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L'ANIMATION CULTURELLE
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La couverture est de
ROGER ADAM
avec une photographie de JACQUES WINDENBERGER
JOHN LITTLETON chante des chants de travail
et des Negro-Spirituals à Créteil-Mont-Mesly (Seine-et-Oise)
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ominiqueALUNN,IMauriceCAYRON,JacquesCHARPENTREAU,Paul HARVOS I,
ChristianHERMELN
I,YvesJACQUES,RenéKAËS,JeanLESTAVEL,AndréMÉTAYER,
André MOULLÉ,Noël PREVOST, Lucien TRICHAUD, Philippe WARNE IR

L'ANIMATION
CULTURELLE
Entretiens avec Jacques DOUA,IJean NAZET,GuyRETORE

Présentation, textes de liaison et conclusion rédigés par l'équipe


de la revue AFFRONTEMENT

Collection « Vivre son temps »


LES ÉDITIONS OUVRIÈRES
12, Avenue Sœur-Rosalie — PARIS (13
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DANS LA MEME COLLECTION

Jean BONIFACE, Arts de masse et grand public (la con-


sommation culturelle des Français). Préface d'Alfred
Sauvy.
Jacques CHARPENTREAU et René KAËS, La Culture
populaire en France.
René PUCHEU, Le Journal, les Mythes et les Hommes.
Roger-H. GUERRAND, La Conquête des vacances.
René KAËS, Vivre dans les grands ensembles. Préface de
P.-H. Chombart de Lauwe.
Vincent PINEL, Introduction au ciné-club (histoire, théorie
et pratique du ciné-club en France).
En préparation :
Michel BRIGUET, 50 000 000 de Français devant la Mu-
sique.

Tous droits réservés pour tous pays


© 1964 by les Editions ouvrières, Paris
Imprimé en France Printed in France
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L'ANIMATION CULTURELLE

La vie culturelle des Français a pris des formes nouvelles


dans la mesure où leur vie quotidienne s'est modifiée. Tra-
vail, déplacements, loisirs, habitat, de brusques mutations
ou de lentes lames de fond reposent en termes nouveaux de
vieux problèmes : intégration à la vie du groupe — ou
contestation de la société ; participation ou refus ; équi-
libre entre travail et loisir, etc.
La culture peut suivre des voies nouvelles. De nom-
breuses études ont montré que les « moyens de masse »,
cinéma, radio, disques, télévision, magazines, bouleversaient
des rapports séculaires entre le groupe et l'individu, et, à
l'occasion, entre l'œuvre d'art et le public : on a pu cal-
culer que le Cid diffusé par la Télévision Française avait
atteint, chez eux, cinq millions de spectateurs ; une soirée
de la télévision donnait ainsi d'un coup l'équivalent de
huit années d'exploitation de la Comédie-Française. Jour
après jour, ces moyens de masse se sont développés et ont
agi sur des millions d'hommes, de femmes, d'enfants —
sans que l'on sût encore très bien dans quel sens.
En même temps, des chemins de rencontre plus tradi-
tionnels entre le public et l'œuvre d'art étaient complè-
tement renouvelés : les Centres Dramatiques de province,
le T.N.P., des théâtres ambulants comme les Tréteaux de
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France, le tout récent Théâtre de l'Est Parisien, montraient


que le public — et le plus souvent le public populaire —
avait soif de participer à une vie culturelle de qualité
pourvu que l'on renouvelât aussi le cérémonial, les rites
mêmes de la rencontre. Depuis l'impulsion donnée par
Jeanne Laurent, l'Etat prenait une plus vive conscience
de son rôle en ce domaine.
Associations culturelles, familiales, mouvements divers,
syndicats, se sont préoccupés de plus en plus, depuis plu-
sieurs années, de cette vie culturelle ; ils ont senti qu'ils
étaient concernés et on a vu apparaître la revendication du
« droit à la culture » tel que l'affirmait l'article 27 de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (U.N.E.S.
C.O., décembre 1948). Cette revendication traduit un pro-
grès important de la conscience collective et prend nor-
malement la suite du droit à l'instruction, à l'éducation.
Mais ce sont peut-être les nouvelles conditions de l'ha-
bitat urbain qui ont fait apparaître le plus clairement la
transformation des conditions mêmes de notre vie cultu-
relle et de nos rapports sociaux. Face aux gigantesques
cités nouvelles, beaucoup d'observateurs ont regretté la
constitution de ces « villes sans âme ». Dans la première
synthèse publiée sur ces villes neuves, « Vivre dans les
grands ensembles », René Kaës a montré que ce jugement
n'était souvent qu'un réflexe de refus. Mais il insistait
aussi sur la nécessité de « donner une histoire » à ces
ensembles radicalement nouveaux, qui constituent « la ge-
nèse d'une autre société ». Animer ces grands blocs de
béton, c'est, au sens le plus strict, leur donner la vie. Les
associations d'habitants (et certains pouvoirs publics) ont
essayé de s'y employer. Comme le rappelle René Kaës, on
s'est vite aperçu qu'au béton familial (une série d'appar-
tements), il fallait adjoindre du béton collectif : un équi-
pement social et culturel, allant des petites salles de réu-
nion à la « Maison de la culture ». Aucune vie sociale —
et, à fortiori, aucune vie culturelle —n'était possible sans
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cet équipement. S'il n'est pas réalisé encore partout, du


moins sa nécessité n'est-elle plus mise en doute. Mais on
s'est rendu compte dans un deuxième stade que des locaux
collectifs ne suffisaient pas : des hommes y ayant com-
pétence étaient nécessaires pour y assurer l'animation. Les
pierres n'ont d'autre vie que celle qu'on y suscite.
Ce besoin naît certainement d'une frustration, pour ne
pas dire d'une aliénation. Répartis à la périphérie des
grandes villes, parfois spécialement construits pour les
travailleurs d'une entreprise, les Grands Ensembles ne se-
raient-ils pas la nouvelle forme d'une concentration impo-
sée suivant des critères sociaux ? Eloigné des lieux de
plaisir, de divertissement, de culture, le travailleur est assi-
gné à résidence dans de tristes cités-dortoirs. Le besoin
d'une animation culturelle serait ainsi une réponse origi-
nale à cette frustration, la prise en main d'activités diverses
par les habitants eux-mêmes serait une réponse à l'alié-
nation.
On peut aussi voir dans la formation de groupes visant
à l'animation culturelle, le besoin de sortir de l'anonymat,
en créant des « relations » qui enrichissent l'individu et
structurent la masse.
De son côté, le monde rural en pleine mutation affirmait
pour sa part sa soif de participer à une vie culturelle. Cette
mutation est une autre grande cause du besoin croissant de
l'animation culturelle. Le travail des mouvements de la
jeunesse rurale, les revendications des jeunes agriculteurs
englobent désormais ce secteur.
Dans le même moment, on s'est aperçu que d'autres
activités, ou d'autres temps de la vie, créaient aussi une
aspiration nouvelle, que, faute de mieux, on peut de la
même façon, appeler le besoin d'une animation culturelle.
On demandait, là aussi, des animateurs pour mieux y ré-
pondre. Les rapports sociaux à l'intérieur du groupe ou
avec d'autres groupes, qu'il s'agisse d'un Comité d'Entre-
prise élu (où se reflètent évidemment les luttes des tra-
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vailleurs) ou d'une association de vacances, conduisaient


à envisager l'existence de ces animateurs, hommes nou-
veaux pour remplir une fonction nouvelle. Milieu de travail
ou centre de loisirs, la notion d'une animation culturelle,
puis la nécessité d'animateurs spécifiques, prenaient corps.
Et sans doute pourrait-on ici retrouver trace d'un sentiment
de frustration (que les moyens de masse, suivant un para-
doxe apparent, ont contribué à développer en découvrant
de nouveaux horizons à la cellule familiale). Le quatrième
plan souhaitait la pénétration de la culture « dans la vie
quotidienne des hommes », afin de « remédier à ce que
présente souvent de discordant et d'inhumain la civilisation
technicienne ». La culture doit « notamment devenir, dans
l'exercice des divers métiers, un souci aussi présent que
celui de l'hygiène et de la sécurité du travail ». Le ton de
ces vœux sera familier à tous ceux qui ont suivi l'histoire
des revendications ouvrières depuis un siècle. Mais la re-
connaissance par la nation tout entière de cet objectif est
un fait nouveau. On peut aussi rappeler qu'André Malraux
déclarait à Brazilia en 1959 que la culture devient « le
domaine privilégié dans lequel l'homme cherche la preuve
de sa dignité ». C'est la même référence à « la dignité hu-
maine » que l'on trouve dans un document diffusé par le
Secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports. On voit
que la vieille revendication des travailleurs est désormais
très officiellement reconnue. Elle est unanimement soute-
nue par des groupes sociaux très divers ; ils cherchent les
hommes pouvant être les moteurs de cette vie culturelle
épousant la vie quotidienne : des animateurs.
On s'est alors demandé où trouver ces hommes, com-
ment assumer leur formation, comment les rémunérer,
quels rapports ils devraient avoir avec les pouvoirs pu-
blics, les usagers, etc. La formation des animateurs est
pour nous un problème nouveau. Rien ne laissait penser
qu'il dût se poser à un pays comme la France ; on imagi-
nait bien que de tels hommes étaient nécessaires dans le
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monde — en pays sous-développés, par exemple, où ils


jouent le rôle d'un ferment nécessaire, guidant et inspirant
telle collectivité villageoise, l'aidant techniquement (ainsi
aux Indes), servant de relais social. Le fait est que, devant
le besoin en animateurs exprimé par des mouvements
français ou ressenti localement, on se préoccupe de leur
formation : le Haut Comité de la Jeunesse, par sa Com-
mission nationale « Equipement-Animation », commence
à proposer des solutions ; dès la préparation du quatrième
plan, un rapport du groupe de l'Action culturelle (Com-
mission de l'Equipement culturel) affirmait que « la for-
mation d'animateurs est la première condition du déve-
loppement de l'action culturelle » ; certains mouvements,
certaines institutions sont déjà passés au stade des réa-
lisations (ainsi le remarquable travail de formation de la
Fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture ; celui
entrepris par les mouvements de jeunesse) ; l'Etat se pré-
pare à jouer un rôle dans ce domaine, par l'intermédiaire
du Secrétariat à la Jeunesse et aux Sports, par celui du
ministère de la Culture, ou par celui des divers autres
ministères comme l'Agriculture.
On envisage la formation d'animateurs, professionnels
ou bénévoles ; les besoins des mouvements de jeunesse, des
Comités d'Entreprise, etc., vont croissant : la formation,
le recyclage même, devant l'accélération du monde, de-
viennent indispensables.
Pendant ce temps, à l'échelle du quartier ou du village,
on cherche des issues, parfois avec acharnement : au be-
soin de locaux s'ajoute maintenant le besoin en hommes
pouvant se mettre au service d'une collectivité. Avec ou
sans l'aide de l'Etat, avec ou sans l'aide de la municipalité,
avec ou sans l'aide de mouvements ou institutions, des
citoyens, en tant que syndicalistes, en tant qu'habitants
de tel ensemble, de tel village, prennent des initiatives et
participent — sans toujours le savoir clairement — à un
grand renouvellement de la vie culturelle.
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Ce livre regroupe donc à la fois des réflexions, une in-


formation, des témoignages. Il présente tout d'abord ce
besoin nouveau qu'on appelle l'animation culturelle ; puis
il trace le portrait de cet homme nouveau qu'est l'anima-
teur ; il tente enfin d'esquisser la formation des animateurs.
Il semble bien que, pour rendre effectif le droit à la
culture, l'animation culturelle soit un puissant moyen qui
va se diffuser et se diversifier dans les prochaines années.
Il ne servirait à rien, par exemple, d'implanter des maisons
de la Culture, si ces bâtiments restaient vides, sans âme,
sans public et sans vie. Personne ne le conteste. Mais l'ani-
mation culturelle est une notion si complexe, si multiforme,
une réalité si dangereuse aussi à manier — car elle par-
ticipe à la vie sociale profonde et comme telle elle a des
implications politiques —, que ce livre ne peut être qu'une
première approximation. On est d'ailleurs frappé par la
référence constante à l' «animation culturelle » et par le
petit nombre de documents disponibles sur ce problème.
L'un des buts de ce livre est de faire le point. Comme le
remarquait Maurice Cayron : « S'il est relativement facile
de cerner les problèmes que pose l'équipement, il est plus
délicat d'analyser et surtout de résoudre ceux que pose
l'animation, dans la mesure surtout où elle est conçue
comme une occasion offerte à tous de participation et non
comme un encadrement. »
L'animation culturelle, sous ses formes les plus diverses,
doit tendre à une émancipation de l'homme qui ne se can-
tonne pas dans la participation mensuelle à un ciné-club.
Elle vise à enrichir le tissu social, à le créer où il n'existe
pratiquement pas, modifiant sans cesse vers le progrès les
conditions de la liberté, multipliant les possibilités de choix,
incitant à l'engagement et à la responsabilité.
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UN BESOIN NOUVEAU :
LA
' NIMATION CULTURELLE
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UN BESOIN, DES RÉPONSES DIVERSES*

Le besoin d'une animation culturelle est le signe d'une


transformation des rapports sociaux, quelles que soient
les conditions dans lesquelles il apparaît. Et cependant,
quelle diversité dans ses manifestations ! A la ville ou
en campagne, dans les entreprises ou les maisons de
vacances, suscitée par un organisme public ou née spon-
tanément de « bonnes volontés », l'animation culturelle
semble de plus en plus nécessaire et sous des formes
totalement différentes. Partout où des hommes sont ras-
semblés, on dirait qu'ils ont pris davantage conscience
des problèmes du groupe, mais aussi des possibilités nou-
velles que leur offre ce groupe pour leur équilibre person-
nel ou familial. Les habitants des nouveaux ensembles
découvrent, pour la plupart, que l'utilisation des murs qui
leur ont été concédés, souvent après des années d'attente,
pouvait mener vers autre chose que le ghetto ; qu'il fallait
animer un béton sans valeur en soi (on disait jadis « faire
chanter les pierres »). Le jeune paysan découvre d'autres
modes de vie, d'autres relations entre les hommes et les
groupes. On prend une conscience accrue de la valeur
propre du groupe à cet égard ; et surtout de sa puissance :
(*) Par Jacques Charpentreau.
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un comité d'entreprise peut créer une bibliothèque, un


groupe d'habitants peut susciter un ciné-club, une maison
de jeunes peut inviter le producteur d'une émission de
TV à discuter avec des spectateurs devant le petit écran,
comme on l'a fait à la MJC de Courbevoie. Le groupe
peut agir, le groupe est efficace ; la famille, l'individu
accèdent plus facilement au culturel par le groupe : le
groupe peut permettre l'épanouissement individuel. C'est
une vieille réalité ; mais elle apparaît comme une redé-
couverte dans une époque de masse. De nouvelles lignes
de force se dégagent alors.
L'équipe du CIEDEHL remarquait que la notion d'ani-
mation « consiste essentiellement à établir des structures
permettant des relations humaines au niveau de chaque
collectivité de base, à susciter les conditions d'une am-
biance de vie qui se traduira par de multiples formes de
« participation » des habitants, dans les divers secteurs
de la vie quotidienne de chaque ensemble de population,
en vue de la réalisation la plus complète des aptitudes
des personnes et des groupes » (1).
Ces aptitudes sont, en outre, développées par l'ensei-
gnement plus longtemps que par le passé. Il semble na-
turel à des parents de milieux populaires que leurs
enfants participent à un « cours de dessin » le jeudi
après-midi. Les moyens de masse contribuent à offrir une
ouverture réelle sur le monde de l'art et de l'esprit, même
s'ils véhiculent en même temps l'abjection et la laideur,
et l'animation culturelle vise aussi à faciliter le choix.
La mort de Braque a été l'occasion de magnifiques repro-
ductions dans Paris-Match. Qu'un animateur de la classe
de Rétoré prenne en charge un secteur culturellement dé-
muni de Paris et l'on mesure alors, à son audience, quelle
soif culturelle attendait d'être étanchée. Il va d'ailleurs
(1) Notes et Informations, octobre 1963 (Références bibliographi-
ques en fin de volume).
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s'en expliquer lui-même (p. 68). S'il n'est pas certain


que le temps réel du loisir augmente, considéré dans
l'année, il se dispose différemment et c'est un des facteurs
importants de l'animation culturelle, car de nouvelles
plages de temps libre se dégagent.
On voit alors surgir des groupes spontanés (que l'équipe
du CIEDEHL appelle des « îlots de liberté ») et d'autant
plus que les moyens de masse se font plus lourds ; on
voit des structures traditionnelles se modifier ; on voit
tout un bouillonnement qui vise à faire participer les
citoyens à une vie culturelle nouvelle par l'intermédiaire
du groupe.
C'est là, sans aucun doute, que l'animation culturelle
fait preuve de plus d'originalité. Elle n'est pas un ensemble
de techniques, elle est une invention permanente à partir
d'une option : faire confiance à l'homme. Elle vise à
créer un certain style de rapports où les gens se sentent
concernés : que l'animation soit leur affaire, comme tout
le reste, de la gestion municipale aux grandes options
politiques. Ainsi que le disait M. Burmeister au séminaire
international sur l'Education des adultes (Hambourg 1952) :
« Des personnes désireuses de changer le monde s'intéres-
sent en général plus à s'instruire sur le monde que celles
qui désirent le maintenir tel quel. C'est pourquoi ceux qui
tiennent au changement sont en général aussi ceux qui
s'intéressent à la culture populaire. » Allant vers plus de
conscience et plus de responsabilité, l'animation culturelle
s'inscrit dans le cadre d'une émancipation collective.

EN QUOI CONSISTE-T-ELLE ?
On est cependant assez embarrassé pour la définir clai-
rement, à cause de sa richesse même et de sa diversité.
L'animation culturelle consiste essentiellement à offrir
des possibilités de culture sur le plus large secteur pos-
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sible de la vie du citoyen, en faisant participer le plus grand


nombre possible de citoyens. Elle vise à créer ces moyens
quand ils n'existent pas, à en tirer le maximum de profit
quand ils existent. L'animation culturelle se diversifie
tout d'abord d'après la taille du groupe : depuis l'associa-
tion des habitants d'un immeuble jusqu'au centre culturel
régional, on peut suivre une échelle qui est évidemment
calquée sur l'équipement ; on conçoit que toutes les études
et les réalisations lient à ce stade équipement et animation
(l'accent a surtout jusqu'ici été mis sur le premier terme).
Il faut pouvoir offrir des possibilités culturelles au groupe
de cinquante logements, comme au million de personnes
que polarise le Théâtre de l'Est Parisien. L'échelle ne
sera pas la même ni les réalisations, ni les modalités, ni
les techniques ; mais il est tout à fait remarquable que
Rétoré qui dirige le TEP se réclame des mêmes principes :
que les gens soient concernés.
D'un autre point de vue, on peut dire que l'animation
culturelle s'étend sur toutes les circonstances de la vie :
on ne se cultive pas seulement par moments privilégiés
(on ne devrait pas), à certains endroits bénis, etc. La
participation culturelle peut être menée sur le lieu d'habi-
tation, par l'intermédiaire d'un comité d'entreprise, pen-
dant les vacances, pendant la période de travail (essen-
tiellement suivant les diverses modalités du loisir, car la
vieille revendication ouvrière du travail lui-même comme
moyen de culture ne semble pas prêt d'être réalisée pour
la majorité des travailleurs). Les mouvements de jeunesse
montrent l'exemple à cet égard ; depuis quelques années,
ils se sont adaptés, dans leur action locale, aux circons-
tances les plus diverses.
Il s'agit de créer des conditions de culture multiples,
pour faire éclater des cadres oppressifs. C'est une tenta-
tive pour trouver un rythme à la vie quotidienne, l' unifier
l'animation culturelle, quels que soient le lieu, la technique,
le cadre, le moment, n'accepte pas le fait de l' aliénation ;
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elle vise à l'administration par les usagers eux-mêmes :


être responsable de sa vie.
En ce sens, l'animation culturelle ne peut être que
protéiforme, se présenter sous de multiples aspects. C'est
pourquoi nous en donnerons plusieurs exemples.
Elle ne peut que se développer. Elle suivra en cela l'as-
piration à autre chose que le temps de travail pour rythmer
la vie : le temps de loisir où tout est possible. Un orga-
nisme comme le Club Méditerranée l'a compris. Il utilise
depuis plusieurs années des animateurs. On peut se de-
mander, d'ailleurs, s'il s'agit vraiment d'une animation
culturelle, en portant non pas un jugement de moraliste
sur la qualité de l'animation, mais en remarquant, d'une
part, l'absence de gestion réelle des usagers, et, d'autre
part, le choix limité qui est proposé.
Si l'animation culturelle donne assez facilement l'impres-
sion d'un bouillonnement anarchique, c'est, en effet, dans
la mesure où elle remplit son rôle : offrir une gamme de
possibilités telles que la liberté reste toujours possible
— et le refus.
C'est aussi contre un danger de totalitarisme que s im-
posent auto-gestion et pluralisme : on craint beaucoup
parfois l'Etat, mais les dirigeants, les techniciens, les « ad-
ministrateurs » ne doivent pas non plus dépasser leur
rôle. C'est pourquoi Michel Durafour, président de la Fé-
dération nationale des Centres Culturels Communaux et
maire-adjoint de Saint-Etienne, insistait sur la gestion
des usagers : « Il n'est pas concevable, au XX siècle, de
ne pas associer les usagers d'un établissement de cette
nature à l'administration de l'établissement lui-même. »
Il s'agit ici des Maisons de la Culture, mais on peut
l'appliquer à tout autre centre culturel. Le danger est
réel, surtout à une époque « de masse ». Rendant compte
de l'inauguration de la Maison de la Culture de Caen, Luc
Decaunes était féroce contre cette « authentique réception
mondaine » : « Au surplus, un important service d'ordre
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isolait le théâtre du reste de la ville, écartait les curieux


et filtrait soigneusement les entrées, cependant que des
inspecteurs, mêlés aux invités, exerçaient à l'intérieur une
discrète surveillance. L'avouerai-je ? la vue de ces bar-
rières entourant l'édifice, de ces agents déployés de toutes
parts, de cette double file de militaires faisant la haie au
garde-à-vous, m'a causé un profond malaise. Et plus en-
core la vue de la foule anonyme massée sur les trottoirs
et admirant de loin la maison qu'on inaugurait ce soir
au nom de la démocratisation des loisirs et du droit à la
culture — c'est-à-dire en son nom. Qu'est-ce que c'est que
cette culture populaire dont on parle quand le peuple est
absent ? » L'animation du quartier n'était pas, ce soir-là,
ce que nous appelons « une animation culturelle ». Luc
Decaunes ajoute d'ailleurs qu'on peut faire toute confiance
à J. Tréhard, directeur de la Maison de la Culture de Caen,
pour vouloir que sa maison s'ouvre effectivement aux gens
du peuple. (L'Education nationale, 2 mai 1963.) Il ne faut
pas, en effet, que tous ces efforts n'aboutissent qu'à une
nouvelle mystification.
L'animation culturelle exige des hommes désintéressés
et pouvant répondre aux situations les plus diverses. Elle
en exige beaucoup. Relevant les divers secteurs où l'ani-
mation culturelle allait s'imposer, Paul Harvois pouvait
dresser un tableau suggestif des besoins grandissants :
le secteur public tout d'abord (par l'intermédiaire de di-
vers ministères ou par l'action des communes) ; le secteur
semi-public (grands ensembles de la Caisse des Dépôts,
organismes nationalisés — comme la SNCF, l'EDF, les
Charbonnages —, la Fédération des Maisons des Jeunes,
les Foyers ruraux, les Centres sociaux des Caisses d'Allo-
cations Familiales, etc... ; le secteur privé, enfin (les mou-
vements de jeunesse, de culture populaire, les associations
de vacances, les innombrables associations locales, les
comités d'entreprise, etc.). Les situations sont extrêmement
diverses et vont des 240 clubs agricoles qui fonctionnent
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déjà dans l'armée aux Parcs naturels à créer, aux ciné-


mas d'essais ou aux expositions itinérantes.
Il ne s'agit pas d'une simple utilisation de loisirs accrus.
Beaucoup plus profondément, nous venons de le voir,
l'animation culturelle est une façon de répondre aux pro-
vocations de la société moderne ; elle correspond à une
certaine idée que nous avons de l'homme : libre, respon-
sable, fabriquant sans cesse « de l'humain ».
Comment ne pas ici citer l'intervention d'André Mal-
raux présentant le budget 1964 du ministère de la Cul-
ture, justifiant l'action culturelle de l'Etat, par une dé-
fense contre les « machines à réves » inventées « pour
rapporter le plus d'argent possible à ceux qui les fabri-
quent » et qui n'ont « de puissance magistrale que dans
la mesure où elles font appel à ce qu'il y a de moins
humain en nous, de plus animal, de plus organique : le
sexe et la mort.
« Si nous acceptions une fois pour toutes, sans contre-
partie, que cette immense puissance agisse sur le monde
avec ses propres moyens, il y va de ce que nous appelons
la civilisation. Non que ces machines soient mauvaises par
elles-mêmes : elles sont des multiplicateurs — de leur
multiplicande » (...)
« Voici l'axe de notre travail : il faut que, d'ici trente
ans, tout être humain ait les moyens de se défendre. Ces
moyens, c'est nous qui les leur apporterons, sinon personne
d'autre ne le fera. » (...)
On peut certainement faire bien des réserves sur l'in-
suffisance de l'action culturelle réelle de l'Etat ; le journal
Le Monde notait, à propos de ce discours qu'on « oubliait
aisément que les crédits qui fournissaient l'occasion de
cette prestigieuse démonstration ne représentaient que
0,37 % du budget total de l'Etat. On était loin des
dépenses d'entretien et des autorisations de programme »
(12/11/1963). On peut être très réticent sur l'auto-justi-
fication gouvernementale ; on peut aussi redouter une éta-
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tisation. On peut surtout souligner un paradoxe car, après


tout, le ministre de la Culture peut agir de diverses ma-
nières sur ces « machines à rêves » — surtout sur la
Télévision de l'Etat. Certains parleront de la paille et de
la poutre. Toutes ces réserves faites, l'esprit des remar-
ques d'André Malraux correspond à l'animation culturelle ;
il n'est cependant pas sûr que tout le monde accorde le
même sens à ces mots. Ni moyens de pauvre, ni seulement
éducation de la jeunesse, ni quadrillage politique, l'anima-
tion culturelle est, en tout cas, une nécessité de notre
civilisation.

DIVERSITÉ DE LA
' NIMATION CULTURELLE
Nous avons déjà beaucoup insisté sur la diversité de
cette action qui existe, en vérité, depuis plusieurs années :
le ciné-club comme la discothèque d'entreprise sont des
réponses maintenant bien rodées. L'animation culturelle
s'affirme de plus en plus nécessaire, de plus en plus
variée ; elle est de plus en plus souhaitée.
C'est, par exemple, une circulaire du ministère de la
Construction qui prévoit des « locaux spéciaux » pour
des usages collectifs à partir de 100 logements (N° 60.36
du 2 juin 1960). C'est la circulaire du 24 août 1961 (N° 144)
qui note que « la possibilité de disposer de quelques locaux
sans affectation préalable favorise certaines initiatives
spontanées des usagers qui sont souvent parmi les plus
efficaces ». Dans une remarquable étude sur ces locaux
spéciaux, Guy Madiot, rappelant ces textes, affirmait forte-
ment : « Il est plus que jamais nécessaire de multiplier
les « micro-réalisations », de sorte que celles-ci constituent
un « réseau », un « maillage », des pôles attractifs cor-
respondant aux besoins, aux aspirations des jeunes, cor-
respondant aux exigences d'un pluralisme actif. » Nous
étendons ces remarques à toute une population (et non
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plus seulement aux jeunes). Guy Madiot montre que les


normes suggérées sont insuffisantes ; et que certains « pro-
moteurs » ne les respectent même pas ! (Rapport à la
Commission Equipement-Animation.)
Si la nécessité de cet équipement n'est plus contestée
malgré la mauvaise volonté de certains « qui veulent éviter
à tout prix le développement d'institutions libres, spon-
tanées et pluralistes » (Guy Madiot), l'animation et les
problèmes des animateurs sont beaucoup moins connus.
On se cantonne en général dans les problèmes de la jeu-
nesse. C'est pourquoi nous laisserons la parole au promo-
teur d'une animation culturelle locale pour adultes (Noël
Prévost).
Et cependant, c'est en ce dernier domaine que les be-
soins sont les plus pressants. Georges Goubert et Guy Pa-
rigot, lors d'une entrevue concernant la Comédie de
l'Ouest qu'ils dirigent à Rennes, concluaient en soulignant
ce besoin : « Il faut aussi former des animateurs. Nous
ne suffisons plus à la tâche. On vient nous chercher pour
animer des réunions de quartier. Nous avons un effectif
moyen de 35 personnes payées à l'année, dont 23 comédiens.
Nous ne pouvons assurer toutes les activités culturelles.
Oui, il faut former des animateurs » (Affrontement, n° 25,
octobre 1963).
Ces « micro-réalisations » créent, d'ailleurs, une « cul-
turisation » profonde de la masse, et préparent le terrain
pour des réalisations plus spectaculaires à d'autres éche-
lons. C'est ainsi qu'après plusieurs années de travail le
Centre dramatique de l'Ouest, publiant une étude de
Jacques Desuché, «Diffusion de la Culture et aménagement
culturel », approuvait la politique préconisée : « Nous
sommes (...) arrivés maintenant à une époque où il con-
viendrait de créer au niveau de la Région ou des Sous-
Régions, un grand CENTRE DE ' XPANSION CULTURELLE chargé
de donner l'impulsion aux activités culturelles, et de coor-
donner et assurer la qualité de ces activités. » Et l'auteur
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remarquait aussi que « le développement économique,


l'implantation d'usines, sont inséparables d'un cadre socio-
culturel suffisamment évolué (...). Une ville ne gaspille pas
son argent en investissant en équipement socio-culturel,
elle travaille à son propre avenir. » (Courrier Dramatique
de l'Ouest, n° 69, 1963.)
De l'immeuble à la région, en passant par le groupe,
le quartier, la ville, on peut ainsi établir toute une gamme
d'activités qui font toujours surgir la nécessaire présence
des animateurs.
Il faudrait aussi suivre cette même diversité en milieu
rural. Dans un article fort documenté d'un numéro spé-
cial de la revue Pas à Pas, A. Denviolet signalait que le
milieu rural était animé par des groupements très divers.
Il citait : Les amicales des anciens élèves d'écoles publi-
ques, la JAC, la FNEA, la CGA, les Jeunes Agriculteurs,
les Foyers ruraux, les CIAVM, les Foyers de progrès agri-
cole, les Centres familiaux d'apprentissage rural et ména-
ger, les Cours post-scolaires agricoles et ménagers, les
Concours de motoculture, les CETA, les Coopérateurs, les
Jeunesses musicales rurales, les CIS, les MJC rurales.
Tous ces sigles, parfois mystérieux pour l'habitant des
villes, témoignent que l'animation culturelle est insépara-
ble des bouleversements politiques et sociaux. (Pas à Pas :
« Aménager, équiper, construire ».) On s'est préoccupé
là aussi d'équipement. Les 53 organisations qui consti-
tuent le G.E.R.O.J.E.P., jugeant le programme d'Equipe-
ment sportif et socio-éducatif du 28 juillet 1961, consta-
tèrent que « le milieu rural, par exemple — tout le monde
le reconnaît — a été oublié ». Mais on sait maintenant,
après enquêtes et études, quelle grille d 'équipement il
conviendrait d'appliquer au milieu rural et surtout pour
les jeunes. On se trouve, par contre, beaucoup moins à
l'aise en ce qui concerne les animateurs. M.Maurière a pré-
conisé dans un Rapport au Haut Comité de la Jeunesse, le
développement de techniciens itinérants, qui répondraient
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à une demande formulée par des groupes de bases (« l'Ani-


mation en milieu rural »). Ce n'est pas, semble-t-il, la
solution qu'envisage le ministère de l'Agriculture.
Si l'on se place au plan des techniques, la diversité de
l'animation est non moins grande puisqu'elle fait appel
au livre comme au cinéma, à la psychologie de groupe
comme à la musique. Là encore, le problème des anima-
teurs réapparaît.

DES RÉPONSES POSSIBLES


La réponse de l'Etat à ce nouveau besoin a été claire-
ment définie dans un premier stade (celui de l'équipement)
par le quatrième plan (1962) : « Le rôle de l'Etat est de
créer les conditions rendant possible et fructueux l'effort
de chacun, notamment en développant une infrastructure
de salles de spectacles et de Maisons de la Culture, en
rapport avec des besoins de plus en plus vivement res-
sentis » (...) « L'effort culturel a pour but essentiel d'as-
surer une ouverture permanente aux œuvres de la pensée
et de l'art, d'en faire bénéficier tous les âges et toutes les
classes (...). C'est une forme très particulière de « service
public » qu'il importe d'organiser et d'outiller dans les
années prochaines si l'on veut commencer à satisfaire
les besoins de la culture. » Les 900 millions de francs
d'investissements prévus au plan (dont 315 seulement pour
l'action culturelle proprement dite), même s'ils sont effec-
tivement accordés, seront encore insuffisants. Du moins,
un équipement culturel, même incomplet, sera-t-il mis en
place. Il faudrait rajouter une partie de crédits de la
loi-programme d'équipement sportif et socio-éducatif du
28 juillet 1961, 140 milliards d'anciens francs en cinq ans.
La ventilation est difficile à établir pour savoir ce qui re-
vient au secteur culturel. C'est certainement très peu,
par rapport à l'équipement propre au secteur sportif.
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Que ce soit dans un grand ensemble urbain, dans un vil-


lage animation
une ou à l'échelle d'une région,
culturelle. des hommes
Ces animateurs agissent dans
se trouvent pour
des groupes divers comités d'entreprise, associati
culturelles, Maisons des Jeunes, mouvements de jeunesse,
Centre dramatique, centre de vacances, etc. Ils répondent à
un besoin nouveau et contribuent à enrichir le tissu social,
à le créer où il n'existe pas. L'animation culturelle incite
aussi à l'engagement et à la responsabilité.
L'Equipe de la revue Affrontement a fait appel à des ani-
mateurs compétents dans des domaines divers et elle a as-
suré la présentation et les conclusions pour une animation
culturelle.
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