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Michel Souchon

Culture Scolaire et Culture de Masse


In: Communications, 5, 1965. pp. 128-130.

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Souchon Michel. Culture Scolaire et Culture de Masse. In: Communications, 5, 1965. pp. 128-130.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1965_num_5_1_1042
Notes de lecture

sion du sentiment de claustrophobie merie en particulier est, selon l'auteur


qu'engendre le rétrécissement et la (qui avait exposé des vues semblables
compression de l'espace par la radio. dans son livre précédent : The Guten
' s'était
D'où la répandue
conclusion largement
: « Si la télévision
sous le berg Galaxy), à l'origine de la nais
sance et de l'exaspération des natio
régime de Hitler, celui-ci aurait di nalismes. Au contraire, les media
sparu rapidement. » froids, et avant tout la télévision,
seraient capables de nous faire retrou
3. La distinction entre media hot ver un nouvel équilibre dans une re-
et media cool est un autre des thèmes tribalisation où l'interdépendance et
qui unifient cette analyse. Si nous
avons bien compris l'auteur, un me la pensée communautaire retrouver
dium chaud est celui qui fournit une aient, au-delà de l'individualisme,
toute leur place.
information intense, précise, riche et Tout cela — et notamment les
complète, laissant peu de place à un jugements de valeur que nous venons
complément apporté par l'utilisateur. de présenter — soulève bien des diff
Au contraire, un medium froid a
besoin d'être complété par une par icultés et suscite immédiatement bien
des objections. Ce livre contestable,
ticipation importante. Tous les media et pourtant rempli d'intuitions pro
(au sens élargi que l'auteur donne à ce fondes, devrait . rencontrer des con
mot) peuvent être étudiés selon cette tradicteurs. Il est regrettable qu'il se
grille. Hot media : l'imprimerie, la situe vraiment trop en marge de la
radio, le cinéma. Cool media : la parole, recherche sociologique classique et cite
le téléphone et surtout la télévision. plus volontiers Shakespeare, Joyce ou
Le problème des effets des mass media Bergson que Lazarsfeld ou Schramm :
est réexaminé à la lumière de cette il ne facilite guère le dialogue et risque
distinction. Les media chauds, comme d'être admis ou, plus souvent, rejeté
la radio ou le cinéma, avec l'intensité, en bloc, alors qu'il devrait être discuté
la précision et le bas niveau de parti pied à pied.
cipation qui les caractérisent, auront
sur l'usager des effets très différents Michel Souchon
de ceux d'un medium froid, comme la
télévision, bien moins riche en info
rmation et suscitant un plus haut
degré de participation. On peut ana Culture scolaire et culture de masse,
lyser par exemple, selon cette optique, Cahiers universitaires catholiques,
la différence des rôles joués par les numéro spécial, juin-juillet 1964.
vedettes du grand et du petit écran.
4. Les analyses de Marshall McLu- Ce numéro spécial donne le texte
han le conduisent à penser que, des conférences prononcées aux Jour
comme l'imprimerie a fait passer nées des Universitaires catholiques
l'homme des antiques civilisations tri tenues à Amiens, du 5 au 8 avril 1964,
bales (de style oral, où prédominent sur le thème : « Culture scolaire et
donc les media froids) à l'ère de l'i culture de masse » : G. Avanzini
ndividualisme moderne, l'homme mo (Conflits ou rencontres ?), C. Bremond
derne subit une mutation aussi import (compte rendu de l'enquête préparée
ante. La télévision, en particulier, et dépouillée par le CECMAS sur les
nous ferait retrouver d'une manière enseignants et la culture de masse),
immensément élargie une sorte de J. Roussel (Le monde de la chanson
civilisation tribale où l'univers devient et l'école), H. Agel (Cinéma et cul
« the new world of the global village ». ture scolaire) et M. Meslin (Vers un
Nous assisterions ainsi à un retour renouveau de la culture ?). Plutôt
rassurant aux media froids. Les media que de résumer chaque conférence, il
chauds sont responsables de tous les semble plus intéressant ici de noter,
maux de l'histoire moderne. sans taire les divergences, quelques

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Notes de lecture

points de rencontre sur lesquels un sur le cinéma dénonce l'ignorance et


accord assez large s'est réalisé. le mépris très fréquent des universi
Un effort • de lucidité est sensible taires à l'égard du cinéma ; l'enquête
dans l'ensemble des conférences, et du CECMAS révèle « le très petit
une volonté de réviser des jugements nombre d'enseignants qui sont pos
sommaires. Effort de lucidité sur la sesseurs d'un appareil de télévision
culture de masse d'abord. Aucun installé à leur foyer » (34). Mais cette
des auteurs n'accepte les condamnat attitude est dénoncée . par tous les
ions rapides ni les louanges sans conférenciers comme « inefficace » et,
nuances. Tous essayent de comfinalement, « mal fondée ». Inefficace,
prendre : ils analysent les techniques parce qu'elle contribue à approfondir
des mass media, les contenus véhiculés le fossé qui sépare les deux cultures
par la chanson, le cinéma, etc. les et qu'elle est incapable de préparer
conséquences psychologiques. Tout les élèves à l'utilisation intelligente
cela est rapide sans doute, ainsi que des mass media. Mal fondée, parce
l'imposait le cadre, mais les intuitions qu'elle refuse de reconnaître les limites
sont souvent profondes. On a pesé — voire même les faillites — de la
les chances (possibilité d'une démoc culture scolaire et, à . l'inverse, les
ratisation culturelle par les mass valeurs et les promesses de la culture
media) et les risques (danger de pas de masse et les possibilités offertes
sivité, danger surtout, pour l'usager par les mass media à un renouveau
de la culture de masse, de « modeler et à une extension de la culture.
sa vie selon des comportements my Si l'on dépasse ce refus simpliste,
thiques », en se désintéressant de son deux attitudes sont possibles. La
histoire vraie, des problèmes de sa vie première consiste à prélever dans les
professionnelle, civique, etc.). Effort productions de la culture de masse
de lucidité aussi sur la culture scolaire a quelques œuvres de valeur aisément
dont le caractère trop souvent abstrait, intégrables à la culture traditionnelle »
livresque, desséché est dénoncé avec (25). C'est ce qu'on nous propose de
courage devant cet auditoire de pro faire, par exemple, pour le cinéma ;
fesseurs ! une liste est même donnée d'une ci
En face de la culture de masse, les nquantaine d'oeuvres « incontestables »,
réactions des enseignants peuvent se « qui méritent notre attention et notre
répartir selon trois grands types d'at ferveur, et qu'un exégète qualifié
titudes. L'analyse qui en est faite en pourra expliquer comme. on explique
conclusion du rapport de C. Bremond une pièce de Racine, de Corneille ou
se retrouve, en fait, dans la majorité de Molière » (85). Par rapport à la
des conférences. fermeture systématique, l'avantage
Une attitude de refus systématique d'une telle attitude est évident. Elle
tout d'abord. La culture de masse permet de rendre vie à l'ancien par
est comprise comme la rivale — sou une confrontation constante avec l'ac
vent heureuse — de la culture sco tuel qui passionne les élèves. On peut
laire ; l'enseignant, gardien tradition analyser un western dans les termes
nel de la culture scolaire, est alors utilisés pour parler de la tragédie
tenté de déprécier cette « pseudo-cul grecque ou du drame cornélien ; et
ture ». Le résultat est « une mental l'on employera le vocabulaire du c
ité qui, selon les personnalités, oscille inéma pour expliquer Bossuet ou Virg
entre le mépris et l'anxiété. — Mépris ile. Double profit : « D'un côté, la
qui enveloppe à la fois la culture de littérature cesse d'être considérée
masse et ceux qui s'en nourrissent. — comme quelque chose de mort, de
Anxiété à l'égard des élèves voués à pétrifié : pour des garçons et des filles
l'ignorance, et de la culture vouée à de 15 ans, Bossuet devient aussi
l'oubli » (17). Cette première attitude vivant que Fellini et Orson Welles.
est reconnue comme assez courante D'un autre côté, quand ces garçons
chez les enseignants : la conférence et ces filles vont voir Fellini ou Welles,

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Notes de lecture

ils les verront peut-être avec une cer masse. De là le souhait que « l'expé
taine qualité d'attention et de respect rience littéraire de l'homme, qui cons
qui fera que, pour eux, contrairement titue encore l'essentiel de notre ense
à ce qui se passe pour leurs parents, ignement traditionnel,' soit relayée, en
le cinéma ne sera ni un opium ni un partie, et selon des formules souples,
divertissement » (96). par l'expérience de sciences humaines
Pourtant cette attitude est encore plus éclairantes : géographie humaine,
jugée insuffisante par la majorité des histoire des mentalités, sociologie,
conférencieis. Faire, par exemple, une enseignement artistique, etc. » (143).
sorte de « florilège » de « bonnes »
chansons retenues pour leur valeur Michel Souchon
poétique et musicale, c'est risquer de
rester en dehors du « foisonnement
désordonné, vivant et fluctuant » (54) Schramm Wilbur, Mass Media and
de la chanson moderne, c'est « nous National Development, Stanford, Cal
retirer sur nos positions, nous enfermer if., Stanford University Press, 1964,
dans l'ilôt menacé de nos certitudes 333 p.
culturelles » (56). Cette attitude de
type anthologique, dit-on ailleurs, L'ouvrage de Schramm, publié sous
« est non seulement insuffisante, mais le patronage de l'UNESCO, est une
contraire au but visé qui est d'ap contribution réaliste à la lutte contre
prendre à discerner dans une œuvre le sous-développement. Schramm ex
de qualité médiocre à la fois ce qui pose pourquoi, l'information étant
en fait la médiocrité et ce qu'elle comle moteur de tout changement écono
porte éventuellement d'intéressant » mique et social, un pays sous-déve-
(25). On souhaitera donc laisser à loppé est un pays sous-informé. En
l'élève « la liberté des options cultu tant que multiplicateur d'informat
relles ». « Pas de despotisme, si éclairé ions, les mass media jouent un rôle
qu'il se juge et qu'il soit peut-être en déterminant dans le développement
effet. On laissera à l'élève l'entière de la société.
responsabilité de ses goûts et de ses Le programme d'action proposé se
choix, mais en lui demandant de les développe en trois temps. Un inven
assumer ; c'est-à-dire qu'on s'efforcera taire des mass media, étayé de nom
de lui expliquer, aussi objectivement breux chiffres récents, fait ressortir
que possible, quels sont les méca non seulement le décalage entre pays
nismes économiques, sociologiques, industrialisés et pays en voie de déve
psychologiques, qui conditionnent la loppement, mais encore, à l'intérieur
culture de masse, et qui déterminent de ces derniers le déséquilibre entre
ses produits à être ce qu'ils sont » les villes et les campagnes. Les mass
(46-47). media n'atteignent qu'une faible pro
Dans cette façon de concevoir les portion des populations rurales, qui
rapports de l'école et de la culture de restent non seulement les plus nomb
masse, il faut reconsidérer la culture reuses mais celles qu'il importe le
scolaire, dont certains conférenciers plus d'informer.
disent la « faillite ». La culture sco Lors d'une campagne d'information
laire, qui s'efforce de dégager dans les dans une région donnée, il est indi
grandes œuvres classiques l'homme spensable de tenir compte du dévelop
éternel, une sorte d' « archétype cul pement atteint par les mass media
turel », risque de favoriser une éva pour déterminer l'aide qu'ils peuvent
sion hors de l'histoire et des problèmes apporter aux moyens de communicat
concrets des hommes ; elle risque alors ion traditionnels. Au cours de la cam
d'être incapable de lutter contre les pagne, le mouvement de feed-back ne ■
tentations d'évasion vers des compor doit pas cesser entre dirigeants et
tements mythiques que propose, de paysans. Le langage des émissions
façon si alléchante, la culture de doit s'adapter, progresser en même

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