de
réinterprétation14. Je m’associe, depuis quelques années déjà, à ce mouvement, en tentant de montrer
comment le genre d’écriture de l’authentique évolue au fil du Moyen Âge et comment il illustre des
objectifs quasi-diplomatiques15. Les riches exemples du Trésor d’Oignies sont ici le support de la
démonstration qui va suivre.
Il est extrêmement difficile de définir ce qu’est une authentique. Les auteurs médiévaux n’ont pas
d’expression précise pour définir ce document. Notre définition de l’authentique sera empruntée
à Nicole Herrmann-Mascard qui, voici presque quarante ans, a jeté des repères essentiels dans ces
taillis impénétrables : elle considère qu’un authentique est tout type de document identifiant et/
ou authentifiant une relique de saint et que l’on peut retrouver dans une châsse. Il s’agit donc aussi
bien d’une étiquette de papier que d’une charte dûment scellée ou encore d’une liste sous forme
d’inventaire. L’association des reliques et des documents dans le même milieu archéologique donne
ce statut d’authentique à ces documents. Leur insertion dans la châsse ou le reliquaire leur confère
donc une fonction spécifique (celle d’identifier ou d’authentifier la relique) et en fait, aux yeux des
médiévaux comme aux nôtres, des authentiques16. C’est le lien entre les reliques et le document qui
lui donne un prix, pour les hommes du Moyen Âge comme pour nous.
Malheureusement, ce lien entre l’authentique et la relique n’est bien souvent pas une préoccupation
au moment où l’on commence à s’intéresser, au fil du xixe et du début du xxe siècle, à la sauvegarde
du patrimoine religieux. Dans le meilleur des cas, on se retrouve face à une situation comme
celle représentée par l’illustration suivante : une série d’authentiques d’Oignies ont été séparées
(probablement à la fin du xixe siècle ou au début du xxe siècle, lors d’une visitation des reliques ou un
inventaire) de leurs reliques et ont été attachées avec des épingles à un papier rosé. Cette pratique est
encore plus claire sur un autre feuillet : d’autres authentiques ont été distraites d’un tableau reliquaire
conservé à la sacristie d’Oignies à la fin du xixe siècle ainsi que d’un reliquaire, puis attachées sur une
autre feuille de papier bleuté fort, mais ici au moyen de fil de couture de couleurs différentes, ou
encore collés. Cette opération eut lieu après 1886, comme en témoigne une date sur le document,
interprétée ici comme un terminus post quem.

13. A.-M. heLvétiuS, Les mystérieuses origines du culte de saint Landry de Soignies, dans J. deveSeLeer, Reliques et châsses de la
collégiale de Soignies. Objets, cultes et traditions, coll. Les cahiers du Chapitre, 8, Soignies, 2001, pp. 75-88, notamment pp. 82-85.
14. Ici aussi, il me plaît de citer les travaux de Ph. Cordez, Gestion et médiation des collections de reliques au Moyen Âge. Le
témoignage des authentiques et des inventaires, dans J.-L. deuffiC (éd.), Reliques et sainteté dans l’espace médiéval, coll. Pecia, 8, Saint-
Denis, 2005, mais aussi la belle introduction de B. GaLLand, Op. cit.
15. P. Bertrand, Authentiques de reliques : authentiques ou reliques ?, dans Le Moyen Âge, t. 112, 2006, pp. 363-374. Le présent
article se veut une reprise et une continuation de ce travail.
16. n. herrmann-maSCard, Les reliques des saints. Formation coutumière d’un droit, coll. Histoire institutionnelle et sociale, 6, Paris,
1975, pp. 120-126. Seuls m’intéresseront ici les documents touchant de près à la relique, très concrètement : des écrits qui sont
matériellement en contact avec la relique. Je ne prendrai donc pas en considération les inscriptions sur les reliquaires : peut-être
à tort ? Je pars du principe que ces écrits-là concernent moins les reliques que l’objet reliquaire, qualifiant davantage ce dernier
que les pièces contenues. Mais il faudra peut-être nuancer cette position avec la publication future de la thèse de Philippe
Cordez, déjà citée, à la suite des travaux de H. Kühne, Ostensio reliquiarum. Untersuchungen über Entstehung, Ausbreitung, Gestalt
und Funktion der Heiltumsweisungen im römisch-deutschen Regnum, coll. Arbeiten zur Kirchegeschichte, 75, Berlin-New York, 2000 et
Chr. L. diedriChS, Vom Glauben zum Sehen. Die Sichtbarkeit der Reliquie im Reliquiar. Ein Beitrag zur Geschichte des Sehens, Berlin,
2001. On lira avec profit le point d’actualité de recherche de Ph. Cordez, Les reliques, un champ de recherches. Problèmes anciens et
nouvelles perspectives, dans Bulletin d’information de la Mission Historique Française en Allemagne, 43 (2007), pp. 102-16; www.ifha.
fr/allemagne/Reliques.pdf.

125
Authentiques extraits du Trésor d'Oignies
Namur, Musée provincial des Arts anciens du Namurois - Trésor d’Oignies (TreM.a).
Coll. Fondation Roi Baudouin. Dépôt à la Société archéologique de Namur.

126
Authentiques extraits du Trésor d'Oignies
Namur, Musée provincial des Arts anciens du Namurois - Trésor d’Oignies (TreM.a).
Coll. Fondation Roi Baudouin. Dépôt à la Société archéologique de Namur.

127
Ce sont bien deux opérations de réorganisation des authentiques de reliques – l’une sur feuille rose,
l’autre sur feuille bleue – qui ont eu lieu à des moments différents : sous des dehors regrettables, elles
ont cependant contribué à sauver de l’oubli ou de la négligence des documents extrêmement fragiles.
Reprenons la définition de l’authentique : ce document qui acquiert un statut particulier parce
que placé aux côtés des reliques. Dans ce cadre, une liste de reliques insérée dans une châsse ou un
reliquaire peut prendre ce statut d’ « authentique ». C’est alors une sorte d’inventaire, pour reprendre
le terme proposé par Philippe George17. En voici des exemples d’Oignies, datables des xvie-xixe siècles.

Authentiques des xvie-xixe siècles extraits du Trésor d'Oignies


Namur, Musée provincial des Arts anciens du Namurois - Trésor d’Oignies (TreM.a).
Coll. Fondation Roi Baudouin. Dépôt à la Société archéologique de Namur.
17. Ph. GeorGe, Le trésor des reliques de l’abbaye du Val-Saint-Georges à Salzinnes. Les Cisterciennes et le culte des reliques en pays
mosan, dans Annales de la Société archéologique de Namur, t. 74, 2000, p. 77-114. Autres exemples : Id., Les reliques de Stavelot-
Malmedy. Nouveaux documents, Malmedy, 1989, pp. 54-56, 58-59.

128
Mais cette définition reste rigide. Comme je l’ai déjà mentionné plus haut, ces documents connaissent
une évolution fonctionnelle. Les premières authentiques sont en fait des étiquettes identifiant les
souvenirs sacrés, eulogiae, ramenés de Terre Sainte par les premiers pèlerins18. Il fallait bien identifier
ces pièces : poussières du Golgotha, pierres du tombeau du Christ, cailloux du jardin des Oliviers,
eau du Jourdain devaient nécessairement être dotés d’une petite étiquette explicitant leur origine
– des authentiques. Par ailleurs, dès le ive siècle en Orient et dès le xviiie siècle en Occident, les corps
des saints martyrs et confesseurs commencent à être démembrés et à faire l’objet d’exportations
massives, notamment à partir de l’Italie et de Rome en particulier19. Les reliques corporelles, de plus
en plus menues, nécessitent elles aussi des étiquettes, authentiques également, identifiant leur origine
sacrée. Pour certaines de ces reliques, souvenirs ou corporelles, les authentiques sont rédigées sur
place et accompagnent les pièces durant leur voyage vers leur lieu d’importation20.
Ces petites cédules ou bandelettes, dans un premier temps, sont juste là pour informer, étiqueter
les reliques, à leur départ comme à leur arrivée dans la châsse : Hic sunt reliquiae sancti X…, une
notification d’information. L’écrit n’est qu’un support, n’a pas de valeur en soi – c’est de l’information
brute. D’ailleurs les authentiques de ce genre sont remplacées très vite par de plus récentes jusqu’aux
xiie-xiiie siècles, au fil des ouvertures de châsses. Ce sont des authentiques de cette sorte, eulogiae ou
cédules étiquetant les reliques, que l’on retrouve dans les documents d’Oignies, des xiiie et xive siècle,
provenant des reliquaires du Trésor : lointaines héritières de ce genre premier d’authentique. Des
reliques-souvenirs : fragment de la colonne sur laquelle le Christ fut flagellé ; fragment de pierre sur
laquelle la Vierge s’assit ; morceau du Saint-Sépulchre.

Authentiques de reliques-souvenir extraits du Trésor d'Oignies


Namur, Musée provincial des Arts anciens du Namurois - Trésor d’Oignies (TreM.a).
Coll. Fondation Roi Baudouin. Dépôt à la Société archéologique de Namur.
18.Y. hen, Les authentiques des reliques de la Terre sainte en Gaule franque, dans Le Moyen Âge, t. 106, 1999, pp. 71-90.
19. L. Canetti, Frammenti di eternità. Corpi e reliquie tra Antichità e Medioevo, coll. Sacro/santo, n.s., 6, Rome, 2002.
20. B. GaLLand, Op. cit., pp. 44, 58 et authentiques n° 32 à 39.

129
C’est en cela que je rapproche la production de ces notules avec l’usage de l’écrit au haut Moyen
Âge. Certes, la consignation des grandes décisions royales au papyrus et au parchemin est habituelle
mais la mise en œuvre d’actes « privés » est plus rare, surtout après la période carolingienne. Et
surtout on note l'importance relativement faible des signes de validation : le sceau n’est pas toujours
de rigueur, la liste des témoins suffit. Le document consigne un acte oral et c’est cette action qui a
valeur en droit coutumier. Le document ne vaut que comme notification d’informations de base sur
lesquelles on doit avoir le témoignage éventuel des diverses personnes présentes lors de la conclusion
de l’acte. Chartes et notices participent à cette époque du même mouvement et elles sont bien souvent
rédigées par les bénéficiaires. Ainsi les notices qui, pour faire court, sont rédigées au style objectif et
sans mentionner d’auteur, avec une formalisation minimale21.
Certes, on ne peut associer directement les authentiques-cédules aux notices, mais elles participent
clairement du même mouvement. Ce sont de petits actes nécessairement sans auteur. Elles ne sont
pas là pour « authentifier ». Pour la notice ou la charte d’avant le xie siècle, les textes diplomatiques
n’avaient pas pour rôle d’authentifier eux-mêmes l’action juridique, mais plutôt de notifier les
témoins aux différentes parties en présence, afin de les rassembler et de leur faire authentifier l’action
juridique. Ici, pour les authentiques, il n’est pas question d’authentifier non plus. L’authentique
nomme la relique, l’identifie, l’une fait connaître l’autre. À cette époque, le document qu’on nomme
« authentique » ne cherche pas à authentifier, à donner de la valeur à la relique. Celle-ci se suffit à
elle-même22.
La culture graphique connaît une évolution essentielle du xie au xiiie siècle, comme l’a bien montré
Michael Clanchy23. Le xie siècle voit un redémarrage de l’écrit sous toutes ses formes ; puis le xiie et
le xiiie siècle témoignent d’une extraordinaire expansion documentaire24. L’écrit diplomatique n’est
plus simplement l’aide-mémoire des transactions orales. Il porte lui-même les signes de validation qui
donnent la valeur juridique à cette transaction. Les sceaux acquièrent alors une grande importance
pour valider un document ; de même l’intervention des différentes parties, des éléments de datation,
des formules juridiques qui vont renforcer l’auctoritas de l’acte : tout cela concourt à faire du document
diplomatique une pièce qui existe en soi, indépendamment de l’action précédente.
Les authentiques se transforment également. Elles présentent un faciès diplomatique avéré, sortant
de la simple notification, mais cherchant à authentifier réellement, comme les notices de consécration
et de dédicace. On trouve dès le xie siècle, dans et hors des châsses, des notices ou des chartes munies
alors de tous les signes de validation, des sceaux aux formules en passant par les éléments de datation,
le tout permettant l’identification parfaite des reliques.
Au même moment, on constate une évolution du genre de la notice de consécration d'église et
surtout d’autels25. Michel Zimmermann est un de ceux qui, actuellement, a le mieux approché le genre
(il s’est basé, lui, sur des actes de consécration catalans du ixe au xiiie siècle) : les notices de consécration
sont avant tout des procès-verbaux, consignant la mémoire écrite des étapes de la consécration et

21. Sur les notices, voir les considérations introductives et les réflexions de B.-M. toCK, La diplomatique française du Haut
Moyen Âge. Inventaire des chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, t. 1, coll. ARTEM, Turnhout, 2001, pp. 4-11,
notamment pp. 9-10.
22. Sur les fonctions de l’écrit, voir les réflexions stimulantes de G. niCoLaj, Lezioni di diplomatica generale. I. Istituzioni,
Rome, 2007, pp. 60-69.
23. m.t. CLanChY, From Memory toWritten Record. England 1066-1307, 3e éd., Oxford, 2013.
24. Je prépare actuellement un ouvrage sur l’expansion de l’écrit au tournant du xiiie et du xive siècle, à paraître à la fin de
2013.
25. Les notices de consécration d’autel sont de petits documents, souvent insérés dans les niches destinées à accueillir les
reliques dans les pierres d’autel.

130
des paroles du « consécrateur »26. C’est avant tout une procédure juridique, où la consecratio côtoie
nécessairement la dedicatio (à un saint patron) et la dotatio (dotation de biens) : la mention de reliques
est donc essentielle. Mais la réalité est tout autre.
On trouve ces notices de dédicace et de consécration dès le ixe siècle : ce sont des chartes assez
frustes d’abord aussi… puis très vite, dès le xe siècle et surtout au xie siècle de plus en plus détaillées
quant à la date de lieu et de temps surtout. Elles sont rédigées en style objectif et ont clairement une
forme diplomatique de notice. Le fait que ces notices aient surtout été étudiées pour la Catalogne
ou le Sud de la France explique leur précocité d’apparition : on sait que l’écrit reprend vigueur plus
vite dans le Sud de l’Europe, bien avant le Nord. Mais pourquoi n’y trouve-t-on pas de mentions de
reliques ? Les notices de consécration d’église sont bien souvent dépourvues de ces mentions, mais les
notices de consécration et de dédicace d’autels ne le sont pas moins, comme le montre cet exemple
tiré du trésor de la cathédrale de Sens, daté du ixe siècle.

Authentique provenant du Trésor de la Cathédrale de Sens, ixe siècle


m. Prou et e. Chartraire, Authentiques de reliques conservés au trésor de la cathédrale de Sens,
dans Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France, t. 59, 1898, pp. 129-172, pl. IX.

On remarquera la proximité morphologique avec les authentiques, mis en forme de petite cédule :
écriture semblable, pas de formalisation sinon la mention de date.
Le xie siècle semble être un moment clef pour la construction de l’ecclesia au travers des consécrations
d’églises et d’autels27. On trouve toujours des notices, toujours au style objectif, mais avec une
structure de plus en plus formalisée. Et surtout, au Nord comme au Sud cette fois, elles énumèrent
les reliques qui s’amoncellent dans les autels. La mention détaillée de ces reliques et la présence de ces
actes eux-mêmes avec les reliques, au sein des autels, sont imposées par la voix des canonistes comme
l’Hostiensis ou encore Guillaume Durand, au fil des xiiie et xive siècles28. À ces époques, les notices de
consécration gardent le même module que celles du xie et du xiie siècle : toujours des notices au style
objectif, assez détaillées, mais faisant de plus en plus de place aux reliques. Il semble qu’on puisse alors
les confondre avec les authentiques... ou plutôt avec les listes-inventaires, déjà passées en revue : en
effet, ce sont des notices énumératives où la liste des reliques destinées à la consecratio prend une place
d’importance, comme le montre l’exemple suivant.

26. M. zimmermann, Les actes de consécration d’églises. Construction d’un espace et d’un temps chrétiens dans la Catalogne médiévale
(ixe-xiie siècle), dans Annexes des Cahiers de linguistique et de civilisation hispaniques médiévales, 15, 2003. pp. 29-52 ; Id., Les actes de
consécration d’églises du diocèse d’Urgell (ixe-xiie siècles) : la mise en ordre d’un espace chrétien, dans M. KaPLan (éd.), Le sacré et son
inscription dans l’espace à Byzance et en Occident. Études comparées, Paris, 2001, pp. 301-318 ; Id., Les actes de consécration d’églises.
Construction d’un espace et d’un temps chrétiens dans la Catalogne médiévale (ixe-xiie siècles), dans P. henriet (éd.), À la recherche de
légitimités chrétiennes. Représentations de l’espace et du temps dans l’Espagne médiévale (ixe-xiiie siècle), Madrid, 2003, ainsi que les travaux
publiés dans D. méhu, Mises en scène et mémoires de la consécration de l’église dans l’Occident médiéval, coll. Études Médiévales de Nice,
7, Turnhout, 2007, notamment aux pp. 93-142 : M. LauWerS, Consécration d’églises, réforme et ecclésiologie monastique. Recherches sur
les chartes de consécration provençales du 11e siècle.
27. D. méhu, Op. cit.
28. n. herrmann-maSCard, Les reliques des saints. Formation coutumière d’un droit... op. cit., pp. 124-125.

131
Dans Monumenta Germaniae Historica, Scriptores, t. 15/2, p. 1315.

Les authentiques se transforment donc, comme par contamination avec les notices de consécration.
L’influence évidente qu’ont opérée, aux xie, xiie et xiiie siècles, la rédaction des notices de consécration
et leur présence auprès des reliques à ce moment pourrait expliquer que les authentiques aient pris
un tour de plus en plus « authentifiant », dotées d’un appareil plus formalisé de datation par le lieu
et le temps, de la mention d’auteurs de la reconnaissance et de l’authentification… Ces notices de
consécration, hautes en couleurs, recopiées ici ou là, ont dû d’une façon ou d’une autre influencer les
responsables des reliquaires et des reliques ; ils ont dû se sentir obligés, tout naturellement, d’ajouter
à leur reliques des documents d’authentification, tout comme on ajoutait alors et sous la même forme
aux autels et aux églises des documents authentifiant leur consécration et leur dédicace.
Souvent ces nouvelles authentiques sont en fait de petits procès-verbaux de translations de reliques
ou d’inventions et d’ostensions de reliques. Ici, le document pourrait vivre indépendamment des
reliques : c’est une action juridique qu’il consigne et plus seulement une notification d’identité,
d’existence. Cette contamination est encouragée par un plus grand souci d’authentification suite aux
critiques sur les reliques et à l’afflux de reliques d’Orient avec les croisades29. Les authentiques se
couvrent alors de personnages et de dates, voire de faits clairement notés – et cela continuera jusqu’au
xixe siècle. Les authentiques-lamelles évoluent elles en parallèle, croissent en taille. On leur accole de
plus en plus des éléments de datation (date d’ouverture de la châsse, des translations dans une nouvelle
châsse), à l’image des notices. Les reliques sont accompagnées dans les reliquaires de chartes qui
expliquent les translations, les acquisitions, qui justifient les achats et authentifient à coup de sceaux
les origines des pignora sanctorum. Et parfois, de plus en plus souvent d’ailleurs à partir du xiiie siècle,
ces chartes se mettent à remplacer les authentiques. D’autres authentiques plus frustes continuent à
exister, en parallèle, et ce juqu’au xixe siècle également : les deux modèles d’authentiques : l'"étiquette"
et l’"authentifiant" coexistent sans accroc.
Le même sort attend les listes de reliques : elles persistent, parfois à côté de chartes ou contenues
dans des chartes elles-mêmes. Les listes/inventaires sont de plus en plus nombreuses, et ce depuis
le xie siècle. Est-ce dû à ces accroissements de reliques de moindre taille dans les autels ou dans les
reliquaires, ces micro-reliques qui font alors l’objet d’un commerce encore plus efficace30 ?

29. Voir, par exemple, l’importation d’un lot de reliques venues de Constantinople, attribuées faussement par la tradition
à Baudouin comte de Flandre et de Hainaut (début du xiiie siècle) mais arrivées au cours de la première moitié du xiiie siècle,
probablement vers 1243 : Ph. deSmette, Les reconnaissances des reliques... op. cit., pp. 25-32, notamment pp. 25-26 ; cf. aussi P.
Bertrand, Édition des authentiques de la collégiale de Soignies, dans Ibid., pp. 191-202, surtout pp. 196-201.
30. Ph. GeorGe, Documents inédits sur le trésor des reliques des abbayes bénédictines de Saint-Laurent et de Saint-Jacques de Liège (xie
siècle-xviiie siècle), dans Bulletin de la Commission royale d’histoire, t. 158, 1992, pp. 1-49, notamment p. 6. Voir aussi l’exemple de la
boîte à reliques de Momalle, contenant des dizaines de micro-reliques : Id., Deux reliquaires historiques (xie et xiie siècles) conservés à
Liège, dans Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1990, pp. 368-377.

132
GUY 2011-10-10-060

ateLier d’huGo d’oiGnieS,


Phylactère de sainte Marguerite (détail d’un cabochon avec authentique)
Ca. 1235-1240.
Namur, Musée provincial des Arts anciens du Namurois - Trésor d’Oignies (TreM.a).
Coll. Fondation Roi Baudouin. Dépôt à la Société archéologique de Namur, inv. n° TO 8.

133
Ce désir d’authentification ne pourrait-il être consécutif aux mouvements de critique des reliques,
de plus en plus présents avec Guibert de Nogent31 ? Ou encore aux trafics de pignora sanctorum aux
allures toujours plus mercantilistes et de moins en moins pieuses… ? Il y a tellement de furta sacra : ne
serait-il pas plus que jamais important d’authentifier les reliques dans les reliquaires31 ?
C’est dans ce contexte que Jean de Nivelles – universitaire, chanoine de la collégiale Saint-Jean-
l’Évangéliste à Liège puis chanoine régulier à Oignies32 – obtient pour le trésor d’Oignies des reliques
provenant, semble-t-il, de l’immense trésor de reliques des onze mille vierges de Cologne33. Il les
reçoit par l’intermédiaire des dominicains de Cologne qui joignent à l’envoi une lettre. Cette lettre
sera insérée dans le reliquaire, afin d’authentifier l’envoi de ces reliques dont des milliers de fragments
équivalents provenant de ces vierges de Cologne courent les routes d’Occident. Il fallait assurer la
validité de celles apportées à Oignies.

Authentique extrait du Trésor d'Oignies


Namur, Musée provincial des Arts anciens du Namurois - Trésor d’Oignies (TreM.a).
Coll. Fondation Roi Baudouin. Dépôt à la Société archéologique de Namur.
Ainsi, dans ces reliquaires, on trouve de plus en plus de documents, et beaucoup ne sont plus
liés à une relique en particulier – ils ne sont plus destinés à identifier celle-ci, mais à authentifier
des ensembles de pignora sacra : procès-verbal d’ostension ou de translation, chartes de donation,
inventaires de reliques… Leur fonction devient clairement diplomatique : il faut donner de la validité à
l’ensemble.Toujours situées entre le document authentifiant et le document notifiant, les authentiques
basculent de plus en plus dans le genre diplomatique, comme le montrent l’écriture et la mise en
forme de charte. Même si le type d’authentique « notifiant » reste présent, le type « authentifiant »
est de plus en plus important, comme cette remarque sur l’authenticité des reliques faite au xixe siècle
par un clerc d’Oignies.

Authentique extrait du Trésor d'Oignies


Namur, Musée provincial des Arts anciens du Namurois - Trésor d’Oignies (TreM.a).
Coll. Fondation Roi Baudouin. Dépôt à la Société archéologique de Namur.
31. H. PLateLLe, Guibert de Nogent et le De pignoribus sanctorum. Richesses et limites d’une critique médiévale des reliques, dans E.
BozóKY et A.-M. heLvétiuS, Les reliques. Objets, cultes, symbole. Actes du colloque de l’Université du Littoral-Côte d’Opale (Boulogne-sur-
Mer), 4-6 septembre 1997, coll. Hagiologia, 1, Turnhout, 1999, pp. 109-121.
32. On se rapporte au traditionnel P. J. GearY, Le vol des reliques au Moyen Âge. Furta Sacra, coll. Aubier-Histoires, s.l., 1993.
33. Chr. renardY, Les maîtres universitaires du diocèse de Liège. Répertoire biographique, 1140-1350, coll. Bibliothèque de la Faculté
de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, 232, Paris, 1981, n° 496.
34. a. LeGner, Kölner Heilige und Heiligtümer. Ein Jahrtausend europaïscher Reliquienkultur, Cologne, 2003.

134
ConClusions
L’authentique de relique est donc un vrai objet d’étude en soi. Le passage du document identifiant
une relique du haut Moyen Âge au document authentifiant une relique au bas Moyen Âge n’est pas si
simple ; la révolution de l’écrit au Moyen Âge ne peut être simplifiée à outrance : le temps des nuances
est arrivé.
Ensuite, la collection, le trésor : ces concepts sont en train d’être défrichés par les historiens. De
toute évidence, une relique n’existe pas seule – et ce dès le xe siècle. La production d’écriture autour
de ces objets sacrés ne peut être analysée sans se référer à cette volonté de collection. Les écrits
ne concernent plus nécessairement une relique en particulier, mais embrassent des ensembles, des
collections. Il y a là de belles études à faire sur la notion de « collection » de reliques – et, partant,
d’écrit « de collection ».
Enfin, l’étude des actes de consécration et de dédicace : dans ce sens, comme écrits sur les reliques
et présents avec elles, ces actes méritent de nouveaux efforts (notamment concernant le Nord de
l’Europe), même s’il ne faut jamais oublier que leur fonction première ne devrait pas être d’identifier
ou d’authentifier la relique concernée, mais de construire un nouvel espace chrétien, l’espace de
l’autel, de l’église, de l’ecclesia. Fonction première ou secondaire, qu’importe : le rapport aux reliques
a changé sinon la nature, du moins la fonction du document.

Boîte : reliques et authentiques


Ivoire d’éléphant. Sicile (?). xiie siècle.
Namur, Musée provincial des Arts anciens du Namurois – Trésor d’Oignies (TreM.a).
Coll. Fondation Roi Baudouin. Dépôt à la Société archéologique de Namur, inv. n° TO 23.

135

Vous aimerez peut-être aussi