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Raphaël Spina
Dans Revue Défense Nationale 2020/10 (N° 835), pages 127 à 128
Éditions Comité d’études de Défense Nationale
ISSN 2105-7508
ISBN 9782492088018
DOI 10.3917/rdna.835.0127
© Comité d?études de Défense Nationale | Téléchargé le 28/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 86.247.15.192)
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camarade ou supérieur tombé. Leurs succès sur des fronts immenses et lointains les
convainquent qu’ils forment la meilleure armée du monde. Le lecteur les suit dans le
ciel ou sous l’océan, dans la canicule du désert comme dans la boue et le gel de Russie,
sur les sentiers rocailleux de haute montagne ou retranchés derrière des lignes fortifiées.
Il les voit aussi profiter d’une occupation plutôt aisée en Europe occidentale, très vio-
lente à l’Est. À partir de fin 1941, l’adversaire est fréquemment quatre, sept voire dix
fois supérieur en nombre et en matériel ; mais jusqu’à sa défaite tardive, la Wehrmacht
sait encore contre-attaquer, faire retraite en bon ordre ou infliger à l’ennemi des pertes
bien supérieures aux siennes, pourtant colossales.
Pour autant, points faibles et carences ne manquent jamais. La logistique est souvent
défaillante. Le Génie allemand ne vaut pas l’occidental. Le renseignement est médiocre
au possible. Les tanks sont de qualité inférieure avant 1943, l’armée sous-motorisée et
à 80 % hippomobile. L’aviation n’est pas conçue pour une guerre longue. La flotte de
surface est un parent pauvre, les U-Boats trop peu nombreux, leurs torpilles défec-
tueuses. Au fil du temps, l’usure des effectifs et des équipements devient irréparable,
l’instruction est bâclée, le manque de carburant paralyse. Et la Wehrmacht ne ploie pas,
que sous le nombre : l’historiographie récente réhabilite les qualités manœuvrières de
l’Armée rouge. La Waffen-SS n’est en rien la troupe d’élite qu’une littérature nostal-
gique a fait croire. Et le mythe de la « Wehrmacht aux mains propres » est bien ébranlé
depuis les années 1990 : endoctrinés ou non, chefs et soldats partagent avec les nazis
bien des valeurs racistes et antisémites. Ils sont au mieux indifférents ou complaisants,
au pire compromis activement dans de très nombreux pillages, crimes de guerre et
crimes contre l’humanité, Shoah incluse. La seule mort de 3,3 des 5,7 millions de pri-
sonniers soviétiques est de l’entière responsabilité de l’armée.
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Sur 3 500 généraux, seule une vingtaine sympathise avec le complot du 20 juillet 1944.
Désertions et révoltes sont rares, et pas que par peur de la cour martiale. La foi dans le
génie du Führer reste intacte jusqu’à très tard, comme la conviction de mener une
guerre juste, patriotique et défensive. Malgré l’adage, ce sont les vaincus qui ont écrit
l’histoire de l’armée allemande – avec la complaisance des vainqueurs occidentaux, res-
pectueux d’un adversaire coriace, et soucieux de recycler ses cadres dans la Bundeswehr.
Si le cinéma ridiculise souvent le soldat allemand, la Wehrmacht fascine durablement via
une masse de livres, jeux vidéo, jouets ou collections. Il faut la fin du XXe siècle pour sai-
sir qu’une armée au service d’une entreprise criminelle ne peut avoir évité le déshonneur.
Raphaël Spina
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