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ART APRES 1945 : DE L’APOCALYPSE AUX NOUVELLES UTOPIES

CHAPITRE II. RECONFIGURATIONS ARTISTIQUES INTERNATIONALES 1947-1964.

DOMINATION DE L’ABSTRACTION
ORIGINES ET ENJEUX DE L’ABSTRACTION :

Depuis la nuit des temps, des formes non figuratives ont été utilisées au sein de programmes décoratifs
(ex. les grecques, l’art islamique; le Baroque; l’Art Nouveau).

Apparait de manière construite au début du XXe S en Russie (de 1911à 1917).


Création d’images purement et simplement, abstraites, autonomes qui ne renvoient à rien d’autre
qu’elles-mêmes (héritage de la culture de l’Icone).

Elles révèlent l’existence de réalités jusqu’alors invisibles et inconnues.

Artistes pionniers de l’abstraction :

Francize KUPKA, Vassili KANDINSKY, Kazimir MALEVITCH et Piet MONDRIAN.

Ils ont franchi le seuil de l’abstraction à peu près au même moment, entre 1911 et 1917.
Simultanéité qui peut s’expliquer par des préoccupations communes :
Ils avaient tous une pratique spirituelle ou ésotérique.
Ils étaient aussi très attachés à la musique (le moins imitatif de tous les arts, qu’ils ont parfois
pris pour modèle).
Ils travaillaient dans un contexte culturel, en particulier scientifique où apparaissent la
physique quantique et de la théorie de la relativité, avec lesquelles la notion de réalité
devenait problématique. Comme le remarquait Paul Valéry à cette époque, "Ni la matière, ni
l’espace, ni le temps ne sont depuis vingt ans ce qu’ils étaient depuis toujours".

Dans ce contexte culturel et scientifique du début du XXe siècle, la réalité est moins ce que
l’on perçoit à l’aide des cinq sens, qu’une entité que l’on approche par des expériences de la
pensée. Les inventeurs de l’abstraction proposent une nouvelle forme de peinture en
adéquation avec cette conception du monde.

CONTEXTE POST 1945 :

La Seconde Guerre mondiale semble avoir provoqué deux réactions contradictoires dont on
trouve l’écho dans le domaine artistique. Pour certains, seul un surcroit de réalité pourra
empêcher le retour d’un tel évènement. Pour d’autres, au contraire, prime la désillusion à
l’égard de la société technicienne et tout espoir possible est placé dans l’individu, dans
l’expression de sentiments sincères.
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CHAPITRE II. RECONFIGURATIONS ARTISTIQUES INTERNATIONALES 1947-1964.

A la Libération, l’Abstraction a mauvaise presse. Elle est quasiment invisible dans les
expositions françaises. Les critiques d’alors lui reprochent son détachement de la réalité qui
ne lui permet pas de répondre aux impératifs de la Reconstruction. Par ailleurs, ses origines
germaniques et slaves sont inacceptables pour la critique conservatrice française.

Pourtant, à la fin des années 1940, l’abstraction s’impose et devient l’esthétique dominante.
Esthétique clé de l’après-guerre, elle est considérée comme le prolongement des enjeux de la
modernité. Cet enjeu au cœur de la lutte des abstractions débouchera sur un conflit artistique
majeur entre l’École de Paris et la jeune École de New York dans les années 1950.

1947-1949. LES LUTTES DES ABSTRACTIONS


À partir de 1946 l’abstraction est visible en France dans les galeries confidentielles ou au
Salon des Réalités nouvelles qui a lieu tous les ans.

Il a pour objectif de promouvoir toute œuvre d’art dite concrète, non-figurative ou encore
abstraite. L’expression « réalité nouvelle » est héritée de Guillaume Apollinaire (1912) pour
désigner l’ensemble des productions abstraites. Ce Salon est perçu comme un espace de
liberté créative, de ce fait il est rapidement victime de son succès.

En 1948, face à l’hétérogénéité des formes abstraites et de l’ampleur de la participation


internationale, le salon opère un durcissement idéologique lisible dans son manifeste rédigé en
grande partie par l’artiste Auguste Herbin qui pose la définition de l’abstraction à l’origine
d’une division stricte entre les différentes formes abstraites.

Il répond à la grande question du moment : « Qu’est-ce que l’Art abstrait non-figuratif et


non-objectif ? » :

un art « sans lien avec le monde des apparences


extérieures, c’est pour la peinture, un certain plan
ou espace animé par des lignes, des formes, des
surfaces, des couleurs dans leurs rapports
réciproques et, pour la sculpture, un certain
volume animé par des plans, des pleins, des vides,
exaltant la lumière. (....) La valeur émotive du
message résultera nécessairement et uniquement de
la valeur intrinsèque des lignes, des plans, des
surfaces, des couleurs, dans leurs rapports
réciproques et des plans, des pleins, des vides
exaltant la lumière. Cette valeur est essentiellement
plastique et éminemment universelle » (A.Herbin)

Cette définition formaliste affirme que la seule abstraction défendable est celle qui appartient
aux domaines de l’expression raisonnée et de la géométrie euclidienne. Le manifeste de 1948
entraine une rupture entre une abstraction géométrique et une abstraction lyrique ou gestuelle.
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Pour assoir sa définition, Herbin accompagne son texte d’un diagramme qui met en évidence
la date clé de 1911, soit la date de l’avènement de l’Art Concret en Europe centrale et de l’art

abstrait en France. Ces références permettent de restreindre la définition d’un art abstrait
« non figuratif et non objectif » et de légitimer les formes non-figuratives françaises.

ABSTRACTION GEOMETRIQUE
Enjeux et principes :
- La révolution c’est la déconstruction du monde ancien  L’art doit participer à la vie. (ref.
Constructivisme l’artiste ouvrier.)
- Se distancier de l’émotionnel.
- Rejet des mouvements précédents qui ont tentés de représenter une réalité tridimensionnelle.
- Les moyens d’expression sont la ligne et la couleur.
- La forme géométrique idéale.
- Utilisation de couleurs primaires: jaune, bleu, rouge.

Le Manifeste de 1948 réactive la définition de L’ART CONCRET énoncée par Théo Van
Doesburg en 1930 (mouvement De Stijl).
« Peinture concrète et non abstraite, parce que rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu’une couleur,
qu’une surface. C’est la consécration de l’esprit créateur. » (Manifeste de l’Art Concret, 1930)
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Principes de l’Art Concret :


L’expression d ’une pensée intellectuelle qui permet la visualisation d’une pensée.
Le reflet de l’esprit humain pour l’esprit humain.
Une opposition au sentimental et au mysticisme.
N’est pas une interprétation, une illustration, un symbole. Il est réel.
N’est pas une transcription de la nature.
N’est pas une abstraction
N’est pas littéraire.
Prend forme à l’aide de la couleur, de l’espace, de la lumière, du mouvement. C’est ainsi qu’il se concrétise.
Ne relève pas du privé mais de l’universel.
Lié à l’architecture, au dessin industriel, et à la musique.
Il ne différencie pas l’Art de l’art appliqué, car la différence se situe dans leurs fonctions.
Son but est de clarifier et participer à l’harmonisation de notre monde artificiel
L’art concret prend ce qu’il peut pourvu qu’il contribue à propulser la vie, la vraie. (mobiliser une conscience
sociale)

Piet Mondrian, New York City (boogie-woogie), 1942, h/t, Reconstitution de l’atelier de Mondrian, 26, rue du Départ,
119.3x114.2cm, CGPompidou Paris - Situation en 1926

Auguste HERBIN (1882-1960 France)

À partir des années 1930, il se consacre à une peinture entièrement géométrique faite de
formes simples en aplats de couleurs pures, alternant avec des formes ondulantes.
Les peintures d'Herbin s'établissent à partir d'un mot qui donne son titre au tableau, selon des
correspondances entre lettres, formes, couleurs et sonorités musicales. En 1946, Herbin met
au point son « Alphabet plastique » (essai de codification des correspondances entre lettres,
couleurs et formes). Sa recherche d’un art objectif l’entraine dans une démarche
synesthésique.
Vendredi1 : V=noir, E = rouge, N= blanc, D=rouge clair, R=bleu clair, E=rouge, D=rouge
clair, I = orangé. Ici, la composition se développe en un format paysage, l’espace du tableau
est séparé en 3 zones colorées distinctes. La gamme des rouges forme une pyramide centrale
qui relie visuellement les différents espaces. Cette composition développe un jeu sur les
rapports fond/formes que permettent les contrastes de blancs et noirs. Avec l’abstraction
géométrique, Herbin est à la recherche d’un langage capable de véhiculer des messages.
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Herbin, Vendredi 1, 1951, h/t, 96x129cm, Paris, Ctr Pompidou.

Victor VASARELY (1906 – 1997 Autriche-Hongrie)


Dans les années 1940, il développe son propre modèle d'art abstrait géométrique, travaillant
dans divers matériaux en employant un nombre minimal de formes et de couleurs. Connu
aussi en tant que designer, il est l’un des précurseurs de L’ART CINÉTIQUE.

Hô II marque le passage de Vasarely à une abstraction rigoureusement géométrique. La


composition repose sur le dialogue des différents moyens plastiques : fond/forme ; la division
de la surface en 2 panneaux monochromes aux découpes nettes. Le décalage entre les plans
provoque une opposition rythmique des couleurs. La verticalité est accentuée par un cadrage
étroit qui traduit l’intérêt du peintre pour le caractère architectonique du tableau et sa relation
avec l’espace environnant. Éléments qui activent l’illusion de profondeur et de relief. Elle
annonce le passage de Vasarely à l’art cinétique au milieu des 1950.

ART CINETIQUE
Expression employée pour la première fois par une institution muséale, le
Kunstgewerbemuseum, actuel Museum für Gestaltung de Zürich, en 1960.
Courant artistique qui propose des œuvres contenant des parties en mouvement.
Il s’agit de dépasser la fixité de l’œuvre d’art. Le mouvement peut être produit
par le vent, le soleil (A.Calder), un moteur ou le spectateur. Dans les années
1950, les expérimentations de l’abstraction géométrique rendent visible le
mouvement par le biais de l’illusion d’optique fondée sur les contrastes colorés
et lumineux (V. Vasarely le Manifeste jaune, 1955 théorise l'art optique et
cinétique). Dans les années 1960, des collectifs comme le GRAV (Le Parc,
Morellet) vont intensifier les recherches sur le mouvement en produisant des
œuvres aux formes géométriques simples, mises en mouvement par le spectateur
(JR.Soto) ou par des moteurs (J. Tinguely).

Vasarely, Hô II, 1948, h/t, 130 x 81 cm, Paris,


Ctr Pompidou.
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Yaacov AGAM (1928- Israël)

Le salon Agam est une installation d’art cinétique réalisée entre 1972 et 1974 pour
l'antichambre des appartements privés au palais de l’Élysée du Président Georges Pompidou.
Murs, sol et plafond sont unis par la répétition des motifs géométriques colorés. Une sculpture
cinétique en acier poli, le Triangle volant, complète l'installation. L’espace est unifié par la
forme et la couleur. La profondeur est abolie. Les matériaux transparents et moirant
démultiplient l’espace de l’antichambre par leurs reflets.

Agam, Salon pour le Palais de l'Élysée du président Georges Pompidou, 1972-74, laine bois,
aluminium, peinture, plexiglas, 470x548x622cm, CG.Pompidou.

Jean DEWASNE (1921-1999 France)

Après des études de musique et de philosophie, Dewasne s’initie en autodidacte à


l’architecture. Après 1946, il réalise des œuvres d’une grande rigueur formelle reposant sur
une juxtaposition complexe de plans colorés. Jean Dewasne a cherché toute sa vie à libérer la
couleur du plan pour investir l'espace industriel et urbain. Il démissionne en 1948 du Salon
des Réalités nouvelles en raison de désaccords idéologiques et esthétiques.

Jean Dewasne, sans titre, 1949, gouache, 51x72cm, 1959, coll.part.


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« Le dit salon a été créé pour défendre l’art abstrait mais non pour défendre des conceptions idéalistes ou
spiritualistes contre des conceptions matérialistes, ni des théories esthétiques comme celle de l’art pour l’art à
l’exclusion de tout autre ; et réciproquement d’ailleurs.
Je ne puis accepter cette réduction de ma liberté de pensée au sein de notre association ainsi que celle d’autres
membres de la société. Puisque le comité a l’air fermement décidé dans cette voie, je vous fais parvenir par la
présente lettre ma démission de membre du comité des Réalités Nouvelles. » (Dewasne, Archives des Réalités
Nouvelles, 1949)

François MORELLET (1926-2016 France)

François Morellet, 3x3, 1954, Morellet, Relâche n°4, 1992, crayon sur mur, acrylique, h/t, aluminium,
h/panneaux de bois assemblés, 134.5 x 134 cm tube néo, rubans, 360x314x0cm, coll Louis Vuitton.

Dès la fin des années 1940, sa peinture évacue la subjectivité individuelle. Elle obéit à des
préoccupations collectives. Il adopte un langage géométrique très dépouillé dans un nombre
limité de couleurs, assemblées dans des compositions élémentaires. Ces recherches sont
marquées par l'œuvre de Mondrian et de Max Bill. Morellet établit différents systèmes
d'arrangement par superposition, fragmentation, juxtaposition, interférences. Il développe un
réseau de lignes parallèles superposées selon un ordre déterminé. Ses recherches l’orienteront
dans les développements de l’Art Cinétique et de l’Art Minimal (1960-1970)
3x3 est une variation sur le thème du carré et des mathématiques. Le carré y est mis en
abyme. Ces 3 modes de représentation du carré travaillent les effets de vide et de plein, de
forme et de fond, de juxtaposition et de superposition. La figure géométrique joue à cache-
cache en apparaissant intégralement ou fragmentée. Ce jeu visuel illustre le balancement entre
abstrait et concret.

ABSTRACTION LYRIQUE- dite « Chaude »


Tendance rejetée par le manifeste du salon des Réalités Nouvelles.

Enjeux et Principes :

- Peinture sans Manifeste apparue en France vers 1946.


- L’abstraction lyrique est une expression qui désigne une tendance à l’expression directe
de l’émotion individuelle.
- Elle regroupe des artistes qui évoluent vers le langage abstrait suivant une écriture
gestuelle, un usage autonome de la couleur et de la matière.
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Héritages :

- Héritage de Kandinsky : Simplification du réel allant à l’essentiel grâce aux formes et aux
couleurs pour ne garder que la sensation, l’impression, l’émotion, produite par la réalité
extérieure sur le spectateur.
- Héritage du Surréalisme : À la conception du tableau en tant que vecteur d’émotion et de
sens (Kandinsky), il ajoute le principe « d’automatisme psychique pur » (intériorité et
inconscient) aux moyens de : l’écriture automatique, la gestualité (spontanéité), la
matière picturale.
- Héritages existentialiste (Sartres) et Phénoménologiques (Merleau-Ponty, Bachelard) :
« Le corps est notre ancrage dans le monde » (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la
perception). Cette citation se traduira en art par une place prépondérante du matériau en
tant que substitut du corps de l’artiste.

LE SURRÉALISME (1924-1940) :

Mouvement Artistique et Littéraire international.


Paul Éluard et André Breton.

Définition : « Surréalisme : n.m, automatisme pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit
verbalement, soit par écrit, soit de toute autre façon, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la
pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique
ou morale. » (A.Breton, Premier Manifeste du surréalisme, 1924)

Ensemble
Kandinsky,d’intérêts communs : huile
Jaune-Rouge-Bleu,
-surImportance de la théorie
toile, 1925, Musée psychanalytique
national d'art de Freud  Automatisme, spontanéité, authenticité,
liberté
Moderne
- Croyance en un Surréel : « réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à
lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement
tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux
problèmes de la vie » (ibid)
- Cultures extra-occidentales  on retrouve chez les surréalistes la notion de primitivisme, et
d’authenticité.
- Jeu & Humour  principe de Liberté.
- Hasard & Métamorphose  théorie du « Hasard objectif » (le « donc » et le « comme »
A.Breton, 1929-1938)

Mur de l’Atelier d’André Breton (reconstitution), 1922-1966, ensemble de 255 objets et œuvres d’art réunis par
A.Breton, Paris, Ctr Pompidou.
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Exemple de « Champ magnétique » (recueil de poésies, Breton, 1920), le Mur de


l’atelier d’André Breton est une mise en acte des principes Surréalistes dans le temps et dans
l’espace.

AUTOMATISME ET JEU

Écriture automatique : "Placez-vous dans l'état le plus passif ou réceptif que vous pourrez...
écrivez-vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas vous retenir et ne pas être tenté de
vous relire". (A.Breton, Manifeste Surréaliste, 1924).

H.Michaux, Mouvements, 1949, encre sur papier, 30x23.5 cm, coll.part.

Otto Wols, Dessin automatique, 1946


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Le Frottage ou décalcomanie : Empreinte d’un relief et assemblage par collage.

Max Ernst, La foret, 1927, Frottage, 80,7 x 100 cm, Grenoble. M.Ernst, Cité, 1935, frottage.

RÊVE, ASSOCIATION ET MÉTAMORPHOSE

Giorgio De Chirico, Portrait René Magritte, L’heureux Salvador Dali, L’énigme sans fin, 1938, h/t, Madrid,
prémonitoire de Guillaume donateur, 1966, h/t, Musée de la Reine Sofia.
Apollinaire, 1914, h/t, 81,5 x 55,5x45,5 cm, Belgique,
65 cm, CGP. Musée d’Ixelles.

MYTHE, MÉTAMORPHOSE, ZOOMORPHIE, HASARD

Cadavre exquis : Jeu collectif basé sur le hasard.


Man Ray, Joan Miro, Max Morise, Yves Tanguy:
Cadavre exquis.

A.Masson, Le Labyrinthe, 1938, h/t, 120x61cm,


Ctr G.Pompidou.
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EXPOSITIONS FONDATRICES – RIPOSTE DE L’ABSTRACTION LYRIQUE

La riposte de l’abstraction lyrique aura lieu en réaction à la montée de l’abstraction


géométrique en lui opposant la force émotionnelle de l’inconscient.

Elle s’érige à coups d’expositions.

1947, exposition L’Imaginaire, Paris, galerie du Luxembourg.

Organisée par George Mathieu (artiste) et Jean-José Marchand (critique) qui emploie pour la
première fois le terme « lyrique » pour désigner cette abstraction concentrée sur la matière et
l’intériorité en opposition à l’abstraction froide.

Elle présentait les peintres Arp, Atlan, Brauner, Bryen, Hartung, Leduc, Mathieu, Picasso, Riopelle,
Solier, Ubac, Verroust, Vulliamy, Wols.

L’exposition réunissait les 2 tendances : abstraction et surréalisme, justifiées par la préface de


Jean José Marchand : « Une seule tradition est valable : celle de la création absolument libre. Cette vérité
n’a pu être obscurcie qu’avec la prise de conscience par l’artiste moderne d’une séparation possible entre la «
forme » et le « fond », c’est-à-dire entre la technique et l’inspiration. […] Il est remarquable que cette tendance
retrouve ainsi la simplicité qui précède les naissances. Désormais, la voie est libre. C’est aux peintres de nous
montrer comment ils utilisent cette liberté. » (JJ Marchand, L’imaginaire, décembre 1947)

1948, exposition H.W.P.S.M.T.B, Paris, galerie René Drouin.

Organisée par Georges Mathieu et Michel Tapié (critique). Le titre est l’acronyme des artistes
présentés (Hartung, Wols, Picabia, Stalhy, Mathieu, Tapié, Bryen).

Lien avec le Surréalisme : « Nous savons que les hommes sont traversés par des formes qui leur
sont personnelles, et la projection de ces formes constitue sans doute l’essentiel d’une nouvelle
sincérité picturale » (M.Tapié, catalogue d’exposition Véhémence confrontées, 1951)
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Pierre SOULAGES (1910- France)


À l’issue de ces expositions Soulages apparait comme un tout jeune artiste de la scène
française. Il est alors peu connu en France où ses œuvres sont peu montrées. Les œuvres
montrées en 1947 sont de petits formats dont les titres ont disparu au profit de numéros, de
matricules. Elles présentent des tracés entrecroisés dont les traits correspondent à la largeur du
pinceau. L’artiste joue sur l’autonomie du matériau par les empâtements et les différences de
nuances que le brou de noix produit au séchage. Pour ces tableaux on parle de signes non
mimétiques car il n’y a pas de signifié. Il n’y a que les traces de gestes picturaux sur une
surface (réalité de la peinture).

La primauté du noir dans son travail correspond à une recherche sur le clair-obscur poussé à
son maximum. Il cherche à faire surgir la lumière du noir par les reflets produits par la
matière picturale. Il considère le noir comme une couleur primordiale, originaire avant la
lumière (ref. peintures rupestres). Sa peinture évoluera vers le monochrome qu’il va strier,
graver. Un travail matiériste que le rapproche du geste du sculpteur plus que du peintre.

Lien vidéo : https://youtu.be/JjVK2qVFRNk


Musée Soulages Rodez : https://musee-soulages-rodez.fr/oeuvres/peintures-sur-toilespolyptyque-1-
pierre-soulages/
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Hans HARTUNG (1904-1989 Allemagne)

Sa peinture est associée à celle de Soulages, car il adopte lui aussi un système de matricule
pour les titres et il emploie une palette sombre. À la différence de Soulages les fonds colorés
sont importants pour Hartung. Connu depuis les années 1930, les expérimentations de cet
artiste en font aux yeux des historiens de l’art le précurseur de nombreux mouvements
d’avant-garde qui se développent au second XXeS : Informel, gestuels, tachistes, lyriques,
action painting. Il développe une peinture aux accents expressionnistes dans la veine de
l’abstraction de Kandinsky. Mais ce sont les principes surréalistes qu’il va privilégier. Il
réactive la méthode particulière dite « spontanée calculée » qu’il avait développée dès 1932 à
partir des principes surréalistes automatiques et pulsionnels dont le geste est contrôlé et
contraint par la mise au carreau afin d’agrandir ces peintures. Le but de cette méthode est de
conserver l’énergie vitale, le surgissement informel et le geste libre. Il utilise cette méthode
jusque dans les années 1950, date à laquelle il sera reconnu officiellement.

Ses peintures sont structurées par de larges formes cursives se détachant sur des masses
vivement colorées, elles-mêmes superposées à un fond qui deviennent sombres. Le peintre
obtient des effets de contraste entre les vigoureux éléments graphiques et le fond en jouant sur
des effets de transparence de la couleur. Son geste se fait plus ample et l’emploi du signe noir
sur un fond coloré se systématise.
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Réalisée selon le procédé du report, cette peinture abstraite comporte une dimension
illusionniste puisqu’elle imite trait pour trait le tracé du dessin initial. Son caractère très
graphique lui confère une dimension décorative qui n’est pas sans liens avec les formes noires
et biomorphiques du design de l’époque. La peinture de Hartung, à l’instar des célèbres
créations design d’Arne Jacobsen ou de Charles Eames, incarne la modernité retrouvée des
années 1950. Comme chez Soulages, les titres se composent d’un T, de la date de réalisation
et du n° de série de l’œuvre. Cela dans le but de détacher le spectateur d’une lecture narrative
ou figurative et de l’obliger à se confronter à la toile. La systématique répétitive du titre et de
la mise au carreau, sont également un clin d’œil aux procédés de reproduction mécanique de
l’époque contemporaine (ref. W. Benjamin). Il s’agit pour Hartung de repousser le principe
surréaliste automatique en se désinvestissant au maximum de la réalisation de la toile.
L’utilisation de procédés issus de l’industrie est une manière de prendre au pied de la lettre la
question de l’automatisme.
En 1947-48, les œuvres de Soulages et de
Hartung apparaissent comme jeunes pour
l’époque alors que ces artistes développent leur
style avant la Seconde Guerre Mondiale.

Se pose alors la question de la connaissance de


l’art contemporain en France au sortir de la
guerre. En effet, si les œuvres de ces artistes
sont une nouveauté pour le public et la critique,
c’est finalement parce qu’ils ne s’y intéressaient
peu ou pas. Cette ignorance est due à un refus de
l’art contemporain et de l’abstraction en
particulier. À cette époque, la plupart des artistes
ayant fait la réputation de Paris hors de France
est peu montrée sur le territoire même (ces
artistes exposent à l’étranger USA, Allemagne,
URSS...). Les Français ont une méconnaissance
de l’art contemporain français comme étranger ;
exception faite de certains cercles d’experts du
monde artistique.

Pour aller plus loin : Lien vidéo (Alain Resnay, Hans Hartung, 1947-48) :
https://www.perrotin.com/videos/visite-a-hans-hartung-court-metrage-de-alain-resnais-muet-1947-
0710/1022
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J.DEGOTTEX (1918- 1988) :


Degottex, étude pour mouvement ascensionnel d’un
triangle, 1974, encre sur paier, coll.part.

Degottex, Pollen noir, 1955, h/t, 130 x 96,5 cm, Paris, Ctr
Pompidou.

Pollen noir : Cette œuvre est un Manifeste des liens entre Surréalisme et
abstraction. Elle appartient à la collection d’A. Breton (ref. Mur de son
bureau). Dans les années 1950, Degottex grâce à Breton se passionne pour
la culture Zen et notamment pour la calligraphie. La calligraphie
orientale intéresse les Surréaliste parce qu’ils y voient des liens avec
l’écriture automatique. Degottex va développer une série de toile sur le modèle de la
technique calligraphique automatique, mais sans pour autant mobiliser l’écriture (les mots, le
sens). Il développe une réflexion sur l’expressivité du signe pure. Comment à partir d’un
signe inintelligible produire un maximum d’expressivité ?
Ici, c’est donc le portrait d’un signe que l’artiste propose. Inscription noir sur un fond quasi
monochrome donnant toute l’importance au signe. Le signe est un travail de la trace, il est la
marque du geste du peintre qui doit transmettre l’énergie vitale de l’artiste et de la création.
Le signe, vide de sens, est une forme de revendication d’autonomie de la peinture qui ici
contrairement à l’informel ne passe pas par un travail matiériste mais par le détachement
d’avec le langage. Cette recherche s’inscrit à la suite des réflexions surréalistes au sujet de
l’Authenticité en Art (« la vérité » Surréaliste).

Degottex, Aware I, 1961, h/t, 200,5 x 349,6 cm, Paris, Ctr Pompidou.
Degottex, Suite obscure 8-2-12-64, 1964, 421x500cm, Paris Ctr Pompidou.

Par la suite, au milieu des années 1960, les signes deviennent écriture (ref Suites obscures).
Cette série marque un passage au forma monumental et à la modification du titre (date et n°
de série). Tout rapport à la lecture narrative est abandonné, seule subsiste l’énergie du geste.
Ces toiles expriment déjà les préoccupations de l’artiste concernant l’espace – le Vide (le vide
et le plein).

Degottext appartient à ce que l’on nomme l’abstraction Gestuelle ou lyrique qui a dominé
les années 50. Ces artistes privilégient l’acte physique de peindre. Ils sont à la recherche
d’une liberté du geste et accordent une place importante au hasard. Cette attitude face à la
peinture occasionne un déplacement de la pensée de l’art car ici, peindre devient plus qu’une
pratique, c’est un moment d’existence particulier, irréfléchi et pulsionnel. L’œuvre est un
témoignage du corps vivant l’instant présent.
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CHAPITRE II. RECONFIGURATIONS ARTISTIQUES INTERNATIONALES 1947-1964.

Georges MATHIEU (1921-2012 )

Artistes majeur de l’abstraction


lyrique dans sa version gestuelle. Les toiles de
Mathieu déroutent les organisateurs du Salon des
Réalités nouvelles par leur nouveauté.
Entre 1944 et 1946, période dite « des limbes »,
pendant laquelle il élabore un langage pictural inédit.
Mathieu abandonne les outils et la manière
traditionnelle en peinture au profit de taches, de
coulures ou de giclures directement sorties du
Mathieu, Évanescence, Mathieu, Açone, 1948, casé
tube et qu’il peut écraser au doigt (il revendique 1945, h/t, 97 x 80 c, Genève, et huile/contreplaqué,
la paternité du dripping, technique attribuée à Fondation Gandur. 167x119cm, Milan, coll
Janet Sorbel en 1944 et développée par Jackson Pollock
Angeli
dès 1945, De la révolte à la renaissance). Il travaille indistinctement au sol ou à la verticale,
mais toujours sur des formats monumentaux. Il formule de grands signes picturaux
énergiques qui se développent librement sur les fonds. Il acquière rapidement une réputation
internationale : en 1950 il expose au
japon et aux États-Unis.

À partir de 1954, il réalise ses tableaux en public. Ces représentations chronométrées ont des
allures de performance ou de happening. Elles montrent la rapidité d’exécution et la
virtuosité du geste du peintre. L’abstraction gestuelle de Mathieu, met l’accent sur
l’improvisation, la vitesse, le hasard, autant de moyens pour accéder à la création pure. Elle
fait appel à l’intuition au lieu de la méthode. L’artiste trouve son inspiration dans le Jazz et la
calligraphie orientale.

L’autre particularité des œuvres de Mathieu réside dans le titre qui fait référence à un
évènement historique. On peut d’ailleurs noter la récurrence des évènements guerriers qui font
écho aux batailles plastiques que l’artiste livre avec l’œuvre et que les matériaux plastiques
livrent entre eux sur la toile (expressivité des lignes, contrastes colorés violents).
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Matthieu et S.Hantaï organisent Les Cérémonies commémoratives de la deuxième condamnation de


Siger de Bradant Paris, Galerie Kléber, 1957 : suite de 4 manifestations/performances qui engendra
une scission avec le Surréalisme. Ils prennent pour prétexte un épisode de l’histoire religieuse : la
condamnation par l’Église de Singer de Bradant. Adversaire de Thomas d’Aquin (en 1277), il est un
philosophe dans la lignée d’Aristote qui fut condamné par deux fois par l’église catholique pour
hérésie. Il défend : l'éternitisme (si le monde est éternel, l'humanité aussi), le monopsychisme (il n'y
a qu'un seul intellect pour l'humanité), il nie l'immortalité personnelle, il rejette la providence, il
prône une morale profane, enfin il soutient l'autonomie de la raison par rapport à la croyance
religieuse.
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SIMON HANTAI (1922-2008)

Influences : Le Moyen-Âge italien – Matisse – Surréalisme – L’Abstraction Gestuelle ou


Lyrique. Ses œuvres sont marquées par le geste et le hasard (raclure-écriture).

Hantaï - Les Baigneuses, 1949, h/t, Hantaï, Souvenir de l’Avenir, 1957,


110x167cm, coll.part. Huile et poussière /toile,
136x179cm, Paris, CGPompidou

Ses influences sont visibles dans Sexe-Prime. Hommage à jean-Pierre Brisset 1956 : Le
carton de l’exposition sonne comme un Manifeste de sa technique picturale (« transe, vitesse,
abandon de soi, automatisme », ref. G.Bataille).

Le titre est un jeu de mots dans la veine surréaliste : sur le la forme (l’écriture-le mot) et le
fond (le sens). La référence à l’acte sexuel met en enjeu : Spontanéité, perte de contrôle,
authenticité, la folie, l’action, le geste physique... L’état mental de l’artiste doit être révélé par
l’acte physique de la création picturale. Le titre fait référence à JP. Brisset (pataphysicien)
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CHAPITRE II. RECONFIGURATIONS ARTISTIQUES INTERNATIONALES 1947-1964.

pour lequel parole, sexe et excès se confondent en un même geste. Selon lui, l’écriture est
une trace de psychose qui ouvre vers un horizon nouveau.

Hantaï se lance alors dans la création de grandes toiles dominées par un expressionnisme
gestuel. La toile laisse apparaître des rubans clairs sur un fond sombre qui circulent et
s'entremêlent sans fin.

Prise de distance du surréalisme en 1957 à l’occasion des Cérémonies commémoratives de


la deuxième condamnation de Siger de Bradant. Ce sera le point de départ d’un nouveau
questionnement de Hantai au sujet de la religion qu’il perçoit comme - l'«ultime tabou»
surréaliste. En mars 1958, Hantaï expose Peintures récentes. Souvenir de l'Avenir. À cette
occasion, il rédige son 3e et dernier manifeste les Notes confusionnelles, accélérantes et
autres textes pour une avant-garde «réactionnaire» non réductible.

Écriture-Rose et A Galla Placidia 1958-1959 : Pendant un an à partir de 1958, Hantai peint


les 2 toiles de format monumental simultanément, l’une le matin & l’autre l’après-midi.

Écriture-rose est une technique mixte d’encre sur feuille d’or collée sur toile de lin, le tableau
est un assemblage de 2 toiles cousues ensemble. Ces matériaux et les textes sont des
références à la peinture religieuse.
-Signes scripturaux : Il couvre la toile d’écritures pendant 1 an. Sa pratique répond à un
rituel répétitif rythmé par les messes du matin et par la copie des textes liturgiques en rentrant.
Aux textes religieux, il ajoute des textes philosophiques (Heidegger, Kant, Hegel)
-Signes non mimétiques/Géométriques : Ces signes ne sont pas anodins car ils relèvent de la
religion. Signalétique agissant comme une ponctuation.
-Signes non-mimétiques : petites touches ou aggloméras de formes relevant de sa pratique
picturale de l’époque Surréaliste - récurrents dans son travail.
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-Espace ouvert, recouvert d’écriture.


-Couleur : noirs, brun, rouge mais pas de Rose contrairement à ce qu’annonce le titre. Le
Rose émane du mélange des tons, tel un mirage/miracle optique, lié au phénomène de la
Révélation.
-Signes numériques : sur la partie gauche de la toile. Ils correspondent aux dates d’écriture.
Ainsi, on voit les 365 jours de peinture (temps et trace du travail artistique).

A galla Placidia
-Signes non-mimétiques : petites touches caractéristiques des signes qu’Hantai emploient à
l’époque. Un travail par enlèvement de matière et grattage avec « outil réveil ».
De ces signes émane, telle une apparition non plus un couleur mais une formes de croix.
-le Titre fait référence à un lieu = le mausolée de Raven au centre duquel il y a une croix.
Cette démarche est marquante car on a ici un artiste qui interroge à partir des moyens
plastiques, les pouvoirs de la peinture que sont : la génération d’une forme et d’une couleur
spontanée et autonome (dans l’œil).
La couleur (écriture + signes à la feuille d’or) renvoie aux tons liturgiques des primitifs
italiens.
La forme : renvoie à la croyance religieuse de l’artiste et aux signes plastiques partageant la
toile en 4. Cette forme que l’on va retrouver dans les œuvres suivantes (pliages où le châssis
disparait).
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Dans les années 1950, les peintures de ces artistes servent de paradigmes aux critiques Michel
Tapié et Charles Estienne pour affiner les définitions des différentes solutions plastiques liées
à l’abstraction lyrique. La multiplication des appellations témoigne de la compétition entre les
différentes formes de l’abstraction lyriques.

En 1950 Charles Estienne : le « Tachisme ». Ce critique met l’accent sur l’emploi de la


couleur pure, à l’état de tache (motif récurrent dans les pratiques picturales lyriques). Il la
considère comme « le degré zéro de la naissance de l’œuvre.».

En 1951 Michel Tapié : l’ « art autre » ou « art informel » renvoient à un art sans
références ni détermination dans lequel l’accent est mis sur le matiérisme et le gestuel.

Dans les années 1950, ces critiques vont ouvrir les portes du monde de l’art français à l’art
international et américain en particulier.

Jean-Paul Riopelle, La Roue (Cold Dog-Indian Antoni Tapies, Collage de paille, 1968,
Summer), 1955, h/t, 250x331cm, Montréal, Musée technique mixte/t, 37x51cm, Paris, Galerie
des beaux-Arts. Maeght.
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« Vers 1948 et 1949, des signes de saturation à la fois et de protestation commençaient à apparaitre
sporadiquement. Des peintres tels que Bryen, Dubuffet et surtout Wols, par exemple, s’étaient toujours moqués
du service social et de la géométrie décorative. De grandes expositions Picabia ou Matta (celui-ci venu du
surréalisme) faisaient scandale chez les abstraits. Le groupe CoBrA […] n’hésitait pas à se réclamer d’une
esthétique et d’une pratique du « barbouillage ». On s’intéressait de plus en plus à « l’art brut » et le critique
Michel Tapié proclamait que l’art non figuratif devait être « autre » - autre que la géométrie froide et sans
contenu. Enfin, bon nombre d’isolés – de ceux qui devaient plus tard se rapprocher dans le groupe Octobre –
repartaient à zéro, et non pas de la géométrie mais de la matière, de la substance même de leur peinture,
prissent-elles au besoin la forme de « taches ». (Charles Estienne, Combat art, 1950)

AVANT-GARDES EUROPEENNES
L’ART BRUT

Jean DUBUFFET (1901-1985, artiste français de formation académique).

Il est considéré comme le père de l’art brut. En 1945, il en définit le concept sous lequel il
place : « les productions de toute espèce (...) présentant un caractère spontané et fortement
inventif, aussi peu que possible débitrices de l’art coutumier ou des poncifs culturels, et ayant
pour auteurs des personnes obscures, étrangères aux milieux artistiques professionnels ». Jean
Dubuffet, Texte fondateur de la Compagnie de l’Art Brut, 1945-48, in Prospectus et tous les écrits suivants, t.1,
Paris, Gallimard, 1986, p167-172.

Enjeux:

- Retournement des valeurs habituellement admises pour la création artistique.


- Un Art Anti-culturel dont les mots d’ordre sont : le renoncement à l’idée d’artiste -
contre la maitrise d’une technique- contre les critères du beau – la provocation –
intérêt pour les formes d’art mineures (populaire) – recherche du spontané –
matériaux en lien avec le réel.
- L’acte de création est spontané et satisfait un besoin intérieur = « Opération
artistique brute-pur » (ibid).

Héritages :

Art naïf, surréalisme (graffiti), dadaïsme

Joseph Crespin,
Temple n°152, 1941,
h/t, 71x54cm, Ctr
Pompidou

Adolf Wölfli, Le Irren-Anstalt


Band-Hain de Wölfli, 1910,
crayon et journal, 99.7x72cm
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L’Art Brut intègre les productions D’ART NAIF. L’appellation du 19e S pour désigner les
productions hors les normes académiques ne suivant pas les recherches de l’avant-garde
de l’époque (l’impressionnisme). Il se caractérise par une représentation figurative de sujets
populaires et le non-respect (volontaire ou non) des trois règles de la perspective occidentale
définies depuis la Renaissance par Léonard de Vinci. L’art naïf était déjà apprécié des
Surréalistes.

Les GRAFFITIS : Différents de l’art des fous ou des naïfs, c’est celui des Prisonniers. Le graffiti
est une inscription, une griffure réalisée sur un mur. Cette pratique impulsive renvoie aux
origines de l’expression de l’homme de la préhistoire au 20e S (primitivisme). Ils intéressent
Dubuffet car il les considère, à la manière des archéologues, comme des témoignages non
littéraire, populaire - capables de révéler les aspects inédits des sociétés. Expression des
marginaux et des sans voix, ils vont contribuer à l’évolution de la définition de l’art Brut en
remettant en question la notion d’artiste. En effet, le graffiti n’est pas signé, il est la trace
d’une présence, d’une expression, d’une pensée qui reste Anonyme et donc par extension
pour Dubuffet Universelle.

DUBUFFET modifie sa manière de peindre et s’applique à lui-même sa Théorie d’un Art


Anti-culturel. À partir de 1942, il amorce son « déconditionnement artistique » pour se
libérer de toute influence culturelle. Il invente une figuration qui rompt avec les conventions
de la peinture occidentale et de l’abstraction avant-gardiste. Il s’inspire du dessin d’enfant et
des graffiti.
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CHAPITRE II. RECONFIGURATIONS ARTISTIQUES INTERNATIONALES 1947-1964.

Dans ses « Notes pour les fins-lettrés », in Prospectus aux amateurs de tout genre et tous
écrits suivants I, Paris, Gallimard, 1967, Dubuffet s’est clairement exprimé sur les intentions
qui animent ces premiers travaux :
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Série plus beaux qu’ils ne se croient (1946-1947)Travail expressionniste et Matiériste sur les
formes archétypales du portrait.

Série corps de dames (1950)


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Série des paysages du mental (1950’s) et des


texturologies – matériologies (1955-1960)

« Le toucher, le goût, l’odeur, ont tenu une place


capitale dans son inspiration. La sensualité des
choses les plus communes : la poussière, la boue, le
goudron, les pierres. Mais aussi le cosmos. Le
physique et la métaphysique. Séparer le physique
du mental lui a toujours paru sans fondement. »
Michel Ragon, Jean Dubuffet, Skira, 1989.
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COBRA (1948-1951) :
Acronyme de Copenhague, Bruxelles, Amsterdam.
(Danois) Asger Jorn,
(Hollandais) Karel Appel, Corneille et Constant
(Belge) Dotremont et Noiret

Enjeux et principes :
1. Capitale Bruxelles. Ce groupe exclus Paris en réaction à la domination artistique Parisienne,
ils lui opposent un art géographiquement ancré au Nord.

2. Ces artistes rejettent donc la pensée gréco-latine de l’art (l’intellectualisme ; le formalisme et


le dogmatisme). Ils défendent une pratique spontanée, populaire et collective de la peinture qui
serait ainsi une « véritable expression ».

3.CoBrA, rejet du réalisme engagé promu par le Parti Communiste (identifié comme un art de
propagande) ou celui onirique du surréalisme (trop théorique).

Deux évènements majeurs entérinent cette révolte et donnent naissance au groupe :


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GESTUALITÉ ET SPONTANÉITÉ MATERIELLE

Texte fondateur Asger Jorn, « Le Discours aux pingouins », Cobra n°1, 1949

Le discours de Jorn peut être défini comme une lettre à A.Breton dans laquelle il indique que
CoBrA n’est rien sans les apports du Surréalisme, mais que le mouvement s’engage dans la
voie que le Surréalisme aurait dû poursuivre.

Au principe d’« automatisme psychique pur », Jorn répond par celui de « spontanéité
matérielle » (un automatisme réaliste parce que matiériste) : « Notre expérimentation cherche à
laisser s’exprimer la pensée spontanément, hors de tout contrôle exercé par la raison. Par le moyen de cette
spontanéité irrationnelle, nous atteignons la source vitale de l’être. Notre but est d’échapper au règne de la
raison, qui n’a été, qui n’est encore autre chose que le règne idéalisé de la bourgeoisie, pour aboutir au règne
de la vie » (...) « On ne peut s’exprimer d’une façon purement psychique. Le fait de s’exprimer est un acte
physique qui matérialise la pensée. Un automatisme psychique est donc lié organiquement à l’automatisme
physique. Même l’automatisme psychique que l’on peut imaginer à l’intérieur de l’homme n’est pas purement
psychique. […] Mais au point de vue matérialiste la pensée est une réflexion de la matière, comme on le dit pour
les miroirs » (p.8).

Ce recadrage théorique du surréaliste se traduit par une peinture oscillant entre figuration
et abstraction, entre automatisme et maintien de l’imagerie mythologique toujours dans une
tension dynamique vitaliste.

A.Jorn, Vision rouge, 1944 Anton Rooskens, Composition avec lignes blanches, 1951.
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Alechinsky, Le Feu, 1950, 90x130cm


Alechinsky, Les Hautes herbes, 1951, 130x162cm
Alechinsky, Le monde perdu, 1959, 205x307cm, Paris, Ctr Pompidou.
Alechinsky, Alice grandit, 1961, 205x245cm, coll part.

Le geste devient plus libre et le signe gagne en mobilité. À l'instar d'Asger Jorn, Alechinsky
en appelle à une « spontanéité irrationnelle » qui triture la matière pour en faire éclore, non
une forme, mais un univers plastique mouvant. « Il s'agit moins de décrire une forme que de
peser une matière » (Alechinsky « Abstraction faite », dans Cobra, n° 10, 1951, p. 4). Dans

cette perspective, l'image ne constitue plus une fin en soi, mais la trace d'une expérience
corporelle où l'écriture tient une place centrale. Faite d'un enchevêtrement de signes qui prive
le spectateur de fixité, cette œuvre manifeste la volonté qu'a le peintre d'inventer un
vocabulaire personnel et de mettre en place une dynamique de fusion entre peinture et
écriture. Ainsi, dans les années 1950, la spontanéité se traduit chez Alechinsky par des
compositions all-over (à la manière de l’Expressionnisme abstrait). Les formes et les contres-
formes se mélangent annulant toute idée de début et de fin de la composition. Le regard se
perd et ne peut se poser nulle part.

Pour CoBra, tout acte créateur résulte ainsi d’une ‘conversation’ intime entre le matériau
choisi par le plasticien, sa main et l’outil qu’elle manipule. Pour certains, cette conception
‘matérialiste’ découle de la vision marxiste du développement de la société humaine.
D’autres s’engagent sur la voie du pouvoir de l’imagination matérielle envisagé par le
philosophe français Gaston Bachelard dans ‘La Terre et les Rêveries de la volonté’ publié en
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1948. Cobra trouve chez Marx et Bachelard un écho à sa conception de la créativité et du


monde.

Pour CoBra, l’expression artistique ne peut venir que du besoin spontané des hommes à
exprimer leurs sensations. Expérimenter, s’exprimer en toute liberté, le plus directement et le
plus spontanément possible seront leurs leitmotivs. Dès lors, les normes esthétiques
contraignant la pulsion créatrice naturelle de l’homme seront proscrites. Ce langage spontané,
oriente vers le thème de l’homme et de la nature.

SOURCES DU PRIMITIVISME - PRÉHISTOIRE, MYTHES NORDIQUES ET ARTS POPULAIRES

La volonté de se libérer de toute culture rationnelle va amener les membres de Cobra à


s’intéresser à d’autres formes d’art qui : l’art primitif, celui des enfants et des aliénés.

Karel APPEL (1921-2006 Hollande) Ses premières œuvres sont influencées par Picasso,
Matisse et Dubuffet. La première exposition de Karel Appel se déroule en 1946. Son œuvre se
concentre sur les choses simples et populaires. Dans les années 1946-1951, Karel Appel
réalise de nombreux panneaux de bois en relief et des peintures murales sur le thème de
l’enfant. Il les décrit comme des œuvres “puissantes, primitives, plus fortes que l’art nègre et
Picasso“. Emblèmes de révolte et de vérité, ces travaux font apparaître les enfants comme des
acteurs dérisoires d’une révolte impuissante.
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Les animaux ont aussi une place importante dans les œuvres des artistes de CoBrA car
comme les enfants, ils renvoient à un état de nature authentique.

Guillaume CORNEILLE (1922-2010 Belgique) Corneille peint alors avec une certaine
agressivité des animaux ou des êtres en proie à des monstres ou à l’adversité du monde. Sa
peinture acquiert progressivement plus de lyrisme, des couleurs chaudes et plus de nuances.
Dans les années 60, il revient à une peinture plus figurative, à un dessin plus cerné et à des
coloris plus vifs.

PRÉHISTOIRE, MYTHOLOGIE SCANDINAVE ET UNIVERSALISME.

Déjà dans le discours aux Pingouins, A.Jorn rendait hommage à la poésie et aux légendes
scandinaves. Il fait régulièrement référence à Johannes Wilhelm (poète et romancier danois)
qui mêle l’histoire à la légende. Ainsi, dans les œuvres de CoBrA, les mythes oraux
s’incarnent en images. Jorn publie dans la revue une série d’articles liant Arts populaires,
Mythologie scandinave et Universalisme. Ce rapprochement entre les temps anciens et
mythes du nord, est mis en scène par Corneille, Fête nocturne, 1950. Hommage aux
pratiques collectives et populaires communes aux différentes cultures. Il se traduit par

l’énergie colorée et le dynamisme du dessin. Dans la revue, l’œuvre est mise en relation avec
des photographies de gravures rupestres scandinaves et les reliefs d’Asger Jorn, soulignant
ainsi une proximité formelle entre ces productions.
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« Le Frey (Frö), de la fête populaire au mythe universel », Cobra n°7, 1950, est illustrée de photos de
statuettes primitives danoises du personnage de Frey (Frö) ; d’une fête populaire allemande ;
et d’un bas-relief suédois début VIIeS. En conclusion, est expliqué : « Nous n'avons voulu ici
qu’attirer l'attention, avec quelques documents inédits et quelques éléments d'analyse, sur
l'origine cultuelle et magique d'un des plus intéressants héros de la mythologie. » Cette mise
en scène comparative autour de la figure du vieillard (Frey) rend visible, la survivance d’un
motif iconographique du XIIeS au XXe S. Dès lors les animaux qui peuplaient au départ les
tableaux se transforment en êtes étranges et fantastiques issus de la mythologie nordique.
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Expérimentations & Images défigurées : A.Jorn a


réalisé 2 séries d’œuvres intitulées Modifications (1959)
et Nouvelles défigurations (1962). Dans les 2 cas, il
s’agit de peindre par-dessus des tableaux quelconques
chinés au marché aux puces. Chaque tableau, vivement
réinterprété à la manière de Jorn était relancé/prolongé
dans la modification de sa valeur même. Les peintures
modifiées par Jorn opèrent non seulement sur ce que
représentent les tableaux primitifs mais surtout, sur le
processus d’émergence de la forme (par accentuation) et
sur la valeur artistique qui est déplacée dans le
mouvement de la modification.
« Toutes les œuvres d’art sont des objets (...) mais ces
objets ne sont pas des buts en soi ; ce sont des instruments pour agir sur des spectateurs »
(Jorn, Catalogue d’exposition Peinture détournée, Paris, galerie Rive-Gauche, 1959). Le but
de l’artiste est de déplacer une valeur artistique déjà établie (une norme), c’est pourquoi son
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choix se porte sur des « mauvaise peinture », leur valeur peut être relancer/remise en question
grâce à l’acte de détournement.

DÉTOURNEMENT : Acte de réutiliser un matériau préexistant au profit d’un nouveau dispositif


sémiotique. Il s’effectue par les opérations : d’appropriation, de décontextualisassion, de
modification. Le détournement est un procédé dialectique de dévalorisation (valeur initiale) et
de revalorisation (nouveau sens, nouvelle valeur) dont le but est le dépassement de l’art et le
mobile, le renversement des classes et des normes de la société. Il s’agit souvent d’une
pratique artistique et politique. Chez Jorn, le détournement peut être compris comme un
procédé expérimental visant à la propagation de sa pensée de l’art et son aspiration à une autre
société. Lié à l’histoire de l’objet on note différents exemples dans l’histoire de l’art : Ex.
Cubisme : Picasso, Nature morte à la chaise cannée 1912. Ex. Dada : Duchamp, les Ready-
made 1913.

ENGAGEMENT – ART ET POLITIQUE

Engagés un temps aux côtés du parti communiste, la plupart des fondateurs de CoBra ont
tenté de réunir art et politique (marxiste), d’abord au sein du Surréalisme Révolutionnaire et
par la suite, ils prennent leurs distances avec les dirigeants communistes qui s’alignent sur
l’idéologie russe de Jdanov (champion du réalisme socialiste promu seul art révolutionnaire).
Les débats se multiplient au sein du groupe sans qu’il y ait consensus. En 1949, l’Europe est
divisée et la grande difficulté de CoBrA est de n’être ni à l’ouest ni à l’est. Le discours de
Dotremont, « Le grand rendez-vous naturel », Cobra n°6, 1949 prononcé lors de
l’exposition d’art expérimental d’Amsterdam, est un manifeste qui doit catalyser les énergies
du groupe et provoquer une rupture avec l’ordre dualiste mondial. En fait, les CoBras
accusent le surréalisme de privilégier le fond (le sujet) à la forme (la matière) et le taxent ainsi
de dualisme. Ce que Dotremont nomme « formalisme » est ici défini de manière négative
comme étant ce qui sépare l’individu de lui-même (autrement dit la norme, les
programmes...), c’est une « falsification rationnelle » de la réalité qui s’applique à l’art
comme à la vie. Finalement, l’intérêt pour les objets, la nature, les mythes primitifs
complètent la revendication d’un automatisme concret, désormais érigé en mode de vie (une
« façon automatique de vivre »).

Ainsi, il formule une critique de l’existence quotidienne contre laquelle CoBra existe. Son
renoncement à mode de vie normé lui permet de définir la peinture, comme une activité
naturelle sans frontières. Leur création veut s’ancrer dans tout ce qui est naturel et primordial
(la peinture comme matériel – matière – l’artiste comme être naturel). La spontanéité reste
donc l’arme contre le formalisme de l’art et de la vie (socio-politique). La liaison des arts
populaires (naturels et universels) aux propositions expérimentales de Cobra leur permet de
penser l’unité entre art et politique. Ainsi, pour CoBra le geste artistique dès qu’il commence,
est un geste politique.
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AVANT-GARDE JAPONAISE
GUTAI (1954-1972 – se disperse à la mort de son fondateur Yoshihara)
Région du Kansai, région pourtant réputée plus traditionaliste.
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AVANT-GARDE AMERICAINE 1951-1964


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Arshile Gorky (1904-1948)


L’un des rares peintres américains à avoir été rapidement reconnu en Europe (par A.Breton
lors de son exil américain). Il est considéré comme un pont entre le modernisme européen et
l’expressionnisme abstrait américain naissant. Il est présenté comme plus radical. Ses
premières toiles sont influencées par Cézanne et Picasso et plus tard il s’inspire de
l’automatisme surréaliste.

Le tableau fait référence à une ferme familiale en Virginie. Ce cadre pastoral a inspiré la
création de "The Liver Is the Cock's Comb", qui reflète à la fois l'environnement physique de
l'artiste ainsi que ses souvenirs des jardins de sa patrie (Arménie) et l'étroite affinité qu'il
ressentait pour la nature, en particulier le paysage. Les complexités et les contradictions que
Gorki ressentait sont traduites plastiquement en peinture. Gorki et beaucoup de ses
contemporains ont été fascinés par d'autres cultures, passées et présentes, en particulier leurs
mythes, leurs légendes et leurs croyances spirituelles. Le jeu de mots du titre avec les
références mythiques traduit cette appétence. Dans le monde antique, le foie symbolisait l'âme
et la passion de l'artiste. Le mot "Cock" se réfère indistinctement au coq et à l'argot pour
pénis. Cependant, « peigne de coq» (ou «coxcomb») désigne simultanément une plante à
fleur, un bouchon ou un imbécile. Dans la mythologie grecque ancienne, un coq a été sacrifié
au Priape, le dieu de la nature et de la fertilité. Bien qu’il existe des allusions claires aux
organes génitaux féminins et masculins, les formes globales de Gorki sont indéfinissables.
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ACTION PAINTING

Willem DE KOONING (1904-1997)

De Kooning, Woman I, 1950-52, h/t, 192,7x147,3cm, NY, MoMa.


De Kooning, Two figures in a landscape, 1968, h/t, 122.5 x154.0cm,
national gallery of Australia Cambera

Il s’est fait connaître à New York pour ses abstractions en noir et blanc, exposées en 1948,
auxquelles le critique Harold Rosenberg consacra un très influent article « Les peintres
d’action américains », publié en 1952. L’année suivante, De Kooning surprend le monde de
l’art américain en présentant une série de Woman. Cette série travaille sur la synthèse de la
figure humaine. Elle contient les principes de l’action painting : la disparition du sujet au
profit du geste et de la matière ; l’autonomie du médium indiquée par les coulures ;
l’expressivité, traduite par le geste agressif, la rapidité d’exécution et la couleur vive et libre.
Agressivité transmise au personnage dont le visage grimace. Le corps est déchiqueté et aplati,
affirmant par-là la planéité de la toile. De Kooning réalise un retournement des valeurs
traditionnelles du portrait en renonçant à la perfection du nu féminin. Il opère une
désacralisation du genre portrait et des canons de beauté. Ce genre, considéré alors comme
anachronique, lui permet d’entrer en compétition avec la grande tradition de la peinture
occidentale (qu’il considère comme « vulgaire et charnel », conférence 1950), il vise les
portraits féminins de Matisse et de Picasso, dont l’héritage est revendiqué pour mieux être
détruit. Le travail préparatoire des tableaux, entre dans la réalisation de l’œuvre finale. De
Kooning, colle des fragments de dessins réalisés sur papier ou sur calques à ses toiles.
Par la suite c’est au grand genre du paysage auquel s’attaque l’artiste. Le geste est moins
maitrisé, les figures humaines se confondent avec la nature, signe d’une recherche d’une
peinture vivante.

Jackson POLLOCK (1912-1956)


Le Champion de l’art US, rendu célèbre par les théories de l’art de C.Greenberg et par les
photos et les films de Hans Namuth. Il a suivi les cours de Breton en 1930-1932 et en a gardé
un fort intérêt pour les surfaces dynamiques et rythmées. Il a aussi beaucoup regardé
l’artisanat indien et les fresques des artistes mexicains. Il retient des tableaux de Miro et
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Masson, l’automatisme, non pas psychique mais physique, reposant sur l’exploitation des
propriétés de chaque matériau.

Pollock traite principalement de thèmes mythologiques amérindiens, faisant ainsi une


synthèse des influences reçues.
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1942-1943 apparaissent des aspects plus neufs. Sur plusieurs toiles, la surface est parcourue
de tracés linéaires formant comme une sténographie dépourvue de sens. Le rythme des
couleurs crues forme des compositions sans point focal (all-over). Il faut attendre 1946 pour
que ces deux aspects soient systématiquement exploités par l’artiste.
1947 que Pollock abandonne le pinceau. Il lui préfère le dripping (projection de peinture sur
la toile) ou le pouring (coulage du matériau à partir du pot de peinture ou d’un bâton).
1949, le magazine Life consacre un article illustré à Pollock sous le titre : « Est-il le plus
grand peintre américain vivant ?». Rendant ainsi célèbre un personnage dont la mort brutale
fera bientôt un mythe. L’article souligne l’indépendance de l’art américain, et sa capacité à
dépasser la production européenne.
Pour aller plus loin : Vidéo Hans Namuth : https://www.youtube.com/watch?v=dYFxUURtzbw
https://www.youtube.com/watch?v=6cgBvpjwOGo Exposition : http://www.marc-restellini.com/wp-
content/uploads/2017/02/DP-Pollock-FR-BD.pdf
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Ses premières œuvres issues de simplifications, se lisent comme des paysages toujours
déchiquetés ou enflammés par la couleur. Il réduit la Nature à des configurations naturelles
essentielles tels que : ravins, cañons ou crevasses. Ses peintures évoquent des paysages
géologiques surréels, déchirés par des éclairs de couleurs vives qui donnent la lumière au
tableau. (NB. Récupération par la critique : images des paysages Américains). Il cherche à
être au plus près des éléments de base qui donnent vie au monde. Il crée ainsi un espace
Mythique d'une rare originalité. Les Œuvres de C.Still sont à mi-chemin entre Action painting
et Color field painting.

COLOR FIELD PAINTING


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Marc ROTHKO (1903-1970) Chef de file du Color field painting.

Comme Still, Rothko entame une réflexion sur le Paysage. Si au départ, ses peintures se
caractérisent par une recherche de la couleur autonome qui se traduit par une palette
colorée vive et variée où les couleurs s’affrontent en différents plans colorés. Très vite
l’artiste opère une réduction chromatique et ne retient que 2 couleurs voire, une seule
couleur déclinée en ses divers tons.
Son usage particulier du Monochrome est hérité de (Matisse) et des expérimentations
Suprématistes (Malevitch). Comme lui, Rothko s’inscrit dans une démarche artistique
spirituelle méditative. On retrouve la référence au Carré noir en tant que fenêtre ouverte sur
un au-delà de la peinture. Ses tableaux sont des champs d’expérience de l’espace et de la
couleur, des invitations à rencontrer physiquement le médium et à dépasser cette réalité de la
peinture.
La question du primitivisme se traduit par l’importance du fond (espace primordial, genèse
de l’espace et des formes). En effet, c’est du contraste du fond que la surface plane s’anime
par l’ombre et la lumière. La peinture déborde des limites de la toile, les formes colorées
flottes sur le fond, les contours sont imprécis.
Tous ces éléments contribuent à donner un aspect inachevé. Cet aspect embryonnaire des
toiles de Rothko, répond à son projet de montrer une peinture en gestation, qui rayonne dans
l’espace, et qui ne peut atteindre le stade d’achèvement que dans le regard du spectateur.
Cette intention de l’artiste renvoie à la question de la matérialité de l’œuvre qui traversera la
suite de l’art contemporain.
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Barnett NEWMAN (1905-1970)

Cet artiste s’intéresse aussi aux grands mythes


afin de produire une peinture autonome et
universelle (The Death of Euclid 1947 ou plus
tard la question religieuse avec Station of the
Cross.) Il y a chez lui comme chez Rothko, une
conception spirituelle de l’art.
Avec les principes d’Euclide, il répond à la
théorie formaliste de Greenberg (réduction des
moyens picturaux, affirmation de la planéité de
la toile).
Dès 1947, il revendique une peinture autonome
fondée sur espace autre, dynamisé par la
couleur pure.

Barnett Newman, The Euclidean Abyss 1947, Huile et


gouache sur panneau 70.5 x 55.3 cm Collection privé

Stations of the Cross, 1958, h/t, Lema Sabachthani,


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DE PARIS A NEW YORK


Dans un article sur l'École de Paris écrit en 1946 (repris en français dans le recueil intitulé
"Art et culture"), Greenberg explique que Paris est la principale antenne de la modernité, son
centre nerveux, le lieu qui transmet le plus fidèlement l'essence historique de notre
civilisation. Qu'est-ce que cette essence historique? C'est la révolution industrielle, première
révolution technologique totale, qui est à l'origine de l'éthique industrielle bourgeoise avec
son positivisme conscient et inconscient. Elle induit un esprit de l'époque qui privilégie la
sensation immédiate, la recherche de la matérialité, et réduit radicalement les associations
liées à l'acte visuel.
Corrélat : Quand la peinture respecte ces critères, elle peut avoir le plus haut niveau de
qualité, autrement elle est généralement médiocre ou inaboutie.
Constat : Comparant en 1953 la peinture française d'après-guerre à l'expressionnisme abstrait,
il estime que les peintres américains ont retenu la leçon de Klee, Miro et Mondrian (l'art
abstrait). En revanche les peintres français ont perdu le lien avec l'époque. Quelles que soient
leurs qualités individuelles, leur peinture est secondaire.
Objection : Greenberg critique les peintres qui se permettent l’illusion ou le mélange (pop-
art, kitsch = Kandinsky) ; cultivent l'éclectisme ou l'hédonisme, exagèrent la sensualité
(Matisse, Soutine), etc...
Confirmation : la « bonne vision » de Greenberg s'est souvent transformée en norme
stérilisante (dogme de la peinture abstraite dans les années 1950-60).
La concurrence entre École de Paris et École de New York se manifestera à travers les
expositions des années 1950 dans lesquelles les artistes américains seront mis à l’honneur. La
victoire de New York, comme nouvelle capitale de l’art, sera entérinée par la victoire de
l’artiste Robert Rauschenberg lors de la Biennale de Venise 1964. Scandale vécu comme une
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trahison par Paris, car c’est l’élection d’une esthétique à mi-chemin entre Expressionnisme
abstrait et du bricolage, fabriquée, intégrant des objets quotidien.

Pour aller plus loin


Postulats de Greenberg, extraits d’Art et culture, 1988 :

"Pour réussir, l'art de notre époque doit refléter son essence"

« Le modernisme est une tendance à l’épuration de chaque art, qui doit toujours aller jusqu’au bout de
ses propres règles (...) la peinture moderne se focalise sur les limites qui constituent médium : le
support, le pigment et la surface plane, qu’elle ne partage avec aucun autre art » « La réduction
esthétique de l’art moderne met en œuvre les idéaux du monde industriel et machiniste : ajuster
exactement les moyens à leur fin »

« L’élimination de la représentation dans l’art abstrait tient à une double limitation : de la peinture à un
espace plat, et de la sculpture à un espace ouvert »

« L’art contemporain trouve son principe dans la foi en l’immédiat et le gout pour le concret qui
caractérise l’époque » « Le meilleur de l’art abstrait est le meilleur de l’art de notre époque »

C’est quoi le modernisme ?

Le modernisme est une posture qui radicalise certains traits de la modernité. Théorisée dans les années
1950 mais apparue beaucoup plus tôt, dès la fin du 19ème siècle (voire avant), elle concerne tous les
aspects de la société, et peut se manifester à peu près n'importe où, dans les domaines technique,
idéologique ou éthique. Dans le champ artistique, elle est mise en œuvre par des individus, des
courants informels ou des avant-gardes. Elle affecte d'abord l'art, mais pas seulement. Clement
Greenberg en a été le théoricien et le défenseur, et quoi qu'en dise ses (nombreux) ennemis, la
dynamique moderniste persévère après lui (et sans lui).
Une tendance à la réduction esthétique ou à l'épuration de chaque art, de chaque genre ou de chaque
style. Il faut, avec le plus de rigueur et d'intégrité possible, aller jusqu'au bout de ses propres règles ou
conditions d'existence, en écartant tout autre critère. Par exemple, si l'on définit la peinture comme une
tension entre le contenu du tableau et sa surface (Cézanne), on essaiera de pousser cette tension à ses
ultimes conséquences. Si on la définit par la planéité, on la voudra totalement plane (Pollock). Si on
définit la sculpture par son matériau, elle va en explorer toutes les qualités optiques. Si l'on considère
que l'œuvre doit être déterminée par son support, on la juge à cette aune et pas autrement, etc... Dans
tous les cas, l'art se désintéresse de la représentation et se tourne vers lui-même. Il lui faut défendre
son essence ou sa pureté contre toutes les menaces de contamination.
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R.RAUSCHENBERG (1925-2008)

À partir des 1950, il entame un travail sur le Monochrome :


Les White painting sont lisses, la seule image est l’ombre réfléchie par le spectateur.
Équivalent pictural des plages de silence de John Cage en musique.
Les Black painting sont plus matiéristes, faites d’empâtement et de matériaux expérimentaux
comme l’émail.
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En 1953, il réintroduit la couleur avec la série des Red painting. Cette série est importante car
elle est à la fois une synthèse des expérimentations abstraites de Rauchenberg (son
appartenance à l’expressionnisme abstrait-colour field painting et le matiérisme de l’action
painting). Mais elles e sont surtout un dépassement, car l’artiste introduit des corps étrangers
à la peinture comme des morceaux de rideau, ou des objets manufacturés.Ce retour de
l’objet dans l’art est le signe d’un autre héritage que le surréalisme : c’est le retour de Dad et
du ready-made.
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Association incongrue, d’un tableau abstrait posé au sol, d’une chèvre angora au museau
peint, d’un pneu d’automobile, et de différents collages allant d’une balle de tennis à
différents papiers imprimés.
Le titre Monogram rend ce montage énigmatique. Monogramme : un entrelacement de
plusieurs lettres en un seul caractère, composé ici de l’enchevêtrement du bouc et du pneu.
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A pu être interprété comme un autoportrait de l’artiste et de ses idées et une provocation au


sens et à toute idée de beauté en Art.
Cette œuvre est différente des assemblages insolites des surréalistes. La combinatoire
d’objets, d’images et de tracés de peinture ne vise pas à l’unité perceptive, mais au contraire
affirme le morcellement. Malgré leur interaction, les objets sont présentés pour ce qu’ils sont
de manière irréductible. Œuvre Rébus – plurivoque : L’œil du spectateur n’est plus dirigé.
Chaque spectateur prend un chemin qui lui est propre, un sens qui lui est propre.
Si le pneu renvoie à l’enfance de l’artiste habitant près d’une usine à pneus, l’association avec
la chèvre empaillée pose question. Rauschenberg raconte le Souvenir de sa chèvre « Billy »
tuée par son Père. Mais on sait que l’artiste a acheté cette chèvre à un marchand de fournitures
de bureau qui l’avait acquise par erreur.
La chèvre est la gardienne de l’art et destructrice de l’art.
Le museau couvert de peinture, elle fait corps avec le médium traditionnel mais en même
temps elle piétine le tableau – elle le détruit en le foulant. La balle de tennis miteuse placée
derrière la chèvre suggère qu’elle a déféqué sur la peinture.
La chèvre a toujours eu une place majeure dans nos cultures.
 Elle est une représentation totémique de la femme (symbolise l’âge de la maturité).
 Dans l’art paléochrétien la chèvre renvoie aux damnés  peut exprimer la condition
de Rauschenberg en tant qu’artiste homosexuel.
 La chèvre Amalthée nourricière qui allaite Zeus enfant. Zeus l’honorera en la plaçant
comme constellation dans le ciel (constellation du capricorne).

Monogramme, peut être lu comme la rencontre entre l’univers pastoral, l’héritage historique
et culturel et la civilisation urbaine. Ces sujets se retrouvent à la même époque dans la Beat
Génération (Kerouac traite du désenchantement de la société de consommation).

Cette composition force la rencontre entre l’art et la vie. Cette recherche qui traverse toute son
œuvre aboutit à une critique de la grande peinture traditionnelle mais surtout une critique de
l’Expressionnisme abstrait dont il dénonce la répétition exténuante jusqu’à l’académisme. le
(ref. le tableau couché au sol, parodié).

En 1964, la victoire de Rauschenberg sonne comme la fin de la peinture de chevalet et ouvre


la porte aux esthétiques Néo figuratives qui veulent revenir au réel et à l’objet.

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