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Le mouvement symboliste :
Déchiffrer ou créer le monde ?
Mais les temps ont changé, Nietzsche clame que Dieu est mort, et l’on
ne cherche plus toutes les réponses dans des livres sacrés. Les poètes
se sentent alors chargés d’un nouveau rôle : chercher des réponses,
donner du sens, à travers de nouvelles images.
Comment les symbolistes parviendront-ils à donner vie sous nos yeux à ces
idées fascinantes, en créant des univers personnels et énigmatiques ?
Symbolòn en grec : c’est un objet brisé en deux, dont les deux parties
correspondent parfaitement, permettant aux messagers de se
reconnaître en les emboîtant. Cet objet symbolise le symbolisme !
C’est-à-dire la rencontre du monde des formes et du monde des idées.
Mais en voici un résumé : imaginez des hommes qui n’ont jamais rien vu
de leur vie que des ombres projetées sur le mur d’une caverne… Ils ne
peuvent même pas imaginer les objets réels qui forment ces ombres…
Pour Platon, le philosophe est l’homme sortant de la caverne. D’abord
ébloui, il s’habitue à voir les idées qui sont à l’origine de ce qu’on voit.
Dans Les Rayons et les Ombres, et plus tard dans Les Contemplations,
Victor Hugo va plus loin, et fait du poète un véritable prophète
prométhéen, voleur de feu, capable de saisir les secrets de la Nature.
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs. [...]
C'est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
Victor Hugo, Des Rayons et des Ombres « La fonction du poète », 1840.
Face aux grands idéaux hugoliens, Théophile Gautier soutient l’idée que
l’art n’est au service que de lui-même et il décrit dans sa préface à
Mademoiselle de Maupin en 1835, les principes qui fondent le Parnasse.
3. Baudelaire précurseur
D’abord, Baudelaire développe des images plus fragiles que celles qu’on
trouve chez Hugo. La voix du poète est une cloche fêlée qui ne
s’exprime qu’avec d’immenses efforts. Son espérance, une chauve
souris, se cogne la tête contre les murs de son propre Spleen : on
s’éloigne de la mélancolie sublime des romantiques !
5. Du décadentisme au symbolisme
Mallarmé accueille tous les mardis, rue de Rome, les artistes proches de
cette nouvelle tendance symboliste. Des hommes de lettres : Gide,
Claudel, Valéry, Moréas, Rodenbach, Maeterlinck, Mais aussi des
musiciens, des sculpteurs et peintres, Gauguin, qui lui offre cette
sculpture inspirée de l’après-midi d’un faune…
Et ainsi, chaque poète symboliste invente pour ainsi dire, son propre
alphabet d’images. En écoutant avant tout leur subjectivité, ils vont
jusqu’au bout de cette liberté déjà revendiquée par les Romantiques :
Nous assistons, en ce moment, à un spectacle vraiment extraordinaire, unique, dans
toute l'histoire de la poésie : chaque poète allant [...] jouer sur une flûte, bien à lui, les airs
qu'il lui plaît ; pour la première fois, [...] les poètes ne chantent plus au lutrin.
Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Réponses de Stéphane Mallarmé, 1891.
© Mediaclasse Le mouvement Symboliste 8/12
8. Le mystère revendiqué
Ce goût pour le mystère n’est pas nouveau, on le trouve déjà chez les
romantiques. Chateaubriand par exemple, commence son Génie du
Christianisme avec une apologie du mystère :
Il n’est rien de beau, de doux, de grand dans la vie, que les choses mystérieuses. Les
sentiments les plus merveilleux sont ceux qui nous agitent un peu confusément : la
pudeur, l'amour chaste, l'amitié vertueuse, sont plein de secrets.
François-René de Chateaubriand, Le Génie du christianisme, 1802.
Par exemple dans son poème « l’Azur », Mallarmé ne nomme que l’effet,
la Douleur, pour désigner ce qui la cause : le travail de l’écriture.
De l’éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie
À travers un désert stérile de Douleurs.
Mallarmé, L’Azur, 1864.
9. Pureté et hermétisme
Mallarmé dit lui-même avoir mis plus de quinze ans pour composer
certains poèmes. Le fameux sonnet en X par exemple, dont voici le
deuxième quatrain :
Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)
Mallarmé, Sonnet en X, 1899.
Ce mot « ptyx » n’existe dans aucune langue (Mallarmé confie dans une
lettre qu’il s’en est assuré) c’est donc vraiment un « Aboli bibelot
d’inanité sonore »… Un mot, musical, mais sans contenu, un signifiant
sans signifié.
Enfin, la deuxième mort d’Eurydice n’est évoquée que par ses ultimes
conséquences « puiser des pleurs » comme si Orphée n’était allé
chercher au Styx que le redoublement de son deuil…
Cet hermétisme n’est alors qu’une tentative d’exprimer une vérité qui
est au cœur des mystères les plus profonds du monde. Cette résistance
du texte à l’interprétation, n’en est que la manifestation.
La poésie est l’expression — par le langage humain ramené à son rythme essentiel — du
sens mystérieux des aspects de l’existence.
Mallarmé, Lettre à Léo d’Orfer, datée du 27 juin 1884.
Il faut bien se rendre compte qu’à l’époque, on n’avait jamais lu des vers
pareils ! Le Bateau Ivre par exemple illustre bien cette quête initiatique.
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !
Rimbaud, Poésies, « Le Bateau Ivre », 1871.
Dans Une Saison en Enfer, sa vie avec Verlaine devient une véritable
catabase (une descente aux enfers) d’où il revient désabusé.
Jadis, [...] ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l'ai injuriée.
Rimbaud, Une Saison en Enfer, « Prologue », 1873.
Mais alors, y a-t-il encore une place pour le lecteur dans un tel projet
littéraire ? Rimbaud pose cette question dans ses Illuminations :
J'ai seul la clef de cette parade sauvage.
Rimbaud, Illuminations, 1886.
© Mediaclasse Le mouvement Symboliste 12/12
Et ainsi, le symbole fait exister une nouvelle réalité, non pas seulement
par l’écriture, mais dans l’imagination de tous ses lecteurs. Par exemple,
une fleur absente surgit par sa simple évocation poétique :
Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que
quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave,
l’absente de tous bouquets.
Mallarmé, Divagations, 1897.
Avec Un Coup de Dés jamais n'abolira le Hasard, Mallarmé nous fait vivre
instant par instant cette magie de la création poétique.
Veillant
doutant
roulant
brillant et méditant
avant de s’arrêter
à quelque point dernier qui le sacre —