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DÉFENDRE

LES TERRITOIRES :
QUELS NOUVEAUX
DÉFIS POUR LA DÉFENSE
O P É R AT I O N N E L L E
DES TERRITOIRES

MBA spécialisé « Management de la sécurité »

Actes du colloque
22 novembre 2022

EOGN
ÉCOLE DES OFFICIERS DE LA GENDARMERIE NATIONALE

Des chefs pr e dénse et e sécurité


SOMMAIRE
I - OUVERTURE DU COLLOQUE, par le général d’armée Christian Rodriguez, p. 4
directeur général de la gendarmerie nationale

II - INTRODUCTION DES TRAVAUX, par le Professeur Alain Bauer p. 12

III - PREMIÈRE TABLE RONDE : L’action des forces p. 18


dirigée par le Professeur Pascal Chaigneau

IV - SECONDE TABLE RONDE : L


 ’action des collectivités territoriales p. 30
dirigée par le Professeur Véronique Chanut

V - TROISIÈME TABLE RONDE : L’action des entreprises p. 38


dirigée par le Professeur Xavier Latour

VI - CONCLUSION DU COLLOQUE, par Monsieur Geoffroy Roux de Bézieux, p. 50


président du mouvement
des entreprises de France (MEDEF)

Le colloque est animé par Monsieur Charles-Edouard Bith.

Les opinions exprimées dans ce document n’engagent que leur auteur.

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Général d’armée Christian Rodriguez,
Directeur général de la Gendarmerie Nationale

Je suis très heureux d’être là, c’est à chaque fois un vrai plaisir ! J’ai encore à l’esprit le
colloque de l’année dernière dont je garde un excellent souvenir. Cette année, je suis
d’autant plus heureux que vous avez choisi un thème qui, sur le papier, me renvoie à mes
I - OUVERTURE DU COLLOQUE années de jeune gendarme ! Nonobstant ce petit accès de nostalgie, le sujet est pile dans
l’actualité et il était en réalité difficile de faire plus pertinent.

Je tiens à remercier les organisateurs, l’EOGN et le département MBA. Merci à vous, cher
Patrick, cher Alexis, cher Rémy ! Merci à l’École militaire qui nous accueille. A l’ensemble
des enseignants et aux directeurs de chaires qui font vivre le MBA. Merci à tous nos
partenaires et soutiens, sans lesquels rien ne serait possible. Je pense notamment à l’Uni-
versité Paris-Panthéon-Assas, à HEC et au CNAM. Merci également à tous les intervenants
et participants, à tous ceux – élus, directeurs sûreté – qui nous accompagnent et se sont
investis dans le colloque. Bien sûr, je remercie tout particulièrement les 38 auditeurs de
la 9e promotion et ceux des promotions précédentes pour leur confiance, leur amitié et
leur fidélité !

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je veux dire un mot sur le MBA et l’état d’esprit dans
lequel nous le faisons évoluer. Un État fort ne cultive pas le splendide isolement : il travaille
et échange constamment avec les acteurs de la société. Il dialogue avec les forces vives de
la Nation, il tire profit de leur expérience et partage en retour la sienne propre. Ce constat
est aussi valable en matière de sécurité intérieure. C’est là pour moi une conviction forte :
on ne protège pas les citoyens sans eux, encore moins contre eux. On les protège pour et
AVEC eux. Derrière, il y a une notion essentielle, celle du lien Armée-Nation, en l’occurrence
du lien Gendarmerie-Nation. Chez nous, le MBA en est l’une des traductions concrètes
et de haut niveau. Grâce à son ouverture, assumée et revendiquée, et à la qualité de ses
auditeurs externes, qu’ils viennent du secteur privé, du secteur public ou bien même de
l’étranger. Grâce aussi, bien sûr, au talent de nos officiers, que je salue.

Nous ne pouvons plus raisonner en silo, c’est une certitude. Et, demain, cela sera encore
plus vrai qu’aujourd’hui. Face à des enjeux toujours plus complexes, nous ressentons le

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besoin d’une réflexion et d’un travail collectifs, le attaques de réseaux Internet enterrés qui ont privé
besoin de développer une vision stratégique et une des dizaines, voire des centaines, de milliers de gens
culture professionnelle qui nous soient communes. d’Internet pendant un temps donné. Aujourd’hui, si la
Le MBA est résolument un espace de formation, de téléphonie mobile ou Internet ne fonctionnent plus,
transmission, d’échange et de dialogue sur les enjeux beaucoup de choses s’arrêtent. On se dit qu’il serait
de sécurité transverses auxquels nous somme tous intéressant de regarder d’où partent et où arrivent
confrontés, dans nos fonctions et métiers respectifs. les gros câbles sous-marins. C’est un exemple, il y
Je songe notamment au cyber et au numérique, à la en a d’autres, et je pense que vous allez en évoquer
transformation environnementale, aux bouleverse- plusieurs lors du colloque.
ments géopolitiques tels que la guerre en Ukraine
et ses conséquences énergétiques et économiques, Bref, depuis quelques années, nous sommes entrés de
etc. Notre MBA est donc unique en son genre. C’est plain-pied dans l’ère des chocs et le temps des crises.
aussi ce qui me rend très fier d’être parmi vous De sérieuses menaces apparaissent ou réapparaissent
aujourd’hui ! pour la stabilité du pays et la cohésion de la Nation.
Les crises ne se succèdent plus seulement les unes
J’en viens au sujet qui nous occupe : la défense aux autres – elles se superposent, s’enchevêtrent, se
opérationnelle des territoires, les nouveaux défis nourrissent les unes des autres. Ce qui n’est pas sans
de la DOT, ce qui me permettra aussi d’aborder poser bien des questions en termes de résilience.
le caractère militaire absolument fondamental de Bien évidemment, l’attaque russe contre l’Ukraine a
notre Institution. Je le disais à l’instant : c’est là un renforcé encore davantage ce constat et, par consé-
sujet particulièrement pertinent. L’actualité vient de quent, la nécessité d’y apporter une réponse efficace.
nous rappeler beaucoup de choses que l’on pensait Le 24 février 2022, quand la donne géopolitique a
définitivement révolues... J’appartiens à cette géné- été une nouvelle fois bouleversée, cela faisait déjà
ration d’officiers qui, à Saint-Cyr, a encore connu plusieurs années que la Défense opérationnelle
Berlin à l’époque du Mur. J’étais alors stagiaire en du territoire, la fameuse DOT, avait officiellement
régiment en sortie de Saint-Cyr, et nous étions là pour quitté nos réflexions. Nous n’en parlions plus, tout
permettre aux Français de s’échapper par l’aéroport simplement. Avant même le 24 février, l’armée de
de Tegel, à Berlin-Ouest, en cas d’intervention de Terre a été la première à reprendre le flambeau et
l’ennemi. C’était comme dans le film de Spielberg, relancer la réflexion. Nous nous sommes alors dit
Le Pont des espions, ou comme dans un roman de qu’il serait intéressant d’y prêter attention, car le
John le Carré. Et puis, après la chute du Mur et celle principal champ d’action de la Gendarmerie, c’est
de l’URSS, on s’est dit que « tout ça » était terminé, le territoire national, en métropole et en outre-mer.
emporté avec la fin du mode bipolaire, et qu’on allait Nous nous sommes donc associés aux exercices
enfin toucher « les dividendes de la paix », selon engagés par l’armée de Terre.
la formule consacrée. Comment imaginer que des
chars puissent à nouveau traverser une frontière ? La première intention était de renforcer notre mili-
Comment serait-ce encore possible, du moins en tarité, dimension essentielle que nous partageons
Europe ? Et finalement, c’est ce à quoi nous avons avec les Armées et qui constitue un atout majeur face
assisté en février dernier, en Ukraine… à des situations de plus en plus difficiles. Chaque
nuit, il faut en avoir conscience, des gendarmes se
Brutalement et très concrètement, nous avons font tirer dessus. Nous avons régulièrement des
été renvoyés aux réflexions qui nous mobilisaient blessés, voire des morts. Les violences augmen-
dans les années 80, notamment sur la défense et tent. Et puis, nous sommes aussi engagés sur des
la protection du territoire national. Sommes-nous théâtres étrangers compliqués. Nous l’avons été
correctement armés ? Sommes-nous suffisamment dans les Balkans, en Afghanistan, nous le sommes
vigilants ? Avons-nous bien en tête tout ce qui pour- en Afrique – par exemple au Burkina Faso. Nous le
rait se produire, toutes les options susceptibles de sommes aussi en Ukraine. Dans les zones hostiles,
se présenter ? Voilà les questions qui se posent à ce sont les gendarmes que l’on projette aux côtés ou
nouveau. J’ajoute un phénomène récent, celui des même sans les Armées. Par conséquent, il n’est pas

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envisageable de constater la montée des menaces le dispositif m’a assuré au téléphone : « ne vous reconquérir. La militarité est un atout fondamental était urgent d’accélérer la manœuvre. Le renforce-
et le durcissement des adversités sans prendre des inquiétez pas, tout va bien ! », alors que j’entendais pour répondre aux chocs et aux crises que nous ment des PSIG a constitué une première réponse
mesures pour permettre à nos gendarmes de mieux les obus voler et tomber derrière lui. Rejoindre la vivons aujourd’hui. Le statut militaire, les obligations au meurtre de trois de nos gendarmes à Saint-Just,
y faire face. Moldavie, puis revenir vers la frontière polonaise qu’il implique, la hiérarchie claire et transparente, fin décembre 2020, dans un tout petit village au
pour rentrer à Kiev peu de temps après : la mission la discipline, l’obéissance et surtout le primat du milieu du Puy-de-Dôme. Un survivaliste surarmé
C’est la raison pour laquelle les Pelotons de a été difficile, mais elle a été parfaitement menée collectif, le sens de la cohésion, l’esprit de corps menaçait sa compagne et cherchait clairement à se
Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie par le GIGN. et la fraternité d’armes... Tous ces éléments sont faire tuer par des gendarmes. Il a tué pour se faire
(PSIG) bénéficient désormais d’une formation spé- constitutifs de notre état militaire, ils sont pour tuer. Il a tué trois de nos camarades. Et il avait l’in-
cifique délivrée par l’armée de Terre. La prochaine La deuxième phase a été mise en œuvre après la nous autant d’évidences. Nous venons d’ailleurs tention d’en tuer encore davantage : il avait piégé
étape consiste à former nos escadrons à refaire du découverte des charniers à Boutcha et Izioum. Nous de publier le livret intitulé « Soldats de la Loi » qui le véhicule dans lequel il s’est suicidé pour que le
combat, comme nous le faisions à l’époque où ils avons été projetés sur zone dans le cadre d’une présente et conceptualise le caractère militaire de gendarme ouvrant la portière passager prenne une
étaient engagés au Kosovo, en Afghanistan, en Irak coopération judiciaire internationale avec les ser- la Gendarmerie. Je pense que le MBA vous en pro- décharge de fusil à canon scié. Comme les gen-
ou au Liban. Il n’est pas impossible que, demain, vices de la Procureure générale ukrainienne, puis de curera des exemplaires. En tout cas, je vous invite darmes qui sont intervenus ont fait preuve d’une
ils soient en effet projetés en Ukraine ou ailleurs. son successeur. Cette fois, ce sont des gendarmes à le lire ! On y trouve matière à réflexion. extrême vigilance, nous avons évité un mort de plus.
Nous devons nous y préparer dès maintenant. Par scientifiques de l’IRCGN, spécialistes des reconsti-
Des individus de ce type, nous en avons de plus en
ailleurs, nous allons être dotés de nouveaux moyens tutions de scènes de crime, qui ont été mobilisés Un mot plus développé sur l’enjeu de la réactivité et de
plus, un peu partout sur le territoire national… On
blindés – les Centaures – et d’une flotte renforcée pour découvrir les circonstances de la mort des la disponibilité, parce que nous sommes constamment
l’a vu, notamment depuis la sortie des confinements
d’hélicoptères de manœuvre, les H160. Il va nous victimes découvertes dans les charniers. Par la suite, confrontés à des pics de tension. Nous n’avons pas le
et couvre-feux successifs liés à la crise du COVID,
falloir redécouvrir des sujets d’aéromobilité que nous avons été sollicités pour aller à Kherson. Le don d’ubiquité. Mais, quand il le faut, nous devons être
par exemple dans les Cévennes, à La-Chapelle-sur-
nous mettions en œuvre il y a trente ans avec les GIGN assurait, bien sûr, la protection de nos cama- capables de réagir vite, y compris en mode « basse
Armées. Nous aurons les moyens de le faire dans consommation ». L’état d’esprit, le culte de la mission, le Erdre en Loire-Atlantique ou encore en Dordogne,
rades de l’IRCGN. Il y avait si peu de garanties sur
de bonnes conditions. L’idée était donc déjà là, dès sens du sacrifice, la fraternité d’armes, la polyvalence... au Lardin-Saint-Lazare où, en mai 2021, un forcené
ce qu’on allait trouver in situ que des spécialistes
avant le 24 février, elle circulait, et l’actualité nous a, tout cela renvoie aussi aux savoir-faire opérationnels a fait feu à 80 reprises contre les gendarmes, dont
du déminage ont aussi été engagés pour aider à
à la fois, rattrapés et confortés dans notre intuition et logistiques, et je remercie encore les Armées un tir sur un de nos hélicoptères, un tir de Brenneke
relever les corps, de crainte que ces derniers n’aient
stratégique. C’est dans ce même esprit que nous qui nous aident de manière constante sur les sujets dans la machine en pleine vol. Bref, il y a des évolu-
été piégés. En vérité, plusieurs semaines durant,
nous sommes engagés aux côtés des Armées dans de planification ou de soutien logistique. Le retour tions, des violences qui changent, se désinhibent,
les seuls militaires armés engagés en Ukraine ont
l’exercice Orion 2023, le plus grand exercice mili- d’expérience – qui est vital –, ainsi que les sujets d’in- et concrètement je pense que nous avons tout
été les soldats russes, les soldats ukrainiens et... les
taire depuis la fin de la Guerre froide. La réflexion novation et de transformation, parties intégrantes de intérêt à mettre en œuvre des dispositifs encore
gendarmes français !
commune sur la DOT est désormais lancée et la notre ADN militaire, rendent, me semble-t-il, les choses plus robustes.
Gendarmerie en est partie prenante. Pour l’heure, quels enseignements pour ce qui nous plus faciles. Je ne suis sans doute pas complètement
J’évoquais notre capacité d’anticipation. Là aussi, j’ai
concerne ? À mes yeux, ils sont au nombre de trois, objectif, mais, à mes yeux et d’après mon expérience,
J’évoquais l’Ukraine. Dès le début du conflit, la complètement modifié la structure de la DG. Je l’ai
qui confortent notre vision à court et moyen terme. cette identité nous permet de faire bouger les lignes
Gendarmerie y a été engagée. Il y a eu plusieurs fait tout de suite après l’acmé de la crise sanitaire
très vite. Je pense que c’est un réel atout. C’est aussi
phases. La première a consisté à protéger nos équipes Le premier enseignement, c’est que nous devons pour éviter de fonctionner en permanence en mode
un sujet d’organisation, robuste mais éprouvée. On
diplomatiques sur zone. Nous avons sécurisé notre continuer à renforcer notre militarité. C’est là une « haute consommation ». Car il n’est pas question
l’a vu pendant la crise sanitaire. Nous avions 70 000
ambassade à Kiev, avec le concours du GIGN, de nécessité absolue ! Dès que l’on engage du monde d’observer les crises se superposer les unes aux autres
gendarmes engagés tous les jours lors du premier
gendarmes mobiles et des gardes d’ambassade. Puis, à l’étranger, on nous sollicite pour accompagner. et de se dire que ce n’est pas un problème, qu’on
confinement, avec un fort niveau de résilience. Et ce,
nous avons sécurisé le site de report de l’ambassade, Le GIGN le fait, mais il ne peut pas être partout à pourra toujours gérer, « faire comme d’habitude » et
sans même avoir besoin de mobiliser nos réservistes,
après qu’il a été décidé de rapprocher celle-ci de la la fois. Il est presque arrivé au maximum actuel de courir toujours plus vite, quitte à s’épuiser – car, à un
lesquels se tenaient prêts eux aussi. Nous pensions
frontière polonaise. C’est là aussi le GIGN qui s’en son potentiel, car il est projeté dans plusieurs pays moment donné, nous ne pourrons pas courir encore
connaître un taux d’attrition important, et finalement,
est chargé. Enfin, nous avons assuré l’évacuation en même temps, comme par exemple en Libye pour plus vite ! L’objectif, c’est la résilience en toutes
cela n’a pas été le cas. Nous avons eu globalement
vers la Moldavie : trois jours de convoi, cinquante y réinstaller et protéger notre ambassade. Nous très peu de victimes du COVID dans nos rangs, ce qui circonstances – c’est-à-dire le contraire de l’effondre-
véhicules, 150 personnes dont les ambassadeurs avons donc commencé à réfléchir à l’engagement ne nous a pas empêchés d’engager les réservistes ment. Durant la crise sanitaire, nous avons fait face,
français, japonais et belge, ainsi que leurs équipes et de gendarmes mobiles et de pelotons d’intervention par la suite. Je parle ici sous le contrôle de l’ancien mais nous l’avons fait en étant « dans le rouge », il
personnels diplomatiques. Et tout cela, alors même de la Garde républicaine. Je le disais à l’instant : patron des réserves, le général Kim, et de l’actuel, le faut en avoir conscience. S’il y avait eu un attentat
que les Ukrainiens nous déconseillaient fortement au Burkina Faso, nous avons engagé un peloton général Fortin. en même temps, sans doute aurait-il été beaucoup
de rouler la nuit, parce que notre convoi risquait de gendarmes mobiles pour sécuriser l’ambassade plus compliqué de faire face avec une efficacité
d’être pris pour une colonne de blindés russes ou et les intérêts français. Il y a, j’y insiste, des choses Nous étions donc engagés dans ce renforcement maximale. C’est la raison pour laquelle nous avons
ukrainiens. L’officier supérieur qui commandait qu’on a oubliées et que nous sommes en train de avant même l’Ukraine. Puis, nous avons estimé qu’il modifié la structure de la Direction générale. Celle-ci

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est évidemment une DG classique, mais avec une permettant d’identifier ceux qui ont des compétences large. Entre les communes, les associations, tout ce et à un retour de la haute intensité. Comment les
fonction opérationnelle et avec un état-major – le ou des appétences spécifiques, pour ensuite les for- qui, à un moment donné, renvoie à l’État au sens très affronter ? C’est notre devoir de répondre à cette
Centre national des opérations (CNO) – compatible mer ensemble et les immerger dans le numérique. large ou à la relation entre l’État et la population, ce question. Car ces sujets sont aussi les nôtres.
avec le Centre de planification et de conduite des Quand j’ai commencé en Gendarmerie, on m’a dit : maillage-là rend en fait les discours islamistes plus J’entretiens des relations de très grande proxi-
opérations (CPCO) du ministère des Armées. Un « Fais du droit, sinon tu ne feras pas carrière ». Je difficiles à faire passer. Nos réservistes contribuent mité avec le chef d’état-major des Armées et je
état-major à géométrie variable qui nous permet de suis scientifique de formation, j’ai fait du droit, bien largement à diffuser le contre-discours et, plus m’inscrit totalement dans la vision stratégique qu’il
faire face aux crises sans pour autant mettre tout le sûr, mais ce n’était pas mon point fort. En revanche, décisivement, à diffuser l’état d’esprit patriotique, porte sur ces sujets. Nous en parlions encore il y
monde « dans le rouge », et qu’on décline aujourd’hui aujourd’hui, je ne cesse de dire à mes jeunes officiers républicain et solidaire qui constitue le meilleur des a deux semaines, à Toulon, avec le président de
au niveau zonal. Je pense aussi à l’évolution du GIGN qu’un cadre dirigeant qui ne sait pas ce qu’il peut remparts. La réserve, c’est une vraie pépite ! Nous la République. Car même si d’importants moyens
3.0, avec le rattachement des antennes régionales obtenir en utilisant des algorithmes et du traitement devons les traiter mieux encore ; on s’y emploie. Je supplémentaires arrivent et qu’à cet égard nous
et un transfert des compétences vers le haut du des données de masse passera à côté de beaucoup suis d’ailleurs très impressionné par leur niveau d’en- vivons une situation enthousiasmante que l’on n’a
spectre et vers l’aéromobilité. de choses, se privera d’outils extrêmement utiles gagement. Ce matin, une élue guyanaise évoquait pas connue depuis longtemps, il ne faudrait pas que
et ne se posera pas certaines questions désormais son engagement comme réserviste pour dire qu’il des considérations budgétaires nous conduisent à
Nous allons aussi être aidés par les décisions prises incontournables. Il nous faut élargir ce champ-là, fallait absolument continuer, notamment en outre- des impasses. Parce que je suis convaincu que le
par le ministre de l’Intérieur, dans le cadre de la ouvrir l’état d’esprit de nos cadres. Il n’est pas ques- mer. Il faut le faire partout, en métropole comme pire est devant nous.
LOPMI, avec les nouveaux effectifs qui arrivent, tion que tout le monde sache coder, ce n’est pas outre-mer. C’est aujourd’hui l’un des vecteurs privi-
avec la création de sept escadrons de gendarmerie le sujet. En revanche, tout le monde doit savoir ce légiés de l’esprit de défense, alors même que la fin Maintenant, je compte sur vous ! L’objectif, c’est qu’au
mobile supplémentaires, sans compter ceux qui que nous pouvons tirer de l’IA et des algorithmes. du service national en 1997 a compliqué la tâche. bout du bout vous puissiez alimenter nos réflexions,
sont gagés sur la reprise en compte de certaines Et qui sait, sans doute y aura-t-il une DOT 2.0 ? Là nous apporter des idées, nous faire bénéficier de
missions parisiennes par la Garde républicaine ou aussi, il y aura des choses à faire. Une autre moyen de diffuser cet esprit de résilience votre expertise. J’ai missionné le général Kim pour
par la Préfecture de Police, ce qui nous donnera est évidemment notre maillage territorial. Dans le réfléchir sur tous ces sujets. Il va capter un maximum
une marge de manœuvre plus importante dans la Deuxième enseignement lié à la crise ukrainienne : cadre de la LOPMI, nous allons recréer 200 brigades de choses. Très sérieusement, je pense que c’est une
perspective de la Coupe du Monde de rugby et sur- je l’ai déjà mentionné, il faut rénover la DOT. Je de Gendarmerie. Cela va nous permettre de consi- riche idée que d’entreprendre une réflexion sur la
tout des Jeux Olympiques 2024. Ce ne sera pas du serai très bref, parce que les réflexions sont en dérablement renforcer la densité de notre réseau défense opérationnelle du territoire et des territoires,
luxe ! Quant aux 90 nouveaux blindés Centaures, ils cours. Par définition, nous y avons longtemps été sur l’ensemble du territoire national. En fait, toutes d’autant plus qu’il y a beaucoup de chemin à par-
devraient arriver dans les trois années qui viennent. très engagés. En 1984, dans le cadre de la Guerre ces initiatives concourent à la mise en œuvre d’une courir. Nous ne ferons pas comme hier, mais nous
froide, nous avions récupéré les compétences de vieille notion qui n’a rien perdu de son actualité, pouvons nous en inspirer. Le besoin est important.
Un mot sur le cyber, également. Parmi vous, certains l’armée de Terre pour protéger les points sensibles bien au contraire, celle de dissuasion populaire. Elle
en sont d’éminents spécialistes, plus compétents Aux côtés de nos camarades des Armées, nous avons
et les frontières, ainsi que les interventions au profit était développée dans le Livre Blanc de 1972. On y
que moi pour en parler. C’est évidemment le grand bien l’intention de prendre toute notre part de cet
des points sensibles menacés. Il nous en est resté parlait de dissuasion populaire pour renvoyer à la
sujet d’aujourd’hui et de demain. Les cyberattaques effort collectif. Les enjeux sont tellement énormes !
beaucoup de vieux matériels dans les caves, avec forme moderne de « la volonté de survie nationale ».
se multiplient dans tous les sens. Rien que ce matin : des escadrons dérivés. En fait, nous avons laissé On se rend compte qu’il y a beaucoup de choses Je vous souhaite des réflexions fructueuses ! Merci
trois attaques cyber sur des cibles importantes, et je vieillir tout cela, et certaines unités sont devenues de pertinentes écrites par le passé et que l’on doit et bon travail à tous ! Bonne journée !
ne parle pas de la pédopornographie. Des auteurs véritables musées. Sauf qu’aujourd’hui, le temps est aussi s’en inspirer. Car c’est aussi parfois dans les
de pédopornographie, on en a interpellé deux ce venu de repenser tout cela. Parmi nos atouts, il y a le vieux pots que... vous connaissez la suite. L’Histoire
matin. On considère qu’on ne connaît qu’un seul fait que nous puissions compter sur les réservistes. peut être amenée à bégayer, c’est un peu ce que
fait commis sur 250. Cela nous donne une idée de Nous avons une montée en volume de réservistes l’on ressent aujourd’hui. D’ailleurs, en observant
la face immergée de l’iceberg... Nous avons d’ores et cette évolution nous aidera considérablement. la résistance ukrainienne, nous avons vu qu’ils ne
et déjà créé un Commandement de la Gendarmerie Plus globalement, nous pouvons faire beaucoup de se sont pas posé beaucoup de questions avant de
dans le Cyberespace, le COMCYBERGEND, il y a choses dans les territoires, et vous pouvez nous y distribuer des armes un peu partout, même si cela
2 ans. Nous avons massivement investi dans ce aider. Votre rôle est décisif pour nous aider à définir va nous poser quelques difficultés pour la suite...
domaine. Nous recrutons beaucoup de scientifiques ce que nous pouvons faire. Nous avons d’ores et déjà retrouvé des armes qui
et nous faisons en sorte d’élever le niveau général transitaient entre l’Ukraine et l’Europe de l’Ouest
de tous les gendarmes en matière cyber. La moitié Troisième enseignement, justement : j’ai évoqué les via la Pologne, il n’y a pas très longtemps. Cela va
de nos officiers sont titulaires d’un diplôme Bac +5 réservistes, ils nous aideront aussi dans la diffusion sans doute être un de nos prochains sujets.
en sciences dures. Aujourd’hui, l’idée est d’aller de l’esprit de défense. Un exemple : on sait que
chercher des gens ayant d’emblée un vrai intérêt certains islamistes considèrent que la France est un Bref, j’ai abordé plusieurs sujets en très peu de temps,
pour le numérique. Concernant les sous-officiers, pays plus difficile à noyauter du fait de son maillage mais je tenais à vous faire passer ces quelques mes-
nous avons ajouté une épreuve à option numérique de services publics ou de services au public au sens sages. Nous sommes face à des incertitudes multiples

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Par Monsieur le Professeur Alain Bauer

Titulaire de la chaire de sciences policières et criminelles. Professeur de criminologie


au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Alain Bauer
a présidé le conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance
et des réponses pénales pendant dix ans, puis le CNAPS de 2012 à 2017, depuis
2009 il préside le CSFRS. Conseiller des plus hautes autorités sur les questions
de sécurité et de terrorisme, en France mais aussi à l’étranger (NYPD, Québec et
LASD), il est un expert reconnu des questions pénales et de criminalité, ouvert
sur le monde et sur la stratégie. Il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés
qui font référence et éditeur de l’International Journal on Criminologie.

II - INTRODUCTION DES TRAVAUX


On connaît bien l’adage Romain « Si vis pacem, para bellum », « si tu veux la paix prépare la
guerre », attribué à Publius Flavius Vegetius Renatus, dit Végèce, qui se trouvait être un spécialiste
des finances publiques du ive siècle. Quand on parle de problématiques de défense, on trouve
toujours un comptable, pour le meilleur, rarement, pour le moins bon, souvent. Je vous renvoie à
ces epitoma rei militaris « traité de la chose militaire » qui vous permettra de retrouver non pas la
phrase exacte d’ailleurs mais un commentaire similaire qui permettra à mon éminent collègue le
Professeur Chaigneau de proposer un développement sur le sujet lors d’une prochaine occasion
puisque nous sommes de moins en moins nombreux à oser des citations latines ou grecques dans
l’univers académique ces temps ci.

Après avoir bénéficié de trente années de dividendes de la paix, nous sommes en train de nous
poser, nous devrions être en train de nous poser, et peut-être nous poserons nous la question
aujourd’hui, de savoir si nous n’avons pas réussi à faire exactement l’inverse, « si vis bellum, para
pacem », « si tu veux la guerre, prépare la paix ».

Pour ceux qui écouteraient les chaînes d’information continue, qui sont en général les chaînes de
divertissement continu, sans reprendre Pierre Bourdieu qui le dirait probablement à la télévision.
Mais, en réalité, depuis 1990, la chute du mur de Berlin, nous avons eu en Europe seulement, les
conflits suivants : Transnistrie, Abkhazie, Yougoslavie, Serbie et à la porte de l’Europe, Tchétchénie,
Géorgie, Ukraine 1, Arménie 1, 2, 3, Haut-Karabagh. Par ailleurs, il nous reste quelques éléments
un peu tendus ici et là, en Irlande, au Pays Basque, en Catalogne, ou en Écosse, pour ne prendre
que ceux qui sont entre le futur referendum et celui qui vient de se passer ou aurait pu se produire.

Les dividendes de la paix ont servi essentiellement sur le continent européen et en occident a désar-
mer l’essentiel de ce qui était le cœur de l’organisation du service public, pas seulement l’armée,

CNAPS : Conseil national des activités privées de sécurité


CSFRS : Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques
IERSE : Institut d’Études et de Recherche pour la Sécurité des Entreprises
CNCTR : Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

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mais aussi la police, la santé, l’école. Nous sommes passés eu une mission de prévôté militaire considérable et une trouverez d’ailleurs dans les débats des colloques des
d’une vie entre alliés et adversaires, ennemis et amis, à présence, une implantation, sur le territoire extraordinai- années précédentes la capacité des officiers qui dirigent
une logique ou il n’y aurait plus que des fournisseurs et rement développée. Au-delà des missions naturelles de le MBA, les responsables des opérations, et je salue ici
des clients. Nous avons espéré une globalisation heu- l’armée de terre, qui est la seule force interarmes dans la le colonel Peltier, à quel point il est important essen-
reuse pour « bisounours consuméristes », et nous avons gestion des conflits, et donc de la place particulière du tiel d’anticiper et de se préparer aux dures réalités du
découvert les dures réalités qui étaient face à nous. Non chef d’état-major des Armées, il y a une obligation pour moment et à venir.
pas que nous ne les voyons pas, chacun de ces conflits la gendarmerie de retrouver une place essentielle dans
a été dûment documenté, mais parce que nous ne les une défense opérationnelle du territoire qui renforce la Ce qui nous a le plus touché dans les années précé-
comprenons pas. dissuasion. dentes en terme de gestion opérationnelle des crises,
c’est l’amnésie. Ce n’est pas que nous ne voyons pas les
Aujourd’hui encore, et on vient de le voir passer dans Depuis 2001, nous savons que la dissuasion nucléaire choses, c’est que nous pensons que c’est nouveau. Pour
la revue stratégique, que le SGDSN a su conduire avec ne sert que pour ceux qui veulent y croire. Il n’y aurait l’essentiel, si c’est nouveau, c’est parce qu’on l’a oublié.
détermination et maîtrise, et dans des conditions que je jamais eu d’attaque contre le Pentagone, jamais d’attaque
qualifierais de particulièrement difficiles, nous avons une contre le World Trade Center, et il n’y aurait jamais eu de Alors par sa militarité maintenue, la démonstration de
armée expéditionnaire et échantillonnaire, que tout le tentative d’attaque contre le Capitole, si quiconque qui son utilité, sa singularité au ministère de l’Intérieur, il
monde s’acharne à vouloir sauver après avoir tant essayé avait lancé ces attaques avait cru au risque d’une réplique faut sortir de la gendarmerie des forces de maintien de
de la détruire. nucléaire. Je précise que la dissuasion nucléaire n’est pas la paix. Il faut entrer dans une gendarmerie adossée,
faite que pour les attaques nucléaire, elle a une dimen- grâce à sa militarité et à son implantation, à une défense
Dès 1989, nous avons imaginé avec Michel Rocard et sion parfaitement conventionnelle. Toute attaque qui opérationnelle des territoires.
Rémy Pautrat (un des fondateurs de l’IERSE qu’on a met en cause la souveraineté nationale, attaque virtuelle,
retrouvé dans l’univers commun de la gendarmerie), attaque réelle, attaque contre notre réseau satellitaire, C’est ce que nous allons essayer de faire aujourd’hui avec
que les menaces étaient devenues globales et qu’il fallait attaque contre nos réseaux informatiques, nos réseaux ces tables rondes qui vont permettre d’abord d’aborder
réarmer, réformer et moderniser le renseignement. Il n’a high-tech ou matériels résilients, montée en gamme ou téléphoniques, attaque contre nos territoires d’outre- sous l’autorité de mon estimé collègue Pascal Chaigneau
fallu que vingt ans pour entamer le processus : disponibilité opérationnelle, la lecture régulière des rap- mer, bref la dimension de la dissuasion nucléaire sert à qui dirige la Chaire de géopolitique « L’action des forces ».
ports parlementaires ou de ceux de la Cours des comptes tout, mais elle ne répond pas à tout, en tout cas elle n’y Puis sous l’autorité de la Professeure Véronique Chanut,
- la démarche de création du coordinateur national du
montre que les enjeux d’avoir toujours plus d’armement répond plus, et de ce point de vue le réarmement natio- directrice de la Chaire de management, « L’action des
renseignement, que nous voulions initialement voir
de haute technologie mais de moins en moins disponible nal est à la fois un réarmement citoyen, un réarmement collectivités territoriales ». Puis après, il y aura sous la
devenir un conseiller à la sécurité nationale ;
posaient le problème de ce que pouvait être une guerre militaire, la récupération de la souveraineté industrielle direction du Professeur Xavier Latour qui remplace le
- de la délégation parlementaire au renseignement, la longue et pas seulement un outil de dissuasion sec ou Professeur David Naccache, la partie sur « L’action des
et technologique, et la remise à niveau, la redécouverte
loi sur le renseignement, la modernisation des fichiers, une force de projection. entreprises ». Comme ceci vous a été indiqué, Geoffroy
de la défense opérationnelle des territoires.
le contrôle des fichiers, la création de la future CNCTR, Roux de Bezieux, président du MEDEF, nous fera le plaisir
tout a été écrit et pensé entre 1989 et 1990, en pleine Les leçons de l’Ukraine, c’est la mobilité, les drones, les Lorsque le collège des professeurs du MBA s’est réuni de conclure cette réunion.
guerre du Golfe, et repris bien longtemps après par un nouveaux outils, la bonne vieille technologie, la résilience, pour savoir quel nom on donnerait à ce colloque, il y a
papier commun que j’avais eu la chance de cosigner la résistance, et surtout la défense opérationnelle du terri- eu unanimité sur le contenu. Nous nous sommes posés Voilà, le temps n’est plus de la seule réflexion, le temps
avec Michel Rocard dans la RDN ; toire citoyenne. Ce que l’armée ukrainienne nous apprend la question de savoir si nous allions oser parler de DOT. n’est pas de savoir si c’est utile, le temps n’est pas de se
tous les jours, c’est que c’est une armée citoyenne, une Alors on a tourné autour du pot, le français est une langue poser la question de savoir si on va se poser la question,
- par le Président Sarkozy, puis par le premier ministre
nation en arme, qui ne sous-traite pas sa souveraineté riche. On arrive toujours a trouver un moyen de dire ce ni d’aller négocier avec trois comptables à Bercy pour se
Valls, le ministre puis premier ministre Cazeneuve, le
et sa défense à ses forces militaires seulement, mais qui qu’on a pas envie de dire, ou de dire différemment. On faire expliquer comment faire en sorte de s’en passer. Le
ministre Le Drian, qui sauva l’armée de terre avec un
considère la partie militaire et la défense civile, la partie l’a donc un peu noyé dans ce double questionnement moment est venu simplement de se préparer à ce qu’est
artifice merveilleux ;
cyber et les opérations commandos comme des éléments « Quels nouveaux défis pour la défense opérationnelle la nature réelle des dangers et des risques qui sont face
- sentinelle, qui permit de recruter plusieurs milliers qui vont ensemble dans ce qui est une vraie doctrine et des territoires » avec « Défendre les territoires », ce qui à nous. Nous ne remercierons jamais assez Vladimir
d’hommes que Bercy voulait supprimer. une stratégie militaire, qui changent tout le temps. est un double pléonasme mais qui nécessite de rappeler Poutine de nous avoir réveillés.
ce qu’est l’enjeu.
Aujourd’hui, grâce au chef d’État major des Armées, nous Notre article R-1421 du code de la défense précise ce Une fois qu’on s’est réveillé, il nous reste à agir !
avons redécouvert la haute intensité, grâce au général de qu’est la défense opérationnelle du territoire, (vous Clairement, ce n’est pas un message subliminal, comme
Villiers, nous avons reçu l’alerte sur le niveau insuppor- avez pu noter que nous avions fait un effort avec « les le directeur général de la gendarmerie vient de le dire,
table de baisse des crédits des armées, et nous sommes territoires »), impose qu’il y ait une partie militaire et une il a pris la proposition qui lui avait été faite car il trouvait
en train de découvrir qu’avec la haute intensité, il faut partie civile, et le SGDSN en est le coordinateur naturel. Il qu’elle correspondait bien aux enjeux, comme celle de
aussi traiter la longue intensité. Matériels ou munitions, se trouve que par son histoire, la gendarmerie a toujours l’année dernière et des années précédentes, et vous

SGDSN : Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale


RDN : Revue Défense Nationale

14 15
Animée par Monsieur le Professeur émérite Pascal Chaigneau

Titulaire de la chaire de géopolitique du MBA, président de la section Science politique de


l’Université Paris-Sorbonne, du Centre HEC de géopolitique, directeur du double diplôme
HEC-Sciences Po, directeur du Master « Defence and security » de la Sorbonne d’Abu
Dhabi et directeur du Master HEC de géo-économie au Maroc. Président des centres
d’études diplomatiques du Sénégal et de Madagascar.

Avec la participation de

III - PREMIÈRE TABLE RONDE Général de corps d’armée Olivier Kim, directeur des opérations et de l’emploi à la direction
générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre et
L’action des forces auditeur de la 60e session du centre des hautes études militaires, il a conduit une carrière
militaire riche et variée, alternant commandements opérationnels (gendarmerie mobile et
départementale, groupe d’intervention de la gendarmerie nationale), postes en état-major
et grands commandements (gendarmerie prévôtale, commandement des réserves), en
France comme à l’étranger (Afghanistan).
Adjoint au major général de la gendarmerie de 2021 à 2022, il est directeur des opérations
et de l’emploi de la gendarmerie nationale depuis le 1er septembre 2022.
Préfet, Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l’État au secrétariat
général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)
École spéciale supérieure militaire de Saint-Cyr (promotion Général Callies)
École nationale d’administration (promotion Averroès)
Après un parcours de cinq années comme officier de gendarmerie, M. de Maistre est
affecté au ministère de l’intérieur où il exerce différentes responsabilités en administra-
tion centrale et à l’échelon territorial. Il occupe successivement les postes de directeur
du cabinet du préfet d’Indre-et-Loire (2000) et de secrétaire général de la préfecture de
Haute-Marne (2002).
En 2007, il est nommé directeur de cabinet du préfet de la région Provence-Alpes-Côte
d’Azur puis, en 2009, sous-directeur des services opérationnels au sein de la direction
de la sécurité civile du ministère de l’intérieur avant d’exercer ensuite les fonctions de
sous-préfet de Béziers (Hérault), en 2011, puis de secrétaire général de la préfecture de
Seine-et-Marne (2014).
Il est nommé préfet de la Haute-Loire en 2018 puis directeur de la protection et de la
sécurité de l’État le 26 août 2020. Il occupe depuis le 1er septembre 2020 les fonctions
de directeur de la protection et de la sécurité de l’État au secrétariat général de la défense
et de la sécurité nationale.
Colonel (Terre) Bruno Bert, état-major des Armées (EMA).
Engagé à plusieurs reprises en opérations extérieures, le colonel BERT a mené une carrière
de fantassin couronnée par le commandement du 92e régiment d’infanterie. Il a également
tenu des postes en administration centrale, en état-major opérationnel, en ressources
humaines et comme instructeur en école de formation d’officiers. Il sert actuellement à
l’état-major des armées.

16 17
Nous sommes aujourd’hui confrontés à une situation de guerre de haute intensité, avec une hybridité chaque jour un peu
Introduction par Monsieur le Professeur Pascal Chaigneau plus technique et un peu plus complexe. Du Dniepr au détroit de Formose, force est de constater que les nationalismes
agressifs nous préparent à une fragmentation du monde ;
Autant de défis auxquels la résilience française doit opposer une vision, une stratégie et des moyens.
L’objet de cette première table ronde sur l’action des forces est d’essayer d’analyser ces défis. Puisque mon ami Alain
Bauer m’a taquiné sur la sémiologie latine je dirais que ma conviction personnelle en la matière est que nous sommes
Le 24 février dernier la première victime collatérale de l’invasion russe en Ukraine a été cette illusion dans la posture de « l’ultima ratio regnum ». Louis XIV faisait graver à la bouche de ses canons « le dernier argument du
polémologie qui consistait à croire que les guerres majeures se conjuguaient à l’imparfait. On a alors Roi », mais après ce dernier argument du roi, comment mettre en œuvre la DOT, devient l’ultime décision du politique.
compris qu’il s’était agi d’une utopie développée depuis l’implosion de l’Union Soviétique. Ainsi que Dans ce contexte notre démarche sera la suivante : appréhender l’ampleur de la menace, la nécessité de repenser le
le rappelait tout à l’heure mon ami et éminent collègue le professeur Alain Bauer, nous avons commis système, la transversalité de la chose. Dans un deuxième temps, de souligner la place particulière des armées, et, dans
des omissions sélectives. Nous nous plaisions à espérer la fin de la guerre. un troisième temps, le rôle spécifique de la Gendarmerie.

18 19
la nécessité de conserver une capacité d’excellence ainsi peser sur eux des obligations pour lesquelles ils
sommitale, elle doit s’accompagner d’une capacité de doivent rendre des comptes. Pendant très longtemps
réponse immédiate, autour de celui qui sera confronté ces dispositions ne valaient cependant que pour la
en premier à la menace. France et n’étaient pas unanimement partagées au
Intervention du Préfet Nicolas de Maistre niveau européen. Mais l’Europe vient de valider deux
Un troisième constat qu’on a pu opérer, qui a beau- directives, la première qui s’appelle résilience et entités
coup impacté les administrations, c’est que pendant critiques et la seconde qui s’appelle NIS 2 sur la sécuri-
très longtemps on a construit notre réponse sur un sation des systèmes d’information. Elles vont astreindre
coup de collier collectif, suivi d’un retour à la normale. l’ensemble des opérateurs désignés par chacun des
Or ce qu’on constate aujourd’hui, c’est qu’un certain États comme d’activité vitale, à faire des investissements
nombre de crises s’inscrivent dans la durée de l’ordre lourds dans la sécurisation tant de leurs systèmes d’in-
de l’année ou en tout cas de mois. Bien entendu ces formation que de son environnement physique. Ces
durées soumettent, les services comme les opérateurs démarches participeront aussi à réduire la charge qui
économiques, à des difficultés majeures pour soutenir
pourrait peser sur les FSI ou les armées en terme de
cette capacité maximale de réponse.
protection de ces infrastructures vitales. Par ailleurs,
Face à ce triple constat on a finalement choisi de relever la première ministre a validé la mise en place d’une
trois défis. Le premier c’est d’organiser une montée en stratégie nationale de résilience, qui est une stratégie
Je voulais enchaîner en évoquant le fait que l’évolution du contexte nous a amenés à faire des compétence de l’ensemble de la ressource humaine qui concerne l’ensemble de la Nation : de l’État, tant
constats et ces constats ont induit un certain nombre d’évolutions dans la façon dont l’État pense dédiée. Partout, la nécessité de faire face à la crise se l’administration centrale, que déconcentrée, mais aussi
sa réponse aux crises. Ce contexte vous le connaissez, c’est certes le contexte international qui développe. On demande donc aujourd’hui aux cadres les collectivités locales, les citoyens et bien entendu
évolue de façon dramatique mais ce sont aussi des évolutions que nous connaissons depuis pouvant être amenés à intervenir en gestion de crise l’économie. Cette stratégie instaure des indicateurs
longtemps et en particulier le terrorisme qui malheureusement a frappé le territoire national et de se former sur le sujet. Les collectivités locales, avec chiffrés, pour permettre un suivi annuel par le cabinet
constitue toujours une menace. lesquelles nous sommes en contact, travaillent aussi de la Première ministre des progrès accomplis, et ainsi
sur cette dimension qu’elles ont à gérer au quotidien. voir comment, de façon incrémentale, nous pourrons
Nous avons donc progressivement fait le constat que nous passions, cela a déjà été évoqué, Il y a vraiment, et le SGDSN y a apporté sa contribution, conforter nos politiques de résilience, toujours dans un
d’une crise ponctuelle face à laquelle chacun pouvait faire l’effort nécessaire, à une crise systé- une volonté collective de formation et donc de retour esprit de conjugaison des talents : forces armées, FSI
matique nettement plus lourde. En effet, nous avons enchaîné des crises financières, des crises à une culture de la crise. Dans ce cadre, nous formons et l’ensemble de la Nation.
sociales, des crises environnementales, des crises industrielles, des crises de toutes natures, qui les stagiaires de l’INSP, nous travaillons avec le CHESP
nous ont amenés à superposer parfois les crises et donc à interroger notre capacité à gérer cette Le troisième axe est constitué de la réforme de notre
et nous organisons également une formation sur la pro-
superposition. Finalement nous sommes bien passés d’un état de crise ponctuelle à un état de planification et notre doctrine d’exercice. Cette réforme
fessionnalisation des acteurs de la gestion de crise pour
crise systémique. A cela s’ajoute, depuis le 24 février, une volonté étatique adverse clairement était motivée par deux constats. Le premier c’est que,
les gestionnaires des centres opérationnels ministériels.
identifiée. Cette nouveauté, je vous l’expliquerai, nous impose d’évoluer dans les relations que quelle que soit la qualité des travaux d’anticipation qui
Je pense que l’ensemble de l’appareil d’État s’est ainsi
l’on peut avoir avec un certain nombre d’opérateurs économiques, dans le cadre particulier de sont réalisés, au sein de la cellule du CIC qui y travaille,
mis en mesure, et pas simplement les militaires et les
la SAIV, à savoir les activités d’importance vitale. l’imagination y est effectivement au pouvoir, la surprise
forces de sécurité intérieure, de diffuser des concepts
et des bonnes pratiques pour faire face aux crises. reste souvent de mise. On poursuit donc bien ce travail
Un autre constat qu’on a pu réaliser depuis 2015 tient au fait que maintenant les crises sont immé- d’anticipation, mais on a décidé de réfléchir non plus dans
diatement interministérielles. Vous savez qu’on a pendant très longtemps porté une logique qui Le deuxième axe a été de nous redonner une sorte une logique « un plan, un risque » mais de réfléchir à une
était une logique de continuum du plus simple vers le plus compliqué. Par le passé en cas de crise d’épaisseur stratégique. Sur ce point, il faut vraiment planification qui soit immédiatement utilisable quelle
majeure, celle-ci était d’abord gérée par le ministère compétent, qui ensuite seulement estimait souligner que la France ne part pas de rien. Le dispositif que soit la nature du risque. Nous allons donc constituer
si oui ou non il fallait l’élargir à l’interministériel et ce n’est, qu’in fine, que la Première ministre de sécurisation des activités d’importance vitale, qui est des « briques de planification » que le gouvernement
ou le Premier ministre décidait d’organiser une cellule interministérielle de crise pour prendre la un secteur réglementé mis en place en 1958 et réformé pourra assembler comme il le souhaite. Cette réforme
main. Nous avions donc bien cette idée de continuum et de progression. On a constaté lors des en 2008, a prospéré au niveau européen. En effet, à de la planification inclut 12 activités clés dont l’activité
crises récentes que la question interministérielle est posée maintenant quasiment d’emblée, ce l’époque, l’État identifiait, ce sont des informations militaire. On a changé aussi notre politique quant aux
qui oblige à compléter nos réflexions pour ajouter à ce continuum la possibilité de faire interve- classifiées, un certain nombre d’interlocuteurs que l’on exercices. Autrefois on avait des plans nationaux qu’on
nir immédiatement l’ensemble des moyens dont dispose le gouvernement pour réagir face à la estimait particulièrement utiles au bon fonctionnement modernisait avant de les valider par des exercices,
crise. Je me rappelle d’une époque, mais peut-être que Olivier Kim pourra en parler, où lorsque de la nation en cas de crise. Au travers de ce dispositif, in fine. Aujourd’hui on choisit des thèmes qui sont
j’étais officier de gendarmerie, dans une vie lointaine, on m’expliquait qu’il fallait gérer la situation l’État astreint ces opérateurs d’importance vitale à faire d’actualité. Ainsi, cette année a-t-on eu deux exercices
jusqu’à ce que le GIGN arrive. Le terrorisme a réinterrogé cette progression. S’il est demeurée un certain nombre d’investissements. Ces derniers voient majeurs sur l’énergie : le premier, au printemps, sur un

INSP : Institut national du service public


CHESP : Cycle des hautes études de service public
SAIV : Sécurité des activités d’importance vitale CIC : Centre interministériel de crise

20 21
Il y a ensuite la défense cyber, la défense maritime Après cette introduction, je choisis quelques-uns des
du territoire, la défense aérienne et la défense opé- défis à relever pour répondre plus précisément à la
rationnelle du territoire. question posée. Ces défis seraient plus nombreux,
mais au regard du temps contraint il convient de
Intervention du Colonel (Terre) Bruno Bert La défense opérationnelle du territoire concourt au choisir.
maintien de la liberté et de la continuité d’action du
Gouvernement, notamment en assurant la couverture Le premier de ces défis se trouve vraiment au cœur
générale du territoire national lorsqu’il fait l’objet de l’engagement des armées sur le territoire national
d’une menace reconnue par le conseil de défense : c’est celui de la qualité du dialogue civilo-militaire.
et de sécurité nationale ou d’une agression. En effet, dans ce contexte de l’engagement des
armées sur le territoire national, nous devons être
Mais Monsieur Jourdain, vous le savez, faisait de la complémentaires, et chacun avec ses propres compé-
prose sans le savoir. Nous aussi, et je me suis aperçu tences, son savoir-faire, doit agir en complémentarité
que, depuis que je suis jeune officier, je fais de la de l’autre. Cette complémentarité est importante si
DOT sans le savoir puisqu’en ce moment même des l’on considère la variété des menaces qui peuvent
opérations de DOT sont conduites sans que cela se frapper. Face à une menace de nature militaire, il
remarque. La défense opérationnelle du territoire, la faut pouvoir placer une réponse de nature militaire.
Quels nouveaux défis pour la défense opérationnelle des territoires ? Ce pluriel au début défense maritime du territoire et la défense aérienne Tout cela passe par un dialogue, qui s’appuie sur
a un peu surpris l’officier des armées que je suis, puisque le code de la Défense parle sont en permanence assurées à travers des mesures l’organisation territoriale interarmées de défense,
bien de la défense opérationnelle du territoire et effectivement une des caractéristiques permanentes. Il y a en permanence une posture de qui est une structure miroir de l’organisation civile
des armées est que notre métier consiste bien à défendre le territoire national qu’il soit protection et de sûreté aérienne et une posture de de l’État.
métropolitain ou ultra marin. protection et de sauvegarde maritime. La protection
des installations militaires correspond à ce que l’on Dans cette organisation il y a l’état-major des Armées
Cette défense du territoire national se conduit à travers deux mouvements. Un premier appelle les mesures permanentes de défense opé- avec le CPCO qui établit le dialogue d’abord en
mouvement est celui de la défense au plus loin, à travers nos diverses opérations exté- rationnelle du territoire. A ces différentes mesures participant à la cellule interministérielle de crise et
rieures, exemple qui est certainement le plus parlant, et plus généralement à travers les peuvent être ajoutées des mesures non-perma- qui dialogue avec le ministère de l’Intérieur à travers
fonctions opérationnelles de connaissance, anticipation, intervention. En même temps, nentes, sur décision du Premier Ministre, lorsque les la cellule de coordination intérieur-défense. Celle-ci
un autre mouvement est celui de la défense au plus près de notre territoire national en circonstances l’exigent. C’est un outil assez souple est une instance qui assure le suivi, éventuellement
métropole et outre-mer, à travers une dominante des fonctions opérationnelles dissuasion et compatible avec l’ensemble des états juridiques. l’arbitrage des grands sujets d’engagement des
et protection. armées sur le territoire national et qui permet, au
Je reviens maintenant sur l’aspect sécurité intérieure niveau central, de trouver ces équilibres.
Pour nous, cet aspect défense au loin a constitué une dominante depuis les années 2000 dont je parlais au début, qui recouvre tous les enga-
jusqu’aux années 2015, et c’est la raison pour laquelle vous avez parlé tout à l’heure, gements des armées sous réquisition de l’autorité Au niveau des zones, il y a l’officier général de zone
monsieur le professeur, d’une armée expéditionnaire. Il y avait déjà eu des attentats sur le civile. Ces engagements sont régis par l’instruction de défense et de sécurité qui est l’interlocuteur pri-
interministérielle n°10100. Celle-ci fonde les rela- vilégié du préfet de zone avec son état-major, qui est
territoire national, mais les attentats de 2015 ont représenté un changement de cap en y
tions entre les armées et l’autorité civile sur deux l’interlocuteur de l’état-major interministériel zonal.
provoquant le déploiement d’un volume important de militaires des armées. Et la rupture
stratégique de février 2022 constitue une rupture, avec le retour de la guerre en Europe fondamentaux qui permettent un dialogue, mot Enfin se trouve dans chaque département un délé-
qui impose de porter un regard renouvelé sur ces questions. important sur lequel je reviendrai. gué militaire départemental, qui est l’interlocuteur
Ces deux fondamentaux sont d’abord ce qu’on privilégié du préfet de département.
Le code de la défense prévoit deux grands volets dans l’engagement des armées sur
le territoire national. Le premier est le volet « sécurité intérieure », qui est le plus connu appelle la règle des 4 « i », qui veut que les moyens Ce dialogue aujourd’hui est en place et fonctionne.
(Sentinelle, participation à la lutte contre les feux de forêts…). Il se caractérise par le fait des armées peuvent être réquisitionnés par l’auto- Depuis 2015, depuis cet engagement important en
que les engagements qui y correspondent se trouvent toujours sous réquisition de l’au- rité civile lorsqu’ils sont indisponibles, inexistants, volume de Sentinelle sur le territoire national, ce
torité civile et sont encadrés par l’instruction interministérielle N°10100/SGDSN/PSE/PSN inadaptés ou insuffisants. La seconde règle veut que dialogue civilo-militaire fait quotidiennement ses
du 14/11/2017 dont parlait monsieur le préfet et sur laquelle je reviendrai. l’autorité civile exprime ses besoins sous forme d’ef- preuves.
fets à obtenir et non sous forme d’effectifs. Ce dernier
Le deuxième grand volet est celui de la « défense militaire », qui voit les militaires engagés, point est important puisqu’il permet aux armées, à Le deuxième défi sur lequel je voudrais m’appesantir
non pas sous réquisition, mais dans leur cœur de métier, donc de façon menante. Dans ce travers leurs compétences propres, de répondre le quelques instants est celui du durcissement de la
pilier, il y a 5 catégories. Il y a d’abord la dissuasion, que je me contente de mentionner. plus efficacement possible aux besoins exprimés. compétition stratégique au niveau international, qui

CPCO : Centre de planification et de conduite des opérations

22 23
aujourd’hui constitue un défi important à relever dans Elle s’exerce également dans le champ de la nature
le cadre de la défense opérationnelle des territoires. même des besoins lorsque la menace se militarise
En effet ce durcissement conduit naturellement nos et impose une réponse de nature militaire. Nous
compétiteurs à étudier nos centres de puissance arrivons ici à la logique de l’ultima ratio dont parlait
et vulnérabilités pour, le jour venu, être à même Monsieur le professeur tout à l’heure. Intervention du Général de corps d’armée Olivier Kim
d’utiliser tout le spectre des moyens qu’ils ont à leur
disposition pour attaquer ces centres de puissance. Cet ultima ratio suppose pour nous, Armées, d’une
Donc naturellement dans cette réflexion, il y a bien part de garder des forces suffisantes pour pouvoir
notre défense au loin mais il y a aussi notre défense faire face, ce qui impose en amont de ne pas avoir
au plus près, sachant qu’il y a bien évidemment des saupoudré trop rapidement les forces partout, d’où la
centres de puissance et des vulnérabilités sur notre règle des 4 « i » pour pouvoir engager à bon escient
territoire national. les moyens des Armées.

Mais l’ultima ratio suppose aussi qu’à partir du


Cela impose de durcir notre résilience commune,
moment où il est engagé, le succès est impératif. Si on
résilience que vous avez mentionnée Monsieur le
engage l’ultima ratio et qu’il n’est pas au rendez-vous,
préfet tout à l’heure, et que je définis comme la
il n’y a plus rien derrière. Le succès constitue alors
capacité, par un double mouvement, à résister à
pour les armées une ardente obligation.
un choc sans franchir le seuil de survie et ensuite à Je dois relever plusieurs défis, passer après des orateurs brillants, après le DGGN qui a
travers un rebond à rétablir les fonctions principales Cette philosophie sous-tend le positionnement des déjà dit beaucoup de choses, le professeur Alain Bauer et puis mes deux camarades de
puis l’ensemble des fonctions, pour pouvoir éven- Armées sur le territoire national, en vue de garantir table ronde. Donc beaucoup de choses ont déjà été dites et j’essaierai d’adapter l’exposé
tuellement saisir ensuite des opportunités. leur capacité à être réactives pour pouvoir faire face que j’avais préparé.
à toute situation aux côtés des forces de l’ordre et,
Cette résilience suppose de la résistance donc, sup- Deux anecdotes tout d’abord. Quand j’étais lieutenant d’un escadron mixte VBRG, véhicule
le cas échéant, assurer ce rôle d’ultima ratio. Cela
pose aussi des redondances pour pouvoir encaisser. blindé à roues de la gendarmerie, nous faisions un stage à Saumur en 1988, j’ai dit que
suppose que nous soyons employés au bon moment,
Elle suppose de la flexibilité pour pouvoir s’adapter nous allions changer le thème, qu’au lieu de mettre comme toujours un ennemi rouge,
à bon escient et au bon endroit, et cela justifie les
à la crise, de la réactivité et de la fiabilité des res- nous allions nous adapter et proposer un adversaire différent parce qu’à l’époque la future
règles de l’IM n°10100.
sources humaines et des équipements. Il y aurait de menace était de mon point de vue le terrorisme islamiste. L’instructeur m’a dit de reprendre
nombreux autres éléments à développer, et je pense ma copie parce que l’ennemi était rouge, qu’il était à l’Est, et qu’il ne fallait pas inventer,
notamment à l’importance des réserves. innover. Par ailleurs, j’ai une référence toute simple : les villages gaulois qui doivent s’unir
pour lutter contre les romains. Parce qu’en France, il y a beaucoup de villages gaulois et
Le troisième défi c’est que cette résilience ne peut pas que face à une menace, je le dis toujours à mes troupes depuis que j’ai pris le commande-
se concevoir sans une approche résolument globale, ment de la direction des opérations et de l’emploi (DOE) de la DGGN, il faut apprendre à
donc une approche interministérielle, et c’est d’ailleurs chasser en meute et pas à chasser individuellement, parce que la seule force, c’est l’ancien
ce qui va constituer le facteur clé de succès, qui sera rugbyman qui vous le dit, c’est le collectif, c’est la capacité de se regrouper derrière un
la cohésion, la cohérence de cette réponse intermi- objectif commun, de pousser dans le même sens. Ainsi, je retiens qu’il faut constamment
nistérielle. Cette cohérence au niveau des armées va se remettre en cause, s’adapter, innover et jouer collectif.
se trouver dans le jeu de la complémentarité avec les
différentes forces de l’ordre, les différentes forces de Deux points à mon intervention, en premier lieu les FSI devront faire face aux désordres, aux
sécurité intérieure et civile. agressions, et en cas d’engagement des Armées à l’étranger ou proche de notre territoire
national, aux possibles rétroactions sur ce territoire national. En cas de mobilisation des
La complémentarité s’exerce à la fois dans le champ armées sur le territoire national, la gendarmerie aura un rôle renouvelé à jouer aux côtés
des volumes de forces à déployer lorsqu’une crise et en soutien des Armées, cela sera mon deuxième point.
dépasse les moyens habituels. Les armées ont montré
leur réactivité, leur efficacité pour faire face à l’urgence : Pour mon premier point, à mon sens, trois raisons à cette évolution de la situation, du
montée en puissance de Sentinelle très rapide après les fait tout d’abord des possibles, en termes de cibles et de leur répartition sur le territoire
attentats, réactivité face aux incendies, opérations de national, en métropole, outre-mer et à l’étranger, le DGGN vient d’en parler, en ce moment
même, notre ambassade de France au Burkina Faso subit des assauts réguliers, qui peuvent
type « IRMA » aux Antilles, dans une approche également
d’ailleurs pour certains, vous observerez les images sur Internet, être manipulés par une
multi-milieux, multi-champs, puisque plus une crise est
puissance étrangère qui est en conflit aujourd’hui à l’est de l’Europe. La gendarmerie
grave, plus elle fait appel à des capacités métier.

24 25
nationale par son implantation dans les territoires, Ainsi la gendarmerie sera sur le pont et pour per- on luttait contre les spetsnaz qui étaient largués que de revisiter la guerre d’avant ou le maintien de
le fameux maillage sera, de toute façon, primo mettre tout cela, notre maillage bien-sûr va nous en arrière des lignes. Demain, on continuera notre l’ordre d’avant, de penser à celui de demain, à cette
intervenante. Du fait de l’engagement potentiel des aider, la formation de nos personnels aussi. Celle-ci action dans ce domaine : si les gens tentent de défense opérationnelle qu’il convient de rénover. Ma
Armées hors du territoire national, nous devrons, a été durcie comme le DGGN l’a évoquée. déstabiliser, on luttera contre les infiltrés, en tentant direction continue à mener les travaux avec l’état-ma-
bien sûr, raisonner de façon interarmées pour savoir de les suivre, de les identifier, de les rechercher, de jor des armées et le SGDSN. Il s’agira pour nous de
comment, en cas de déclenchement de la défense En cas de déclenchement de la DOT, c’est mon deu- les interpeller, voire de les neutraliser. On protégera nous adapter à ce nouveau paradigme, d’anticiper
opérationnelle du territoire, nous nous articulerons. xième point, nous serons mobilisés aux côtés des également les flux logistiques, et c’est bien là notre les besoins, les réorganisations nécessaires et les
C’est pour cela que je disais que les villages gaulois Armées sur le territoire national où l’on jouera tout rôle : il faut que les flux d’énergie, les sources en évolutions capacitaires, pour le cas échéant, être
devaient se rassembler, il y a des généraux zonaux notre rôle et rien que notre rôle. On devra conduire alimentation potable, ne soient pas sabotés. Le père en capacité d’agir. On a commencé par une citation
qui ont consulté leur général de gendarmerie zonal des missions traditionnelles en matière de DOT, c’est de la stratégie indirecte, le capitaine Liddell Hart, en latin je confirme, « si vis pacem para bellum ».
pour savoir qui faisait quoi, d’autres ne l’ont pas la garde des points sensibles, rechercher et diffuser a établi que l’ennemi vise toujours à déstabiliser
encore fait, je pense qu’il faudra que l’on s’y mette. le renseignement de défense, faciliter la montée l’arrière des lignes. Dans ce cadre, notre Institution
Et puis surtout la gendarmerie est, d’ores et déjà, en puissance des forces, on l’oublie souvent il y a aura tout son rôle et rien que son rôle.
mobilisée ; nous somme organisés, ça fait quelques une arme qui s’appelle l’arme du train qui permet
de guider les Armées en cas de conflit et notam- Dans le domaine du cyber, aujourd’hui vous l’avez vu
années que l’on connaît des engagements plus durs,
ment a permis l’acheminement des forces lors du au travers d’affaires qui viennent à nouveau défier la
des engagements en matière de maintien de l’ordre
premier conflit mondial sur le front, également du chronique, les attaques cyber se multiplient et notre
ou de rétablissement de l’ordre. Je vous engage
deuxième, mais la gendarmerie joue son rôle aussi COMCYBERGEND aura tout son rôle à jouer. Nous
aussi à aller voir les images du maintien de l’ordre
dans ce domaine-là. Et enfin participer si possible ré-orienterons notre activité judiciaire pour lutter
que nous avons eu dans un phénomène qui s’appelle
à des actions de combat. Comme l’a évoqué mon contre les trafics d’armes, les trafics d’êtres humains,
« les bassines » les retenues d’eau à Sainte Soline, où
camarade des armées, il y a déjà plein de choses qui le respect du droit de la guerre et des conventions
nous avons eu 60 gendarmes blessés, dont six griè-
existent, la posture permanente de sûreté aérienne, internationales, ce qu’on appelle le droit des conflits
vement. Les engagements dans les différents milieux,
de sûreté maritime, et dans ces armées là on a une armés. Et enfin, c’est une caractéristique de la gen-
la Guyane, Mayotte, les Outres-mer en ce moment,
gendarmerie maritime qui participe à l’action de darmerie, sa capacité de lutte anti-drone. Pour la
cela nous occupe beaucoup. Nous connaissons des
l’État en mer, une gendarmerie de l’air qui protège sécurisation de la coupe du monde de football
situations difficiles, les engagements multi-sites, avec au Qatar, on a déployé aux côtés de ce pays, 120
les bases aériennes, une gendarmerie de la sécu-
les gilets jaunes, et des modes d’actions avec des spécialistes de la lutte anti-drone dont l’expérience
rité de l’armement nucléaire qui est proche des
armements militaires ou quasi militaires, l’utilisation sera profitable pour la coupe du monde de rugby
armes nucléaires et qui assure aussi le contrôle gou-
d‘armes de guerre, dans les trafics, nécessitant des et pour bien sûr les Jeux Olympiques qui seront
vernemental, c’est-à-dire la deuxième clé, et enfin
capacités de planification, de coordination et de organisés en France.
une gendarmerie de l’armement qui protège nos
conduite. Cette analyse du contexte national, qui
emprises. Ces gendarmeries spécialisées sont déjà
a déjà été évoquée par mes prédécesseurs, nous L’évolution des technologies a conduit à faire évoluer
mises à contribution j’allais dire avant même que la
a conduit à produire nos efforts capacitaires spé- les menaces et je vais terminer par là. Nous devons
défense opérationnelle du territoire soit déclenchée.
cifiques, illustrés notamment par l’acquisition d’un nous préparer à faire face à de nouveaux modes
blindé polyvalent. On le veut polyvalent parce qu’il Enfin, on doit considérer aussi les formats. Le format d’action. Depuis que je suis arrivé à la direction
peut aussi bien intervenir dans une situation de actuel est assez comparable entre la gendarmerie des opérations de l’emploi, j’ai notamment créé
police judiciaire complexe, lorsqu’un meurtre a été et l’armée de terre. Il est ainsi tout à fait concevable deux choses. Les centres de mission d’une part.
commis et que le meurtrier s’évanouit dans la nature, que nous participions à un engagement opérationnel Je n’ai rien inventé je me suis inspiré du directeur
pour du maintien de l’ordre ou du rétablissement dans une sphère plus élargie que jusqu’à présent, général de la sécurité extérieure. Ces centres de
de l’ordre et enfin pour le sujet qui nous occupe aux côtés et en appui des Armées, en tout cas c’est missions sont des structures transverses où chaque
aujourd’hui, la défense opérationnelle du territoire. pour cette raison que le groupe de travail qui était sous-direction fournit des spécialistes et où ils tra-
Pour ne rien vous cacher j’étais dans le Centaure ce sur la défense opérationnelle du territoire a souhaité vaillent sur des sujets particuliers, soit thématiques,
matin à Satory et il a vraiment une capacité d’inte- rencontrer celui qui était au CPCO, centre de plani- soit géographiques. J’ai mis en place un centre de
ropérabilité interarmées, une capacité d’intervenir fication et de conduite des opérations, à l’époque mission sur la problématique de l’eau. Une « Blue
sur le spectre bas, des capacités modernes qui lui c’était le général Susnjara qui pilotait ce groupe de team », d’autre part. Les Armées ont la « Red Team »,
permettent aussi d’évaluer d’où peut venir un tireur travail, afin que nous puissions échanger et trouver la DOE a sa « Blue Team ». C’est une structure à qui
isolé, car nos gendarmes mobiles aujourd’hui se font des convergences dans une DOT « rénovée ». Qu’est j’ai demandé - elle est composée de personnels
tirer dessus par armes à feu dans les manifestations, ce que nous ferons dans cette nouvelle DOT ? Nous d’active et de réservistes citoyens - d’inventer des
outre-mer notamment. ferons de la détection de groupes hostiles. Avant stratégies de rupture à proposer à notre DG, plutôt

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Animée par Madame le Professeur Véronique Chanut

Madame le Professeur Véronique Chanut, Titulaire de la chaire de management au sein


du MBA, Véronique Chanut est agrégée des facultés de droit et de sciences économiques.
Elle est actuellement Professeure de sciences de gestion à l’université Paris 2 Panthéon-
Assas où elle dirige le laboratoire de recherche en gestion Panthéon-Assas (LARGEPA)
ainsi que le CIFFOP, la grande école universitaire des métiers RH. De 2013 à 2017, elle a
présidé la Commission nationale d’évaluation des formations et diplômes de gestion
(CEFDG). Ses travaux de recherche, essentiellement en management public, portent sur
l’évaluation des politiques publiques, sur la gestion de la ressource dirigeante dans le sec-
teur public et sur les stratégies ressources humaines dans les administrations publiques.
Elle a contribué à la création de l’Association internationale de recherche en management
public (AIRMAP) dont elle a été vice-présidente (2010-2013). Ancien rapporteur général
du Conseil national de l’évaluation, service du Premier ministre (2000-2002), et chargée
de mission au comité pour la réorganisation et la déconcentration des administrations,
service du Premier ministre (1993-1995), elle a participé à diverses commissions d’experts,
en particulier la commission « Vallemont » sur la gestion des ressources humaines dans la
fonction publique (1998) et la commission « Pochard » sur le métier d’enseignant (2008).
Elle a été nommée membre du conseil d’orientation de la direction générale de l’admi-
nistration et de la fonction publique (arrêté du 13 avril 2017).
IV - DEUXIÈME TABLE RONDE
L’action des collectivités territoriales
Avec la participation de

Madame Hélène Sandragné, Présidente du Conseil départemental de l’Aude (11). Infirmière


de métier, elle a consacré la plus grande part de sa vie professionnelle à la formation,
d’abord en tant que formatrice puis en tant que directrice d’institut de formation en
soins infirmiers après l’obtention d’un master en sciences de l’éducation. Dès 2001, elle
a combiné sa vie professionnelle avec un engagement public et politique à la mairie de
Narbonne, où elle a été adjointe au maire en charge de la politique de santé pendant un
mandat (2008 – 2014), puis au conseil départemental de l’Aude. Dans un premier temps
vice-présidente en charge de l’autonomie entre 2015 et 2020, elle assume la fonction de
présidente depuis juillet 2020.
Monsieur François Mengin-Lecreulx, Directeur général des services de la ville de Reims et
de la communauté urbaine du Grand Reims. École nationale d’administration (promotion
République).Administrateur de l’État. Première partie de carrière pour l’État : sous-préfet,
directeur de cabinet du préfet de Savoie (2007/2009) puis secrétaire général pour les
affaires économiques et régionales à Mayotte (2009/2011). Désormais en détachement
sur emploi fonctionnel en collectivité : directeur général des services de la Région Guyane
(2011/2013), directeur général des services adjoints de la région Alsace (2013/2015), directeur
général des services du département de Saône-et-Loire (2015/2018), directeur général des
service de la Ville et de l’agglomération de Pau (2018/2021), directeur général des services
de la Ville et de la métropole de Reims (depuis 2021)
Colonel ( R ) Rémy Février, maître de conférence HDR au CNAM, directeur du pôle d’ex-
cellence académique et relations extérieures du MBA.

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Sur notre sujet, nous avons décidé de faire tourner la parole quitte à accentuer peut-être des points de désaccord
ou des points de vue différents. Faire tourner la parole en trois petites séquences, séquences au cours desquelles
chacun d’entre vous prendra la parole :
Introduction par Madame le Professeur Véronique Chanut Première séquence : Faire face à une attaque de son territoire. Comment vous y avez fait face. Chacun se limitera
à une expérience.
Deuxième séquence : Comment on agit et on interagit avec d’autres. On mettra l’accent sur la coopération.
Troisième séquence : Quels enseignements on tire pour mieux anticiper et mieux se préparer
Deux acteurs des territoires : Madame Hélène Sandragé qui est Présidente du Conseil départemental de l’Aude (11),
Sur cette question qui nous occupe cet après-midi de la défense opérationnelle des territoires, un territoire particulièrement touché. On a encore en mémoire tous les fléaux qui ont attaqué le territoire. François
la présence d’acteurs des territoires était incontournable et ce défi que vont relever nos orateurs Mengin Lecreulx qui est actuellement directeur général des services de la Ville de Reims et du grand Reims après
de la table ronde de représenter les territoires, certains territoires. C’était important pour nous une carrière dans plusieurs territoires.
de voir les préoccupations des territoires. J’y vois un heureux présage pour notre MBA parce Et puis un expert des territoires : le colonel Rémy Février qui interviendra à plusieurs titres, puisqu’il a une expé-
que je constatais qu’après neuf promotions, on avait accueilli assez peu de représentants des rience d’élu local, il est aussi colonel de la réserve opérationnelle et puis il est maître de conférences au CNAM. J’ai
territoires. Peut-être cette table ronde peut contribuer à attirer ceux qui parmi les décideurs eu le plaisir de diriger sa thèse il y a quelques années. C’était une thèse précurseur car il attirait l’attention sur les
publics des territoires sont intéressés par ces questions de sécurité. cyberattaques dont pouvaient faire l’objet les collectivités territoriales.

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Madame le Professeur Véronique Chanut

Intervention de Madame Hélène Sandragné Merci de nous avoir rappelé que derrière la défense des territoires, il y a la défense des populations et notamment
des plus vulnérables.

Intervention de Monsieur François Mengin-Lecreulx

Le département de l’Aude est un département du Sud, rural et très exposé à des situations de crise,
crises pour beaucoup liés à des événements climatiques (l’eau, le feu) et crises liées à des événements
terroristes. Le colonel Beltrame a notamment perdu la vie à Trèbes lors d’un attentat terroriste.

Ce n’est pas cet événement que j’ai choisi. J’ai choisi de parler de l’eau. Nous souffrons des deux. Nous
souffrons d’en avoir trop par moment et pas assez à d’autres.

On a parlé beaucoup de militarité. J’avoue que je suis un peu décalée mais je pense que cette mili-
tarité évoquée peut être complétée par un autre mot, solidarité. Le département c’est la collectivité
des solidarités. Et comme vous avez beaucoup parlé de DOT, moi je vais vous parler de POT. Il s’agit
de la protection des territoires. C’est là que nous sommes en œuvre lorsqu’il y a une situation de crise. La défense historiquement du territoire c’est l’affaire de l’État. Quand on parlait de ces ques-
tions au niveau des collectivités territoriales, on évoquait davantage la défense civile. On sent
Nous ne sommes pas l’Armée, nous ne sommes pas la gendarmerie et nous ne sommes pas les pompiers.
un glissement puisque aujourd’hui les problématiques de défense impliquent désormais les
Ce que je veux dire par là c’est que nous n’intervenons pas en première intention. Lorsqu’un événement
collectivités territoriales. Comment les collectivités territoriales abordent ce changement de
climatique comme les crues de 2018 entraîne en 4 h une intensité d’eau liée à un épisode cévenol qui
paradigme ?
équivaut à une crue centennale, le niveau des affluents monte de 7 mètres en un temps record. Vous
imaginez l’impact sur un territoire. Or dans une nuit d’octobre 2018, c’est ce qui est arrivé dans un Un premier exemple est la question de la régulation des flux migratoires irréguliers et la façon
triangle d’environ 40 km de long et 40 km de large entre Carcassonne, Limoux et la montagne noire. dont les collectivités interviennent aujourd’hui sur ces questions. J’ai été quelques années
avant de rejoindre mes fonctions actuelles, directeur général des services du département
J’étais alors vice-présidente à l’autonomie, la politique envers les personnes âgées. Cette politique
de Saône-et-Loire dans un département qui était en pleine période d’afflux massif de mineurs
nous amène à participer à la gestion avec les ARS, les agences régionales de santé, comme autorité de
non accompagnés. Il y a eu un pic très important dans les années 2010. À ce moment-là les
tutelle. Cette nuit-là, trois EPHAD se trouvent piégés par les eaux. Les forces de l’ordre et les pompiers
départements n’étaient pas calibrés pour répondre à ces questions. Il y a des problèmes de
contribuent à la mise à l’abri des personnes. Cela se fait en l’espace d’une nuit. Le matin on commence
capacité d’hébergement, des problèmes de moyens matériels, des problèmes de traduction.
à regarder ce qu’il s’est passé, on se met en contact avec l’ARS, on se met en contact avec les familles.
On est en principe dans le champ de la protection de l’enfance et de l’accueil d’un certain public
Il y a un premier travail d’information des familles car on ne sait pas où étaient hébergées les personnes. d’origine étrangère mais qui étant mineurs doivent pouvoir bénéficier sur le territoire national
Il faut ensuite mettre en place pour 80 personnes d’une moyenne d’âge de 85 ans, un dispositif adapté d’une prise en charge et d’un accompagnement. La réalité cependant c’est qu’on se situe sur
à leur situation. Deux enjeux donc, la communication aux familles et les conditions d’accueil. Il faut offrir une ligne de crête assez étroite dans le travail quotidien des services entre ce qui relève de la
une qualité de vie à peu près identique car la personne âgée peut vite décliner, être touchée par un protection d’une part et ce qui relève de la coopération indirecte ou en creux avec les services
syndrome de glissement. Il faut ensuite se préoccuper de la dimension financière car on transfère des de l’État en matière de lutte contre les flux d’immigration irrégulière. Il a fallu vaincre les réserves
personnes dans des EPHAD à proximité où il y a des places. Le conseil départemental annonce que et réticences que l’on peut rencontrer de la part d’un certain nombre d’acteurs locaux qui ont
quel que soit l’hébergement, il s’engagera financièrement. La question de l’aménagement du territoire du mal, par vocation ou par nécessité, à s’inscrire comme coopérateur des forces de l’État sur
se pose derrière ce type d’événement. ces questions. J’ai vraiment senti en quelques années le changement de culture qui s’opérait

32 33
dans l’appréhension par une collectivité comme celle elle s’est faite avec les ARS mais en réalité avec le relais la suite d’une attaque de son hôpital par un ransomware. partie émergée de l’iceberg. Il y a quatre défis auxquels
que je dirigeais, de cette réalité régalienne et de la res- essentiel des grandes collectivités. Quand il a fallu assu- En effet, l’établissement dans lequel elle se trouvait ne les collectivités territoriales sont confrontées au niveau
ponsabilité régalienne qui s’attache à la réponse à ces rer la continuité des services à la population les villes pouvant l’opérer suite à cette attaque, elle a dû être trans- numérique en temps normal : la e-démocratie, la e-admi-
phénomènes migratoires. l’ont assurée. Quand il a fallu distribuer des masques ou férée dans un autre établissement, mais elle est décédée nistration, les SI de gestion interne et les appels d’offre. Ce
durant le parcours. C’est quelque chose d’extrêmement sont autant de systèmes qui, en cas d’attaques, peuvent
L’autre exemple c’est la réponse à la crise sanitaire récente. vacciner les villes ont été mobilisées sur le sujet. Sans
grave et très préoccupant. J’avais prévu des attaques de conduire à une indisponibilité durable des services de la
La réponse stratégique à la crise sanitaire évidemment s’est les grandes collectivités, l’État aurait été absolument ce genre il y a maintenant 10 ans et à l’époque, on m’a collectivité. Vous avez tous l’habitude, en temps normal,
faite au niveau national. C’est là où l’ambition stratégique incapable d’orchestrer la réponse opérationnelle face à écouté poliment mais on m’a fait comprendre que ce que de demander une fiche d’état civil ou de devoir renseigner
globale a été fixée, que l’essentiel du cadre de réponse la crise. On était face à un enjeu de défense du territoire, je proposais était très compliqué à mettre en œuvre. Rien le montant de votre quotient familial en cas d’inscription
réglementaire et juridique a été défini. Cependant, au-delà où les collectivités ont été mobilisées en première ligne n’a été fait. J’ai fait la première thèse, encore à ce jour, sur de vos enfants à des activités extra-scolaires. Imaginez
du cadre national, la déclinaison dans les territoires, aux côtés de l’État. ce sujet. En 2012, il était déjà compliqué d’obtenir des un instant que, subitement, les collectivités ne puissent
réponses pour réaliser une étude scientifique et avec plus faire face à cela…
toutes les attaques que nous avons connu au niveau des
collectivités ces dernières années, il y a fort à parier que Je rappelle que selon les statistiques de la direction
générale des collectivités territoriales françaises, 91 %
Madame le Professeur Véronique Chanut ce n’est pas demain que les élus locaux vont accepter
d’en parler ouvertement. On m’avait d’ailleurs demandé des 35 000 communes françaises (soit environ 40 %
de conserver les documents, pendant six ans, c’est-à-dire des collectivités européennes) ont moins de 3 500 habi-
un mandat, avant de rendre publics les aspects les plus tants. Ont-elles les moyens, à elles seules, de gérer ces
Colonel Rémy Février, cher collègue, il y a presque 10 ans tu soutenais une thèse qui avait valeur d’alerte. Je ne
problématiques dans des articles scientifiques. menaces ? La réponse est non. La première étape est
sais pas si cette alerte a été très bien entendue. Cette thèse portait sur les cyberattaques et le risque cyber dans les
de passer à l’EPCI, établissement public de coopération
collectivités territoriales et la capacité des dirigeants à prendre en compte ce risque qui était émergent à l’époque.
La situation est extrêmement inquiétante. Les ransomware intercommunal : c’est un point de passage obligé mais
que tout le monde connaît désormais, ne sont que la cela demeure insuffisant.

Madame le Professeur Véronique Chanut


Intervention du Colonel (R) Rémy Février
On voit avec cette diversité d’exemples comment les collectivités territoriales font face mais aussi qu’elles sont au
cœur de l’action collective et qu’elles font face dans le cœur d’une mobilisation collective. J’aimerais donc vous
entendre sur ce jeu de coopération qui se met en place.

Monsieur François Mengin-Lecreulx

La coopération heureusement entre l’État et les collecti- d’échanges d’informations est importante entre les
vités concernant la défense du territoire et des territoires forces de l’ordre et les élus territoriaux. Les sujets qui
Permettez-moi tout d’abord de faire un rapide rappel historique. Je vais rappeler ce qu’il s’est passé n’est pas complètement nouvelle. Vous le savez tous, si marchent moins bien sont par exemple le repérage
lors de la seconde guerre mondiale : le GCA Kim a parlé lors de son intervention de défense popu- on remonte dans l’histoire, notamment à la Renaissance, et la prévention de la radicalisation. Dans les grandes
laire, or il convient de se rappeler que durant cette période funeste, un certain nombre de français la défense du territoire était assurée par les citoyens des villes, on a beaucoup parlé ces dernières années de la
et d’édiles locaux ont sauvé des personnes des griffes de l’ennemi. Cet exemple pas si ancien Villes. De nos jours, l’État et les collectivités coopèrent nécessité de coopération étroite entre les élus locaux et
me porte donc à être confiant quant à la capacité de mobilisation des Français en cas d’attaque. sur la construction des casernes de gendarmerie mais les forces de police. Cette coopération avec les cellules
également sur la vidéoprotection avec les centres de de transmissions des informations signalées, existe mais
Je vais parler maintenant de mon sujet de prédilection : les attaques cyber. Lors de la crise sani- supervision urbaine. Les collectivités figurent au nombre on n’est pas suffisamment allé loin. Il reste également
taire de la Covid-19, un mur invisible est tombé. Même les hackers de haut niveau s’astreignaient des opérateurs d’importance vitale tout spécialement des choses à stabiliser dans la coopération entre forces
jusqu’alors à une certaine « déontologie » : ils n’attaquaient pas les organismes publics lors de en ce qui concerne les problématiques de sûreté autour de police d’État et polices municipales. Ça passe par
crises graves. Or, depuis la crise de la covid, on assiste à un changement de paradigme : la vie de l’adduction d’eau ou l’assainissement. On peut aussi des sujets simples d’interopérabilité des moyens radio.
humaine est sciemment mise en danger. Ainsi, une patiente d’un hôpital allemand est décédée à parler du renseignement territorial. La dynamique

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Madame le Professeur Véronique Chanut Creuse a été attaquée ce qui contredit l’axiome relatif à la à court terme me semble devoir être une sensibilisation
taille… Tôt ou tard ce type d’attaque se développera. Les et un rapprochement étroit entre les collectivités et les
On voit dans ces dynamiques de coopération qui s’opèrent et se formalisent. Je souhaiterais demander à Madame maillons faibles, ce sont les plus petites collectivités. Cela forces de sécurité intérieure dans la cadre de la défense
la Présidente, quelle place pour les populations ? permettra aux hackers de s’entraîner. L’une des solutions territoriale.

Madame Hélène Sandragné Madame le Professeur Véronique Chanut

En 1999, le département a subi une crise qui a entraîné qui sont proposés aux habitants, de s’adapter. On a Un mot de conclusion à chacun, finalement sur un enseignement que vous tirez, que vous souhaitez transmettre aux
la mort de 30 personnes et des coûts à hauteur d’un beaucoup dit ici, « qu’il ne fallait plus être surpris ». auditeurs du MBA pour ne pas succomber à cette amnésie comme nous le disait tout à l’heure Alain Bauer.
milliard de francs. A partir de là, on a mis en place Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça. Lorsque
une politique de sensibilisation parce qu’il fallait que l’événement survient, il est multiforme, il ne ressemble
les populations s’acculturent au risque. La collectivité à l’événement précédent mais l’expérience existe. On
rassemble autour d’elle des acteurs et agit comme tire des leçons de l’expérience, on formalise des dispo- Monsieur François Mengin-Lecreulx
guichet unique. Il y a aussi dans ces événements une sitifs. Ce qu’il faut apprendre, c’est à s’adapter. Surpris,
mobilisation citoyenne. Il y a des associations dans le on le sera toujours. Comme on met côte à côte, pour Il y a trois concepts clés sur lesquels il faut être vigilants : opérationnelle au plus près des acteurs de terrain.
département de l’Aude qui se mobilisent systémati- travailler ensemble, des institutions, qui par définition, • Ne pas refuser la réalité et la prise de conscience • La créativité et l’esprit d’innovation des acteurs
quement. Le vrai travail reste celui des experts comme sont assez cloisonnées, le travail consiste en la capacité qu’elle nous impose. locaux. Les collectivités dans le cadre de la crise
le SMAR (syndicat mixte des milieux aquatiques et des de lever très rapidement ces cloisonnements. Mettre • Conserver un esprit de réactivité et d’agilité pour les sanitaire, ont cherché des solutions localement.
rivières) que nous avons créé après le drame de 1999, autour d’une table sous 24-48 heures, tous les acteurs acteurs locaux. Il faut rester dans de la construction Conservons cette capacité d’initiative locale.
et qui mène auprès des collégiens, des élus, auprès des solidarités en allant de la CAF à la MSA, mais aussi
du public, un travail de pédagogie. Ce travail permet nos services départementaux, c’est surtout ça qu’il faut
aux populations, par des diagnostics de vulnérabilité travailler : l’adaptabilité. Madame Hélène Sandragné
Il est important de laisser de l’autonomie aux collectivités de la capacité des territoires à faire face. Les collectivités
Madame le Professeur Véronique Chanut locales et aux acteurs locaux de pouvoir apporter les pour faire face à ces risques ont besoin de moyens. L’idée
réponses. Le débat sur les notions de territoire et des ter- qu’on puisse pousser à augmenter certaines dépenses tout
S’agissant de risques plus invisibles comme les cyberattaques, comment se mobiliser avec d’autres pour y faire face ? ritoires, s’illustre de cette façon-là c’est-à-dire que chaque en réduisant nos recettes n’est sûrement pas la solution
territoire porte en lui des réponses. Il faut permettre à qui nous permettra de mener des politiques ambitieuses
ces réponses d’éclore. Je ne suis pas liée par le devoir sur les territoires pour répondre aux risques. J’ai parlé de
de réserve donc je vais en profiter. Il ne faut pas se voiler l’eau. J’aurais pu parler du feu de la même façon et j’aurais
Colonel (R) Rémy Février la face. Nous parlons des risques, réduction des risques, pu ajouter la submersion marine.

Je suis d’accord avec Madame la Présidente. Surpris, on le perte ou de vol de données à caractère personnel. Très
sera. Si on pensait ne pas l’être, je pense que ce serait une étonnés et dorénavant inquiets, mon auditoire écoutait
très mauvaise nouvelle. Ça voudrait dire qu’on a atteint subitement avec davantage d’intérêt. J’entendais souvent Colonel (R) Rémy Février
un certain niveau d’égotisme. En revanche, je pense qu’il comme objection de la part de mes interlocuteurs « je suis
faut être conscient. C’est autre chose. Je souhaiterais beaucoup trop petit pour intéresser qui que ce soit ». Je Il faut laisser une autonomie aux agents de terrain. Pour dans un cadre plus global de sécurisation des territoires.
tordre le coup à une idée relativement répandue qui veut rappelle néanmoins que l’immense majorité des brevets cela, il faut une prise de conscience. Il faut en effet des Sur la leçon à tirer, il y a la nécessité de continuer à
qu’il existe une dichotomie entre le monde public et le déposés en France, dans le secteur privé, le sont par des budgets afférents. J’ai du mal à penser que toutes les construire un continuum de sécurité entre les services
monde privé en termes d’organisation. Il n’existe aucune PME. Ce qui fait la force de frappe de notre économie, ce collectivités soient en mesure de faire face aux risques de l’État et les entreprises privées.
différence entre une PME et une petite collectivité en n’est pas le CAC40, c’est notre extraordinaire tissu de PME. cyber sans une politique publique ad hoc et intégrée
terme organisationnel. Je suis intervenu devant des élus Ce qui fait aujourd’hui qu’une organisation est attaquée, ce
locaux et des dirigeants d’entreprise lorsque j’étais encore n’est ni sa taille, ni son secteur d’activité, c’est exclusivement
officier de gendarmerie d’active. J’avais toujours la même sa capacité d’innovation. Une PME innovante aura plus de Madame le Professeur Véronique Chanut
réponse. On m’écoutait d’une oreille distraite, jusqu’au chances d’être attaquée qu’un grand groupe qui vit sur
moment où je commençais à parler de ce qui allait arriver ses « vaches à lait ». Pour une collectivité c’est la même On voit bien que les questions du management public territorial de la sécurité est une séquence sans doute à inscrire
au dirigeant de la collectivité ou de l’entreprise en cas de chose. Durant la crise de la COVID, la ville d’Argenton sur beaucoup plus fermement dans notre MBA.

36 37
Animée par Monsieur le Professeur Xavier Latour

Professeur des Universités, Doyen de la Faculté de droit et de science politique – Université


Côte d’Azur, et Chevalier des Palmes académiques.
Depuis juin 2020, Xavier Latour est également conseiller municipal de la Ville de Nice et
Vice-président de la Métropole Nice Côte d’Azur en charge de la formation, de l’ensei-
gnement supérieur et de la recherche.

Avec la participation de
V - TROISIÈME TABLE RONDE
L’action des entreprises

Monsieur Emmanuel Lenain, Directeur « sûreté grands projets » chez Suez Eau France.
Il est en charge de l’analyse sûreté globale et gestion de crise pour les projets et travaille
aussi à la coordination des exercices de gestion de crise intégrant les forces de l’ordre et la
mise en place de distribution d’eau. Auditeur de l’IHEDN et diplômé du Centre d’Études
Diplomatiques et Stratégiques de Paris, il est lieutenant- colonel à la réserve citoyenne de
la Gendarmerie Nationale et président des Amis de la Gendarmerie pour le département
du Val-d’Oise.
Spécialisé en géopolitique des pays arabes, il compte plus de 20 ans d’expérience sur la
zone Afrique – Moyen Orient. Il a récemment écrit un mémoire de recherche sur l’eau :
sûreté et gestion de crise dans le cadre de sa scolarité au MBA spécialisé Management
de la sécurité de l’école des officiers de la gendarmerie nationale.
Monsieur Jean-Pascal Ramon, Après 25 ans au sein de la police nationale où il a débuté
en tant que gardien de la paix pour se hisser jusqu’au poste de commissaire division-
naire, il prend la direction sécurité de Carrefour France en 2013. Sur les 5 600 magasins
de l’hexagone, (ce qui représente 50% des magasins Carrefour présents dans le monde),
il supervise les missions de protection des collaborateurs, des prestataires, des clients, du
patrimoine, des biens et la réputation de l’entreprise.
Madame Sandrine Douspis, Experte sûreté au sein du pôle sûreté de GRTgaz. Après
une carrière d’une vingtaine d’années liée à la maîtrise des risques, elle prend le poste
d’« experte sûreté » au pôle sûreté de GRTgaz (gestionnaire du réseau de transport haute
pression de gaz naturel). Elle a en charge l’évaluation du risque de malveillance sur l’en-
semble des sites industriels (soit plus de 10 000 installations sur l’ensemble du territoire)
et l’élaboration des moyens de mise en œuvre pour garantir l’intégrité des biens et des
personnes. Elle porte le prescrit réglementaire et complète l’ensemble de ses missions par
le pilotage d’exercices de sûreté. Elle est auditrice de la 8e promotion du MBA spécialisé
Management de la sécurité de l’école des officiers de la gendarmerie nationale.

38 39
se reproduise. C’est une vision extrêmement moderne du général d’une défense globale. Et cette défense globale a
Introduction par Monsieur le Professeur Xavier Latour idéalement une dimension territoriale, mais une dimension territoriale à acteurs multiples.
Nous évoquions les forces, nous avons eu des interventions relatives aux collectivités territoriales. A plusieurs reprises
la question des entreprises et été abordée. C’est cette question que nous allons approfondir avec nos intervenants,
question d’autant plus importante qu’à travers les entreprises, nous intégrons les femmes et les hommes qui y tra-
vaillent, c’est à dire la population qui serait aussi mobilisée pour la défense des territoires par l’intermédiaire de leur
Alain Bauer nous invitait en début de colloque à avoir de la mémoire. Pour un juriste, avoir de la activité professionnelle.
mémoire sur la défense des territoires, c’est se souvenir de l’ordonnance du 7 janvier 1959, portant Nous raisonnerons en 3 temps. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la manière d’identifier les menaces
sur l’organisation générale de la défense, ordonnance qui a été par la suite intégrée dans le code (on ne se défend bien que parce qu’on connaît bien son environnement). Ensuite, nous aborderons la manière de
de la défense. réagir et nous terminerons par une vision un peu plus prospective.
Pourquoi se souvenir de cette ordonnance de 1959 ? Parce qu’au moment où le général de Pour commencer, Madame Douspis, dans votre domaine (GRT Gaz), comment appréhendez-vous votre environne-
Gaulle revient aux Affaires, il se souvient de 1940 et il a la volonté d’éviter naturellement que cela ment ? quels sont vos moyens pour connaître ce à quoi vous êtes susceptibles de faire face ?

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Intervention de Madame Sandrine Douspis Intervention de Monsieur Emmanuel Lenain

GRTgaz est le gestionnaire du réseau de transport de gaz, plus spécifiquement le gaz haute pression L’approche est similaire, puisque l’eau c’est un flux comme le gaz. On va retrouver la même
qui circule au travers de tout le territoire. GRTgaz opère sur toute la France, hormis le sud-ouest problématique de base : couverture du territoire, distribution à la population, impliqué dans
qui est opéré par TEREGA (gestionnaire du réseau de transport de gaz dans le 1/4 sud-ouest de la les territoires avec du traitement d’eau, la gestion de la ressource, la stocker, et la distribuer.
France, historiquement lié à l’exploitation du gisement de Lacq).
Comment on anticipe ?
Nous avons un réseau qui fait à peu près plus de 32 000 km de canalisations enterrées et un peu Plusieurs volets :
plus de 10 000 installations industrielles qui permettent de faire vivre le réseau avec : - la coopération avec les autorités ;
- par la remonté d’information en interne ;
- des stations de compression dont le rôle est de remettre en pression le réseau en cas de besoin ;
- travailler dans la prospective et l’anticipation : essayer d’avoir toujours un temps d’avance pour
- des stations d’interconnexions (centres d’aiguillage) ;
pouvoir anticiper et pouvoir intégrer la sûreté dès l’apparition des nouveaux projets. Si on a un
- des postes de détente qui permettent de desservir aussi bien les clients industriels (ex : unités de
temps de retard, c’est plus coûteux et moins efficace. Pour moi, ce troisième volet est le plus
production en électricité) que les distributions publiques (gestionnaire de distribution GRDF) ;
efficace mais plus difficile à mettre en place.
- le gestionnaire de distribution GRDF.
Avec autant de réseaux, autant d’installations, l’identification de la menace est complexe. On est un
acteur particulier avec une activité qui est réglementée. Pour certaines installations, l’identification Monsieur le Professeur Xavier Latour
de la menace se fait en lien direct avec les autorités.
Pour la grosse masse des installations, on opère beaucoup avec la direction des opérations, c’est à Concernant le dialogue que vous avez avec les autorités et les pouvoirs publics, comment cela se passe au niveau
dire avec les exploitants qui représentent à peu près la moitié du personnel chez GRTgaz (environ local ? Territorial ? D’autres informations en parallèle ?
3 000 personnes) qui nous fait remonter aussi bien les dépôts de plainte en cas d’intrusions sur
nos installations, ou de vols de matériels, mais également les retours de signaux faibles. C’est sur la
base de ces signaux que l’on cumule dans le temps, que nous évaluons la menace et définissons, Monsieur Emmanuel Lenain
en collaboration avec d’autres directions de GRTgaz, le dispositif adapté.
Nous travaillons à plusieurs échelons. Notre officier sûreté à se développer par rapport à il y a 3-4 ans. On travaille
Autre facteur important à sécuriser : le personnel. De part l’activité réglementée, on hiérarchise les va travailler plus sur l’approche centrale, et après, on a vraiment avec tous les maillons de la chaîne.
postes selon les profils de poste des salariés (intervention sur des installations particulières ou accès toute l’approche territoriale très poussée qui a tendance
à des informations sensibles). Dès son intégration et à chaque étape de son évolution de carrière,
on va procéder en toute légalité, à des contrôles.
Madame Sandrine Douspis
Monsieur le Professeur Xavier Latour De la même façon chez GRTgaz, notre délégué à la de la prospective et des pistes amélioration. Il est vrai
défense et à la sécurité est en relation étroite avec les qu’entretenir des relations de proximité sur l’ensemble
Monsieur Lenain, en tant qu’opérateur stratégique pour votre pays, est-ce que Suez a une approche autorités. Nous avons également, de part la diversité des du territoire, c’est compliqué actuellement et là nous
comparable ? installations, besoin de contacts locaux. Cela fait partie avons un chantier à mener.

42 43
Monsieur le Professeur Xavier Latour 2e exemple de remontée : dans un hypermarché, un directeur de magasin qui a identifié des personnes venant
régulièrement sur sa surface de vente, peser dans des sachets opaques, des matières sur les balances des fruits et
Chez Carrefour, les enjeux sont différents mais tout aussi importants , Monsieur Ramon ? légumes. On a mis en place avec les services de police, un dispositif de surveillance qui nous a permis d’identifier
un réseau de trafiquants de drogue.

On récupère ces informations pour en faire un bulletin d’information quotidien destiné au top management. on
a également une personne qui a en charge le suivi de ce qui se passe sur les réseaux sociaux et qui peut se faire
aider par des prestataires extérieurs.

On rédige des notes de sensibilisation, parce qu’il faut acculturer le top management aux risques. Ces notes sont décli-
Intervention de Monsieur Jean-Pascal Ramon nées en notes opérationnelles pour les magasins ciblés éventuellement par le risque, et on les partage sans difficulté
avec les forces de l’ordre. Parce que c’est un contrat gagnant-gagnant. Le partenariat c’est un contrat de confiance. On
ne peut pas passer son temps à être demandeur, il faut être également capacité de fournir de l’information.

Monsieur le Professeur Xavier Latour

Vous avez insisté tous les 3 sur la nécessité des partenariats avec des acteurs publics et privés . Lorsque malgré tout
la crise survient et qu’il faut passer à la défense concrète, cette même logique de partenariat s’impose ?

Carrefour, pour mémoire, est un des leaders mondiaux de la grande distribution à prédominance
Madame Sandrine Douspis
alimentaire : nous sommes présents dans 30 pays, 12 225 magasins, 320 000 collaborateurs. La
moitié de l’activité du groupe est en France. Cette logique de partenariat se prépare en effet en travailler sur la connaissance mutuelle, pour le jour
amont. Il faut préparer, il faut se connaître. Chez GRTgaz, où l’on est en situation de crise, les gendarmes qui
On a deux sources de renseignement pour l’identification des risques : il faut comprendre qu’on a des installations avec du doivent intervenir sachent comment, où, et quels sont
• la source partenariale que l’on va développer sur les territoires et qui va nous amener à gaz, qui suscitent des craintes. Les gendarmes ont les interlocuteurs . Ce n’est pas uniquement en lisant
former l’ensemble des directeurs de site dès leur prise de fonction, sur : peur de nos installations et ne veulent pas y pénétrer, une procédure contractuelle envoyée qu’on va y arriver,
- identification du type de site : magasin ou entrepôt ; et notre personnel qui a le souci de bien faire, a peur il faut aussi s’entraîner. C’est un travail de longue haleine
- les acteurs publics (police nationale, municipale, gendarmerie, collectivités…) ; des gendarmes en se disant , « on ne va pas faire mal et de tous les jours.
- les acteurs privés ; devant un gendarme ». Notre piste de progrès est de
- les associations professionnelles.

Lors de leur formation, on va les aider à identifier l’ensemble de ces acteurs locaux, leur organi- Monsieur le Professeur Xavier Latour
sation, leur fonctionnement (par exemple le référent sûreté, pour procéder à la mise en œuvre
d’outils de sûreté, le renseignement territorial ou la gendarmerie directement pour des infor- Néanmoins, vous avez aussi des moyens internes ?
mations qualifiées sensibles).

On va surtout leur apprendre à comment développer une relation partenariale durable et surtout Madame Sandrine Douspis
éviter de développer un partenariat en gestion de crise (organiser plutôt une visite de courtoisie
la première fois, plutôt que de soumettre directement une « lettre au Père Noël »). On a un socle sur lequel on se base, c’est la sécurité côté d’un chantier, a accroché une canalisation, ce qui
• les sources internes : nos directeurs de magasins sont sensibilisés à la remontée d’informa- industrielle. On a une obligation de mission de service a occasionné une fuite de gaz et une gestion de crise
tion via nos responsables régionaux sécurité (collaborateurs terrain rattachés à la direction public et une obligation de continuité d’activité. Sur de trois jours avant un retour à la normale. Le réseau
sécurité France). cette obligation là, ont été mis en place de nombreuses est surveillé en permanence, comme par exemple la
démarches aussi bien en termes de maintenance de pression. On détecte les variations anormales. Et on a
1er exemple de remontée : une directrice de supermarché qui nous informe que sur son parking, surveillance du réseau, que de la surveillance physique. des équipes disséminées partout en France qui peuvent
des individus viennent régulièrement changer les plaques de véhicules pendant la fermeture Un des risques principaux auquel on est exposé, c’est intervenir en moins de 20 minutes. Ces moyens internes
du magasin, sans évidemment déranger qui que ce soit. Cette information a été remontée aux un accrochage de canalisation . Prenons pour exemple permettent d’avoir une capacité de résilience.
gendarmes qui ont réussi à démanteler un groupe de cambrioleurs qui sévissait sur le territoire. un sous-traitant qui a souhaité enfouir des déchets à

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Monsieur Emmanuel Lenain Monsieur Jean-Pascal Ramon
Oui globalement c’est la même logique. Je souhaite Il faut donc anticiper ces crises hybrides, en observant Dans la grande distribution , une mixité oui mais pour iden- Chez Carrefour on a des entraînements très réguliers
apporter quelques éléments d’éclairage. comment elle vont venir de l’extérieur, comment on tifier une menace je pense que ce qui est essentiel, c’est dans les magasins (évacuation, confinement…). On a
est tributaire des autres et en créant des partenariats l’acculturation aux risques. L’acculturation cela passe chez
L’eau est quelque chose qui est très contrôlée, c’est un des entraînements également au centre opérationnel
forts avec les institutions, notamment en procédant à Carrefour par un important bloc de formation. C’est-à-dire
système qui fonctionne bien en France. On a un per- de crise au siège une fois par mois, sur des thématiques
des exercices d’entraînement. On a fait en outre-mer qu’on va d’abord sensibiliser les collaborateurs aux risques,
sonnel en interne compétent, résilient avec cette notion très variables (risque Seveso, inondations...). Et nous
un exercice avec une antenne GIGN, on regarde, on ensuite les former et les entraîner. On va leur apprendre à
de service public. Je n’ai pas vraiment d’inquiétude sur avons également des entraînements avec les forces de
observe, on apprend à se connaître et à passer dans anticiper le risque, à le gérer puis à rétablir l’activité. Alors
ces crises qui touchent le cœur de métier à l’intérieur l’ordre. Depuis 2017, on a eu 22 exercices d’envergure
l’action. L’idée est de développer cela sur l’ensemble si je reprends rapidement la sensibilisation à l’information
de l’usine. Notre axe de travail prioritaire à consolider, avec la police et la gendarmerie : 7 avec le RAID, 4 avec
du territoire. et l’entraînement, on va balayer tout le volet des risques,
c’est la coopération et la gestion des crises hybrides les directions départementales de la sécurité publique,
systémiques qui peuvent toucher tout le monde et Un deuxième volet pour anticiper les crises hybrides : c’est-à-dire de la simple insulte jusqu’au tireur de masse.
et 11 avec les brigades territoriales et les PSIG. Ont été
qui viennent de l’extérieur. Pour répondre à ce type de chez Suez, on a beaucoup évolué dans notre organisa-
L’idée est de leur donner cette culture du risque pour également associées parfois des forces Vigipirate (RPIMA-
menaces, nous avons par exemple, mis en place un tion. Depuis 2-3 ans, on intègre la sûreté très en amont
pouvoir l’identifier. Je prends un exemple très concret : un Régiment de parachutistes d’infanterie de marine et
partenariat très fort avec la gendarmerie PACA, qui est dans les projets et dans les discussions avec les territoires.
paquet suspect. Un directeur de magasin qui n’a pas été les commandos de l’air). Sont programmés également
pour moi un projet démonstrateur.
On peut en effet le rappeler : s’il n’y a pas d’électricité, formé au risque, son premier réflexe va être de considérer le 2 exercices avec le GIGN.
Le premier risque que l’on a c’est de ne pas se connaître, il n’y aura pas d’eau et vice-versa car les centrales élec- paquet suspect tout simplement comme un sachet oublié
et ça c’est valable aussi avec les territoires, avec les triques ont besoin d’eau pour fonctionner correctement. par un client. Celui qui a fait la formation à la gestion de Donc ça nous permet effectivement de nous entraîner,
grandes métropoles. En cas de crise, si on ne se connaît Ces sujets d’interdépendances sont très importants par crise, va établir un périmètre de sécurité . Une fois que son de nous connaître parce que nos sites ne sont pas aussi
pas avant, ce n’est pas la peine, on va perdre du temps. rapport à la sûreté des territoires. périmètre de sécurité est établi, il va procéder à un appel simples que ça. On s’est rendu compte durant les pre-
micro (pour éliminer ou non le fait que ce soit un client miers exercices communs, que ce n’était pas évident de
qui ait oublié), contrôler avec la vidéo, vérifier s’il y a eu travailler dans un magasin où il y a beaucoup d’éclairage,
Monsieur le Professeur Xavier Latour quelqu’un qui est venu déposer ce paquet délibérément. de musique, du monde etc.
Et parallèlement prendre contact avec les forces de l’ordre,
Un grand opérateur de télécommunication faisait surveiller, y compris sur le domaine public, ses câbles, par des qui vont elles-même confirmer ou infirmer l’information, Après la gestion de crise, il faut rapidement rétablir l’activité,
sociétés privées de sécurité. Est ce que c’est quelque chose que l’on voit chez Suez ? Est-ce que vos emprises, vos et procéder ou non à l’évacuation du magasin. Donc ce et enfin faire le retour d’expérience. Parce qu’il ne faut pas
canalisations pour vos réseaux de distribution, sont aussi confiées à la surveillance du privé qui serait appelée à collaborateur là va analyser et traiter la crise de façon oublier qu’un commerçant, ce n’est pas un gestionnaire
réagir en cas de problème ? très sereine. Ensuite, il va gérer la crise, seul ou avec des de crise, donc c’est important de valoriser ce qu’il a fait
partenaires. correctement et de travailler sur les points à améliorer.

Monsieur Emmanuel Lenain


Monsieur le Professeur Xavier Latour
On s’appuie effectivement sur le privé pour certains avoir des actions ponctuelles de surveillance sur des
sites, mais pas que. Deuxième point, contrairement sites stratégiques, sachant que l’eau est quand même Identifier, réagir, vous avez donné beaucoup d’éléments très intéressants qui incitent à penser que les choses se
aux câbles de téléphonie, le réseau de Suez est sous très surveillée, à partir de sondes, et d’un dispositif qui passent plutôt bien. Les informations circulent bien, les exercices permettent aux uns et aux autres de se connaître,
terre, ce qui nous protège quelque part. Enfin, on peut permet de contrôler l’eau dans l’ensemble du réseau. de partager des préoccupations et une culture communes. Néanmoins, accordez-moi la possibilité de penser que
tout n’est peut-être pas complètement satisfaisant. J’en viens donc au dernier temps de notre de notre réflexion : si
vous aviez besoin, d’améliorer vos relations avec les pouvoirs publics et vos process pour mieux défendre les terri-
Madame Sandrine Douspis toires, puisque c’est quand même là l’enjeu, sur quoi insisteriez-vous ?

De notre côté, c’est mixte, il y a une surveillance du réseau fait appel à des sociétés privées pour certains endroits
par notre personnel parfois à pieds, parfois en voiture, difficilement accessibles, notamment pour des survols Madame Sandrine Douspis
selon les endroits où se trouvent les canalisations. On en hélicoptère.
Les difficultés que l’on a se situent plutôt au niveau local J’aimerais bien aussi que l’on arrive à mettre en place une
et c’est tout simple : les gens bougent chez nous et si cartographie en reprenant les réseaux de nos installations,
Monsieur le Professeur Xavier Latour les contacts ne s’entretiennent pas, on ne se connaît en y mettant les dépôts de plaintes et les événements
plus. On aurait tout simplement à gagner en ayant le sûreté qui y sont associés. Et je pense que là, échanger
Mixité aussi dans la grande distribution ? nom des contacts privilégiés sur des annuaires à jour. avec les gendarmeries et partager ces informations-là

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seraient riches pour tout le monde. Je pense qu’on a (beaucoup de vols du raccordement électrique, de Monsieur Emmanuel Lenain
des connaissances communes. Régulièrement, il y a des vols de panneaux solaires…). Je pense qu’on a beau-
salons de la caravane qui s’organisent un peu partout coup à gagner à travailler là-dessus et à partager les Je pense que l’enseignement que l’on peut faire, c’est qu’on c’est l’humain qui prime, que vous soyez un opérateur dans
en France. Et c’est là la grosse masse de nos problèmes informations. voit bien que c’est l’humain qui fait la différence. Parce l’eau dans le gaz ou autre. Vous devez emmener les gens
que c’est basé sur la volonté : en allant réparer comme ça, au combat. La gestion de crise c’est exactement pareil. Je
vous pouvez risquer votre vie. Donc, il vous faut déjà être profite de ça pour rebondir : n’oublions jamais le facteur
Monsieur le Professeur Xavier Latour
volontaire. Au final, quand on parle de gestion de crise humain dans toutes ces crises.
Cela veut dire que même en étant un opérateur d’importance vitale, vous manquez d’éléments sur l’identification via le facteur moyen, anticipation, réflexion, organisation...
de la stabilité de vos interlocuteurs. c’est-à-dire que malgré tout vous êtes dans un cadre très précis et fixé par les
règlements. Malgré cela il y a encore des marges de progrès ? Monsieur le Professeur Xavier Latour
Chez Carrefour, dans la grande distribution ?
Madame Sandrine Douspis
Oui tout à fait. Alors je ne dis pas que c’est le cas sur où des relations de confiance sont déjà établies et par Monsieur Jean-Pascal Ramon
toutes les installations mais idéalement, il faudrait que conséquent faciles à entretenir.
le mode de fonctionnement soit beaucoup plus fluide, Chez Carrefour, ce qu’on souhaiterait, c’est peut-être un dans des conditions très encadrées, nos moyens peut-être
meilleur maillage opérationnel et aussi une réglementation sous ce prisme que je viens de citer. En France, il existe
élargie. des centres commerciaux qui permettent aux services de
Monsieur le Professeur Xavier Latour police, c’est le cas à la préfecture de police, d’accéder à leur
1. Pour le meilleur maillage opérationnel, il y a 180 000 agents
de sécurité privée en France et évidemment énormément PC vidéo sans difficulté pour des événements particuliers.
Chez Suez, vous ressentez aussi ce besoin d’améliorer les relations interpersonnelles ? Parce qu’en fait, la difficulté
n’est peut-être pas tant réglementaire que dans les relations d’individus à individus ? de caméras et des radios etc. 2. Pour le deuxième point, c’est l’élargissement de pouvoir
Je vais prendre deux exemples qui me viennent à l’esprit : réglementaire. Souvenez-vous des députés Alice Thourot
et Jean-Michel Fauvergue qui ont rédigé un rapport en
Monsieur Emmanuel Lenain Lors d’un déplacement à Milan, j’ai eu l’occasion avec
septembre 2018, qui s’intitule « d’un continuum de sécurité,
mon homologue local de visiter les magasins. Nous avons
vers une sécurité globale ». Dans ce rapport, il y avait une
également traversé la ville, notamment dans une rue avec
Je répondrai en 2-3 points : gens habilités,etc. ou soit vous n’existez pas. Il n’y a rien proposition, qui était pour moi primordiale. C’est la proposi-
de nombreuses enseignes de luxe etc, et devant chaque
entre les deux. tion n°67 dans laquelle il est écrit : ouvrir la possibilité pour
Premièrement, il faut continuer ces partenariats, comme magasin, ils ont des agents de sécurité, chacun doté d’une
les agents privés et les personnels assermentés de partici-
celui de la gendarmerie, et il faut aller plus vite et plus Concernant ce que j’aimerais, si on veut se préparer à des radio prêtée par la police locale. ils ont un réseau radio
per à des procédures simplifiées pour des petits délits qui
loin pour avancer. C’est la priorité. crises plus longues, je pense que l’on est pas prêt. Cela dédié et ils communiquent des informations qu’ils peuvent
entraînent un préjudice pouvant s’élever jusqu’à 200 € . On
demande des investissements, des unités mobiles de constater sur la voie publique. Ce qui permet aux forces de
passe un temps fou à appeler la police, la gendarmerie pour
Par rapport aux interlocuteurs privilégiés, j’aurais plus traitement, des citernes, ça demande une logistique sur police de pouvoir faire une levée de doute via les caméras
venir interpeller dans nos magasins des voleurs à l’étalage,
une approche régionale que centralisée. lequel aujourd’hui la doctrine de l’eau, que ce soit dans ou d’envoyer un véhicule. En contre-partie les forces de
pour des préjudices inférieurs à 200 €. Franchement, Est-ce
les armées ou dans les préfectures, tout est basé sur la police les informent s’il y a un risque dans la périmétrique,
que la police ou la gendarmerie ne peut pas consacrer ce
Enfin, une des particularités en France, les opérateurs, bouteille d’eau. Et comme vous le savez la doctrine en qui pourrait impacter les magasins, auquel cas, ils prennent
temps à des missions bien plus régaliennes que celles-ci ?
peut-être beaucoup d’entre vous le savez vous, sont, préfecture, la bouteille d’eau ça dure 24-48 heures après les mesures pour protéger les personnes et les biens.
D’autant plus que je pense qu’aujourd’hui, les agents de
soit classés comme un opérateur d’importance vitale, on évacue. Donc ça veut dire que si on veut vraiment se Deuxième exemple, c’est dans le canton du Valais en Suisse, sécurité privée sont parfaitement capables de remplir ces
soit non classés. Aujourd’hui on a un vide et je pense préparer sur des crises longues dans les territoires, ça ce sont des sociétés privées de sécurité qui gèrent la totalité missions. En tout cas, les députés ont eu l’excellente idée
qu’il faut palier à ça en mettant en place d’autres clas- demande une préparation, des investissements et des des services d’ordre : la circulation, le stationnement, la de faire cette proposition, qui plus est, on ne peut pas dire
sifications. Soit vous êtes très stratégiques et il faut des moyens qui ne sont pas ceux d’aujourd’hui. gestion des flux, la verbalisation. que ce n’est pas possible, puisqu’à Paris et dans d’autres
Donc moi je me pose une question aujourd’hui, je me dis villes, vous avez des sociétés privées (et pas forcément des
que peut-être on aurait la possibilité de mettre à disposition, sociétés de sécurité) qui verbalisent le stationnement payant.
Monsieur le Professeur Xavier Latour
J’imagine que vous observez ce qui se passe en Ukraine : des dizaines de missiles, chaque jour, attaquent des Monsieur le Professeur Xavier Latour
infrastructures vitales, et pourtant les équipes travaillent sans cesse sur le terrain pour rétablir l’électricité, rétablir
l’alimentation en eau potable… Est-ce que pour vous, il y aurait des enseignements à tirer de la façon dont les ukrai- Je ne sais pas si vos vœux seront exaucés, en tout cas, je suis convaincu que vos passionnantes réflexions auront donné
niens agissent face à des attaques massives ? beaucoup d’idées sur les sujets de recherche pour des étudiants de l’école des officiers de gendarmerie et du MBA.

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Par Monsieur Geoffroy Roux de Bézieux

Geoffroy Roux de Bézieux est le président du Mouvement des Entreprises de


France (MEDEF) depuis le 3 juillet 2018.
Diplômé de l’Essec et d’un DESS de l’Université Paris-Dauphine.
Entrepreneur depuis 26 ans.
Président-fondateur de Notus-Technologies.
Il s’est engagé, à la fin de ses études, dans les Forces spéciales (commandos
Marine) avec lesquelles il est intervenu en Afrique et au Liban. Il est aujourd’hui
Capitaine de vaisseau de réserve.
Il est chevalier de la Légion d’honneur et officier de l’Ordre national du Mérite.

VI - CONCLUSION DES TRAVAUX Merci pour cette invitation dans ce lieu tout à fait symbolique qu’est l’École militaire. J’ai
l’habitude de démarrer mes interventions par une citation du général de Gaulle. Pour être
fidèle aux traditions, je vais commencer par une citation du général mais je vais en citer deux.
D’abord un discours qu’il a prononcé ici-même à l’École militaire en novembre 1959 où il disait
« pour un pays comme la France si il lui arrive de faire la guerre, il faut que ça soit sa guerre,
si il lui arrive de faire un effort, il faut que ça soit son effort ». Mais au fond je préfère citer le
discours de Bayeux que je pense beaucoup d’entre vous connaissent qui disait : « la défense
c’est la première raison d’être de l’État, il ne peut manquer sans se détruire lui-même ». Et au
fond depuis 1952, 70 ans ont passé mais finalement je pense qu’on peut dire qu’aujourd’hui,
la défense ce n’est plus seulement l’affaire de l’État. En écoutant les propos du dernier inter-
venant, j’ai trouvé que ça résumait assez bien l’enjeu qui est le nôtre.

Je suis très heureux du thème que vous avez choisi et à travers ce MBA de faire vivre l’impératif
qui est le nôtre de défense et de sécurité de notre pays et de nos territoires. Je suis également
très heureux que les entreprises soient associés à cette défense et à cette formation pour des
officiers et des cadres du privé. Car effectivement je pense que ces enjeux de sécurité, de
défense sont aussi ceux des entreprises, je dirais même de plus en plus ceux des entreprises.

Le monde a changé. On a peut-être, nous les entreprises, mis un peu de temps à s’en rendre
compte mais l’époque où on pouvait penser, il y a 25-30 ans, que le doux commerce comme
le disait Montesquieu, c’est-à-dire que les relations commerciales allaient nous amener vers
un monde où la convergence des modèles allait amener une espèce de grande démocratie
mondiale et un apaisement des tensions révolues. C’est vrai dans les territoires et c’est vrai à
l’extérieur de notre territoire. Ce que l’on a appelé à un moment « la fin de l’Histoire » c’est à
dire le triomphe du modèle occidental, on se rend compte aujourd’hui que ce n’est plus le

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cas et chaque jour qui passe amène une remise en Ce changement géostratégique nous amène à repenser peu critique, la Russie a attaqué l’Ukraine le 24 février. factures qui n’ont pas bougé. Et donc on est face à un
question dans le monde de l’entreprise des modèles la résilience du pays, la résilience de nos territoires, Il aurait attendu un mois de plus, on aurait Nordstream test de souveraineté et de résilience majeur.
de résilience et des modèles de souveraineté. la résilience de nos économies. Alors on a déjà eu un 2, et la dépendance de l’Europe de l’Est et de l’Alle-
réveil amer au moment du COVID où on a découvert magne aurait été amplifiée. Et c’est l’illustration de ce On en arrive finalement à la défense et la résilience des
Au fond, on va petit à petit, je ne suis pas sûr que tous la désindustrialisation du pays, le fait que l’on ne faisait proverbe paysan de bon sens « ne pas mettre tous ses territoires où je pense que l’on est dans un moment où
nos chefs d’entreprise en aient conscience, vers une plus de masques, le fait qu’on ne faisait plus de para- œufs dans le même panier ». L’Allemagne en matière il faut travailler ensemble à la fois avec les forces de
logique presque de plaques économiques avec d’un cétamol et des tas d’autres choses. À quelque chose, d’énergie a mis tous ses œufs dans le même panier. sécurité de l’État mais aussi les acteurs de la sécurité
côté des pays qui ont ce que l’on pourrait appeler malheur est bon, car cela a remis l’industrie au-devant
des volontés de puissance, au fond une envie d’être de la scène, ça a remis le fait qu’un pays ne peut pas Les entreprises françaises dans ces crises ont montré privée. Il y a nécessité d’avoir une combinaison forces
plus grands, d’être conquérants, d’être plus influents, se reposer complètement sur l’Étranger surtout quand une incroyable résilience puisque depuis trois ans, de l’ordre et sécurité privée pour assurer la sécurité
plus craints (Russie, Chine, puissances émergentes du l’Étranger peut être hostile pour un certain nombre de on va de crise en crise. Ce qui est arrivé avec la crise des jeux olympiques. Je rappelle que les Anglais en
Moyen-Orient). De l’autre côté, il y a nos vieux pays biens vitaux. Cela a remis au centre du jeu le concept du COVID c’est quelque chose que l’on pas connu de
démocratiques, qui eux continuent à espérer et à vouloir 2012, on l’a un peu oublié, se sont trouvés tellement
de souveraineté économique. mémoire de chef d’entreprise. On nous a demandé
régler les conflits par le droit et il faut le dire, dont les dépourvus, qu’ils ont fait appel à l’armée au dernier
de nous arrêter puis de repartir dans des conditions
citoyens préfèrent finalement le confort à la volonté Alors quand je suis arrivé à la présidence du MEDEF moment et cela n’a pas été une réussite absolue.
extrêmement difficiles. Et à chaque fois les entreprises
de puissance. L’inflexion est marquée. Finalement si en juillet 2018, une des premières choses que j’ai faite
ont fait preuve de beaucoup d’agilité et de résilience. Merci à vous tous et toutes qui participaient à ce MBA.
on refait un peu l’Histoire à l’envers, en 2001, quand c’est de créer un Comité de souveraineté économique.
Aujourd’hui cela recommence avec la crise de l’éner-
Bill Clinton fait rentrer la Chine dans l’OMC, il y avait A l’époque ça a pu faire froncer quelques sourcils car L’essence de ce que vous faites c’est d’insuffler un esprit
gie. Les chefs d’entreprise à l’heure où on parle voient
vraiment cette conviction que le modèle occidental le mot souveraineté n’était peut-être pas un mot qui de défense à la fois entre les entreprises et les forces
allait dominer et qu’on allait emmener tout le monde faisait partie du vocabulaire de l’entrepreneur libéral leur facture d’électricité être multipliée par 6, 7, 8, 9
et 10. On se retrouve donc sur des modèles où ils ne de sécurité. Cela me paraît essentiel pour l’avenir de
vers une démocratie apaisée, notre modèle de citoyen- traditionnel. Depuis je pense que tout le monde a
gagnent plus d’argent sur ce qu’ils font et se retrouvent nos entreprises qui je le redis ne sera pas le même
neté. Je crois que l’on peut le dire collectivement, vous compris de quoi il s’agissait et cette souveraineté
avez assisté au grand congrès du parti communiste doit se décliner à plusieurs niveaux. Elle se décline au avec des concurrents qui eux hors de l’Europe ont des que les vingt dernières années.
chinois, que ce modèle là n’est pas celui qui est entrain niveau du pays. Il est important de se dire collective-
de dominer. La démocratie recule dans le monde. La ment ce que l’on veut produire en France ce que l’on
paix recule dans le monde. Le règlement des conflits peut acheter à l’étranger. Elle se décline au niveau du
par le droit international recule dans le monde. La continent en tout cas de la communauté européenne,
guerre en Ukraine en est l’illustration la plus forte. Il ce que l’on peut produire en Europe, ce que l’on peut
ne faut pas oublier que ce conflit a démarré en réalité accepter de produire à l’étranger. Et elle se décline au
en 1991, à bas bruit, au moment de l’éclatement de sein des entreprises, ce que je dois faire moi-même et
l’Union soviétique. ce que je peux acheter à l’étranger. C’est un examen
assez approfondi qu’on doit faire. Il y a des choses
Alors on peut disserter pendant des heures sur l’His- que l’on doit produire 100 % en France (un sous-marin
toire, sur cette région du monde que je connais très nucléaire par exemple). Nous sommes une des rares
bien. J’y étais en juillet 2021, où j’ai pu rencontrer le nations au monde à faire complètement un sous-marin
président Zelensky. Au total il y a un agresseur et un nucléaire y compris dans ses aspects les plus pointus.
agressé. Il y a un pays qui respecte le droit et l’autre Il y a des choses que l’on peut accepter de produire à
qui ne le respecte pas. C’est pour ça qu’au MEDEF, on a l’étranger c’est à dire des commodities, ce qui bénéfi-
fait le choix, pas facile car il pesait sur nos entreprises, cie de suffisamment de sources d’approvisionnement
de soutenir la position prise par notre pays et l’Europe, dans le monde pour acheter ailleurs si jamais il y a une
j’allais dire quoiqu’il en coûte. Comme vous le savez, source qui est coupée.
beaucoup de nos entreprises ont été pénalisées.
On était parmi les premiers employeurs en Russie. Ce concept de souveraineté et de résilience est par-
Renault, la Société Générale et d’autres ont mis fin à faitement illustré par ce qu’il se passe avec le gaz
leur activité en Russie, perdant énormément d’argent. russe aujourd’hui. Madame Merkel porte une très
Mais au fond, à la fois pour des raisons d’éthique ou lourde responsabilité devant l’histoire lorsqu’elle a
de morale, mais aussi de business, c’était le bon choix décidé d’arrêter le nucléaire et d’accroître la dépen-
par ce que l’économie de marché a besoin du droit et dance énergétique vis à vis de la Russie. On en voit
de l’État de droit. aujourd’hui les conséquences. Et encore, si je suis un

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