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Le mouvement symboliste :
Déchiffrer ou créer le monde ?

Laissez-moi vous raconter… Le mouvement symboliste. C’est un


mouvement littéraire fascinant qui se développe à la fin du XIXe siècle,
mais c’est aussi mouvement pictural. Et on va rapidement voir pourquoi
ces deux univers se mêlent sans cesse.

D’abord ces artistes retrouvent une certaine tradition médiévale, la


gnose, cherchant à déceler, derrière le rideau du monde, ses vérités
immuables.

Mais les temps ont changé, Nietzsche clame que Dieu est mort, et l’on
ne cherche plus toutes les réponses dans des livres sacrés. Les poètes
se sentent alors chargés d’un nouveau rôle : chercher des réponses,
donner du sens, à travers de nouvelles images.

Or, depuis que les romantiques ont ouvert la voie, la mythologie


grecque et latine laisse une plus grande place aux légendes nordiques
ou orientales. Certains iront jusqu’à mêler ou inventer des divinités qui
seront autant de nouvelles allégories.

Et c’est là tout le paradoxe des symbolistes : en voulant décrypter les


mystères du monde, les voilà amenés à créer des univers encore plus
personnels, risquant à tout moment de devenir illisibles.

Et pourtant, malgré leur mystère, ou peut-être grâce à lui, ne


sommes-nous pas encore aujourd’hui fascinés par les poèmes d’Arthur
Rimbaud et les toiles de Gustave Moreau ?

Comment les symbolistes parviendront-ils à donner vie sous nos yeux à ces
idées fascinantes, en créant des univers personnels et énigmatiques ?

Vous pouvez retrouver le texte et le plan de cette vidéo au format PDF,


avec tous mes médias associés — le podcast, la frise chronologique, la
fiche synthèse et le diaporama illustré — sur mon site :
www.mediaclasse.fr
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1. Littérature, peinture et philosophie

Regardez ce tableau de Gustave Moreau, L’Apparition. Il est longuement


décrit par Des Esseintes, le personnage principal du célèbre roman de
Joris Karl Huysmans, À Rebours (c'est-à-dire, à contre-courant de la
société de son temps).
Perdu dans sa contemplation, il scrutait les origines de ce grand artiste, de ce païen
mystique, de cet illuminé qui pouvait s’abstraire assez du monde pour voir, en plein Paris,
resplendir les cruelles visions, les féeriques apothéoses des autres âges.
Joris-Karl Huysmans, À Rebours, 1884.

Cette tête coupée mais pourtant encore vivante et rayonnante,


détachée du corps, qui, lui, reste hors-champ, mais suggéré par la trace
au sol et la hache du bourreau encore sanglante… N’est-ce pas là
justement le symbole du symbole ?

Symbolòn en grec : c’est un objet brisé en deux, dont les deux parties
correspondent parfaitement, permettant aux messagers de se
reconnaître en les emboîtant. Cet objet symbolise le symbolisme !
C’est-à-dire la rencontre du monde des formes et du monde des idées.

Derrière cette conception, vous avez peut-être reconnu le mythe de la


caverne de Platon — le décodeur philosophique en parle très bien dans
une vidéo spéciale avec Philoxime et M.Phi.

Mais en voici un résumé : imaginez des hommes qui n’ont jamais rien vu
de leur vie que des ombres projetées sur le mur d’une caverne… Ils ne
peuvent même pas imaginer les objets réels qui forment ces ombres…
Pour Platon, le philosophe est l’homme sortant de la caverne. D’abord
ébloui, il s’habitue à voir les idées qui sont à l’origine de ce qu’on voit.

Pour les symbolistes, il y a une différence cependant : ce pouvoir


appartient au poète prométhéen voleur de feu, c’est-à-dire, voleur de
lumière, et prophète. Et on va tout de suite voir que cette idée est déjà
bien présente dès les origines du mouvement.
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2. Les origines du symbolisme

Au Moyen-Âge et à la Renaissance, chaque détail cache un symbole.


Regardez par exemple Les Époux Arnolfini, on y trouve la fidélité, la
pureté, le paradis perdu, etc. Mais à partir du XVIe siècle et
progressivement jusqu’au XIXe siècle, les symboles religieux ont laissé la
place à d’autres préoccupations plus proches de l’homme.

Avec les romantiques, la subjectivité du poète a pris une nouvelle


importance. Le paysage état-d’âme de Lamartine reflète des émotions
personnelles : en 1820, ses Méditations Poétiques mêlent sans cesse
l’Amour et la Nature. Cette convergence prépare déjà le symbolisme.

Dans Les Rayons et les Ombres, et plus tard dans Les Contemplations,
Victor Hugo va plus loin, et fait du poète un véritable prophète
prométhéen, voleur de feu, capable de saisir les secrets de la Nature.
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs. [...]
C'est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
Victor Hugo, Des Rayons et des Ombres « La fonction du poète », 1840.

À partir de là, d’autres romantiques s’éloignent du cénacle de Hugo et


fondent un « petit cénacle » en 1830. Gérard de Nerval multiplie les
références ésotériques, et brouille les frontières entre le rêve,
l’imaginaire et le réel. Petrus Borel écrit des Contes Immoraux, cherchant
dans le surnaturel les émotions les plus fortes.

Face aux grands idéaux hugoliens, Théophile Gautier soutient l’idée que
l’art n’est au service que de lui-même et il décrit dans sa préface à
Mademoiselle de Maupin en 1835, les principes qui fondent le Parnasse.

Pour Baudelaire, c’est une révélation : l’art ne s’embarrasse pas de


principes moraux, et doit viser la perfection formelle. Il dédicace ses
Fleurs du Mal à Théophile Gautier « Au Poète impeccable » en 1857. Mais
pour autant, Baudelaire ne suit pas absolument la voie de Gautier.
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3. Baudelaire précurseur

D’abord, Baudelaire développe des images plus fragiles que celles qu’on
trouve chez Hugo. La voix du poète est une cloche fêlée qui ne
s’exprime qu’avec d’immenses efforts. Son espérance, une chauve
souris, se cogne la tête contre les murs de son propre Spleen : on
s’éloigne de la mélancolie sublime des romantiques !

La poésie de Baudelaire n’est plus une méditation poétique ou une


contemplation, mais une opération pratiquement alchimique qui révèle
les correspondances cachées dans la Nature :
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Correspondances », 1857.

Un exemple de correspondances, ce sont les synesthésies : mêler des


perceptions variées (l’odorat, la vue, le toucher). D’ailleurs souvent chez
Baudelaire, le parfum déploie tout un univers :
Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Parfum exotique », 1857.

Dans ce parfum exotique, on trouve diverses perceptions : chaleur,


lumière, qui produisent toutes les figures de style chères à Baudelaire :
la métonymie* permet ce glissement par proximité : le sein représente
un corps entier, incarnant peut-être même la beauté elle-même…

L’allégorie* (une image qui incarne un concept) génère alors des


métaphores filées : ces rivages heureux ou ce soleil monotone sont des
comparants, dont on doit retrouver le comparé : que représentent-ils
exactement ? C’est ce qu’on appelle la métaphore in absentia*, le
procédé préféré des symbolistes.

À la fin de sa vie, Baudelaire découvre Gaspard de la Nuit, d’Aloysius


Bertrand : 1842, c’est le premier recueil français de poèmes en prose.
Pour Baudelaire, c’est une révélation : voilà la forme qui lui permettra
de décrire et de critiquer le monde moderne, dans Le Spleen de Paris. Ce
regard en retrait du monde sera une caractéristique des symbolistes.
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4. Une société matérialiste

Au milieu du XIXe siècle, la Monarchie de juillet 1830 laisse place à la 2e


République en 1848. Touché par l’enthousiasme du moment, Baudelaire
se rend sur les barricades sans partager les idéaux démocratiques…
Dans Le Spleen de Paris, son empathie avec les pauvres se mêle à une
certaine défiance à l’égard de ce qu’il appelle « Les élucubrations des
entrepreneurs de bonheur public. »

En tout cas, les espoirs d’une République sociale retombent vite.


Napoléon III fonde le Second Empire en 1852. À Paris, les travaux
d’Haussmann bouleversent la capitale. La Révolution Industrielle se
développe aux dépens d’un véritable prolétariat. Écoutez ces vers du
poète belge Émile Verhaeren par exemple :
Automatiques et minutieux,
Des ouvriers silencieux
Règlent le mouvement
Qui fermente de fièvre et de folie
Et déchiquette, avec ses dents d'entêtement,
La parole humaine abolie.
Émile Verhaeren, Les Villes Tentaculaires, 1895.

Les Expositions universelles de 1855 et 1867 font l’apologie des sciences


et des techniques… Mais les artistes ne se reconnaissent plus dans cette
société qu’ils trouvent trop matérialiste.

Après la défaite de Sedan en 1870 et la commune de Paris en 1871,


l'Assemblée nationale hésite longuement : Monarchie ou République ?
Le régime républicain n’est vraiment confirmé que lorsque le président
Mac Mahon, royaliste et légitimiste, démissionne en 1879.

Pendant toute cette période, on voit se former des groupes littéraires


dissidents. Rimbaud et Verlaine fréquentent les « Vilains Bonshommes »
et le « Cercle des poètes zutiques ». Hydropathes, hirsutes, incohérents,
fumistes, adoptent un esprit Fin de siècle moqueur, pessimiste.

André Gide, qui participe jeune aux mardis de Mallarmé, décrira


parfaitement cette émulation intellectuelle si particulière qui se
prolonge au début du XXe siècle, entre tentation de l’anarchisme et
quête de sens, notamment à travers son roman Les Faux Monnayeurs.
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5. Du décadentisme au symbolisme

Dans un recueil de portraits, Verlaine invente la notion de « poètes


maudits » pour présenter des poètes et poétesses méconnus. Il cite
notamment Tristan Corbière qui dans ses Amours Jaunes se compare à
un crapaud, rossignol de la boue écrit-il.

Verlaine revendique aussi régulièrement le terme « décadent » qu’il


décrit dans son recueil Jadis et Naguère :
Je suis l'Empire à la fin de la décadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D'un style d'or où la langueur du soleil danse.
Verlaine, Jadis et Naguère, « langueur », 1884.

Certains poètes se reconnaissent dans cette langueur affligée. Jules


Laforgue par exemple, renouvelle le genre poétique de la Complainte :
Ma complainte n'a pas eu de commencement,
Que je sache, et n'aura nulle fin ; autrement,
Je serais l'anachronisme absolu. Pullule
Donc, azur possédé du mètre et du pendule !
Jules Laforgue, Complainte du temps et de sa commère l’espace, 1885.

Zola s’insurge contre l’attitude de ces poètes qu’il ne comprend pas :


Si encore, [...] ils avaient le courage, eux qui n’aiment pas leur siècle, de lui dire : Merde !
[...] Mais non, rien ne sort [...] de leur galimatias. Tenez, il y en a un, d’écrivain, qui ne
l’aime pas, le siècle, et qui le vomit d’une façon superbe, c’est Huysmans.
Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire : Réponses d’Émile Zola, 1891.

Et en effet, Huysmans est un ancien naturaliste, ami de Zola. Dans son


roman À Rebours, il invente un personnage de dandy, Des Esseintes, qui
se retire dans sa demeure à Fontenay-aux-Roses, s’entourant d’œuvres
d’art raffinées. Il devient un véritable modèle de l’artiste décadent.

Le symbolisme prolonge ce geste en réaction au naturalisme : ce n’est


plus le « sens du réel » cher à Zola qui guide le regard de l’écrivain, mais
son sens esthétique, empruntant le moins possible au monde extérieur.
Ainsi dédaigneux de la méthode puérile du naturalisme, — M. Zola, lui, fut sauvé par un
merveilleux instinct d’écrivain — le roman symbolique — impressionniste édifiera son
œuvre de déformation subjective, fort de cet axiome : que l’art ne saurait chercher en
l’objectif qu’un simple point de départ extrêmement succinct.
Jean Moréas, Manifeste du Symbolisme, 1886.

Au-delà de la simple réaction au naturalisme, on voit donc bien se


dessiner tout un mouvement artistique avec des principes communs.
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6. La constitution d’un mouvement

Stéphane Mallarmé, poète, professeur d’Anglais par nécessité, est


devenu malgré lui le chef de file de ce mouvement symboliste :
Ce qui m'a donné l'attitude de chef d'école, c'est, d'abord, que je me suis toujours
intéressé aux idées des jeunes gens ; [...] ma sincérité à reconnaître ce qu'il y avait de
nouveau dans l'apport des derniers venus. [...] Au fond, voyez-vous, [...] le monde est fait
pour aboutir à un beau livre.
Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Réponses de Stéphane Mallarmé, 1891.

Mallarmé accueille tous les mardis, rue de Rome, les artistes proches de
cette nouvelle tendance symboliste. Des hommes de lettres : Gide,
Claudel, Valéry, Moréas, Rodenbach, Maeterlinck, Mais aussi des
musiciens, des sculpteurs et peintres, Gauguin, qui lui offre cette
sculpture inspirée de l’après-midi d’un faune…

Difficile de trouver des principes communs parmi tous ces artistes.


Remy de Gourmont (écrivain et critique d’art célèbre à l’époque)
explique cette variété dans son fameux Livre des Masques :
La seule excuse qu’un homme ait d’écrire, c’est de s’écrire lui-même, de dévoiler aux
autres la sorte de monde qui se mire en son miroir individuel ; sa seule excuse est d’être
original. [...] Admettons donc que le symbolisme, c’est, même excessive, même
intempestive, même prétentieuse, l’expression de l’individualisme dans l’art.
Remy de Gourmont, Livre des Masques, 1898.

En 1886, Jean Moréas résume les grandes tendances esthétiques de ces


artistes dans son « manifeste du Symbolisme » :
La poésie symbolique cherche à vêtir l’Idée d'une forme sensible qui [...] ne serait pas son
but à elle-même, mais qui, tout en servant à exprimer l'Idée, demeurerait sujette.
Jean Moréas, Manifeste du Symbolisme, 1886.

Vêtir l’Idée d’une forme sensible, c’est-à-dire, donner à percevoir des


notions abstraites, par de véritables perceptions. Mais que signifie cette
étrange expression « demeure sujette » ? L’image prend vie et déploie
toutes ses potentialités… La métaphore se file toute seule en quelque
sorte, parce que l’allégorie se déploie sous nos yeux, devient
envahissante : toutes ses actions prolongent le symbole.

Et ainsi, chaque poète symboliste invente pour ainsi dire, son propre
alphabet d’images. En écoutant avant tout leur subjectivité, ils vont
jusqu’au bout de cette liberté déjà revendiquée par les Romantiques :
Nous assistons, en ce moment, à un spectacle vraiment extraordinaire, unique, dans
toute l'histoire de la poésie : chaque poète allant [...] jouer sur une flûte, bien à lui, les airs
qu'il lui plaît ; pour la première fois, [...] les poètes ne chantent plus au lutrin.
Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Réponses de Stéphane Mallarmé, 1891.
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7. De la musique avant toute chose

Verlaine revendique le vers impair dans son Art Poétique, entièrement


rédigé en vers de neufs syllabes (ennéasyllabes).
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Verlaine, Jadis et Naguère, « Art Poétique », 1884.

D’autres poètes comme Gustave Kahn, réussissent à produire des


rythmes inédits en mêlant des vers de mètres variés.
Ta beauté s’éjouit dans un cœur tout à toi,
[...] en pensant que mon cœur sonne
comme d’un éternel émoi.
Mais tu sais si bien que personne
ne se mirera dans ce miroir à toi.
Ta beauté réjouit tout ce cœur tout à toi.
Gustave Kahn, Domaine de fée, 1895.

Le -e muet, les hiatus* (la rencontre de deux voyelles), l’adverbe


intensif… Nous font hésiter entre mètres pairs et impairs. Par exemple,
l’avant-dernier vers est un hendécasyllabe* (un vers de onze syllabes).

Mallarmé va jusqu’au bout du raisonnement. Pour lui, la langue


poétique est nécessairement musicale, et la prose n’est finalement
qu’une forme de versification absolument libre :
En vérité, il n'y a pas de prose : il y a l'alphabet et puis des vers plus ou moins serrés : plus
ou moins diffus. Toutes les fois qu'il y a effort au style, il y a versification.
Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Réponses de Stéphane Mallarmé, 1891.

Lautréamont explore les possibilités musicales du poème en prose dans


ses Chants de Maldoror, en 1869 :
Celui qui chante ne prétend pas que ses cavatines soient chose inconnue ; au contraire, il
se loue de ce que les pensées [...] méchantes de son héros soient dans tous les hommes.
Lautréamont Isidore Ducasse, Les Chants de Maldoror, 1869.

Plus tard, Debussy accomplit cette métamorphose de la poésie en


musique, avec son prélude à l’après-midi d’un Faune, qui retranscrit
l’atmosphère si particulière du poème de Mallarmé.

Maurice Maeterlinck (grand représentant du symbolisme Belge)


compose Pelléas et Mélisande, un mélodrame mis en musique par
Debussy. Les lieux légendaires, le mythe qui contient pléthore de
significations cachées, la mise en scène qui favorise les jeux d’ombre et
de lumière… Tout est fait pour créer une atmosphère de mystère.
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8. Le mystère revendiqué

Ce goût pour le mystère n’est pas nouveau, on le trouve déjà chez les
romantiques. Chateaubriand par exemple, commence son Génie du
Christianisme avec une apologie du mystère :
Il n’est rien de beau, de doux, de grand dans la vie, que les choses mystérieuses. Les
sentiments les plus merveilleux sont ceux qui nous agitent un peu confusément : la
pudeur, l'amour chaste, l'amitié vertueuse, sont plein de secrets.
François-René de Chateaubriand, Le Génie du christianisme, 1802.

Les symbolistes héritent de ce goût pour le mystère des romantiques,


Mais ils vont plus loin en mettant le mystère au cœur même de leur
écriture, pour lui conférer une dimension sacrée :
Toute chose sacrée et qui veut demeurer sacrée s’enveloppe de mystère. Les religions se
retranchent à l’abri d’arcanes dévoilés au seul prédestiné : l’art a les siens.
Stéphane Mallarmé, « Hérésies artistiques » in L’Artiste, 15 septembre 1862.

Ils vont alors rechercher un vocabulaire et des tournures syntaxiques


rares, évitant de désigner les objets directement.
Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite
du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve. [...] J'invente une langue qui
doit nécessairement jaillir d'une poétique très nouvelle, que je pourrais définir en ces
deux mots : Peindre, non la chose, mais l'effet qu'elle produit.
Mallarmé, Lettre à Cazalis, 30 octobre 1864.

Par exemple dans son poème « l’Azur », Mallarmé ne nomme que l’effet,
la Douleur, pour désigner ce qui la cause : le travail de l’écriture.
De l’éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie
À travers un désert stérile de Douleurs.
Mallarmé, L’Azur, 1864.

Ici, la feuille blanche est un Azur sans nuages ou un désert : une


perfection, qui se moque avec ironie des efforts du poète dont l’œuvre
ne saurait être qu’imparfaite. Cette idée l’accable et le rend stérile… Et
en effet, ces exigences de pureté et d’hermétisme ne sont-elles pas des
écueils pour la poésie symboliste ?
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9. Pureté et hermétisme

Mallarmé dit lui-même avoir mis plus de quinze ans pour composer
certains poèmes. Le fameux sonnet en X par exemple, dont voici le
deuxième quatrain :
Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)
Mallarmé, Sonnet en X, 1899.

Ce mot « ptyx » n’existe dans aucune langue (Mallarmé confie dans une
lettre qu’il s’en est assuré) c’est donc vraiment un « Aboli bibelot
d’inanité sonore »… Un mot, musical, mais sans contenu, un signifiant
sans signifié.

Et alors, on comprend qu’Orphée, « maître » des poètes, n’est pas parti


avec sa lyre, mais « avec ce seul objet dont le néant s’honore »,
c’est-à-dire, les mains vides. Le lyrisme est vidé de ses moyens, vidé de
son contenu, doublement relégué à la pureté du néant.

Enfin, la deuxième mort d’Eurydice n’est évoquée que par ses ultimes
conséquences « puiser des pleurs » comme si Orphée n’était allé
chercher au Styx que le redoublement de son deuil…

Pour Mallarmé, cette image du poète, est aussi une image de la


condition humaine : nous sommes tous en deuil de cet idéal impossible
à retrouver, et qui d’ailleurs ne pourrait se solder que par le vide.

Cet hermétisme n’est alors qu’une tentative d’exprimer une vérité qui
est au cœur des mystères les plus profonds du monde. Cette résistance
du texte à l’interprétation, n’en est que la manifestation.
La poésie est l’expression — par le langage humain ramené à son rythme essentiel — du
sens mystérieux des aspects de l’existence.
Mallarmé, Lettre à Léo d’Orfer, datée du 27 juin 1884.

C’est alors qu’on rejoint le projet littéraire de Rimbaud : la poésie seule


peut révéler les principes obscurs qui sous-tendent l’univers… Comme
l’homme ébloui percevant les idées hors de la caverne de Platon.
Donc le poète est vraiment voleur de feu. Il est chargé de l'humanité, des animaux
même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a
forme, il donne forme ; si c'est informe, il donne de l'informe.
Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871.
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10. Le Poète voyant

Les contours du bien et du mal, l’étoffe chatoyante de l’espace et du


temps, l’énergie qui traverse le monde et s’épanouit en fleurs… Autant
de mystères que les symbolistes veulent exprimer poétiquement…

Rimbaud âgé de 17 ans a parfaitement compris la poésie de Hugo, et


admire particulièrement l’œuvre de Baudelaire.
Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai dieu. Encore [...] la forme si
vantée en lui est mesquine : les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles.
Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871.

Ses Voyelles sont de nouvelles correspondances, où chaque son devient


une couleur, puis un univers, lettre d’un alphabet mystique…
J'inventai la couleur des voyelles ! — A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. [...] Je me
flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je
réservais la traduction. Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je
notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.
Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, « Alchimie du Verbe », 1873.

Rimbaud décrit la méthode de cette fameuse étude dans la célèbre


Lettre du voyant à Paul Demeny :
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.
[...] Il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences.
Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871.

Il faut bien se rendre compte qu’à l’époque, on n’avait jamais lu des vers
pareils ! Le Bateau Ivre par exemple illustre bien cette quête initiatique.
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !
Rimbaud, Poésies, « Le Bateau Ivre », 1871.

Dans Une Saison en Enfer, sa vie avec Verlaine devient une véritable
catabase (une descente aux enfers) d’où il revient désabusé.
Jadis, [...] ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l'ai injuriée.
Rimbaud, Une Saison en Enfer, « Prologue », 1873.

Mais alors, y a-t-il encore une place pour le lecteur dans un tel projet
littéraire ? Rimbaud pose cette question dans ses Illuminations :
J'ai seul la clef de cette parade sauvage.
Rimbaud, Illuminations, 1886.
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11. Une place pour le lecteur ?

Vingt ans après la mort de Rimbaud, sa sœur écrit un article, où elle


raconte ce qu’il répondait à ceux qui l’interrogeaient sur le sens de son
œuvre, et notamment sa mère par exemple.
Nul doute qu'Arthur, au lecteur qui, ne comprenant pas, demanderait ce que veulent
dire ces troublants poèmes, répondrait comme autrefois il le fit d'un ton tout modeste à
sa mère : «J'ai voulu dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens.»
Isabelle Rimbaud, « Mon frère Arthur », Le Mercure de France, 1914.

« Littéralement et dans tous les sens » : c’est-à-dire que Rimbaud


autorise son lecteur à chercher dans son œuvre un sens qu’il n’avait
peut-être pas pensé. La lecture participe à la création poétique.

Et ainsi, le symbole fait exister une nouvelle réalité, non pas seulement
par l’écriture, mais dans l’imagination de tous ses lecteurs. Par exemple,
une fleur absente surgit par sa simple évocation poétique :
Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que
quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave,
l’absente de tous bouquets.
Mallarmé, Divagations, 1897.

Les symbolistes remotivent l'étymologie du mot « poésie », du grec


ancien poiein (créer). La poésie donne vie à une réalité nouvelle. Le
symbole a une dimension performative (l‘énoncé a la valeur d’un acte).
La poésie consistant à créer, il faut prendre dans l’âme humaine des états, des lueurs
d’une pureté si absolue que bien chantés et bien mis en lumière, cela constitue en effet les
joyaux de l’homme : là il y a symbole, il y a création, et le mot poésie a ici son sens : c’est,
en somme, la seule création humaine possible.
Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Réponses de Stéphane Mallarmé, 1891.

Avec Un Coup de Dés jamais n'abolira le Hasard, Mallarmé nous fait vivre
instant par instant cette magie de la création poétique.

Veillant
doutant
roulant
brillant et méditant

avant de s’arrêter
à quelque point dernier qui le sacre —

Toute Pensée émet un Coup de Dés.

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