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Janvier 2020

N° Spécial

LE PRINCIPE DE LA LIBRE ADMINISTRATION DES


COLLECTIVITÉS TERRITORIALES AU NIGER
Par
Abdoulaye HAMADOU
Docteur en droit public, enseignant-chercheur à la Faculté de Droit,
d’Economie et de Gestion de l’Université de Tahoua (Niger)
UNIVERSITE
Faculté des Sciences
CHEIKH ANTA DIOP Juridiques et Politiques
DE DAKAR

ANNALES
AFRICAINES Nouvelle série

Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de


l’UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR

Janvier 2020
N° Spécial

Une publication
CREDILA

CREDILA
Directeur de publication
Le Doyen de la Faculté des Sciences juridiques et politiques
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Secrétariat de rédaction

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Et les législations africaines (CREDILA)
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Université Cheikh Anta Diop de Dakar
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Email : credila@.ucad.edu.sn

CREDILA, 2019
ISSN : 0850-9247
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales
au Niger »

Par
Abdoulaye HAMADOU
Docteur en droit public, enseignant-chercheur à la Faculté de
Droit, d’Economie et de Gestion de l’Université de Tahoua (Niger)

Introduction

« Trop d’Etat tue la collectivité territoriale». Ce dicton trouve tout son sens
dans le contexte africain en termes d’organisation et d’administration du
pouvoir étatique. En effet, des indépendances jusqu’aux années 1990, voire
au-delà dans certains cas, le pouvoir était essentiellement concentré dans la
capitale. Malgré la volonté du pouvoir constituant du lendemain de
l’indépendance d’instituer une dose de décentralisation1, l’Etat central
décidait de tout et il voulait tout contrôler, c’est-à-dire les hommes, les règles
et les institutions. Mais, ce centre avait de la peine à assurer le minimum aux
populations en termes de services publics de base tels que l’éducation, la santé,
l’assainissement ainsi que les équipements et infrastructures convenables.
Souvent autoritaire, l’Etat central installe au niveau local des services
techniques et administratifs plus dans une optique de commandement que de
services public2. Tel était le cas de la plupart des pays francophones d’Afrique,
dont le Niger.
C’était dans un contexte de crise de l’Etat centralisateur que des réformes
politiques et administratives sont intervenues, avec la création des
collectivités territoriales. En effet, les années 1970 marquent, dans la plupart
des pays francophones, le début de la faillite de la gestion centralisée des
affaires publiques. Plus tard, au début des années 1990, la demande
d’expression se fait plus pressante. Les régimes à parti unique s’effondrent les
uns après les autres. Les Conférences Nationales appellent à la mise en œuvre
des processus démocratiques, en plus du multipartisme3. Pris en étau entre les

1Après son indépendance en 1960, toutes les constitutions du Niger ont consacré le principe de
la libre administration des collectivités territoriales : Constitution du 08 novembre 1960 : art.
68 ; Constitution du 24 septembre 1989 : art. 99 ; Constitution du 26 décembre 1992 : art. 115 ;
Constitution du 12 mai 1996 : article 116 ; Constitution du 18 juillet 1999 : article 127 ;
Constitution du 18 août 2009 : article 127 ; Constitution du 25 novembre 2010 : article 164.
2 DEMANTE (M.-J) et TYMINSKY (I), Décentralisation et Gouvernance locale en Afrique :

des processus, des expériences, Institut de Recherche et d’Application des méthodes de


développement (IRAM), études et méthodes, Paris, Février 2008, p.9.
3 SY (O.) Reconstruire l’Afrique. Vers une nouvelle gouvernance fondée sur les dynamiques

locales, Paris, édition Charles Léopold Mayer, 2009, p. 152, cité par NANAKO (C.), La libre
376 Annales africaines

aspirations des populations à une gouvernance de proximité et les


conditionnalités d’aide imposées par les bailleurs de fonds, pour exiger
notamment la décentralisation du pouvoir, l’Etat du Niger a fait l’option de
constitutionnaliser la libre administration des collectivités territoriales : « Les
collectivités territoriales sont créées par une loi organique. Elles
s’administrent librement par des conseils élus »4. Le principe de la libre
administration des collectivités territoriales est ainsi exprimé. Mais que
recouvre-t-il vraiment ?
Si l’expression « collectivités territoriales » est précisément définie par le
législateur, il n’en est pas de même pour le « principe de libre administration »
qui est présenté, souvent, par la doctrine comme une « notion graduelle, aux
contours imprécis »5. Ainsi, au sens du législateur nigérien, « les collectivités
territoriales sont des groupements humains géographiquement localisés sur
une portion du territoire national auxquelles l’Etat a conféré la personnalité
juridique et le pouvoir de s’administrer librement par les autorités élues. Elles
concourent avec l’Etat à l’administration et à l’aménagement du territoire,
au développement économique, social et culturel… » 6. Cette définition
législative suscite deux commentaires de notre part. D’abord, elle met en
lumière certains éléments qu’on retrouve dans les conceptions doctrinales7, et
de ce point de vue, l’approche est plutôt classique. Ensuite, la collectivité
territoriale, telle que définie par le législateur nigérien, rappelle une autre
expression équivalente qui est celle de collectivité locale. Dans le langage
courant la seconde est toujours assimilée à la première, et vice versa. Mais, en
ne définissant que l’expression « collectivité territoriale » utilisée d’abord par
le constituant, le législateur nigérien a également fait un choix terminologique
qui s’impose à tous. En droit comparé ouest africain, l’expression
« collectivité territoriale » semble être également préférée, au regard de
plusieurs législations, à celle de « collectivité locale ». Ainsi, les législateurs
béninois (loi n°90-032 du 11 décembre 1990 portant constitution de la
République du Bénin, Titre X, portant sur les collectivités territoriales),
burkinabé (loi n°55-2004/AN modifiée portant Code général des collectivités

administration des collectivités territoriales au Bénin et au Niger, thèse pour le doctorat en droit
public, Université d’ABOMEY-CALAVI, Faculté de droit et de sciences politiques, Ecole
doctorale des sciences juridiques et administratives, p.50.
4
Article 164, al.2, Constitution du 25 novembre 2010.
5 BOULET (M.), Droit des collectivités dans l’Union Européenne, Paris, Dalloz, 2018, p. 2 ;

HERTZOG (R.), « L’autonomie en droit : trop de sens, trop peu de signification ? » in


Mélanges Paul Amselek, Bruylant, 2005, p. 458.
6 Art.5, loi n°2008-42, du 31 juillet 2008 relative à l’organisation et l’administration du

territoire de la République du Niger.


7 La définition du législateur nigérien est proche de celle qu’on retrouve dans le lexique des

termes juridiques : GUINCHARD (S.) et DEBARD (Th.), Lexique des termes juridiques, Paris,
21 édition, Dalloz, 2014, p.179.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 377

territoriales) et maliens (loi n°2017-051 du 02 octobre 2017 portant Code des


collectivités territoriales) utilisent l’expression « collectivité territoriale ».
En ce qui concerne la libre administration, elle n’est pas définie par le
législateur. Mais, on peut relever une floraison de définitions doctrinales.
Ainsi, pour M. BACOYANNIS, la libre administration est « l’affirmation
constitutionnelle selon laquelle des communautés humaines qui sont définies
par leur rattachement à une portion du territoire par rapport auquel est
définie la communauté nationale ont vocation à maîtriser tout ce qui constitue
leur propre vie »8. Selon lui, la libre administration ne se réduit pas à un simple
principe d’organisation mais constitue bien une liberté, et de ce point de vue
« une liberté d’être ». Pour les professeurs FERSTENBERT, PRIET et
QUILICHINI, la libre administration des collectivités territoriales est une
liberté qui « …vise à protéger une communauté d’habitants vivant sur un
territoire, bénéficiant d’institutions qui leur permettent de gérer leurs affaires
dans le cadre d’une certaine autonomie »9. La particularité de ces deux
définitions est qu’elles font du principe de la libre administration « une liberté
d’être » d’entités organiquement distinctes de l’Etat (conseils élus) et
disposant, normalement, d’une certaine « liberté d’agir » (s’administrer
librement). Cette vision est partagée par les professeurs NOGUELLOU,
AUBY Jean-Bernard et AUBY Jean-François pour lesquels la libre
administration est «le fait de disposer d’organes indépendants et de ne pas
être soumis à une tutelle dans le cadre de laquelle les actes que l’on émet
puissent être privés d’effet ou modifiés par une autorité supérieure »10.

Appréciant à son tour la libre administration des collectivités territoriales, le


juge constitutionnel français estime qu’en application de ce principe, les
collectivités territoriales, en plus d’avoir des « assemblées élues et
délibérantes », doivent être dotées d’ « attributions effectives » et disposer de
ressources fiscales suffisantes11. A travers cette jurisprudence, plusieurs fois
renouvelée12, le juge constitutionnel entend protéger à la fois la « liberté d’être
des collectivités locales » expressément consacrée par le texte constitutionnel
par l’exigence de conseils élus, mais également leur « liberté d’agir ». De son
côté, le juge administratif, sans fournir de définition générale, précise dans
l’arrêt Commune de Venelles que « le principe de libre administration des

8BACOYANNIS (C.), Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités


territoriales, PUAM, Economica, 1993, p. 90 et suivants.
9 FERSTENBERT (J.), PRIET (F.) et QUILICHINI (P.), Droit des collectivités territoriales,

Paris, 2e édition, Dalloz, 2016, p.72.


10 AUBY (J.-B), AUBY (J.-F) et NOGUELLOU (R.), Droit des collectivités locales, Paris,

Thémis Droit PUF, 2008, p.74.


11 Cons. const., Décision n°91-298 DC, du 24 juillet 1991, loi portant diverses dispositions

d’ordre économique et financier, cité par BOULET (M.), op.cit., p.3.


12 Cons. const. Déc. n° 2010-12 QPC, 2 juillet 2010, Commune de Dunkerque, AJDA, 2010,

p. 1594.
378 Annales africaines

collectivités territoriales est au nombre des libertés fondamentales auxquelles


le législateur a entendu accorder une protection juridictionnelle
particulière… »13. Assimiler la libre administration à une liberté fondamentale
pour les entités décentralisées renvoie au fait que c’est la loi fondamentale qui
consacre cette liberté et que le législateur est tenu de la garantir et de la
respecter. Le caractère fondamental de cette liberté n’implique pas donc que
les collectivités territoriales s’administrent contre la loi.

Ces différentes définitions, même si elles ne précisent pas de manière


exhaustive le contenu du principe, ont le mérite d’offrir des indices pour
déterminer ce que peuvent faire ces entités de droit public. Ainsi et de manière
concrète, dans un contexte de libre administration, les collectivités peuvent
librement désigner leurs organes dirigeants, voter leur budget, gérer leur
patrimoine, recruter et gérer leurs agents et ce, conformément à la Loi.
L’objectif de l’étude étant de déterminer les implications et les spécificités du
principe de la libre administration en droit nigérien, on peut, à cet égard,
l’entendre comme l’affirmation constitutionnelle selon laquelle il est reconnu
à des entités juridiquement distinctes de l’Etat le droit et les moyens de gérer
librement les affaires qui relèvent de leur compétence à travers des autorités
démocratiquement désignées. Il en découle que l’enjeu essentiel, voire
primordial de la libre administration est de conférer une certaine autonomie
de décision à l’entité bénéficiaire, c’est-à-dire le pouvoir de s’administrer
librement à travers l’attribution d’un certain nombre de compétences et la
possibilité de disposer de ressources financières14. Tout au long de cette
réflexion, nous vérifierons si cette autonomie est suffisamment garantie et
respectée pour les collectivités territoriales.
Dans l’esprit du constituant nigérien, la consécration de la libre administration
dans toutes les constitutions que le Niger a connues apparaît comme une
réponse aux exigences d’un Etat démocratique avec une administration de
proximité autonome et des services publics locaux effectifs. Plus
spécifiquement, cette réforme a véritablement connu une avancée majeure à
la suite de la Conférence Nationale Souveraine qui en a fait une de ses fortes
recommandations. Cette recommandation a trouvé un écho favorable dans le
cadre de la signature des accords de paix entre le Gouvernement et les
mouvements armés Touaregs du nord du Pays en 1994-1995.
L’option constitutionnelle en faveur de la libre administration des collectivités
territoriales s’est poursuivie avec une série de lois et de textes règlementaires.
C’est ainsi qu’en septembre 2010, le Niger s’est doté pour la première fois

13 CE, 18 janvier 2001, Commune de Venelles contre Morbelli, cité par BORNER-KAYDEL
(E), « Le principe de libre administration des collectivités territoriales dans la jurisprudence du
Conseil d’État », Les Annales de droit [En ligne], 10 | 2016, consulté le 20 janvier 2019. URL
: http://journals.openedition.org/add/328
14 FERSTENBERT (J.), PRIET (F.) et QUILICHINI (P.), op.cit., p.71.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 379

d’un Code Général des Collectivités territoriales à travers l’Ordonnance


n°2010-54 du 17 septembre 2010. L’une des innovations apportées par ce
texte dans la réforme de l’administration locale au Niger est d’instituer des
« collectivités territoriales à statut particulier »15 à côté des « collectivités de
droit commun » que sont la commune et la région, tout en supprimant le
département comme collectivité territoriale. Le régime juridique de ces
collectivités particulières est fixé par l’Ordonnance n° 2010-55 du 17
septembre 2010 portant statut des communes à statut particulier: «Les
communes dont l’agglomération principale a une population au moins égale
à 100 000 habitants peuvent être érigées en « communes à statut particulier »
ou « ville »16. Cependant, malgré leur diversité, ces collectivités sont toutes
gouvernées par des principes communs, notamment en termes d’organisation
et de modalités de contrôle.
L’Ordonnance instituant le Code Général des Collectivités Territoriales est,
cependant, un texte qui présente une incertitude pour la libre administration,
en raison non seulement de sa nature, mais également de son contenu. En effet,
c’est d’abord un texte adopté par un régime d’exception, celui de la transition
militaire de février 2010 à avril 2011. Historiquement, on estime que les
textes adoptés sous les régimes d’exception sont peu favorables aux libertés
locales. L’expérience du régime militaire du Conseil Militaire Suprême
(CMS) de 1974 jusqu’en 1987 constitue une illustration. En effet, le Coup
d’Etat militaire du 15 avril 1974 a entrainé la dissolution des « conseils
d’arrondissement municipaux »17 et la mise en veilleuse du processus de la
décentralisation. Il fut alors institué des « commissions consultatives
provisoires »18 organisant à titre provisoire la participation des populations à
la gestion des affaires publiques et présidées par des responsables nommés.
La situation ainsi créée réduit les collectivités territoriales à un statut de
simples circonscriptions administratives. Au-delà du Niger, certaines
expériences dans la sous-région ouest-africaine démontrent que la tendance
des régimes d’exception est de limiter la libre administration des collectivités
territoriales. Au Burkina Faso, par exemple, au lendemain de l’insurrection
populaire des 30 et 31 octobre 2014, des délégations spéciales ont été
installées à la place des conseils municipaux et régionaux pour gérer les
collectivités territoriales19. Ensuite et au regard de son contenu, l’ordonnance
n° 2010-54 accorde une place prépondérante au pouvoir règlementaire dans la

15 Art. 21, CGCT.


16 Art. 2, CGCT.
17 Décret n°74-56/PCMS du 23 avril 1974, in DGD/CT, Brochure d’information sur la

décentralisation eu Niger, Niamey, Imprimerie Albarka, 2015, p.9.


18 Décret n°74-207/PCMS/MI du 13 aout 1974, idem.
19 Décret n° 2014- 004/PRES/CAB du 17 novembre 2014 :

http://cns.bf/IMG/pdf/situation_delegations_speciales.pdf, consulté le 10 septembre 2019.


380 Annales africaines

mise en œuvre de la libre administration. Ce qui, de l’aveu même de certains


élus locaux20, constitue un mauvais départ.
A l’échelle de l’Afrique de l’Ouest francophone, la libre administration des
collectivités territoriales est reconnue par de nombreuses constitutions21.
Comme au Niger, le choix de constitutionnaliser la libre administration dans
ces pays répond, plus globalement, à deux impératifs : la participation du plus
grand nombre d’acteurs à la gestion des affaires publiques et l’amélioration de
la qualité des services publics pour un développement économique et social.
A cela s’ajoutent les injonctions des bailleurs de fonds qui ont
considérablement pesé sur la mise en œuvre de ces réformes22. Il existe aussi
des raisons liées à l’histoire et au contexte politique spécifiques à chacun des
pays qui influent sur l’émergence de ce processus. En République du Mali,
par exemple, c’est la préoccupante et persistante question de la rébellion
touarègue dans le septentrion à laquelle s’ajoutent les contestations
corporatistes, les frondes estudiantines et les revendications paysannes qui ont
justifié, en grande partie, l’option constitutionnelle en faveur de la libre
administration23.
En droit nigérien, le principe de libre administration des collectivités
territoriales n’a fait l’objet, pour l’heure, que de très peu d’analyses
doctrinales24. En effet, malgré la relative ancienneté de son ancrage juridique
et les débats souvent passionnés qu’il suscite, le domaine est resté
insuffisamment exploré. L’essentiel des travaux de recherche a porté sur la
décentralisation25 qui, à bien des égards, se distingue de la libre

20 Dans un entretien que le Président du Conseil régional de Tahoua nous accordé courant
l’année 2018, celui-ci estime qu’au regard des dizaines de décret d’application prévus par
l’Ordonnance n°2010-54, on peut affirmer que la libre administration des collectivités
territoriales est piégée.
21 Bénin, art. 151, Const. du 11 décembre 1990; Burkina-Faso, art. 144 et 145, Const. 2015;

Côte d’Ivoire, art. 172, Const. 2016; Mali, art. 98, Const. 1992; Sénégal: art. 102, Const. 2001.
22 NZE BEKALE (L), Le principe de libre administration à l’épreuve des collectivités

territoriales d’Afrique francophone (Bénin, Burkina Faso, Gabon, Mali, Sénégal), Paris, éd.
Publibook, 2016, pp. 34-37.
23 KASSIBO (B.) « La Décentralisation au Mali : État des Lieux », Bulletin de l’APAD [En

ligne], 14 | 1997, Consulté le 30 septembre 2018. URL : http://apad.revues.org/579.


24 Les études les plus récentes réalisées sur la libre administration des collectivités territoriales

sont : MEDE (N.), « L’autonomie retenue : études sur la libre administration des collectivités
territoriales en Afrique de l’Ouest Francophone », Cahiers Africains d'Administration Publique
African Administrative Studies, numéro 73, 2009 ; NANAKO (C.), La libre administration des
collectivités territoriales au Bénin et au Niger, thèse pour le doctorat en droit public, Université
d’ABOMEY-CALAVI, Faculté de droit et de sciences politiques, Ecole doctorale des sciences
juridiques et administratives, Cotonou 2016.
25 A titre d’exemples, on peut citer : DANDA (M.), Politique de décentralisation,

développement régional et identités locales au Niger : le cas du Damagaram, thèse pour le


doctorat en droit public, université Montesquieu – Bordeaux IV, Institut d’Etudes Politiques
(I.E.P), Centre d’Etudes et de Recherche sur la Vie Locale (C.E.R.V.L), 2004 ;
MOHAMADOU (A.), « Décentralisation et pouvoir local au Niger », IIED, Dossier n°, juin
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 381

administration. D’ailleurs, au niveau national beaucoup de citoyens, y


compris les acteurs mêmes des collectivités territoriales (élus locaux, organes
exécutifs locaux, autorités de tutelle, voire des parlementaires) méconnaissent
le principe de la libre administration qui est souvent confondu à la
décentralisation. De ce point de vue, cette réflexion présente un double intérêt
théorique.
Primo, elle contribue à une meilleure compréhension de la libre
administration, en termes d’implications, non seulement par rapport à la
notion globale de décentralisation, mais également par rapport aux acteurs
concernés. L’exigence fondamentale de la décentralisation, qui figure aussi
dans le texte constitutionnel26, est d’aérer le pouvoir, de réaliser les conditions
techniques d’une gouvernance administrative plus performante27. On retrouve
cette idée notamment chez le Professeur Demba SY qui considère la
décentralisation comme un système d’organisation administrative qui
reconnaît une existence juridique à des collectivités secondaires qui sont
dotées de la personnalité morale et qui sont appelées à gérer leurs propres
affaires par l’intermédiaire d’organes issus d’elles-mêmes28. Pour M.
KUATE, elle vient répondre à la triple nécessité de décongestionner la capitale
politique, d’adapter l’action publique à la diversité des attentes populaires et
d’assurer une large participation des populations à la gestion des affaires
publiques29. D’un point de vue procédural, la décentralisation part de l’Etat
qui accepte de se dessaisir d’un certain nombre d’attributions pour les confier
aux collectivités décentralisées. Elle a de ce point de vue un sens
essentiellement technique. La libre administration, quant à elle, se situe sur le
plan des libertés et constitue une garantie pour que les collectivités territoriales
s’administrent librement. D’un point de vue fonctionnel, l’idée commune qui
traverse la libre administration et la décentralisation est celle d’autonomie, au
sens de son étymologie grecque, c’est-à-dire le droit d’un groupe de se
gouverner par ses propres règles.
Secundo, si l’idée même de consacrer le principe de la libre administration des
collectivités n’est pas nécessairement en cause, ses fondements, sa
signification et sa portée suscitent des doutes et des interrogations. Selon

2009 ; NYIRAKAMANA (C.), La décentralisation au Niger : le cas de la mobilisation des


ressources financières dans la ville de Niamey, Mémoire en vue de l’obtention du grade de
Maîtrise es sciences en Science politique, Université de Montréal, Département de science
politique, Février 2015.
26 Art. 164, al. 1, Constitution du 25 novembre 2010.
27 MEDE (N.), op. cit., p.4. ;
28 SY (D.), Droit administratif, 2ème éd. revue, corrigée et augmentée, Dakar, CREDILA et

L’Harmattan Sénégal, 2014, p. 171.


29 KUATE (J.-P.), Les collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, 4e éd., les

dynamiques locales, Douala, 2007, p.6, cité par BAGAGNA (B.), « Le principe de la libre
administration des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun », Revue africaine de
parlementarisme et de démocratie, Volume III, n°7, Août 2013 p. 98.
382 Annales africaines

l’appréciation du problème, il est possible de percevoir deux lectures : une


lecture politique et une lecture scientifique. La première, aveuglée par des
considérations subjectives et parfois trompeuses, veut toujours rendre compte,
dans une démarche qui lui est propre, que l’état des libertés locales est
satisfaisant: le processus de la décentralisation est désormais irréversible ; le
Président de la République et le Gouvernement accordent une importance
particulière à la décentralisation ; les collectivités territoriales ont bénéficié
de l’accompagnement et des appuis de l’Etat et de ses partenaires à travers
la réalisation de nombreuses infrastructures30…bref, tout va bien. La seconde,
plus réaliste, doit rendre compte de l’état des lieux de la libre administration.
Dans cette perspective, le chercheur comme l’observateur, voire dans une
certaine mesure l’homme politique averti31 se doit d’évaluer objectivement les
forces et les faiblesses de la libre administration, sans laquelle la
décentralisation serait une coquille vide.
Plus concrètement et au regard de la cadence avec laquelle les conseils élus
sont dissous, pendant que de nombreux exécutifs locaux (maires, notamment)
font l’objet de procédures judiciaires, l’on est en droit, objectivement, de
questionner notre système de décentralisation. La présente réflexion, tenant
compte des réalités actuelles, se propose d’analyser les difficultés qui
entravent la libre administration des collectivités territoriales à la fois dans ses
dimensions juridiques et institutionnelles ainsi que dans sa signification et sa
portée. Dans cet ordre d’idées, le centre d’intérêt de la réflexion est l’analyse
des lacunes des règles constitutionnelles, législatives et règlementaires
applicables à la libre administration, en termes notamment de garanties et
d’application.
Mais, s’intéresser aux aspects théoriques des difficultés que rencontre la libre
administration et s’y arrêter ne permet pas de saisir réellement la profondeur
du problème. Au regard des différentes expériences de décentralisation,
notamment depuis la période post-Conférence Nationale, l’étude du principe
de la libre administration des collectivités territoriales pose également la
question de l’effectivité de son application et de sa protection. En effet, la libre
administration, malgré son ancrage juridique relativement ancien, n’est pas
appliquée de manière satisfaisante. Les raisons de cette ineffectivité peuvent
être recherchées dans des facteurs qui tiennent soit à l’incompréhension de ses
implications par les acteurs, soit à l’absence de contrainte en cas de non-
respect du principe. A cela, il faut ajouter le fait que, pour de nombreux

30 Quelques extraits du discours du Premier ministre, Brigi RAFINI, à la Cérémonie officielle


de lancement du processus effectif des transferts de compétences et des ressources, dans
certains domaines, de l’Etat aux collectivités territoriales, Niamey, le mercredi 06 septembre
2017.
31 Voir le discours du Président de l’Assemblée Nationale du Niger en date du 25 septembre

2019 in : Le Sahel du jeudi 26 septembre 2019, pp. 10 et 11. Dans son discours, il invite le
Gouvernement à une sérieuse réflexion sur le système de décentralisation en cours au Niger.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 383

nigériens, la libre administration est simplement consacrée pour répondre aux


conditionnalités imposées par les bailleurs de fonds afin de bénéficier de l’aide
prévue à cet effet, et donc une reforme imposée de l’extérieur. Tout ceci
provoque une certaine indifférence des acteurs (Etat, élus locaux et partis
politiques) vis-à-vis de la libre administration : les élus sont mal ou pas formés
pour assumer les responsabilités qui leur incombent, les transferts des
compétences sont réalisés avec beaucoup de retard, les dotations
d’équipement et de fonctionnement sont rarement versées aux collectivités,
les services techniques déconcentrés n’assument pas correctement leur
mission d’appui-conseil, etc. De ce point de vue, il est important de réfléchir
sur les contraintes juridiques, institutionnelles, financières mais aussi sociales
et politiques qui limitent la pleine effectivité de la libre administration. C’est
ici que réside l’intérêt pratique de la présente réflexion.

Au regard de ces différentes considérations, entreprendre une étude sur la libre


administration des collectivités territoriales nécessite, pour le chercheur, de
recourir à différentes méthodes qui soient à même de lui permettre d’observer,
d’identifier et de confronter les textes aux faits. A ce titre, notre analyse se
limitera à l’examen des règles constitutionnelles, législatives et
règlementaires, et dans une certaine mesure, des décisions de justice rendues
dans le domaine32. Pour tenir compte de la rareté de ces décisions en droit
nigérien, nous avons effectué des enquêtes de terrain pour recueillir les
opinions de certains acteurs (élus locaux et représentants de l’Etat) sur l’état
de la libre administration des collectivités territoriales.

Dès lors, l’on peut se demander quelles sont les implications du principe de
libre administration des collectivités territoriales en droit nigérien? Le droit
fondamental (ou constitutionnel) pour les collectivités territoriales de
s’administrer librement est-il réellement garanti et appliqué? Pour répondre à
ces questions, nous verrons d’abord qu’au regard de sa consécration juridique,
le principe garantit théoriquement une autonomie de décision aux collectivités
territoriales (I). Nous démontrerons ensuite, qu’à l’épreuve de la pratique, le
principe de la libre administration des collectivités territoriales est entravé
dans sa mise en œuvre (II), ce qui limite sa pleine application.

I : Un principe garantissant théoriquement une autonomie de décision


Dans sa conception juridico-politique dont la plus satisfaisante est celle
proposée par le Conseil de l’Europe et à laquelle nous adhérons, l’autonomie
locale est entendue comme « le droit et la capacité effective pour les

32 La jurisprudence en matière de libre administration des collectivités locales est négligeable


en droit nigérien. Nous nous référons, au besoin, à la jurisprudence en droit comparé pour
illustrer certains propos.
384 Annales africaines

collectivités locales de régler et de gérer dans le cadre de la loi, sous leur


propre responsabilité et au profit de leur population, une part importante des
affaires publiques »33. De cette définition, on peut retenir que toute autonomie
de décision au niveau local implique, au moins, trois conditions : une existence
juridique des organes décentralisés, une sphère de compétences
limitativement définies et la garantie que lesdits organes puissent
effectivement exercer ces compétences. Pour vérifier si ces différentes
implications de l’autonomie se retrouvent dans la libre administration telle que
proclamée par le constituant nigérien, il est nécessaire de revenir aux sources
pour analyser d’abord l’énonciation de cette autonomie (A). Ensuite, comme
« libre administration » ne signifie pas « libre gouvernement »34, l’autonomie
attendue doit être relativisée. Elle doit notamment s’exercer dans le strict
respect du caractère unitaire de l’Etat, de l’intégrité du territoire national et
de l’unité nationale35. Ce qui fonde la nécessité de l’encadrer (B).
A/ L’énonciation de l’autonomie
Le terme « autonomie » n’est pas énoncé expressis verbis au titre IX de la
Constitution du 25 novembre 2010 relatif aux « collectivités territoriales ».
Mais, en disposant formellement que « les collectivités territoriales
s’administrent librement par des conseils élus », la Loi fondamentale (art. 164,
al.2) consacre matériellement l’autonomie au bénéfice de ces entités. A cet
effet, il faut rappeler que le législateur36 lui-même, comme certains auteurs37
utilisent indistinctement « autonomie » et « libre administration ». Ainsi, la
consécration du principe de la libre administration des collectivités
territoriales laisse entrevoir la reconnaissance constitutionnelle d’une
autonomie de décision dont il convient d’abord de déterminer le contenu (1)
avant de s’interroger sur le sens de cette consécration (2).
1. Le contenu de l’autonomie
Dans l’affirmation du principe de la libre administration des collectivités
territoriales, le constituant nigérien a défini ses contours, en précisant ses
éléments constitutifs : « … Les collectivités territoriales sont créées par une

33 Charte européenne de l’autonomie locale, 15 octobre 1985, art. 3.


34
FAVOREU (L.), « Libertés locales et libertés universitaires. Les décisions du Conseil
constitutionnel du 20 janvier 1984 », RDP, 1984, comm. 687.
35 Art. 4, CGCT.
36 Art. 3 et 4, CGCT.
37 NGONO TSIMI (L.), L’autonomie administrative et financière des collectivités

décentralisées : l’exemple du Cameroun, Thèse, Droit public, Université de Paris, Créteil Val
de Marne, 421 p. ; KEUDJEU DE KEUDJEU (J.R.), Recherche sur l’autonomie des
collectivités décentralisées, Thèse, doctorat, Droit public, Université de Douala, 2012, 670 p ;
NANAKO (C.), op.cit., pp.10-15.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 385

loi organique. Elles s’administrent librement par des conseils élus »38. De la
lecture de cette disposition, on peut mettre en lumière deux composantes
essentielles de la libre administration: la nécessité d’avoir des « conseils élus »
et l’exigence que ces « collectivités s’administrent librement ».
Tout d’abord, en exigeant que les collectivités territoriales soient administrées
par des « conseils élus », la loi fondamentale a entendu donner une dimension
« institutionnelle » qui légitime une certaine marge d’autonomie pour ces
entités. Cette exigence induit que la libre administration est indissociable de
l’existence d’organes propres. On peut ainsi dire avec le Professeur ROUX,
que l’existence d’un conseil élu doté d’attributions effectives représente le
minimum requis, d’un point de vue organique, pour que la libre administration
soit assurée39.
L’autonomie institutionnelle des collectivités territoriales a des implications
diverses qui se déploient fondamentalement sur le terrain politique et
juridique. D’un point de vue politique, la libre administration implique que les
organes des collectivités territoriales soient issus d’un suffrage qualifié de «
politique»40 à l’instar des élections nationales. Sur les modalités de l’élection,
la constitution prévoit que le suffrage peut être direct ou indirect, mais il est
toujours universel41. Le caractère électif des conseils des collectivités
territoriales est, de loin, préféré au mode de nomination, en raison notamment
de ses avantages. C’est dans ce sens que le M. VERPEAUX affirme que
« …sans l’élection des organes, les collectivités territoriales paraitraient
moins autonomes par rapport à l’Etat »42. Cette perception est aussi partagée
par les acteurs locaux qui estiment que l’élection des organes locaux est en
faveur d’une meilleure gouvernance et de l’amélioration des relations de
confiance entre les populations et les institutions publiques43. Plus
concrètement, la dimension politique de l’élection des conseils locaux permet
à la population, même lorsque le taux d’illettrisme est élevé, comme dans le
contexte nigérien, de participer à la vie publique locale, et souvent d’exercer
une fonction de contrôle sur ces conseils.

38 Art. 164, Constitution du 25 novembre 2010.


39
ROUX (A.), « Le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités
territoriales », RFDA, 1992 p.435.
40 Décis. n° 82-146 DC, 18/11/1982, loi modifiant le code électoral et le code des communes et

relative à l’élection des conseiller municipaux et aux conditions d’inscription des Français
établis hors de France sur les listes électorales, cons. 7 : https://www.conseil-
constitutionnel.fr/decision/1982/82146DC.htm, consulté le 25 octobre 2019
41 Art. 7, Constitution du 25 novembre 2010.
42 VERPAUX (M.), Les collectivités territoriales en France, Dalloz, 2006, p.59.
43 CITES ET GOUVERNEMENTS LOCAUX UNIS D’AFRIQUE, L’environnement

institutionnel des collectivités locales en Afrique, El Mârif Al Jadida, Maroc, Septembre 2013.
p.11.
386 Annales africaines

Mais, il faut bien reconnaître avec M. FAURE, que le caractère électif des
conseils n’est pas suffisant en soi pour assurer l’autonomie tant recherchée de
ces entités, ainsi que l’illustre le rapport de subordination entre l’élu local et
le pouvoir central. Ce rapport de subordination est devenu quasi absolu au
Niger lorsque les conseillers élus sont du même bord politique que le parti au
pouvoir ou la coalition de partis politiques au pouvoir. En d’autres mots, la
fonction émancipatrice de l’élection ne garantit pas nécessairement aux élus
la capacité d’exercer une certaine liberté politique et administrative.

Sur le plan juridique, l’exigence de « conseils élus » a une double implication.


D’abord, elle permet aux collectivités territoriales d’avoir une existence
propre et, par conséquent, de ne pas relever du pouvoir de contrôle
hiérarchique de l’Administration centrale. A ce niveau, l’autonomie organique
est assimilable à la personnalité juridique de droit public que le législateur
reconnaît expressément aux collectivités territoriales44. Respecter le principe
de libre administration, de ce point de vue, implique que l’Etat accepte
l’administration locale comme corps autonome ayant un statut et des devoirs
comparables à ceux de l’administration centrale45. Mais, cet idéal est encore
recherché en droit nigérien. Aujourd’hui, comme hier, et à l’épreuve du fait
majoritaire fardé du culte de la personnalité du chef de l’exécutif46, il est
difficile de percevoir une séparation organique entre l’administration centrale
et les administrations décentralisées. Les organes délibérants et exécutifs sont
devenus des courroies de transmission des politiques de l’administration
étatique au niveau local. De la sorte, les conseils élus se retrouvent
sérieusement fragilisés, pendant que les exécutifs locaux, en quête de la
bénédiction du pouvoir étatique, se transforment en préfets bis.

Ensuite, l’exigence de « conseils élus » implique que les autorités


décentralisées ne peuvent pas devoir leurs fonctions à une nomination par
l’Etat ; que seuls les organes désignés et dirigés par des assemblées élues
relèvent des collectivités territoriales. Sur le plan organisationnel, même
considérées dans leur diversité47, ces entités sont dotées chacune d’un

44 Art. 3, al.2, CGCT.


45 NANAKO (C.), op.cit., p.120
46
L’un des traits caractéristiques du fonctionnement des institutions administratives et
politiques nigériennes réside dans la dimension paternaliste du chef de l’Etat. En effet, comme
les institutions sont faibles, ce sont les hommes qui les dirigent qui deviennent forts. C’est
particulièrement le cas du Chef de l’Etat dont la prégnance sur la scène politique lui donne une
image plutôt messianique. Pour beaucoup, c’est lui l’Etat, et non le Chef de l’Etat.
47 Le CGCT prévoit deux niveaux de collectivités territoriales : la commune et la région (art.

2). Pour ce qui est de la commune, il en existe trois types : la commune rurale ; la commune
urbaine et la commune à statut particulier dénommée ville (art. 21). En ce qui concerne la
région, elle ne comporte qu’une seule forme.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 387

« organe délibérant »48 et d’un « organe exécutif »49. Au sens du texte


constitutionnel, le conseil est l’organe représentatif de la population sans
lequel on ne peut parler de « statut autonome » de la collectivité. A ce niveau
certains auteurs ont soutenu que, si la constitution ne désigne que les « conseils
élus » à défaut de leurs exécutifs, ces derniers peuvent toujours se trouver
nommés par le pouvoir central sans heurter les termes de la constitution50.
Cet argument n’emporte pas notre conviction. En effet, si nous considérons
que l’exécutif local est une autorité élue du fait de son appartenance au conseil
qui l’a désigné, il y aurait probablement une entorse à la libre administration
des collectivités territoriales en cas de désignation par l’administration
centrale. Avec des organes exécutifs nommés (comme l’illustre aujourd’hui le
système des délégations spéciales à caractère permanent), c’est la dimension
représentative même des collectivités territoriales qui est remise en cause.

Si la libre administration des collectivités territoriales implique,


nécessairement, l’existence de conseils élus ; elle suppose aussi que ces
derniers soient dotés d’attributions effectives au sens du juge constitutionnel
français51. En d’autres termes, si les conseils ne possédaient que des
attributions consultatives, la libre administration ne serait pas garantie, et par
conséquent, on ne saurait parler d’autonomie de décision. La garantie
constitutionnelle pour les communes et régions de s’administrer librement
constitue donc l’aspect fonctionnel de l’autonomie de décision. Cet aspect est
traditionnellement analysé en référence à la notion d’affaires locales ou
intérêts locaux52 dont la prise en charge est confiée aux organes délibérants
des collectivités. A ce titre, le constituant, en évoquant la notion d’« intérêts
nationaux »53, fait implicitement référence à l’existence d’affaires locales qui
relèveraient de la compétence des collectivités territoriales.
Mais, le constituant du 25 novembre 2010 ne précise pas la nature des
attributions reconnues aux entités décentralisées, reconnaissant une telle

48 L’organe délibérant de la commune est dénommé « conseil municipal » ; celui de la région


est dénommé « conseil régional ». C’est l’organe qui a reçu compétence pour délibérer sur les
affaires de la commune et de la région (articles 29 à 36 pour la commune ; articles 104 à 111
pour la région).
49 L’organe exécutif de la commune est dénommé « Maire ou Président du conseil municipal » ;

celui de la région est dénommée « Président du conseil régional ». Sa désignation, son mandat
ainsi que ses attributions sont fixées par voie législative (articles 81 à 95 pour la commune et
articles124 à 157 du CGCT).
50 FAURE (B.), Le droit des collectivités territoriales, Paris, 5e édition Dalloz, 2018, p. 39.
51 Cons. Const., Décision n°91-298 DC, du 24 juillet 1991, loi portant diverses dispositions

d’ordre économique et financier, cité par BOULET (M.), op.cit., p.3.


52 Pour le juge administratif français, « est affaire locale, toute affaire d’intérêt local qui n’a pas

été explicitement attribuée par la loi à l’Etat ou à une autre personne publique, CE, 29 juin 2001,
Mons -en- Baroeul , cités par NANAKO (C.), op.cit., p.21.
53 « …Le représentant de l'Etat veille au respect des intérêts nationaux » : art. 165, al.2.
388 Annales africaines

compétence au législateur. Celui-ci a, en effet, ouvert un champ de


compétences54 faisant l’objet de « délibérations » aux collectivités
territoriales : «La commune et la région règlent par délibérations les affaires
relevant de leurs compétences… »55. Décider par délibérations implique qu’en
application de la libre administration, les organes des collectivités territoriales
ont un pouvoir normatif, ou selon, M. BOURJOL un « … pouvoir de prendre
des actes administratifs et parmi ces actes, des règlements»56. Plus
précisément, ce sont les conseils municipal et régional qui sont investis de la
compétence délibérative57 dont les domaines sont très variés: la politique de
développement local, la création et la gestion d’équipements collectifs,
l’hygiène publique et l’assainissement, la gestion domaniale et foncière ainsi
que la gestion administrative et financière58. Ces missions de service public
conçues pour répondre à des besoins, souvent urgents et indispensables, des
populations locales sont cependant rarement assurées dans les faits par les
conseils élus pour des raisons tenant à une double insuffisance : celle de leur
réelle appropriation et celle des moyens humains et financiers.
De leur côté, les présidents des conseils, en tant qu’ils sont tenus de « s’assurer
de la bonne exécution des délibérations qui résultent des sessions »59, exercent
aussi un pouvoir règlementaire qui s’exprime sous forme d’arrêté. Le principe
est que le Maire et le Président du Conseil régional, en tant qu’autorités
exécutives des collectivités territoriales, interviennent en vertu des pouvoirs
propres et en qualité de simple exécutant des délibérations des conseils. Dans
les deux cas, ils procèdent par arrêté pour décider et leur pouvoir
règlementaire n’est jamais initial et général. Pour nous limiter au cas de la
commune, le maire, en tant que chef de l’administration municipale, exerce
un pouvoir règlementaire relativement étendu. Ainsi, il nomme aux emplois
de la commune conformément à la législation en vigueur ; il crée et organise,
par arrêté, les services propres de la commune après délibération du conseil et
il exerce un pouvoir de sanction60. Mais au-delà des considérations purement
juridiques, la création et l’organisation de l’administration locale doivent aussi
tenir compte des réalités, des besoins de la population et des capacités
financières de la collectivité.

54 Les conseils des collectivités territoriales exercent notamment des compétences propres et
les compétences qui lui sont transférées par l’Etat (art. 29, CGCT).
55
Art 5, CGCT. En outre « … Elles ont pour missions, la conception, la programmation et la
mise en œuvre des actions de développement économique, éducatif, social et culturel d’intérêt
communal et régional».
56 BOURJOL (M.), «Libre administration et statut de la fonction publique locale», Actes du

colloque d’Angers, Cahiers du CFPC, n° 13, Octobre 1983, p. 5.


57 Arts. 29 et suivants CGCT pour la Commune ; arts. 104 et suivants pour la région.
58 Art. 30 à 36, CGCT pour la commune ; art. 104 à 111, CGCT pour la région.
59 Art.78 pour la commune, art.148 pour la région, CGCT.
60 Art. 86 et 87, CGCT
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 389

Comme on peut le constater, les organes des collectivités territoriales exercent


un pouvoir règlementaire dosé leur permettant de prendre en charge les
affaires relevant de leur compétence et sous le contrôle de l’Etat. Dans
l’exercice de ce contrôle, des représentants de l’Etat font recours au juge, bien
que rarement, pour faire sanctionner l’illégalité de certains actes61. A tous
égards, la libre administration telle qu’énoncée par le texte constitutionnel se
limite à une dimension institutionnelle et à des compétences administratives.
Dans tous les cas, la portée juridique de cette autonomie de décision reconnue
aux collectivités territoriales dépend du sens qu’on peut donner à la
consécration du principe de la libre administration dans la constitution.
2. Le sens de la consécration constitutionnelle
L’utilisation du terme « sens » ici renvoie à l’idée de « signification ». Notre
objectif est donc, à partir des éléments analysés supra, de déterminer la
signification qu’il convient de donner au principe de libre administration tel
qu’exprimé par le constituant. Ainsi, malgré le caractère peu prolixe des
dispositions constitutionnelles consacrées au principe62, il est possible de
dégager deux conceptions permettant de déterminer le sens recherché : une
conception étroite et une conception large.
Dans la conception étroite, la détermination du sens de la consécration
constitutionnelle de la libre administration peut s’opérer d’abord et strictement
au regard de la lettre du texte constitutionnel ; ensuite au regard de
l’interprétation qu’en fait le juge.
A priori, on peut considérer que le choix d’insérer dans la loi fondamentale
un principe, une règle ou une institution lui donne un caractère constitutionnel,
donc hautement juridique. La libre administration des collectivités
territoriales, étant consacrée par le constituant, est de ce point de vue un
principe juridique, ou selon certains auteurs, une notion63 juridique. Son
caractère juridique n’est donc pas contesté. La difficulté ici est donc de savoir
la valeur juridique de ce principe.

La libre administration est mentionnée deux fois64 dans le texte de la


Constitution du 25 novembre 2010. Dans les deux cas (donc arts. 100 et 164),
c’est le législateur qui est compétent pour déterminer ses éléments
fondamentaux. D’abord, aux termes de l’article 100, le constituant énonce que

61 En ce sens : CE, 14/11/2018, Préfet de Magaria c/ Commune urbaine de Magaria, n°68/18 :


Recours en annulation pour excès de pouvoir introduit par le préfet de Magaria contre l’arrêté
n° 006/CU du 02 mai 2014 du Maire de la CU de Magaria portant suspension du receveur
municipal, inédit.
62 Seuls deux articles (sur 190) sont consacrés au principe de la libre administration des

collectivités territoriales dans le texte constitutionnel nigérien.


63 FERSTENBERT (J.), PRIET (F.) et QUILICHINI (P.), op.cit., p.75,
64 Respectivement au niveau des articles 100 et 164.
390 Annales africaines

« la loi détermine les principes fondamentaux…de la libre administration des


collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources… ». Ici,
la libre administration se présente comme une norme qui fonde la compétence
du législateur. La compétence législative fixée à cet article doit être entendue
assez largement selon la doctrine. En effet, le législateur peut règlementer la
libre administration bien au-delà des principes et le pouvoir règlementaire
d’exécution ne bénéficie d’aucune zone réservée qui s’imposerait à la volonté
du législateur.65
L’intérêt de placer sous la garde du législateur la libre administration des
collectivités territoriales lui procure deux avantages : le premier est relatif au
fait que les libertés locales accèdent au rang de ce que le juge constitutionnel
français appelle « droits et libertés que la constitution garantit»66 ; le second
réside dans l’effet protecteur que l’on attend de l’intervention de la loi. Il
s’ensuit que, le Gouvernement ne pourra pas agir directement en matière de
libre administration par voie de règlement autonome et, n’est pas compétent
pour arrêter les mesures d’exécution des lois que dans la mesure où il a plu au
législateur de ne pas descendre lui-même dans les détails de sa mise en
œuvre67. Plus concrètement, non seulement le législateur doit légiférer dans le
domaine, mais quand il le fait, il doit apporter toutes les garanties afin que
l’autonomie de décision des collectivités territoriales ne dépende pas des choix
du pouvoir central. Par exemple, le pouvoir règlementaire national ne doit pas
accorder des avantages que la loi n’a pas prévus et ne doit pas assujettir les
collectivités territoriales à des obligations que la loi n’a pas autorisées.
Ensuite, au regard de l’art. 164, al.2, « la libre administration » apparaît
comme une norme qui apporte une restriction à la compétence du législateur.
En disposant que les collectivités territoriales s’administrent par des conseils
élus, le constituant nigérien fait du « caractère élu des assemblées
délibérantes » une condition nécessaire, c’est-à-dire substantielle de la libre
administration. Pour simplifier et au sens de la lettre de l’art.164, toute
collectivité territoriale doit disposer d’un conseil élu. En cela, le constituant
astreint les deux pouvoirs (législatif et règlementaire) au respect et à la
garantie du principe de la libre administration à travers cette condition. Plus
concrètement, toute loi qui entraverait l’existence et le fonctionnement de ces
conseils est, a priori, contraire à la constitution. Les collectivités territoriales
trouvent dans cette exigence une garantie constitutionnelle qui ne souffre
d’aucune ambiguïté, du moins au regard de la jurisprudence du juge

65 FERSTENBERT (J.), PRIET (F.) et QUILICHINI (P.), op.cit., p. 76.


66 Cons. const., déc. n° 2010-12, QPC, 2 juillet 2010, Commune de Dunkerque, AJDA, 2010,
p. 1594, note VERPEAUX Michel. Si le contexte n’est pas le même, on peut, au moins, faire
un rapprochement entre cette conception des libertés locales du juge constitutionnel français et
le principe de libre administration tel qu’exprimé par le constituant nigérien.
67 FAURE (B.), op. cit., p.34.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 391

constitutionnel français68. Mais, eu égard au caractère unidimensionnel de


cette garantie, l’autonomie de décision demeure assez limitée.
Au regard de cette conception étroite, la libre administration des collectivités
territoriales apparaît comme un principe juridique ayant une valeur normative
incontestable. La question qui demeure est de savoir si la consécration de cette
liberté dans la constitution est suffisante pour lui reconnaître une valeur
constitutionnelle. Cette question est d’autant plus pertinente qu’au Niger les
libertés locales font face à divers obstacles. En effet, d’un côté, les libertés
locales ne bénéficient pas, de la part de l’Etat central, de la protection requise
pour leur effectivité ; d’un autre côté, les élus locaux souffrent de la méfiance
manifeste des chefs traditionnels qui les considèrent comme une menace à
leurs pouvoirs69. Au regard du texte fondamental lui-même, seule la
dimension institutionnelle semble avoir valeur constitutionnelle. Le reste,
c’est-à-dire les ressources et les compétences des collectivités territoriales
n’ont qu’une valeur législative. Dans tous les cas, le juge constitutionnel
nigérien, ne reconnaît qu’une valeur législative à ce principe70.
Dans une conception large, l’exigence constitutionnelle que les collectivités
territoriales soient administrées par des « conseils élus » implique une
participation politique des citoyens à travers le choix des organes locaux.
L’idée à la base est que, en tant qu’elle favorise le choix des responsables
locaux par les populations elles-mêmes, la libre administration des
collectivités territoriales s’apparente à un principe de participation. Pour
concrétiser cette idée de participation, la loi prévoit que « les communes et
les régions constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens
à la vie locale »71.
Dans ses modalités, la participation citoyenne au processus décisionnel local
inclut, la possibilité pour les citoyens de présenter des pétitions, l’organisation
de référendums d’initiative citoyenne ou encore la pratique du budget
participatif72. Lorsqu’il est engagé, ce processus permettra d’abord aux
habitants d’une commune, par exemple, d’être informés sur la gestion des
affaires locales et, par conséquent, d’exiger le compte-rendu des actions mises
en œuvre par leurs élus. Ensuite, en tant que principe de participation, la libre
administration a permis d’ouvrir les conseils élus à une diversité d’acteurs
68 Décision n°79-104 DC du 23 mai 1979, cité Jacques-Henri STAHL, « Le principe de libre
administration a-t-il une portée normative ? », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel
2014/1 (N° 42), p. 36.
69 MOHAMADOU (A.), « Décentralisation et pouvoir local au Niger », IIED, Dossier n° 150,

juin 2009, pp. 1- 16.


70 Par son Arrêt n° 05/08/CC/MC du 30 juillet 2008, la Cour a jugé que seul le pouvoir législatif

peut prévoir des «restrictions de nature à affecter» le principe constitutionnel de libre


administration, inédit.
71 Art.3, al.5, CGCT.
72 DGD/CT, op.cit., p. 15.
392 Annales africaines

locaux tels que les sultans, les chefs de province, de canton, de village ou de
groupement qui sont membres de droit des différents conseils avec voix
consultative73. Cela signifie que l’action publique n’est plus présentée comme
la seule responsabilité de l’institution municipale ou régionale, mais la
résultante d’un processus de coopération entre de nombreux acteurs.
L’encadrement législatif et règlementaire du principe devrait concourir en ce
sens.
B/ L’encadrement de l’autonomie
Telle qu’elle est consacrée par le pouvoir constituant, l’autonomie de décision
reconnue aux collectivités ne peut prendre corps qu’avec l’intervention des
pouvoirs législatif et réglementaire. Le principe est que les collectivités
territoriales exercent leurs compétences sous le contrôle de l’Etat, dans le
respect des lois et règlements ainsi que des conventions et accords
internationaux régulièrement ratifiés par le Niger. A ce titre, la loi a reçu
mandat du pouvoir constituant de déterminer les principes fondamentaux
suivant lesquels ces compétences doivent s’exercer. Le pouvoir règlementaire
ne doit intervenir qu’en exécution de la volonté du législateur, pour vérifier
que celle-ci est bien observée par les entités décentralisées. C’est ainsi qu’il
appartient au pouvoir législatif d’aménager l’exercice du principe (1), et au
pouvoir règlementaire de mettre en œuvre cet aménagement (2).

1. L’aménagement législatif
Dans la plupart des Etats unitaires, c’est la loi qui fixe essentiellement les
compétences de chacun des niveaux d’administration. Le juge est ensuite
compètent pour sanctionner tout acte administratif contraire à la loi, que ce
soit celui d’une collectivité territoriale ou celui d’une autorité de l’Etat central.
En matière de libre administration, le constituant nigérien se contente
d’énoncer le principe et confie au législateur le soin de déterminer les
conditions dans lesquelles les collectivités territoriales doivent en jouir. En
procédant ainsi, il érige la loi en norme de référence pour l’exercice de cette
« liberté ». Mais, en garantie des libertés locales, la compétence du législateur
doit s’exercer sous le contrôle du juge constitutionnel. Celui-ci peut ainsi
considérer qu’une loi organisant la libre administration méconnait trop cette
dernière ou, au contraire, ne la délimite pas suffisamment par rapport aux
prérogatives de l’Etat, il peut même éventuellement sanctionner l’inaction du
législateur, notamment en matière de libre administration.

La loi fondamentale, avec le caractère très limité des dispositions consacrées


au principe, crée les conditions d’une large intervention du législateur pour

73 Art. 26, 100 et 101 du CGCT.


« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 393

encadrer l’autonomie locale. Cette intervention couvre, en effet, l’ensemble


des règles relatives à leur création, à leur organisation, à leur fonctionnement,
aux aspects électoraux, à la répartition des compétences entre l’Etat et les
collectivités territoriales, à leurs régimes financier, foncier et domanial ; ainsi
qu’aux relations multiformes entre l’Etat et les collectivités territoriales. Les
domaines d’intervention du législateur étant très étendus, l’analyse sera
limitée aux règles relatives à l’organisation, aux aspects électoraux et aux
garanties reconnues aux collectivités territoriales ainsi qu’aux règles relatives
à la tutelle.

La compétence de la loi pour fixer les règles d’organisation des collectivités


territoriales est très étendue. Dès lors que l’existence des conseils élus
constitue la condition substantielle de la libre administration, la compétence
du législateur s’étend aux règles et principes relatifs à la composition des
différents organes et aux statuts de leurs membres. C’est ainsi que la loi
détermine les différentes catégories de collectivités territoriales et les
définit 74; c’est aussi la loi qui détermine la formation des assemblées
délibérantes, tout en précisant le nombre et le statut des membres 75; c’est
également la loi qui fixe les attributions des conseils élus76.
Relève également de la compétence du législateur, la détermination des règles
applicables aux élections locales. Les règles que celui-ci édicte, bien que
contenues dans différentes lois77, embrassent différents aspects du processus
électoral local. A titre d’illustration, la loi régit le cops électoral, notamment
les conditions d’éligibilité des candidats (art. 6, 7,8, 166 et 167 du Code
électoral) ; le mode de scrutin (art. 25 CGCT, art.157 Code électoral) ; la
proclamation des résultats (art. 169 et 170, Code électoral); le contentieux
électoral (art. 100 à 121, Code électoral), la durée du mandat des organes
délibérants et exécutifs78, les circonscriptions électorales (art.122, Code
électoral). À l’analyse, on peut relever que le législateur jouit en cette matière
d’une compétence exclusive de sorte que les interventions du pouvoir
réglementaire dans ce domaine ne devraient pas prospérer. Mais, étant donné
l’intérêt de la matière pour l’Etat et le caractère technique de ses règles, ce
monopole législatif s’est progressivement effrité depuis 2016 à travers la loi
n° 2016-31 du 08 octobre 2016, modifiant le CGCT 79 aux termes de laquelle
les règles applicables à la durée du mandat des organes délibérants ne relèvent

74 Art. 2, 20, 21 et 22 CGCT.


75 Art. 24 à 28 CGCT.
76 Art. 29 à 36 CGCT.
77 A titre illustratif, on peut évoquer ici deux textes législatifs dont l’un a un caractère général

(la loi organique n°2017-64 du 14 août 2017, portant Code électoral) et l’autre a un caractère
spécifique (l’ordonnance n°2010-54 portant CGCT)
78 Art. 37 à 49, 56, 98 et 112 du CGCT.
79 Modifiant l’ordonnance n° 2010-54 du 17 septembre 2010, portant Code Général des

Collectivités Territoriales de la République du Niger, à travers les articles 23 et 98.


394 Annales africaines

plus exclusivement de la compétence du législateur. En effet, en raison de la


non tenue des élections locales, le mandat des organes délibérants et exécutifs
est désormais prorogé tous les six (6) mois par décret pris en conseil des
ministres.

Il est aussi de la compétence de la loi de déterminer le régime financier des


collectivités territoriales. Au regard du CGCT, le législateur fixe les règles
applicables à l’élaboration et à l’adoption du budget local (arts. 211 à 223) ;
aux ressources et aux charges des collectivités territoriales (arts. 224 à 244)
ainsi qu’à l’exécution et au contrôle (arts. 246 à 280). Pour descendre dans les
détails de cette règlementation, on peut relever que le législateur de 2010 a
apporté des innovations remarquables par rapport à la loi 2002-12 du 11 juin
2002. Pour l’essentiel, l’ordonnance n° 2010-54 « corrige les contradictions
et lacunes de la loi n° 2002-17 mises en évidence par l’expérience des cinq
premières années de gestion municipale »80. C’est ainsi que le processus et le
calendrier budgétaire local doivent désormais tenir compte des contraintes
liées à l’adoption de la loi de finances de l’exercice à venir. Au niveau de
l’exécution du budget, le législateur s’est également inspiré de la Directive n°
06/97/CU/ UEMOA du 16 décembre 199781 en séparant nettement les
fonctions d’ordonnateur et celles de comptable public.
Enfin, il appartient au législateur de déterminer les principes fondamentaux
applicables au domaine de la tutelle administrative que l’Etat exerce sur les
collectivités territoriales, qu’il s’agisse de la tutelle sur les actes, ou de la
tutelle sur les organes. Il en découle que le législateur est compétent pour fixer
les conditions de validité et d’exécution des délibérations des conseils
municipaux et régionaux, en imposant le dépôt de ces actes aux niveaux du
préfet ou du gouverneur, et en donnant à l’autorité de tutelle le pouvoir
d’abréger le délai à l’expiration duquel les délibérations deviennent
exécutoires.

Ces développements montrent qu’en cette matière, le pouvoir règlementaire


ne devrait intervenir qu’en complément, pour préciser les modalités
d’application ou de mise en œuvre des dispositions arrêtées par le législateur.
L’autorité règlementaire est fondée à intervenir, notamment, en matière de
tutelle.

80 Exposés des motifs de l’Ordonnance 2010-54 du 17 septembre 2010 portant CGCT en


République du Niger.
81 Qui impose d’organiser la gestion financière des collectivités territoriales des Etats membres

de l’UEMOA conformément au principe de séparation des ordonnateurs et des comptables


publics.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 395

2. La tutelle
En droit des collectivités territoriales, le terme « tutelle » est classiquement
défini comme le contrôle exercé par l’Etat sur les collectivités territoriales,
moins dans leur intérêt qu’en vue de sauvegarder l’intérêt général et la
légalité82. Au Niger, comme dans divers pays de l’Afrique de l’Ouest
francophone83 la mise en œuvre de la libre administration se conjugue avec un
important contrôle de tutelle ou « contrôle de légalité »84 dans son expression
moderne. Telle que prévue en droit nigérien85, la tutelle répond à des
préoccupations particulières. En effet, les premières expériences de la libre
administration des collectivités territoriales au Niger ont montré de
nombreuses illégalités de gestion et qui ont généré des précédents
difficilement rattrapables86. A cet égard, l’institution d’un contrôle de tutelle
contribuerait à prévenir ces irrégularités. Théoriquement, elle permet à l’Etat
central de veiller au respect de l’application uniforme de la loi sur toute
l’étendue du territoire national.

Au regard de l’Ordonnance n°2010-54, la tutelle est instituée sous la double


forme d’un « appui-conseil et assistance » et d’un « contrôle de légalité »87.
L’institution d’un appui-conseil et assistance» aux collectivités territoriales
découle d’abord de la volonté du constituant de consacrer un droit à la
solidarité en leur faveur88. Ensuite, pour concrétiser cette haute volonté, le
législateur estime qu’en raison de l’élargissement du champ des missions
dévolues aux collectivités territoriales aux domaines de la conception, de la
programmation et de la mise en œuvre des actions de développement
économique, éducatif, social et culturel89, un appui-conseil et assistance
s’impose90. Cela entraine nécessairement un partage de missions entre l’Etat
et les collectivités dans l’amélioration des conditions de vie de la population.
Mais certains auteurs estiment que l’appui conseil et assistance est source

82 GUINCHARD S. (sous la dir.), Lexique des termes juridiques, 16e édition, paris, Dalloz,
2008, p. 658.
83En ce sens ; MEDE (N.), op.cit., p.5 ; NZE BEKALE (L.), op. cit., pp. 158 et suivants.
84 Dans un sens large, le contrôle de légalité est un contrôle exercé par une autorité

administrative ou juridictionnelle, destiné à assurer la conformité d’un acte administratif aux


règles juridiques de valeur supérieure : GUINCHARD (S.) et DEBARD (Th.), op.cit., p. 256.
85 «Le représentant de l'Etat veille au respect des intérêts nationaux», art. 165, al. 2,
Constitution du Niger.
86 Exposé des motifs du projet d’ordonnance portant Code General des Collectivités territoriales

de la République du Niger, p.5.


87 Art. 304 et 305, CGCT.
88 Art. 165, Constitution du 25 novembre 2010.
89 Art. 29 et 30, CGCT.
90 Exposé des motifs du projet d’ordonnance portant Code General des Collectivités

territoriales de la République du Niger.


396 Annales africaines

d’ambiguïté. Pour M. NANAKO, elle conduirait en pratique, les services et


les élus locaux à requérir, en amont, l’avis de services étatiques appelés à
apprécier, en aval, leurs décisions. Selon lui, « …il existe un risque
d'instrumentalisation de la fonction de conseil au service de la fonction de
contrôle par les administrations d'Etat »91. Pour M. BRISSON, « la
conjonction des fonctions de contrôle et de conseil ajoute à l'ambiguïté du
contrôle»92.
Pour pertinentes que soient ces analyses, nous pensons que dans le système
nigérien, la fonction d’appui-conseil et assistance aux collectivités
territorialises répond à des besoins réels. En effet, à l’épreuve des expériences
de gestion de ces entités, on se rend compte que peu de communes (les plus
grandes, en particulier) disposent de compétences pour exercer effectivement
et valablement les missions à elles dévolues par la loi. Si ce ne sont pas les
exécutifs locaux qui présentent des insuffisances dans la gestion de certains
domaines93, ce sont le plus souvent les membres des assemblées délibérantes
qui maitrisent insuffisamment les dossiers soumis à leur appréciation. Dans
un tel contexte, une dose d’appui-conseil et d’assistance aux entités
décentralisées est même indispensable afin de les accompagner
techniquement dans l’exercice de leurs compétences. Cette fonction
d’accompagnement des collectivités territoriales est conçue pour être assurée
principalement par les services techniques déconcentrés et les circonscriptions
administratives. Le principe ici est que, mieux l’appui-conseil sera exercé,
moins le contrôle aura des motifs à sanction. Il est important de noter à cet
effet que la fonction de l’Etat vis-à-vis des collectivités territoriales n’est pas
seulement de contrôler et de sanctionner, mais aussi d’accompagner.
La seconde fonction de la tutelle telle qu’elle ressort des dispositions du
CGCT est un « contrôle de légalité ». Contrepartie nécessaire de la libre
administration des collectivités territoriales, le contrôle de légalité est
formellement inscrit dans la constitution du 25 novembre 2010 : « …Le
représentant de l'Etat veille au respect des intérêts nationaux »94. Cette
consécration constitutionnelle lui donne une valeur similaire au principe
même de la libre administration. Relativement ancré dans la jeune histoire de
la pratique de la décentralisation dans le pays, le contrôle de légalité semble
définitivement s’imposer au Niger comme modalité de tutelle sur les
collectivités territoriales. Sur le principe, il constitue l’instrument le plus

91 NANAKO (C.), op. cit., p. 160.


92 BRISSON (J.-F.), «Le contrôle de légalité dans la loi du 13 août 2004. A la recherche des
illusions perdues», AJDA, 2005, p. 134.
93 C’est le cas par exemple des procédures de passation des marchés publics, des procédures

budgétaires, de la gestion du foncier, des services publics de la santé et l’éducation, etc.


94 Art. 165, al.2, Constitution du 25 Novembre 2010.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 397

compatible avec la libre administration des collectivités territoriales95 dans la


mesure où sa mise en œuvre contribue à rétrécir le champ du « contrôle a
priori », qui est présenté comme « l’une des formes énergiques du contrôle de
tutelle »96.
Dans son application, le contrôle de légalité porte aussi bien sur les actes que
sur les organes des collectivités territoriales97. La volonté du législateur est,
visiblement, d’élargir le champ du contrôle pour rester dans l’esprit du
constituant, c’est-à-dire pour permettre de veiller au respect des intérêts
nationaux.

Le contrôle sur les actes porte « sur la conformité de l’acte aux lois et
règlements en vigueur et s’applique aux aspects et éléments de légalité interne
et de légalité externe de l’acte … »98. En disposant ainsi, le législateur nigérien
circonscrit ce contrôle à un « référentiel juridique» composé de la loi
fondamentale, des accords et traités internationaux, des textes législatifs, de la
jurisprudence, des actes règlementaires. En d’autres mots, c’est un contrôle
destiné à s’assurer que les actes juridiques des collectivités sont réguliers et
respectent le caractère unitaire de l’Etat, l’intégrité du territoire national ainsi
que l’autonomie de chaque collectivité territoriale99. Pour ménager le pouvoir
d’action des conseils élus, le législateur pose le principe que : « les actes pris
par les autorités des collectivités territoriales sont exécutoires de plein droit
dès qu’il a été procédé à leur publication ou à leur notification aux intéressés
ainsi qu’à leur transmission à l’autorité de tutelle »100. Ainsi donc, la
principale condition posée pour l’entrée en vigueur de ces actes réside dans
l’obligation pour la collectivité d’informer particulièrement le représentant de
l’Etat (à travers le procédé de transmission), et plus globalement les
destinataires (à travers la notification ou la publication). Dans les deux cas, la
collectivité est tenue de communiquer.

Relativement à la nature des actes soumis au contrôle de légalité, le principe


est que les actes des autorités locales ne sont soumis à un tel contrôle que dans
les cas formellement identifiés par la loi, aucune tutelle n’étant admissible
sans texte. Pour ce faire, l’Ordonnance n°2010-54 identifie les actes soumis à

95
En ce sens : PAGNOU (S.), «La place du contrôle de légalité dans les processus de bonne
gouvernance liés à la décentralisation. Le cas du Togo», Revue internationale des sciences
administratives, Vol. 79, 2013/3, p. 605.
96 FALL (I. M.), « Le contrôle de légalité des actes des collectivités locales au Sénégal », Afrilex

n° 5, p. 82.
97 Art. 305, al.2, CGCT.
98 Article 309, CGCT.
99 Au regard des articles 13 et 34 du décret n° 2013-035/ PRN/MI/SP/D/AR du 1er février 2013

fixant les règles relatives à la déconcentration au Niger, les représentants de l’Etat au niveau
déconcentré sont le Gouverneur pour la région et le préfet pour le Département.
100 Article 312, CGCT.
398 Annales africaines

l’obligation de transmission et qui concernent notamment les actes


budgétaires, les contrats de marchés publics et les décisions relatives au
personnel101. Ce sont des actes qu’on peut considérer comme les plus
importants des collectivités territoriales et qui sont concernés, en priorité, par
le contrôle de légalité. Le système de contrôle mis en place par le législateur
nigérien est échelonné de sorte qu’il fait intervenir l’autorité administrative en
amont et l’autorité judiciaire en aval. La sanction d’une éventuelle illégalité
relevée par le représentant de l’Etat ne peut intervenir que par saisine du juge
administratif. En pratique, l’acte soumis au contrôle de légalité et entaché
d’illégalité ne sera pas exécuté. Dans ce cas-là, le représentant de l’Etat est
tenu de demander à la collectivité de procéder à la modification ou au retrait
de l’acte litigieux dans un délai de deux mois. A défaut, le représentant de
l’Etat saisira le juge administratif qui l’annulera102.

Ce contrôle a posteriori, relativement respectueux de l’autonomie de décision


des organes locaux est, quelque peu, amoindri par une dose de contrôle a
priori103. Le problème est que dans un contexte d’autorisation préalable, les
initiatives locales sont susceptibles d’être paralysées par des refus
d’approbation ou retardées par l’obligation d’attendre le feu vert de l’autorité
de tutelle pour agir. Or, si l’autorité de tutelle contrôle l’opportunité des
décisions de l’autorité sous tutelle, il s’arroge des pouvoirs discrétionnaires de
contrôle. Par suite, il n’y plus de décentralisation104. Le résultat est
qu’aujourd’hui, il n’existe pas en droit nigérien des actes exécutoires avant
transmission au représentant de l’Etat, le champ de la transmission couvrant
en effet quasiment tous les actes des autorités locales.

S’agissant du contrôle sur les organes, il obéit à la même préoccupation que


le contrôle sur les actes, c’est-à-dire celle de légalité, d’impartialité et de
sécurité juridique nécessaires dans un Etat tenu par le droit. Dans ses
modalités d’application, ce contrôle s’exerce par voie de suspension, de
déclaration de démission d’office, de révocation ou de dissolution105. Plus
spécifiquement, la suspension comme la déclaration de démission d’office et
la révocation s’exercent sur les personnes, c’est-à-dire les conseillers élus, y
compris les organes exécutifs ; alors que la dissolution s’exerce exclusivement
sur les assemblées délibérantes.

De tous les modes d’exercice de la tutelle sur les personnes, c’est la révocation
qui cristallise les controverses en droit nigérien. Pourtant, le législateur a

101Article 313, CGCT.


102 Art. 314, CGCT.
103 Art. 316, CGCT ;
104 EISENMAN (Ch.), cours de droit administratif, T.1 (problèmes d’organisation), cité par

FALL (I.M.), op. cit., p.75.


105 Art. 321, CGCT
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 399

relativement bien défini les conditions et les effets de son application. Pour
l’essentiel, la révocation des personnes n’est envisagée qu’en cas de
condamnation pour crime ou délit, ou de faute grave106. La première ne posant
pas de problème particulier (la qualification juridique relève des juridictions
compétentes), la difficulté réside dans l’appréciation de la faute grave. Au
regard de la loi, seul l’Etat central ou son représentant est compétent pour
apprécier si la faute grave est constituée ou non. Or, dans un contexte où les
rapports entre élus locaux et Etat central sont politisés à outrance, et donc
largement dépendant des logiques majoritaires, une simple divergence de vue
peut servir de prétexte pour constituer les éléments d’une faute grave,
nécessaire pour la révocation. De nombreux Nigériens se rappellent encore de
la révocation fracassante de l’ancien Maire central de Niamey107 intervenue
au lendemain de la décision de son parti, allié principal du Président de la
République, de quitter la mouvance présidentielle. Beaucoup ont considéré
cette révocation comme un règlement de compte, étant entendu que la faute
pour laquelle il a été sanctionné ne datait pas de la veille. L’avènement de
nombreux autres cas108 a renforcé le sentiment que les mesures de révocation
des dirigeants locaux sont majoritairement fondées sur des motifs d’ordre
politique.

Le contrôle de l’Etat sur les collectivités territoriales s’effectue enfin par voie
de « dissolution ». Au regard de la loi, la dissolution sanctionne les cas de
« fonctionnement impossible » des conseils élus109. La condition posée par le
législateur semble être proportionnelle à la gravité de la mesure puisque, s’il
s’agissait d’un simple « blocage » du conseil élu, c’est une mesure de
suspension qui est prévue. Mais la difficulté qui apparaît ici est liée à
l’appréciation de ce qu’est le « fonctionnement impossible ». Encore une fois,
seule l’administration centrale est habilitée par le législateur à en apprécier les
conditions. En d’autres mots, ni l’autorité judiciaire, ni aucune autre autorité
indépendante de l’Etat central ne peuvent intervenir dans la procédure aussi

106 Art. 63, CGCT : « Sont considérées comme graves pouvant entrainer la révocation prévue
à l’alinéa premier, les fautes ci-après : détournement de biens et/ ou des deniers publics dument
constaté par les services compétents ; concussion et/ ou corruption ; prêts irréguliers d’argent
sur les fonds de la commune ; faux en écriture publique et usage de faux ; endettement de la
commune résultant d’une fate de gestion ; (…). ».
107 A l’issue du Conseil des ministres du 30 septembre 2013, M. Oumarou Dogari Moumouni

a été révoqué de ses fonctions de Maire central de Niamey.


108 Révocation de M. Kassoum Moctar (Maire central de Maradi), Conseil des ministres du 31

juillet 2014 ; révocation de M. Ayouba Moussa (Maire, Président du Conseil de ville de


Maradi) ; de M. Hamani Abdou (Maire de la commune de Hamdallaye) ; de M. Hamadou
Salifou (Maire de la Commune Kouré), Conseil des ministres du 13 juin 2018 pour ce ne citer
que ces cas.
109 Art. 177, CGCT : « lorsque son fonctionnement se révèle impossible, le conseil municipal

ou régional peut être dissous. La dissolution est prononcée par décret pris en Conseil des
ministres, sur rapport du ministre chargé de la tutelle des collectivités territoriales…».
400 Annales africaines

bien en amont qu’en aval. Néanmoins, la dissolution est confrontée à deux


limites qui sont autant des garanties pour les collectivités territoriales.
D’abord, elle ne doit jamais être prononcée par voie de mesure générale. Elle
n’intervient qu’au cas par cas. Ensuite, la dissolution ne doit pas intervenir en
premier ressort puisqu’en cas d’urgence et lorsque son fonctionnement est
bloqué, le conseil municipal ou régional peut être d’abord suspendu par simple
arrêté du ministre de tutelle110. Cela constitue une garantie procédurale utile,
quoi que fragile, qui permet d’éviter le recours systématique à la dissolution
constaté ces dernières années. A l’analyse, il est aisé de relever pour le cas de
tous les conseils dissout111, en particulier celui de Niamey, que cette garantie
n’a pas été respectée. Le gouvernement s’était plutôt empressé de dissoudre
d’un coup le conseil Ville tout en procédant à son remplacement par une
délégation spéciale alors même que le fonctionnement de ce dernier n’était
pas bloqué112.

L’ampleur de la tutelle de l’Etat sur l’action des collectivités territoriales est


telle que l’autonomie consubstantielle à la libre administration ressemble à un
trompe l’œil. S’il faut ajouter à cela, l’ineffectivité des transferts de
compétences et de ressources, les interférences inappropriées du pouvoir
politique dans le fonctionnement des conseils élus, les innombrables fautes de
gestion des élus... on ne peut que postuler que le principe de la libre
administration des collectivités territoriales est entravé dans sa mise en
œuvre.
II : Un principe entrave dans sa mise en œuvre
Les plus hautes autorités politiques de l’Etat aiment à dire qu’elles entendent
tout mettre en œuvre pour que la décentralisation devienne une réalité au
Niger113. A l’épreuve des faits, cette profession de foi est demeurée
inaccomplie. Le principe de la libre administration des collectivités
territoriales est confronté à d’innombrables difficultés dans sa mise en œuvre.
Sa consécration par le texte constitutionnel n’a pas été le paravent souhaité
pour une meilleure protection, pour une meilleure application. Il convient

110 Art. 175, CGCT.


111 Depuis quelques années, le Gouvernement prend de plus en plus de mesures de dissolution
de conseils élus. A titre illustratif, nous pouvons citer : la dissolution des conseils municipaux
des communes rurales de Gollé, Tesker et de Dakoro (Conseil des ministres du 20 juillet 2017) ;
la dissolution du Conseil de Ville de Niamey (Conseil des ministres du 16 aout 2017); la
dissolution du conseil de ville de Maradi (conseil des ministres 13 aout 2018) ; Dissolution du
conseil municipal de la commune de Tagazar (Décret n°2018-658/PRN/ MISP/D/ ACR du 25
septembre 2018.
112 En ce sens : ABDOU SADOU (S.), Comment le mécanisme de la délégation spéciale a été

dévoyé : http://www.tamtaminfo.com/comment-le-mecanisme-de-la-delegation-speciale-a-
ete-devoye/, consulté le 05 juillet 2019.
113 Cf. Exposé des motifs, Ordonnance portant Code général des collectivités territoriales de la

République du Niger.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 401

donc de s’interroger d’abord sur les fondements de cette entrave (A). Ensuite,
le fait que le principe ne jouisse pas d’une protection conséquente engendre
des violations de la part des différents acteurs, d’où l’intérêt d’aborder les
manifestations de l’entrave (B).
A/ Les fondements de l’insuffisance de la protection
Très souvent, lorsqu’on évoque les raisons qui entravent l’application
effective de la libre administration des collectivités territoriales, beaucoup
d’observateurs l’imputent au manque de volonté politique de l’Etat. Ce n’est
pas faux. Mais, à bien élargir le champ de l’analyse, l’on trouvera que les
fondements de l’insuffisance de la protection tiennent d’abord à la fragilité
des garanties (1), ensuite à l’ineffectivité des garanties (2) qui entourent le
principe de libre administration des collectivités territoriales.
1. La fragilité des garanties
De manière générale, en droit, quand un « droit » ou une « liberté » est
consacré par la loi fondamentale, on est en présence d’une garantie
fondamentale. Partant, l’on peut dire que la première garantie qui entoure la
libre administration viendrait de l’origine constitutionnelle du principe.
Pourquoi alors ses garanties seraient fragiles ?
L’expression « fragilité des garanties » renvoie à l’idée que « les garanties
sont bien existantes, mais elles demeurent faibles ». Si nous partons sur cette
considération, la faiblesse des garanties entourant la libre administration des
collectivités territoriales peut être analysée à l’aune de deux facteurs : elle tient
d’abord au cadre juridique organisant le principe ; elle tient ensuite à
l’environnement administratif et politique au sein duquel les collectivités
territoriales sont censées s’administrer librement.
Le cadre juridique consacrant et organisant le principe de libre administration
des collectivités territoriales présente des insuffisances notables dont certaines
mettent en péril, le système même de la décentralisation. Au regard des
expériences décentralisatrices post-conférences nationales au Niger, le
problème récurrent et rédhibitoire concerne principalement le renouvellement
à temps des conseils élus. Or, toutes les options constitutionnelles en matière
de libre administration font de ces conseils une condition sine qua non pour
qu’il y ait libre administration. Il en résulte que si ce problème continue de se
poser, c’est principalement parce que la condition liée aux conseils élus ne
bénéficie d’aucune garantie constitutionnelle de mise en œuvre. Avant
l’avènement du présent ordre juridique constitutionnel, l’espoir était permis
qu’au regard de ces difficultés, le constituant de 2010 allait suffisamment
entourer la libre administration de garanties suffisantes. Cet espoir a été déçu
puisque les mêmes « recettes » ont été utilisées pour, sans surprise, aboutir au
402 Annales africaines

même « plat »114. Une des attentes était que le constituant précise dans la loi
suprême les conditions essentielles de la libre administration comme le régime
électoral à l’image des élections législatives et présidentielles, ainsi que
l’obligation de renouveler régulièrement le mandat des conseils. De telles
dispositions auraient pu avoir des impacts plus positifs pour notre système de
décentralisation, en renforçant les libertés locales ou tout au moins, auraient
fait obstacle à leur banalisation. Dans une telle hypothèse, le Gouvernement
serait tenu de renouveler régulièrement le mandat des conseils élus au même
titre que les élections nationales. Mieux, comme l’a jugé le juge
constitutionnel français115, au cas où une disposition législative renvoie
indument au pouvoir règlementaire le soin d’apporter une limitation à la libre
administration, elle s’exposerait à la une censure de la cour constitutionnelle.
Aux fragiles garanties de la loi fondamentale, s’ajoutent celles de
l’Ordonnance n° 2010-54 instituant le Code général des collectivités
territoriales. Ce texte, adopté pendant la transition militaire de 2010, a la
particularité de renforcer l’emprise de l’Etat central sur les collectivités
territoriales. D’abord, dans la mise en œuvre de la libre administration
notamment, des pans importants en matière d’organisation, de
fonctionnement, de compétences ou de ressources sont suspendus aux décrets
d’application, donc au bon vouloir de l’Etat central. Or, celui-ci, connu pour
sa légendaire réticence par rapport aux libertés locales, ne semble pas
manifester une réelle volonté d’aller dans ce sens. À l’analyse de cette
ordonnance, on peut affirmer qu’elle porte en elle-même les germes d’un
handicap majeur qui rend difficile son application. En effet, pas moins de
soixante (60) décrets d’application ont été prévus pour sa mise en œuvre 116.
Sur la soixantaine de décrets, seule une dizaine a été prise117 en neuf années
d’application. Ce qui donne un ratio de mise en œuvre de moins du sixième.
Ceci est, peut-être, la conséquence de la confusion créée et entretenue par le
législateur qui se dérobe de ses obligations en permettant à ce que la libre
administration des collectivités territoriales dépende des choix du pouvoir
règlementaire national, dont certains ne sont pas favorables à la libre
administration des collectivités territoriales.

114 C’est toujours une loi organique qui devrait créer les collectivités territoriales, mais qui n’est
jamais adoptée ; c’est toujours le législateur qui est compètent pour déterminer les principes
fondamentaux de la libre administration, mais qui le fait en accordant une place prépondérante
au pouvoir règlementaire de sorte que pratiquement c’est l’Etat central qui maitrise l’essentiel…
la conséquence est que le renouvellement des conseils élus est suspendu à la volonté de l’Etat
central.
115 Cons. const. , dec. n° 83-168 DC du 20 janvier 1984.
116Ce faisant, l’administration centrale devient le véritable centre de production du droit des

collectivités territoriales.
117 DGDCT, Recueil des textes sur la décentralisation, Niamey, 5edition, 2016, 276 p.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 403

Ensuite, sur le plan purement procédural, les garanties prévues ne semblent


pas non plus être satisfaisantes. Face à l’élargissement continu des pouvoirs
de contrôle et de sanction de l’Etat central, l’idéal aurait été pour le législateur
de renforcer aussi les garanties procédurales au profit des collectivités
territoriales en diversifiant les voies de recours au juge118. C’est seulement au
juge administratif, en l’occurrence au Conseil d’Etat, que doivent s’adresser
les collectivités territoriales en cas d’atteinte de la part de l’Etat à leurs
libertés, biens ou compétences. Or, de manière générale, le juge administratif
est un juge « … qui n’est pas à l’origine un gardien des libertés locales, parce
qu’il ne protège que le principe de légalité ; par ce qu’il n’est que
fondamentalement le serviteur du pouvoir d’Etat… »119. En outre, l’accès au
juge administratif lui-même est limité à certaines matières, de sorte que dans
bien de domaines, les collectivités territoriales ne disposent pas d’un recours
effectif. Il en est ainsi par exemple en matière de suspension des organes
exécutifs. Dès lors, le simple accès au juge administratif ne constitue pas une
garantie sûre pour les collectivités territoriales. Mais, le vrai problème est à
rechercher dans l’indifférence, voire le refus des organes des collectivités à
saisir le juge en dépit de toutes les mesures de révocation d’élus et de
dissolution de conseils intervenues depuis lors. L’explication de ce refus de
saisir les juridictions compétentes, notamment en ce qui concerne les
révocations, peut être trouvée dans le lourd passif que trainent ces élus. En
effet, la plupart d’entre eux sont révoqués pour mauvaise gestion, non-respect
des procédures de passations des marchés publics ou encore détournement de
biens publics, le tout qualifié très souvent de « faute grave » par le
Gouvernement »120. C’est dire que l’accès au juge ne peut être une réelle
garantie que lorsque le droit au recours est effectivement exercé.
Enfin, l’ordonnance n°2010-54 a la particularité de perpétuer une tradition,
celle qui consiste à voir en l’Etat central comme l’irremplaçable protecteur
de l’intérêt général. À travers la batterie de décrets d’application prévus et le
maintien de l’approbation préalable, le législateur de 2010 a fait de
l’administration centrale le véritable créateur du droit des collectivités
territoriales. C’est aussi, peut-être, une manière astucieuse de faire croire aux
populations locales que l’Etat les protège face à des « élus présentés comme
source de division du corps social ou pilier du clientélisme »121. De ce fait, il

118 Le droit constitutionnel nigérien ne prévoit pas la possibilité d’une saisine directe du juge
constitutionnel pour les collectivités territoriales. Seul un recours par voie d’exception est
possible en vertu des dispositions de l’article 132 de la constitution. L’accès au juge
constitutionnel qui pourrait mieux garantir les droits et libertés que la constitution garantit est
donc très marginal.
119 FAURE (B.), op. cit., p.60.
120 MAHAMANE SABO (B.), « Gestion des collectivités territoriales : Encore, des maires

indélicats révoqués », La Nation du 30 avril 2018, pp. 2 et suivants.


121 LAMBERT (A.), « Droit applicable aux collectivités territoriales : rationaliser

l’administration, responsabiliser le politique », Constitutions, 2019, p.129.


404 Annales africaines

arrive que pour des problèmes purement locaux (une salle de classe qui
menace de tomber ou le forage du village qui tombe en panne), on fait appel
au préfet, au Ministre, voire au Président de République lorsque le lien
politique et social est très fort, mais jamais au Maire122. En montrant qu’elle
est la plus utile aux yeux des citoyens, l’administration centrale fragilise les
entités décentralisées, conçues à l’origine pour la soulager et la rendre plus
efficace et performante.
Les textes n’ont donc pas dissipé les tensions permanentes et perceptibles123
entre l’administration centrale et ses relais territoriaux d’un côté, et les
collectivités territoriales de l’autre côté. Ainsi, comme le rapport de force dans
la production des normes est visiblement à l’avantage de l’administration, le
CGCT a maintenu une forte présence de l’Etat au niveau local, en termes de
conception124, d’exécution125 et de contrôle126 des différentes politiques. Or,
en application du principe de subsidiarité prévu par le CGCT, la dévolution
des compétences s’effectue au niveau de l’administration qui est la plus
proche des préoccupations des populations bénéficiaires des services publics.

L’autonomie organique et fonctionnelle telle que consacrée par le constituant


se retrouve in fine « retenue »127 par l’Etat central à travers son ingénierie
normative et l’impression qu’il donne d’être le meilleur garant de l’intérêt
général. Mais, l’environnement politique, à travers l’opprimant phénomène
majoritaire, contribue à la fragilisation de la libre administration des
collectivités territoriales128. L’effet pernicieux du fait majoritaire, résultant
d’ailleurs d’une mauvaise pratique, se traduit par l’interférence à outrance du
pouvoir politique dans le fonctionnement des collectivités territoriales. En
déplaçant le curseur de la légitimité du peuple vers les partis politiques, le fait
majoritaire transforme l’arène administrative locale en une arène politique où
la majorité et l’opposition s’affrontent. Il s’ensuit que le bon fonctionnement
d’un conseil élu va dépendre du positionnement politique de ses membres.
Souvent, il suffit que l’exécutif local appartienne à la majorité pour assurer la
stabilité du conseil. Par contre, lorsque le conseil est dominé par des élus de
l’opposition, il sera rigoureusement scruté de sorte que la moindre erreur de

122 Extraits d’un entretien avec un préfet, dans la région de Tahoua, juillet 2018.
123 En ce sens : SAWADOGO (R.A.), l’Etat africain face à la décentralisation, Karthala, 2001,
p. 229, in NZE BEKALE (L.), «la contribution de l’union africaine à l’autonomisation des
gouvernements locaux et autorités locales en Afrique au prisme de la charte africaine des
valeurs de la décentralisation », Note d’Analyse Politique, n°57, p.125.
124 Art. 165, CGCT.
125 Art. 248, CGCT,
126 Art. 312 à 324 du CGCT.
127 Expression du Professeur MEDE Nicaise, in « L’autonomie retenue : études sur la libre

administration des collectivités territoriales en Afrique de l’Ouest Francophone ».


128 En ce sens voir : Haut Conseil des Collectivités Territoriales, rapport national d’évaluation

de la mise en œuvre de la décentralisation au Niger, phase de la communalisation intégrale


2005-2007, Niamey, Mai 2009, 104 pages.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 405

gestion constituera un motif à dissolution, ou à sanction de manière générale,


les garanties politiques étant quasi inexistantes, en tout cas inefficaces. Dans
ces conditions, les garanties du principe de la libre administration des
collectivités territoriales, déjà fragiles, ne peuvent être effectives.
2. L’ineffectivité des garanties
En créant les collectivités territoriales, le législateur les a dotées de
compétences et de ressources diversifiées leur permettant, en théorie, de
pouvoir s’administrer librement. Mais pour que ces entités s’approprient
pleinement et effectivement ces moyens, la loi renvoie très souvent au pouvoir
règlementaire national pour déterminer les conditions de mise en œuvre. Or,
comme démontré précédemment, l’Etat central ne semble pas se soucier du
respect de la volonté du législateur. Pour nous limiter à deux domaines
importants, nous verrons d’abord que l’absence ou l’insuffisance des décrets
d’application relatifs aux compétences et aux ressources des collectivités
décentralisées constitue le premier facteur d’ineffectivité. Nous verrons
ensuite, sur un plan purement financier, que la complexité des relations
financières des collectivités territoriales avec l’Etat ne favorise pas
l’autonomisation de ces dernières.
La libre administration des collectivités territoriales, comme toutes les
libertés, ne peut avoir de sens que si elle peut être exercée en droit et en fait.
Si théoriquement, les collectivités territoriales disposent de compétences et de
ressources très variées129, dans la pratique, ces dernières peinent à s’en
approprier et à les exercer effectivement. L’explication de cette ambivalence
est à rechercher du côté de l’Etat central qui ne respecte pas cette exigence.
En effet, bien qu’il soit inscrit dans la loi, le transfert des compétences ne se
réalise qu’ « à compte-goutte » et seulement après des longues années
d’attente130. Ces réticences concernent en particulier les domaines de
compétences qui sont liés à des transferts de moyens importants. Le législateur
en a identifié dix-neuf (19) et c’est après des longues hésitations que le
gouvernement a décidé de procéder au transfert de compétences dans quatre
domaines131. Le problème est que ces transferts sont souvent effectués sans

129Art. 29, 30, 104, 105,224 à 240 CGCT.


130
C’est seulement sept (7) ans après l’entrée en vigueur du Code Général des Collectivités
Territoriales que le Gouvernement a procédé au lancement officiel du transfert des
compétences et des ressources de l’Etat aux collectivités territoriales dans les quatre (04)
domaines retenus, à savoir : l’Education, la Santé, l’Hydraulique et l’Environnement ,voir
Discours du Premier ministre du 06 septembre 2017 à Niamey, précité.
131Au niveau des communes, il s’agit du Décret n°2016-075/PRN/MISP/D/ACR/

MEP/A/PLN/EC/ MH/A/MESU/DD/MSP/ ME/F/ MEP/T / MFP/RA du 26 janvier 2016


portant transfert des compétences et des ressources de l’Etat aux communes dans les domaines
de l’Education, de la Santé, de l’Hydraulique et de l’Environnement. Au niveau des régions,
c’est le Décret n°2016-076/PRN/MISP/D/ACR/ MEP/A/PLN/EC/ MH/A/MESU/DD/MSP/
ME/F/ MEP/T / MFP/RA du 26 janvier 2016 portant transfert des compétences et des
406 Annales africaines

allocation concomitante de ressources pour permettre aux collectivités


d’exercer effectivement ces compétences. Pour être plus précis, dans le
domaine de l’éducation, beaucoup de communes sont laissées à leur sort. Le
transfert des compétences a été effectué sans mesures d’accompagnement en
termes financiers et d’infrastructures alors que la loi en fait une obligation :
« Les transferts de compétences doivent être accompagnés de transfert
concomitant de ressources… »132.
En observant, l’on constate généralement que les transferts de compétences se
heurtent à l’absence d’une articulation des politiques sectorielles à la sphère
locale comme l’a si bien souligné M. NZE BEKALE lorsqu’il affirme que
dans beaucoup de secteurs, les politiques publiques sont définies et mises en
œuvre depuis les administrations ministérielles, sans tenir compte des
compétences des collectivités locales133. Ces dernières se retrouvent donc
exclues de l’élaboration et la mise en œuvre des politiques sectorielles
(assainissement, eau, éducation, santé, etc.) alors qu’elles ont, au regard de la
loi, des compétences dans ces matières. Les difficultés de transferts de
compétences procèdent aussi en grande partie des résistances logées au sein
des structures centrales de l’Etat. Quand ce ne sont pas les ministères qui
verrouillent, ce sont les sociétés et offices de l’Etat qui gardent le monopole
de certaines compétences134. La conséquence est qu’en raison de ces
difficultés liées au transfert et à l’exercice de compétences, les collectivités
territoriales ne gèrent, en fin de compte, aucun domaine socialement et
économiquement important et ne disposent que d’une autonomie partielle.
Même lorsqu’elles gèrent quelque chose, elles dépendent en grande partie du
pouvoir central et de ses relais territoriaux (Gouverneurs, préfets et services
techniques déconcentrés).
Sur le plan financier, l’ineffectivité des garanties est encore plus prononcée.
En effet, l’autonomie financière qui est proclamée comme une garantie
intrinsèque à la libre administration des collectivités territoriales est battue en
brèche par la complexité des relations financières des collectivités avec l’Etat.
En proclamant que les collectivités territoriales sont dotées de l’autonomie
financière (art. 3 CGCT), le législateur a, en même temps, confié à l’Etat
central les outils nécessaires à la mise en œuvre de cette autonomie. Il s’en
suit que l’autonomie financière consacrée par la loi n’est que l’autonomie
octroyée par le pouvoir règlementaire national. A l’analyse, l’on peut mettre

ressources de l’Etat aux régions, collectivités territoriales, dans les domaines de l’Education,
de la Santé, de l’Hydraulique et de l’Environnement.
132 Art. 159, CGCT.
133 NZE BEKALE (L.), Le principe de libre administration à l’épreuve des collectivités

territoriales d’Afrique francophone, op. cit., p. 134.


134 Ibidem.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 407

en lumière deux facteurs qui concourent à l’ineffectivité de l’autonomie


financière des collectivités territoriales : l’importance du domaine financier
pour l’Etat d’une part, et les insuffisances en termes de capacités techniques
et administratives des organes locaux, d’autre part.
Les opérations financières des collectivités territoriales sont considérées par
le législateur comme « … impliquant l’Etat dans leur exécution ou dans la
prise en charge des conséquences de cette exécution … »135. A cet égard, les
éléments fondamentaux de l’autonomie financière sont déterminés par décret.
Sur le plan strictement budgétaire, l’on constate que de la phase de
l’élaboration à la phase d’exécution du budget local, l’emprise de l’Etat central
est forte. En effet, en plus des contraintes imposées par le législateur en termes
de calendrier de préparation, de principes budgétaires, de dépenses
règlementées, le pouvoir règlementaire national intervient pour règlementer
plusieurs domaines clés136. Le pouvoir budgétaire des collectivités territoriales
qui est censé constituer une garantie137 se révèle finalement ineffectif.
Sur le plan fiscal, l’autonomie des collectivités territoriale est encore plus
hypothétique. Celles-ci sont entièrement passives dans la détermination de ce
qui constitue le substrat de leur autonomie financière138. Au regard du texte
constitutionnel, la matière fiscale est confiée, au législateur en ce qui concerne
la détermination du taux, de l’assiette et des modalités de recouvrement des
impôts de toute nature139. Par ailleurs, les principes constitutionnels d’égalité
et de légalité devant l’impôt ne sont pas de nature à conforter l’idée même
d’un pouvoir fiscal autonome des collectivités locales, c’est-à-dire une
territorialisation de l’impôt. C’est bien dans ce sens qu’il convient
d’appréhender les propos du professeur Loïc PHILIP : « S’il n’est guère
contestable que l’autonomie financière ne peut exister sans un certain pouvoir
budgétaire, cela est moins évident en ce qui concerne le pouvoir fiscal

135 Exposé des motifs, Ordonnance portant Code Général des Collectivités Territoriales de la
République du Niger.
136 C’est un décret pris en Conseil des ministres qui fixe les modalités de fonctionnement du

fonds d’appui à la décentralisation (article 225, al.2, CGCT) ; les modalités d’alimentation et
de gestion du fond d’appui à la décentralisation (art. 226 CGCT) ; les conditions dans lesquelles
les collectivités territoriales peuvent contracter des emprunts (art. 238, al.2 CGCT) et les
modalités d’exécution des opérations de recettes, de dépenses, de trésorerie, d’établissement
des comptes et de la comptabilité matières (art. 280, al.2 CGCT).
137 PHILIP (L.), «L’autonomie financière des collectivités territoriales », Cahier du Conseil

constitutionnel, n°12, mai 2002, http://www.conseil –constitutionnel.fr, cité par KPEDU


(Y.A.), « La question de l’autonomie financière des collectivités locales en Afrique »,
http://afrilex.u-bordeaux4.fr/la-question-de-l-autonomie.html, consulté le 23 juillet 2019.
138 YATTA (F.), « Les ressources financières des collectivités locales en Afrique de l’Ouest et

de l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement : cas de l’UEMOA », p. 32, in


NZE BEKALE (L.), op.cit.,p. 141.
139 Art. 90, Constitution du 25 novembre 2010.
408 Annales africaines

local »140. Au-delà de ces limites originelles, l’ineffectivité du pouvoir fiscal


des collectivités territoriales résulte de deux autres facteurs. D’abord, il faut
reconnaître que les informations sur les ressources fiscales locales (ressources
propres et ressources partagées) sont détenues par les services de l’Etat, au
détriment des services des collectivités. Mais, pourrait-il en être autrement,
étant entendu que la plupart de ces services n’ont aucune maitrise de ces
questions ? Ensuite, et c’est la conséquence du premier facteur, l’exécution
des opérations d’encaissement et de décaissement est confiée à un comptable
public issu de l’Etat central. Sur ce plan, il s’agit plutôt d’une régression, car
sous le régime de la loi n°2002-12, le comptable public est nommé par les
organes décentralisés141.
Les facteurs limitant l’effectivité de la libre administration tiennent également
à l’insuffisance criarde des capacités administratives et techniques des
collectivités territoriales. Pour rester dans le domaine financier, cette
insuffisance impacte notamment l’élaboration et l’exécution du budget. En
matière d’élaboration du budget local, très peu de collectivités locales arrivent
à respecter le calendrier budgétaire tel que prévue par le CGCT142. A cela
s’ajoute la faible capacité financière des communes à assurer une bonne tenue
des sessions budgétaires avec toutes les charges que cela implique notamment
la prise en charge des conseillers, la restauration, la production des documents,
etc. La difficulté majeure ici est que les collectivités ne disposent pas de
ressources humaines qualifiées qui soient à même de conduire techniquement
le processus d’élaboration du budget. Mais, à ce niveau, l’espoir d’une
amélioration est permis avec l’adoption de loi n°2019-26 du 17 juin 2019
portant statut autonome du personnel des collectivités territoriales, dont … En
matière d’exécution du budget, les contraintes tiennent essentiellement au
contrôle du représentant de l’Etat dont les observation peuvent créer des
difficultés aux commune rurales pour les intégrer, ainsi qu’ à la rareté des
dotations étatiques. Dans un tel contexte, l’autonomie financière des
collectivités territoriales apparaît plus fictive que réelle.
Cette situation n’est que l’une des manifestations de l’insuffisante application
du principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger.
B/ Les manifestations de l’entrave
Au regard des insuffisances relevées supra et dont la plupart tiennent à
l’ordonnance n°2010-54, l’on peut légitimement se demander si l’on peut
gouverner dans un Etat de droit avec les instruments d’un Etat d’exception ?
À l’épreuve des faits, la réponse à cette question ne peut être que négative.

140 PHILIP (L.), « Le pouvoir fiscal local bénéficie-t-il d’une protection constitutionnelle ? »,
Pouvoir locaux, n°46, sept. 2000, in KPEDU (Y.A.), op.cit., p.12.
141 Art.22, al.2.
142 Art. 212-213, CGCT.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 409

Bien au-delà de cette Ordonnance, tout le cadre juridique relatif à la libre


administration des collectivités territoriales est perfectible, notamment en vue
d’une meilleure application. Parce que les garanties applicables au principe ne
sont pas suffisantes, sa mise en œuvre est contrariée d’abord par la révision
intempestive des textes (1) et ensuite la généralisation des Délégations
spéciales (2).
1. La révision intempestive des textes
Dans l’exposé des motifs de l’Ordonnance portant Code Général des
Collectivités territoriales, le législateur a exprimé sa volonté de
« renforcer », « harmoniser », et donc de stabiliser le cadre juridique de la
décentralisation. L’intention est clairement manifestée. La volonté doit
suivre. On peut cependant constater que plusieurs années après l’entrée en
vigueur de ce texte, l’objectif d’ « harmonisation » et de stabilisation est
encore à atteindre. En effet, les interventions règlementaires se succèdent et
touchent d’innombrables domaines. En plus de vouloir tout contrôler, l’Etat
veut corriger, par une «législation- règlementation de rattrapage » un cadre
juridique « lacunaire né ». Le but ici est de démontrer que l’instabilité des
textes, en tant qu’elle crée une incertitude juridique pour les collectivités
territoriales, contribue à entraver l’application de la libre administration.

De manière générale et d’un point de vue historique, l’une des caractéristiques


principales du cadre juridique relatif à la décentralisation au Niger, réside dans
l’instabilité des textes. Déjà, au sortir de la conférence nationale de 1991 et
jusqu’ à la tenue des premières élections locales du 24 juillet 2004, le cadre
juridique a été en permanence révisé. En 1994, le législateur a adopté deux
lois cadres143 qui ont posé le fondement de la décentralisation dans le contexte
d’ouverture politique. Ces deux textes vont rapidement être dépassés en raison
notamment de l’environnement politique assez mouvementé qui n’était pas
favorable à leur application. Les premières élections locales multipartites
organisées en 1999, sur la base desdits textes avaient donc débouché sur un
coup d’Etat militaire. Convaincu, volontairement ou non, du rôle des
collectivités territoriales dans la mise en œuvre des politiques publiques, l’Eta
nigérien va initier un nouveau « moule juridique » pour la libre administration.

143 Lois n°94-29 du 21 octobre 1994 déterminant le régime de tutelle applicable aux
arrondissements et aux communes n°94-28 du 21 octobre 1994 déterminant les principes
fondamentaux de la libre administration des arrondissements et des communes, ainsi que leurs
compétences et leurs ressources.
410 Annales africaines

Pour ce faire, le législateur adopte deux principaux textes144 qui ont


considérablement amélioré le cadre juridique de la décentralisation au Niger.
Apres voir permis l’organisation satisfaisante des premières élections
locales145, la loi n°2002-12 a donné un nouveau souffle aux libertés locales à
deux niveaux : suppression du contrôle a priori sur les actes des autorités
décentralisées et généralisation de l’élection pour la désignation des organes
des collectivités territoriales. Mais, cette période glorieuse du processus
décentralisateur va, à son tour, être remise en cause par le coup d’Etat militaire
du 18 février 2010, qui aboutira à l’adoption du CGCT146.

Le Code qui a été présenté comme le résultat consolidé des « différentes


relectures des textes de base…», «l’aboutissement d’un long processus de
réflexions des acteurs étatiques »147, n’a pas non plus échappé aussi à la
dynamique révisionniste. Hélas, « il est tentant, quand on n’a comme seul outil
un marteau, de tout traiter comme un clou »148. En effet, depuis son entrée en
vigueur, cette ordonnance a subi diverses modifications touchant à des
domaines différents. Mais, le domaine qui a mobilisé le plus d’interventions
de la part de l’Etat, c’est le mandat des conseils élus. Ne « voulant pas »149
renouveler le mandat de ces conseils, ou « dans l’incapacité » de le faire selon
la thèse officielle, le Code a été révisé pour trouver l’échappatoire, quelques
semaines avant que des nouvelles élections locales ne s’imposent à l’Etat. Par
la loi n°2016-31 du 08 octobre 2016, modifiant l’Ordonnance n° 2010-54
portant Code Général des Collectivités Territoriales, plusieurs nouvelles
dispositions ont été introduites dans le Code afin de repousser les échéances

144 lois n°2001-23 du 1er aout 2001 portant création de circonscriptions administratives et des
collectivités territoriales et n° 2002-12 du 11 juin 2002 déterminant les principes fondamentaux
de la libre administration des régions, des départements et des communes ainsi que leurs
compétences et leurs ressources.
145 Les élections locales du 24 juillet 2004 ont permis d’élire 3747 conseillers dont 663 femmes.

Les organes délibérants élus à la tête des nouvelles entités ont été officiellement installés au
courant du 1er trimestre de l’année 2005 : SALIFOU (M.), historique de la décentralisation au
Niger, Direction de la coopération décentralisée et du développement local, Niamey, 2008, pp.
12-15.
146 Sur un registre purement comparatif, le Code remet en cause les avancées acquises sous le

régime de la loi 2002-12 en réintroduisant notamment le contrôle a priori des actes des organes
locaux.
147 Expression tirée de l’exposé des motifs de l’Ordonnance portant CGCT.
148 MASLOW (A.), The psychology of science: à reconnaissance, New York, Harper and Row,

1966, p. 15-16, cité par LAMBERT (A.), op.cit., p. 129.


149 A notre humble avis, avec une certaine volonté politique, le Gouvernement est tout à fait en

mesure d’organiser les élections locales en vue de renouveler les mandats des conseils élus. Les
mêmes efforts qui ont été consentis pour organiser les élections législatives et présidentielles
auraient dû être faits pour les organiser.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 411

électorales locales. Ces dispositions appellent plusieurs commentaires de


notre part. D’abord, la seule condition posée pour ne pas renouveler les
« conseils élus » est « l’hypothèse de nécessité »: « (…) En cas de nécessité,
ce mandat peut être prorogé de six (6) mois renouvelable par décret pris en
conseil des ministres… » 150. Or, le terme nécessité 151 n’est pas défini par la
loi, expression de la volonté générale. Il est exclusivement apprécié du point
de vue du pouvoir réglementaire. Ainsi, pratiquement depuis cinq (5) ans, les
conseils élus des collectivités sont soustraits à l’investiture populaire et ne
doivent leur existence qu’à un décret pris, tous les six mois, en conseil des
ministres152. Certains diraient que c’est, encore, une dérobade du législateur.

Ces révisions répétitives prouvent à l’évidence que l’Etat n’a pas encore
trouvé les repères du système de décentralisation qui convient au corps social
nigérien. Il en découle qu’aujourd’hui, le cadre juridique relatif à la libre
administration des collectivités territoriales n’offre aucune garantie de
stabilité. Car, s’il faut ajouter à ces différents retournements, l’interprétation
divergente des textes entre l’administration étatique et les autorités
décentralisées, ce sont les germes d’une tension permanente que le droit
engendre. A court terme, cette instabilité des règles applicables à la
décentralisation crée un climat d’insécurité juridique pour les citoyens. En
effet, comme l’a écrit M. FAURE, le droit perdrait sa valeur libérale, ne
serait plus qu’une étiquette formelle, si les personnes n’avaient plus de
certitude sur ce qu’il autorise, impose ou défend153. Or, pour que la libre
administration puisse produire des meilleurs résultats, une stabilité des textes
est indispensable, dans le sens où elle protègerait les acteurs face aux
retournements du pouvoir de l’Etat. A long terme, l’instabilité des textes ne
favorise même pas une collaboration des populations à la réforme de l’Etat.
Elle provoquerait selon M. OUATTARA le rejet de l’Etat par les
populations154. En tout cas, la pratique généralisée du recours au système de

150 Art. 23, CGCT, pour la commune ; art. 98, CGCT pour la région.
151 Selon le lexique des termes juridiques, le terme « nécessité » renvoie à l’idée d’ »urgence ».
Et, l’urgence réside dans ce qui est relativement imprévisible. Or, il n y a rien d’imprévisible
dans le renouvellement du mandat des conseils élus, étant entendu que la durée de ce mandat
est préalablement fixée par le législateur, à 5 ans.
152 Le dernier est intervenu le 19 juin 2019.
153 FAURE B. op.cit., p. 68.
154 OUATTARA (S.), Gouvernances et libertés locales. Pour une renaissance de l’Afrique,

Paris, L’Harmattan, 2007, p.212, cité par NZE BEKALE (L.), op.cit., p.122.
412 Annales africaines

délégation spéciale au Niger est de nature à engendrer une désaffection vis-à-


vis de la décentralisation.

2. La généralisation des délégations spéciales de


tendance permanente
En matière de décentralisation, le principe des délégations spéciales est conçu
pour assurer la continuité des services publics, lorsqu’il n’y a plus de « conseil
élu »155. C’est dans ce sens que M. MALOT définit ce procédé comme « une
administration provisoire gérant les affaires de la commune lorsque les
pouvoirs de décision ne peuvent plus fonctionner »156. En tant qu’elle constitue
une instance à vocation provisoire et précaire, la délégation spéciale ne doit
exercer que des attributions limitées. A cet égard et sur un registre comparatif,
le législateur français précise que ses «…pouvoirs sont limités aux actes de
pure administration conservatoire et urgente...»157. Dans la même
perspective, le législateur nigérien, dans la première version du CGCT, a
limité ses compétences aux actes de pure administration et à une durée de six
(6) mois158. A tous égards, elle n’a pas vocation à être permanente. Or, telle
qu’elle est organisée par le législateur à l’issue des différentes révisions du
CGCT, la délégation spéciale fonctionnera dans les mêmes conditions, aussi
bien en termes de durée que d’attributions, qu’un conseil élu, ce qui remet en
cause le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités
territoriales.
Le caractère fondamentalement et nécessairement provisoire des délégations
spéciales va être abandonné par une ordonnance en date du 09 février 2018 où
le législateur pose le principe que : « Lorsque les circonstances ne permettent
pas l’organisation de la consultation électorale en vue du renouvellement du
conseil dissous…la durée des pouvoirs de la Délégation spéciale est prorogée
de six (6) mois renouvelable par décret pris en conseil des Ministres sans que
le total cumulé des prorogations ne dépasse la durée du mandat du conseil
municipal ou régional. Dans ces conditions… la Délégation Spéciale exerce

155 Article 178, CGCT: « en cas de dissolution du conseil municipal ou régional, de démission
de tous ses membres, (…), une Délégation spéciale est désignée pour en remplir les
fonctions…».
156 Malot (Ch.), La délégation spéciale dans les collectivités territoriales françaises,

Saarbrücken éd. universitaires européennes, 2017, p.10.


157Article L2121-38, CGCT.
158 Selon l’article 7 du décret d’application de cette version du CGCT, « la durée de la

délégation spéciale est de six(6) mois à compter de la date de signature de l’arrêté portant
nomination de ses membres. Toutefois lorsque les circonstances l’exigent, elle peut être
prorogée une seule fois, pour une période de six(6) mois, par arrêté du ministre chargé de la
tutelle des Collectivités Territoriales ».
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 413

la plénitude des attributions du conseil municipal ou régional »159. Au regard


de ces dispositions, la « Délégation spéciale » change désormais de statut.
« L’exception » devient la règle, de sorte que non seulement, la délégation
spéciale acquiert un statut permanent, en plus du risque de généralisation.
Dans cette logique, le décret160 qui encadrait administrativement le mécanisme
de la délégation spéciale de façon à sauvegarder l’intérêt de la collectivité, et
qui est conforme à la première version du CGCT, a été purement et
simplement abrogé. Pour l’essentiel, cette nouvelle règlementation pose deux
problèmes juridiques : tel qu’organisé aujourd’hui, le mécanisme de la
Délégation spéciale est tout à fait contraire à la lettre de l’article 164. 2 de la
constitution d’une part, et crée une rupture entre les dirigeants locaux et le
corps social, d’autre part.

En disposant que « les collectivités territoriales s’administrent librement par


des conseils élus », le texte constitutionnel indique clairement que la libre
administration est incompatible avec le système de conseils nommés. Le
constituant laisse ainsi comprendre que les entités décentralisées ne doivent
être gérées que par des personnes désignées démocratiquement au niveau
local. Même lorsqu’il est amené à déterminer les principes fondamentaux de
la libre administration, le législateur ne peut méconnaitre cette exigence. Or,
l’Ordonnance modificative de 2018 à travers la disposition précitée crée les
conditions d’une gestion des collectivités territoriales par des agents nommés,
à travers les Délégations spéciales à statut permanent. Il suffira que le
Gouvernement, qui dispose exclusivement du pouvoir d’appréciation à cet
égard, estime que tel ou tel conseil municipal ou régional ne peut plus
fonctionner, pour qu’une Délégation spéciale soit nommée. Et, lorsqu’elle est
installée, cette instance exercera pleinement les pouvoirs d’un conseil élu et
ce jusqu’à la fin du mandat. C’est cette pratique qu’une certaine doctrine
considère comme « propre aux régimes d’exceptions »161 qui a tendance à se
généraliser162. Le risque est qu’avec les « délégations spéciales à statut

159 Art. 180, al. 2, Ordonnance n° 2018-01 du 09 février 2018, modifiant et complétant
l’ordonnance n° 2010-54 du 17 septembre 2010, portant Code général des collectivités
territoriales du Niger. Cette Ordonnance a été ratifiée par la loi n° 2018-11.
160 Décret n°2012-582/PRN/MISPD/AR du 28 décembre 2012, fixant les conditions de

nomination des membres des délégations spéciales des collectivités territoriales


161 En ce sens : Hubert Ouédraogo (M. G), « Décentralisation et pouvoirs traditionnels : le

paradoxe des légitimités locales », Mondes en développement 2006/1 (n°133), p. 9-29.


162 Depuis l’entrée en vigueur de l’Ordonnance de 2018 et même avant, plusieurs délégations

spéciales ont été nommées à la tête des collectivités territoriales. À titre d’illustrations, on peut
citer les cas de la Ville de Niamey (Conseil des ministres du 17 aout 2017) ; de la Ville Maradi
(Décret n° 2018-778/PRN/MISPD/ACR du 02 novembre 2018) et, tout récemment d’Agadez
(Conseil des Ministres du 20 septembre 2019). D’autres collectivités de niveau intermédiaire
(communes urbaines notamment) sont également dirigées par des Délégations spéciales :
communes urbaines de BILMA, de DAKORO, de FILINGUE, de TESKER, de N’ GOURTI,
etc.
414 Annales africaines

permanent », c’est le centralisme de l’Etat qui se renforce et aboutit à une


fragilisation continue du principe de libre administration.

Deuxièmement, le caractère permanent et de plus en plus généralisé des


délégations spéciales crée une rupture politique entre les organes dirigeants
des collectivités territoriales et les populations. Dans l’esprit du constituant,
l’affirmation d’un conseil élu traduit l’appropriation du pouvoir par les
citoyens à l’échelon local. Il a ainsi entendu établir un lien juridique et
politique entre les citoyens et leurs organes dirigeants. Dans cet ordre d’idée,
la doctrine considère que les collectivités territoriales ayant une vocation
représentative, cette consécration permet de les placer sous l’investiture et le
contrôle de la masse des citoyens locaux. Or, les membres des délégations
spéciales, étant désignés par l’Etat central, ne représentent aux yeux des
habitants locaux aucune légitimité démocratique. Dans certains cas, on va
jusqu’à les considérer comme des étrangers163 ne méritant pas de gérer les
affaires de leurs communes. En plus du problème de légitimité qu’il pose, le
mécanisme de délégations spéciales est politiquement instrumentalisé164 de
sorte que l’indispensable organisation des collectivités en personne morale
distincte de l’Etat est remise en cause. Il est donc nécessaire, pour que le
principe de libre administration soit respecté, que les organes dirigeants ne
soient pas soustraits de l’investiture populaire pendant longtemps. Mais, à la
décharge de l’Etat central, il faut reconnaître que de nombreux élus locaux
sont perçus par les populations elles-mêmes comme des « corrompus »165.
D’ailleurs, la majorité des élus révoqués l’ont été pour cette raison, ou plus
globalement, pour mauvaise gestion.

163 Le concept d’étranger est utilisé ici en termes de « local » et non « national ». À ce titre, un
ancien élu, rencontré à Niamey au cours de nos recherches, s’interrogea au sujet des Délégations
spéciales : « comment des étrangers pourraient-ils gérer efficacement des affaires d’une
commune qu’ils ne connaissent pas… ? ».
164 ABDOU SADOU (S.), « Comment le mécanisme de la délégation spéciale a été dévoyé » :

http://www.tamtaminfo.com/comment-le-mecanisme-de-la-delegation-speciale-a-ete-devoye/,
consulté le 25 aout 2019.
165 MOUMOUNI (A.) et SEYNI AMADOU (T.), « les milieux d’affaires et politiques vus

comme le siège d’une corruption croissante au Niger », Dépêche n° 313, Afro baromètre. A
l’issue de l’enquête, 6% des nigériens estiment que « tous les élus locaux sont corrompus » ;
18% estiment que « la plupart d’entre eux sont corrompus » et 48% pensent que « certains
d’entre eux » seulement sont corrompus, p.2.
« Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger » 415

Conclusion
Plus de cinquante (50) ans après la première consécration du principe de libre
administration des collectivités territoriales dans une loi fondamentale, l’état
des libertés locales n’est pas encore à la hauteur de l’espoir suscité. Revêtue
d’une remarquable connotation politique, la libre administration des
collectivités territoriales fonde le droit pour que les collectivités territoriales
soient une réalité juridique avec une autonomie de décision effective. Malgré
les différents actes posés, la libre administration n’a pas encore trouvé ses
repères. L’impréparation des élus à gérer les affaires locales, l’effet pernicieux
du phénomène majoritaire, le retard ou la négligence dans le transfert des
compétences et des ressources financières à l’échelon local ont contribué à
entraver sérieusement l’essor de cette garantie de libre gestion que les
différentes options constitutionnelles ont régulièrement consacrée.
Dans ces conditions, peut-on légitimement s’attendre, dans l’avenir, à un
renouveau de la libre administration des collectivités territoriales, et donc de
tout le système de la décentralisation ? Dans l’immédiat, il n’est pas prudent
de donner une réponse précise et tranchée à cette question. Il est néanmoins
possible d’affirmer que l’espoir demeure, pour deux raisons. D’abord, sur le
plan juridique, deux évènements récents fondent cet espoir. Le premier est
relatif à l’adoption de la loi n°2019-26 du 17 juin 2019 portant statut autonome
du personnel des Collectivités Territoriales. À travers ce texte, c’est peut être
une future fonction publique territoriale dotée de moyens juridiques et
humains qui est en gestation. Sa concrétisation sera une avancée considérable.
Le second concerne la ratification par l’Etat du Niger de la Charte africaine
des valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale du
développement local adoptée le 27 juin 2014 à Malabo. Cette Charte
contribuera à donner une dimension communautaire à la décentralisation avec
l’effet juridique qui en découle.
Ensuite avec les élections générales, y compris locales, de 2021, le principe
de la libre administration des collectivités territoriales retrouvera toute sa
signification constitutionnelle. Ainsi, la pratique des délégations spéciales
cessera, les collectivités territoriales pourront à nouveau retrouver leurs
conseils élus avec des membres élus. L’avènement d’un nouveau droit de la
décentralisation au Niger est peut-être proche.

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