Vous êtes sur la page 1sur 10

I.

FONDEMENT THEORIQUE
Le pouvoir de la couleur dans l’expressionnisme abstrait

Pourquoi parler de l’abstraction ?

L’abstraction en peinture est un vaste champ d’expérimentation qui se positionne en dehors de la figuration et se concentre sur
l’agencement d’éléments plastiques (point, ligne, couleurs, matières). De très anciennes cultures l’ont employée, que ce soit en
Afrique ou encore en Australie, en Inde ou chez les peuples d’Amériques du Nord.

En occident, au gré de réactions à l’histoire du monde, (et à celle de l’art lui-même), les artistes ont utilisé l’abstraction à partir du
début du XXème siècle pour exprimer leurs idées, des sentiments, ou encore de façon plus fonctionnelle, pour mettre en évidence
les matériaux eux-mêmes, et s’extraire des contraintes de l’illusionnisme. Elle invite, d’une façon plus radicale que l’art figuratif, à
vivre une expérience sensible. Traversée par des approches très dogmatiques, ultra conceptuelle et parfois déroutante, elle a
souvent été mal comprise des non-initiés.

A l’inverse, la spontanéité et la sensibilité exprimée par l’abstraction lyrique sont des entrées plus accessibles dans le domaine de
l’abstraction picturale. Elle est d’ailleurs issue d’une volonté, de la part des artistes, de renouer avec le spectateur, à travers une
démarche basée sur un émotionnel exalté et libérée de tout dogmatisme. Les expressionnistes abstraits, que l’on peut définir par
l’école américaine de l’abstraction lyrique, se sont propulsés au-delà de l’influence européenne, en se libérant des règles
dernières picturales, des dernières contraintes matérielles, pour exprimer pleinement leur énergie créatrice. Les très grands
formats employés caractérisent cet expressionnisme du milieu du XXème siècle et amplifie les effets picturaux de leur travail. La
couleur et la ligne sont les deux grands éléments plastiques mis en avant par les peintres américain de ce courant.

En considérant la pratique des artistes de l’expressionnisme abstrait, nous nous questionnerons sur l’emploi de la couleur. Nous
chercherons en quoi elle s’articule avec la facture et avec le format dans une démarche expressive. Nous tendrons vers
l’émergence d’une problématique, qui nous permettra de construire une proposition didactique basée sur un questionnement
fondé.

Matérialité de la couleur expressionniste

De nombreux mouvements artistiques, bien avant les expressionnistes abstraits, avaient déjà mis en avant l’importance de la
texture donnée à la surface du tableau. Résultat de la combinaison de la matière de la toile et de son apprêt éventuel, de la
composition physique de la peinture, et de la gestuelle de l’artiste, la faktura fait son entrée comme élément plastique, en Russie
au début du XXème siècle. Elle devient alors un élément plastique à part entière. On peut souligner que déjà Delacroix, grand
virtuose de la palette au XIXème, qui utilisait de la peinture très fluide au début de sa carrière, considère vers la fin de sa vie que les
coloristes « doivent masser avec la couleur comme le sculpteur avec la terre »1. En Russie, c’est le critique d’art de l’époque
constructiviste Nikolaï Taraboukine qui relève que les impressionnistes attirent l’attention sur les textures de leurs tableaux, « qui
ne sont plus l’élément inférieur qu’elles étaient pour les maîtres du passé ».2

La liberté recherchée par les expressionnistes vers la moitié du XXème siècle aux Etats-Unis, les poussent à s’affranchir de tout
dogme, de toute tradition et de toute règle, concernant la manière de travailler la peinture. Ainsi se libèrent-ils de théories tant sur
les techniques de fabrication, que sur l’assemblage des couleurs et prennent-ils le parti d’une utilisation plus intuitive et empirique.
Il découle de ce parti pris l’utilisation de toute sorte de qualité de peinture, choix engagé et peut-être aussi économique, influencé
par la réalisation de grand format demandant une quantité importante de matériel. La mise en évidence de ces matières,
nouvelles ou non, a marqué la peinture des Expressionnistes abstraits.

La matérialité lourde des peintures employées a servi de réceptacle au geste pictural, témoignant ainsi de l’incroyable énergie
déployée par les artistes de l’Action Painting. On peut supposer que la couleur s’exprime chez eux davantage comme un
matériau à sculpter que comme une surface rayonnante. C’est dans ce sens que Jackson Pollock fait un choix majeur durant
l’hiver 1946-1947, en commençant à couler la peinture directement sur la toile posée à même le sol. A partir de cette année-là, il
s’engage de façon définitive dans l’abstraction, le Dripping, procédé d’application qui fera son originalité au sein du mouvement.
La peinture, projetée ou coulée, s’accumule en une profusion de traces d’une extrême densité. Pollock en vient à utiliser des
peintures industrielles, peinture de carrosserie métallisée ou peinture à base de résine susceptible d’adhérer à la toile et de
supporter leur poids une fois verticalisées. On atteint chez lui une matérialité extraordinaire du tableau où la couleur se met à

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1 Eugène Delacroix, Journal, 23 février 1852, texte établi par Paul Flat, René Piot, Plon, 1893
2 Le Dernier Tableau, Nikolaï Taraboukine, traduction du russe par Michel Pétris et Andréi Nakov, éditions Champ libre, 1972.

! "!
exister pour elle-même à la limite de la peinture et de la sculpture. Ainsi l’œuvre One : Number 31 de 1950 offre au regard un
enchevêtrement de projection filandreuses de peinture à l’huile et à l’émail, qui semble restituer de façon gigantesque l’agitation
enchevêtrée des manifestations de la Vie elle-même. Le scintillement généré par l’usage de peinture à l’émail accentue cette
sensation de vibration vitale qui n’est pas sans rappeler les effets donnés par Monnet sur ses Cathédrales de Rouen. Dans cette
version abstraite comme chez Monet, la teneur matérielle de la toile participe à la sensation d’un réalisme paradoxale, qui
dépasse l’illusionnisme classique, pour offrir au spectateur une authentique manifestation du réel.

A l’inverse de cette matérialité positive et dense, s’organise une tendance exploitant plutôt la transparence et la fluidité de la
couleur. Helen Frankenthaler découvre avec enthousiasme l’utilisation brut de la peinture directement sortie du pot et coulée sur
une toile. Chez elle, le support, dépourvu d’apprêt, absorbe littéralement la couleur et compose avec elle, offrant un potentiel de
variation renouvelé et une planéité lumineuse de la couleur jusqu’alors inconnue. Frankenthaler n'est pas un peintre d'action.
Chez elle, c'est la fluidité de la peinture qui anime son œuvre et non le mouvement, comme chez Pollock. Cette transparence
nous offre la perspective d’entrer dans la profondeur de la toile, de pénétrer dans le tableau, qui ne constitue pas un obstacle mais
un univers à explorer. Le réalisme offert par le comportement naturel de la matière est toujours présent, relié à des élément de la
nature par la peintre : ainsi, Montagnes et Mer, œuvre fondatrice dans laquelle Frankenthaler utilise pour la première fois des
tâches de peinture diluée à même une toile brute, réfère-t-elle à une référence paysagiste, (inspiré par son souvenir des falaises
de Nouvelle Ecosse). L’aspect organique des formes fluides et transparentes qui compose la toile justifie autant cette corrélation
que l’intention assumée du peintre qui déclare : « J'ai un sens de l'espace que je pourrais mettre en relation avec des
paysages »3.

Valeur formelle de la couleur

Au delà des liens qu’elle entretient avec la matière qui la compose, l’œuvre de Morris Louis nous amène à nous questionner sur
les échanges entre les couleurs et les formes qui lui sont données. Les « Unfurled » articulent formes et couleurs dans un jeu
subtil qui influence la perception du spectateur. L’orientation à 45° des tracés par rapport à l’horizontalité du format génère un effet
de perspective qui entre en conflit avec la planéité de la toile, accentué par l’aspect des teintes employées, liquides et opaques.
Cette forme en « entonnoir » porté à un format immense aspire le spectateur au centre du tableau, où il est empêché de la
possibilité d’apprécier en même temps les deux séries de couleur situées sur les cotés. Cette réception indirecte dans la
périphérie de la vision induit une vibration particulière des couleurs par rapport à l’infini de la toile laissée « ouverte », qui s’offre
frontalement au regard.

La conscience d’une réelle valeur formelle de la couleur arrive avec l’abstraction européenne et le travail d’Hans Hoffman, qui crée
une passerelle entre le mouvement européen de l’Abstraction Lyrique - initié par Kandinsky, notamment et marqué par Robert
Delaunay dont il sera l’assistant - et la scène américaine qu’il rejoindra en 1930. Hoffman défends l’idée que la valeur formelle de
la couleur conditionne la forme, théorie qui trouvera son point culminant dans le « push and pull », qui juxtapose des formes
autonomes dont les couleurs détermine l’organisation spatiales (de par leur couleur, et les contrastes qu’elle entretient avec les
couleurs environnantes, certaines formes « avancent » quand d’autres « reculent »). Même si les Delaunay ne travaillaient pas
ouvertement sur la valeur formelle de la couleur mais sur la notion purement coloriste de « contrastes simultanés », on ne pourra
considérer les découvertes d’Hoffman sans penser à leur travail (on pensera pour exemple au dessus de lit en patchwork crée
par Sonia Delaunay pour son fils, œuvre d’art appliquées fondatrice, qui exercera une influence majeure sur le développement de
son travail et sur celui de son mari.)

Les démarches empiriques des Delaunay furent exploitées pleinement et développées par le peintre allemand Josef Albers. Il
devint lui aussi une source d’influence notoire après son arrivée aux Etats-Unis en 1933, contribuant lui-aussi au lien entre école
européenne et américaine de l’Abstraction Lyrique. Albers chercha à séparer la couleur de ses relations avec les formes. Il
défendit l’idée que la forme n’influençait pas les couleurs et que le carré était une forme totalement neutre qui ne servait que
l’expression des couleurs dans une totale autonomie « Pour moi, la couleur est le moyen de mon idiome. C’est automatique. Je
ne rends pas « hommage au carré ». C’est seulement le plat dans lequel je sers ma folie de la couleur »4. Pourtant, la disposition
des carrés d’Albers, rassemblés sur le bas de la toile, exerce une sensation de perspective influencée par les effets des couleurs
suivant la théorie du « push and pull ». Selon les couleurs employées, certains carrés avancent alors que d’autres reculent et
l’espace suggéré dans le tableau est alors modifié.

L’immersion sensorielle

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
3 Encyclopædia Universalis [en ligne], Élisabeth LEBOVICI, « FRANKENTHALER HELEN (1928- ) », consulté le 17 février 2016. URL :
http://www.universalis.fr/encyclopedie/helen-frankenthaler/!
4Couleur & Culture, John Gage, traduction de l’anglais par Anne Béchard-Léauté et Sophie Schvalberg, éditions Thames & Hudson, 2008

! #!
Chez les artistes de l’école de New-York, à laquelle s’apparente les expressionnistes américains, la couleur répartie en « all-
over », (c’est à dire de façon égales sur toute la surface) et s’articulant à des formats immenses, propose une véritable immersion
sensorielle au spectateur. Ces formats démultiplient les effets de matérialité et de valeurs formelles précédemment explicitées,
invitant à une expérience extrême du réel de l’artiste.

Devant les œuvres de Jackson Pollock, le spectateur est littéralement submergé par la puissance de sa gestuelle ; on a d’ailleurs
d’abord parlé en qualifiant son œuvre, de la violence qui s’en dégageait. Quand on se trouve devant une reproduction de One :
number 31, on pourrait croire, si l’on est pas renseigné, qu’il s’agit d’un travail de moyenne, voir de petite dimension. Mais c’est
justement l’échelle des traces qui est impressionnante : ce qui pourrait s’apparenter, dans cet enchevêtrement, à une brindille, a
finalement la taille d’une branche et par extension ce qui aurait giclé donne la sensation d’avoir été projeté avec une grande force.
Il se dégage finalement de cette addition de peinture projeté, de cette addition de forces entremêlées, une puissance
phénoménale, à laquelle le spectateur ne peut échapper sans la possibilité de prendre un recul suffisant.

La recherche de libération formelle, laissant libre court à l’expression colorée de Noland, arrive à son apogée chez Barnett
Newman. Il propose l’expérience immédiate et totale d’une idée pouvant être vécue sensoriellement : « Seule est signifiante l’idée
pure »5. Il est un des artistes avec lesquels le « Colorfield painting » est poussé à son paroxysme, la couleur étant pour lui
l’élément expressif entre tous. Les toiles peuvent être immenses : 242,2 x 513,6 mètres pour Vir Heroicus Sublimis, comme pour
être sûr d’englober le champs visuel du spectateur. Sans bordure, sans fin, le tableau n’existe alors plus comme objet, et le
spectateur quitte le monde réel. Il est noyé dans la luminosité éblouissante de la couleur, rendue par l’emploi de fines couches
transparentes, pour une perdition sensorielle où rien d’autre ne subsiste que l’état du peintre. Ça et là, une ligne verticale apparaît
avec plus ou moins de netteté, dont la couleur entre en vibration avec la dominante de la toile.

Mark Rothko ouvre encore plus grandes les portes du sublime : ses peintures immenses donnent accès à l’infini dans les trois
dimensions. La profondeur du tableau est rendue, là encore, par une pratique de glacis auxquels il ajoute parfois, selon les effets
recherchés, de l’acrylique. Cela confère à « l’intérieur » de la toile une luminosité irradiante, qui invite le spectateur à pénétrer
l’œuvre, comme à se laisser baigner par elle. Latéralement, les bords du tableau sont niés par la couleur qui se dissout avant d’y
arriver. Des formes floues, sensuelle et voluptueuses, flottent ainsi par devant la profondeur infinie du tableau, offrant au regard de
multiples composantes vibratoires. L’espace qui reste parfois présent entre chacune d’entre elles, comme dans Rouge, blanc et
brun de 1957, ouvrent des brèches vers l’angoisse du néant contre lequel l’artiste était en lutte permanente.

Cet extrait d’Hofmann traduit bien l’origine des expériences des artistes américains : le partage d’un acte libérateur face au
déchainement émotionnelle qui secoue la nature humaine : « L’art est toujours spirituel, il est toujours le résultat d’une
introspection et trouve son expression par l’intermédiaire de l’entité naturelle qu’est le médium. Chaque médium a ses propres lois
: parce qu’il est fondé sur elles, on peut le faire vibrer et résonner lorsqu’il est stimulé par des impulsions directement issues du
monde naturel, […] L’artiste intensifie ses concepts, condense son expérience en une réalité spirituelle complète en soi, et crée
ainsi une nouvelle réalité dans les termes du médium. L’œuvre d’art est donc un monde en soi mais qui reflète le monde sensoriel
et émotionnel pour l’artiste. »6

Pourquoi et comment aborder l’abstraction avec des élèves de Grande Section de Maternelle ?

L’abstraction expressionniste offre une liberté dogmatique qui laisse le champ libre aux expérimentations de toute sorte. Au sein
de l’expressionnisme abstrait, la couleur apparaît comme une constante qui s’articulent à la facture (matière, support et geste), à
la forme et au format pour exprimer une idée pouvant être vécue sensoriellement, à la fois par l’artiste et par le spectateur : un
« monde sensoriel et émotionnel » ainsi que défini par Hoffman.

La séquence d’enseignement proposée est issue du questionnement qui ressort des observations précédentes : « rendre visible
l’invisible » ou comment rendre visible une émotion, sentiment impalpable et fugace, puissant, et parfois difficilement exprimable ?

L’expression des émotions est un point clé du programme de cycle 1 dans le domaine des Arts Visuels où « Les enfants
apprennent à mettre des mots sur leurs émotions, leurs sentiments, leurs impressions, et peu à peu, à exprimer leurs
intentions et évoquer leurs réalisations comme celles des autres. » Et ce, dans le but de « Vivre et exprimer des émotions,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
! *+,
"!"#$%&'(&)) &-.*/0,1&#$%&'(&)*"+,%-(,.(-'$&)(&*"/&0,.(*"12--(3*"450602-7"897,%(-*":;;;<"
=
">?6&906"5@$-"6(?6("5("123A9--"B+$&"C(7"'$67"5("C@9&6B"D$'C04"(-"EFG:"59-7"23,&45$6.73%08*"H2C<E*"-IEG*"0-"#$%&,6&2395$.,&:;<<=:;;<*"
>5<19J9-*"K9&07*"EFFL*"D<GFF<"

! $!
formuler des choix », l’un des objectifs visés dans le programme d’enseignement de l’école maternelle publié au Bulletin officiel
spécial n°2 du 26 mars 2015.

On se rappellera que l’expression des émotions est une préoccupation centrale chez les enfants de cycle 1, encore en prise avec
des difficultés à déterminer et à exprimer clairement ce qu’ils ressentent, en lien avec l’émotion provoquée. Mener ce travail par le
biais de la couleur, de façon non verbale, pourra constituer une passerelle intéressante vers la mobilisation du langage dans une
action interdisciplinaire.

Dans le cadre d’un travail sur l’année autour des émotions, les élèves auront déjà abordé le sujet par la rencontre de références
littéraires et artistiques et par la mise en place de rituel thématisés. Ils seront, dans le cadre de la séquence proposée, amenés à
traduire leur émotion par une production bidimensionnelle, en opérant un choix parmi deux approches picturales distinctes,
découvertes de façon expérimentale.

II. PARTIE DIDACTIQUE

La problématique à laquelle nous sommes arrivés aux terme des recherches précédentes, « Rendre visible l’invisible », va nous
amener à questionner avec les enfants le pouvoir expressif des couleurs, en association avec le format et la facture. La séquence
ci-dessous propose une progression en trois séances, basée sur l’expérimentation, avec des élèves de cycle 1. Elle doit leur
permettre de trouver les moyens d’exprimer une émotion de façon visuelle en utilisant la couleur sur un support bidimensionnel.

Les compétences visées au travers de cette démarche doivent conduire les élèves à pouvoir :
• choisir différents outils en fonction d'un projet ou d'une consigne et les utiliser en adaptant son geste
• réaliser des compositions plastiques, seul, en réinvestissant des techniques et des procédés
• vivre et exprimer des émotions, formuler des choix

Ces compétences sont extraites du socle commun de connaissances et de compétences publié au Bulletin Officiel Spécial n°2 du
26 mars 2015.

1. Présentation de la séquence

La séquence sera proposée à des élèves de Grande Section de Maternelle : elle demande déjà une certaine habitude dans la
capacité à reconnaître et à nommer les émotions. Elle est accessible aux élèves de tout milieu : urbain ou rural, favorisé ou non.
En raison des pré-acquis explicités ci-dessous, et de la nécessité de travailler dans la cour pour les grands formats, elle sera
proposée au troisième trimestre.

Le titre de la séquence en est aussi l’incitation verbale : « La couleur dans tous ses états ! ». Un rappel du sens de l’expression
« dans tous ces états » sera sûrement nécessaire afin d’envisager le lien entre couleur et émotion. Ainsi les élèves seront en
mesure de se projeter dans un travail diversifié autour de la couleur en lien avec leurs émotions.

Pré-acquis et transversalité

Les élèves ont travaillé sur les émotions de façon transversale au cours de l’année. Dans les jours précédent la séquence, ils ont
découvert et travaillé sur l’expression des émotions dans les albums « Ça va pas » de Charlotte Légaut, aux éditions du
Rouergue et « La Grosse Colère » de Mireille d’Allancé, éditions Ecole des Loisirs. A partir de ces ouvrages, ils auront pu prendre
conscience que l’émotion ne se voit pas mais qu’on peut pourtant la représenter de diverses manières. Dans l’album « Ça va
pas », on peut aussi découvrir que le fait de peindre libère le personnage principal d’une émotion qu’elle ne parvient pas à
exprimer.

D’autre part, un rituel est en place, créé autour de l’album « La Couleur des Emotions » de Anna Llenas. A leur arrivée en classe,
les enfants se rassemblent autour de la maîtresse. De la même manière que dans le cadre des autres ritualisations, (on
s’interroge sur la date, sur le temps qu’il fait, sur les absents et les présents) ils s’interrogent sur la façon dont ils se sentent, eux-
mêmes, sous la forme d’une question : « de quelle couleur est ma journée aujourd’hui ? » Une fois la réponse trouvée les yeux
fermés, ils peuvent se lever doucement et choisir un petit carton correspondant à la couleur de leur émotion du jour.

Les élèves ont déjà expérimenté les mélanges de couleurs et connaissent le cercle chromatique des couleurs primaires et
secondaires.

! %!
2. Une progression autour des notions d’expression et de couleur

a. Séance 1 : Du tout petit au très grand

Matériel et Installation

Pour une classe de 30 élèves :

• une grande bâche transparente en plastique, type bâche agricole, de 12 x 8 m


• 35 feuilles canson format Grand Aigle (75 x 105 cm)
• 16 barquettes de récupération de 30 x 15 cm minimum ou 8 barquettes à deux compartiments de 30 x 30 cm
• gouache en poudre, préparée la veille de façon à ce qu’elle ne soit pas trop liquide ou 3 pots 1 kg de gouache au doigt
de chaque couleur primaire.
• 30 Pinceaux mousse 100 mm, 30 chiffons, 30 spatules plastique type corne de pâtisserie
• protège-chaussure et protège cheveux à usage unique
• de l’eau pour remouiller la peinture en cas de besoin.

Le matériel préparé la veille est installé dans la cour par l’ATSEM pendant le temps des rituels matinaux selon le plan ci-dessous.
Une distance d’au-moins cinquante centimètres permettra aux élèves et à l’enseignante de circuler autour des feuilles. Celles-ci
sont disposées par quatre autour des barquettes et les enfants seront groupés en fonction des couleurs qu’ils auront choisi
d’utiliser (le choix se limitera à deux couleurs primaires pour permettre d’expérimenter à loisir, sans arriver à des résultats tous
noirs ou bruns). Ils auront trois outils à disposition pour varier les textures et trouver la technique de recouvrement qui leur
correspond le mieux. Les outils seront placés au sol à côté des barquettes. Les barquettes ne seront remplies qu’à la dernière
minute pour éviter que la peinture ne sèche. Après l’activité, l’aide d’une ATSEM sera nécessaire pour récupérer les feuilles et les
emmener dans la salle de jeu afin de libérer la cour.

Légende :

: barquette

: feuille

: bâche

1m
Echelle :

Déroulement

Après être arrivés en classe, les élèves se sont rassemblés autour de l’enseignante, et dans le cadre des rituels du début de
journée, ils ont pris un temps pour sentir leur émotion principale du jour et déterminer la couleur de leur journée. Ils sont invités
cette fois à garder les petits cartons en main. L’enseignante prononce alors la phrase d’incitation : « Aujourd’hui, les émotions ont
besoin de place, proposons leur un très grand format ! », et invite les élèves à s’équiper de blouses de protection et à sortir dans la
cour. Elle expose la consigne : « recouvrez toute la surface de la feuille avec de la peinture, en pensant à la couleur de votre
émotion de ce matin » et la contrainte : « pour y arriver, on ne pourra utiliser que deux couleurs primaires et non les trois» ; elle
nomme également les trois outils disponibles et précise que les élèves peuvent tous les utiliser selon leur choix. Les enfants
indiquent à l’enseignante les deux couleurs qu’ils souhaitent utiliser. Pour cela, ils peuvent s’inspirer des petits cartons qu’ils ont
toujours en main, et du cercle chromatique de la classe qui aura été transporté dans la cour. Ils peuvent alors se placer devant
une feuille et posent à côté leur petit carton-témoin. Une fois la peinture distribuée, la pratique peut commencer, les enfants
expérimentent les différentes façons de recouvrir un support de très grande taille avec les outils proposés : spatules, chiffons,
pinceaux-mousse. La pratique dure 30 minutes.

Le rôle de l’enseignante pendant la pratique

Les élèves vont certainement avoir des questions concernant l’utilisation des outils. L’enseignante sera là pour les guider, sans
toutefois leur donner une recette, pour les encourager à trouver leur propre stratégies : « il y a plein de manière d’utiliser cet outil
pour recouvrir la feuille de peinture : tu peux essayer avec beaucoup de peinture ou avec juste un peu ; tu peux essayer plusieurs

! &!
geste : frotter, tapoter, faire des traces. Tu peux penser à ton émotion et chercher le geste qui correspond le mieux. Tu vas nous
montrer ta propre manière de faire ! »

Il faudra s’assurer que chacun trouve une stratégie efficace pour ne pas se perdre dans le temps, et accompagner ceux qui
rencontrent des difficultés. On pensera notamment à de l’aide pour gérer les accidents de réalisation : « Mes couleurs se
mélangent ! – Le chiffon fait des marques ! – Je me suis trompé de couleur ! » L’idée sera d’encourager les enfants à profiter de
l’effet créé par l’accident, en l’envisageant comme une découverte bienvenue.

Certains chercheront peut-être à utiliser leurs mains, il sera donc nécessaire de comprendre pourquoi les outils ne leur
conviennent pas et de les aider à trouver un moyen de les utiliser à bon escient.

Enfin l’activité pourrait vite devenir chronophage, car si une partie des élèves cherchera l’efficacité en allant droit au but, d’autres
se concentreront de façon détaillée sur une petite partie du format en oubliant le reste. L’enseignante se positionnera donc en
observatrice pour aider aussi les élèves qui ne demandent rien, à rester dans les contraintes temporelles de l’activité. Une
solution, dans ce sens, sera de rappeler le sujet – « représenter son émotion en très grand » – pour encourager les enfants à
profiter du format, à libérer leur gestuelle, à donner de l’énergie, ce qui amènera nécessairement à une plus grande rapidité
d’exécution.

Mise en commun des travaux, verbalisation

On laissera « reposer » cette première phase de pratique assez dense durant le reste de la journée (et sécher les réalisations)
pour n’en parler que le lendemain. Après le rassemblement matinal, qui s’est terminé par le rituel de « la couleur des émotions »,
l’enseignante récupère et accroche les travaux. L’accrochage sera organisé la veille (moyen d’attache, mur concerné dégagé)
mais ne sera fait que sur le moment, pour favoriser l’impact du grand format sur les élèves. Montrer 30 compositions à la fois ne
sera pas nécessaire et surchargerait la perception plutôt que de favoriser les échanges. On accrochera donc une dizaine de
travaux, en mettant en valeur la diversité des réponses.

On peut supposer que les élèves manifesteront leur saisissement devant la taille des travaux. L’enseignante rebondira sur les
expressions et onomatopées formulées lors de l’accrochage devant ces très grands formats, pour proposer un rappel de la
demande initiale. On observera d’abord les couleurs utilisées, qui seront nommées (primaires et secondaires) ; puis la façon dont
elles se mélangent, (de façon régulière, ou irrégulière ? Y a-t-il une couleur dominante ? Se mélangent-elles vraiment ou restent-
elles l’une à coté de l’autre ?) ; et enfin on parlera des textures employées (lisses, matiérées, rugueuses, brillantes, mates,
épaisses, fines, rayées, veloutées, agitées, montrant les traits du pinceau, les gestes effectués ou non ?) Ceci permettra de
travailler sur le vocabulaire spécifique. Les petits cartons colorés seront alors distribués et les élèves seront invités à se
questionner sur l’émotion dégagée par chaque représentation. L’élève concerné pourra répondre en parlant de ses intentions. Cet
exercice encouragera l’explicitation des stratégies mises en œuvre pour générer un effet, et visera la mise en relation des
intentions de « l’auteur » et de la réception de la part d’un « public », hors du jugement de valeur. Une étiquette portant le nom de
l’émotion intentionnelle de l’auteur sera affichée au-dessus chaque production.

Le temps d’échange verbal se terminera par la découverte de l’œuvre de Mark Rothko, Rouge, blanc et brun, 1957, Huile sur
toile, 252,5 x 207,5 cm, Bâsel Kunstmuseum. Cette œuvre sera projetée depuis une diapositive ou un vidéoprojecteur (selon le
matériel disponible) pour tenter de rendre l’impact du format original. La pratique de l’artiste sera questionnée, (on attendra des
remarques sur la surface immense entièrement recouverte, sur la texture qui semble lisse) puis l’enseignante associera à cette
description sensible le nom du mouvement : le « champ coloré ». Il sera intéressant de guider l’échange pour mettre en valeur
d’une part, la façon dont la texture contredit la tendance agressive habituellement prêtée au rouge. D’autre part, dans une
approche transversale aux domaines de l’expression et du vivre ensemble, on cherchera à mettre en avant le fait que les
émotions ne sont pas exprimées de la même façon par tous. Enfin, il sera ici question de la dimension communicative d’un travail
visuel, même s’il ne cherche pas à figurer quelque chose et du courant pictural de l’abstraction.

Evaluation

L’échange verbal permet aux élèves de faire le point sur ce qui a été fait au regard de la demande formulée au départ (respect de
la consigne et des contraintes) : la façon dont on représente quelque chose de non visible par des effets visuels. Outre cet aspect
concret on pourra s’assurer qu’une première technique a été découverte et conscientisée par les enfants : une façon de jouer sur
la symboliques de la couleur en la travaillant de façon intentionnelle avec des outils. A travers ces temps d’échange, ils ont pu
développer et mettre en pratique un vocabulaire spécifique pour nommer les textures, les couleurs. On peut donc dire que ce
temps d’échange a apporté des indicateurs d’ordre formatif.

! '!
L’évaluation sommative de la séance interviendra dans un temps différés. Les élèves seront invités à coller dans leur cahier d’art
visuel une photo de leur travail imprimé en miniature et le petit carton coloré de ce jour-là, puis à placer à coté des vignettes
autocollantes associant l’image et le nom des couleurs employées, des outils utilisés et de l’émotion exprimée. La reproduction
d’une œuvre de Rothko parmi plusieurs proposées sera choisi et collée sur la page d’en face. Par cette trace écrite, l’élève rend
compte de sa compréhension des liens entre les notions abordée : couleur, outils, expression, pour lui même autant que pour
l’enseignante.

b. Séance 2 : L’énergie libérée

Matériel et Installation

Cette séance nécessitant de la peinture acrylique (la gouache craquellerait dans un tel usage), il sera demandé aux parents d’en
tenir compte dans la tenue vestimentaire des enfants, malgré le plus grand soin apporté à la protection (blouse longues, manches
et bas de pantalon relevés, protège-chaussures et protège-cheveux). On utilisera volontairement ici le même matériel que dans la
séance précédente à l’exception des changements indispensables à la découverte de cette nouvelle technique. De même la
disposition restera inchangée, pour permettre aux élèves de faire des comparaisons.

• une grande bâche transparente en plastique, type bâche agricole, de 12 x 8 m


• 35 feuilles canson format Grand Aigle (75 x 105 cm)
• 16 cruches en métal ou en plastique transparentes
• Acrylique enfant brillante et liquide, 5 litres de chaque couleur primaire
• 30 Pinceaux mousse 100 mm, 30 chiffons, 30 brosses ménagères
• protège-chaussure et protège cheveux à usage unique.
• De l’eau pour nettoyer les tâches qui, malgré les protections, auraient réussi à accéder aux vêtements.

Déroulement

Cette séance ne se passe pas plus d’une semaine après la première, ce qui autorise des liens avec le travail précédent. Après le
temps des rituels du début de journée, l’enseignante annonce l’incitation de la séance : « cette fois j’explose ! ». Après s’être
équipés et être sortis dans la cour, les enfants reçoivent la consigne de la professeure : « recouvrez toute la surface de la feuille
avec de la peinture, en pensant à la couleur de votre émotion de ce matin » (volontairement identique à la dernière fois) puis la
contrainte : « on ne dois pas toucher la feuille avec les outils ». Les outils à disposition sont nommés. Les trois couleurs primaires
étant cette fois accessible et déjà « servies », chacun peut se placer devant une feuille pour commencer sa production. Les élèves
disposent de 20 minutes.

Le rôle de l’enseignante pendant la pratique

Les élèves sont placés en premier lieu devant un paradoxe technique : comment recouvrir une surface sans la toucher ? La
solution se trouve ici dans la phrase d’incitation, qui donne tout sont sens à cette nouvelle technique : le dripping. A l’expression de
l’émotion par la couleur on ajoute cette fois l’énergie de celui qui ressent et qui s’exprime. Les enfants sont amenés ici à travailler
visuellement dans la rapidité (le format est grand et la séance est courte) et dans une générosité matérielle (ici, la peinture sera
versée, projetée, coulée). L’enseignante veillera à laisser un temps suffisant aux enfants pour se mettre dans « le bain ». Libérer
une telle énergie et dépasser la vision d’un travail sage et soigné n’est pas évident en Grande Section, à l’âge de la
conscientisation des droits et des devoirs. Elle veillera si nécessaire à ouvrir le champ des possibles à l‘élève bloqué par la peur
de salir, le dégout de la tâche : re-précision du cadre (on est protégé pour ne pas se salir) et des objectifs (on vise une production,
on découvre une technique de peinture), accompagnement dans le concret : « comment penses-tu essayer de mettre la peinture
sur la feuille sans la toucher ? Quels outils voudrais-tu essayer et comment pourrais-tu les utiliser ? »

Dans une disposition au sol, l’élève n’étant pas face à sont travail, il a une grande ouverture visuelle sur ce qui se passe autour.
Suite au temps d’interrogation marqué pour arriver à un premier essai devant la situation-problème, un mouvement d’imitation en
chaîne pourrait s’opérer. Il sera alors utile d’intervenir pour ouvrir la dynamique sur l’exploration d’autres pistes.

A noter qu’il faudra surement contenir aussi les débordements d’autres élèves, particulièrement réceptif à l’aspect explosif de la
démarche. Une fois la pratique engagée, une précision sera apportée quant à l’attention particulière à porter au respect de l’autre
et de son espace.

! (!
Mise en commun des travaux, verbalisation

Une fois encore, la séance ne sera réabordée verbalement que le lendemain, moins cette fois, pour des questions de séchage
que pour laisser reposer ce temps fort et autoriser une prise de recul. On commencera cette fois par un rappel de ce qui était
demandé et de l’expérience menée : « qu’est-ce qui était demandé ? Et comment avez-vous fait ? Que s’est-il passé ? ». Ici, on
cherchera à soutenir la compréhension du geste insolite et fort découvert la veille. En face du dépassement d’un interdit de la vie
courante, on placera les découvertes opérées dans le champ artistique : coulées, petites gouttes, giclées, inondations,
mouchetage, dégoulinures, projections, bavures, pluie, tâches… Les termes ainsi dégagés seront associés au procédé
correspondant : le dripping.

Une dizaine de travaux (maximum), choisis pour présenter des disparités et des similitudes caractéristiques, seront alors exposés
au regard des élèves. Ils seront invités à repérer les effets rendus à partir de la phrase d’incitation : « cette fois, j’explose ! » : « Qui
semble avoir vraiment explosé ici ? Ah bon, pourquoi ? Qu’est-ce qui nous le montre ? Ah, L. n’est pas d’accord. Expliques-nous
L., qu’en penses-tu ? » La professeure favorise ici la prise de position, le débat, qui invite a mettre en question les notions
d’intentions, de hasard, de rendu, à comprendre qu’il n’y a pas qu’une réponse possible, que divers effets sont exploitables. Cela
permet encore de nuancer les déclarations. Au fur et à mesure du débat, l’enseignante reformule les idées trouvées et les note au
tableau, dans le principe de la dictée à l’adulte.

L’œuvre de Jackson Pollock : One : number 31, 1950, Huile et peinture à l’émail sur toile, 269,5 x 530,8 cm, du Museum of
Modern Art de New York, sera projetée sur le mur pour clore la phase verbale de cette séance. Les questions « Que voit-on sur
ce travail ? Quelles sont les couleurs employées ? » mais surtout « et comment pensez-vous qu’il a fait pour peindre ça ? »
offriront aux enfants la possibilité de se projeter dans la position de l’artiste, de dépasser la simple considération de ce qui est vu,
pour s’attacher à ce qui s’est passé, avant de se prononcer sur un ressenti : « quelle est l’émotion que Jackson Pollock pourrait
exprimer ici selon vous ? » Les différentes émotions nommées seront inscrites au tableau, pour rendre compte et légitimer la
divergence de ressenti des spectateur devant une œuvre d’art, dans le but d’inciter les élèves à s’ouvrir à la diversité d’opinion.

Evaluation

La première phase de verbalisation met en relation la demande avec le résultat et l’intention des élèves, amenant des indicateurs
indispensables à l’évaluation formative : ils montrent qu’ils ont conscientisé la démarche de création proposée, compris l’intérêt
artistique de la technique découverte, saisi l’impact des effets produits, acquis le vocabulaire spécifique.

L’évaluation sommative s’opèrera par le biais du cahier d’art visuel, support privilégié pour faire le point sur les acquis et garder
des traces. La dictée à l’adulte produite lors de la phase de verbalisation, précédée d’une explicitation de la demande, sera relue à
voie haute par l’enseignante puis distribuée aux élèves. Face à ce texte qui sera collé dans le cahier, ils pourront apposer la
reproduction miniaturisée de leur travail et choisiront parmi une série de vignettes autocollantes légendées, le type d’effet utilisé :
coulées, petites gouttes, giclées, inondations… Leur capacité à identifier les effets découverts et à analyser leur production sera ici
l’objet de notre questionnement.

c. Séance 3 : Synthèse

Matériel et Installation

Cette fois, les feuilles sont disposées de la même façon mais l’espace est divisé en deux parties : d’un côté est accumulé le
matériel nécessaire au dripping, de l’autre celui qui servira à la création de champ coloré.

• une grande bâche transparente en plastique, type bâche agricole, de 12 x 8 m


• 35 feuilles canson format Grand Aigle (75 x 105 cm)
• 16 cruches en métal ou en plastique transparentes, 16 barquettes de récupération de 30 x 15 cm minimum ou 8
barquettes à deux compartiments de 30 x 30 cm
• Acrylique enfant brillante et liquide, 3 litres de chaque couleur primaire, Gouache en poudre, préparée la veille de façon
à ce qu’elle ne soit pas trop liquide ou 3 pots 1 kg de gouache au doigt de chaque couleur primaire
• 30 Pinceaux mousse 100 mm, 30 chiffons, 30 brosses ménagères, 30 spatules en plastique
• protège-chaussure et protège cheveux à usage unique.
• De l’eau pour nettoyer les tâches qui, malgré les protections, auraient réussi à accéder aux vêtements.

! )!
Déroulement

Cette dernière séance est introduite par une proposition : « Et si on montrait notre travail à la kermès de l’école ? » et par
l’incitation « On va en mettre plein la vue ! » qui projette à la fois dans l’idée de montrer ses productions mais aussi dans le
challenge, qui constitue le véritable levier, de provoquer un émerveillement sensoriel. Une fois les élèves préparés, on sort dans la
cour. La consigne est présentée : « entre les deux techniques de peinture que vous avez découvertes, celle du champ coloré ou
celle du dripping, choisissez celle qui exprime le mieux l’émotion de votre journée. Utilisez-là pour exprimer votre émotion » Les
contraintes accentueront cette fois la dimension du choix : « vous ne pouvez choisir d’utiliser que deux outils ». Les élèves sont
divisés en deux groupes selon la technique choisie, puis, par groupes de 7 ou 8, invités à récupérer les outils sélectionnés avant
de se rendre devant leur feuille. Une fois tout le monde en place, la peinture est mise à disposition et le travail peut commencer.
Les élèves disposent de 30 minutes.

Le rôle de l’enseignante pendant la pratique

Cette troisième phase a clairement pour objectif le réinvestissement des techniques picturales découvertes grâce aux deux
premières séances. Les élèves ont ici la possibilité de revenir sur les expériences vécues pour en chercher l’amélioration, ou pour
les revivre à la lumière de données maîtrisées. Quand on sait que l’un des piliers de l’apprentissage, selon les sciences
cognitives, est la répétition, on comprendra ici l’enjeu de la séance. Le rôle de l’enseignante sera de veiller, avant tout, à
l’organisation matérielle, plus complexe que les fois précédentes (s’assurer de l’approvisionnement en peinture des différents
groupes, du respect des règles du vivre ensemble).

La situation-problème (résidant dans le choix de la technique et dans celui des outils) étant résolue avant le début de la phase
pratique, celle-ci se caractérisera par un cadre assez large. L’enseignante s’assurera qu’aucun n’élève ne perdra ses objectifs
dans cette liberté expressive, en passant dans les rangs et en observant les pratiques. Un rappel du cadre sera peut-être
nécessaire pour certains : « quelle est la technique avec laquelle tu as choisi de travailler ? », « que voudrais-tu faire avec cet
outil ? ».

De même l’accès au trois couleur primaire devra être accompagnée chez les élèves chez lesquels la menace du « tout brun » se
profile : « Oh, M., tu as ici un beau brun/noir ! Est-ce que c’est la couleur que tu cherchais ? » Ces questions visent à aider l’enfant
à sortir du glissement vers une impasse chromatique si c’est ce qu’il est en train de vivre. On pourra alors lui suggérer des
solutions pour rebondir tout en rappelant les règles de mélange des couleurs : « ces couleurs sombres apparaissent quand on
mélange les trois couleurs primaires, tu te souviens ? Si tu veux tu peux laisser un peu sécher ce côté et repartir d’ici par exemple.
Ensuite, tu pourras repasser sur cette zone, ou décider de garder ce petit coin d’ombre si tu en as envie. » Une fois encore, les
suggestions apportées iront dans le sens de l’utilisation des « accidents » comme d’un apport positif.

Mise en commun des travaux, verbalisation

Cette fois-ci, après analyse du travail proposé, la mise en commun et la verbalisation auront pour objectif la création d’une mise
en espace pour montrer les productions lors de la kermès de l’école. Elle pourra intervenir quelques jours plus tard, laissant le
temps à l’enseignante d’imprimer des reproductions des travaux au format A5. La dizaine de travaux originaux montrés seront
cette fois choisis car exprimant la même émotion (on choisira la plus fréquemment évoquée par la classe et on prendra soin de
sélectionner des travaux bien différents). Après avoir demandé un rappel de la consigne, on se questionnera sur les points
communs des propositions. Les aspects mis en lumière par cet angle d’analyse seront listés au tableau. Puis on interrogera les
particularités de chacun des travaux : « qu’est-ce qui est différent dans chaque peinture ? » Enfin on mettra ces points communs
et ces différences en lien avec l’émotion exprimée : « On voit que la joie de P. ressemble à celle de L. ! Mais elles ne sont pas tout
à fait pareilles, il y a de petites différences, non ? Qui voit des différences ? Oui, c’est vrai ! Et à qu’est-ce qu’elles nous racontent
sur les joies de chacun ? Ah oui ? Est-ce que ta joie est comme ça M. ? » Encore une fois, on poussera les élèves à verbaliser
leurs ressentis, leur intensions, tout en veillant à toujours faire des allers-retours par rapport aux propositions visuelles.

On parlera ensuite de l’exposition à la kermès de l’école. La phrase d’incitation suivante sera prononcée pour amener la suite du
travail : « Maintenant il faut tout organiser ! » Les élèves se placeront en îlots par groupes de 5 et les reproductions des trois
peintures réalisées par chacun seront distribuées. Il leur sera premièrement demandé de choisir celle qu’ils voudraient montrer
lors de l’exposition.
La deuxième étape consistera à produire les cartels, dont le rôle sera présenté en même temps que la nécessité (donner une
indication aux spectateurs sur ce qu’ils sont en train de regarder). Il faudra alors se réorganiser autour des îlots par émotion
exprimée : l’enseignante appellera les élèves dont la peinture exprime la première émotion a se regrouper devant elle, puis elle
leur assignera un îlot. Il en sera fait de même jusqu’à ce que tout le monde ait trouvé son groupe. Des boîtes de couleur seront

! *!
placées sur les tables contenant des affichettes cartonnées autocollantes portant le noms des émotions suivie de la préposition
« de » : par exemple « La joie de … ». L’enseignante proposera alors aux élèves de compléter les cartels en écrivant leur prénom
sur la ligne.
En dernier lieu il conviendra de s’accorder sur la « mise en espace ». On utilisera le vote à main levée pour décider de classer les
peintures selon un critère de couleur ou selon celui de l’émotion partagée. En fonction du choix opéré par le groupe classe, on
affichera à la pâte à fixe les reproductions sur une maquette en carton des murs du préau (préparée à l’avance par l’enseignante).

Evaluation

Cette dernière séance offre un matériel d’évaluation important. Synthèse des deux phases de découvertes précédentes, elle offre
la possibilité aux élève de ré-exploiter les techniques découvertes, au travers d’un travail bidimensionnel dont ils maîtrisent cette
fois, les aspects. Evaluation sommative à part entière, l’exposition, accompagnée du texte produit durant le temps d’échange
verbal, permettra de rendre compte du travail d’appropriation effectué, tant pour les enfants que pour l’enseignante et pour les
parents.

Prolongements

La transversalité du sujet de l’expression des émotions, objectif du socle commun, offre de nombreuses possibilités de
prolongement :
- En histoire des arts, une visite du Musée D’Art Moderne et Contemporain pourra être organisée sur l’axe de l’expressionnisme
dans le cadre du PEAC, afin de découvrir les œuvres originales des artistes découverts au fil de la pratique.
- Un travail sur la mémorisation en relation avec la comptine pourra être développé pour proposer aux élèves réaliser un petit
spectacle pour inaugurer l’exposition
- Dans la même veine, en exploitant la notion de lyrisme, on pour penser à un travail sur la musique.
- Enfin, autour de la notion de geste, une approche expressive par la danse serait une piste prometteuse.

Annexes :

Mark Rothko, Rouge, blanc et brun, Jackson Pollock : One : number 31, 1950, Huile et peinture à l’émail sur toile,
1957, Huile sur toile, 269,5 x 530,8 cm, Museum of Modern Art de New York
252,5 x 207,5 cm, Bâsel Kunstmuseum

Hans Hofmann, Cathedral, Josef Albers, Homage to the Square Serie !"#$%&'$()&$*)+,&-!"*&#,!##+!-!#*(.)!/0.,!12345!
1959, 122 x 188 cm, Museum 1967, Huile sur toile 78,1 x 78,1 cm 56! 72893:! 82;! 6<345,! =963<:94! >9445;?! <7! @;6,!
of Modern Art de New York Modern Art Museum of Fort Worth, Texas, USA A9813:B6<:,!CD.

! "+!

Vous aimerez peut-être aussi