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Benoît Duteurtre – 26/11/2011

INTRO

Si l’on prend pour point de départ de cette rencontre, votre dernier roman, L’Eté 76, paru en mars de
cette année, on y découvre la reconstitution de votre adolescence, la formation de votre
personnalité, l’évolution de vos goûts littéraires et musicaux. Surtout cette double passion qui ne
vous a jamais lâché, qui vous meut depuis vos 15 ans : la littérature et la musique.

Devant une feuille blanche vous êtes convaincu que vous êtes un écrivain. A 17 ans vous partez à
Rouen pour étudier la musicologie. Fort de votre enthousiasme et de vos convictions vous vous
adressez à vos aînés, à ceux que vous admirez et ça marche !

Vous le racontez d’ailleurs dans L’été 76 – vous allez à la rencontre d’Armand Salacrou, grande
célébrité littéraire, habitant Le Havre, comme vous : p69 puis 71-72

Un beau souvenir

Cela ne s’arrête pas là, vous adressez une nouvelle à Samuel Beckett qui la publie dans la revue
prestigieuse des Editions de Minuit. Un peu plus tard c’est Milan Kundera qui voit en vous une
parenté d’esprit avec Emile Cioran (Drôle de temps)

Dans le domaine musical également vous avez fait des rencontres marquantes avec Ligeti, Xenakis,
Stockhausen.

Aujourd’hui vous iriez vers qui ? Vous-mêmes êtes-vous sollicité et acceptez-vous des demandes de
la part de jeunes écrivains ?

L’idée n’est pas tant de mettre en lumière que vous avez été parrainé par de grands hommes mais
plutôt de souligner un trait de personnalité très affirmé : vous êtes très déterminé, y compris quand
vous paraissez être à contre temps ou à contre courant.

Certains de vos livres ont semé en leur temps la polémique : un essai, Requiem pour une avant –
garde (1995),Gaieté parisienne (1996) et Les malentendus (1999). Avec le recul que pensez-vous de
ces réactions excessives et de votre classement à droite ? C’était il y a longtemps, aujourd’hui vous
êtes accepté et vous gardez votre cap. Avec constance vous tapez sur le clou et vous l’enfoncez.

Un exemple : Les vaches –en 1987, qui devient en 2000 « A propos des vaches » édition augmentée
de l’édition originale, par deux textes : la question de la vache et Des vaches aux vaches ou vous
évoquez les transformations subies depuis les années 60 du petit village des Hautes Vosges où vous
passiez vos vacances durant l’enfance. Ces moments intenses qui sont au cœur du roman initial en
1987.

« L’étude des basses-cours constitue l’une des grandes affaires de la littérature » … « La vache est
l’avenir de l’homme ».
C’est là une constante. On pourrait démontrer que vous dites la même chose dans « Le retour du
général » sur un mode comique. On pourrait vous croire nostalgique et passéiste, pourtant à force de
regarder dans le rétroviseur vous avez plutôt le chic pour apparaître presque en avance sur votre
temps. « Page 80 81 et 82 »

C’est le moment de vous poser la question à mes yeux la plus importante : votre rapport au temps ;
Lire page 61/62 Le retour du Général

Quelle est votre ligne du temps personnelle ? Cette question n’est-elle pas au cœur de votre acte
d’écriture ?

« BD viellit à l’envers » a écrit Dominique Noguez

Dans Les vaches : « L’hiver finissait. De déclinaison en exercice d’algèbre, je me sentais moins jeune.
J’avais l’impression de vivre la vieillesse de l’enfance ». p. 167

Peut-on également dire que vous êtes le gardien de la mémoire familiale ?

Les pieds dans l’eau

Comment opérez vous le choix de la fiction ou de l’autobiographie quand vous entreprenez un


nouvel écrit ?

Ballets roses, subtilement sous titré « les dessous de mai 1958 » dans une moindre mesure. Choix :
Si ce moment de l’Histoire me passionne, c’est aussi parce qu’il croise l’histoire de ma propre famille.
Je n’étais pas né en 1958, mais mon arrière grand-père, René Coty, second président de la IVème
république, rencontra souvent cette année là André Le Troquer et Charles De gaulle ».

P 18 et 19 Vous formulez dans une introduction que vous intitulez « Digression »

L’enjeu de ce livre touche : au lynchage médiatique, à la rumeur, à l’obscénité frénétique de l’intérêt


du public.

Vous posez aussi la question : comment se déroulerait aujourd’hui un tel procès ?

A nouveau vous écrivez de belles pages sur un monde en voie accélérée de disparition. Vous êtes là
pour en rendre compte : p 216 – 217.

Vous fustigez la notion galvaudée de la modernité : « Il faut souffrir pour être moderne » écrivez-
vous dans TT doit disparaître ; Lire p 108 la modernité me fascine … calculées de la première à la
dernière note » (p. 109)

« Le héros de chacun des romans de BD est un naïf stoïque, ratant ses stages d’insertion dans la vie
moderne, observant benoîtement le monde à distance » a écrit de vous un journaliste.

Le monde qui nous entoure est le seul sujet pour le romancier.


MUSIQUE :

On a déjà évoqué votre passion pour la musique qui double votre passion pour la littérature ; Depuis
13 ans, notamment, vous nous faites profiter de vos coups de cœur pour la musique dite légère ou
l’opérette chaque samedi sur France Musique. Etonnez-moi, Benoît  -nombeux adeptes ici présents. 
Je viens d'achever la lecture de l'édition Folio « revue par l'auteur » de « Tout doit disparaître », paru
la première fois il y a dix ans. C'est un livre parfait, comme il existe des figures géométriques
parfaites. La violence y est limpide, incroyablement calme. Vous y narrez vos débuts de journaliste
musical à Paris, l'horreur de la vie de pigiste, les humiliations mondaines et aussi votre peur d'aimer.
Vous prétendez hésiter entre deux sexes, mais c'est surtout l'amour qui vous fait peur, avec ses
obligations, ses mécanismes, ses habitudes. Votre névrose, ce n'est pas le passé, mais ce qui, dans le
présent, subsiste du passé. Ce n'est pas le temps perdu, ni retrouvé, mais le temps enfoui. Cette Belle
Epoque qu'on lit encore, qu'on devine un peu (de moins en moins) à travers les briques, les rues, les
monuments. Vous faites comme si. Comme si Offenbach et Haussmann, comme si Reynaldo Hahn et
Proust étaient encore vivants. Vous vous réfugiez à la campagne ou au Balajo, ces lieux où le XXI
siècle ne veut rien dire. Mais, étrangement, vous êtes tourné vers le passé non comme un passéiste,
mais comme un visionnaire. Avec vous, le passé redevient neuf. Vierge. Et Debussy tutoie Steve Reich
; Ravel écoute James Brown ; Barry White est le meilleur ami de Stravinsky. Tout, donc, n'a pas
disparu. Pas même les vrais écrivains. Franchement, vous 'étonnerez toujours, Benoît.

YANN MOIX

Le talent de Duteurtre fait que nous sommes touchés par les malheurs de Nicolas. Mais un bon
roman ne fait pas que suivre la ligne mince d'une vie. Autour, il faut qu'on sente vivre une société et
un pays. Ou mourir. Bien plus accablante en effet que la vie de Nicolas, en tant qu'homosexuel, est sa
vie en tant que parasite " culturel " et néanmoins civilisé et qui voit s'effriter sous ses yeux cette
civilisation. Le bord de mer souillé, Paris qu'on démolit, l'infernale musique, la partie " rave ", la fête
musicale d'État, la niaiserie des idées obligatoires, en particulier celles qui rabaissent un grand drame
humain à une singerie satisfaite, voilà ce qui forme le fond du tableau. Je n'ai jamais vu traiter de
manière aussi saisissante la rupture entre les générations que par le tableau des jeunes lycéens "
homo ", lisses, indifférents, complices entre eux, qui ne fument pas, ne boivent pas, du moins ne
boivent que des jus de fruits, ne se régalent que de bonbons et de sucettes, inaccessibles, informes
et cyniques éromènes pour des érastes désarçonnés, qui en sont encore au whisky et ne
comprennent plus rien. Le roman nous tend un miroir où se reflètent, directement ou non, plusieurs
de nos inquiétudes quant à notre pays.

Benoît Duteurtre écrit simple, au ras des choses. C'est ce qu'il fallait pour éviter les fautes de goût, et,
de fait, je n'ai relevé ni vulgarité ni obscénité jusque dans des scènes de la plus anatomique
précision. C'est ce qu'il fallait pour tenir le ton général qu'on pourrait qualifier de comique. Quel
comique ? Le comique triste de Flaubert. Flaubert rapporte avec froideur et positivement un
discours, une opinion, jusqu'à ce que la bêtise ou la cruauté que contient ce discours, que dénote
cette opinion, les fassent éclater et suscitent chez le lecteur l'ébahissement, l'indignation devant "
l'hénaurme ". Je suppose que Duteurtre a lu bien d'autres auteurs, mais il me semble qu'il a
particulièrement étudié celui-là. Je retrouve discrètement employés les jeux flaubertiens de
l'imparfait et du passé simple. Exemple : " Nicolas se remit en route à travers champs, observa des
vaches dans un pré. Des morceaux de plastique orange étaient agrafés dans leurs oreilles, portant
des numéros. " Ou ce trait d'ironie typiquement flaubertien décoché contre le vandalisme des
restaurateurs : " Au sommet de chaque tour [de Notre-Dame], des jets d'eau sablonneux, projetés
par des machines puissantes, polissaient lentement la pierre, afin de rendre à Paris son éclat. " Je
retrouve aussi dans les fins de chapitres ces dernières phrases courtes et comme étouffées qui
respirent l'amertume. Je retrouve même cette chute que tout lecteur de L'Éducation sentimentale
sait par cúur: " Sa lettre n'arriva pas. Ce fut tout. " Rien que pour cela je remercie chaleureusement
Benoît Duteurtre. Ce n'est pas rien m'avoir donné, en France, dans ma langue natale, en 1997, un
moment de plaisir littéraire.

Alain Besançon

Pauvre Benoît Duteurtre : il s'y connaît en malentendus. Parce qu'un jour, il s'était aventuré à
critiquer Pierre Boulez, on l'a accusé de révisionnisme ! C'est ça l'embêtant : à force d'être mal
entendu, on devient incompris. Pourtant, Duteurtre ne fait rien de mal : il se sert de son sens de la
caricature pour dénoncer l'absurdité du monde actuel. Ainsi, quand Jean-Robert son personnage
tétraplégique, parle de son accident de voiture : " Hier on envoyait les soldats au casse-pipe "pour la
France". Aujourd'hui, des milliers de gens meurent sur les routes pour l'économie. " L'automobile
sert d'aiguillon à l'industrie ; chaque année, il faut que la production augmente, avec son cortège de
morts et de blessés. Nos grands-pères étaient mutilés de la Nation ; nous sommes les mutilés de la
consommation." Quel splendide résumé de la guerre économique ! La troisième guerre mondiale a
lieu tous les jours sur l'autoroute A6. Mais avec ce genre de raisonnement, Duteurtre risque de
garder encore longtemps son étiquette de petit réactionnaire. Les malentendus s'accumulent,
s'empilent, s'enchevêtrent dans cette construction savante qui rappelle les romans récents de ses
amis Muray et Taillandier. Les nouveaux outils de communication servent à ne pas se parler, ou alors
à parler sans être écouté. Les hommes et les femmes sont trop différents pour s'entendre. Les riches
et les pauvres s'excluent mutuellement. Les Blacks, les Blancs et les Beurs ont peur les uns des
autres. Et le pire, c'est que " tout le monde a raison" ! C'est pourquoi le grand danger du siècle
prochain, c'est la démagogie -le suprême malentendu. Lisez cette parabole des temps modernes
pour deux raisons : pour vous faire plaisir, et parce que c'est un livre urgent. Une façon de joindre
l'utile à l'agréable en ce début d'année. Mon humble avis sera-t-il entendu ?

F.B.
Technikart, janvier 1999

L'homme du mois : Benoît Duteurtre

Il est l'homme le plus détesté de Paris

Benoît Duteurtre ? "Pétasse mondaine du VIe arrondissement" , d'après Guillaume Dustan. Benoît
Duteurtre fasciste, pour le Monde ou les Perpendiculaires. On se demande d'où vient ce pouvoir
étonnant qu'a Benoît Duteurtre de se faire détester. Est-ce le fait d'être publié chez Gallimard, et
d'apparaître ainsi en bonne place dans les librairies ou sur les plateaux télé ? Ou est-ce plutôt qu'il
exerce un office que la morale contemporaine réprouve : caricaturiste, quelque part entre Alphonse
Allais et Tom Wolfe. Parfois son humour fait mouche (quand il décrit une soirée d'intellectuels
bourgeois bien-pensants), parfois transparaît une naïveté un peu surannée (quand il explique la
formation des mots en verlan, par exemple). Son nouveau roman, les Malentenduz, ne va pas
arranger son cas.

Martin, un jeune diplômé plein de bonnes intentions, doute de ses convictions antiracistes après
s'être fait agresser par des jeunes de banlieue. " J'ai tenté de décrire l'étrange mélange
d'inconscience et de bonne conscience qui caractérise notre société. C'est-à-dire que le discours
moral, de plus en plus envahissant sur tous les sujets, se développe au détriment de la critique
sociale. " Ailleurs, pris dans une ronde de causalité et de rebondissements plus ou moins comiques,
Karim, un beur, et son cousin Rachid, sans papier, s'aperçoivent que leurs intérêts divergent
radicalement. " Ces configurations me sont apparues nettement en écrivant ce roman. Non comme
des théories appliquées, mais comme des éléments littéraires : les décors d'une comédie
contemporaine, les images étranges - à la fois inquiétantes et bizarrement comiques - du monde
dans lesquels nous vivons. "

Les Malentendus, roman au titre quasi psychanalytique, lui vaudra sans doute encore les foudres
d'une certaine intelligentsia. Mais, dans le fond, ce qu'on lui reproche, ce sont les positions sur l'art
qu'il a défendues dans son essai Requiem pour une avant-garde. " J'ai dit que Godard, Boulez ou
Robbe-Grillet me rasaient. Moi, j'aime vraiment l'art moderne, donc je préfère Fellini, Ligeti ou
Gombrowicz. Et ce n'est pas l'esprit de gauche qui m'a répondu. C'est la forteresse, avec sa vielle
rhétorique stalinienne : vous nous remettez en question, donc vous êtes un ennemi de la gauche ó
donc de la modernité, donc un réactionnaire, donc un fasciste! Mais je garde ma ligne : pour la
liberté de pensée, la liberté de múurs, la liberté critique, la dépénalisation des drogues, le droit de
rire de tout, contre les religions, la famille et une société qui produit du racisme et de la violence. "

On lui fait remarquer que cela ne l'empêche pas d'être aujourd'hui plus défendu par le Fig mag que
par Libé. Il hausse les épaules en signe d'impuissance. Avant d'ajouter, mi-roublard, mi-naïf, " Les
modernes ont toujours fait scandale, peut-être que c'est en ça que je suis moderne. "

Jacques Braunstein
Duteurtre dans Libération du 28/12/2001

Vous êtes sans doute allé à l'école avec Benoît Duteurtre. Cela dépend
simplement de votre âge : si vous êtes né autour de 1960, il est impossible
que vous ne l'ayez pas connu. Souvenez-vous! Un adolescent monté en
graine avec les cheveux un peu trop longs, les dents un peu trop écartées et
les ongles un peu trop en deuil. Il écoutait de la musique pop, écrivait des
poèmes, et se faisait son cinéma, seul dans sa chambre et debout sur son lit.
Pas mauvais élève, mais baba. Les parents, bourgeois cathos de gauche,
laissaient faire. Guitare à l'église, sensibilisation sur le Biafra, «Evangile et
Psychanalyse». Benoît brûlait de l'encens, mais sa maman rêvait pour lui d'un
avenir de médecin. Son arrière-grand-père à lui était président de la
République. René Coty! Pas de quoi impressionner les filles. D'ailleurs, on se
demandait s'il les aimait autant que ça. ça vous revient. Et qu'est-ce qu'il
devient? Il a eu le prix Médicis. Non?! Si! Lui? Oui!

Comment a-t-il fait? En évitant de prendre les choses trop au sérieux. A 41


ans, avec son éternel physique d'ado, il a trempé sa plume dans la même
encre que celle de son contemporain et ami Michel Houellebecq: écriture
claire et critique sociale. La noirceur en moins. «De l'ironie, un regard décalé
et drôle sur les choses» telle est son ambition. Il aime Marcel Aymé et Evelyn
Waugh. Défend «le récit hyperréaliste qui peut glisser vers le fantastique ou le
burlesque» et se méfie de «l'ivresse de l'écriture qui paralyse l'invention
romanesque». Fréquente le même quartier littéraire que monsieur Dutilleul,
«qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être
incommodé». Au fond, les romans de Duteurtre ressemblent aux albums de
Martin Veyron: la ligne est claire et le propos caustique s'adresse à la classe
moyenne cultivée qui lit Paris-Match en cachette.

Sa légèreté, Benoît Duteurtre ne l'assume pas tout à fait. Il semble en


concevoir quelques complexes intellectuels. Ainsi, il va jusqu'à se faire
l'avocat de Guy Debord dans les colonnes du Figaro littéraire. «Et il insiste
pour que l'on dise que c'est Samuel Beckett qui l'a encouragé à écrire»,
pouffe l'un de ses amis. Avant 40 ans, cela passe pour de la gaminerie, mais
après, on vire au cuistre. Ce serait bête.

Mieux vaut, comme il le fait, admirer Laurel et Hardy, quitte à les transformer
pour une courte scène de son dernier roman (le Voyage en France) en Hitler
et de Gaulle, pêcheurs à la ligne bavardant sur le déclin de la civilisation.
«L'humour n'est pas dominant dans le milieu littéraire», constate-t-il. Du coup,
il se fait des ennemis chez les écrivains. Patrick Grainville lui reproche de ne
pas avoir de style et Dominique Fernandez n'aime pas ce qu'il écrit du milieu
homosexuel.

Duteurtre parle de ce qu'il connaît le mieux: les homos, la province, le Paris


cultureux, la gauche humaniste. Evidemment, ça fait mal, mais pas comme
chez Houellebecq ou Dantec. Il n'est pas violent. Il se moque, voilà tout. Et ça
agace. «Benoît? C'est Marie-Chantal au night-club», s'emporte l'une des
personnalités parisiennes de la nuit.

Pour aggraver son cas déjà grave dans le monde des lettres, Duteurtre
s'occupe de musique. Il a fait des études de musicologie «à la grande
consternation de [sa] famille». Comme il joue très bien du piano, il a
accompagné au début des années 80 la Compagnie Lubat pour un spectacle
de «jazz dadaïste». «Pendant le spectacle, j'avais les cheveux rose fluo, mais
je jouais du Mozart.» Puis il se met à la critique musicale. «Pigiste, quoi!»
Partout où l'on veut bien payer sa prose, comme il le raconte dans le plus
biographique de ses romans, Tout doit disparaître. Patatras! Lui qui a été
formé à la musique sérielle s'en prend soudainement au maître Pierre Boulez.
«Enthousiasme intellectuel, certes, mais pas de plaisir à l'écouter.» Son
brûlot, Requiem pour une avant-garde, paraît en 1995. C'est un tollé. Le
Monde le compare carrément au négationniste Faurisson et l'affaire se
termine au tribunal. Pour ses détracteurs, Duteurtre devient le «monsieur
Musique» de la droite. Il travaille alors avec Marcel Landowski, ancien
directeur des affaires culturelles de la mairie de Paris, proche du RPR. «La
scène musicale française a longtemps été dominée par deux personnalités:
Boulez, promoteur de l'atonalité, et Landowski, défenseur de la tonalité»,
résume un critique. Duteurtre a choisi son camp. Celui de l'opérette, de la
comédie musicale, de cette «musique légère» qu'il propose aux auditeurs de
France Musiques avec son émission Etonnez-moi, Benoît.

Benoît nous étonne. L'an passé, il déclare ainsi son amour aux vaches ce qui
lui vaut d'être invité par Bernard Pivot. Un petit livre (A propos des vaches)
pour dire tout le bien qu'il pense de la gent ruminante, alors décimée par
pleins troupeaux. «J'ai écrit que, dans un paysage normand, je préférais voir
des vaches normandes plutôt que des grosses charolaises blanches... ça m'a
valu d'être traité de lepéniste par la bande des Inrockuptibles», soupire-t-il. En
réponse, il rédige un petit texte, Vache et fascisme. Vachard.

Polémique? Ses victimes n'ont généralement pas son âge. «Nous autres
quadras, nous sommes une génération en creux, coincée entre les soixante-
huitards et les néogauchistes trentenaires», dit-il. Au coeur de cette
différence, la politique: «Je n'aime pas analyser les oeuvres à travers cette
grille.» Un pas de plus, il se prétendrait apolitique, donc de droite. Mais il
recule, peut-être parce qu'il croit parler à la presse de gauche: «Ceux qui ne
m'aiment pas me traitent de réac, mais j'ai toujours pensé que j'étais de
gauche.» Ah bon? Il se rattrape aussitôt, affirmant qu'il «n'aime pas beaucoup
les grandes causes»... Sacré Benoît.

Droite-gauche? Est-Ouest, plutôt. Duteurtre est un homme de peu de lieux,


qui nomadise sur une ligne géographique. Partant des Vosges, elle passe par
Paris, gagne la côte normande et s'achève à New York. Les Vosges, ce sont
les vacances chez les grands-parents dont il a rapporté l'amour des vaches et
son côté provincial qui lui fait «retenir» une table au restaurant. Il passe sa
jeunesse au Havre, c'est-à-dire chez Monet, Dufy et Honegger. Rude cité,
étrangement ouverte sur le monde. De l'autre côté de l'Atlantique, il retrouve
«sur les bords de l'Hudson», dans le «foutoir extraordinaire» de New York,
l'ambiance de sa ville natale. Si Duteurtre apprécie tant New York, c'est par
dépit de Paris, cette ville «où le monde moderne semble s'être installé dans
un décor du passé». Ville dont il rêvait le samedi après-midi dans les rues du
Havre, où il est «monté» à 20 ans pour y faire bamboche. Ville qui l'a fait prix
Médicis, mais où il n'est pas tout à fait chez lui.

Date de création : 16/07/2005 @ 16:36


Dernière modification : 16/07/2005 @ 16:36
Catégorie : Portrait
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L'iconoclaste stoïque

En vaste polo d'étudiant, Benoît Duteurtre étire la frontière ductile de l'adolescence. Il appartient à la
catégorie des garçons inaltérables. L'année dernière, il livre avec candeur Requiem pour une avant-
garde ( 1), un essai franc et net contre l'art officiel, le bon goût estampillé. Iconoclaste frais, il
remonte les bretelles atonales de Pierre Boulez et le pousse avec brio dans ce bric-à-brac désopilant
de la culture unique, ce Troifoirien où voisinent le rap assisté, les colonnes de Buren, les romans
d'Alain Robbe-Grillet, le snobinage subventionné de Daniel Toscan du Plantier ou les diktats de la
Nouvelle Vague. En un mot, Duteurtre fait place nette. Et défend la singularité du goût, le plaisir en
somme, la sensualité. Une rédactrice du Monde " faurissonne " I'inconvenant, le Herald Tribune s'en
mêle, Duteurtre fait front sans s'énerver. Il tient ses positions avec élégance et légèreté. Un type
capable de se jeter à la mer à Etretat deux fois par jour, tout en haïssant le sport, n'a pas froid aux
yeux. Le Monde lui concède une tribune díexplication. Esthète et curieux, Duteurtre, qui aime György
Ligeti, Giya Kancheli, Alfred Schnittke, John Adams, Steve Reich... ou le Love Unlimited Orchestra de
Barry White, frôle de peu l'image du réac exécrant l'art contemporain. Son coach lui-même - Philippe
Sollers, des établissements Gallimard - n'ose pas le suivre sur ce ring. " Je préfère ses romans ", dit-il,
prudent.

Au milieu des boutiques de souvenirs, le pied-à-terre de Benoît Duteurtre, à côté de Notre-Dame,


convient parfaitement aux personnages de ses fictions. D'un récit l'autre, son narrateur candide
traverse les temps présents en touriste éberlué voyageant dans un monde désenchanté. Une affiche
de Norbert Letheule, chanteur acteur de la compagnie Lubat qui ressemble à Jean Lorrain, accentue
l'atmosphère de boudoir 1900.Salon de musique dégorgeant ses partitions, lit d'une place avec au-
dessus les forêts des Vosges, armoire d'avant-guerre croulant sous les archives, livres à
profusion.Tom Wolfe, Gombrowicz, Pétrone, Maupassant, Houellebecq. Sur le mur, une aquarelle
héritée de son arrière-grand-père maternel, le président René Coty.

A la fenêtre, le regard bute sur le mur noir de l'Hôtel-Dieu. Benoît Duteurtre est né en 1960 à Sainte-
Adresse à côté du Havre, ville dont il a appris à aimer le charme désolé. Des études de musicologie à
Rouen lui ont ouvert les portes du Bazar de l'Hôtel de Ville, département manutention. C'est en
1982. Il envoie un texte, Nuit, à Samuel Beckett, qui le publie dans la revue des éditions de Minuit.
Un avenir neuf s'ouvre. Mais la revue disparaît. Il devient journaliste. Parcours du pigiste
acrobatique: Révolution, le Monde de la musique, la Vie catholique, Elle... Puis la grande vie avec Play
Boy. Voyage à Schtroumpfland, notes de frais, liberté. Mais le journal disparaît. Il en fait un roman
médiatico-comique, Tout doit disparaître (2}. Guy Debord lui envoie un mot de félicitations, au verso
d'une carte postale figurant un mur graffité des mots " Ne travaillez jamais ".

Le héros de chacun des romans de Duteurtre est un naïf stoïque, ratant ses stages d'insertion dans la
vie moderne, observant benoîtement le groupe à distance. Si le romancier est moins assuré que
l'essayiste, chaque récit est un salubre exercice de critique sociale. Après le travail obligatoire,
Duteurtre explore cette marchandise obsédante, la jouissance obligatoire. Dans l'Amoureux malgré
lui (2), le héros tente consciencieusement de tomber amoureux d'une représentante du sexe
féminin. Sa tactique paniquée se résume bientôt à l'art de la fuite. Après les filles, les garçons.Dans
Gaîté parisienne (2), dernier volet du triptyque, le narrateur plein de bonne volonté tourne ses
espoirs vers la transgression: accessible en prime time, donc ses propriétés sulfureuses se sont
dissipées.Nicolas, le héros, tente de séduire un garçon, " clone inaccessible de l'adolescence nouvelle
". Faute de conviction, il se le fait souffler. Chute dans la piscine Deligny. Circumnavigation dans la
désillusion, mais sans flotteurs. Avec un orgueil détaché et souverain. (1) Robert Laffont, (2)
Gallimard.

Entretien avec Benoît Duteurtre


Dans Gageure n°66, Farid nous avait fait part de ses critiques. L'auteur a demandé à lui répondre.

Benoît Duteurtre : L'article de Farid m'a paru intéressant. J'admets très bien qu'il n'ait pas aimé. Il y a
eu de nombreux avis contradictoires exprimés au sujet de ce roman, y compris dans le milieu homo
et l'on y trouvait des arguments récurrents proches des siens. Mon désaccord porte toutefois sur
deux points.

D'abord une question purement littéraire. Farid me reproche de faire du journalisme. Je ne crois pas,
en effet, que l'art nouveau soit exclusivement une affaire d'écriture ou de dérives intérieures. J'ai
l'impression que le romancier, aujourd'hui, a besoin surtout de regarder beaucoup le monde, ce qui a
changé et ce qui reste immuable. Il ne s'agit pas pour autant d'un regard journalistique. Ca ne va
absolument pas contre la création littéraire.

Mon projet personnel est une recherche stylistique visant à limiter au maximum l'artifice d'écriture,
mais par contre à accomplir un grand travail pour réussir à mettre en lumière ce que des situations,
des personnages, peuvent avoir d'esthétiquement troublant. Sans jamais que ce trouble esthétique
vienne d'un effet littéraire surajouté, mais plutôt d'une tentative de saisir la chose dans toute sa
nudité. Même s'il s'agit toujours d'un regard subjectif, c'est le monde lui-même qui révèle des
formes, des personnages, des situations nouvelles, au lieu d'un enfermement de la littérature sur
elle-même comme cela a pu se produire avec le nouveau roman. Ca peut évidemment apparaître
comme un projet anti-stylistique. Moi je dis qu'il est hyperstylistique. Il faut une grande élaboration
pour que l'écriture arrive à s'effacer. Une écriture pas travaillée, maladroite, il n'y a rien de plus
visible.

Je m'intéresse aux bizarreries de la vie quotidienne. Saisir, derrière l'apparente banalité, tout ce qui
est de l'ordre des contradictions, du comique et même de la poésie. Quand je décris des adolescents
en train de danser au Boy, sous le regard avide des "vieux" trentenaires, je mets en valeur avec un
certain plaisir tout ce qu'il peut y avoir de grotesque dans la situation. En même temps, j'éprouve une
espèce de fascination poétique. Le grotesque induit une irréalité sublime dans le réel.

Gageure : L'objet que tu veux nous montrer, pour atteindre cette esthétique dictée par le réel, c'est
la "modernité" et l'homosexualité en serait le révélateur?

La question de la "modernité" est très complexe. On pourrait avoir l'impression que mon regard est
dirigé contre le monde moderne. Je crois plutôt qu'il s'agit d'une sorte d'étonnement devant la
récupération de la modernité. La naissance de la modernité était un extraordinaire phénomène
d'émancipation esthétique, philosophique, scientifique, y compris dans le domaine social, pour la
sexualité par exemple avec les surréalistes, Wilde ou Gide. Or, dans la deuxième moitié du siècle, j'ai
le sentiment que ce grand affranchissement s'est figé en un stéréotype qui devient quasiment le
contraire de cette émancipation. Dans l'art, l'avant-gardisme imaginatif du début du siècle est
devenu un académisme d'avant-garde, figé, replié sur lui-même. En ce qui concerne la technique -
l'auto, l'aviation...- il ne reste plus qu'un système de production complètement fou, qui ne vise plus à
rien d'autre qu'à produire. Idem pour les moeurs, l'émancipation sexuelle tendant à se transformer
en mode de vie complètement stéréotypé dont le gai est un miroir parmi d'autres. Le milieu "gai"
correspond à une population qui a rencontré le plus de difficultés à s'émanciper car il était le plus
combattu socialement. Or, il a tendance à courir encore plus vite que les autres derrière les
stéréotypes de la vie moderne. Le goût de l'exhibition, la transe, le style publicitaire, tous les poncifs
de l'époque, le milieu gai en est aujourd'hui un fer de lance. Il se veut à l'avant-garde des modes,
mais n'est-il pas plutôt à l'avant-garde de l'ordre social, à l'époque du capitalisme moderne ?

J'en arrive à mon second point de désaccord avec certains critiques.

Car Farid me reproche d'avoir un style "journalistique". Mais en même temps, il me demande, sur le
fond, d'être un journaliste engagé, pesant le pour et le contre, donnant une vision équilibrée,
positive -et discrètement militante - de la vie homosexuelle. Or, cet esprit militant, qui veut
absolument "positiver" la réalité, me semble en opposition avec la gratuité littéraire. On a
l'impression qu'il y a maintenant une littérature faite par les homosexuels pour les homosexuels, afin
de mettre en valeur une poésie spécifiquement homosexuelle. Un militantisme esthétique. Il faut
que l'homosexuel puisse s'identifier à une vision qui sera soit poétique, soit tragique, passionnée, soit
outrancière, mais toujours sérieuse. On n'admet pas très bien, dans cette organisation de la
littérature par catégories d'écrivains et de lecteurs, que le regard puisse être ce qu'est aussi, par
essence, l'art du roman : ironique et cruel. Balzac avec les journalistes, Maupassant avec les
fonctionnaires, Proust avec la société de son temps ne cherchent pas à rendre leurs personnages
particulièrement respectables; et moins encore les milieux sociaux qu'ils décrivent. Or le milieu gai a
beaucoup de mal à accepter cette liberté littéraire corrosive, surtout lorsqu'elle vient de l'intérieur.
Moi, je n'ai rien à défendre. J'essaye de saisir cette contradiction permanente entre le beau et le laid,
le réel et l'irréel, le tragique et le comique. Décrire les contradictions d'un homo qui n'aime pas le
milieu homo, c'est parler d'une réalité assez répandue. Pourquoi ne ferait-on pas ce portrait-là,
pourquoi ne montrerait-on pas à travers lui ce qu'il y a parfois d'effrayant dans ce milieu et en même
temps les limites du personnage lui-même? Ca me semble être le propos de la littérature plutôt
qu'une esthétisation de nos sensations par rapport à la sexualité, ce qui est le cas de beaucoup de
romans concernant le milieu homo.

L'idéalisation militante de la réalité homosexuelle empêche de voir que la difficulté de


l'homosexualité vient souvent, aussi, de l'intérieur des gens et pas simplement d'une contrainte
sociale. Il y a une volonté d'ignorer tous ces blocages, ces contradictions que neuf personnes sur dix
dans ce milieu véhiculent, mais sur lesquelles elles essaient de jeter un masque en se rattachant à
une espèce de foi commune.

Gageure : Mais comment toi tu te positionnes par rapport à ce monde ?

J'ai tendance à me rapprocher du héros du livre, en ce sens que Nicolas assume, sans problème
"moral" ses pulsions sexuelles - mais qu'il supporte mal, dans l'existence, tout ce qui s'apparente à la
détermination psychologique et au carcan social, à commencer par la sexualité. C'est pour cela que la
transgression de sa propre homosexualité ou même le détournement d'un hétérosexuel lui
paraissent plus intéressants ! Même si cela peut paraître naïf ou pervers...

On ne choisit pas d'être homosexuel. Ce n'est pas un but. Cela fait partie d'un état. Bien sûr, il faut
vivre tel qu'on est ; mais je ne vois pas beaucoup de sens à transformer cette donnée en
revendication, en identité, en cause. Ce n'est qu'un point de départ aux vraies aventures. En fait, je
suis foncièrement individualiste. La seule chose qui me paraisse nécessaire, socialement (en matière
de sexualité), est d'affirmer l'entière liberté de chacun.

Gageure : Comment le Gage s'est-il retrouvé dans cet aperçu du monde moderne ?

Je passais de temps en temps au Duplex. J'ai trouvé que le Gage constituait un élément romanesque
intéressant. Cette association de jeunes homos, qui est, de fait, plus ou moins en marge de la société,
et qui fonctionne en même temps (surtout il y a quelques années) comme un club très social de
futurs chefs d'entreprises et d'intellectuels destinés à renouveler l'élite, il y avait là une certaine
bizarrerie... un morceau choisi, en quelque sorte, de la folie douce de l'époque.

Propos recueillis par Philippe Broucque

Rêveuse bourgeoisie

Comment peut-on être l’arrière- petit-fils du président Coty?

Le président René Coty, hôte de l’ Elysée de 1953 à 1958, ne restera dans notre histoire nationale que pour avoir
rappelé au pouvoir le général de Ga u l l e, traitement qu’il ressentit comme une injustice et dont il se plaignit à
longueur de pages dans ses carn e t s. D’aucuns le confondent même avec le parfumeur ! Il serait a u j o u rd’hui
bien oublié, sans Jean Du jardin alias OSS 117 dans Le Caire nid d’ espions, qui le considère comme «un grand
homme» et distribue sa photo à tous les autochtones égyptiens en guise de bakchich. Et surtout sans son arrière
- petit - fils, l’ écrivain Benoît Duteurtre, descendant d’une des nombreuses filles du dernier président de la IVe R
épublique.

Duteurtre, toujours Les pieds dans l’eau à Etretat, comme quand il était petit, raconte, avec bonne humeur,
tendresse, et une irrésistible drôlerie, la saga de sa famille, à la fois très bourgeoise et totalement décalée. Benoît
est né en 1960, il a donc peu connu son ancêtre, mort en 1962. Mais il en a beaucoup entendu parler. Il
appartient, lui, à la branche havraise de la famille, la moins chic, catho et sociale (comme son grand - père Albert
Charles, député gaulliste de « la plus grande ville communiste de France»), et même socialiste et féministe,
comme sa mère. Et non à la branche parisienne, plus fortunée, celle qui maintint longtemps le train de vie et la
réputation présidentiels à La Ramée, la villa que René Coty avait acquise et largement agrandie à Etretat. Là,
dans la petite station balnéaire de la Côte normande immortalisée, entre autres, par son aiguille creuse si chère à
Maurice Leblanc et Arsène Lupin, les filles de l’ancien président et leur nombreuse descendance tenaient le haut
du galet. Elles se battaient aussi, l’une d’ entre elles surtout , pour la réhabilitation politique du «grand homme» .

Benoît, lui, n’était à son aise nulle part. Cousin fauché qui n’osait pas trop fréquenter La Ramée. Mais aussi jeune
bourgeois bien différent de ses copains, fils de prolos vivant dans les premiers HLM. Un Lequesnoy fasciné par
les Groseille. Adolescent dans les années 1970, il passera des cantiques de la manécanterie aux Doors, cheveux
longs et idées farfelues, et tentera d’oublier dans les brumes du haschich son encombrante famille et son
ancêtre, ce «grand - père Coty» devenu «grand Picothère». Cet âge est sans pitié. Mais il est vrai que l’ Etretat
de Duteurtre a un côté Jurassic Park, d’autant que le narrateur, écrivain en devenir, se plaisait, afin de ressusciter
une époque enfuie qui le fascine, à fréquenter les plus âgés des Etretatais, véritables mines de souvenirs.

Las d' être coincé entre les fossiles et les marteaux, le jeune Benoît finira par s’ affranchir, monter à Paris, et
devenir écrivain. Cela ne l’ empêche pas, apparemment, de retourner se tordre les pieds sur les galets, se geler
les orteils et le reste dans la Manche, et de regretter le bon vieux temps des cabines, des périssoires et des
cornets glacés. On a les madeleines qu’ on peut, et Cabourg n’est pas si loin. Mais c’est encore un autre monde.
Celui ressuscité par un Benoît Duteurtre à son meilleur est un pur bonheur de lecture.

Jean-Claude Perrier

Article dans l’Humanité . JP Taillandier


Le livre se compose d’une suite de chapitres courts, plus ou moins indépendants les uns des autres,
dont les deux pivots sont la mer et cette famille Coty dont Duteurtre est le descendant. La plage,
d’abord. Elle est présente dès les premières phrases, claires, précises et musicales : « Mon histoire
commence dans une poudre de lumière, un après-midi d’été. La pente de galets blanchis par le sel
glisse rapidement vers le rivage où l’eau claire et profonde donne une sensation de fraîcheur, même
en plein mois de juillet. (…) Par instants, la mer lance paresseusement quelques vaguelettes vers le
rivage, comme pour se rappeler à l’attention des promeneurs. Dans la brise légère de cette journée,
on dirait qu’elle hésite, se soulève à peine, se retourne et s’aplatit mollement avec ce bruit de
frottement qui distingue une plage de galets d’une plage de sable. » Logique, me dira-t-on, de
commencer par la mer quand il s’agit de décrire l’histoire et la vie d’une station balnéaire. Certes.
Mais Duteurtre va plus loin, il en fait la métaphore de son écriture. « Vous cherchez à percer les
mystères de la vie et de la mort ? Installez-vous de longs après-midi sur une plage et tâchez
d’éprouver la densité de chaque instant. Vous rêvez de devenir artiste, ou savant ? Étudiez l’éclairage
vert fugace dans le creux d’une vague, au moment où elle se retourne et va s’écraser sur les galets.
L’histoire et la société vous passionnent ? Revenez chaque été sur le même rivage ; observez les
changements et les évolutions ; au besoin imitez les comportements pour mieux les comprendre. »
Nous sommes ici au coeur du projet de Duteurtre : le monde qui nous entoure est le seul sujet pour
le romancier. Notre auteur, se revendiquant de Balzac et de sa Comédie humaine, se refuse à
prendre la littérature comme une fin en soi. À travers la description de cette petite ville, il crée une
image d’un certain monde, il la fixe : Étretat - et ses familles qui ont chacune leur place sur la plage
suivant une hiérarchie très précise, qui se croisent sur la grève, s’invitent ou s’évitent - devient un
microcosme, métaphore de ce qu’Aragon appelait « le vaste monde ». Plus encore, l’observation des
galets, le comportement des hommes face au galet devient le prétexte d’une jolie méditation
métaphysique dans un chapitre qui leur est consacré.

http://www.lepoint.fr/actualites-litterature/2008-10-30/nostalgies-balneaires/1038/0/287349

Le retour du Général

http://www.chroniquesduplaisir.fr/2010/06/le-retour-du-g%C3%A9n%C3%A9ral-de-beno%C3%AEt-
duteurtre.html

http://www.lexpress.fr/culture/livre/le-retour-du-general_855426.html

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