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Appel à contribution

Le fédéralisme communautaire est-il soluble dans la


République du Cameroun?
Représentations, Énonciations, Mobilisations et Projections
Dir.
Pr. Mathias Éric OWONA NGUINI
Université de Yaoundé 2
Dr. Edmond VII MBALLA ELANGA
Université de Douala

Au Cameroun, la montée des tensions et finalement l’explosion de violences dans les régions
anglophones, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NoSo), ont aussi dépoussiéré le vieux débat sur la
forme de l’État. De nombreuses tendances se sont exprimées autour de cette question. Alors que
certains prônent un retour à un Etat fédéral, à deux Etats fédérés (anglophone et francophone), comme
celui expérimenté entre 1961 et 1972 ; d’autres acteurs se montrent favorables à l’opérationnalisation
d’un fédéralisme plus large qui ferait de chaque région un Etat fédéré. Une autre catégorie d’acteurs a
plutôt tenu à adosser cette problématique à l’existence des nombreuses communautés qui constituent
le Cameroun actuel et a proposé l’implémentation d’un fédéralisme communautaire. Opposée à toutes
ces tendances fédéralistes, une dernière frange d’acteurs s’est plutôt montrée encline à renforcer le
pouvoir central et à nier la pertinence du fédéralisme comme panacée aux tribulations connues par
l’État post colonial au Cameroun. Le présent projet s’articule autour de ces positions, en insistant
principalement sur les deux dernières, celles qui renvoient dos à dos partisans du fédéralisme
communautaire et adeptes d’un État centralisé fort de type westphalien.
En effet, de façon étonnante, l’ensemble des opinions qui s’expriment sur les solutions à apporter à la
crise anglophone reconnaissent la nécessité de doter les régions de certaines attributions qui les
rendraient de moins en moins dépendantes de l’État central. Cette volonté d’accorder aux collectivités
territoriales décentralisées (CTD) de compétences particulières est cependant diversement comprise par
les différents acteurs. Là où l’État central propose de maintenir son caractère unitaire, mais dilaté par
une décentralisation plus étendue telle que prévue par la Loi portant code général des collectivités
territoriales décentralisées1, d’autres acteurs insistent sur la nécessité d’implémenter le fédéralisme en
dotant les États fédérés d’une autonomie et d’attributions beaucoup plus importantes que celles dont
disposent habituellement les collectivités décentralisées. C'est dans ce contexte qu'a émergé la tendance
qui réclame l'instauration d'un fédéralisme communautaire. Les laudateurs de ce modèle fédéraliste le
présentent comme la solution susceptible d’alimenter la concorde et la cohésion nationales, et
d’impulser le développement économique et social des terroirs. Cette forme fédérale que l’on pourrait
aussi appeler « fédéralisme multinational » reconnait aux communautés nationales un rôle clé, d’abord
comme pôle d’identification, puis comme pilier à part entière de l’État fédéral (Gagnon, 2006)

1
Loi 2019/024 du 24 décembre 2019.

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Parmi les tenants de ce courant, l'économiste Dieudonné Essomba est formel pour dire que « le système
actuel est intrinsèquement mauvais. Il faut le réformer, créer deux niveaux de décision dans l’État pour
réduire les tensions du système. »2 Données économiques à l'appui, il argue que c'est
l'hypercentralisation du pouvoir qui est la cause première des performances jugées mauvaises de
l'économie camerounaise. Pour résorber ces insuffisances, il présente le fédéralisme communautaire
comme le seul modèle qui régule de manière rationnelle et cohérente les relations
intercommunautaires. « Par sa prétention à fabriquer des Nations homogènes par décret, à proclamer
l'amour des communautés par décret, l'État unitaire se présente objectivement comme le creuset des
purifications tribales », conclut-il.
Cette analyse reçoit un écho favorable sur la scène politique où des leaders d’opinion tels que Cabral
Libii ou encore Serges E. Matomba se sont posés comme les porte-flambeaux du fédéralisme
communautaire. Ils voient dans ce modèle un moyen de rassembler les Camerounais et non de les
diviser, le fédéralisme communautaire étant assimilé par d’autres comme une forme de repli identitaire
institutionnalisé. Le leader du Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (PCRN) explique
que
Ceux qui s’opposent au fédéralisme communautaire en l’assimilant au repli identitaire sont de
deux catégories: ceux qui méritent une écoute parce qu’ils sont de bonne foi, et ceux qui n’ont
droit qu’à la raillerie parce qu’ils sont de mauvaise foi et ne visent qu’à abrutir les autres à des
fins ridiculement politiciennes ». Il ajoute que « la solution pour régler plusieurs problèmes que
connaît le Cameroun est d’opter pour le fédéralisme communautaire.3
Pour lui, se fédérer c’est se regrouper, se rassembler. En revanche, se replier, c’est se couper. Ce sont,
en effet, des contraires. Si le fédéralisme communautaire veut fédérer les communautés et leurs
identités, est-il pour autant aux antipodes du repli identitaire ?
Cette question trouve sa pertinence chez les pourfendeurs du fédéralisme communautaire parmi
lesquels de nombreux universitaires à l’instar de Mathias E. Owona Nguini. Depuis 2016 et le début
de la forme la plus violente des revendications sécessionnistes dans le NoSo, ce partisan de l’État
unitaire est resté constant. Pour lui, le mouvement social anglophone est un dangereux leurre
susceptible de conduire à l’explosion de l’État camerounais. Ce mouvement, affirme-t-il, a ouvert la
boite de pandore des délires liés aux idolâtries communautaires. Ainsi, seule la transversalité
républicaine peut s’opposer à cette idéologie, d’où que viennent les activistes qui alimentent des
« chauvinismes décomplexés pour la cohésion nationale ». Le redécoupage des régions du Cameroun
sur une base ethnique, un des fondements du fédéralisme communautaire souhaité par ses partisans,
est susceptible de renforcer les clivages entre les groupes ethniques et d’accentuer le tribalisme avec
comme conséquences la dislocation de la fébrile cohésion nationale actuelle. Il parle ainsi du
« fétichisme au sujet de la forme de l’État. » En lieu et place du fédéralisme communautaire, il
développe l’idée d’un « fédéralisme communautarien », dont la philosophie se fonde sur une
opposition au libéralisme privilégiant l’appartenance culturelle et la communauté face à l’individu.
En effet, la philosophie communautarienne relative à la justice sociale vise à dépasser la pensée libérale.
Celle-ci n’impose que deux choses : des devoirs universels que les hommes ont en tant qu’êtres humains
(ne pas faire preuve de cruauté, etc.) et des obligations volontaires pour lesquelles ils ont consenti
(contrat, promesse, etc.). Les communautariens vont réfléchir la justice sociale à partir d’un troisième
point, non universel et non lié à un consentement, une obligation que Michael Sandel (1999) appelle
de solidarité : celui des obligations en liens avec des appartenances, des histoires et des loyautés. Les

Club d’Elite, Vision 4, 29 décembre 2019.


2

Propos tenus au cours du Grand dialogue national.


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philosophes que l’on a appelés communautariens, par opposition aux libéraux, sont entre autres
Michel Sandel, Charles Taylor (1992 a, b), Michael Walzer (1997), Alasdair McIntyre (1993). McIntyre,
par exemple, affirme : « L’histoire de ma vie est toujours enchâssée dans l’histoire de ces communautés
dont je tire mon identité. Je suis né avec un passé ; vouloir me couper de ce passé, sur le mode
individualiste, c’est déformer mes relations présentes (1988 : 43). Taylor soutient que
Pour qu’un projet démocratique réussisse, que les gens y mettent du leur, qu’ils acceptent une
discipline et les sacrifices qui souvent leur sont imposés, il faut qu’ils se sentent liés dans un projet
commun, avec une certaine solidarité concrète avec certaines gens et pas avec d’autres. Cela
n’empêche pas une solidarité à un autre niveau, avec tous les êtres humains, mais il faut, en plus,
une solidarité spéciale (1992b : 60).
Si la pensée libérale affirme que la justice se doit d’être libre de toute orientation morale ou religieuse,
pour les communautariens cela est impossible. Pour eux, la justice sociale s’inscrit dans des relations,
des contextes spécifiques, des communautés dans lesquelles les personnes vivent concrètement (Milena
Doytcheva, 2018). La philosophie communautarienne ne doit cependant pas être confondue avec ce
qu’on entend habituellement « communautarisme », c’est-à-dire le repli sur sa communauté.
La communauté, dont fait allusion les auteurs ci-dessus se situe au-delà des groupes ethniques. Elle est
transversale. Les individus peuvent constituer des communautés, en mobilisant l’ethnie comme
l’élément fédérateur, mais cette variable n’est pas la seule. La solidarité concrète et quotidienne peut
se construire à partir d’autres éléments, le plus important, pour la philosophie communautarienne,
étant que l’individu reste encastré dans son environnement et traité comme un membre d’un groupe
et non comme un individu dessouché de cet environnement. Si la variable ethnique (communauté
ethnique) est le plus fort et susceptible de créer la communauté « tant mieux », mais si d’autres variables
peuvent le faire, « tant mieux » aussi. Par exemple, dans les zones urbaines, les populations peuvent se
sentir solidaires pour des affaires qui concernent la sécurité d’un quartier, la scolarisation de leurs
enfants, le ravitaillement en eau, etc. et former une communauté solidaire qui se situe au-delà des
groupes ethniques, qui ne sont pas ignorés, mais transcendés. Il se pose, in fine, le problème de la
faisabilité du fédéralisme communautaire compte tenu des contraintes contextuelles et situationnelles
créées par l’hétérogénéité du Cameroun. Autrement dit, le fédéralisme communautaire est-il soluble
dans la République ? Peut-il s’implémenter au Cameroun sans qu’il ne provoque des rejets compte
tenu de la complexité et la diversité du de sa composante communautaire ? Le remède, le cas échéant,
ne peut-il pas s’avérer plus toxique que la maladie ?
En effet, le nazisme, par exemple, tire en partie ses origines des lois de la géographie politique pour
lesquelles Friedrich Ratzel fondait son raisonnement basé sur les configurations statiques et
sociologiques, c’est‐à‐dire celles de la géographie physique et humaines. Il invoquait le climat, la
géologie, le relief, l’argument linguistique, l’homogénéité sociologique, pour convaincre de la réalité
d’une Allemagne « une ». Plusieurs thèses soutiennent en autre que le génocide rwandais trouve sa
cause dans la différenciation ethnique. Il faut remonter à l'époque de la colonisation du pays. Sous
domination allemande dès le début du XXe siècle, le Rwanda subit les affres d'une idéologie
ethnologique déjà prégnante, qui désigne la tribu tutsie comme étant supérieure à celles des Hutus et
des Twas. Les colonisateurs affirment alors que les Tutsis constituent une ethnie plus intelligente et plus
proche (physiquement et culturellement) des peuples européens. À la fin de la Première Guerre
mondiale, la Belgique reprend le flambeau de la colonisation, et ne trouve rien à redire à cette situation
qui lui paraît bien établie. En insistant sur les traits de différence, réels ou fabriqués, en mettant un
accent sur les différences. L’animosité entre Tutsis et Hutus n’a cessé de croître pour aboutir au début
d’une guerre civile et à un génocide en 1994. Certes, comme le souligne Kasongo (Lado et Mballa
Elanga, 2018 : 11), l’imaginaire post-colonial africain associe volontiers le fédéralisme à la
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fragmentation politique et à la conflictualité ethnique. Il convient de constater que le centralisme
démocratique n’a pas réussi à engendrer la conscience nationale en Afrique. Si la rhétorique de la
décentralisation lancée à partir des années 1990 reste à la mode, il ne manque pas de souligner les
tentatives de récupération des décentralisations par des élites qui résident en ville et se font élire dans
leurs contrées d’origine. Cependant, comme souligné supra, en travaillant à mettre en exergue ce qui
différencie les groupes humains, on travaille en même temps à amplifier les différences, toute chose
qui est de nature fragiliser l’unité nationale.
L’ouvrage que nous nous proposons d’écrire se situe dans la continuité de ce débat et est ouvert sur
les différentes positions qui le structurent en insistant sur les enjeux de l’instauration du fédéralisme
communautaire au Cameroun et sera structuré autour de deux parties4.La première partie va
s’intéresser aux Représentation et énonciations du fédéralisme communautaire au Cameroun : entre
évidences présumées et cohérences fantasmées. La deuxième partie va mettre un accent sur la
Mobilisations et les projections autour du fédéralisme communautaire : entre efficiences escomptées
et adhérences conjecturées. Les auteurs sont invités à orienter leur proposition vers les axes suivants :
- Fédéralisme communautaire et autochtonie ;
- Fédéralisme communautaire et dérives communautaristes ;
- Fédéralisme communautaire, frein à la vulgate unitaire ?
- Fédéralisme communautaire et décentralisation : quelle faisabilité ?
- Fédéralisme communautaire : compréhension à l’aune des outils juridiques ;
- Fédéralisme communautaire et développement économique des régions ;
- Le Fédéralisme communautaire face à la diversité ethnique : entre compétition et cohabitation ;
- Montée des communautarismes au Cameroun : nature, causes et conséquences (enjeux);
- Le fédéralisme communautaire en contexte de mondialisation, quelle pertinence ?
- Le fédéralisme communautaire : une chance pour les minorités ethniques ?
- Mise en place des fédéralisations conforme à la sociologie du Cameroun et continuité
territoriale desdites fédérations ;
- Etc.

Dates importantes
- Soumission des propositions (600 mots maximum, sur une seule page) structurées autour d’un
plan détaillé et une brève note biographique à l’adresse
mail ouvrage.fed.communautaire@gmail.com : au plus tard le 15 mars 2021 ;
- Sélection des propositions de contribution et réponse aux auteurs : au plus tard 15 avril 2021 ;
- Remise des versions provisoires du texte : au plus tard le 31 aout 2021 ;
- Notification des modifications aux auteurs : au plus tard le novembre 2021 ;
- Remise de la version définitive des articles : au plus tard fin février 2022 ;
- Publication de l’ouvrage : au plus tard fin avril 2022.

Normes de présentation des articles


Les textes ne devront pas excéder 10 000 mots (Titre, corps du texte et bibliographie comprises). Les
normes de présentation des textes seront celles APA : https://www.scribbr.fr/category/normes-apa/

Comité scientifique
- Pr. Mathias Éric OWONA NGUINI (Université de Yaoundé 2) ;
- Pr. Joseph Marie ZAMBO BELINGA (Université de Yaoundé 1) ;
- Pr. Robert KPWANG KPWANG (Université de Douala/Université de Yaoundé 1) ;

4
Il fait aussi suite à une publication de Lado et Mballa Elanga (2018) qui s’était déjà attardée spécifiquement sur : Crise
anglophone et forme de l’État en débat au Cameroun.
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- Pr. Jean NZIE ENGONO (Université de Yaoundé 1) ;
- Pr. Honoré MIMCHE (Université de Yaoundé 2) ;
- Pr. Emmanuel TCHUMTCHOUA (Université de Douala) ;
- Pr. Claude ABE (UCAD) ;
- Pr. Armand LEKA ESSOMBA (Université de Yaoundé 1) ;
- Pr. Pascal MBAHA (Université de Douala) ;
- Pr. Christian BIOS NELEM (Université de Yaoundé 1) ;
- Pr. NGADJIFNA (Université de Douala) ;
- Pr. Yves Bertrand DJOUDA (Université de Yaoundé 1) ;
- Pr. Pascal NDJOCK NYOBE (Université de Douala) ;
- Pr. Désiré MANIRAKIZA (UCAD).

Comité de relecture (coordination)


- ATLAS-France

Coordination générale
- Dr. Mballa Elanga Edmond VII (Université de Douala) : Tel : 677 82 11 90 (WhatsApp) ;
697 36 67 43.

Références bibliographiques
- Doytcheva, M. (2018). Le multiculturalisme, Paris, La Découverte, col. « Repères
Sociologie ».
- Gagnon A. G. (dir.). (2006). Le fédéralisme canadien contemporain : Fondements,
traditions, institutions, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
- Lado, L., et Mballa Elanga E. (2018). Crise anglophone et forme de l’Etat en débat au
Cameroun. Le procès du centralisme étatique, Yaoundé, Editions du Schabel.
- MacIntyre, A. (1988). Quelle justice? Quelle rationalité ?, tr. M. Vignaux d’Hollande,
Paris, Puf, 1993. Sandel, M. (1999). Le libéralisme et les limites de la justice [« Liberalism
and the Limits of Justice »], Paris, Seuil.
- Taylor, C. (1992a). Multiculturalism. Examining the Politics of Recognition, Princeton
(NJ), Princeton University Press, traduit de l’anglais sous le titre Multiculturalisme.
Démocratie et différence, Paris, Aubier, 1994.
- Taylor, C. (1992b). « Quel principe d’identité collective ? », dans Jacques Lenoble et
Nicole Dewandre (sous la dir. de), L’Europe au soir du siècle : Identité et démocratie,
Paris, Les Éditions Esprit.
- Tulkens, H. (1994). « Pourquoi le fédéralisme ? », Revue économique, nº 54, vol.1.
- Walzer, M. (1997). Sphères de justice. Une défense du pluralisme et de l’égalité, Seuil,
Paris.

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