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Dans cette partie, nous allons nous intéresser aux grands thèmes abordés par les

peintres symbolistes. Il est difficile de définir clairement un style symboliste, puisque le


mouvement a réuni de nombreuses tendances différentes les unes des autres. Un certain
nombre de thèmes sont cependant communs à tous les artistes.

Parmi ces thèmes, nous retrouvons un fort pessimisme, une attirance pour le rêve,
l'ésotérisme, l’imaginaire, le fantastique, l’inconscient et le mysticisme, et une atmosphère
générale de mélancolie. Le symbole de la femme fatale, associé aux thèmes de la sexualité
et de la sensualité est très souvent interprété par les symbolistes et s'accompagne d'une
forte misogynie dans le mouvement. Enfin, la recherche d'une synthèse des arts donne lieu à
de nombreux échanges, notamment entre peinture et littérature où ces échanges se
traduisent dans la similarité des thèmes abordés, qui sont ici les mêmes sujets issus de la
littératures, les mythes et les légendes.

Le premier grand groupe de thèmes que nous allons aborder est celui qui rassemble
le thème de la femme, de l’amour, la sexualité, la sensualité, lié à la mort. Ainsi, que le type
de l’androgyne. La femme, sous tous ses aspects, est souvent au centre de la thématique
symboliste, sous son visage fatal (Salomé, Dalila), sacré (Sainte Geneviève par ex) ou
magique (fée, sphinges…).

La femme fatale est un thème largement répandu au XIXème siècle dans l’art
symbolique, que ce soit en littérature dans Salammbô ou dans La Tentation de Saint-Antoine
de Flaubert. L’imaginaire de la femme fatale est aussi alimenté à l’époque par la
psychanalyse naissante et notamment grâce aux travaux sur l’hystérie de Jean-Martin
Charcot. L’hystérie devient une source d’inspiration. Les peintres vont réaliser de
nombreuses représentations de cette femme fatale, impure et perverse. L’archétype
demeure les figures bibliques de Judith ou encore Salomé, qui associent la sexualité à la
mort, à la sensualité morbide, ainsi qu’au sadisme et à la luxure, la perversion. Les peintres
reprennent donc le thème de l’amour-passion consommé dans la mort. Sur ce thème, nous
avons de nombreuses représentations de Salomé qui connait un très grand succès, comme
chez Gustave Moreau dans L’Apparition où on voit Salomé dansant devant Hérode avec une
vision de la tête flottante de Jean-Baptiste décapité. Les représentations du personnage de
Salomé prit au fil du temps une dimension de plus en plus érotique au point de devenir selon
Huysmans : « la déité symbolique de l'indestructible Luxure, la déesse de l'immortelle
Hystérie, la Beauté maudite (…), la Bête monstrueuse, indifférente, irresponsable,
insensible…». La figure de la femme domine parce qu’elle symbolise par elle-même
l’ambivalence du désir et de la mort, la pulsion physique, le vice, la déchéance. Elle est
représentée comme un être attirant et fatal, perverse et dangereuse. Les femmes chez
Moreau, lorsqu’elles ne sont pas d’actives destructrices comme Salomé, sont des êtres qu’il
ne faut pas offenser. Ses fées sont des personnages sinistres et puissants mais d’une
grande beauté. Elles semblent participer à une célébration imaginative des peurs masculines
de la castration et de l’impuissance. La beauté fatale entraine l’homme à la mort. Marqués
par la conscience de l’instabilité du monde, la fin des valeurs spirituelles et le déchéance
inéluctable du corps humain, les esprits sont hantés par la mort. Cette obsession est
partagée par des artistes et transparait très bien à travers la femme fatale associée à la
mort, à un nouvel érotisme sulfureux, mêlant fétichisme, sadisme, et satanisme. Les artistes
symbolistes cherchent à représenter l'éternel féminin cruel tel qu'il le conçoivent.

Ce thème de la femme fatale peut également être représentée par la figure magique
du sphinx, qui connait un extraordinaire regain de faveur auprès des artistes symbolistes. La
nature hybride du Sphinx correspond, à l’époque symboliste, à la double nature de la femme.
Instrument de la tentation, la sphinge, dont la froideur pensive est une des expressions de la
cruauté féminine, envahit la peinture. Les artistes voient dans cette créature énigmatique,
mi-homme mi-bête, le détenteur de mystères ésotériques. Moreau avait notamment
rencontré le succès au Salon de 1864 avec Œdipe et le Sphinx, œuvre dans laquelle on
discerne un mélange pervers d’attirance et de répulsion. Moreau opposait dans la figure du
Sphinx les « ailes prometteuses de l’Idéal » et le « corps du monstre, du carnassier qui
déchire et anéantit ».

Ces images de la femme ont une double connotation démonique ou angélique, avec
des allusions érotiques. Le femme fatale s’opposent donc aux d’effigies de la chasteté
comme la figure d’Ophélie, Béatrice ou de la Vierge Marie, de sainte Geneviève, qui
représentent la femme idéalisée, pure, hiératique, vertueuse, devenues anges ou fiancées
ésotériques et mystiques. C’est donc une vision idyllique comme chez Maurice Denis avec
son tableau Saintes femmes au tombeau de 1894, où les femmes sont empreintes de
sentiments religieux. La nudité innocente des femmes de Puvis de Chavannes, comme dans
l’Eté de 1891, incarnent l’espérance, la pureté porté par cette deuxième vision de la femme.

Ces deux visions extrêmes et contraires de la femme, s’accompagnent d’une forte


misogynie dans le symbolisme. Chez les symbolistes, la femme représente la nature, et est
en cela opposée à l'esprit, donc aux artistes. Ainsi, bien que les représentations de sujets
féminins abondent dans les œuvres exposées aux Salons de la Rose+Croix, les femmes
artistes en sont exclues.

Dans l’imaginaire de la fin du siècle, la femme oscille donc entre la mante religieuse
comme le décrira Sâr Péladan dans Le Vice suprême, et l’apparition asexuée donc
l'androgyne. Le rejet de la morale traditionnelle, passant par l'indifférenciation sexuelle, les
métamorphoses de l'image de la femme trouvent à s'exprimer dans une figure légitimée par
la tradition esthétique : l'androgyne. Ce « sexe artistique par excellence » obsède la
littérature et la peinture. Il y a une ambivalence dans la sexualité avec l’androgyne, qui à une
charge fantasmagorique et renvoie au mythe platonicien des origines. Le type androgyne
dans beaucoup des compositions de Moreau, comme dans Œdipe et le Sphinx, qui marqua
les esprits et exerça une très forte fascination sur les critiques et artistes de la fin du XIXème
siècle. La figure de l’androgyne chez Moreau est complexe. Dans son œuvre, ce sont surtout
les hommes qui sont langoureux et voués à la destruction. Les hommes qui apparaissent
dans ses compositions sont souvent des hommes frêles et passifs. Par exemple dans la toile
Les Prétendants, le spectateur est témoin d’un massacre de beaux jeunes hommes
efféminés et c’est vers eux que se porte la compassion.

Beaucoup de peintures symbolistes usent des sujets renvoyant aux légendes, aux
mythes, à la bible et à la littérature ancienne ou contemporaine. Ces sujets alimentent leurs
rêves. Le goût pour les récits légendaires ou mythiques répond en premier lieu à un désir
d’évasion déjà formulé par les romantiques. On a un recours à la mythologie, aux légendes
notamment médiévales comme chez les préraphaélites. A travers les mythes, et légendes
anciennes, les érudits ressuscitent les civilisations anciennes et réenchante un monde vidé
de ses croyances, puisque telle est la fonction du légendaire utilisé par les symbolistes. L’art
par le biais du mythe, communique les vérités divines. A travers les textes sacrés ou
légendaires, se révèle la tendance au mysticisme ou à la réflexion philosophique. C’est une
tendance nouvelle qui imprègne tout l’art symboliste. Les artistes puisent ainsi dans la Bible,
avec notamment le thème de Salomé, vu précédemment. Ils puisent aussi dans la
mythologie antique comme Moreau avec Jupiter et Europe de 1868, ou encore dans les
sagas nordiques, dans la religion chrétienne comme Puvis de Chavannes avec par exemple
Marie Madeleine au désert de 1869.

Les artistes tirent aussi leurs sujets des grands textes littéraires, comme Dante.
Gustave Moreau a notamment fait un tableau intitulé Dante et Virgile. La démarche
symboliste, qui procède par transposition, entretient des rapports très étroits avec les arts du
verbe. La littérature et la poésie du présent, mais aussi du passé, deviennent par
conséquent ses principales sources d’inspiration. Aucun écrivain du XIXème siècle, n’a joui
d’un succès aussi considérable qu’Edgar Poe. Ce dernier a notamment été illustré par des
peintres symbolistes comme Odilon Redon, dans sa série de lithographies intitulée A Edgar
Poe, de 1882. La communion d'idées entre peintre et homme de lettres n'a jamais été plus
réelle qu'à cette époque. Cette correspondances entre la peinture et la littérature se voit
dans le choix des sujets, dans l'attrait pour des mythes similaires.

Le rêve, l’imaginaire, l’inconscient, la spiritualité, la religion et le mysticisme sont


également des thématiques importantes de la peinture symbolique. Pour les symboliques, le
rêve est créateur. Les artistes se prêteront à une exploration onirique pour affirmer leur refus
de la modernité. C’est une activité profonde de l’âme qui fait partie du processus créateur,
notamment chez Redon. Le images jaillissent de l’inconscient et les peintres veulent
réintégrer le rêve, l’imaginaire dans leurs toiles en écartant les thèmes prosaïques. Les
peintres privilégient ainsi des sujets allégoriques et symboliques, ils essaient de dépasser la
réalité à travers les rêves, l’imagination, l’évocation, l’invisible. L'image visuelle apprend à
devenir le signe de l'inexprimable, pour transcrire ce langage intérieur. Les artistes explorent
leur être entre le bonheur et l’angoisse, le rêve et le cauchemar dans les régions de
l’ambiguïté et du mystère, jusqu’aux frontières de l’inconscient, comme dans Le Rêve de
Puvis de Chavannes datant de 1883 ou encore dans la série lithographique intitulé Dans le
rêve, de 1879, faite par Redon lui-même appelé le « prince du rêve », puisque sa démarche
repose sur la « soumission docile à la venue de l’inconscient ». Les peintres découvrent
également les expériences religieuses, mystique ou ésotériques. L’analogie exploitée en
peinture entre la figure du christ et celle de l’artiste, conduisent naturellement à une
renaissance du sentiment religieux. De plus, la plupart des symbolistes s’intéressent à
l’occultisme ou au spiritisme.

Une autre grade préoccupation des peintres symbolistes est l’univers et le moi. Dans
le monde symboliste, l’artiste repousse l’anecdote pour traiter des problèmes fondamentaux
de l’homme comme la vie, la mort, le désir, l’amour, la nature, la divinité, la méditation sur le
temps, les saisons, devant la mer ou dans la forêt. Pour le symboliste qui prône un
individualisme forcené, la vie intérieure, irréductible à la raison et à la société, permet seule
l’accès au mystère de l’être, à l’au-delà du rêve, et aux pressentiments des correspondances
universelles. Regarder au-dedans de soi, c’est affirmer la suprématie de la pensée et de
l’imagination sur la réalité du monde extérieur. Les artistes abandonnent toute description au
profit de l’évocation d’états d’âmes. Les artistes, comme Redon, dissèquent leurs émotions
et explorent l’inconscient. Dans Les Yeux clos, l’artiste représente un buste au visage blême,
les paupières baissées du sommeil ou bien de la mort, la bouche mutique. Ces éléments
évoquent le rêve, le voyage intérieur, la méditation, et peuvent même renvoyer à l’auto
contemplation.

La peinture symboliste renouvelle conjointement l’iconographie traditionnelle liées à


la représentation de la mélancolie et accorde un vif intérêt au du pessimisme. Les œuvres
symboliques suggèrent souvent un monde mélancolique, onirique et sombre dominé par la
solitude, comme dans le tableau Mélancolie d’Odilon Redon datant de 1876. Plus ils se
renferment sur leur être, plus les artistes découvrent la solitude, le silence et la mélancolie.
L’expression de soi est souvent empreinte d’une réflexion philosophique pleine de
pessimisme, proche des philosophes allemands comme Schopenhauer ou Nietzsche. La
plupart des artistes de ce mouvement sont aussi obsédés par la mort et de la douleur. On
trouve donc un certain nombre d’œuvres liées à ces thèmes, comme La vie de l’Humanité de
Gustave Moreau, mêlant la Genèse et le mythe d’Orphée, se conclut sur le meurtre de Caïn.

  Les symbolistes magnifient donc avec une sensibilité à fleur de peau tout ce qui se
cache derrière les apparences : l’antagonisme du vice et de la vertu, le sadisme et la luxure,
la névrose, la projection du rêve, le fantastique, l’imaginaire, l’étrange, la magie, l’ésotérisme,
l’au-delà, le mysticisme, la solitude et la mort. Nous pouvons aussi souligner un fort lien
entre la littérature et peinture symbolique dans les thèmes, une idée des correspondances,
définit par Baudelaire dans son poème éponyme.

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