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CM 9

Décadence et Symbolisme.
Introduction
 1880 : Parnasse s’épuise.

 Nvx jeunes talents : Mallarmé, Verlaine, Rimbaud (les « poètes maudits »)

 Dans la poésie : retour triomphal du mystère, de l’inquiétude et de la curiosité


métaphysique.

A la suite de Baudelaire, des opéras du compositeur allemand Richard Wagner, chargés de


symboles, poètes et écrivains se lancent dans l’exploration des continents intérieurs. 

 Recherche du surnaturel, travail de l’imaginaire, se substituent à l'observation du


réel ; la poésie & ses interrogations l’emportent sur le roman & la confiance ds
monde réel. C'est ainsi que surgit un foisonnement créateur que l'on va baptiser
"Symbolisme", pour subsumer l'ensemble des tendances de la fin de siècle.

L'étiquette est pourtant controversée : le Symbolisme recouvre un courant hétéroclite, fait


de personnalités diverses, disparates. Verlaine déclare « Symbolisme ? Connais pas ! Ce doit
être un mot allemand », dénonçant les insuffisances d'un terme qui synthétise mal les
sensibilités diverses exprimées en cette fin de siècle.

Celles-ci composent d'abord un mouvement désordonné, essentiellement négatif &


critique : le « décadentisme » ou "décadence", dont on peut faire remonter l'apparition à la
publication du recueil Poèmes saturniens de Verlaine (1866), se cristallise et se fédère autour
du roman de Huysmans, A Rebours (1884) et de l'essai que Verlaine consacre aux Poètes
maudits (1884).

Mais bientôt cette tendance sombre et négative se convertit en une orientation plus
lumineuse et positive : la publication, par Jean Moréas, du « Manifeste du Symbolisme », en
1886, constitue l'acte de naissance du mouvement, qui se fédère autour du projet de quête
d'une poésie nouvelle, capable de se substituer au modèle romantique, et identifie ses
maîtres et modèles : Baudelaire, le grand intercesseur, pour avoir exploré les
Correspondances dans ses poèmes ; Richard Wagner, inventeur à l'opéra d'un "art total" qui
allie mots et musique. C'est surtout Stéphane Mallarmé qui va organiser et fédérer le
mouvement, en tenant salon chez lui, rue de Rome à Paris. La mouvement symboliste couvre
toute la fin de siècle et culmine en 1902 avec la création de Pelléas et Mélisande, opéra de
Claude Debussy composé sur une pièce du Symboliste belge Maurice Maeterlinck - idéale
association de la musique et des mots pour suggérer ce que les mots ne savent plus dire.

Plan du chapitre

1. Aux origines du mouvement : le contexte des "tristes années 80"


2. La Décadence
3. Le Symbolisme
4. Crises et fin du symbolisme

I. AUX SOURCES DU SYMBOLISME : LES "TRISTES ANNEES 80"


Deux facteurs principaux expliquent l’émergence de cette floraison littéraire et artistique
hétéroclite en cette fin de siècle :

– sur le plan politique : la défaite de 1870, l’échec de la Commune (1871) déclenchent


une vision noire, catastrophiste, de l’Histoire. Celle-ci repose, de façon plus aiguë encore
qu'en 1850, la question du rôle social du poète, de son utilité historique, de l’utilité de son
art. Le décadentisme, puis le symbolisme apparaissent comme une réaction contre ces
déceptions historiques : l’art se donne comme un refuge contre un réel décevant/hostile.

– Facteurs idéologiques : sur le plan intellectuel, c’est le triomphe du rationalisme :


fleurissent les philosophies de l’esprit (Kant, Hegel), le pessimisme de Schopenhauer. Devant
l’apogée du matérialisme scientiste et le triomphe de la modernité, le poète ne peut que
s’interroger sur la place et même sur l’utilité de son art. Là encore, sa réaction est celle du
rejet. Le monde ne doit pas être compris seulement par son apparence sensible, concrète,
que la connaissance rationnelle peut circonscrire : il est un mystère à déchiffrer, et les
sensations – sons, musiques, couleurs – doivent collaborer pour en percer les secrets. Le
Symbolisme invitera ainsi à suivre le Poète mage, initié, pour déchiffrer ces secrets du
monde, porté sur les ailes de l'art : les impressions subtiles et complexes qu'il crée
permettent d'atteindre les Idées (au sens platonicien), voire de composer un langage inédit.

I-B. La crise du rationalisme et le retour des spiritualités.

Las du rationalisme officiel et/ou s’estimant méprisés, les artistes se tournent vers
des spiritualités hétérodoxes, syncrétiques ou ésotériques.

Les spéculations fantaisistes se multiplient : la notion de « symbole » permet de


réconcilier philosophie, alchimie & ésotérisme, métaphysique & théosophie etc.

On assiste à une première vague de conversion des écrivains vers le catholicisme, qui


apparaît comme un refuge contre le mal de vivre : Bloy, Huysmans, Claudel, Jammes,
Maritain, Péguy en témoignent, qui rejettent ainsi leur éducation rationaliste et scientiste.

Sur le terrain philosophique, on voit le retour des idéalismes et spiritualismes, conséquence


d’une overdose de kantisme : ennui et désenchantement sont encouragées par les idées et
les philosophies qui sont dans l’air du temps, sans les comprendre forcément. Ce sont les
«tristes années quatre-vingt » pour citer Paul Claudel (Contacts et circonstances).

 Schopenhauer, connu par des adaptations partielles avant la traduction du Monde


comme volonté et comme représentation en 1886, exerce une énorme influence par
sa négation du vouloir-vivre, de l’idée de progrès et sa radicale misogynie.
 le compositeur Richard Wagner est également vu comme le prophète du crépuscule
des générations, dont il peint la flamboyante épopée dans sa tétralogie "L'Anneau du
Niebelungen" : inspirée de vieilles légendes germaniques, elle dépeint le "Crépuscule
des dieux" au moment où Nietzsche rédige Le Crépuscule des idoles.
 Avec Nietzsche précisément, et Bergson, la philosophie trouve des auteurs qui aident
à formuler de nouvelles questions. Bergson construit une philosophie de la
conscience et, en valorisant l’intuition, remet en cause les déterminismes : dans
son Essai sur les données immédiates de la conscience (1889) puis, dans Matière et
mémoire, il oppose à la science positiviste, une connaissance immédiate, qui atteint à
la réalité profonde du moi et des choses, saisie non plus dans les catégories
mesurables de l’espace et du temps, mais dans une durée pure, qui résiste à toute
analyse. Il connaît un grand succès croissant auprès d’écrivains ou de futurs écrivains
comme Valéry, Péguy, ou le jeune Marcel Proust

I-C. Modèles picturaux et musicaux : de Monet à Wagner.

L'apparition de la mouvance symbolisme est favorisée par l'organisation, en peinture, du


mouvement impressionniste.

Lancé dans les années 1870, celui-ci tire son nom de la toile Impression, Soleil levant de
Claude Monet. Ses principes : l'impressionnisme cherche à représenter des impressions. Il
faut tenter de rendre sur la toile les miroitements de la lumière, la palpitation des couleurs,
la fluidité éphémère et fluctuante des paysages, les changements de contours et de couleurs
– d'où la multiplication, chez les impressionnistes, des "séries" prenant pour objet un
paysage ou objet identique, soumis aux variations de la lumière, de la couleur, du climat (ex.
la cathédrale de Rouen ou les Nymphéas de Monet) Comme lui, le symbolisme tentera de
saisir par les mots, les impressions éphémères et fugaces.

Le modèle musical : l'œuvre de Richard Wagner.

Une des plus importantes sources d’inspiration du symbolisme est la révolution musicale
engagée par le compositeur allemand Richard Wagner. Écrivant le livret des opéras qu'il met
lui-même en musique, puis en scène, poète, compositeur et scénographe, il rêve d’un art
total mêlant poésie & musique, cherche la fusion des arts et des moyens artistiques.
« L’œuvre la plus complète du poète doit être celle qui, dans son dernier achèvement, serait
une parfaite musique » (Wagner, Correspondance).

Il inaugure un art de la suggestion fondé sur une nouvelle structuration du langage musical :
des phrases et thèmes musicaux remplacent les vieilles structures classiques (concerto,
symphonie, récits & airs à l’opéra), fonctionnant comme symboles. Ainsi le prélude de son
opéra Tristan et Isolde n'hésite pas à malmener les repères classiques des tonalités,
inaugurant certains accords volontairement dissonants ("l'accord de Tristan" qu'on entend
dès les premières notes) pour suggérer le drame à venir ; il conjugue différents thèmes
musicaux ("leitmotive") qui, accompagnant le texte, serviront d'éléments suggestifs pour le
public, rappelant ici le thème du filtre d'amour, suggérant là le désir, la mort, la passion...
Vous pouvez écouter cette page magistrale ici
L'œuvre de Wagner invite à mettre en relief la musicalité, l’harmonie dans les textes
poétiques : cette recherche, initiée par Verlaine et son fameux « De la musique avant toute
chose » (« Art poétique »), poursuivie par les Symbolistes. II. LA MODE DÉCADENTE
(DÉCADENTISTE).
Dans les années 1860-70, un mouvement confus prend la relève d’un romantisme défunt
depuis longtemps : la "Décadence", ou décadentisme. Rassemblant des éléments disparates,
il forme un carrefour d’influences plutôt qu’une école ou un mouvement.

La « décadence » désigne normalement l’état de dégradation d’une société, en référence à


l’empire romain tardif, finissant, du Bas-Empire (IIIe-IVe siècles ap. JC) : cette période se
caractérisait par l'alliance paradoxale d'une complète déréliction politique et sociale
(effondrement du pouvoir central, corruption des mœurs, ...) et d'un raffinement inégalé
dans les arts. Cette période n'a cessé de fasciné le XVIIIe et le XIXe siècle : au XVIIIe siècle,
elle inspire à Montesquieu ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et
de leur décadence, occasion d’un parallèle entre la société française de la fin du XVIIIe siècle
et la décadence romaine.

Ce sentiment d’une analogie entre deux époques décadentes renaît autour des années


1860 par exemple avec l'essai de Péladan, La décadence latine, vaste fresque romanesque
sur la corruption de l’Empire. Les mœurs modernes du XIXe siècle finissant paraissent
corrompues par le matérialisme ambiant. Baudelaire, commentant l'œuvre du peintre
Constantin Guys (1863), célèbre les « décadences », comme ces époques transitoires « où la
démocratie n’est pas encore toute puissante, où l’aristocratie n’est que partiellement
chancelante et avilie » (Baudelaire).         

La décadence romaine inspire, vers 1870-1880, un mélange de fascination-répulsion, qui


s'incarne notamment chez le héros du roman de Huysmans A Rebours, Jean des Esseintes :
ce dandy, figure caractéristique de la décadence fin-de-siècle, se cherche, entre nostalgie
pour un passé révolu et détestation/fascination pour le monde moderne, rejet de l’héroïsme
post 1870. Il cultive une attitude de détachement du monde. De même, l'écrivain Paul
Bourget condamne la décadence comme une anarchie, mais apprécie son raffinement, les
« corruptions du style » comme autant de joyaux précieux.        

L'idée majeure défendue par ce courant décadent, c'est qu'on peut jouir esthétiquement de
l’apocalypse, trouver dans l’art de quoi supporter la vulgarité du monde moderne.

II-A. L'émergence du Décadentisme.


Les modèles : du Parnasse à Baudelaire.
La Mouvance « décadentiste » ou « décadiste » s’inspire :

 – de Baudelaire, qu’on redécouvre à ce moment : son attitude, son goût pour le


bizarre inspirent les dandys. On lui emprunte ses thèmes, son vocabulaire ; son parler
délibérément affecté et précieux, mais aussi la réhabilitation qu'il engage de l’artifice,
jusqu’à la provocation mystificatrice.
 – du Parnasse : la Décadence lui emprunte le souci de la perfection formelle ; la
forme est cultivée pour elle-même ;
 – de divers prosateurs : à Stendhal, Balzac, Villiers de l’Isle-Adam & Barbey
d’Aurevilly, on emprunte leur caractère visionnaire, leur aptitude à l'analyse ;
aux frères Goncourt, Bourget, Zola, la précision de leur exploration du spleen & états
d’âme.

Salons et cafés.
La mouvance, hétéroclite et diverse, s’élabore autour de divers lieux de sociabilité :
les salons, notamment celui de Nina de Villard (fréquenté par Verlaine, qui y rencontre son
épouse Mathilde Mauté de Fleurville, mais aussi Mallarmé) et surtout les cafés !!

Ceux-ci sont propices à la constitution de groupuscules et cercles aux noms fantaisistes et


provocateurs. Au quartier latin, divers groupes anarchiques prolifèrent, finalement peu
productifs : les Hydropathes (1878) ; les Hirsutes (1881) ; les Zutistes, fréquenté par Verlaine
et Rimbaud (ils y composeront, en groupe, l'Album zutique, stercoraire et provocateur) ; les
Jemenfoutistes. A Montmartre, c’est l’époque où est créé le Cabaret du Chat noir. Son
influence par la suite sera considérable !

La presse et les revues.

L’émergence du décadentisme doit beaucoup à l’essor de la presse, qui connaît son âge d’or
en France dans les années 1870-1914 grâce à la loi du 29 juillet 1881 (proclamant la liberté
d’expression, d’édition et de publication : c'est la première fois qu’il n’y a plus de censure !)
Journaux d’actualités, presse à sensation, revues littéraires : tous vont accorder à
l’information littéraire et aux écrivains un intérêt exceptionnel. Ceux-ci y écrivent en tant
que critiques, chroniqueurs ou nouvellistes (Barrès, Zola, Anatole France…)

Des revues littéraires apparaissent entre 1890 et 1910 : La Revue des Deux Monde conserve


son prestige, La Revue de Paris, fondée en 1894 ; à côté de ces revues établies, courroies de
transmission de la littérature établie et reconnue, les revues dites petites, souvent
éphémères, expriment la vitalité de l’esprit créateur. Au lendemain de la guerre franco-
prussienne et de la commune, c’est, en 1872, La Renaissance littéraire et artistique, qui vivra
18 mois, ou La Revue du monde nouveau de Charles Cros en 1874.

Dans les années 1880 se multiplient les revues décadentes ou symbolistes : Le Chat noir, Le
Décadent, La Vogue (qui, dans sa série de 1886, publie Verlaine, Mallarmé, Villiers et révèle
l’œuvre de Rimbaud).

II-B. Œuvres et acteurs de la Décadence.


C’est dans les années 1883-85 que la mode décadentiste triomphe.

Verlaine affirme en 1883 : « Je suis l’Empire à la fin de la décadence », en référence au Bas-
Empire romain.  Il publie Les Poètes maudits en 1884 : cet essai, consacré à Tristan Corbière,
Rimbaud & Mallarmé, célèbre les représentants de la poésie fin de siècle, maîtres à penser
des décadents. Le mouvement prend alors conscience de sa propre existence.

Mais c'est surtout Joris-Karl Huysmans qui va, malgré lui, lancer la mode décadente avec son
roman A Rebours (1884) qui définit le héros décadent type : dandy, esthète, le protagoniste,
Floréas-Jean des Esseintes, choisit de se retirer de la société pour cultiver la beauté et l'art
les plus raffinés. Détaché du monde, il cultive la nostalgie du passé révolu et la détestation
mêlée de fascination pour le monde moderne. Confiné dans un univers artificiel, voué à la
recherche d’émotions & de sensations rares, il sombre dans d'intenses rêveries nourries par
les œuvres de Poe, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Gustave Moreau : ils deviennent les
références de la fin de siècle ! Sa lucidité extrême le condamne à une angoisse sans retour.
Des Esseintes devient le type du dandy décadent dans lequel toute une génération se
reconnaît.

Émergent quelques noms, ceux des grands animateurs de la mouvance :

 – Charles CROS (1842-1888), proche du Parnasse, fréquente Verlaine, Rimbaud. Son


recueil de poèmes, Le Coffret de santal (1873) paraît dans l’indifférence générale ; il
sera retrouvé et salué par Breton, le maître des Surréalistes dans les années 1920.
 – Tristan CORBIERE (1845-75), auteur du recueil Les Amours jaunes (1873), est
célébré par Verlaine, Huysmans, Laforgue.
 – Germain NOUVEAU (1851-1920), ami de Verlaine et Rimbaud, copie
les Illuminations. La doctrine de l’Amour. Valentines (1922).

Essentiellement critique, négatif, la tendance décadente est vouée à une fin prochaine ; dès
1885 elle fait l'objet de railleries. De nombreux  textes satiriques la prennent pour cible,
comme le recueil parodique Les déliquescences, poèmes décadents d’Adoré Floupette, 1885.
Un article du Temps d’août 1885 taxe les Décadents de névrose, de misanthropie, de
mysticité perverse, de fumisterie...

En réaction, les Décadents tentent de s'organiser : Anatole Baju lance la revue Le


Décadent en 1886, puis rédige un manifeste de « l’Ecole décadente » (1887) soutenu par
Verlaine. Il est cependant dénoncé par certains poètes comme un texte « pseudo-
décadent », et le mouvement s’épuise en luttes internes ! Mallarmé pose un constat sévère :
« il serait temps de renoncer à cette étiquette ». Pour sauver le mouvement, Moréas va alors
lancer le symbolisme.

III. L'ESTHÉTIQUE SYMBOLISME (1885-1902).


A la version « noire », vénéneuse et fascinante, que représentait la Décadence, le
Symbolisme, qui lui succède, oppose une version plus lumineuse, positive, créatrice, de la
même tendance. Car c’est bien de la même tendance qu’il s’agit, sous un changement de
vocable.

L’école proprement symboliste est active à compter de 1885 et perdure pendant une dizaine
d’années – jusqu’à la création de Pelléas et Mélisande de Debussy en 1902, opéra composé
sur un texte de Maurice Maeterlinck. L'école regroupe des auteurs mineurs, souvent oubliés
aujourd’hui ; mais elle a permis de reconnaître de grands auteurs – Verlaine, Mallarmé,
Rimbaud, qui cependant dépassent les frontières du mouvement.
Le Manifeste de Moréas (1886).
Usé et appauvri, devenu péjoratif même vers 1885, le mot "décadent" est remplacé par
« symboliste » dans une déclaration fracassante de Jean Moréas au Figaro littéraire du 18
septembre 1886. Cet article, intitulé "Un manifeste littéraire" constituera le manifeste du
mouvement.

Contre la littérature de divertissement et l’objectivité revendiquée des réalistes, Moréas


défend une conception exigeante de la poésie, fondée sur théorie de l’image et du
symbole, qui convoque Mallarmé davantage que Verlaine.

Il affirme la supériorité du poète hiérophante, initié sacré, seul capable de déchiffrer les


mystères de l’univers. Le secret de la poésie réside dans la notion de symbole (pas toujours
bien défini) : le déchiffrement du mystère du monde par la suggestion (Mallarmé) /
l'allégorie / formulation du mythe (Wagner), les correspondances (Baudelaire)

L'accent est mis sur la valeur suggestive du langage ; l'emploi sûr et savant (voire précieux ?)
des mots, seuls capables de représenter l’idée, restaure la fonction poétique du langage,
médiateur magique entre le réel et l’idéal. Cette théorie fait écho au propos célèbre de
Mallarmé :

« Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que
quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée rieuse ou altière,
l’absente de tous bouquets » (Mallarmé, Avant-Dire au Traité du Verbe de René Ghil,
1886)

Le mot devient ainsi l’outil d’une transmutation magique, il suscite un monde.

III-A. La réhabilitation du poète et de ses pouvoirs.


Au sens large, le symbolisme manifeste une forme d'élitisme. Serait-il le dernier sursaut
d’une poésie marginalisée ? Avec ce mouvement, les poètes tentent de reprendre
l’initiative : ils font de la poésie le genre supérieur, renversant la hiérarchie romantique qui
avait réhabilité le roman.

Le rôle du poète est repensé. Hiérophante, il est considéré comme seul capable de déchiffrer
les mystères de l’univers, de repérer les « correspondances », les affinités latentes,
mystérieuses entre la nature et l’âme. La mission du poète est de pénétrer à l’intérieur des
choses, d'en saisir l’âme, le mystère évanescent. Il n'y a donc pas de thème privilégié chez les
Symbolistes : paysages, villes, moment du jour, peuvent servir à représenter une réalité
complexe, ou refléter une perception originale (cf. impressionnisme).

Le symbolisme opère ainsi une réhabilitation du poète, dans une période où les romanciers
(réalistes et naturalistes) prédominent. Il renoue avec l’ambition romantique, qui
reconnaissait à la poésie des pouvoirs illimités : le Symbolisme est en quête d’une poésie
« pure », sans anecdote, sans description, libérée de la pensée logique (rationelle) – car la
poésie peut suggérer sans avoir à expliciter. 
Cette réflexion sur le rôle et les pouvoirs du poète engage un renversement de la hiérarchie
des genres littéraires. La distinction entre vers et prose ne suffit plus à fonder une identité
poétique :

« Le vers est partout dans la langue où il y a rythme (...) Toutes les fois qu’il y a effort au
style, il y a versification » affirme Mallarmé, dans sa Réponse à l’enquête littéraire de
Jules Huret.

A la distinction prose / poésie, Mallarmé substitue l'opposition littéraire / non littéraire, qui
annonce celle de l’écrivant et de l’écrivain. Mallarmé renvoie le roman du côté de l’ «
universel reportage » – parce que le récit, la description, le rattachent davantage à l'écriture
journalistique, commerciale, qu'à la recherche esthétique qui doit animer les poètes.
Autrement dit, la fonction poétique du langage (la recherche esthétique, musicalité, images,
rythme...) doit l’emporter sur la fonction référentielle (la description du monde) pour qu’il y
ait littérature : la poésie est ainsi, pour Mallarmé la seule littérature. 

Les poètes symbolistes s’opposent ainsi aux romanciers, en particulier les réalistes et les
naturalistes. Mallarmé les expulse même de la littérature. Contre des romanciers
matérialistes (Zola, etc.), les poètes se posent comme idéalistes. Ils se revendiquent comme
artistes, càd qu'ils affirment l’autonomie du beau par rapport au vrai et au bien, de l’art par
rapport à la société, aux idéologies et à la politique.

III-B. La notion de symbole et le travail sur le langage ; le modèle musical.


La notion de symbole est au cœur de l'esthétique symboliste. Étymologiquement, celui-ci
offre la représentation concrète d’une idée abstraite ; plus exactement, chez les poètes
symbolistes, le symbole est une voie d’accès au mystère ; il permet de saisir une réalité
dissimulée, secrète, qui condense le sens même de l'univers.

« [le symbole est] le couronnement d’une série d’opérations intellectuelles qui


commencent au mot même, passent par l’image et la métaphore, comprennent
l’emblème et l’allégorie. » (Henri de Régnier)

Le Symbole est donc une expression verbale caractérisée par sa dimension suggestive, sa
capacité à porter des images, qui elles-mêmes génèrent des impressions, analogies,
rapprochements.

Le poète, seul capable de déchiffrer les mystères du monde, doit se dégager des contraintes
logiques et de la description réaliste :  les mots sont choisis pour exprimer
les impressions perçues par le poète, pour suggérer un sens. Cette poésie est éminemment
subjective, tout comme le sont les toiles des impressionnistes et des peintres symbolistes !

Les poètes multiplient les innovations formelles pour dépasser le poids de la logique.

Ils travaillent d'abord sur les images & analogies, s'inspirant du travail mené par leurs grands
prédécesseurs :


o Baudelaire, qui inaugure le travail sur la synesthésie, la théorie des
correspondances, le culte de l’image ;
o Nerval, le maître du Surnaturalisme romantique, que son illuminisme pousse
à explorer les domaines secrets de la pensée, tout comme sa fascination pour
les cultes antiques, et l'ésotérisme. « Je crois que l’imagination humaine n’a
rien inventé qui ne soit vrai »
o Mallarmé,  pour sa théorisation du langage et des pouvoirs du mot ;

Mais surtout, les Symbolistes sont attachés à la musicalité du vers : la musique apparaît


comme le modèle de toute création poétique.

La poésie – et même toute littérature –, est avant tout musique de mots : il faut « de la
musique avant toute chose » (pour citer Verlaine). La musicalité des vers soutient l’évocation
des sensations. Les sonorités propres du mot, mais aussi l'harmonie qui naît de sa place dans
le vers, ou du rapprochement avec d’autres mots : tout cela compose une symphonie, qui
est aussi une « alchimie du verbe » (Rimbaud) aux pouvoirs magiques, capable de suggérer
des impressions évanescentes et de donner accès aux mystères du monde.

La recherche de la musicalité est constante chez les Symbolistes : mélodie languissante


des Romances sans paroles & Ariettes verlainiennes, rythme brisé des Complaintes de J.
Laforgue, analogies sonores de Charles Cros… Signe de leur réussite, leurs poèmes seront
souvent, à leur tour, mis en musique par les grands compositeurs français du début du XXe
siècle :

III-C. La révolution du vers.


Pour Mallarmé, « Le vers est partout dans la langue où il y a rythme (...) Toutes les fois qu’il y
a effort au style, il y a versification ». (Mallarmé, Réponse à l’enquête de Jules Huret). Dans
leur recherche d’expressivité, les Symbolistes poussent à l’extrême la libération du
vers entamée par les Romantiques.

Chez Verlaine, déjà, on assiste à l'assouplissement de la rime (remplacée par l’assonance par
ex). A la suite de la romantique Marceline Desbordes-Valmore, Il emploie audacieusement le
vers impair, refuse l’alternance classique des rimes masculines/féminines. Il modifie les
rythmes, déplace les coupes, inaugurant ainsi un « vers libéré » : assoupli, mais qui conserve
encore ses contraintes de structure (notamment le nombre fixe de syllabes).

Gustave Kahn va plus loin en inventant le vers libre, dégagé de toute contrainte de


décompte, de rime. Il excède la limite de la ligne, ressemble typographiquement à un
paragraphe – mais conserve une cohérence rythmique et sonore, musicalité. Pour Gustave
Kahn, il doit permettre « à chacun d’écouter la chanson qui est en soi et de la traduire le plus
strictement possible » (G. Kahn). Pour Laforgue, il représente la modulation fidèle d’une
psychologie mobile. L’unité du vers correspond à celle de la pensée, de l’image, de
l’impression : d'où une apparence d’irrégularité qui invite à la rêverie et au déchiffrement.

cf. le texte de J. Laforgue : la succession de mots générateurs d’échos et d’harmonie brisées


reflètent les ruptures des faux départs, disent l’image d’une vie en porte-à-faux.
III-D. Les thèmes
Subjectivité et singularité sont recherchées par chaque poète ; s'il est difficile d'isoler des
thèmes fédérateurs et caractéristiques, on peut cependant repérer une forme de
convergence autour de motifs privilégiés :

 l'évocation des impressions & sensations du poète (paysage-état d’âme). Baudelaire


et Rimbaud ont initié un intérêt pour l’échange, la synesthésie entre les registres
sensoriels (vue, ouïe, odorat) : la sensation démultipliée révèle des secrets à la fois
universels & intimes au poète hiérophante, capable de les déchiffrer.

 les décors qui célèbrent la fin d’un monde : la beauté réside dans la mort. On note
une prédilection pour des thèmes comme le crépuscule, la mort… ainsi que pour des
figures privilégiées de femmes fatales, souvent chargées d'un poids mythique et
symbolique, associant désir et mort, comme la Salomé biblique, Lilith, la première
Eve mortifère, ... La poésie, habitée de nostalgie, s’efforce d’évoquer le monde,
comme Orphée évoque Eurydice.

 Le culte du vertige, du déséquilibre rappelle le baroque : le Symbolisme aime le


brouillage des frontières conceptuelles (masculin/féminin, réel/image,
vivant/inanimé), cultive des thèmes mouvants : le rêve, le flou, l’eau, le masque, le
théâtre...

 L’art est vu comme moyen d’atteindre une transcendance que la religion ne donne


plus. Fascination pour le mystère, l’ésotérisme, la mythologie… mais cette religion de
l’art n’offre pas une foi rassurante : la rédemption entrevue ne se réalise jamais.

IV. L'ITINERAIRE DU GROUPE.


Profondément hétérogène, l'école symboliste proprement dite est active à compter de 1885
et pendant environ 10 ans – elle culmine avec la création de l'opéra de Claude
Debussy, Pelléas et Mélisande, en 1902.

Dès 1880, pourtant, on tient salon rue de Rome chez Stéphane Mallarmé, le maître à penser
et inspirateur du mouvement (mais qui refuse toute identification de chef de file), qui
engage la révolution poétique dans ses recueils majeurs : Igitur ; Un coup de dés jamais
n'abolira le hasard... Lire impérativement ses textes majeurs : le "Sonnet en -yx", prouesse
verbale et poétique, le sonnet "Brise marine".

A chacun de ces "mardis", Mallarmé initie les nouveaux adeptes et permet d’élaborer une
doctrine commune. Mais les visées sont différentes : le groupe est traversé de conflits
internes, les trajectoires individuelles se démultiplient. Le mouvement n'en fleurit pas
moins : sa diversité s’exprime à travers un certain nombre de revues dont les plus célèbres
sont La Plume (1889), Le Mercure de France (1890), La Revue blanche (1891).

Plusieurs générations se croisent dans le mouvement.

Les maîtres, quadragénaires au début du Symbolisme, ont été contemporains des


Naturalistes, voire proches du Parnasse à leur début. Ils connaissent la gloire avec le
Symbolisme. Aînés immédiats, ils servent de référence : on y compte Villiers de l’Isle-Adam
(L’Eve future), Verlaine, Mallarmé, mais aussi Huysmans (À Rebours), Paul Bourget, Léon
Bloy…

Mais la véritable génération des symbolistes, née entre 1855 et 1865, témoigne du


rayonnement européen du symbolisme : à côté des Français Remy de Gourmont, Gustave
Kahn (inventeur du vers libre), Jules Laforgue, Saint-Pol-Roux ; on recense aussi une école
belge florissante, représentée par les poètes Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck et
Georges Rodenbach (auteur de Bruges-la-Morte).

IV-B. Le Symbolisme au théâtre.


La poésie et le roman (Bruges-la-Morte de Rodenbach, …) ont été les moyens d’expression
privilégiés des Symbolistes. Mais bientôt ceux-ci s’emparent de la scène et s’efforcent
d’inventer un théâtre symboliste. Une salle, le « Théâtre d’Art » de Paul Fort, devient leur
bastion (comme le Théâtre libre est celui des naturalistes). Il est bientôt repris par Lugné-Poe
qui le rebaptise « Théâtre de l’œuvre » (encore aujourd’hui !) D’un côté, on a l’observation,
la terre ; de l’autre, l’imagination, le rêve, le ciel.

L'invention d'un théâtre symboliste constitue cependant une gageure : l’art de l’allusion, de
la suggestion prôné par le mouvement se contente mal des contraintes de la représentation
scénique. Ni Verlaine ni Mallarmé ne rejoignent Paul Fort. Mais l'expérimentation compte de
belles réussites : citons par exemple

 de Maurice Maeterlinck : L’Intruse, 1890 ; Pelléas et Mélisande (1892 / + Debussy en


1902).
 de Villiers de l’Isle-Adam, Axel (1894)
 de Saint-Pol Roux, La Dame à la faulx (1899)
 Jarry donne une version grinçante de l'esthétique symboliste dans Ubu roi (1896)

CONCLUSION.
Dès 1895, le mouvement symboliste est en crise : Mallarmé et Verlaine disparaissent après
Laforgue et Rimbaud. Le symbolisme s’épuise peu à peu dans l’artifice, la préciosité et
l’ésotérisme.

Pourtant son influence aura été déterminante, notamment auprès des jeunes auteurs de la
fin de siècle – la génération de 1870, âgée de 20 ans lors de la naissance du mouvement.
Paul Claudel, André Gide, Paul Valéry, Pierre Louÿs, Francis Jammes, Alfred Jarry… Habitués
de la rue de Rome (le salon de Mallarmé), ils se libèrent des routines symbolistes, tout
comme le jeune Marcel Proust. C’est chez ces derniers héritiers, auteurs alors confidentiels,
que le symbolisme trouvera son accomplissement : cf. au théâtre, Tête d’or de Claudel
(1890) ; en poésie, La Jeune Parque de P. Valéry (1917) ; dans le roman, A la recherche du
temps perdu de Proust (1913-1927) ou Les Faux-monnayeurs (1926) de Gide doivent
beaucoup à ce mouvement.

Le symbolisme a donc été, avant tout, un laboratoire de la modernité littéraire. Hors de


France, il connaît un succès plus durable avec Yeats, Rilke, Stefan George.

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