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Études théologiques et religieuses

La théologie de la Grâce
Docteur Adolf Keller

Citer ce document / Cite this document :

Keller Adolf. La théologie de la Grâce. In: Études théologiques et religieuses, 7e année, n°3, 1932. pp. 224-256;

doi : https://doi.org/10.3406/ether.1932.1270;

https://www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1932_num_7_3_1270;

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La théologie de la Grâce (I)

Nous, Comité théologique du Mouvement « Foi et


Constitution », présentons notre rapport sur le travail
qui nous a été confié, il y a deux ans à Maloja. Le
Comité de Continuation avait acquis la conviction
que la chrétienté ne pouvait s’unir de nouveau que sur
la base d’une pleine compréhension des causes qui ont
divisé les Eglises sur les questions concernant leur foi
et leur constitution. On prit donc la décision d’exa¬
miner avec soin quelques-uns de ces grands problèmes
fondamentaux. A cet effet, les membres du Comité
de Continuation furent invités à nommer des spécialistes
parmi lesquels fut recruté le Comité théologique
actuel.

Le premier sujet proposé notre étude fut celui


à
de la Grâce. Nous avons procédé comme suit :

(i) La Conférence universelle « Foi et Constitution » a tenu ses assises à


Lausanne, du 3 au 21 août 1927. Son Comité de Continuation, réuni à Maloja
(Suisse), le 29 août 1929, nomma un Comité théologique, qui, après deux ans
de travaux, présenta le rapport suivant au Comité de Continuation, à High
Leigh, près de Londres, le 19 août 1931. Le Comité de Continuation reçut
ce rapport avec reconnaissance, et décida qu’il serait publié en tant que
rapport du Comité théologique. En même temps, le Comité de Continua¬
tion suggéra au Comité théologique de prendre maintenant comme sujet
d’étude la doctrine de l’Eucharistie.

La tâche du Comité théologique fait partie des travaux préparatoires en


vue de la seconde Conférence universelle « Foi et Constitution », qui doit se
réunir à Lausanne, en août 1937. Les publications concernant le Mouvement
peuvent être demandées au Secrétariat, P. O. Box 226, Boston, Mass. U.S.A.,
qui les fournit gracieusement.
— 225 —

Le sujet fut divisé entre les divers membres du


Comité, qui préparèrent les mémoires contenus dans
ce volume (i) :
I. La grâce dans le Nouveau Testament.
II. La grâce chez les Pères grecs, jusqu’à saint
Jean de Damas. Etude particulière sur l’usage de charis.
III. La grâce chez les Pères latins, jusqu’à saint
Augustin.
IV. La grâce chez saint Augustin.
V. Les conceptions romaines médiévales et modernes
de la grâce.
VI. La théologie de la grâce chez les Réformateurs :
Luther et Mélanchthon, Zwingle, Calvin.
VII. La grâce chez les écrivains mystiques.
(i) Le rapport dont nous donnons la traduction n’est qu’une partie du
recueil complet des travaux, publié en anglais, en un fort volume de 396 et
xii pages, par l’évêque de Gloucester, avec Introduction de l’archevêque
d’York, au prix de 15/net (franco 15/9) Student Christian Movement Press,
58 Bloomsbury Street, London W.C.i.
Les conclusions du rapport ont déjà été publiées en français par l’un
des membres de la Conférence, le professeur Jundt, dans son article sur
« Le Comité Théologique de Gloucester » ( Revue d’ Histoire et de Philosophie
religieuse , 1932, n° 2). Cet article vient de paraître séparément en une bro¬
chure in-8° de 11 pages. (Imprimerie alsacienne, Strasbourg, 1932.)
En matière aussi délicate et controversée, il nous a semblé que le devoir
du traducteur était de viser à la fidélité plutôt qu’à l’élégance ; aussi avons
nous parfois suivi la phrase anglaise de très près, pour ne pas risquer d’en
atténuer ou d’en préciser à l’excès les nuances.
Nous aurions bien quelques réserves personnelles à faire sur certaines
des formules d’accord; la tâche du théologien nous paraît être, non seule¬
ment de constater et de poser des antithèses, mais, en toute simplicité, de
s’efforcer à les résoudre. Mais nous savons, par expérience, pour avoir parti¬
cipé à des essais parallèles du mouvement de Stockholm, combien il est
difficile, dès le premier contact, d’entrer dans cette voie. Notre réserve n’est
donc pas une critique. Nous entendons plutôt, par cette traduction
même, rendre hommage à un remarquable travail de mise au point sur un
problème aussi essentiel que celui de la Grâce, et à l’esprit œcuménique
dont ce travail est l’un des résultats importants. Quand le théologien est
animé de cet esprit, nul doute que la parole patristique ne se réalise : « Dieu
se complaît dans le service du théologien. » (Saint Augustin : Retractationes.)
On se rendra compte, à la lecture de notre article (dans le numéro 4 des
Etudes théologiques et religieuses 1932 (H. Clavier) : Antilégalisme et
Nomisme, conclusions d’un rapport présenté à la Conférence théologique
de Berne (Stockholm), en août 1930), que l’esprit de Stockholm et
celui de Lausanne soulèvent les mêmes problèmes et nous entraînent
dans la même direction. Nous avions déjà fait la même constatation dans
notre essai sur « Le Mouvement œcuménique et la Théologie » (trois
articles des Etudes théologiques et religieuses , 1930, nos 2, 3, et 4).
4
— 226 —

VIII. L’Eglise orthodoxe et la grâce sacramentelle.


IX. La grâce dans la tradition méthodiste.
X. La grâce dans la théologie allemande moderne.
XI. Notes sur la grâce. — La théologie de la grâce.
— Suggestions en vue d’un exposé synthétique. —
Essai d’extension dogmatique.
XII. Position des problèmes.
Ces memorandums ne devaient pas être des études
exhaustives sur les thèmes en discussion, mais l’exposé
des points saillants et importants à chaque époque,
afin de rendre claires au lecteur les causes principales
des différences d’opinion existantes. Ils seront publiés
suivant la révision finale de leurs auteurs, à la lumière
des discussions qui ont eu lieu; chacun sera seul respon¬
sable du memorandum qu’il signera ; il n’y aura
de responsabilité collective que pour ce rapport-ci.
C’est avec ces notes devant eux que se réunirent à
Gloucester, du 4 au 17 août 1931, sous la présidence
de l’évêque de Gloucester, avec le Dr Whitley comme
secrétaire, les membres suivants du Comité théologique :
Prof. Alivisatos, Prof. Arseniev, Dr Vernon Bartlet,
Dr William Adams Brown, Prof. Choisy, Dr Gavin,
Prof. Hermelink, Prof. Jundt, Dr Geza Lencz, Prof.
Manson, Prof. Nôrregaard, Dr Watson, Prof. Wobber
min. Nous discutâmes avec un grand soin les questions
variées qui nous furent présentées. Nous pûmes nous
accorder sur certaines conclusions que nous présentons
ici comme des essais de suggestions, dans l’espoir
qu’elles pourront aider à une entente entre les Eglises
chrétiennes. Nous avons conscience aussi bien de la
complexité ou de la difficulté des problèmes que des
imperfections de nos propres efforts. Nous ne publions
pas ce rapport dans un sentiment de confiance en notre
habileté à résoudre des problèmes qui ont troublé
la pensée humaine pendant tant de siècles, mais dans
un esprit de prière. Que nos efforts sérieux de concilia¬
tion puissent porter quelque fruit en faisant avancer
l’unité chrétienne!
227 —

A. — LA GRACE
DANS L’HISTOIRE CHRETIENNE

L’enseignement chrétien dérive non seulement de


l’enseignement de Notre Seigneur, mais de sa vie et
de sa mort, en tant qu’interprétés par la communauté
chrétienne. Cette tradition ne suivit pas toujours la
forme que lui donna saint Paul, qui fut la source de
la théologie de la grâce au début, tant en Orient
qu’en Occident, le développement de la théologie
chrétienne ne fut conditionné que dans une mesure
limitée par son enseignement particulier; aucune théo¬
logie définie de la grâce ne se présente alors. Ce fut
à deux grandes époques de l’histoire chrétienne que
la théologie de saint Paul acquit une importance primor¬
diale : dans l’enseignement de saint Augustin, et dans
celui de la Réformation, spécialement des deux grands
Réformateurs : Luther et Calvin.
Contrastant avec l’évolution occidentale postérieure,
les Pères grecs se caractérisent par un robuste
optimisme, même en ce qui concerne la nature humaine
déchue. Ayant à faire face à certaines vues gnostiques
et manichéennes, ils insistèrent sur le libre arbitre et
se refusèrent énergiquement à séparer le naturel et le
surnaturel. Le Dr Gloubokovsky fait observer que la
littérature patristique, et spécialement grecque orien¬
tale, ne comprend pas d’études spéciales sur cet élément
si essentiel du christianisme. Les chrétiens de cette
époque n’éprouvaient pas la nécessité de telles discus¬
sions, parce qu’ils avaient une conscience permanente
de la grâce de Dieu existant en eux directement et
pleinement. C’était un fait vital de leur expérience
personnelle, commun à tous sans exception. La vie
chrétienne tout entière était elle-même affaire de
grâce. Dans la grâce, dès le commencement, selon la
volonté de Dieu, sont à l’œuvre, invariablement, la
bonté sans limitation du Père, l’amour du Christ qui
passe toute connaissance, et l’insondable douceur
— 228 —

de l’Esprit. Tout ce qui, dans l’ordre de la création,


de la providence et de la rédemption, est accompli
par le Dieu un en trois (triune) , par sa bonne
volonté, est une manifestation de la grâce. Du point de
vue objectif, le monde entier, et tout ce qui est dans le
monde, participe de la grâce de Dieu; c’est dans
l’Église qu’elle atteint finalement son but raisonnable
et sauveur. Cela est également vrai du point de vue
subjectif, si l’on se réfère à la participation admise
et actuelle de ceux qui doivent être sauvés dans tout
le complexe humain de la création de Dieu.
Si nous nous tournons vers les premiers Pères
latins avant saint Augustin, on fait observer que, dans
un certain sens, leur horizon pourrait être également
considéré comme non-paulinien. Il y avait alors un
sentiment de victoire et de puissance; le fait notable
qui influait sur la théologie était la possibilité très réelle
du martyre. Il y a peu d’indices d’une désillusion pro¬
voquée par le sentiment de la prédominance du péché
ou par la pensée que la chute est un fait qui commande
la vie humaine. Si le salut, d’une part, est conféré par
Dieu, il est, d’autre part, mérité par l’homme. La justi¬
fication de cette confiance était le fait du baptême. Les
hommes qui avaient reçu le sacrement avaient été
dotés, pour le bien, d’un nouveau pouvoir dans lequel
ils devaient avoir une confiance absolue. Plus tard, et
contrastant avec cet optimisme, la manière de penser
contraire gagna rapidement du terrain, en fonction
des circonstances du temps. Au quatrième siècle,
l’Empire romain allait visiblement s’effondrer ; il
fallait trouver une explication de ce fait, et les chré¬
tiens en vinrent plus décidément à en attribuer la
cause au péché. L’homme, suivant cette théorie, est
incapable et dégénéré; il n’a point de mérite. Au
contraire, il a une tendance héréditaire au mal, et même
un héritage de péché actuel et de coulpe méritant un
châtiment qui frappe en même temps l’individu et ses
ancêtres. Cela nous conduira à saint Augustin.
— 229 —

On peut noter que renseignement des Pères grecs,


n’ayant pas subi l’influence de saint Augustin, forme la
base de la théologie de l’Église orientale, et qu’en Occi¬
dent, malgré l’augustinisme devenu prédominant, la
théologie occidentale primitive a survécu dans les
influences semi-pélagiennes qui prévalurent au moyen
âge, et qui se rencontrent encore aujourd’hui.
La théologie de saint Augustin fut le résultat,
partiellement des misères de son temps, et partiellement
aussi de sa propre expérience religieuse. Elle peut être
exposée en quelques mots : le péché, la grâce de
Dieu incarnée en Christ et communiquée par le Saint
Esprit, dans l’Église catholique. L’homme a tourné le
dos à Dieu. C’est en cette déviation, en cette perversion
de la volonté, que le péché consiste. La volonté est
asservie par le péché, au point de rendre l’homme
incapable de faire le bien, même s’il le désire. Augustin
a dépeint cette épreuve, la plus terrible de la vie humaine,
avec une énergie saisissante; lui-même l’avait traversée
et vécue dans toute sa profondeur. Partout où il regar¬
dait, il voyait la même chose, et le témoignage de l’expé¬
rience était complété par les Écritures. Cela s’est
produit par la chute d’Adam avec son résultat : le
péché originel. La race humaine entière est infectée
par le péché d’Adam. Chaque âme individuelle tombe
sous la malédiction du péché originel. L’homme n’a
aucune force pour son propre salut qui ne peut venir
que de Dieu. C’est le sens de la grâce de Dieu; elle est
imméritée, il n’y a aucun mérite en l’homme. La grâce
de Dieu vient la première; c’est toujours Dieu qui
commence. Il plante la foi dans le cœur de l’homme ;
de la foi sort la justification, car la rémission des péchés
s’effectue entièrement sans considération des œuvres
passées. Par la justification, un homme sort de l’injus¬
tice pour devenir juste. La théorie de saint Augustin
est, effectivement, celle-ci : « La foi est un don de la
grâce qui, infusée en l’homme, le rend capable de
produire des œuvres bonnes et agréables à Dieu. » La
— 230 —

justification afieu dans le baptême qui procure la


rémission des péchés aussi bien que le Saint-Esprit.
La justification a fieu dans l’Église et par les Sacrements.
Bien qu’ Augustin décrive la grâce en termes prédes
tinatiens, il essaie de montrer que l’action de la grâce
en l’homme n’équivaut pas à une omission ou à une
abolition de la volonté; Dieu agit par la volonté, laquelle
ne devient fibre qu’en s’attachant à Dieu.
La doctrine médiévale fut, primitivement, un héri¬
tage qui se développa et se modela en accord avec les
besoins de la piété pratique et la philosophie d’Aristote.
Elle était fondée partiellement sur saint Augustin
interprété par saint Grégoire et d’autres commentateurs.
La grâce est regardée comme un don fibre fait à
l’homme; elle émane de la volonté d’amour de Dieu,
telle qu’elle se fait connaître spécialement dans l’Incar¬
nation, la Passion et la Résurrection. On la croyait soit
transmise par l’Esprit médiateur, soit donnée (comme
l’amour) par l’Esprit lui-même. Elle est essentielle¬
ment, suivant saint Thomas, une «espèce de partici¬
pation à la Nature divine » (cf. i Pierre i : 4). En tant
qu’émanation de la personne divine qui s’unit à l’homme,
elle peut être considérée diversement comme : une illu¬
mination de la pensée humaine, un stimulant de la
volonté, un embrasement de l’humaine faculté d’aimer;
et cela, qu’elle soit conférée médiatement ou immé¬
diatement, par le contact direct de l’âme et de l’aimante
bonté de Dieu, ou par les moyens sacramentels de
grâce. La grâce rend l’homme agréable à Dieu : la
justification consiste à rendre juste. Le fibre arbitre, en
tant que collaboration volontaire avec la volonté de
Dieu, est, par un acte secourable de son amour, rendu
capable de se conformer à lui, afin d’accomplir actuel¬
lement ce qu’il rend virtuellement possible pour
l’homme. Les mérites ont leur seul caractère dans la
volonté divine à la fois de les reconnaître et d’inspirer
les actes par lesquels ils puissent être atteints. Les
sacrements sont des moyens de grâce, la forme visible
— 231

de l’invisible grâce ainsi conférée, et ils dépendent


primitivement de la volonté aimante de Dieu. En ce
qui concerne leurs résultats en nous, légitimes et
voulus de Dieu, ils dépendent d’une réponse effective
de la volonté de l’homme à l’amour de Dieu. Le danger
de prolonger l’accent sur la technique de la vie sacra¬
mentelle fut que la grâce pût être regardée pratiquement
comme une communication de puissance plutôt que
comme une relation de parenté avec une personne, et le
salut considéré comme une œuvre de l’homme accomplie
par la grâce de Dieu, transmise par les moyens sacra¬
mentels.
La théologie de la Réformation surgit en réaction
contre ce système qui fut bâti par l’Ëglise médiévale,
et qui avait, en tout cas, l’apparence de faire du salut
de l’homme quelque chose d’accessible, par le mérite
humain. Les Réformateurs enseignèrent que Dieu, par
sa grâce, jette un pont sur la brèche que le péché a
faite entre Dieu et l’homme et qu’il offre au pécheur
sa libre bienveillance. Cela s’effectue à cause du Christ,
dans la vie et les œuvres duquel Dieu révèle sa volonté
personnelle de nous sauver. Il est l’Évangile qui s’ap¬
proche et s’impose personnellement à nous dans
la parole de pardon, où le Verbe est proclamé par
l’Église qui écoute le Verbe et qui reçoit son ensei¬
gnement de lui. Les Sacrements qui remontent au
Christ, sont des assurances de sa parole salvatrice.
Nous nous approprions l’Évangile par le moyen de
la foi qui procède d’un abandon personnel à la gracieuse
volonté de Dieu, telle qu’elle se révèle à nous en Christ.
La foi est communion personnelle avec Christ et vie
en union avec Dieu. « Là où il y a foi, il y a vie et féli¬
cité. » Car la foi, en tant que noyau de l’expérience
religieuse, produit les bonnes œuvres; elle redresse
nos vies qui sont sanctifiées par le Saint-Esprit, dans
la communion du Royaume de Christ.
Il faut ajouter quelque chose au sujet des dévelop¬
pements postérieurs de la théologie en Allemagne.
— 232

Tandis que la doctrine de la grâce, volonté sainte et


aimante de Dieu révélée en Jésus-Christ, était, au temps
de la Réformation, le centre de toute pensée théolo¬
gique, avec l’orthodoxie de la post-Réformation, elle ne
fut plus qu’un élément dans l’exposé systématique de
la doctrine, où d’autres éléments étaient développés et
mis en rapport avec elle. Dans la conception que le
rationalisme se fit de la religion, la doctrine de la grâce
fut reléguée à l’arrière-plan et sa valeur minimisée.
Placé devant la nécessité de combattre à la fois l’ortho¬
doxie et le rationalisme, et guidé par sa conception
théologique fondamentale de la religion sentiment
d’abso ue dépendance, Schleiermacher établit la notion
de la grâce (ou, plus exactement, les deux notions du
péché de l’homme et de la grâce de Dieu) comme la
pensée dominante et essentielle dans la doctrine chré¬
tienne. Il prépara ainsi la voie qui aboutit à formuler
cette assertion que la Grâce et la Foi sont des notions
corrélatives et que sola gratia Dei et sola fide hominis
expriment la même chose de deux côtés différents.
Dans le même ordre, il souligna encore, contre l’ortho¬
doxie protestante, que la grâce ne peut pas être com¬
prise correctement en dehors du renouveau de la vie
morale tout entière par la foi. A cet égard, il échoua
manifestement à saisir assez fortement la conception
de la Réforme sur la Justification. La connaissance de
cette conception, déjà atteinte par Albrecht Ritschl, a
été confirmée par de récentes recherches. Aujourd’hui,
la tâche demeure pour la théologie allemande moderne,
d’explorer plus profondément les notions ci-dessus,
dans la ligne de Luther-Schleiermacher, et d’établir
plus fermement les convictions et intentions fonda¬
mentales qui se trouvent derrière les concepts et les
affirmations doctrinales de l’Église et de la théologie.
Une attention, proportionnellement bien plus grande
que celle qui lui fut jusqu’ici accordée, doit être donnée
à toute la question de la vie morale sous ses aspects
sociaux.
— 233 —

B. — LA THÉOLOGIE DE LA GRACE
A L’HEURE ACTUELLE

Nous avons indiqué* dans les paragraphes précé¬


dents, quelques conditions historiques du dévelop¬
pement qui a créé la situation présente dans les Églises
chrétiennes. En ce qui concerne la théologie de la
grâce, la position de l’Église à l’heure actuelle dépend
de ces conditions, et, en particulier, sur ces deux
points : à) les Églises ont-elles subi l’influence de la
théologie de saint Augustin ? b) ou celle de la théologie
de la Réformation de Luther et Calvin? De ce point
de vue, nous pouvons classer les Égüses comme suit :

I. — L’Église d’Orient comme caractéristique


a
de n’avoir jamais été influencée par l’enseignement de
saint Augustin. Aussi n’a-t-elle jamais développé une
théologie de la grâce. Elle n’attache pas une importance
aussi exclusive que le fait saint Augustin à la doctrine
de la chute de l’homme. Elle considère que justification
veut dire « action de rendre juste ». Elle met fortement
l’accent sur l’Incarnation et la Résurrection de notre
Seigneur, sur la vie nouvelle de l’Esprit qui sanctifie
les créatures. En accentuant énergiquement la vie
dynamique et sanctifiante de l’Esprit dans l’Église
et spécialement dans les sacrements, elle ne fonde sa
croyance aux sacrements sur aucune conception d’une
grâce sacramentelle, mais sur l’œuvre du Saint-Esprit.
Sa théologie a un caractère mystique et contemplatif;
elle est inspirée par ce fait central que la Parole est
devenue chair.

II. — La théologie de la grâce dans l’Église de


Rome est une clarification des doctrines médiévales,
accélérée par la controverse avec le protestantisme
au seizième siècle. La grâce est l’amour de Dieu; elle
est infusée par Dieu en nous, et elle opère en nous avec
le libre consentement de notre volonté. Justification
— 234

signifie action de rendre juste. Elle commence avec le


baptême comme stade initial, et s’achève par la victoire
de la sanctification, dans l’union avec Dieu, dans la
gloire. La foi elle-même implique l’obéissance et l’accep¬
tation, aussi bien qu’un abandon confiant. D’où la
nécessité des bonnes œuvres dans le plan du salut;
bien que nous soyons justifiés par la foi, puisque la foi
est «le commencement, le fondement et la racine de
toute justification », suivant les termes du Concile de
Trente. Les moments de la grâce de Dieu peuvent être
décrits diversement : comme grâce « prévenante » par
laquelle des adultes peuvent être émus à la foi en
Christ, et ainsi poussés au baptême; comme grâce
« habituelle », par laquelle la divine puissance d’amour
établie par l’Alliance, est communiquée à l’homme
par l’intermédiaire des sacrements; et ainsi de suite.
La liberté de l’homme est l’élément de coopération
et la condition nécessaires dans l’acte initiateur du
processus par lequel le salut est accompli. En recevant
comme il convient la grâce de Dieu, l’homme est rendu
capable d’accomplir des œuvres que Dieu se plaît à
regarder comme méritoires à ses yeux. L’amour n’écarte
point la volonté de l’homme qui demeure essentielle à
la relation réciproque entre Dieu et l’homme racheté,
pour l’appropriation du salut.

III. — Le principe fondamental des Églises luthé¬


riennes et calvinistes est la justification par la foi. La
justification est interprétée comme le don que Dieu
fait librement de son pardon; elle exprime l’acte par
lequel Dieu, en pardonnant, adopte l’homme comme
son enfant. Elle ne vient pas à l’homme par le moyen
d’un mérite propre, mais en raison de l’amour
bienveillant de Dieu. Si Dieu pardonne à l’homme, .
c’est afin de le sanctifier; et ce que Dieu a commencé,
il entend l’achever. Comme l’homme reçoit le pardon
des péchés et est admis dans la communion de Dieu
par la foi, la foi devient le principe actif de sa vie nou
— 235

velle. Par le moyen de la foi, Dieu libère la volonté de


l’homme, jusque-là réduite en esclavage par le péché,
et rend l’homme capable d’aimer Dieu et son prochain,
selon la volonté de Dieu révélée dans l’Evangile. La
foi engendre les bonnes œuvres, par lesquelles la vie
nouvelle de l’homme, inspirée par l’amour, devient
manifeste. La sanctification n’est jamais complète
durant la vie présente sur la terre; plus l’homme aspire
à la sainteté, plus il se reconnaît pécheur et indigne de
Dieu.
C’est pourquoi notre relation avec Dieu dépend
toujours de notre justification, c’est-à-dire du pardon
des péchés, que Dieu confère à tout pécheur qui vient
au repentir et à la foi {sola gratia , sola fide).

IV. — Dans le monde de langue anglaise, nous


distinguons trois groupes : En ce qui concerne la
communion anglicane, il faut affirmer, dès l’abord,
qu’aucune généralisation n’est jamais entièrement vraie.
L’on peut dire, cependant, que, dans l’ensemble, et de
même que pour l’Eglise d’Orient, la théologie de la
grâce n’occupe pas, en une mesure bien large, les
esprits du clergé et des laïques. On a souvent affirmé
que la grande masse du peuple anglais était semi
pélagienne et arminienne. La justification par la foi
n’a pas pour lui beaucoup de sens. La théologie angli¬
cane a, dans le dernier siècle, été tirée partiellement
du Nouveau Testament, partiellement des Pères, sur¬
tout des Pères grecs, d’Athanase plutôt que d’Augustin.
L’Anglais religieux moyen n’aurait, certes, aucun doute
au sujet de sa dépendance directe de Dieu. Son point
de vue peut être exprimé dans les termes de l’action
de grâces générale : « Nous te bénissons pour notre
création, notre préservation et pour toutes les bénédic¬
tions de cette vie; mais, par-dessus tout, pour ton
amour inestimable dans la rédemption du monde par
Notre Seigneur Jésus-Christ; pour les moyens de
grâce et pour l’espérance de la gloire. » Il considérerait
— 236 —

comme son devoir de vivre une vie chrétienne. Il serait


conscient de sa faiblesse et de son échec. Il désirerait
le secours divin dans ce qu’il a à faire, et il croirait que
cette aide lui vient par la prière et le Sacrement. Suivant
son point de vue, ü mettrait plus ou moins l’accent sur
les sacrements, mais croirait toujours que par les sacre¬
ments le secours divin nous arrive. Il n’y aurait en lui
aucun sentiment de mérite, mais une conviction très
claire qu’il doit vivre une vie bonne devant Dieu.
L’Eglise d’Ecosse a été et demeure profondément
calviniste, à la fois dans sa doctrine théologique et dans
son expression confessionnelle. Son adhésion aux princi¬
pes du Calvinisme strict a, cependant, été modifiée par
les Actes Déclaratoires (Declaratory Acts) de sa Cour
Suprême; ils définissent le sens dans lequel elle reçoit
et maintient sa confession de foi qui fait autorité.
L’article premier de sa Constitution proclame son adhé¬
sion permanente, en tant que branche de l’Église catho¬
lique, à la confession trinitaire et à la substance de la
doctrine orthodoxe. Dans ces limites, elle affirme sa
liberté de modifier sa confession, son gouvernement
et son culte, mais toujours, cependant, en accord avec
la Sainte Ecriture, qui est sa règle suprême. Comme
d’autres communions religieuses, l’Église d’Ecosse a
mis nettement l’accent sur le côté moral dans la
conception de ses rapports religieux avec Dieu et
l’homme. La vie chrétienne est d’abord une obéissance,
dans la foi pour Dieu, et dans l’unité de l’Esprit, suivant
l’exemple, les commandements et la volonté de
Jésus-Christ.
Les Eglises Évangéliques Libres d’Angleterre, de
même que leurs sœurs des Etats-Unis et d’ailleurs, se
tiennent, dans leur théologie de la grâce, quelque part
entre l’Église d’Angleterre et l’Église d’Ecosse, et cela
tant pour l’importance attribuée à cette doctrine que
pour les conceptions qu’elles s’en forment. A l’un et
l’autre point de vue, elles sont franchement filles de la
Réformation. La grâce de Dieu, en tant que transmise
237 —

par la Parole de l’Évangile, plutôt que par ses sacre¬


ments ou «ordonnances» ( Ordinances )9 comme elles
les ont généralement désignés a été au centre de leur
piété; la justification par la foi, sous ce rapport, a
eu pour eux beaucoup de sens et d’importance. Mais,
depuis le Réveil évangélique, qui s’exprima dans le
Méthodisme comme une nouvelle espèce du genre
évangélique, la conception spécialement calviniste de
la grâce a perdu du terrain dans ces Églises, tandis que
la conception luthérienne distinctive n’a jamais été
familière à la religion anglaise. Aujourd’hui donc, tous
les « Libristes » ( Free churchmen) anglais, tiennent que
« la grâce est la source, et la foi la condition du salut »,
dans un sens très voisin de celui où John Wesley
l’enseignait; cela veut dire que la faculté de l’homme
de céder ou ne pas céder à l’attraction ( drawing ) de la
grâce de Dieu est réelle, et implique une liberté relative
d’initiative comme élément potentiel de la nature
humaine, bien que variant en degré avec les individus
et leurs conditions changeantes.

C. — DISCUSSION

DE PROBLEMES PARTICULIERS

Nous passons maintenant à la discussion de pro¬


blèmes qui résultent de cet aperçu historique. Ce
sont :

i° Le sens de « Grâce ».
2° Le sens de « Justification ».
3° La Prédestination et le libre arbitre.
4° La Grâce dans les Sacrements.
5° L’Église et la Grâce.
6° La doctrine de sola gratia.

Il est nécessaire, lorsqu’on s’occupe des relations


des Églises que des questions soient formulées en
— 238 —

accord avec les termes de la phraséologie religieuse;


mais Ton fait aussi bien d’affirmer que derrière les
expressions théologiques se cachent les problèmes
fondamentaux concernant la relation de Dieu et de
l’homme. Il y a la question de la transcendance de
Dieu, de la manière dont Dieu se révèle, de la méthode
de Dieu pour se communiquer à l’homme, de la nature
de la révélation divine. Il faut se souvenir que les points
en discussion, bien qu’exprimés souvent en langage
technique, ne sont pas purement techniques. Nous
avons mis en appendice à notre rapport un memo¬
randum sur ce sujet, par le Dr William Adams Brown.

I. — Le sens de « Grâce ».

Le mot « grâce » a été pris dans trois sens princi¬


paux. Il peut signifier :
i° L’amour bienveillant de Dieu manifesté dans la
rédemption de l’humanité;
2° Le don à l’homme d’une certaine qualité secrète
et mystérieuse conçue comme venant de Dieu, en
dehors d’une relation personnelle;
3° Un état de grâce, c’est-à-dire l’état d’un homme
qui en est venu à subir l’influence de la grâce divine,
ou qui a reçu le don de la grâce. Bien que certains pas¬
sages du Nouveau Testament puissent être interprétés
en accord avec ces deux derniers sens, il paraît clair
qu’ils ne ressortent pas de l’exégèse du Nouveau Tes¬
tament, mais qu’ils ont leur origine dans des idées
postérieures. Comme il apparaîtra, l’origine du terme
« grâce », pris dans un sens théologique, est due entiè¬
rement au Nouveau Testament, et, dans le Nouveau
Testament, principalement à saint Paul. Le terme
« grâce » n’apparaît pas dans l’Ancien Testament;
mais cela ne veut pas dire que l’idée exprimée par lui
soit totalement inconnue. L’amour gracieux de Dieu
— 239 —

pour rhomme était le fondement réel de la religion


de l’Ancien Testament; mais il faut remarquer que le
salut de Dieu s’appuie moins sur son amour bienveillant
que sur son pouvoir souverain et sa gloire, sa justice
et son jugement. Bien que chez les prophètes, il y
eût une tendance à l’universalisme, pourtant, dans le
judaïsme postérieur, cet élément fut perdu de vue. La
religion dégénérait en légalisme, les relations entre
Dieu et l’homme étaient réglées ordinairement sur la
base du mérite et de la récompense. La miséricorde
de Dieu était quelque chose de subsidiaire, un sup¬
plément de sa justice, et l’on pensait peu à une misé¬
ricorde de Dieu étendue au delà de la communauté
juive.
L’on peut noter ensuite que le langage employé
pour exprimer la conception chrétienne, c’est-à-dire
le terme « grâce », est dû primitivement à saint Paul;
tandis que Notre Seigneur lui-même est la source de
tout ce que le Nouveau Testament veut dire par
« grâce », il n’emploie pas lui-même ce mot. Le principe
auquel il ramène tout est la paternité de Dieu et sa
volonté immédiate d’établir son règne parmi les hommes.
C’est en connexion avec cette volonté ou ce bon plaisir
que Jésus forme ses exigences morales, et c’est de cette
volonté qu’il fait dériver l’assurance et le pouvoir de la
vie rachetée. Il faut se souvenir pourtant que la tradi¬
tion chrétienne ne découle pas seulement de l’ensei¬
gnement de Notre Seigneur, mais de sa vie et de son
œuvre; en particulier, de sa mort et de sa résurrection,
interprétées par la communauté chrétienne.
Lorsque nous nous tournons vers saint Paul, il faut
admettre que le langage dont il se sert, en parlant de la
grâce, reflète positivement les traits de sa propre
expérience du Christ; l’amour rédempteur de Dieu
s’est moulé dans son expérience comme une délivrance
du système du mérite et de la récompense tel que son
éducation le lui avait fait connaître dans le judaïsme
conçu d’une manière légaliste. L’aspect sous lequel
— 240 —

il présente cet amour rédempteur de Dieu est donc,


dans son propre cas, historique. Il faut ajouter, cepen¬
dant, que saint Paul réclamait pour sa doctrine de la
grâce un caractère absolu et inconditionné. Elle repré¬
sente pour lui le seul chemin où l’homme, devant les
faits de sa propre expérience morale, à la lumière de
Dieu, puisse atteindre au pardon et à l’accueil favorable
de Dieu.
La doctrine paulinienne de la grâce part de ce point
de vue que toute la vie de salut repose sur la miséri¬
corde ou sur le libre don de Dieu. Puissance, bonheur,
paix, victoire, félicité, sont conditionnés par la récep¬
tivité du cœur qui s’ouvre à Dieu dans le libre abandon
(self surrender) de la foi. C’est par l’amour généreux
ou le don de Dieu dans la grâce, que le salut est conféré
et qu’un monde nouveau de bénédictions est ouvert.
L’homme est sauvé, non par rien qui procède de lui
même, ou de sa propre nature, ou de sa volonté propre,
de son effort personnel, mais par quelque chose d’entiè¬
rement autre qui procède de Dieu et qui est mis en
évidence dans la croix de Christ.
Ainsi, la grâce, pour saint Paul, signifie l’amour
généreux ou don de Dieu, qui confère, en Christ, le salut
à l’homme et lui ouvre un monde nouveau de béné¬
dictions. Tandis qu’il fait entrer ainsi en rela¬
tion avec la grâce la vie entière du chrétien et les
principes qui y fonctionnent pour la réalisation de la
volonté de Dieu, en plusieurs passages, il parle de la
grâce comme de quelque chose de donné ou qui se
manifeste dans une détermination spécifique de la vie
et du service chrétiens. Il ne semble pas, cependant,
qu’il y ait dans ces passages une raison suffisante
pour détacher le terme de son sens original et premier
de grâce apportant le salut. Le but de la grâce implique
en soi, pour l’individu, des désignations ou fonctions
spécifiques, lesquelles se manifestent dans une déter¬
mination spécifique de la vie sous son action; pourtant,
quand saint Paul parle du pouvoir qui opère dans ces
— 241 —

fonctions ou dons, il ne l’appelle pas la « grâce », mais


« l’Esprit ».
Nous croyons donc favoriser la clarté de la pensée
en maintenant le terme « grâce » dans les limites de
son sens originel d’attribut de Dieu; tout en recon¬
naissant que la grâce divine doit nécessairement se
caractériser par l’activité, et que cette activité de Dieu
est une partie de son amour bienveillant pour l’huma¬
nité, nous devrions décrire son activité en l’homme,
ainsi que saint Paul le fait, comme l’œuvre de l’Esprit;
c’est sur cette base que nous avons forgé notre défi¬
nition.

II. — Le sens de « Justification ».

Les différences qui se présentent sous ce chef


peuvent être exprimées brièvement. Tandis que dans
l’Eglise orthodoxe et dans l’Eglise de Rome, le terme
« Justification » est interprété comme l’action de rendre
juste, dans la théologie de la Réformation il signifie
d’abord l’acte de tenir pour juste; il signifie la rémis¬
sion des péchés.
Suivant la conception paulinienne, la justification
présuppose la grâce de Dieu révélée sur la croix de
Christ; c’est un jugement divin sur l’homme; la justi¬
fication n’est pas conditionnée par les acquisitions
morales de l’homme; elle est imméritée et de caractère
absolu; mais elle implique, dès le début, par sa nature
même, une vie nouvelle où la justice devient réelle,
une habitation du Christ dans le cœur de l’homme.
Tandis que l’Église catholique romaine a mis l’accent
sur le processus par lequel la justice est réalisée, les
protestants n’ont jamais cessé d’accentuer le fibre don
de Dieu en Jésus-Christ.
D’après saint Augustin, la justification est l’œuvre
de Dieu seul. Homo justificatus fide et cantate ; mais
fides et caritas sont des dons de Dieu. L’intention de
saint Augustin se rapproche de celle des Réformateurs;
mais elle ne peut être maintenue que si la prédestination
5
242 —

est conservée. Si elle est affaiblie, la doctrine de la


justification devient catholique. En somme, chez saint
Augustin, le catholicisme et le protestantisme se
rencontrent.
Au Concile de Trente, la justification est définie
comme l’acte de rendre juste; elle est donnée dans le
baptême. Sa base et sa racine sont la foi sans les œuvres,
l’acceptation de la grâce divine prévenante et non
méritée. Après cela, prend place une coopération de
l’homme et de Dieu; l’œuvre bonne de l’homme peut
mériter la grâce de Dieu.
Luther part de son expérience que Dieu, en Christ,
n’est pas le juge sévère, mais le Dieu de la grâce et qui
donne toujours. Dieu nous juge justes sur la base de
l’œuvre rédemptrice de Christ, sans œuvres méritoires.
Il donne au croyant son amour personnel par le miracle
de la révélation en Christ. La justification est la relation
noûvelle entre Dieu et l’homme; ce n’est pas seulement
le début du pardon de Dieu accepté dans la foi, mais
son renouvellement quotidien; c’est la seule chose au
monde sur laquelle on puisse compter. La justification
n’est pas un processus, mais le fait primaire; cependant,
le bon arbre doit porter de bon fruit. La sanctification
est le résultat de la justification. Lorsque l’homme
s’ouvre à Dieu, Dieu travaille en lui. La sainteté doit
suivre la relation nouvelle avec Dieu.

III. — Prédestination et libre arbitre.

Comment pourrions-nous concilier les deux con¬


ceptions de la prédestination divine et de la liberté
humaine, l’enseignement de saint Augustin et celui
de Pélage, de Calvin et d’Arminius? On peut faire
observer que si nous interrogeons les chapitres de
l’épître aux Romains, sur lesquels, en particulier, cet
enseignement a été bâti, il devient évident que dans les
chapitres VIII et IX de cette épître, saint Paul adopte
la prédestination et l’élection divine. Les hommes sont
— 243

ce qu’ils sont parce que Dieu les a faits. Saint Paul


est en train d’enseigner le dessein éternel de Dieu dans
le monde. Mais, également, au chapitre X, il reven¬
dique la liberté de l’homme et enseigne la responsabilité
d’Israël dans sa chute. Comment faut-il concilier
ces deux points de vue? La suggestion a été faite que
nous devons attribuer le désaccord de ces deux affir¬
mations à l’incapacité logique de saint Paul.
Une telle explication ne se justifie point; nous
savons que l’admission tant de la souveraineté divine
que de la liberté humaine faisait partie de l’enseigne¬
ment des écoles pharisiennes où saint Paul fut éduqué,
et cette antithèse se poursuit tout le long de son ensei¬
gnement. « Travaillez à votre salut avec crainte et
tremblement, car c’est Dieu qui opère en vous le vouloir
et le faire, en vertu de son bon plaisir. » Telle est la
conviction fondamentale de la vie religieuse. Tandis
que du point de vue de la philosophie, ces deux juge¬
ments sont inconciliables, ils représentent la seule
base sur laquelle la vie religieuse puisse être construite.
Nos convictions religieuses exigent une dépendance
vis-à-vis de Dieu; nos convictions morales exigent la
liberté humaine. L’erreur, c’est que les théologiens
aient visé à la rigueur philosophique (philosophical
consistency).
Il fut admis que l’expression « souveraineté de
Dieu » exprimerait la croyance religieuse mieux que
des termes tels que « prédestination » ou « élection », qui
ont des associations à éviter. On sentit que l’expression
« responsabilité de l’homme » était préférable à « fibre
arbitre ».

IV. — La Grâce dans les sacrements.

Le problème posé par l’expression « grâce sacra¬


mentelle » était celui-ci : suivant une manière de voir,
la justification et le salut de l’homme dépendent de
la grâce de Dieu manifestée dans le fibre don du pardon
— 244 —

de Dieu accepté par la foi, la foi elle-même étant aussi


le don de Dieu. D’après une seconde manière de voir,
la grâce est quelque chose de donné à l’humanité, un
pouvoir qui vient de Dieu et qui est à l’œuvre dans la
nature humaine, donnant à l’homme des énergies et
des capacités nouvelles. La transmission de ce don
s’effectue par le sacerdoce de l’Église, et c’est par ce
canal que parviennent à l’homme la justification, la
sanctification et le salut. Ce point de vue semble donc
faire dépendre le salut de l’homme non pas du don de
Dieu, mais de l’action humaine.
C’est en opposition à cette manière de voir que
l’enseignement orthodoxe fut exposé. La vie sacra¬
mentelle est regardée comme provenant non point du
don d’une grâce sacramentalle particulière, mais de
l’opération du Saint-Esprit; l’idéal présenté est celui
d’une vie mystique en communion avec Dieu, vécue
dans l’Église, et qui est l’œuvre de l’Esprit de Dieu
par le moyen des sacrements. Le sens religieux de la
vie sacramentelle de l’Église est mis en relation avec
l’incarnation de notre Seigneur. Les sacrements ne
sont pas les seuls moyens de grâce, et, par conséquent,
cette vie sacramentelle n’implique en rien le refus de la
grâce libre de Dieu à l’humanité.
Il fut généralement admis que ce point de vue était
acceptable, et n’entrait pas en conflit avec la croyance
au libre pardon de Dieu à l’homme. On fit observer
que le système sacramentel tout entier était une partie
du plan rédempteur de Dieu, et de son don gracieux
à l’humanité. On fit encore observer que, dans les
sacrements, il y a, d’une part, le don du Saint-Esprit,
et, d’autre part, l’appropriation humaine de ce don
par la foi.
V. — U Eglise et la Grâce.
Le principal problème en ce qui concerne l’Église
chrétienne est : comment concilier l’Église telle qu’elle
est présentée dans le Credo (la seule et sainte Église
— 245 —

catholique et apostolique) avec l’état actuel des Eglises


et des communions chrétiennes tel qu’il s’offre aujour¬
d’hui. La position orthodoxe a été fortement marquée :
elle considère l’Église non comme formée d’individus
chrétiens, mais comme précédant, dans sa réalité
mystique, l’individu. L’Église est la sphère dans
laquelle le Saint-Esprit travaille; c’est une association
de foi et d’amour par laquelle la vie nouvelle vient
aux hommes.
Les termes « idéal » et « empirique » pour qualifier
l’Église telle qu’elle devrait être et l’Église telle qu’elle
est, furent suggérés, mais ne parurent pas être entière¬
ment adéquats.
Quant aux termes extra ecclesiam nulla salus, il fut
établi qu’une telle formule était tout à fait vraie de
l’Église idéale de Dieu, mais intolérable si on l’applique
à quelque expression terrestre que ce soit (i). Il fut
affirmé que l’Église idéale est constituée non seulement
par les chrétiens qui vivent sur la terre (2), mais par
l’Église qui est dans le Ciel, et par tous ceux qui sont
encore à naître; il fut reconnu qu’il y a des hommes
qui sont membres de l’Église ou de la société religieuse,
selon les apparences du monde; mais qui ne seraient
pas membres de la véritable Église, tandis que d’autres,
qui sont membres de l’Église véritable, ne le sont
d’aucune communion visible sur la terre.
Il fut reconnu que l’Église, telle qu’elle est incarnée
sur la terre, a certaines caractéristiques — la Parole,
les Sacrements, le Ministère, la Discipline; qu’elle
représente une fraternité, une union mystique entre
Christ et ses membres; qu’elle est incorporée dans le
monde en tant qu’institution; mais l’on comprit
qu’ « organisme » serait une expression meilleure
qu’ «institution».
(1) Le Dr Alivisatos ajouterait : «Autre que la seule véritable Église
catholique et apostolique (réunie) ». Il omettrait le reste du paragraphe.
(2) Le Dr Arseniev étendrait ainsi cette clause : « La seule grande Église
de Dieu, mystique et réelle en même temps, n’est pas constituée seulement
par les chrétiens qui sont sur la terre... »
— 246 —

VI. — Sola Gratia.

On fit observer quel rôle important l’expres¬


sion sola gratia , sola fide a joué dans la vie des Eglises
continentales de la Réformation. C’est le fonde¬
ment sur lequel les trois Réformateurs sont d’accord.
Le seul point sur lequel il y ait une différence est en
relation avec la grâce sacramentelle. C’est donc sur la
base de sola gratia que les Eglises de la Réformation
continentale sont aptes à se rencontrer. L’expression
marque, ainsi qu’il leur paraît, le point sur lequel elles
s’opposent précisément aux doctrines méritoires de
l’Église romaine, car sola gratia implique le libre don de
Dieu à l’homme et l’absence de toute action méritoire
telle qu’en implique une doctrine quelconque des
œuvres.

On fit ressortir ensuite que l’on tient ici le moyen


par lequel la doctrine de la grâce peut être sauvegardée
contre toutes représentations magiques ou légalistes de
la vie chrétienne. « La grâce », a-t-on dit, « est un attribut
et un don de Dieu; ainsi doit-elle rester imméritée en
relation avec les autres attributs de Dieu. Nous ne
pouvons pas sonder la profondeur de l’être de Dieu.
Nous autres hommes découvrons de merveilleuses
contradictions entre la grâce et la justice, l’amour et
la sainteté; mais elles ne peuvent nous empêcher de
croire à leur harmonie suprême en Dieu. Il s’est
révélé lui-même à nous comme favorable au pécheur
en Jésus-Christ. C’est dans cette croyance qu’il nous
faut être unis, et toutes nos autres différences ne pour¬
ront pas nous diviser. La révélation de la Trinité est la
révélation de la grâce. Cette harmonie dans le travail
rédempteur conduira la chrétienté à l’harmonie dans
l’union du travail. »

D’un autre côté, l’expression sola gratia fut criti¬


quée. L’on fit remarquer que l’expression ne disait rien
àla grande majorité des chrétiens de langue anglaise;
qu’il en était de même pour l’Église orthodoxe. Elle
— 247

fut représentée comme une expression dangereuse,


puisqu’elle semblait ôter toute responsabilité humaine.
L’on reconnut que son emploi impliquait l’admission
de la responsabilité humaine, mais l’on fit cependant
ressortir combien elle était exposée à être mal comprise.
On se plaignit encore qu’elle était de caractère trop
négatif, et qu’il y avait un danger à mettre l’accent sur
des formules. L’on affirma que la paternité de Dieu,
notre filialité et notre communion en Christ étaient
une meilleure forme pour la prédication de l’Évangile.
L’on suggéra, de plus, que cette doctrine conduisait
à une dépréciation injustifiée des moyens de grâce
dans l’Église chrétienne. Il fallut poser la question
de savoir pourquoi, en dépit de son opposition appa¬
rente à tout ce que demandent les temps et les moments,
l’Église romaine attire si fortement la présente géné¬
ration. Et l’on fit cette suggestion que ceux qui se
sentent trop faibles pour vivre par eux-mêmes une vie
religieuse, trouveraient dans les moyens de grâce le
secours et l’appui dont ils ont besoin. Sans doute,
nous pouvions tous également accepter la phrase
sola gratia , puisque nous reconnaissions que tout
le système ecclésiastique, dont l’intention est de
venir en aide à la nature humaine, était lui-même une
partie de la grâce divine; mais ce point admis, il
sembla encore que la formule était susceptible d’être
mal interprétée, de créer une impression fausse, et
peut-être d’entraîner des dommages pratiques.
D’autre part, l’accent fut mis sur la très grande
valeur qu’attribuent à ces termes les Églises qui en font
usage. Ce serait, à leur sens, la contribution qu’elles
pourraient apporter à l’ensemble de la vie et de la
théologie chrétiennes, d’où leur devoir d’y adhérer et
de la souligner. Il serait erronné de supposer que la
formule bien comprise impliquât une atténuation quel¬
conque de la responsabilité de l’homme, car sola
gratia aurait toujours comme sa contre-partie sola fide ,
la foi signifiant le don divin d’une coopération de
— 248 —

l’homme avec Dieu dans l’œuvre de son salut. Cela


n’équivaudrait nullement à minimiser ou à négliger
l’élément sacramentel, mais à penser que les Sacre¬
ments ne doivent être envisagés, d’aucune manière,
comme mécaniques ou magiques. Cela n’impliquerait
pas le dédain de l’effort humain, mais cette idée que
l’effort humain est inspiré par la grâce divine. Il fut
déclaré que la sola gratia était aussi caractéristique des
Églises de la Réformation que la vie corporelle, mys¬
tique et sacramentelle de l’Église l’est de l’Orthodoxie.
La suggestion fut faite que l’on avait ici l’un de
ces cas où une Église pourrait sauvegarder sa tradition
propre dans l’expression théologique, sans nécessai¬
rement l’imposer à d’autres Églises, qu’il n’y aurait là
aucun obstacle à l’union, que chaque Église devrait
apporter de ses richesses à la vie commune, et que,
dans une Église unie, les défauts de cette présentation
particulière du christianisme ou de toute autre seraient
corrigés.

CONCLUSIONS

I. — Le sens de « Grâce ».

Nous nous accordons à penser que la grâce divine,


telle qu’elle est révélée en Jésus-Christ, signifie l’amour
bienveillant ( the loving kindness) de Dieu manifesté
à l’homme dans notre création, notre préservation, et
toutes les bénédictions de cette vie, et spécialement
dans notre rédemption par la vie, et l’enseignement, la
mort et la résurrection de Jésus-Christ, dans l’envoi
du Saint-Esprit, dans la communion de l’Église chré¬
tienne et le don de la Parole de Dieu et des Sacrements.
Cela implique, nous en convenons, que le bonheur
de l’homme et son salut dépéîident de Dieu, et que,
dans l’action de sa grâce vis-à-vis de l’homme, Dieu
n’est mû par aucun mérite de la part de l’homme, mais
seulement par son fibre amour qui s’épanche.
— 249 —

II. — Justification et Sanctification.

Nous nous accordons à penser que cet amour libre


et spontané de Dieu nous justifie et nous sanctifie à
cause de Christ, et qu’il est approprié par la foi, laquelle
est elle-même le don de Dieu (i).
La justification et la sanctification sont deux aspects
de l’œuvre de la grâce de Dieu, dans ses relations avec
l’homme pécheur. La justification est l’acte par lequel
la rémission des péchés est conférée, et la vie tout
entière de l’homme soumise à Dieu qui, par Jésus
Christ et sa mort sur la croix, a condamné le péché et a
révélé son amour aux pécheurs.
La sanctification est l’œuvre que Dieu opère par
le Saint-Esprit pour le renouvellement de notre vie,
tant dans notre relation personnelle avec Dieu que
dans la communion de tous les croyants.
La foi n’est pas seulement croyance à la Révélation
en Jésus-Christ, mais également entière et cordiale
confiance dans la promesse du pardon et dans la volonté
d’amour de Dieu. Par l’abandon de soi, l’obéissance, et
la vie de la foi, la communion du chrétien avec Dieu
est aussi bien commencée que parfaite. Par la foi, nous
sommes nés à une vie nouvelle en union avec
notre Sauveur Jésus-Christ, une vie qui, fortifiée par
le Saint-Esprit, se manifeste dans l’amour et parvient
à sa consommation dans la communion du Royaume
de Dieu.

III. — Prédestination et libre arbitre.

Quant au rapport de l’homme et de la grâce divine,


nous sommes tous d’accord pour affirmer, en nous
plaçant simplement sur la base du Nouveau Testament

(i) Le Dr Bartlet désire omettre les mots : « laquelle est elle-même


le don de Dieu ».
250 —

et de l’expérience chrétienne, que la souveraineté de


Dieu est suprême lorsqu’il accomplit ses desseins
envers l’individu et l’humanité : c’est à sa gracieuse
volonté que nous autres hommes devons notre salut
tout entier. Mais, d’autre part, nous reconnaissons
également que l’action de Dieu dans sa grâce doit être
appropriée de manière active par la volonté personnelle
de l’homme, ce qui implique une décision dont l’homme
demeure responsable.
Bien des essais théologiques ont été faits, sur une
base philosophique, pour accorder l’apparente antithèse
de la souveraineté divine et de la responsabilité humaine;
en mettant trop exclusivement en relief l’une ou l’autre
face de la vérité, l’on a provoqué bien des discordes
parmi les chrétiens. Mais ces spéculations ne sont
point partie intégrante de la foi chrétienne.

IV. — La Grâce dans les Sacrements.

i° Nous croyons d’un commun accord que la


Parole et les Sacrements sont des dons de la grâce de
Dieu à l’Eglise, par Jésus-Christ, pour le salut de l’huma¬
nité.

2° Les sacrements sont l’œuvre du Saint-Esprit


dans l’Eglise et représentent Son influence personnelle
sur l’humanité.

3° Dans les Sacrements se communique à l’homme


un don divin que chacun s’approprie par la foi.
4° Il faut toujours se souvenir que l’amour bien¬
veillant de Dieu n’est pas limité par ses sacrements, et
qu’il y a beaucoup de moyens de grâce.
L’expression « grâce sacramentelle » est de celles
qui risquent de provoquer des malentendus, et de
conduire à des vues imparfaites sur ce qui est impliqué
dans les Sacrements.
— 251 —

V. — U Eglise et la Grâce .
L’Église est le corps de Christ, la communion des
saints et de tous les croyants ; invisible en tant qu’ objet
de foi, elle est en même temps visible par sa manifes¬
tation dans le monde. Elle est la réalisation du plan de
Dieu à l’égard de l’humanité. Elle est essentiellement
sainte par le Saint-Esprit qui la pénètre de sa vie et qui
la sanctifie sans cesse dans toutes ses parties visibles.
Sa fonction sur la terre est de glorifier Dieu par sa
vie et par son culte, de s’édifier en rassemblant, d’entre
tous les peuples, de nouveaux membres qu’elle gagne,
enrôle, éduque, éclaire par la vérité qui les illumine, et
en leur communiquant la vie nouvelle de l’Esprit. A cet
effet, elle utilise, selon la volonté de Dieu, la Parole, les
Sacrements, le Ministère et la Discipline (i).

VI. — Sola Gratia.

Tandis que les Pères grecs, en face du fatalisme qui


prévalait dans une civilisation décadente, voyaient la
puissance victorieuse du christianisme sous la forme
du don gracieux de liberté morale; tandis que les Réfor¬
mateurs, d’autre part, accentuaient le principe que le
salut est dû entièrement à la grâce de Dieu en Christ,
en opposition à la propre justice et aux doctrines des
mérites, l’Église catholique romaine a tenté de définir
de plus en plus exactement les limites qui séparent
la grâce et l’action humaine dans leurs domaines res¬
pectifs. Nous estimons pourtant, d’un commun accord,
que le miracle du salut humain par la grâce de Dieu ne
saurait être réduit à aucune formule intellectuelle
précise, et qu’il peut être décrit également comme
l’activité souveraine de la grâce de Dieu en Christ ou
comme l’acte divin de réveiller les pouvoirs spirituels
de l’homme pour une vie de liberté personnelle et de
responsabilité.

(i) Le Dr Alivisatos préférerait : « par le Ministère et la Discipline ».


— 252 —

VII

Finalement, au cours de nos discussions, il est


devenu de plus en plus évident qu’il y a des différences
marquées de ton et d’expression entre les différentes
Églises, dans leur manière de formuler le message de
l’Évangile concernant la grâce. Ces différences ont
surgi au cours de l’histoire, et s’expliquent, jusqu’à
un certain point, par des différences de tempérament
racial, d’expérience religieuse, et de milieu historique.
C’est pourquoi, nous désirons témoigner notre
conviction que de telles différences ne sauraient faire
obstacle à l’union entre les Églises, pourvu qu’elles
s’accordent, dans leur diversité, à maintenir les principes
essentiels de la foi chrétienne.
Nous désirons encore souligner l’importance d’une
telle unité, car nous croyons qu’elle permettra aux
Églises d’apprendre les unes des autres, en évitant
ainsi un développement unilatéral et imparfait.
Nous croyons que, par l’union complète de toute
l’Église chrétienne, l’exposition de la doctrine et de la
vie chrétienne sera réalisée dans toute sa plénitude et
dans toute sa richesse aussi multiple que variée (i).

APPENDICE

Memorandum du DT William Adams Brozvn (cf. page 238).

Les différences dont nous nous sommes occupés dans les chapitres
suivants remontent à des divergences fondamentales dans la concep¬
tion de Dieu et de sa relation avec le monde et avec l’homme. Elles
correspondent à des différences philosophiques profondes que nous
rencontrons dans d’autres religions que le christianisme, et même
dans la pensée de l’homme sur les problèmes ultimes, en dehors de
toute religion historique.

(1) Tous les membres de la Conférence, dont les noms figurent dans
Tintroduction, ont signé. Cependant, le professeur Brown qui ne fut pas pré¬
sent à toutes les séances du Comité, et qui ne put prendre part à la discussion
du texte de ce rapport, n’a signé que les conclusions.
— 253 —

L’une de ces différences concerne laposition de Dieu par rapport


à la créature et peut se formuler ainsi : de deux choses l’une, ou bien
Dieu doit être conçu comme complètement transcendant et séparé
de la Nature, de telle sorte que son entrée dans l’univers, dans la
sphère de la religion, soit par la révélation, soit par la rédemption,
est purement miraculeuse; ou bien il y a un élément de parenté
entre Dieu et la créature, lequel rend non seulement actuelle, mais
naturelle son immanence en l’homme, dans la raison et la liberté.
Une seconde différence concerne le mode de la révélation de
Dieu par lui-même. Cette révélation est-elle purement d’esprit à
esprit, ou bien la sensibilité joue-t-elle une part essentielle dans la
communication à l’homme de la volonté de Dieu et dans la médiation
de sa grâce?
Une troisième différence délimite plus exactement la méthode
par laquelle Dieu se communique à l’homme. Faut-il considérer
la révélation personnelle de Dieu comme distincte de son contact
avec l’homme par la nature, comme donnée d’abord à des individus
ou comme transmise par le canal de la société? Dieu a-t-il affaire
aux hommes un par un; dit-il à chaque individu séparément la parole
révélatrice et rédemptrice dont il a besoin, ou l’a-t-il pourvu, dans
l’Église, d’un intermédiaire social par lequel Sa volonté est inter¬
prétée avec autorité pour chacune des générations qui se succèdent?
Une dernière différence concerne la nature de la révélation
spéciale quand elle se produit. Est-elle complète et achevée dès le
début, si bien qu’il n’y ait aucun besoin d’y rien ajouter, ou bien
est-elle donnée morceau par morceau, autant que l’homme est
capable de la supporter ? La Bible, sous sa forme existante, en dehors
d’une tradition orale, contient-elle tout ce que l’homme a besoin de
savoir au sujet de Dieu, pour son salut, sa direction et son bonheur;
ou bien faut-il une interprétation continue telle que les catholiques
la croient donnée dans la tradition, les credos et la théologie des
Églises ?
Le catholicisme, dans son ensemble, a incliné vers le second
terme des alternatives précédentes ; le protestantisme vers le premier.
La théologie catholique a souligné l’immanence de Dieu dans sa
création plus que ne l’a fait le protestantisme; elle a fait un plus
grand usage des moyens physiques dans la transmission de la révé¬
lation divine à l’homme (par exemple les sacrements); elle a donné à
l’Église, comme organisation et institution, une importance et une
autorité que lui dénie le protestantisme; par sa doctrine de la tradi¬
tion, elle a laissé le champ libre au progrès, non seulement dans la
compréhension, mais dans le contenu de la révélation divine, à un
degré que le protestantisme, en théorie du moins, exclut totalement.
Selon toute apparence, nous voici donc en face d’antithèses si
fondamentales et profondes que peu d’espoir semble nous être
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laissé de jamais obtenir une théologie unifiée ou une Église unie.


Mais il y a deux considérations qui rendent la perspective moins
décourageante qu’elle n’apparaît à première vue. L’une est l’existence,
dans chacun des grands courants de l’enseignement chrétien, d’une
tradition qui accentue la vérité ordinairement considérée comme la
plus caractéristique de l’autre. La seconde est le fait que, dans son
expérience religieuse et dans sa pratique, chaque catégorie de chré¬
tiens a des manières de faire qui supposent l’existence de cet aspect
de la réalité dont l’autre catégorie a fait le centre. L’un des services
les plus importants rendus par cette série d’études est de montrer
la persistance dans l’histoire chrétienne de chacune des deux lignes
de pensée que nous avons mises en opposition, et, du même coup,
l’impossibilité de rendre compte exactement de la religion chrétienne,
si l’on ne fait point place à ces deux types d’expérience.
Voici un exemple : la théologie catholique, à travers toute son
histoire, a reconnu une certaine parenté entre Dieu et l’homme;
cette parenté s’exprime dans la possession par l’homme d’une pure
liberté de choix (le pouvoir du contraire), elle rend possible une véri¬
table coopération de l’homme avec Dieu dans le salut. D’autre part,
la théologie protestante, dans son expression classique, a souligné
la transcendance de Dieu jusqu’à l’extrême; elle a fait du salut,
sous tous ses aspects, y compris la liberté de l’homme, lorsqu’elle
est restaurée par l’action de la foi qui sauve, un pur don de la grâce
de Dieu. Pourtant, la tradition augustinienne, dont le protestantisme
fut l’héritier, n’a jamais disparu de la théologie catholique, et, dans
le culte, comme il s’exprime spécialement par les écrits du mysti¬
cisme classique, les catholiques ont égalé et même dépassé les pro¬
testants dans l’expression d’une dépendance entière et complète
vis-à-vis de Dieu. Dans le protestantisme, d’autre part, la protestation
arminienne contre le déterminisme extrême des premiers réforma¬
teurs s’est fait de plus en plus admettre, et, dans la plupart des grandes
confessions protestantes, la liberté de l’homme est conçue en termes
qui diffèrent peu, si même ils diffèrent, de l’enseignement catholique
orthodoxe. Les protestants ont insisté non moins que les catholiques
sur la nécessité des bonnes œuvres pour la sanctification dernière, et,
dans leur vie, ils ne sont pas restés en arrière de leurs frères catho¬
liques pour la pratique de l’amour fraternel.
Quand à l’opinion sur les moyens physiques dont Dieu se sert,
l’antithèse, lorsqu’elle est examinée de plus près, se montre moins
extrême qu’à première vue. Les théologiens catholiques ont fait
grand cas de l’utilisation par Dieu d’objets ou d’actes sensibles, non
seulement comme signes, mais comme moyens de grâce; tandis que
les protestants ont insisté sur une action directe de l’Esprit de Dieu
sur l’esprit de l’homme; c’est un contraste qui apparaît très clairement
dans l’attitude différente prise vis-à-vis des sacrements. Cependant,
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en pratique, comme les essais suivants l’ont montré, c’est le protes¬


tantisme qui a insisté le plus fortement sur le caractère sacré de
toute la vie, celle du corps incluse; par son insistance au sujet du
mariage du clergé, il a résisté à la tendance implicite de la discipline
ascétique catholique à regarder la vie sexuelle comme mauvaise.
Les théologiens catholiques, d’autre part, avec toute leur insistance
sur la théorie ex opéré operato des sacrements, ont enseigné avec
une égale précision que, sans l’exercice de la foi individuelle, le
sacrement ne peut être utilisé à salut.
Une fois de plus, les catholiques diffèrent des protestants par la
place plus grande qu’ils donnent à l’Église organisée dans la médiation
du salut. Le protestantisme, d’autre part, semble être, et s’est souvent
montré en pratique, une religion purement individualiste. Le con¬
traste se trouve exprimé de la manière la plus frappante dans la
fameuse parole de Schleiermacher : dans le catholicisme, la relation
de l’homme au Christ reçoit la médiation de l’Éghse, tandis que
dans le protestantisme, la relation de l’homme avec l’Éghse reçoit
la médiation du Christ.
Mais ici encore, le contraste apparaît moins extrême en pratique
qu’en théorie. Avec toute leur insistance sur la Bible comme la seule
règle infaillible de la foi et de la conduite, interprétée immédiatement
à la conscience individuelle par le témoignage de l’Esprit, les protes¬
tants ont jugé indispensable l’interprétation de l’Éghse, et, prati¬
quement, ils ont développé presque toutes les formes d’organisation
et d’activité ecclésiastiques qui se rencontrent dans le catholicisme.
Le catholicisme, d’autre part, en insistant sur la liberté de l’homme,
et par sa doctrine des bonnes œuvres, a fait beaucoup pour accentuer
la responsabihté de l’individu. S’il fallait chercher un exemple
classique de rehgion individualiste, il serait aussi naturel de se tourner
vers les grands saints catholiques que vers aucun mystique protestant.
Enfin, il faut en venir à ce qui paraît, à maints égards, le contraste
le plus tranché et le plus exclusif : l’insistance protestante sur le
caractère achevé de la révélation de Dieu dans la Bible contre l’affir¬
mation catholique d’une révélation progressive dans l’interprétation
par une tradition qui se développe graduellement. Nous découvrons
encore ici que la théorie et la pratique ne s’accordent pas. Ce sont
des catholiques qui ont insisté le plus fortement sur le caractère
achevé et infaillible de la révélation une fois donnée; tandis que les
protestants, poussés par la nécessité de réinterpréter continuellement
les Écritures, ont montré la voie dans la recherche et la critique
théologiques.
Ainsi, sur toute la ligne, nous trouvons les antithèses originelles
adoucies et modifiées par une expérience élargie et par une réflexion
plus mûrie. Il fallait s’y attendre dans l’étude d’un sujet qui dépasse
à ce point l’aptitude humaine à jamais sonder ou épuiser un problème :
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la grâce rédemptrice de Dieu révélée en Jésus-Christ. Il est clair'


que toute Église qui veut faire justice à la richesse entière de cette
révélation, doit faire une place, dans son sein, à tout ce contraste de
tons que nous avons distingués, et en réaliser la synthèse, non par
élimination, mais par comparaison. Aider à formuler cette synthèse
est la haute fonction de la théologie chrétienne, et cette fonction
n’a jamais été plus nécessaire qu’aujourd’hui.

Bibliographie

Dictionnaire Encyclopédique de la Bible , publié sous la direction de


Alexandre Westphal. Tome I, in-40 de 712 et xxxi pages. Paris,
Je Sers, 1932.

Le premier volume du grand ouvrage préparé sous la direction


de M. le professeur A. Westphal a paru. Nous lui consacrerons,
dans notre prochain numéro, une étude bibliographique dont l’éten¬
due réponde à son importance. Mais nous tenons à exprimer, sans
retard, notre gratitude pour le service exceptionnel de cette œuvre
considérable à laquelle le protestantisme de langue française a apporté,
d’un commun accord, le meilleur de sa foi et de sa pensée chrétiennes.
H. C.

Imprimerie « JE SERS *, Issy-les ,Moulineaux — Le gérant : E. Dallière.

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