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DESPOÈTES PARNASSIENS

DU MEME AUTEUR

MOSAÏQUE,poèmes. Jean Grassin, 1959.


PAGESDETENDRESSE,poèmes. Jean Grassin, 1962.
VENTDUNORD,poèmes.Jean Grassin, 1964.
SOLEILS,POEMES.LaRevueModerne, 1966.
TOURMENTSD'AUTOMNE,poèmes. LaPensée Universelle, 1973.
HEURESCLAIRES,poèmes. JeanGrassin, 1988.
L'ITALIENNEÀALGER,comédie. JeanGrassin, 1990.
TRAGÉDIESÀL'ITALIENNE.Théâtre Présent. Jean Grassin, 1990.
PARESSESDELAVIE. Théâtre Présent. Jean Grassin, 1991.
SACRIFIÉSDUSANG.Théâtre Présent. JeanGrassin, 1991.
LAPETITEDELABOUTIQUEETDELAGRÈVE,roman.JeanGrassin, 1992.
VICTOIRESSURL'IMPIE. Théâtre Présent. JeanGrassin, 1992.
L'AUBEDESHARMONIES,roman.Jean Grassin, 1993.
UNOISEAUDEKIERKEGAARD,roman. JeanGrassin, 1993.
COCKTAILPOURUNESOIREE,nouvelles. Jean Grassin, 1993.
DESPOETESROMANTIQUES.Entretiens. JeanGrassin, 1995
RENÉEDETHIÈS

DES POÈTES
PARNASSIENS
ENTRETIENS

JEAN GRASSIN EDITEUR


PARIS-CARNAC
L'EDITION ORIGINALE DECET
OUVRAGEAETESTRICTEMENT
LIMITEE A TROIS CENTS
EXEMPLAIRES SURPURVELIN

©JEANGRASSINEDITEUR, 1995.
AVANT-PROPOS

Nospremiers «entretiens », petite Typhaine, avaient eu


pour objet «Despoètes romantiques ». Puisque tu as bien
compris ce qui les caractérise et comment ils forment un
ensemble, nous allons maintenant nous intéresser à
d'autres poètes qui, par réaction contre ce qu'ils considé-
raient comme des abus, ont voulu créer une nouvelle
esthétique : l'esthétique parnassienne.
Mais d'abord quels étaient ces abus dans lesquels les
poètes romantiquespouvaient avoir sombré ?
Le succès même du Romantisme avait dispersé le
cénacle. En voulant se rapprocher du peuple, l'artiste en
subissait ses caprices. Les doctrines politiques à la mode :
les socialismes de Proudhon et de Fourier poussaient les
écrivains à devenir des guides spirituels du peuple. D'inti-
me, le lyrisme devenait «social ». L'œuvre d'art perdait sa
qualitéparce qu'elle épousait trop, pourflatter le public, la
foule, lesproblèmespolitiques et sociaux du temps. Ilfallait
donc qu'elle redevienne uneforce par elle-même, possé-
dant une valeur intrinsèque, indépendante de l'époque et
des circonstances ; qu'elle soit l'expression de la beauté
absolue sans chercher à donner une leçon ; à être utile. Il
fallait lafaire remonter sur le «Parnasse ». Bien sûr, petite
Typhaine, il faut voir dans cette expression une image : le
Parnasse est cette montagne à double sommet qui, chez les
Grecs était consacrée à Apollon et aux Muses ; par exten-
sion c'est le séjour symbolique despoètes.
C'est contre « l'utilitarisme » de l'œuvre d'art que le
précurseur des poètes parnassiens : Théophile Gautier
commencerapar s'insurger. Dans «la Préfaced'Albertus »
voici ce qu'il écrira : « Aux utilitaires, utopistes, écono-
mistes, Saint simonistes et autres qui lui demanderont «à
quoi cela rime, lepoète répondra : «lepremier vers rime
avec le second quand la rime n'est pas mauvaise et ainsi
de suite. Aquoi cela sert-il ? Cela sert à être beau. N'est
ce pas assez ? Comme les fleurs, comme les parfums,
comme les oiseaux, comme tout ce que l'homme n'a pu
détourner etdépraver à son usage ».
En général dès qu'une chose devient utile ; elle cesse
d'être belle. Elle rentre dans la viepositive, depoésie, elle
devient prose ; de libre, esclave. Tout l'art est là. L'art
c'est la liberté, le luxe, l'efflorescence, c'est l'épanouisse-
mentde l'âme dans l'oisiveté ».
Prends donc conscience petite Typhaine que pendant
que Hugo à Jersey compare lepoète au mage etprédit le
triomphe de la liberté, les poètes du Parnasse cherchent
des modèlesdebeautédans l'antiquité grecque ethindoue.
L'effort, les règles, une matière rebelle apparaissent bien-
tôtpour euxles contraintes nécessaires qui conduisentà la
beauté, à cette beautéplastique, commesculptée à travers
des vers ciselés, métalliques etbrillants commedesjoyaux.
Pour Gautier, précurseur, la recherche de la beautéfor-
melle, le culte de l'art désintéressénes'accompagnerapas
de toute suppression de sensibilité. Acause de son côté
romanesque, sensible, attachéauxsouvenirs, à la bimbelo-
terie, à lafantaisie, cepoèten'estpas unvéritableparnas-
sien. Dans «Lepin desLandes »onverra qu'il reprendun
thème, devenu banal depuis Les nuits de Musset; le sym-
bolede la souffrance indispensableaupoète.
Le véritable parnassien, le chef incontesté quifera
remonter la poésie sur le Parnasse alors que Lamartine
l'en avaitfait descendre, sera Leconte de Lisle qui s'affir-
merapar «le dogmede L'impassibilité ». Ainsi écrira-t-il
dans sapréface des Poèmesantiques : «Il ya dans l'aveu
public des angoisses du cœuret deses voluptés nonmoins
amères unevanité et uneprofanation gratuites ».
Secret de la vie intérieure, culte de la beauté, poésie
objective, qui emprunte à la science ses méthodes, tous
ces éléments, chère Typhaine vont caractériser la poésie
parnassienne. Le poète s'astreindra à une observation
exacte, rigoureuse, en utilisant un vocabulaire pitto-
resque, technique, spécifique commecelui de la chimie, de
la géologie, de la géographie, de la minéralogie, de
l'architecture ; afin de restituer avec précision des pay-
sages, desgestes, des attitudes.
Onpeut dire qu'il se dégage des œuvresparnassiennes
uneforce singulière due à la probité intellectuelle et à
l'habileté technique.
C'est ce que nous allons essayer de saisir ensemble si
tu veuxmesuivre chère Typhaine dans la découverte de 7
poètes, à l'inspiration différente mais qui avaient tous au
plus haut degré : le culte de laforme.
ENTRETIENN° 1
THEOPHILE GAUTIER
Nous allons nous pencher d'abord, petite Typhaine sur
celui que l'on peut considérer comme le précurseur des
Parnassiens :je veuxparler deThéophile Gautier.
Il naquit dans les Hautes-Pyrénées, à Tarbes, ville
située sur l'Adour, mais il fit ses études à Paris au lycée
Charlemagne. Très doué pour le dessin, la peinture, il fré-
quente beaucoup les ateliers des peintres, en particulier
celui du peintre Rioult. Sans doute voulut-il d'abord être
peintre, mais Gérard de Nerval le présentant à Victor
Hugo, il abandonne bientôt le pinceau pour la littérature.
Il fit partie de cette bande de fougueux qui en gilet rouge,
pantalon vert d'eau, habit gris noisette gagna en 1830 la
bataille d'Hernani. Mais bientôt, peintre-né, donc obser-
vateur attentif des choses et coloriste, il veut s'affranchir
de la tutelle de Hugo et des Romantiques. Sans doute ses
premiers recueils depoèmespossèdent-ils des accents net-
tement romantiques, mais il cherche sa propre manière,
veut imposer sa propre conception de l'art en transposant
en littérature les procédés, les techniques de la peinture.
Aux outrances romantiques, à ce qu'il appelle « la fausse
couleur locale », il veut opposer « la recherche de l'art
pour l'art ». Aces vers gonflés d'effusions sentimentales,
il préfère des vers aux contours bien dessinés, colorés,
exprimant la Beauté plastique souveraine par les effets de
couleurs.de perspective, le jeu des lignes, des reliefs, des
lumière,
Enexaminant l'œuvre deGautier on voit que le poète a
subi une évolution : d'abord lyrique dans ses premiers
vers où s'exprime une sincérité ingénue à travers les fan-
taisies déjà savantes du rythme, il devient ironique : le
poème d'Albertus n'a pas de prétentions sociales, c'est
plutôt une satire destinée à faire rire à propos de certaines
modes romantiques. Quel en est le thème ? Il est simple,
le voici : Le peintre Albertus a une maîtresse éblouissante
de beauté, mais cette maîtresse est une sorcière qui, sous
le coup de minuit redevient une horrible vieille et réunit le
sabbat de ses collègues dans sa chambre. Comme tu le
vois, Typhaine, il y a là débauche d'imagination colorée
qui se développe dans «le fantastique ». Mais d'ironique,
sa manière évolue vers l'angoisse car Gautier commence à
vouloir fuir son siècle. Il pense que seul, l'Art éternel peut
apporterconsolation aux âmes raffinées.
La préface de son premier roman Mademoiselle de
Maupin et le poème de la Comédie de La Mort expriment
au-delà l'ironie, son angoisse métaphysique, son horreur
dela condition humaine, et célèbrent la beautépure.
En 1836, en mêmetemps que la publication deson pre-
mierroman, Gautier devientjournaliste.
Il s'impose comme critique d'art, voyage beaucoup,
compose des poèmes. Il arrête définitivement les principes
de son esthétique voulant être un homme « pour qui le
monde extérieur »existe. C'est que son métier dejourna-
liste lui pèse parfois. Il cherche à s'en évader et crois bien
qu'il y réussit, petite Typhaine, par le voyage : en 1840 il
séjourne 6mois en Espagne, il en donne une relation fidè-
le dans Tralos Montes puis il visite l'Italie, la Grèce, la
Russie, la Turquie. Les pays d'Orient le fascinent, laissent
en lui une nostalgie profonde et il remplit ses chroniques
de ses impressions. Dans l'intervalle de ses voyages, il
cisèle des poèmes. Ontrouve dans Espana publié en 1845
des souvenirs de la péninsule ibérique ; mais son chef-
d'œuvre est Emaux et Camées publié en 1852 qu'il enri-
chit depièces nouvellesjusqu'à sa morten 1872.
Il écrit des « affinités secrètes » : entre les êtres et les
objets que le destin fait voisiner se créent des sympathies.
Elles survivent dans les molécules dissociées et se retrou-
vent dans les formes nouvelles qu'elles composent. Le
souvenir vague d'un passé vécu en commun sous d'autres
apparences explique l'attirance mystérieuse de l'amour.
Il écrit aussi : une symphonie en blanc majeur : une
obsession de blancheur s'y dessine. D'où vient l'éclat de
cette femme cygne ? échappée d'un conte nordique ? Il
écrit encore des « nostalgies d'obélisques ». Exilé sur la
place de la Concorde l'obélisque de Paris pleure son
Egypte. Solitaire dans son désert d'Afrique l'obélisque de
Louqsor envie son frère parisien. Les Vieux de la vieille
sont trois vieux grognards qui se promènent un jour de
fête dans les rues de la capitale et leurs silhouettes gro-
tesques symbolisent la grandeur déchue de la France
napoléonienne. Dans «ce que disent les hirondelles »c'est
l'automne ; les hirondelles préparent leur départ, le poète
attend leurs paroles ;il voudrait s'envoler avec elles.
Tous ces poèmes ont en commun la perfection de la
formeet durythme.
Tu me demandes, petite Typhaine si Gautier écrivit
aussi en prose. Oui, nous avons de lui des contes, des fan-
taisies, des nouvelles, des romans comme le Roman de la
momiequi fait revivre l'ancienne Egypte publié en 1858-
Le capitaine Fracasse publié en 1863 qui conte les aven-
tures d'un jeune noble ruiné jouant le rôle de matamore
dans une troupe de comédiens ambulants ; Spirite publié
en 1866 est un récit émouvant où le héros hanté par un
esprit féminin croit pénétrer dans un paradis sentimental
et mystique.
L'œuvre de Gautier révèle le tourment d'une âme déli-
cate que la réalité afflige et que le rêve exalte, mais ce
rêve, le poète le veut « scellé dans le bloc résistant » et
subordonne la création poétique à des lois rigoureuses.
Contrairement à certains Romantiques qui commencent à
sentir et penser avant de décrire, Gautier voit avant de
penser et de sentir et sa vision est celle d'un «peintre », sa
technique celle d'un « orfèvre ». Il ne compose pas de
grands ensembles, de fresques commeHugo, il décore des
émaux, sculpte des Camées. Il choisit ses mots avec minu-
tie car « il y a des mots diamant, saphir, rubis, émeraude
et d'autres qui luisent comme du phosphore quand on les
frotte ».
Je pense aussi petite Typhaine que pour mieux com-
prendre Théophile Gautier, il faut lire les pages que Bau-
delaire lui aconsacrées dans sonArt Romantique. Voici ce
qu'il écrit àpropos duprécurseur des Parnassiens : «Il ya
des biographies faciles à écrire, celles par exemple des
hommes dont la vie fourmille d'événements et d'aven-
tures là nous n'aurions qu'à enregistrer et à classer des
faits avec leurs dates - mais ici, rien de cette vanité maté-
rielle qui réduit la tâche de l'écrivain à celle d'un compi-
lateur. Rien qu'une immensité spirituelle !
Puisque je n'ai en somme qu'à écrire l'histoire d'une
idée fixe laquelle je saurai d'ailleurs définir et analyser, il
importerait bien peu à la rigueur que j'apprisse ou queje
n'apprisse pas àmeslecteurs queThéophile Gautier est né
à Tarbes en 1811. Depuis de longues années, j'ai le bon-
heur d'être son ami et j'ignore complètement s'il a, dès
l'enfance, révélé ses futurs talents par des succès de collè-
ge, par ces couronnes puériles que souvent ne savent pas
conquérir les enfants sublimes et qu'en tout cas ils sont
obligés de partager avec une foule de hideux, niais, mar-
qués par la fatalité...
Il est une considération qui augmente la joie que
j'éprouve à rendre compte d'une idée fixe, c'est de parler
enfin et tout à mon aise d'un homme inconnu. Tous ceux
qui ont médité sur les méprises de l'histoire ou sur ses
injustices tardives comprendront ce que signifie le mot
« inconnu » appliqué à Théophile Gautier. Il remplit
depuis bien des années Paris et la province dubruit de ses
feuilletons, c'est vrai ; il est incontestable que maint lec-
teur curieux de toutes les choses littéraires, attend impa-
tiemment sonjugement sur les ouvrages dramatiques de la
dernière semaine encore plus incontestable que ses comp-
te-rendus de salons si calmes, si pleins de candeur et de
majesté sont des oracles pour tous les exilés qui ne peu-
ventjuger et sentir par leurs propres yeux.
Pour tous les publics divers Théophile Gautier est un
critique incomparable et indispensable et cependant il
reste unhommeinconnu.
Ma première entrevue avec cet écrivain que l'univers
nous enviera commeil nous envie Chateaubriand, V.Hugo
et Balzac est actuellement devant mamémoire. Je m'étais
présenté chez lui pour lui offrir unpetit volume de vers de
la part de deux amis absents. Je le trouvai, non pas aussi
prestant qu'aujourd'hui mais déjà majestueux, à l'aise et
gracieux dans des vêtements flottants. Ce qui me frappa
d'abord dans son accueil, ce fut l'absence totale de cette
sécheresse, si pardonnable d'ailleurs chez tous les
hommesaccoutumés, par position, àcraindre les visiteurs.
Pour caractériser cet abord je me servirais volontiers du
mot bonhomie s'il n'était pas bien trivial ; il ne pourrait
servir dans ce cas qu'assaisonné et relevé, selon la recette
racinienne d'un bel adjectif tel que asiatique ou oriental
pour rendre un genre d'humeur tout à la fois simple digne
et moelleuse. Quant à la conversation (chose solennelle
qu'une première conversation avec un hommeillustre qui
vous dépasse encore plus par le talent que par l'âge) elle
s'est également bien moulée dans le fond de mon esprit.
Quand il mevit un volume de poésies à la main, sa noble
figure s'illumina d'un joli sourire ; il tendit le bras avec
une sorte d'avidité enfantine car c'est chose curieuse com-
bien cet homme qui sait tout exprimer et qui a plus que
tout autre le droit d'être blasé a la curiosité facile et darde
vivement le regard sur le non-moi. Après avoir rapidement
feuilleté le volume, il mefit remarquer que les poètes en
question se permettaient trop souvent des sonnets liber-
tins, c'est-à-dire non-orthodoxes et s'affranchissant volon-
tiers de la règle de la quadruple rime. Il me demanda
ensuite avec un œil curieusement méfiant et comme pour
m'éprouver, si j'aimais à lire des dictionnaires. Il me dit
cela d'ailleurs comme il dit toute chose fort tranquille-
ment et du ton qu'un autre aurait pris pour s'informer sije
préférais la lecture des voyages à celles des romans. Par
bonheurj'avais été pris très jeune de lexicomanie etje vis
que ma réponse me gagnait de l'estime... J'ai retrouvé
dans les livres qu'il a publiés depuis lors quelques-unes
des formules qui servaient à résumer ses opinions ; par
exemple celle-ci : « Il est trois choses qu'un civilisé ne
saurajamais créer : un vase, une arme, un harnais ». Il va
sans dire qu'il s'agit ici de beauté et non d'utilité. Je lui
parlai vivementde la puissance étonnante qu'il avait mon-
tré dans le bouffon et le grotesque mais àce compliment il
répliqua avec candeur qu'au fond il avait en horreur
l'esprit et le rire, ce rire qui déforme la créature de Dieu !
« Il est permis d'avoir quelquefois de l'esprit comme au
sage de faire une ribote, pour prouver aux sots qu'il pour-
rait être leur égal mais cela n'est pas nécessaire : « Ceux
que cette opinion proférée par lui pourrait étonner n'ont
pas remarqué que, comme son esprit est unmiroir cosmo-
politique de beauté ou conséquemment le Moyen Age et
la Renaissance se sont très légitimement et très magnifi-
quement reflétés, il s'est de très bonne heure appliqué à
fréquenter les Grecs et la beauté antique au point de
dérouter ceux de ses admirateurs qui ne possédaient pas la
clé de sachambre spirituelle.
En écoutant cette éloquence de conversation si loin du
siècle et de son violent charabia,je ne pouvais m'empêcher
de rêver à la lucidité antique, àje ne sais quel écho socra-
tique, familièrementapporté sur l'aile d'un ventoriental.
Je me retirai conquis par tant de noblesse et de dou-
ceur... Mais qu'on sache que si quelques-uns d'entre nous
ont pris leurs aises avec Gautier c'est parce qu'en le per-
mettant, il semblait le désirer. Il se complaît innocemment
dans une affectueuse familière paternité. C'est encore un
trait de ressemblance avec ces braves gens illustres de
l'antiquité qui aimaient la société des jeunes, et qui pro-
menaient avec eux leur solide conversation sous de riches
verdures, au bord des fleuves, ou sous des architectures
nobles et simples commeleur âme».
C'est avec un extrait d'Emaux et Camées «Le Merle »
que nous commencerons l'étude des poèmes de Théophile
Gautier.
Pourquoi ai-je choisi ce poème ? Parce qu'il est un
exemple dela fantaisie poétique del'auteur.
Comment Gautier imagine à partir de quelques don-
nées de son observation, un merle qui est plus qu'un
oiseau, commeune sorte «d'envoyé »oùl'on discerne les
caractères de la sensibilité humaine. L'auteur voit un
oiseau dans les branches, il en note les couleurs, les mou-
vements, les chants sur un fond d'intempéries qui se pro-
longent. Le point de départ est mince, plutôt banal, mais
nous allons voir commentde strophe en strophe par l'effet
de son imagination poétique, le sujet va s'épaissir en
diversité et en imprévu.
L'ensemble du poème se compose de 6 strophes de 4
vers. Chaque vers comprend 8 syllabes. Ces vers sont
donc des « octosyllabes ». Alors que l'alexandrin rend le
ton majestueux, solennel, le vers de 8 syllabes le fait plus
familier, plus rapide, plus enjoué. Il s'accorde mieux à la
fantaisie de la description. Les rimes sont alternées, du
schéma abab, une masculine succédant àuneféminine.
Dans la première strophe l'auteur saisit les mouve-
ments d'un oiseau. Dansla 2estrophe l'oiseau est identifié :
c'est un merle mais il apparaît comme une personne
humaine : unchanteur crédule et excentrique, une sorte de
« rêveur » ignorant les réalités et commettant à cause de
son soleil intérieur, la méprise dechanter avril en février.
Dans la 3 strophe c'est une peinture de l'hiver, un
extérieur et un décord'intérieur.
Dans la 4e strophe c'est encore un tableau d'extérieur
qui atteste, dans sa fantaisie, la rigueur del'hiver.
Dans la 5 strophe l'oiseau affirme sa foi malgré les
dures réalités de la saison.
Dans la 6 strophe l'oiseau se prend si bien au sérieux
qu'il avertit, par sommation, le printemps que le terme de
sa venue approche.
En conclusion le merle se présente donc à la fois sous
les traits d'un poète amoureux et gai et d'un hommede loi
àl'humeur indépendante.
Nous allons commencer maintenant petite Typhaine
l'étude littérale du morceau et essayer de dégager peu à
peu comment les chants et les sautillements d'un merle
transformés par l'imagination poétique de l'auteur peu-
vent devenir amusants ; révéler leur côté inattendu,
enjoué, spirituel. Lisons donc le texte.
LEMERLE
Unoiseau siffle dans les branches,
Et sautille, gai, plein d'espoir,
Surles herbes degivre blanches,
Enbottesjaunes, enfrac noir.
C'est unmerle, chanteur crédule,
Ignorant ducalendrier,
Qui rêve soleil et module
L'hymned'avril en février.
Pourtant il vente, il pleut à verse ;
L'Arvejaunit le Rhônebleu
Etle salon, tendu deperse,
Tienttous ses hôtes près dufeu.
Lesmonts sur l'épaule ont l'hermine,
Commeles magistrats siégeant ;
Leurblanc tribunal examine
Uncas d'hiver se prolongeant.
Lustrant son aile qu'il essuie,
L'oiseau persiste en sachanson,
Malgréneige, brouillard et pluie,
Il croit àlajeune saison.
Il gronde l'aube paresseuse
Derester au lit si longtemps,
Et, gourmandant la fleur frileuse,
Metendemeure le printemps.
Dans la première strophe, c'est la présentation du
merle, c'est un oiseau siffleur, il ne vole pas, il sautille de
branche en branche, il est là bien avant le printemps sur
les herbes pleines de givre. Ses mouvements légers, ses
sifflements veulent exprimer sa gaieté, son espoir : il croit
au printemps malgré la dureté de l'hiver. Les expressions
« en bottes jaunes » en « frac noir » personnifient déjà
l'oiseau. Son plumage noir et lustré n'évoque-t-il pas peti-
te Typhaine ce vêtement dedrap noir que les hommespor-
tent dans une cérémonie en soirée et qui se termine par
deux longues basques dites queues de morue (ou encore
queue de pie). Tandis que les bottes jaunes révèlent le
voyageur, le vêtement noir peut aussi rappeler outre
l'habit cérémonieux, le costume sévère des clercs, des
huissiers, des hommesde loi.
Tout cela est mis en valeur par le premier vers qui
contient une harmonie imitative, des consonnes sifflantes
en S-F et une chuintante (ch) ; par les césures qui déta-
chent les mots : «sautille », «gai », et les mettenten valeur
au vers 2, lui donnant un rythme allègre ; par l'inversion
au vers 3 (blanches de givre). Ainsi le ton du poème se
révèle dès la première strophe, léger, amusant. L'auteur
brosse par petites touches, un tableau coloré en jaune,
blanc, noir. Des formes sont esquissées : forme de l'oiseau
avec son pelage luisant ; forme des branches d'arbre,
forme de l'herbe blanche de givre. Les expressions «gai »
« plein d'espoir » donnent de l'âme au tableau : l'oiseau
représenté est animé d'une vie affective, d'un soleil inté-
rieur qui vaexpliquer son comportement dans les strophes
suivantes.
La seconde strophe nous révèle l'identité de l'oiseau :
c'est un merle, il chante et sa manière de chanter a unje
ne sais quoi de déroutant car son lyrisme s'affirme à
contre temps. Aussi est-il le symbole de ces gens trop
« crédules » c'est-à-dire qui croient trop facilement, qui
adhèrent spontanément à une idée en s'appuyant sur une
base fragile ; autrement dit ces gens qui manquant d'esprit
critique, manquent aussi de discernement, tout entiers à
leur rêve intérieur, sans souci de ce qui se passe à l'exté-
rieur d'eux-mêmes, possédés par une idée fixe. L'ignoran-
ce va d'ailleurs de pair avec l'idée fixe. Qu'ignore donc
l'oiseau petite Typhaine ? Bien sûr le calendrier ; quelle
est son idée fixe ? la poursuite de son rêve intérieur : le
soleil.
Pourquoi l'oiseau ignore-t-il le calendrier ?D'abord le
calendrier est unsystème de division dutemps qui présen-
te untableau de la suite des saisons, des mois, desjours de
l'année contenant les fêtes et le nom d'un saint pour
chaque jour. Le calendrier prend encore parfois les noms
d'almanach, agenda, annuaire, éphéméride.
Le merle est ignorant du calendrier parce que, identifié
àl'homme par sa sensibilité dans ce poème, il vit defaçon
libre, indépendante, sans se soucier des systèmes de déter-
mination que l'homme accepte pour régler sa vie. Aussi
poursuit-il son rêve intérieur sans se laisser arrêter par des
détails extérieurs de la réalité naturelle, déboussolant, ren-
versant ainsi par le lyrisme de son chant, l'ordre des
choses. L'oiseau n'obéit pas à l'ordre du calendrier, il ne
sent pas sur commande ; il suit l'ordre de sa foi, de son
cœurqui porte aufond delui-même un soleil intérieur.
Après « Des Poètes Romantiques » voici la suite des entre-
tiens de Renée de Thiès.
Nous attendions avec intérêt cette étude et nous n'avons pas
été déçus.
Nous avons la certitude que l'auteur est bien cette « Petite
Typhaine » et le travail qui en découle est le fruit d'une longue
réflexion au fil des années.
Le monde estudiantin a grand besoin, surtout à notre
époque, de se trouver un mentor qui le guide dans les arcanes
de la connaissance de la littérature française et l'auteur est ce
guide attendu.
Pour ce qui concerne les poètes « Parnassiens » on ne peut
qu'emprunter une remarque de l'auteur lui-même :
« Il se dégage des œuvres parnassiennes une force singuliè-
re due à la probité intellectuelle et à l'habileté technique des
Parnassiens ».
L'ouvrage présenté est une réelle approche, nouvelle dans
la pédagogie de l'histoire des lettres françaises, de ces artisans
du Culte de la Forme inspirateurs de tant d'auteurs modernes.
Nous nous réjouissons en tant qu'éditeur d'avoir reçu et
sélectionné les Entretiens de Renée de Thiès.
Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès
par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012
relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au
sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.
Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire
qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections


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La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia
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