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1- La performance et les artistes qui portent ce mouvement émergeant dans les années

60 doit être envisagée sur la toile de fond des luttes politiques et intellectuelles
menées en faveur d’un changement culturel et d’une contestation politique, qui se
déroulèrent dans les grandes villes d’Europe, du Japon et des Etats-Unis. Ancien
peintre lyrique abstrait, c'est en 1959 que Kaprow présente son premier happening
abouti à la Reuben Gallery, le 18 Happenings in Six Parts. Il a d'abord fait des
assemblages d'objets divers de dimensions réduites (on ne pouvait pas y pénétrer
physiquement), avant de passer aux environnements visuels (GAS, 1966) en attirant
l'attention sur des espaces et des objets concrets ; ainsi son objectif est de mettre en
avant les mutations qui se produisent au sein du champ de l’art contemporain,
témoignant d’une volonté de sortir de ce que l’on nommera plus tard le « white
cube » : « la salle a toujours été un cadre ou un format, et […] la forme de la salle est
en contradiction avec les formes et l’expression émergeants du travail en question ».
Il contribue de cette manière avec d'autres à créer le « happening » (ou « action
theater », terme inventé par lui). Les évènements qu’organisaient Kaprow en
appelaient résolument à la participation du public ; chaque artiste de ces années
charnières , selon sa formation ou son tempérament, exprimait une approche très
différente de la notion d’action réalisée en public. L’exubérant Allan Kaprow élaborait
ses évènements dans l’idée d’une participation maximale du public, comme à
l’occasion du happening « Household » de 1964 organisé à la Cornell University, dans
le but non seulement de sortir l’art du musée mais aussi de briser la vitre qui sépare
l’art du spectateur. L’artiste brésilien Hélio Oiticica s’inscrit quant à lui dans une
mouvance plus politique, en lien avec ses prises de position contestataires. Au sujet
du « happening » elle écrit : « Politiquement, une telle position rejoint celles de
toutes les formation de gauche authentique du monde actuel – non pas évidemment
ces formations dictatoriales. […] Il ne pourrait en être autrement, cela va de soi ».
Après avoir fait les beaux-arts de Rio De Janeiro , Oiticica s’intéresse de près aux
problématiques sociales à travers l’étude des favelas et notamment celle de
Mangueira qui devient une sorte de quartier général de ses opérations. Lorsqu’il
commence à montrer ses œuvres conçues dans la matrice des favelas, au sein de
l’exposition Opinao 65 au musée d’art moderne de Rio de Janeiro, il invite les
principaux intéressés, les « déshérités », qui jugés « non-acceptables » ou « peu
présentables » sont expulsés de force du bâtiment ce qui rend l’artiste fou de rage et
contribue à la radicalisation de ses actions futures.

2- Par le biais d’actions plus ou moins radicales les trois artistes tentent de redéfinir le
paradigme du monde de l’art contemporain en remettant en cause les délimitations
habituelles entre « art » et « non-art ». Si les happening d’Allan Kaprow s’avèrent
plus interroger les paradigmes de l’art en tant que tel, les performances d’Oiticica et
de Beuys s’inscrivent bien plus clairement dans une lignée politique. En 1973 et 1974
Beuys réalise Save the Woods et Coyote : I like America and America likes me ;
Convaincu que l’art est apte à transformer les gens socialement, spirituellement et
intellectuellement (« L’art est aujourd’hui le seul pouvoir évolutif révolutionnaire »),
ces deux œuvres ont comme vocation à former des « sculptures sociales » qui
pouvaient se composer d’activités de contestation collective (Save the Woods qui
compose clairement une action écologiste), ou d’action symboliques (Coyote : Beuys
se fit non seulement transporter d’Europe dans une gallerie New-Yorkaise sans
toucher le sol, mais vécut en captivité une semaine en compagnie de l’animal qui
représentait selon lui une métaphore du massacre des indiens d’Amérique du Nord
par les premiers colons européens).

Les moyens mis en œuvre afin de mettre en cause les hiérarchies sociales, culturelles et
artistiques relèvent toutes de l’ordre du collectif. Les trois artistes appartiennent à cette
« nouvelle génération » qui sort du paradigme de l’artiste individu, pour l’inscrire dans le
concept de collectif mais aussi celui de « corps » : corps physique, corps social, corps
culturel. A l’instar d’autres artistes de leur génération qui ne pratiquent pas la performance
comme une fin en soi les trois artistes ont souvent exprimés leur engagement dans une
pratique vivante et gestuelle, comme décloisonnée de toute étiquette : sortie de l’art du
musée, intégration du spectateur dans l‘œuvre, éphémérité de l’œuvre, et actions à
connotations psychanalytiques, comportementales et sociales. Ces « hétérotopies » créés
par leurs actions et l’installation d’environnements (ex : Tropicalia ou Eden de Helio Oiticica)
proposent des alternatives au système en place au « cap néo-libéral » (Barbara Stiegler) par
la présence ou l’absence d’objets à fortes connotations symboliques ou de gestuelles
inhabituelles qui poussent à la réflexion autour de « l’intention » de cette action inhabituelle
(ex : Comment expliquer des tableaux à un lièvre mort ?, Joseph Beuys, 1965).

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