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Michel Souchon

Marshall McLuhan. Understanding Media, The Extensions of


Man
In: Communications, 5, 1965. pp. 127-128.

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Souchon Michel. Marshall McLuhan. Understanding Media, The Extensions of Man. In: Communications, 5, 1965. pp. 127-128.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1965_num_5_1_1041
Notes de lecture

2. Une explication d'ensemble unif


Marshall McLuhan, Understanding ie toutes ces analyses. Elle peut
s'exprimer dans ces mots constam
Media, The Book
McGraw-Hill Extensions
Company,
of Man,
New ment répétés au cours du livre : « Le
York, 1964, 360 pages. medium est le message ». L'auteur
s'élève contre l'idée que le contenu
Au début de son livre, Marshall seul importe, quel que soit le medium
McLuhan nous avertit que 75 % de qui le transmet. Il ne pense pas que
son matériel est nouveau et il nous l'on puisse saisir le mouvement de la
fait part des inquiétudes de son édi vie sociale en pratiquant des analyses
teur : on ne fait pas un livre qui a du de contenu. Pour lui, toute découverte
succès dans ces conditions, il ne faut technique représente une nouvelle
pas dépasser la proportion de 10 % ! manière d'être et de vivre en société :
Autrement dit : si vous ne me suivez c'est donc l'étude du medium lui-
pas, c'est que vous êtes de ces esprits même qui nous permettra de com
faibles incapables de sortir des idées prendre l'homme social. On doit s'in
reçues et d'enregistrer une telle pro téresser aux media, non en tant qu'ils
portion de nouveautés. Ne cédons pas véhiculent un contenu signifiant, mais
à ce discret chantage et essayons de en tant qu'eux-mêmes sont signifiants.
dire calmement les qualités et les Quel est le contenu, du reste, du
défauts de ce livre brillant et irritant. medium-horloge ? Mais l'horloge con
C'est un essai. Qu'on n'attende donc duit à vivre le temps d'une manière
pas des démonstrations exhaustives entièrement nouvelle : elle impose
étayées d'enquêtes approfondies. Il une division mécanique du temps en
s'agit plutôt d'un . survol agrémenté sections visibles sur un cadran ; elle
d'innombrables anecdotes significa constitue 'ainsi un passage analogue
tives.Quels en sont les thèmes fo à celui que réalisèrent l'alphabet et
ndamentaux ? l'imprimerie, qui ont fait passer
î. Le monde des media ne peut l'homme d'une civilisation de style
être compris, si on se limite *à ce que oral à une civilisation de type visuel.
les sociologues mettent d'habitude Si on n'est pas parvenu à mieux déter
sous ce mot : cinéma, radio, télévi miner les effets des mass media,
sion, grande presse. Il faut étendre n*est-ce pas, demande Marshall McLuh
l'analyse dans le temps et dans l'e an,parce que l'attention s'est portée
space : toute découverte technique est trop exclusivement sur le contenu
« medium », « prolongement de des media ? Nous saisirions mieux les
l'homme », qui transforme son uni effets du cinéma, si, au lieu d'étudier
vers, sa psychologie, sa manière de sans fin les contenus du cinéma
vivre en société, l'ensemble de ses comme ceux d'un roman ou d'une
valeurs, etc. L'auteur va donc étu pièce de théâtre, nous nous rendions
dier (dans la seconde partie qui comcompte que l'effet vient du cinéma
prend les trois quarts de son livre) lui-même, comme medium fondament
une très grande quantité de phéno alement différent de l'œuvre impri
mènes : la parole et l'écriture, le mée. Ce principe d'analyse est poussé
papier et l'imprimerie, la roue, la parfois jusqu'à la caricature. Un
bicyclette, la voiture et l'avion, les exemple entre beaucoup : les idées de
comics et les annonces publicitaires, Hitler n'ont au fond pas grande
le télégraphe, la machine à écrire, le importance. Ce qui est important,
téléphone et l'horloge, le cinéma, la c'est le medium prédominant dans
radio et la télévision, etc. C'est la l'Allemagne hitlérienne : la radio. La
richesse de ce livre : il tente de cons revendication du « Lebensraum » n'a
tituer une théorie générale de la vie ici pas grand chose à voir avec l'hu
sociale qui n'est pas sans analogie, miliation de la défaite . de 1918 ou
en ses meilleurs passages, avec celle avec les conséquences du Traité de
de Riesman dans La foule solitaire. Versailles : elle est plutôt l'expres-

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Notes de lecture

sion du sentiment de claustrophobie merie en particulier est, selon l'auteur


qu'engendre le rétrécissement et la (qui avait exposé des vues semblables
compression de l'espace par la radio. dans son livre précédent : The Guten
' s'était
D'où la répandue
conclusion largement
: « Si la télévision
sous le berg Galaxy), à l'origine de la nais
sance et de l'exaspération des natio
régime de Hitler, celui-ci aurait di nalismes. Au contraire, les media
sparu rapidement. » froids, et avant tout la télévision,
seraient capables de nous faire retrou
3. La distinction entre media hot ver un nouvel équilibre dans une re-
et media cool est un autre des thèmes tribalisation où l'interdépendance et
qui unifient cette analyse. Si nous
avons bien compris l'auteur, un me la pensée communautaire retrouver
dium chaud est celui qui fournit une aient, au-delà de l'individualisme,
toute leur place.
information intense, précise, riche et Tout cela — et notamment les
complète, laissant peu de place à un jugements de valeur que nous venons
complément apporté par l'utilisateur. de présenter — soulève bien des diff
Au contraire, un medium froid a
besoin d'être complété par une par icultés et suscite immédiatement bien
des objections. Ce livre contestable,
ticipation importante. Tous les media et pourtant rempli d'intuitions pro
(au sens élargi que l'auteur donne à ce fondes, devrait . rencontrer des con
mot) peuvent être étudiés selon cette tradicteurs. Il est regrettable qu'il se
grille. Hot media : l'imprimerie, la situe vraiment trop en marge de la
radio, le cinéma. Cool media : la parole, recherche sociologique classique et cite
le téléphone et surtout la télévision. plus volontiers Shakespeare, Joyce ou
Le problème des effets des mass media Bergson que Lazarsfeld ou Schramm :
est réexaminé à la lumière de cette il ne facilite guère le dialogue et risque
distinction. Les media chauds, comme d'être admis ou, plus souvent, rejeté
la radio ou le cinéma, avec l'intensité, en bloc, alors qu'il devrait être discuté
la précision et le bas niveau de parti pied à pied.
cipation qui les caractérisent, auront
sur l'usager des effets très différents Michel Souchon
de ceux d'un medium froid, comme la
télévision, bien moins riche en info
rmation et suscitant un plus haut
degré de participation. On peut ana Culture scolaire et culture de masse,
lyser par exemple, selon cette optique, Cahiers universitaires catholiques,
la différence des rôles joués par les numéro spécial, juin-juillet 1964.
vedettes du grand et du petit écran.
4. Les analyses de Marshall McLu- Ce numéro spécial donne le texte
han le conduisent à penser que, des conférences prononcées aux Jour
comme l'imprimerie a fait passer nées des Universitaires catholiques
l'homme des antiques civilisations tri tenues à Amiens, du 5 au 8 avril 1964,
bales (de style oral, où prédominent sur le thème : « Culture scolaire et
donc les media froids) à l'ère de l'i culture de masse » : G. Avanzini
ndividualisme moderne, l'homme mo (Conflits ou rencontres ?), C. Bremond
derne subit une mutation aussi import (compte rendu de l'enquête préparée
ante. La télévision, en particulier, et dépouillée par le CECMAS sur les
nous ferait retrouver d'une manière enseignants et la culture de masse),
immensément élargie une sorte de J. Roussel (Le monde de la chanson
civilisation tribale où l'univers devient et l'école), H. Agel (Cinéma et cul
« the new world of the global village ». ture scolaire) et M. Meslin (Vers un
Nous assisterions ainsi à un retour renouveau de la culture ?). Plutôt
rassurant aux media froids. Les media que de résumer chaque conférence, il
chauds sont responsables de tous les semble plus intéressant ici de noter,
maux de l'histoire moderne. sans taire les divergences, quelques

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