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Shmuel Trigano
In Press | « Pardès »
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SHMUEL TRIGANO
PARDÈS N° 34/2003
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profond d’eux mêmes que reconnaître que leur entreprise “juste” s’est
accompagnée d’une autre “injuste”, commise cette fois à l’encontre des
Palestiniens, équivaudrait à déligitimer l’État d’Israël… Ce blocage est
extrêmement difficile à dénouer et il en sera ainsi tant que les attributs
d’absolu associés au statut de victime “éternelle” ne seront pas dépas-
sés, tant que les Israéliens refuseront de reconnaître ce qu’ils savent au
plus profond d’eux mêmes, à savoir que tout être humain, toute commu-
nauté, toute nation peut s’avérer, selon les circonstances, victime ou bour-
reau et parfois même victime et bourreau 2. » Dominique Vidal résume
bien cette position : « Ce qui est mis à nu c’est bel et bien le “péché
originel” d’Israël. Le droit des survivants du génocide hitlérien à vivre
en sécurité dans un État devait-il exclure celui des fils et des filles de la
Palestine à vivre eux aussi en paix dans leur État ? La réponse à cette
question concerne le passé mais aussi le présent. Car l’injustice commise
ne peut être réparée qu’en réalisant avec plus d’un demi siècle de retard
le droit des Palestiniens à une patrie 3. »
DU MYTHE À LA RÉALITÉ
Bien évidemment, il y a ici une version dévoyée des faits. Elle est
très « originale » – soulignons-le d’emblée – car elle perpétue le « discours
du maître » tout en définissant le maître par la vertu et le sens moral, en
fait la condition victimaire qu’elle reproche à Israël, et non par le pouvoir
seul. Invention d’un maître-victime ! Cela s’entend clairement dans le
discours d’un Sanbar : « Israël sait qu’il ne suffit pas d’être légitime pour
ses citoyens, que la vraie légitimité, celle à laquelle il affirme aspirer,
dépend du pardon que seule sa victime, le peuple arabe de Palestine peut
donner. Or ce pardon passe par la reconnaissance de la responsabilité
israélienne dans l’immense injustice commise en 1948, et par voie de
conséquence du droit au retour 7. »
Les choses ne correspondent pas « tout à fait », en effet, à ce récit
mythique. Qu’est-ce qui, dans la réalité, tout d’abord a rendu possible
l’invocation d’un « droit au retour » ? Non pas l’« invasion sioniste » que
représenterait l’établissement du Foyer National Juif en 1917, mais le
refus arabe et palestinien permanent du partage de la Palestine manda-
taire en deux États, prôné par l’ONU. Les réfugiés ont quitté les lieux
ou ont été expulsés des territoires israéliens en 1948 des suites d’une
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pour avantage de ne plus poser les termes du conflit dans des termes poli-
tiques mais mythiques : « victimes », « compensation », « culpabilité »,
« péché originel » et non plus décisions politiques, déclarations de guerre
exterminatrices, responsabilité politique… Par le biais de cette dépoli-
tisation, ils rattachent la figure d’Israël à la symbolique antijuive qui a
eu en Europe ses lettres de noblesse, en ressuscitant les plus vieux
fantasmes antisémites, ceux que l’on voit se déployer depuis la deuxième
Intifada. En Orient islamique, cette manipulation symbolique inscrit
inévitablement le conflit hors du politique, c’est-à-dire dans le domaine
de la guerre sainte et de la haine religieuse. L’islamisation du mouve-
ment national palestinien relève ainsi d’une évolution naturelle.
AU NŒUD DE CE SYNDROME :
LES JUIFS DES PAYS ARABES
Les sépharades ont été les colonisés de ceux qui sont devenus par la
suite des colonisés. C’est la venue du pouvoir colonial qui les libéra de
leur condition. Dès que ce pouvoir se retira, leur condition d’hommes
libres n’était plus assurée dans ces pays. Démonstration par l’absurde de
la condition dominée du Juif dans le monde arabo-islamique. Les ex-
colonisés ne sont pas indemnes de la volonté de domination.
La décolonisation des Juifs concomittante à la création de l’État
d’Israël, se produit à l’âge même de la décolonisation et de l’accession
à l’indépendance d’État arabes qui se créent alors. L’État d’Israël n’est
pas un vestige du colonialisme. Ou alors tous les États arabes en sont…
L’État d’Israël émerge de l’histoire de la région.
Les sépharades sont la preuve vivante que les non-musulmans n’ont
pas trouvé leur place dans les États arabes qui, de fait, ont fait de l’is-
lam leur religion officielle avec toutes les conséquences imaginables
pour les dhimmis, les peuples dominés de l’islam. Réversiblement, un
cinquième de la population israélienne est palestinienne et citoyenne. Il
y a aujourd’hui des partis politiques arabes et islamiques au Parlement
israélien. On ne peut pas en dire autant des autres pays arabes… Le
judaïsme n’est pas la religion officielle de l’État d’Israël qui est ainsi le
seul État démocratique de la région, une démocratie adaptée à l’héritage
historique de la région où le droit des personnes a été régi par les instances
religieuses du fait de l’interpénétration des populations dans un univers
où il n’y a pas eu d’États-nations. Par contre l’OLP demande le déman-
tèlement des établissements juifs en « Territoires occupés », c’est-à-dire
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L’ENJEU ÉTHIQUE
Kk
NOTES
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aux États arabes des « réparations aux « anciens réfugiés juifs » – bien que ces répa-
rations « ne fassent pas partie de l’accord bilatéral israélo-palestinien » – « en recon-
naissance de leurs souffrances et pertes » (dixit Sanbar, op. cit., p. 394-395).
12. Voyons ce qu’écrit une juriste comme Monique Chemillier Gendreau : « La logique
de la création de l’État d’Israël était sans doute de donner une terre à un peuple appelé
juif par référence à une religion mais aussi à une histoire qui était celle d’une longue
dispersion »… « camper sur l’idée d’un État juif (qui dans les faits est un leurre avec
ou sans droit au retour) c’est poursuivre l’édification d’une société d’apartheid » (cf.
Le droit au retour…, op.cit., p. 314).
13. Cf. annexe.
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ANNEXE
L’épuration ethnique
C’est sur la base de ce tour de passe passe que le futur État « garantira la liberté
du culte en permettant à chacun de s’y rendre (sauf donc aux Juifs venus après
1917 !) sans distinction de race, de couleur, de langue ou de religion ». Mais il est
clair que le peuple palestinien à venir est « le peuple arabe palestinien » (article 21),
rejetant « toute solution de remplacement à la libération intégrale de la Palestine ».
3. Novembre 1998 : « La paix d’Oslo est une paix à la Houdabiya » (15 novembre
1998. Discours prononcé devant des membres de la branche jeunes du Fatah).
4. Novembre 1994 : « Seul un État palestinien est capable de poursuivre la lutte à
mener pour chasser l’ennemi de toutes les terres palestiniennes » (Jerusalem
Post, 18 novembre 1994).
5. Juillet 1995 : « C’est le programme par étapes que nous avons tous adopté en
1974, pourquoi vous y opposez-vous ? » (Yasser Arafat, en réponse aux critiques
de ceux qui sont opposés aux accords avec Israël).
6. Septembre 1995 : « Oslo II applique, en la différant, l’une des étapes du plan
par étapes de l’OLP de 1974 » (A-Daysur [journal jordanien], 19 septembre
1995.
7. « La lutte contre l’ennemi sioniste n’est pas une question de frontières, mais
touche à l’existence même de l’entité sioniste » (Bassam-abou-Sharif, porte-
parole de l’OLP, Kuwait News Agency – Agence de presse koweïtienne, 31 mai
1996).
8. «Le but stratégique est la libération de la Palestine, du Jourdain à la Méditerranée,
même si cela signifie que le conflit doive durer encore mille ans ou pendant de
nombreuses générations à venir» (Faisal Husseini, interview accordée à Al-Arabi
[Égypte], 24 juin 2001).
9. « La bataille ne se terminera pas avant que la totalité de la Palestine ne soit libé-
rée » (Yasser Arafat, Voice of Palestine – La voix de la Palestine –,
novembre 1995.
10. « Bénie sois-tu, Jaffa, tes fils reviennent ; Jaffa, Lod, Haïfa, Jérusalem – vous
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La Palestine essentialiste
Face à l’anhistoricisation du peuple juif, déniant à Israël tout droit d’exister, l’iden-
tité palestinienne est définie, par contre, dans des termes essentialistes. La charte
déclare ainsi dans cet esprit :
Article 1 : « La Palestine est la patrie du peuple arabe palestinien ; elle constitue
une partie inséparable de la grande partie arabe, et le peuple palestinien fait partie
intégrante de la nation arabe ».
Article 4 : « L’identité palestinienne constitue une caractéristique authentique,
essentielle et intrinsèque : elle est transmise des parents aux enfants ».
Article 2 : « La Palestine dans les frontières du mandat britannique, constitue une
unité territoriale indivisible ».
La «Palestine historique»
Pour fonder le « droit au retour », le discours palestinien oppose ainsi l’authenticité
de la condition de peuple des Palestiniens à l’artificialité de la collectivité israé-
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L’entité géographique
Or telle ne fut pas l’histoire de la « Palestine historique ». Le terme lui-même de
Palestine – qui le sait? – fut donné par l’empereur Hadrien au territoire des Royaumes
de Juda et d’Israël (oui, « Judée » et « Samarie » sont les noms de lieux historiques
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L’entité démographique
La singularité identitaire des Palestiniens qui s’est aujourd’hui affirmée au contact
d’Israël ne fut pas dès le départ, et peut-être n’est toujours pas dissociée de l’iden-
tité arabe globale, la « nation arabe » dans sa version nationale, ou la « Oumma »
islamique, dans sa version religieuse. C’est à cette dernière que fait appel Arafat
quand il invoque la « guerre sainte », le djihad pour motif de sa guerre. L’article 1
de la Charte palestinienne soulignant que le « peuple palestinien fait partie inté-
grante de la nation arabe » le signifie bien.
Mais il n’y a pas que le territoire ou l’identité qui soient rétrospectivement histori-
cisés. Le « peuple palestinien » lui-même est une invention récente, sans guère plus
d’« authenticité » que les immigrants juifs du début du sionisme, si l’on veut compa-
rer, à l’aune des critères de l’OLP elle-même. Mais, par contre, en rapport direct
avec cette immigration qui fit du Foyer national juif un bassin économique attirant
vers lui des vagues d’immigration venues de nombreux et divers pays arabes,
jusqu’aux années 1940 (un courant migratoire qui commença en fait dès le début
du XIXe siècle). Une forte immigration musulmane et arabo-chrétienne venant des
pays voisins (Liban, Syrie, Bédouins) profitèrent de la promulgation en 1858 d’un
Code foncier autorisant la colonisation des terres vierges et « mortes ». Les riches
bourgeoisies arabes s’approprièrent les terres qu’elles firent travailler aux fellah ou
aux Bédouins. La population musulmane de Haïfa est ainsi originaire des Syriens
du Djebel Druz. Les Arabes, sujets ottomans, pouvaient en effet s’installer sur ces
terres. De 1831 à 1840, le pays était sous la juridiction de Mehemet Ali, vice roi
d’Égypte : six mille colons égyptiens s’installèrent à Haïfa, et en Galilée. La vague
migratoire égyptienne continua avec régularité, après coup, à Jaffa, Gaza, Tulkarem,
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1. Seul un parti politique l’a prôné, le Kach, interdit par la Knesset pour racisme. Seuls
deux autres partis politiques, le parti « Hérout » du député Michaël Kleiner, et, dans une
moindre mesure « l’Union nationale » de Avigdor Lieberman et du rabbin-député Motty
Eilon (qui est l’héritier actuel de l’ancien parti « Moledet » de feu Rehavam Zéévi) prônent
l’expulsion immédiate des terroristes et de leurs familles et envisagent l’éventualité de
transferts de populations concernant certains secteurs des Arabes israéliens et des
Palestiniens dans le cas d’un règlement négocié avec le monde arabe ou en cas de guerre
d’agression flagrante déclenchée par les États arabes (renseignement obtenu auprès de
Richard Darmon).
2. Cf. Y. Harkabi Palestine et Israël, Les éditions de l’avenir, 1972.
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