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Hacettepe Üniversitesi Eğitim Fakültesi Dergisi 11: 57­62 f1995l

LA BANDE DESSINEE EN CIASSE DE FRANÇAIS

Ece Korkut.

ABSTRACT: jeune par rapport aux autres genres artistiques. "La


In this artiele the place of cartoon among other artistk premiere bande dessinee, telle que nous la connais­
products has been discused, and then some brief in­ sons dans sa forme actuelle, les personnages s'ex­
formation about this product has bcen given. The usage of primant par bulles, est nee en France en 1925." [2] Ce
it into the foreign language elass as one of the authentic qui est evident est que malgre son passe relativement
materials has been demonstrated through two models.
recent Cde 70 ans seulement) la BD a vite evolue de
As an application of this, a cartoon, "Champions" crea­ maniere a s'adr~sser a un public de plus en plus
ted by Brett~~cherh as been analysed in written code and grand et de tous ages. Alors qu'originellement le pu­
design code.
blic vise etait plutôt les enfants et les adolescents, la
KeyWords: Cartoon, French as a foreign language. BD s'est plus tard tournee egalement vers les adultes
en diversifiant ses domaines d'interet. Actuellement
ÖZET~ . "85 % des enfants et 65 % des adultes lisent des
BD" [21,
Bu yazıda öncelikle karikatür bandının sanat ürünleri
arasındaki yeri belirlenmiş, ardından bu ürün ile ilgili bazı 1.3. Stnıcture de la BD
kısa bilgiler verilmiş ve bir yabancı dil öğretimi ders mal­
zemesi olarak nasıl kullanılabileceği gösterilmiş, iki model La BD se compose de deux codes: code du dessin
önerilmiştir. Bu bilgiler ışığında Bretecher'in "Şampiyonlar" CCD) et code de l'ecriture CCE). C'est alors un recit
başlıklı 12 karelik bandı yazı düzgüsü ve resim düzgüsü transmis par deux moyens differents qui s'interferent
açısından çözümlenerek sınıf içinde nasıl uygulanabileceği
et se completent. La predominance de l'un ou de
gösterilmiştir .
l'autre differe selon le cas et le style d'expression
Anahtar Sözcükler: Karikatür Bandı, Yabancı dil olarak adopte par l'artiste.Le dessin peut fournir le maxi­
Fransızca
mum de details, au point qu'on peut le rapprocher
de la photographie, ou au contraire il peut etre fait
1. INTRODUCflON par des traits tres economiques qui passent sur les
details, mais qui fournissent cependant l'information
1.1. La place de la bande dessinee parmi les a transmettre. Quant a l'ecriture, elle contient des
produits artlstiques enonces concis ou plus explicatifs, appartenant aux
La bande dessinee, abregee couramment en BD, differents niveaux de langue.
est consideree comme un produit artistique ayant Une BD est d'ordinaire effectuee sous une forme
une fonction communicative. D'apres Louis j.Prieto, compartimentee ou chaque decoupage correspond a
le phenomene artistique a deux formes fon­ une unite signifiante. Au­dessus du dessin il y a une
damentales: "C...) d'une part, les arts qu'on peut ap­ bulle Cencadree ou non) dans laquelle sont inscrites
peler lineraire, c'est­a­dire ceux ou l'operation de les parales du personnage, et quand il y a plus d'un
base est elle­meme une operation communicative et personnage dans une meme unite graphique, les bul­
parmi lesquels il faudrait compter la litterature, bien . les se placent de gauche a draite, direction ordinaire
sur, mais aussi la danse et les arts plastiques fi­ de la lecture. L'ecriture dans les bulles est le plus
guratifs, le cinema, le theatre, les bandes dessinees, souvent faite a la main, contrairement au roman­
ete.; et d'~lUtre part, les arts qu'on peut appeler ar­ photo ou aux pages de publicite; ce qui apporte
chitecturaux, ou l'operation de base n'est pas elle­ quelque chose de personnel de la part de l'artiste, en
meme une operation communicative et dont le do­ plus de son dessin.
maine serait couvert par l'architecture et le design. Quelquefois au­dessus des bulles apparaissent les
c...)" [11, Prieto entend par le terme "operation" "ce instructions donnees par le narrateur qui veut pre­
qu'on veut dlre, representer ou faire." ciser le temps, l'espace, les hiatus, ete., telles que "un
peu plus tard, le lendemain, en meme temps ailleurs,
1.2. Quelques informations chiffrees
dans le bureau de..."; ceci evidemment pour rendre
Nous constatons que La BD en France est assez compte des hiatus spatio­ temporels.

. Yrd.Ooç.Or.Ece Korkut, Universne Hacettepe, Faculte de Pedagogie.


58 Ece Korkut
[Ed.]. 11of
Pom praceder a une analyse de la BD il faudrait sans paroles de pres. De ce fait elle exige deux types
d'abord preciser les decoupages. Pour ce faire nous de "lectures", l'une destinee a la comprehension de
allons nous servir du tenne "Iexie" qui indique un l'ecrit, l'autre au decodage des elements constitutifs
tout signifiant. "RBarthes a introduit le tenne de lexie de l'image. Ces deux lectures vont de pair pour re­
pom denommer des unites de lecture, de dimensions veler ensemble la signification de chaque case et les
variables, constituant, intuitivement, un tout: il s'agit rapport entre elles.
la d'un concept preoperatoire, qui fonde une seg­
La langue utilisee dans les BD est souvent la lan­
mentation provisoire du texte en vue de son ana­
gue quotidienne qui manifeste cependant certaines
lyse." [3]. Dans le cas de BD, ce decoupage en lexies
correspond naturellement au "rectangle dessine (car­ variations en fonction du niveau social des per­
toon ou vignette) et encadre" [4] a moins que ce ne sonnages. Ceci pennet a l'apprenant de contacter la
soit exactement le meme message dans plusieurs rec­ langue parlee et vivante et offre en meme temps une
tangles successifs. bonne occasion. pom jouer sur les registres de lan­
gue, de passer de l'argot a la langue standard par
exemple.
2. m
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A
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ı DE IA BD EN CIASSE DE
IANGUE ETRANGERE
3. QUELQUES TECHNIQUES ENTRE AUTRES
La BD figure panni les dacuments authentiques
les plus motivants et efficaces; ceci pom des raisons La BD se revele ainsi comme un materiel pe­
diverses : dagogique assez riche d'autant qu'elle offre de mul­
tiples possibilites d'utilisation en classe de langue. Au
Elle est d'abord humoristique, d'ou son aspect lieu de donner des le debut l'ensemble de la planche
amusant et ludique. La BD pennet d'enseigner une aux apprenants, on prefere la presenter en segments
langue etrangere en eveillant la curiosite chez l'ap­ de maniere a pennettre de combler les lacunes au fur
prenant.
et a mesure par des propositions personnelles ou
Elle offre une diversite thematique souvent ac­ collectives. Nous proposerons quelques techniques
tuelle. Elle traite des incidents de la vie quotidienne pour l'utilisation de la BD en classe de langue etran­
par une critique plutôt souriante. Elle se montre ainsi gere en nous appuyant sur une BD­exemple de Bre­
ouverte a toutes sortes de commentaires et de dis­ techer, intitulee "Les Champions" avant d'en faire une
cussions en classe. La BD peut etre alors qualifiee analyse.
comme un dacument qui contient des infonnations
Modele 1
relatives a la civilisation et a la culture. Elle infonne
l'apprenant en l'amusant et elle l'invite a prendre la · Donner aux apprenants la planche en entier
parole pour developper le sujet en question qui tou­ mais sans les bulles. De cette maniere l'attention des
che d'une maniere ou d'une autre l'ensemble de la apprenants se facalisera exclusivement sm les des­
societe. sins, et l'on relevera mieux les details dans l'ex­
Elle presente par ailleurs un contexte dans lequel pression des visages, les differents comportements et
le lecteur peut situer les evenements, les per­ les changements d'espace et/ou de temps, ete.
sonnages, l'espace et le temps qui constituent la si­ · Parrni les 12 cases au total, ne foumir, pour
tuation de communication. Ceci est important pour commencer, que la case initiale et la case finale avec
mieux saisir les sens implicites et/ou explicites. les bullesj a la suite de l'etude de ces deux cases,
La BD est un type de narration, car une planche donner en entier (image+parole) les cases 5 et 9. ]us­
(une page de bande dessinee) est composee dlune que­la, l'apprenant aura devant lui quatre cases com­
serie de cases qui s'enchainent. Le createm d'une BD pletes, ce qui contribuera a !'imagination des autres
fait parler les personnages en veillant a ce que le sequences manquantes. L'objectif d'un tel exercice
message soit conscis et frappant. La BD sert ainsi n'est nullement de faire deviner plus ou moins exac­
dlun passage a la narration proprement dite (trans­ tement le texte de depart. Ce qui sera peine perdue,
formation de l'ensemble parole + image en une nar­ car chercher a faire trouver le texte exacte ne sera ni
ration en partant des actions qui se succedent.). il interessant a l'egard de la pedagogie, ni d'ailleurs
faut ajouter egalement que dans une BD se trouvent possible.
des etats a côte des actions, ce qui servira de faire
· Apres avoir obtenu les propositions de toutes
des descriptions en utilisant des verbes d'etat et des sortes et foumir la planche en entier, confronter les
adjectifs.
produits des apprenants et le texte original, discuter
La BD est basee simuhanement sur le code . du contem.i de la BD et soulever un debat sur la
ecrit et sur l'image (aspect scripto­visuel) , aux BD question abordee par Bretecher.
1995 La Bande Dessıneeen Classede Français 59
]
Ce procede peut etre utilise dans les cours d'ex­ ombre sont marques par la technique d'hachure. Les
pression orale et ecrite. proportions des etres animes et inanimes de la vie re­
elle sont gardees telles quelles, sauf peut­etre les
Modele 2 pieds, plus longs qu'i la normale.
Une (des) planchees) de BD forme(nt) un en­ CE : Les propos des personnages ne sont pas in­
semble signifiant dont la demiere case, en rapport seres dans une bulle. Tous les enonces commencent
constant avec les precedentes, est la partie la plus par une initiale minuscule, ced etant incompatible
importante, sans laquelle l'histoire ne se trouve pas avec les regles d'orthographe. La ponctuation est
close, ni n'aurait une signification pertinente. pourtant respectee. Quand l'enfant parle d'un ami de
Compte tenu. de cette remarque, nous pro­ classe, il utilise son nom de famille (ecrit avec l'in­
poserons de: itiale majuscule), tel que font en general les en­

· foumir aux apprenants toute la planche, sauf la


demiere case. Faire parler sur le code du dessin et
seignants i l'ecole. Le niveau de langue appartient au
langage populaire ('Ten ai marre").
.

sur le code de l'ecriture, faire commenter tous les si­ 2


i
x
e
L
gnes typographiques. CD : Les voitures au second plan ne sont plus les
· i la suite d'une discussion collective, laisser le
temps de reflechir, individuellement ou par petits
memes ou leur position a change, ce qui montre que
les enfants avancent tout en parlant. C'est toujours le
groupes, sur le denouement eventuel. il serait utile meme qui parle, mais cette fois­d l'autre (une fille,
d'attirer l'attention des apprenants sur le côte hu­ parait­il, du fait de ses cheveux longs) le regarde tout
moristique de la BD. Dans un exerdce pareil, les ap­ en l'ecoutant. Elle a l'air plus interessee que dans la
prenants devront alors manifester leur creativite au premiere case.
lieu d'exposer les lieux communs. il va sans dire que CE : Celui qui parle traite de "salaud"(langue
la premiere condition, qu'est la meilleure com­ pop.) un garçon de la classe juste parce qu'il prend
prehension des 11 cases qui precedent la case finale, des cours particuliers, si bien qu'il a eu 8 en calcul
doit etre prealablement remplie. (Information i rappeler sur le systeme de notation en
Ces deux modeles poussent les apprenants i ma­ France). On laisse entendre ainsi que le probleme
nifester leur propre creativite, ce qui est un element psycho­sociologique de l'enfant, lorsqu'il parle de
necessaire dans l'apprentissage des langues etran­ son concurrent, aurait plutôt une origine eco­
geres. nomique, car celui­li ne prend pas de cours par­
ticuliers (en rewnche, on apprend plus loin que c'est
sa mere qui le "fait bosser").
4. ETUDE D'UNE BD DE BRETEClIER Lexie 3
La BD de Bretecher que nous avons choisie pour CD : lls sont toujours i l'exterieur mais devant
une analyse est tiree i un livre pedagogique[5J et ori­ une porte vitree. Et cette fois­d la position des per­
ginellement pame dans Le Nouvel Observateur. Nous sonnages a change; dans les images precedentes
constaterons i travers cette BD comment s'operent celui qui parlait restait un peu en arriere alors que
les fonctions conative et referentielle du langage et dans cette image il est passe devant pour pousser la
de l'image. porte par le bras droit. Ced montre que c'est dans sa
maison et pas dans celle de I'autre qu'ils s'appretent
il s'agit d'une BD composee de 12 unites si­
gnifiantes, done lexies, de dimension egale, de­ i entrer. Et ils sont diriges vers la gauche pour passer
dans un espace interieur.
coupees par des traits plus ou moins droits.
CE : Le lecteur est informe que le petit (ou plutôt
Lexie 1
sa famille) possede les moyens suffisants pour pren­
CD : Deux ecoliers de meme taille, dont l'un est dre des cours particuliers pendant les vacances.
mieux couvert que l'autre, avec leur serviette, qui Done le probleme du haut prend de nouveau un as­
vont i ou viennent de l'ecole. lls sont dans la me, pect psychologique (concurrence i l'extreme) plutôt
marchant pres des voitures stationnees. lls se trou­ qu'economique. Dans cette troisierne rectangle, la
vent apparemment sur le trottoir, car les autos garees fille parle aussi mais dit juste un bout de phrase:
sant au­deli de la ligne representant le bord du trot­ "moi, c'est l'orthographe", ce qui n'aurait pas de sens
toir. Des deux enfants, le plus proche en perspectiye clair sans le con~exte actuel, puisque c'est une phrase
a la bouche ouverte, done est en train de parler, elliptique et fortement referentielle. Si l'on retoume
alors que l'autre marche un pas en avant sans le re­ au code du dessin, les deux personnages se res­
garder. L'ombre des enfants et un pneu reste en semblent i plusieurs egards, avec leurbouche ou­
60 Ece Korkut
[Ed.]. 11of
verte, leurs sourcils fro;,ces qui expriment leur colere Lexie 7
(meme si leurs problemes ne sont pas identiques). CD : En sortant de l'ascenseur c'est toujours le
Lexie 4 garçon qui est devanl. Sur la porte, on voit le mot
anglais "Push", ce qui laisse a penser que ce nlest pas
CD : C'est la qu'ils sont passes de llespace ex­
un ascenseur produit en France. La porte vitree de
terieur a l'espace interieur, dos. Le garçon se prepare
l'immeuble, une entree dlimmeuble assez spacieuse
deja a se debarrasser de ses habits, car il se sent chez
ornee des plantes et un ascenseur importe for­
lui des l'entree de l'immeuble. il est toujours devant
meraient tous peut­etre un seme "aisance"; et au ni­
la fille comme pour lui montrer le chemin. Bien que
la bande soit en noir et blanc, c'est la verdure qui ap­ veau de la langue, on apprend en plus que le pere
parait allespace interieur. Ceci cree une contrariete est "medecin", metier qui connote dans la plupart des
remarquable refletant la realite urbaine, en ce sens societes /respectl,/superiorite/,/vie confortablel.
que la place normale des plantes doit etre a l'ex­ CE : "Bosser" appartient au registe de langue ar­
terieur, dans la nature alors que la, la nature est sans gotique. Le garçon tient son sort en education pareil
verdure (remplacee par les autos) si bien que les a celui de sa soeur. il a tendance a se comparer sans
gens l'apportent chez eux. cesse avec quelqu'un d'autre pour s'identifier lui­
CE : C'est toujours le garçon qui parle davantage meme. La fille, de mauvaise humeur, ne cache pas sa
et l'orthographe est adaptee a la langue parlee: "pas­ jalousie envers lui parce que le pere de celui­ci est
que" (=parce que), "chuis" (=suis). Et la fille repond medecin, et elle trouve qu'il est facile d'avoir du suc­
tout court avec une expression populaire: "ben, t'as ces quand on a un pere medecin: "evidemment, ton
du pot" (equivalence en langue standard: Eh bien, tu pere il est medecin."
as de la chance.).
Lexie 8
Lexie 5
CD : Le petit garçon prend encore la res­
CD : La fille se tient encore derriere alors que le ponsabilite de "sa maison" en sonnant a la porte lui­
garçon appuie sur le bouton de l'ascenseur. il parait meme. il doit s'elever toujours sur la pointe de ses
maintenant plus grand qu'elle, car il s'eleve sur ses pieds pour atteindre la sonnette, car il est trop petit
pieds pour atteindre le bouton (conçu plutôt pour les et les boutons sont tous faits pour les adultes.
grands). Les plantes sont restes derriere eux, ceci
pour montrer qu'ils continuent d'avancer. CE : "Faire bosserli,"t'as du pot", "ils s'en foutent"
sont des svntagmes correspondant encore a la langue
CE : Pendant que le garçon s'occupe de l'as­ populaire. En plus, "t'as du pot" est reitere de la part
censeur, la fille profitc de l'occasion pour parler un de la fillette, ce qui montre qu'elle envie vraiment les
peu plus. Elle reprend son probleme d'orthographe conclitions avantageuses du garçon.
(c'est ce qui l'interesse en fait) en comparant avec le
cas de son cousin. La une information com­ Lexie 9
pl~mentaire a donner sur la signification du sigle CD : C'est la seule case sans parole. C'est la mere
C.E.S : College d'enseignement secondaire. qui ouvre la porte, les enfants entrent sans rien dire,
Lexie 6 sans la saluer. lls ont l'air epuise et ils sont de mau­
vaise humeur. La mere les regarde curieusement,
CD : L'espace se retrecit davantage, car ils sont
mais les petits ne levent meme pas les yeux. Ne pas
daı1S un endroit dos et reduit qu'est l'ascenseur. La
saluer la maman quand on rentre peut avoir plu­
ce qui est a remarquer est que l'ascenseur est re­
sieurs connotations socio­psychologiques, en fonc­
presente sans porte pour laisser voir dairement l'in­
terieur. On peut dire que c'est une technique propre tion des relations entre eux et de l'etat d'ame OU ils
au dessin ainsi qu'au montage photographique dont se trouvenl.
se sert entre autres la publicite (pour montrer par a) Le garçon n'a pas envie de parler, car il a deja
exemple l'espace interietIf d'une voiture, plus spa­ trop parle en rentrant; ou il est trop fatigue meme
cieux qu'a la normaleO. Aucun detail dans l'as­ pour dire un simple bonjour.
censeur n'est omiş: une partie des boutons, une par­
tie des instructions et le miroir dont la reflexibilite est b) il ne salue pas sa maman, car il est fache
donnee en hachures. Les ecoliers se tiennent pour la contre elle; peuH~tre parce qu'il pense qu'elle ne le
premiere fQis face '<1face, YU peut­etre l'etroitesse de fait pas travailler comme il faut, si bien que son rival
la cabine. a l'ecale I'a depasse.

CE : "Cons" fait partie de la langue populaire, ou c) il veut etre gate par sa mere en se donnant llair
mieux clire argotique. epuise.
1995 La Bande Dessınee eri Classe de Français 61
]
d) il reste completement indifferent envers les 5. Conclusion
adultes, refusant qu'ils se melent dans leurs af~aires.
Dans cette BD, chaque case carrespand ii une
e) lls ant des problemes serieux qui les em­ lexie, car aucune case n'est identique ii une autre au
pechent de saluer la mere. niveau du dessin et de l'ecriture. Du debut ii la fin il
s'agit d'un deplacement constant: ce deplacement est
La mere se tient comme un soldat au garde­ii­
represente par les mouvements des personnages et
vous en leur ouvrant la porte. Elle a les cheveux coif­
par l'arriere­plan' qui se modifie toujours.
fes comme une jeune fille, porte une salopette et de
grosses pantoumes, egalement comme une jeune fille On paurrait dire que le code du dessin et le code
au une enfant, car la salopette est originellement des­ de l'ecriture ant du paids egal dans cette BD. Et le
tinee aux enfants et aux ouvriers. Bien que son mari titre ("Les Champions") contribue ii la perception du
sait medecin, done qu'ils doivent avoir une vie aisee, theme principal de l'anecdote illustreej ct j etant uq
elle prefere un vetement simple, spartif et neglige, ce lexeme absent de l'interieur de la bande mais qı,ıi re­
qui designe peut­etre un certain snobisthe parisien. sume et complete la.signification de l'ensemble.
La tenue de la mere merite d'etre abrdee de plus Au niveau de l'ecriture, les enfants ne parlent que
pres, parce qu'dle semble inverser les rôles dans du succes et de l'insucces d'eux­memes et des autres.
cette histoire: les enfants dont la tenue n'est pas per­ il parait qu'ils ne songent plus au jeu, mais ils sont
tinente et la mere qui porte une salopette s'oppasent preoccupes exclusivement par l'ecole. L'auteur sou­
ii premiere vue d'autant plus que les premiers ant ligne ainsi une paradoxe saciale: les petits jamais
l'air"trop serieux alors que la mere a une apparence souriants, parlent sans cesse des choses serieuses,
plutôt libre et calme. Au sens denotatif du lexeme
d'une part, et les adultes, souriants mais exerçant une
"salopette" ("habit des ouvriers executant un travail autorite rigoureuse sur les petits en les forçant ii se
manuel au mecanique") viennent s'ajouter les sens
rivaliser, de l'autre.
connotatifs tels que:/liberte du corps/, ce qui serait
liee ii l'idee plus generale de la liberte dans la ma­ L'oppasition des rôles est soulignee par la tenue
niere de vivre, done traduit un certain mode de viej et la maniere des personnages: d'un côte, les enfants
Ijeunesse/, puisque dans la vie quotidienne ce sont qui prennent trop au serieux leurs problemes et qui
plutôt les jeunes ayant des formes convenables au dependent de leurs parents, done qui ne se sentent
les enfants qui preferent la mettrej loriginalitel, seme pas libresj de l'~utre côte, les adultes qui veulent se
lie au desir de se rendre different dans la saciete, en liberer de certaines contraintes pour se sentir mieux
choisissant un tel Vetement. et independants, et qui n'omettent pourtant pas d'im­
Lexie 10 poser leur propre choix ii leurs enfants (se rivaliser ii
tout prix et ii tout moment paur une reussite ab­
CD : Les petits, toujours de mauvaise humeur, si­ solue).
lencieux et sans regarder la mere, se mettent ii en­
lever leur manteau. La mere, encore un peu curieuse, Nous pouvons dire en consequence que cette BD
les observe comme paur savoir immediatement ce permettra de faire commenter le discours des enfants
qui se passe exactement. et celui de la mere, de les faire confronterj ce qui
aboutira sans doute ii une evaiuatian globale, entre
CE : La mere fait une interpretation sur l'humeur autres, du systeme educatif en France et dans d'au­
des enfants, mais n'obtient pas d'approbation, ni de tres pays, des preoccupations des eleves, des at­
refus.
titudes des adultes.
l
i
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e
L
CD : La mere s'avance vers la cuisine, tout en re­
BmIJOGRAPIDE
gardant les enfants (Le corps est toume vers la droite,
[1] PRIETO Louis J. (1975) Pertinenee et pratique, Paris:
et la tete vers la gauche). On voit une partie de la Ed.Minuit, p.72.
cuisine (armoire, gants, cuisiniere, poele). [2] RUNGE Annette, ]aequeline Sword (1987) La BD , Paris:
2
1
i
x
e
L Cle International, p.7.
[3] GREIMAS A.]., ].Courtes (1979) Semiotique Die­
CD : Les enfants, s'enfermant dans leur mutisme tionnaire raisonne de la theode du langage , Tome I,
(hostil? indifferent?), mangent leurs crepes. C'est un Paris: Haehette, p.209.
moment divertissant pour la mere qui regarde sa [4] TOUSSAIN Be;nard (1978) Qu'est­ee que la semiologie
montre et chronemetre. Les autres restent paur le ? Toulouse: Ed.Privat, coll. R~gard, p.100.
moment indifferents mais la mere sourit et prend l5] PAOLETII Michel, Steel Ross (1985) Civilisation Fran­
plaisir ii les mettre en ex aequo j ce lexeme qui etait çaise Quotidienne , Paris: Hatier­Klett, p.197.
manifeste dans le dişcours du garçon (lexeme 2) [6] Le Français Dans le Monde (Avri! 1986), Numero:200,
reste au niveau profand dans celui de la mere. Special Bande Dessinee, Paris: Haehette/Larousse.
62 Ece Korkut
[Ed.]. 11of
LES CHAMPJONS

I.enseignement

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