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L E S É C R I VA I N S DU BAC

PAGNOL
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uteur dramatique, cinéaste, « pagnolades » et le cinéaste a fait de raconter l’enfance d’un petit garçon »,
homme d’affaires, académi- l’ombre à l’écrivain. Pourtant la tentation l’enfance « des grands-pères d’alors »,
cien, mémorialiste, roman- de faire du « Pagnol » fut plutôt le fait de peut-être pas très différente de celle des
cier, historien même – un comédiens qui en rajoutaient à la de- « petits garçons de tous les pays du
peu monomaniaque car mande du public. Bref, si l’on veut com- monde et de tous les temps [qui] ont tou-
spécialisé dans l’affaire prendre l’authentique pagnolien – « lo- jours eu les mêmes problèmes, la même
du Masque de fer – tantique » aurait dit Ugolin – il faut malice, les mêmes amours ». L’essentiel
Marcel Pagnol avait plusieurs cordes à d’abord se défier du « pagnolesque ». est dit. Lorsque Pagnol parle de lui-même,
son arc. Il s’était même imaginé passer à c’est-à-dire du monde qui l’a vu naître
la postérité comme mathématicien en et dans lequel il a grandi, il n’invite pas
proposant une solution du théorème de
Le pacte autobiographique son lecteur à une balade touristique dans

D
Fermat! Il est resté dans la mémoire col- e l’enfance de Pagnol, nous savons la Provence d’autrefois, mais à partager
lective française comme l’homme d’une beaucoup de choses de l’intérieur, avec lui dans la simplicité d’une langue
région, la Provence et d’une ville, Mar- parce qu’il l’a racontée avec hu- classique, quoique adornée de proven-
seille. Il a immortalisé le «fériboite» (un mour dans ses Souvenirs d’enfance : çalismes parfois recherchés – ainsi
bac) et le «Pont Transbordeur» (une na- Lagloire de mon père (1957), Lechâteau Landolfi ou Ugolin ont les yeux qui « par-
celle suspendue), attributs essentiels du de ma mère (1957) et Le temps des se- pelègent » – l’expérience même de l’en-
Vieux-Port d’autrefois ou encore la re- crets (1959). Cette trilogie que complète fance de tous les hommes.
cette du Picon-Citron avec ses «quatre la publication posthume du Temps des
tiers». Ses personnages, qu’ils soient is- amours (1977) fait pendant dans l’esprit
sus de son théâtre, de son cinéma, de son du public à la « trilogie marseillaise ».
Né sous Garlaban

J
œuvre de mémorialiste ou de ses romans, Dans un bref avant-propos, Pagnol dé- e suis né dans la ville d’Aubagne,
ont laissé une trace d’autant plus vive clare écrire « pour la première fois en sous le Garlaban couronné de chè-
qu’ils furent incarnés par des comédiens prose » – ce qui est exagéré – et confesse « vres, au temps des derniers che-
souvent exceptionnels. ses scrupules : « C’est bien imprudent, vriers3. » Les Pagnol, dont le nom révèle
Au théâtre, il suffit d’évoquer Topaze, vers la soixantaine, de changer de mé- l’ascendance espagnole, étaient venus
l’instituteur; les protagonistes de la «tri- tier1. » Car la position du romancier, plus s’établir dans la région en ces temps où
logie marseillaise » Marius, Fanny et encore celle du mémorialiste, lui impo- les tailleurs de pierre affectaient de mé-
César (qui fut d’abord un film) ; ou au ci- sait pour la première fois de se préoc- priser les maçons. Fils d’instituteur,
néma, le Schpountz, le boulanger de cuper de style au-delà de celui que doi- Marcel a su lire très tôt car sa mère
La femme du boulanger ou le puisatier vent avoir des personnages de théâtre : avait pour habitude de le laisser dans la
de La fille du puisatier ; enfin dans les « Ce n’est plus Raimu qui parle, c’est moi. classe pendant que son père apprenait
romans, le Papet Soubeyran, son neveu Par ma seule façon d’écrire, je vais me à lire à des enfants de six ou sept ans.
Ugolin, et Manon des Sources dans L’eau dévoiler tout entier, et si je ne suis pas Il ne tira guère parti de cette étonnante
des collines. Sans la guerre, Pagnol au- sincère – c’est-à-dire sans aucune pudeur précocité qui, si elle avait donné à son
rait sans doute également réussi dans son – j’aurais perdu mon temps à gâcher du père « la plus grande fierté de sa vie4 »,
entreprise de créer une sorte de mini- papier2. » Et Pagnol d’ajouter qu’il ne avait conduit sa mère, par crainte d’une
Hollywood marseillais. Pourtant, cet écri- s’agit dans ses souvenirs que « d’une pe- « explosion cérébrale5 », à lui interdire
vain n’a guère suscité l’intérêt des uni- tite chanson de piété filiale », celle d’un jusqu’à l’âge de six ans et les livres et
versitaires. On lui a reproché ses homme mûr qui éprouvait le besoin « de l’entrée dans une classe.

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BIOGRAPHIE :
28 février : naissance à Aubagne. 1910 : mort d’Augustine
Lansot, mère de Pagnol. 10 février 1914 : sortie du premier
numéro de Fortunio (qui deviendra Les Cahiers du Sud). 1922:
arrivée à Paris comme enseignant adjoint au lycée Condorcet.
1924: création des Marchands de gloire. 1926 : création de
Jazz. 1928: création de Topaze 1929: création de Marius. 1947:
réception à l’Académie française. 1957: publication de Lagloire
de mon père et du Château de ma mère. 1963: L’eau des col-
lines. 1973: Lesecret du masque de fer. 18 avril 1974: Marcel
Pagnol meurt à Paris.
BIBLIOGRAPHIE :
Œuvres de Marcel Pagnol :
Œuvres complètes en trois volumes: I. Théâtre, II. Cinéma III.
Souvenirs et romans. Éditions de Fallois 1995.
Biographies et études:
Raymond Castans, Marcel Pagnol, Lattès 1987, Le Livre de
poche, 1995. Raymond Castans, Il était une fois Marcel Pagnol,
Fallois, 1995. J.-J. Jelot-Blanc, Marcel Pagnol inconnu, La Treille/
Lafon, 1998. Thierry Deshaies, Marcel Pagnol, lieux de vie,
lieux de création, Édisud, 2002. Bernard de Fallois, Postface
du Temps des amours, Julliard, 1977. JacquesBens, Pagnol,
Seuil, 1994.
FILMOGRAPHIE :
Marius, 1931 (réalisation Alexandre Korda); Fanny, 1933 (réa-
lisation Marc Allégret); Angèle, 1934; Jofroy, 1935; César, 1936;
Regain, 1937; La femme du boulanger, 1938; La fille du pui-

KEYSTONE/GAMMA
satier, 1940; Manon des sources, 1952. Tous les films dispo-
nibles en DVD collection Marcel Pagnol, CMF. Claude Beylie,
Pagnol ou le cinéma en liberté, Atlas-Lherminier 1986; ré-
édition, Le Fallois 1995.

Croqué avec humour, le petit monde certaine et pour tout dire phonétique, an- Le professeur d’anglais se
des instituteurs dont son père, Joseph nonce un procédé repris dans Lehâteau fait dramaturge
Pagnol, était un représentant typique, est de ma mère ou dans L’eau des collines.

P
une des constantes de l’œuvre de Pagnol. On y trouve même des poèmes rappelant agnol voulait conquérir Paris, non
L’instituteur dans la France de l’époque que, étudiant à Montpellier, Pagnol pu- certes comme Rastignac, mais
était l’homme instruit, le gardien de la blia aussi quelques bouts rimés dans di- comme un créateur qui craignait
morale civique, laïque et républicaine, verses revues. que l’enseignement ne desséchât ce qu’il
œuvrant au progrès et à la La mort de la mère de y avait en lui de talent, sinon de génie.
prospérité de la Nation. Au Pagnol, en 1910, puis le re- Aussi, dès que ses demi-succès le lui per-
gré des affectations de «Article_hors-texte mariage de son père ont mirent, il abandonna l’enseignement. Il
Joseph Pagnol, la famille Article_hors-texte constitué une première rup- se lia avec les milieux du théâtre et com-
s’est installée dans la ban- Article_hors-texte ture dans la vie du petit posa avec son ami Paul Nivoix une pièce,
lieue de Marseille, puis à Article_hors-texte Marcel. Elève assez doué, au créée en 1925, Lesmarchands de gloire.
Marseille même dans le Article_hors-texte lycée Thiers de Marseille (où Le ton antimilitariste de cette dénoncia-
quartier de La Plaine. Article_hors-texte il eut en khâgne Albert tion de l’exploitation politicienne du sa-
« LaPlaine-Saint-Michel est Cohen pour condisciple et crifice des soldats et le caractère cynique
une grande place de Article_hors-texte» ami), il avait le sens de la ca- des personnages expliquent dans la
Marseille. Le vent y souffle maraderie et le goût du tra- France de l’après-guerre le relatif insuc-
tiède, les bruits y sont gais, et le soleil y vail d’équipe. Il lança avec quelques amis cès de la pièce. Elle fut cependant jouée
brille plus clair qu’en aucun endroit du une revue littéraire, Fortunio, dont il s’oc- à New York, en Allemagne et même
monde6 », lit-on au début d’un premier cupa jusqu’à son départ pour Paris. jusqu’en 1982 dans la défunte Union so-
essai romanesque, Pirouettes. Présenté Réformé, ayant obtenu en 1915 une li- viétique ! Si Les marchands de gloire
comme les « Mémoires véritables7 » du cence d’anglais et s’étant marié une pre- avaient signalé le nom de Pagnol comme
narrateur Jacques Panier, Pagnol ro- mière fois en 1916 (Pagnol a eu cinq en- dramaturge, Jazz fut son premier succès
mancier débutant y fait montre de son fants de quatre lits différents), il entama personnel, quoique d’estime encore.
inclination pour les dialogues et son sens une carrière dans diverses institutions Jazz raconte l’histoire de Blaise, reçu
de l’observation et, outre quelques cu- scolaires où il fut pion, maître d’internat, cacique à l’agrégation et qui a consacré
riosités lexicales comme des nourrices répétiteur, professeur adjoint avant qu’on sa vie à l’étude d’un manuscrit dans le-
qualifiées de « femmes mégamamées », ne lui propose de monter à Paris pour tra- quel il pense pouvoir reconnaître le
l’insertion d’une lettre à l’orthographe in- vailler au lycée Condorcet. Phaëton, un dialogue perdu de Platon.

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Devenu professeur de grec chevronné La femme du boulanger, avec
à la faculté d’Aix, il brigue un poste en Raimu. Les personnages de
Pagnol ont souvent été incarnés
Sorbonne. Il apprend par le doyen qu’un par des comédiens
chercheur étranger a démontré que le exceptionnels.
texte n’était en fait qu’un pastiche de
Platon. Réalisant la vanité de sa vie et de dans la vie de l’auteur à suc-
son métier, harcelé par son « double », cès qu’était devenu Pagnol :
lui en jeune homme de vingt-cinq ans, le « Je ne savais pas que j’aimais
vieux professeur se rend compte qu’il est Marseille, ville de marchands,
passé à côté de la vie et tente de rattra- de courtiers et de transitaires.
per le temps perdu en déclarant sa Le Vieux-Port me paraissait
flamme à sa jeune étudiante. Mais celle- sale – et il l’était ; quant au pit-
ci en aime un autre. Sur fond d’orchestre toresque des vieux quartiers,
de Jazz, symbolisant la vie à laquelle il a il ne m’avait guère touché
renoncé pour rien, le vieil universitaire jusque-là et le charme des pe-
est tué par son double qui prend sa re- tites rues encombrées de dé-
vanche sur celui qui gâché sa vie. Le cher- tritus m’avait toujours
cheur qui s’est fourvoyé et le pédagogue échappé10. » Pagnol concéda
raté préfigurent Topaze, le personnage « qu’en l’écrivant [il] avait dans
éponyme de la pièce qui éleva Pagnol au l’oreille la voix des acteurs
premier rang des auteurs dramatiques de marseillais de l’Alcazar11 ». La
l’entre-deux-guerres. gouaille des personnages s’ex-
prime dans la partie de ma-
nille scandé par les célèbres
Des planches aux plateaux répliques de César, Panisse,

C
réé le 9 octobre 1928 au Théâtre des M.Brun et Escartefigue et cul-
DR

Variétés, Topaze met en scène un génie pour écrire du dialogue, mais il faut mine dans la réflexion de César après que
enseignant. Victime de sa probité, un DON spécial9 […]. » Et Pagnol corro- Panisse eut quitté la table : « Si on ne peut
Topaze est renvoyé pour avoir refusé de bore sa démonstration, comme souvent, plus tricher aux cartes avec ses amis, ce
remonter les notes du fils d’une baronne, par l’exemple : « Celui qui n’a pas ce don, n’est plus la peine de jouer aux cartes12. »
bienfaitrice de l’institution. Engagé l’art dramatique le rejette, et ce qu’il écrira Pagnol, qui avait songé un temps à sup-
comme précepteur, il sert d’abord de n’aura pas la vie. Ainsi de très grands écri- primer ce « sketche » parce qu’il ne fai-
prête-nom à un conseiller municipal vé- vains, comme Flaubert, comme Balzac, sait guère avancer l’action, a été bien ins-
reux, puis comprend qu’il est lui aussi ca- comme Ernest Renan, ont écrit des piré de le maintenir, témoignant là de
pable de rouerie. Le prête-nom se révèle pièces de théâtre. Elles étaient en- l’évolution de sa technique d’écriture dra-
un redoutable homme d’affaires. Aux nuyeuses, injouables, imparlables. » matique.
maximes édifiantes qui ornaient la salle Ni ennuyeux ni imparlable, et encore
de classe « Pauvreté n’est pas vice ! » ou moins injouable, Marius assure le
« Bien mal acquis ne profite jamais ! » a triomphe de Pagnol. La pièce montre
La « trilogie marseillaise »

F
succédé l’imposante maxime qui décore Marius partagé entre le désir de décou- anny et César, qui forment avec
le bureau de l’homme d’affaires : « Le vrir le monde et son amour pour une pe- Marius la trilogie dite « marseil-
temps c’est de l’argent ». Chantages, mal- tite marchande de coquillages du Vieux- laise », peuvent être lus comme le
versations, concussions, prévarications Port, la belle Fanny. Marius, décidé de récit des étapes du châtiment de Marius
et margoulinades sont désormais l’ordi- partir à la conquête de ses chimères, re- qui doit payer pour ses rêves d’exotisme
naire de Topaze dont la métamorphose nonce à épouser Fanny. Celle-ci s’efforce et pour avoir fui celle qu’il aime. Il s’en
en gredin est l’envers de son adaptation un temps de rendre jaloux son amant en faut cependant que Pagnol ait eu ab ini-
au monde moderne. lui annonçant que le maître-voilier tio le projet de composer un tel ensem-
Expression d’une vision à la fois co- Panisse l’a demandée en mariage. C’est ble. Lorsqu’il a écrit Marius, Pagnol avait
mique et pessimiste, la pièce est une cri- un homme mûr et veuf, client habituel du en tête une pièce qui se suffisait à elle-
tique sans complaisance moins de Bar de la Marine, que tient César, le père même et, malgré le succès, il était réti-
Topaze, qui demeure sympathique, que de Marius. Rien n’y fait. S’apercevant par cent à l’idé même d’écrire une suite : « Un
du monde qui l’a transformé. Dès ses pre- la suite qu’elle est enceinte de Marius, auteur qui écrit une suite risque de don-
mières pièces, Pagnol avait montré sa Fanny accepte, après lui avoir révélé son ner l’impression qu’il est à bout de souf-
maîtrise de l’art dramatique, plus préci- état, une nouvelle proposition de Panisse fle, qu’il tire sur une même ficelle faute
sément de ce qui en constitue le « pont tout à sa joie d’avoir enfin un héritier. d’imagination13 » lui aurait déclaré le di-
aux ânes8 » et « la substance même » : le Avec ses dialogues simples et pitto- recteur du Figaro, Pierre Brisson. Ayant
dialogue. Réfléchissant à ce moment-clé resques, que l’accent provençal renforce, surmonté ses réticences il sut montrer
de sa vie de créateur où le cinéma de- notamment dans l’adaptation cinémato- qu’il ne manquait pas d’imagination pour
venant parlant lui offrait un médium d’ex- graphique de la pièce, Marius marque tirer parti avec bonheur d’un fil drama-
pression nouveau, il s’est expliqué sur la une nouvelle étape dans la carrière de tique assez solide pour porter l’intrigue
nature d’un talent qu’il savait posséder : Pagnol. C’est d’abord la prise de d’une suite qui se maintienne au niveau
« Je ne veux pas dire qu’il faille un grand conscience de l’importance de Marseille de son commencement.

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Dans Fanny (créé le 5 décembre La « trilogie marseillaise » rait alors engagé à le faire, un peu à la lé-
1931), Marius, omniprésent dans les gère puisque quand un coursier vint cher-

L
conversations des autres personnages, a a « trilogie marseillaise » rythme la cher quelques pages, Pagnol n’avait en-
quelque chose de l’Arlésienne, à ceci près métamophorse du dramaturge en ci- core rien écrit. C’est ainsi, qu’à la hâte, il
qu’il apparaît au dernier acte : de passage nématurge. Pagnol s’est longuement rédigea quelques pages de La gloire de
à Marseille, il vient faire comprendre à expliqué sur son évolution de dramaturge mon père. Le succès populaire de la tri-
Fanny que, deux ans après, il l’aime tou- en cinématurge dans Cinématurgie de logie des Souvenirs d’enfance encoura-
jours. Mais, elle est devenue entretemps Paris, un ensemble de textes où il pré- gea Pagnol à persévérer dans la carrière
la femme de Panisse et la mère d’un fu- cise ses vues sur l’art cinématographique. de romancier. Fait rarissime dans l’his-
tur héritier dont « la vie est toute prête14 ». Pagnol a fait ses premières armes au ci- toire de la littérature, Pagnol, à qui l’on a
Marius a beau dire que la folie des néma en adaptant un conte de Giono, reproché d’avoir fait du théâtre filmé, fit
voyages l’a quitté et tenter de se justifier Joffroi (1933) qui traite de l’attachement le chemin quasi inverse en adaptant un
auprès d’elle: « Ce qui se passe dans no- d’un vieux paysan à ses arbres. De Giono film à l’écrit. Le film Manon des sources
tre tête, on ne le comprend pas tou- encore, auquel il était lié par contrat – et (1952) est ainsi à l’origine du diptyque ro-
jours… Je veux dire pas tout de suite… parfois en suscitant son op- manesque L’eau des col-
Avec Piquoiseau qui me racontait ces position – il adapta Un de lines, dont les deux volets,
histoires de bateau et ces sirènes qui Baumugnes, Angèle (1934), «Article_hors-texte Jean de Florette et Manon
m’appelaient dix fois par jour, et même puis Regain (1937) ou Article_hors-texte des sources, enrichissent, en
qui me réveillaient la nuit… je m’étais fait La femme du boulanger Article_hors-texte la modifiant, le scénario du
des imaginations15… » Nouvel échec. Au (1938), l’une des plus belles Article_hors-texte film.
désespoir, Marius comprenant qu’il a compositions de Raimu. Article_hors-texte Le premier roman ra-
« gâché [sa] vie16 », se voit signifier par Cependant Merlusse Article_hors-texte conte l’histoire du père de
son père qu’il a perdu tout droit sur un (1935), Cigalon (1935), Manon, Jean de Florette, ci-
fils désormais devenu celui d’Honoré Le schpountz (1937), La fille Article_hors-texte» tadin venu s’installer dans le
Panisse. La pièce se termine, comme la du puisatier (1940), ne doi- village des Bastides
première, sur l’échec des amours de vent rien à l’imagination de Giono et tout Blanches. On retrouve l’atmosphère et
Marius et de Fanny, sacrifiées non plus au génie de Pagnol. Il a même modifié le les thèmes des Souvenirs d’enfance. La
au rêve d’évasion mais à l’intérêt de scénario de Lafille du puisatier en cours mort de Jean de Florette qui se tue à la
l’enfant. de tournage à cause de la débâcle. D’où tâche en tentant d’arracher sa famille à
Le dernier volet du triptyque fut di- la scène surprenante des deux familles une misère à laquelle la condamne une
rectement écrit pour le cinéma, tant était se réconciliant devant le discours du ma- terre ingrate, la rapacité envieuse des
pressant le désir du public de revoir la réchal Pétain, un grand malheur public Soubeyran, le Papet et son neveu, Ugolin,
même distribution des personnages. imposant de mettre un terme aux mal- et le renversement provoqué par la pas-
Réalisé en cinq semaines en 1935 et heurs privés, dans le cas d’espèce celui sion amoureuse que ce dernier nourrit
1936, Pagnol en tira une comédie parue qui opposait la famille du bon et droit pui- pour la petite Manon, la naissance de
en 1937 et créée en 1940. Vingt ans satier Amoretti à celle du riche quincail- l’amour entre Manon, devenue une Anti-
après, Panisse est mort et son fils, ler Mazel dont le fils aviateur avait en- gone sauvage des collines, et l’instituteur,
Césariot, est devenu un brillant poly- grossé la fille. Dans une des scènes le Papet, au seuil de sa mort apprenant,
technicien. Dans la version écrite, le principales, Pagnol fait dire au puisatier, puis révélant à Manon qu’il était le père
curé Elzéar pousse Fanny à révéler à porte-parole des petites gens qui travail- de Jean de Florette sont les principaux
Césariot la véritable identité de son lent et qui sont la dupe des commerçants événements qui scandent l’intrigue bien
père : « d’abord, pour qu’il ne l’apprenne plus malins et avisés : « J’étais bête, je ne menée de ces romans populaires, qui
pas par d’autres, et pour qu’il sache que vous connaissais pas. Maintenant, je com- tiennent aussi de la tragédie antique, et
tu n’as jamais menti à ton mari17 », en- prends qu’il faut se méfier des gens qui dont la valeur littéraire et poétique a lar-
fin pour que le défunt Panisse ne souf- vendent des outils, mais qui ne s’en ser- gement été sous-estimée par la critique.
fre pas dans l’au-delà de son « mensonge vent jamais19 ». Preuve que, si dans l’œu- Pagnol y a conservé ce qui fait sa marque
quotidien ». Césariot retrouve Marius, vre de Pagnol il n’y a pas de héros à pro- de fabrique : ses dons de conteur et de
qui, loin des rêves d’évasion, n’est plus prement parler, chacun ayant sa part dialoguiste. « Je n’ai fait qu’écouter et
qu’un simple ouvrier mécanicien à d’ombre, les personnages les plus tou- écrire ! » aurait dit Pagnol à Jacqueline,
Toulon. Après quelques quiproquos, on chants sont ceux qui exercent un métier sa dernière femme. Rien n’est moins sûr,
solde les comptes des pièces anté- d’une manière qui les ennoblit. car rien n’est plus difficile en littérature
rieures, le tout débouchant sur une sorte L’échec relatif de Judas (1955) puis que d’atteindre à la simplicité et au na-
de happy end, Fanny déclarant à Marius celui de Fabien (1956) ont conduit turel… Jean Montenot
alors qu’il lui parlait mécanique et mo- Pagnol, académicien depuis 1947, à re-
teurs de bateaux qu’« il n’y a rien d’ir- noncer au théâtre. C’est pourtant à une 1. Avant-propos de La gloire de mon père. 2. Ibid. 3.
La gloire de mon père. 4. Ibid. 5. Ibid. 6. Pirouettes.
réparable18 ». Mais la philosophie de l’en- circonstance qu’il doit de revenir à la 7. Ibid. 8. Cinématurgie de Paris. 9. Ibid. 10. Préface
semble serait mieux résumée par une prose. A force de charmer son auditoire de Marius. 11. Ibid. 12. Marius III, 2. 13. Préface de
formule qu’on trouve dans Le château en narrant les anecdotes de son enfance, Fanny. 14. Fanny III, 6. 15. Fanny III, 3. 16. Ibid. 17.
César. 18. Ibid. 19. Ibid.
de ma mère : « Telle est la vie des Pagnol suscita chez Hélène Lazareff,
hommes. Quelques joies, très vite effa- alors rédactrice en chef d’Elle, le désir de LE MOIS PROCHAIN
cées par d’inoubliables chagrins. Il n’est faire partager aux lecteurs du magazine MUSSET
pas nécessaire de le dire aux enfants. » les souvenirs de Pagnol. Celui-ci se se-

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