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Revue théologique de Louvain

La Bible et les Pères. Chronique d'exégèse patristique


Jean-Marie Auwers

Résumé
L'exégèse patristique constitue un des aspects essentiels de l'ancienne pensée chrétienne et «la forme principale qu'a
longtemps revêtue la synthèse chrétienne» (H. de Lubac). L'intérêt pour l'exégèse des Pères est devenu aujourd'hui un des
principaux moteurs des études patristiques. On salue ici la publication des chaînes exégetiques sur la Genèse et sur l'Exode
(éditées par Fr. Petit) et on présente une vingtaine de monographies qui donnent une image contrastée du rapport des Pères à
l'Écriture.

Abstract
Patristic exegesis constitutes one of the essential aspects of ancient Christian thought and is «the principal form which the
Christian synthesis took on» (H. de Lubac). Interest for the Fathers' exegesis has become today one of the principal motors of
patristic studies. The publication of the exegetical catenae on Genesis and Exodus (edited by Fr. Petit) is welcomed here and a
presentation is given of about twenty monographs which give a varied image of the relationship of the Fathers to Scripture.

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Auwers Jean-Marie. La Bible et les Pères. Chronique d'exégèse patristique. In: Revue théologique de Louvain, 34ᵉ année,
fasc. 2, 2003. pp. 187-211;

doi : 10.2143/RTL.34.2.2017471

https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2003_num_34_2_3290

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Revue théologique de Louvain, 34, 2003, 187-211.
Jean-Marie Auwers

La Bible et les Pères

Chronique d'exégèse patristique

L'intérêt pour l'exégèse patristique constitue aujourd'hui un des


principaux moteurs des études sur les Pères de l'Église1. Les Pères, en effet, ont
été d'infatigables lecteurs de l'Écriture. Les commentaires bibliques
tiennent une place non négligeable dans leur production. Sur la vingtaine de
volumes parus dans la collection Sources chrétiennes entre 2000 et 2002,
six se présentent explicitement comme des commentaires ou des sermons
sur l'Écriture2; même dans les autres ouvrages, la Bible est le corpus de
référence le plus souvent invoqué. Le P. Henri de Lubac a trouvé les mots
justes pour rendre compte de la place centrale que la Bible a occupée dans
la pensée des Pères et dans la vie l'Église ancienne:
«Cet "acte complet" qu'est l'ancienne exégèse chrétienne est une très
grande chose. À mesure qu'on l'étudié, on s'aperçoit de l'ampleur de son
champ, de la complexité de ses implications, de la profondeur de ses
soubassements, de l'originalité de sa structure. Avec des nuances variées, elle
fait ressortir "la nouveauté religieuse du Fait chrétien". Elle met en œuvre
une dialectique, souvent subtile, de l'avant et de l' après; elle définit les
rapports de la réalité historique et de la réalité spirituelle, de la société et de
l'individu, du temps et de l'éternité; elle contient, comme on dirait
aujourd'hui, toute une théologie de l'histoire, en connexion avec une théologie de
l'Écriture. Elle organise toute la Révélation autour d'un centre concret,
marqué dans l'espace et dans le temps par la Croix de Jésus-Christ. Elle est
elle-même une dogmatique et une spiritualité complètes, et complètement
unifiées. Elle s'est exprimée non seulement dans la littérature, mais dans
l'art avec une force et une profusion merveilleuses. Bref, cette ancienne

1 Pour un état de la question, on consultera: Ch. Kannengiesser, «État des travaux


et des instruments de travail sur la réception de la Bible à l'époque patristique», dans
La documentation patristique. Bilan et prospective, éd. par J.-Cl. FREDOUILLE &
R.-M. Roberge, Québec, 1995, p. 71-82; P. Maraval, «La Bible et les Pères: bilan
de cinquante ans de recherches», dans Les Pères de l'Église au XXe siècle. Histoire -
Littérature — Théologie. «L'aventure des Sources chrétiennes» (coll. Patrimoines.
Christianisme), Paris, 1997, p. 445-466; M. Simonetti & G.M. Vian, «L'esegesi
patristica nella ricerca contemporanea», dans Annuario de Historia de la Iglesia,
t. 6, 1997, p. 241-267.
2 II s'agit des Sermons sur l'Écriture de Césaire d'Arles (SC 447), du
Commentaire sur le Premier Livre des Rois de Pierre de Cava (jadis attribué à Grégoire le
Grand: SC 449 et 469), des Sermons sur le Cantique de S. Bernard (SC 452), des
Homélies sur les Nombres d'Origène (SC 461) et du traité Sur les titres des psaumes
de Grégoire de Nysse (SC 466).
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exégèse chrétienne est bien autre chose qu'une ancienne forme d'exégèse.
C'est la "trame" de la littérature chrétienne et de l'art chrétien. C'est, sous
l'un de ses aspects essentiels, l'ancienne pensée chrétienne. C'est la forme
principale qu'a longtemps revêtue la synthèse chrétienne. C'est au moins
l'instrument qui lui a permis de se construire, et c'est aujourd'hui l'un des
biais par où on peut le plus utilement l'aborder»3.
Les publications dont on va rendre compte à présent témoignent, à leur
manière et par leur variété, de la pertinence de ces propos.

I. Généralités4

Michael Fiedrowicz, Principes de l'interprétation de l'Écriture dans


l'Église ancienne (coll. Traditio christiana, 10). Berne, Peter Lang,
1998. xli-203 p. 22,5 x 15,5. 77,4 €. Isbn 3-906760-72-3.
La collection «Traditio christiana» publie avec bonheur des éditions
bilingues (texte original grec ou latin et traduction en langue moderne) de
textes patristiques groupés autour d'un thème (par exemple: le concept de
tradition, le sabbat, la résurrection du Christ, etc.). Une autre particularité de
cette collection est de paraître simultanément dans une série en langue
allemande et dans une série en langue française. En l'occurrence, M.F. présente
quelque cent six textes (généralement brefs) où les Pères de l'Église
explicitent les bases théoriques de leur pratique exégétique. On y trouve, outre des
pages bien connues d'auteurs comme Origène, Jérôme ou Augustin, des textes
non moins intéressants d'écrivains comme Eustathe d'Antioche, Eutherius de
Tyane ou encore Hadrien, l'exégète antiochien auteur d'une Introduction aux
saintes Écritures. L'Introduction cherche à synthétiser l'ensemble, en
rappelant que «l'interprétation de l'Écriture était la tâche fondamentale de la
première théologie chrétienne» (p. IX). Les auteurs cités vont de Clément de
Rome à Grégoire le Grand; les textes sont repris aux meilleures éditions; les
traductions sont empruntées à des travaux antérieurs quand il en existe. Une
utile annotation les accompagne. On appréciera particulièrement la
Bibliographie sélective (classée par auteur, après les généralités).

Christopher A. Hall, Reading Scripture with the Church Fathers. Downers


Grove, IL, InterVarsity Press, 1998. 225 p. 21 x 13,5. 11,99 US$. Isbn
0-8308-1500-7.
Cet ouvrage se présente comme le volume liminaire de la collection
Ancient Christian Commentary on Scripture qui, à la manière des chaînes
exégétiques anciennes, commente le texte biblique, livre par livre, à partir

3 H. de Lubac, Exégèse médiévale, 1/1, Paris, 1959 (réimpr. 1993), p. 16-17.


4 La parution de mon petit essai: La lettre et l'esprit. Les Pères de l'Eglise,
lecteurs de la Bible (coll. Connaître la Bible, 28), Bruxelles, Lumen vitae, 2002, 80 p.
a été signalée par A. Wénin dans la précédente livraison de la Revue (p. 83-84).
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d'un large choix de citations patristiques (p. 15-18). C. H. propose ici une
introduction à l'esprit de l'exégèse patristique. Dans un chapitre intitulé
«The Modem Mind and Biblical Interprétation» (p. 19-42), l'A. règle ses
comptes aussi bien avec le fondamentalisme protestant qu'avec l'exégèse
critique et fait sien l'argument apologétique selon lequel les Écritures ne
peuvent être interprétées que dans l'Église: «The best exegesis occurs
within the community of the church. The Scriptures hâve been given to the
church, are read, preached, heard and comprehended within the community
of the church, and are safely interpreted only by those whose character is
continually being formed by prayer, worship, méditation, self-examination,
confession and other means by which Christ 's grâce is communicated to his
body» (p. 42). Après avoir rappelé sur quels critères certains auteurs
ecclésiastiques anciens sont reconnus «Pères de l'Église» (p. 49-55) et avoir
signalé les grandes figures féminines qui leur ont servi de modèles et de
mentors (p. 43-49), l'A. passe en revue les quatre «grands» Pères de l'Église
d'Orient (Athanase, Grégoire de Nazianze, Basile le Grand, Jean Chry-
sostome) et les quatre «grands» Pères de l'Église d'Occident (Ambroise,
Jérôme, Augustin, Grégoire le Grand), ce qui lui permet de dresser un
tableau assez diversifié de l'exégèse ancienne. L'A. cherche à rendre
compte de cette diversité à l'aide d'une systématisation des caractéristiques
de l'école alexandrine (voir la présentation d'Origène, p. 141-155) et de
l'école antiochienne. Le dernier chapitre («Making Sensé of Patristic
Exegesis», p. 177-200) est assez personnel. L'A. s'efforce d'y montrer ce
que la fréquentation des Pères peut apporter à tout lecteur de l'Écriture pris
individuellement, ainsi qu'aux Églises constituées. Ces pages, qui tiennent
lieu de conclusion, sont écrites avec beaucoup de conviction, mais je crains
qu'elles n'emportent guère l'adhésion que de ceux qui sont par avance gagnés
aux idées de l'A.

E. Earle Ellis, L'Antico Testamento nel primo cristianesimo. Canone e


interpretazione alla luce délia ricerca moderna. Edizione italiana a cura
di Luca Redana (coll. Studi biblici, 122). Brescia, Paideia Editrice,
1999. 223 p. 21 x 13,5. 42.000 Itl. Isbn 88-394-0575-5.
Les éditions Paideia ont pris l'heureuse initiative de faire traduire en
italien cinq textes de E. Ellis qui furent rassemblés en 1991 et publiés sous le
titre The Old Testament in Early Christianity. Le premier cherche à faire le
point sur le canon de l'Ancien Testament dans l'Église ancienne; l'A.
montre que les deutérocanoniques n'ont pas été officiellement reçus avant la
fin du 4e siècle (concile de Carthage en 397); selon lui, les réticences de
Jérôme à l'égard des livres qui ne font pas partie du canon hébreu pourraient
se prévaloir de l'usage en vigueur dans la première génération
judéo-chrétienne (il me semble que, sur ce point, E. Ellis va un peu vite en besogne).
L'A. montre ensuite comment la théorie classique, qui envisageait le canon
rabbinique comme le produit d'un développement historique en trois étapes,
fait aujourd'hui l'objet de remises en cause fondamentales. Selon cette
théorie, qui remonte à H.E. Ryle {The Canon of the Old Testament, Londres,
190 J.-M. AUWERS

1892), un premier corpus, la Torah, aurait été fixé à l'époque d'Esdras, soit
vers 450 ou vers 400 av. J.-C; le corpus des Prophètes (entendus au sens
large] aurait été fixé peu avant la révolte des Maccabées; enfin, la clôture
des Écrits, concomitante de celle de l'ensemble du canon de la Bible
hébraïque, serait le résultat des décisions du soi-disant «Concile de Jamnia»
qui est à situer entre 90 et 105 ap. J.-C. Si cette théorie est aujourd'hui
contestée, elle n'est pas encore remplacée5. L'A. note également qu'à
l'intérieur même de l'Ancien Testament et plus tard, dans la communauté de
Qumrân, des processus de remaniement et d'interprétation typologique de
l'Écriture ont vu le jour, processus dont les premiers chrétiens ont hérité. La
deuxième partie de l'ouvrage offre un état de la question très bien informé
sur les recherches consacrées aux citations de l'Ancien Testament dans le
Nouveau. L'A. observe un déplacement important de la recherche ces
dernières décennies, les problèmes textuels étant de plus en plus considérés
comme un aspect de la question herméneutique; les critiques ont pris en
compte le fait que les variations significatives pouvaient être des altérations
délibérées. La troisième partie, qui est aussi la plus importante (p. 105-162),
déploie le large éventail des méthodes exégétiques mises en œuvre par le
Nouveau Testament, méthodes dont l'A. montre l'enracinement juif (voir la
présentation des «sept règles» de Hillel, p. 117-122; cf. aussi p. 169-172),
en particulier pour l'exégèse midrashique. La spécificité de l'exégèse
chrétienne ne tient pas à ses méthodes, mais à son orientation résolument chris-
tologique; le mystère du Christ est bien ce qui commande cette exégèse.
Deux importants appendices sont consacrés, l'un à «la Bible de Jésus» et à
sa méthode exégétique, l'autre aux débats autour de la lecture typologique
de l'Ancien Testament. L'ouvrage est fort bien documenté et est écrit sans
technicité excessive. Il défend parfois des positions nettement tranchées.

Henri Duthu, L'Ancien Testament et les Pères de l'Église. Tome 1.


D'Adam à Moïse. Montsûrs, Résiac, 2000. 213 p. 21,5 x 15. 110 Frf.
Isbn 2-85268-333-4.
Cet ouvrage de bonne volonté et aux intentions louables présente une
synthèse de l'exégèse patristique sur des pages choisies du Pentateuque
(les textes mêmes des Pères ne sont pas cités). L'A. y a joint des citations
d'auteurs comme J. Daniélou, H. de Lubac, É. Gilson ou H.U. von Balthasar.
Travail de seconde main (qui reconnaît sa dette à l'égard de Y Introduction à
l'histoire de l'exégèse de B. de Margerie), dont la rapide Introduction
permet de prendre la mesure.

5 On se fera une idée des débats en cours en consultant Jean-Marie Auwers &
Henk Jan DE Jonge (éd.), The Biblical Canons (coll. Bibliotheca Ephemeridum
Theologicarum Lovaniensium, 163), Leuven, University Press — Peeters, 2003 (sous
presse).
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II. L'Épître de Barnabe

Reidar Hvalvik, The Struggle for Scripture and Covenant. The Purpose of
the Epistle of Barnabas and Jewish-Christian Compétition in the
Second Century (coll. Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen
Testament. 2 Reihe, 82). Tubingen, J.C.B. Mohr, 1996. xm-415 p. 23 x
15,5. Isbn 3-16-146534-2.
Dans cette version révisée de sa dissertation doctorale, l'A. entend
combler une lacune: depuis quelques années, la recherche s'est surtout focalisée
sur les sources et les traditions utilisées par YÉpître de Barnabe. L'A.
entend revenir aux questions centrales. La première partie de l'ouvrage
dresse un état de la question sur la date, la provenance (la partie orientale,
hellénophone, du bassin méditerranéen), l'auteur (un didascale itinérant et
charismatique) et les destinataires de YÉpître (des pagano-chrétiens).
Concernant la datation, l'A. croit pouvoir tirer argument du passage où il y
est dit que le Temple est démoli, mais que ses destructeurs veulent
maintenant le reconstruire (16,3-4). Il y aurait ici une allusion à la construction
d'un temple en l'honneur de Jupiter Capitolin sur l'emplacement même du
temple détruit en 70. Comme ce projet a été mis en œuvre dans les années
130-132, puis repris en 135, l'A. en conclut que YÉpître a été rédigée dans
les années 130-132 (plutôt qu'en 135, puisque YÉpître ne fait pas allusion à
la révolte de Bar Kochba). L'argument n'est toutefois pas décisif: dès lors
que, pour Barnabe, le seul temple digne de Dieu est le cœur de l'homme, on
peut se demander si le passage en question ne veut pas évoquer le
remplacement du temple matériel par le temple spirituel, auquel œuvrent les
pagano-chrétiens (cf. P. Prigent, SC 172, p. 190-191). La deuxième partie de
l'ouvrage aborde la question du propos de YÉpître, dont l'A. dégage les
idées maîtresses et le genre littéraire (plutôt qu'une épître fictive, il s'agit
bel et bien d'une lettre, mais «littéraire», p. 78-81), avant de dégager et de
commenter les passages-clefs (1,5; 2,9; 3,6; 4,6-7). L'A. défend la thèse
que YÉpître s'adresse à des chrétiens issus du paganisme mais tentés par
le judaïsme, lequel, en dépit des revers qu'il a connus, gardait une force
d'attraction susceptible d'attirer les païens et d'influencer les communautés
chrétiennes. C'est pourquoi YÉpître met en place une herméneutique
d'après laquelle l'Ancien Testament parle directement de Jésus-Christ, bien
que sous une forme allégorique. Toute l'Écriture appartient aux chrétiens
(cf. 4,7: «les Juifs ont définitivement perdu l'alliance que Moïse avait
reçue»); seuls les textes qui parlent du péché visaient l'Israël de jadis et
s'adressent encore aux Juifs d'aujourd'hui. Cette herméneutique fait de
YÉpître de Barnabe un moment important de l'expropriation de l'identité
religieuse du judaïsme par et en faveur des chrétiens. Le thème des «deux
voies», qui est développé dans la deuxième partie de YÉpître (18-21), sert
à asseoir une ferme opposition entre «nous» (les chrétiens) et «eux» (les
Juifs idolâtres, qui ont rejeté l'alliance que Dieu leur avait proposée). D'où
l'impérieuse nécessité d'un choix entre le judaïsme et le christianisme. La
troisième partie de l'ouvrage de R.H. fait la synthèse des témoignages
192 J.-M. AUWERS

relatifs à la «compétition» entre le judaïsme et le christianisme dans le


bassin méditerranéen durant les deux premiers siècles de l'ère chrétienne;
l'image qui en ressort est celle d'un judaïsme résolument missionnaire:
«Judaism after years 70 and 135 was still a living and prosperous religion,
with influence both on Gentiles and Gentile Christians. The Jews did not
leave the God-fearing Gentiles to the Church without a struggle; they still
welcomed Gentile adhérents to Judaism, and some Jews were probably
active in recruiting such people. At any rate, Judaism still attracted Gentiles
and was thus de facto a competitor to the early christianity» (p. 326). La
bibliographie de quarante pages témoigne du sérieux de l'information de
l'A., qui produit ici une monographie de la meilleure tenue. J'en retiens que
VEpître de Barnabe gagne à être replacée dans le débat concret des
controverses entre Juifs et chrétiens au début du deuxième siècle.

III. Origène

Cardinal Henri de Lubac, Histoire et Esprit. L'intelligence de l'Écriture


d'après Origène {Œuvres complètes, XVI). Paris, Cerf, 2002. xm-
649 p. 21,5 x 13,5. 39 €. Isbn 2-204-0676 1-X.
S'il ne fallait lire qu'un seul ouvrage sur l'exégèse patristique, c'est à
coup sûr Histoire et Esprit d'Henri de Lubac qu'il faudrait privilégier. Il
s'agit d'un de ces maîtres-ouvrages qu'on regrette toujours de ne pas avoir
lus plus tôt et auxquels on revient sans cesse une fois qu'on les a lus. C'est
pourquoi on ne peut que se réjouir qu'il soit à nouveau disponible en
librairie, avec une Présentation de M. Fédou. Histoire et Esprit a paru pour la
première fois en 1950, quelques mois avant que l'auteur ne soit interdit
d'enseignement à la Faculté de théologie de Lyon, en raison des remous qu'avait
provoqués la publication de Surnaturel. Le texte de l'édition de 1950 est ici
reproduit anastatiquement avec, en appendice, une liste d'errata.
Invité à s'expliquer sur le propos de son ouvrage, H. de Lubac déclarera
quelques années plus tard: «Dans Histoire et Esprit, c'est l' idée-mère de
l'ancienne interprétation des Écritures que je me suis efforcé de mettre en
relief, en prenant comme centre de perspective son plus génial représentant,
Origène. Par là j'ai voulu apporter ma contribution, d'une part aux
recherches actuelles de philosophie ou de théologie de l'histoire, d'autre
part à la synthèse qui se cherche également aujourd'hui à l'intérieur du
christianisme entre exégèse proprement dite, théologie dogmatique et
spiritualité» (cité par M. Fédou, p. vi). Le but premier de l'ouvrage est
d'atteindre le principe de l'exégèse d'Origène, qui est aussi le cœur de sa
pensée. Comme cette exégèse était déjà contestée du vivant de l'Alexandrin,
l'A. commence par exposer les griefs qui lui ont été adressés: abus de
l'allégorie, application intempestive de méthodes exégétiques empruntées aux
païens, volonté de dégrever l'Écriture de ses passages embarrassants. De
Lubac montre que ces accusations sont fondées sur des textes origéniens
isolés dont d'autres apportent l'antithèse et, surtout, qu'elles se méprennent
LA BIBLE ET LES PÈRES 193

sur l'intuition fondamentale de l'Alexandrin. Le ch. II entreprend de


réhabiliter Origène comme «homme d'Église», défenseur de la foi, soucieux
d'orthodoxie et attaché à la prédication de Jésus-Christ crucifié. Les deux
chapitres suivants entrent dans l'herméneutique d'Origène et précisent ce que
celui-ci entendait par «sens littéral» (dont il maintient qu'il est «toujours
nécessaire à connaître», parce qu'«il sert normalement de base à
l'intelligence spirituelle», p. 96), par «sens moral» et par «sens spirituel» - pour
reprendre une tripartition qu'Origène, dans son Traité des principes IV, 2,4,
fonde sur la «trichotomie paulienne» de 1 Th 5,24 (corps-âme-esprit). L'A.
observe que, dans les homélies et les commentaires origéniens, le sens
moral tantôt précède, tantôt suit le sens spirituel. C'est que, pour le maître
alexandrin, il existe deux types de sens «rapportés à l'âme»: l'un n'a rien
de spécifiquement chrétien (on pourrait peut-être parler d'un sens
«culturel», d'un sens pour «l'honnête homme»); l'autre prolonge et suppose le
sens allégorique ou mystique et est d'ordre spirituel. On voit donc que,
fondamentalement, les sens de l'Écriture se ramènent à deux: le littéral et le
spirituel, lequel se subdivise en plusieurs sens. La théorie médiévale des
quatre sens (littéral, «allégorique» ou christologique, «tropologique» ou
moral, «anagogique» ou eschatologique) peut donc légitimement se
réclamer du maître alexandrin. Ce dernier, dans sa septième Homélie sur Josué,
explique que la chute de Jéricho peut figurer l'effondrement du paganisme
suite à l'annonce de l'Évangile du Christ (sens allégorique), la chute de cette
Jéricho de péché que chacun porte en soi (sens tropologique) et la
destruction du Royaume de Satan à la Parousie (sens anagogique).
Le ch. V montre que l'interprétation de l'Évangile requiert elle aussi un
passage de l'histoire à l'Esprit ou, pour dire la chose autrement, que l'exégète
doit «traduire l'Évangile sensible en Évangile spirituel» (Commentaire sur
Jean I, 45; cf. p. 206). Du reste, il y a, dans la prétention d'Origène à
atteindre le «vrai» sens du texte biblique, une réserve importante, sur laquelle
le P. de Lubac attire à juste titre l'attention. Commentant le verset du
Cantique des cantiques où la Bien-Aimée déclare qu'elle s'est assise «à
l'ombre du pommier» (Ct 2,3), Origène explique que l'Épouse-Église, dans
sa condition présente, se trouve encore dans l'ombre. Si cette ombre n'est
plus celle de la Loi, mais celle du Christ, l'Église attend pourtant encore le
jour où elle sera dans la pleine lumière. À partir des oppositions pauliniennes
de 1 Co 13,9-10.12, Origène fait comprendre à ses lecteurs que l'Évangile
que prêche l'Église et dont elle vit ne permet qu'une vision «à travers un
miroir, en énigme», la vision «face à face» étant réservée aux bienheureux
que le Seigneur fera passer de l'Évangile temporel à «l'Évangile éternel»
qu'évoque Ap 14,66. C'est reconnaître que l'Église pérégrinante ne s'identi-

6 Cf. Origène, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, III, 5, 14-15; trad.
L. BrÉsard et H. Crouzel (coll. Sources chrétiennes, 376), Paris, Cerf, 1992,
p. 533: «Quant à nous, nous sommes étrangers à leur ombre (= celle des Juifs qui
vivaient sous le régime de la Loi), car "nous ne sommes pas sous la Loi mais sous
la grâce" (Rm 6,15). Mais, bien que nous ne soyons pas sous cette ombre que faisait
la lettre de la Loi, nous sommes toutefois sous une ombre meilleure. Car "nous
194 J.-M. AUWERS

fie pas avec le Royaume de Dieu et que la lecture de l'Ancien Testament,


même éclairée par la foi au Christ, garde un aspect inchoatif et n'épuise pas
le sens de l'Écriture, puisque le dessein de Dieu qui dépasse toute attente est
inachevé.
Le ch. VI («Histoire et Esprit») établit que l'exégèse origénienne a pour
ratio «l'Acte posé par le Christ», c.-à-d. sa venue dans la chair, sa vie, sa
mort, sa résurrection: «À vrai dire, Jésus-Christ ne vient pas montrer le sens
profond des Écritures, à la façon d'un maître qui n'est pour rien dans
les choses qu'il explique. Il vient, proprement, le créer, par un acte de sa
toute-puissance... Ce n'est donc pas une explication d'ordre intellectuel
qui "ouvre" l'Ancien Testament. C'est un accomplissement effectif, et cet
accomplissement a pour résultat de l'assimiler au Nouveau» (p. 271-272).
Viennent ensuite deux chapitres qui précisent les rapports qui lient
l'Écriture respectivement à l'Esprit (ch. VII «Inspiration et intelligence») et au
Verbe (ch. VIII «Les incorporations du Logos»). On trouve ici une fine
analyse des textes où Origène parle des espèces eucharistiques comme d'un corps
symbolique (en particulier: Comme ntariorum Séries [sur Matthieu], 85).
La Conclusion de l'ouvrage est amplement développée (p. 374-446). Elle
montre comment l'exégèse origénienne, tout en répondant aux nécessités du
christianisme naissant, «touche aux assises permanentes de la pensée
chrétienne» (p. 378), en interprétant spirituellement l'Ancien Testament par le
Nouveau après avoir cherché à comprendre historiquement le Nouveau par l'Ancien.
Avec Histoire et Esprit, H. de Lubac préparait déjà son Exégèse
médiévale (4 vol., 1959-1964) et d'autres travaux, en particulier «La querelle du
salut d'Origène aux temps modernes» (1982) qui est ici repris à la suite de
Histoire et Esprit, avec deux courtes préfaces du P. de Lubac à des
monographies d'Henri Crouzel {Origène et la «connaissance mystique», 1961, et
Une controverse sur Origène à la Renaissance, 1977).
Les éditeurs ont utilement fourni en appendice la traduction des textes
grecs et latins cités par H. de Lubac, ainsi qu'un index onomastique.

Antonio Castellano, La exegesis de Origenes y de Heracleon a los testi-


monios del Bautista (coll. Anales de la Facultad de Teologia, IL/1).
Santiago, Pontificia Universidad Catôlica de Chile, 1998. 209 p. 25 x
17. 50 US$.
L'évangile de Jean était particulièrement cher aux gnostiques, et c'est à
un gnostique - Héracléon, disciple de Valentin (ne s.) - que nous devons

vivons à l'ombre du Christ parmi les nations" (cf. Lm 4,20). Et il y a un certain


progrès à venir de l'ombre de la Loi à l'ombre du Christ; afin, puisque le Christ est
"la Vie et la Vérité et la Voie" (Jn 14,6), que nous nous trouvions d'abord à l'ombre
de la Voie, à l'ombre de la Vie, à l'ombre de la Vérité, et que "nous comprenions en
partie, à travers un miroir et en énigme", pour qu'ensuite, si nous avançons par cette
Voie qu'est le Christ, nous puissions parvenir au point où nous saisirons "face à
face" (1 Co 13,12) ce que nous avions d'abord vu en ombre et en énigme. Car
personne ne pourra parvenir à ces biens qui sont vrais et parfaits, s'il n'a auparavant
désiré et souhaité ardemment séjourner à cette ombre».
LA BIBLE ET LES PÈRES 195

le premier commentaire connu de cet évangile. L'ouvrage n'est plus


conservé dans son intégralité, mais nous pouvons nous en faire une idée
grâce aux fragments qu'en ont cités Clément d'Alexandrie et surtout
Origène dans son propre Commentaire sur Jean (quarante-huit fragments).
Héracléon ne commentait peut-être pas l'évangile johannique jusqu'au
bout: chez Origène (livre XX), les fragments vont jusqu'à Jn 8,50 (les
livres XXI-XXVIII du Commentaire sur Jean sont perdus ; quand reprend
la partie conservée, Héracléon n'est plus cité). Aux yeux d'Héracléon, la
clef d'interprétation de l'évangile johannique est fournie par le mythe
valentinien de l'esprit déchu qui, à travers le Christ, reprend conscience de
sa propre origine. Dans l'application allégorique où s'engage Héracléon,
Jean-Baptiste, qui reconnaît son infériorité de nature par rapport au Christ,
devient une figure importante, symbolisant le Démiurge. A. Castellano
procède à une comparaison serrée de l'exégèse d'Héracléon (fragments
3-10) et de celle d' Origène (au livre VI du Commentaire sur Jean,
composé vers 235, selon la datation de P. Nautin reprise par l'A.). Je note
qu'Héracléon plaçait la finale du Prologue (Jn 1,16-18) dans la bouche du
disciple et non dans celle du Baptiste (c'est du moins ce qu'affirme
Origène et l'A. ne croit pas devoir lui donner tort, contrairement à A.
Orbe, pour qui Héracléon faisait du disciple et du Baptiste non pas deux
personnes distinctes, mais deux éléments simultanément présents dans le
Précurseur: l'élément psychique et l'élément pneumatique); Origène
maintient au contraire que ces versets sont à attribuer au Baptiste, figure
de l'Ancien Testament. Même s'il finit par réfuter son devancier, le maître
alexandrin ne lui est pas systématiquement opposé (voir Commentaire sur
Jean, VI, 197-198). En même temps qu'il aide à mieux comprendre les
fragments d'Héracléon, qui sont souvent d'interprétation délicate,
l'ouvrage d'A. Castellano montre comment le commentaire du maître gnos-
tique a constitué pour Origène, outre un problème doctrinal, une
provocation et un défi d'ordre herméneutique.

IV. Cyrille d'Alexandrie

Chiara Ferrari Toniolo, Cyrilliana in psalmos. I frammenti del Commento


ai Salmi di Cirillo di Alessandria nel codice Laudiano greco 42 (coll.
Saggi e testi, 14). Catane, Centra di Studi sull'Antico Cristianesimo.
Università di Catania, 2000. vm-123 p. 24 x 17.
Domenico Pazzini, // prologo di Giovanni in Cirillo di Alessandria (coll.
Studi biblici, 116). Brescia, Paideia Editrice, 1997. 217 p. 21 x 13,5.
33.000 Itl. Isbn 88-3940548-8.
Le Commentaire sur les psaumes de Cyrille d'Alexandrie (| 444) a été
reconstitué par A. Mai d'après les extraits attribués au patriarche
d'Alexandrie dans les chaînes exégétiques grecques. Ce texte (CPG 5202), publié
pour la première fois en 1845, est reproduit dans la Patrologia graeca de
J.-P. Migne (PG 69,717-1273). A. Mai n'a pas tenu compte des fragments
196 J.-M. AUWERS

que fournit un manuscrit de la fin du XIe s. ou du début du siècle suivant,


aujourd'hui conservé à Oxford (Bodleian Library, Laudianus gr. 42). Ce
manuscrit contient, après une série de textes introductifs au Psautier et le
commentaire de Théodoret, une anthologie d'exégèses empruntées
successivement à Athanase, Basile, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Cyrille
d'Alexandrie et Isidore de Péluse. La section cyrillienne (f. 290-302v)
présente quatre-vingt-un extraits, dont certains sont inédits, se rapportant à
une trentaine de psaumes (le dernier fragment se rapporte au Ps 100). Ch.
Ferrari Toniolo fournit une édition soignée de ces extraits, dont elle
compare le texte avec celui que fournissent les chaînes. Une douzaine de
manuscrits, attestant neuf types de chaînes différents, ont ainsi été collationnés
dans l'apparat critique. Une traduction en langue moderne aurait été
bienvenue.
Le Commentaire sur l'Évangile de Jean (CPG 5208) est un des premiers
écrits exégétiques de Cyrille, qui l'a rédigé avant le Concile d'Éphèse (431)
et peut-être même avant le début de la controverse nestorienne. Il n'en
présente pas moins un caractère polémique nettement accusé. Cyrille s'en prend
aux ariens de tout poil et dénonce la christologie de l'école d' Antioche. Ceci
apparaît dès le commentaire du Prologue johannique, que D. Pazzini
présente «corne nucleo costitutivo e fondativo di un commento al vangelo di
Giovanni» (p. 11). L'analyse attentive du commentaire cyrillien (p. 37-139)
est ici suivie par une synthèse théologique sur les notions de (puciç, de
Xâpiç, d'MiÔGTacn.ç et de Kévcociiç (p. 141-186).
L'ouvrage de Ch. Ferrari Toniolo (p. 31-49) et celui de D. Pazzini (p. 13-
36) offrent l'un et l'autre une présentation générale de l'herméneutique
cyrillienne, dont il est utile de rappeler ici les traits essentiels. Pour le
patriarche d'Alexandrie, puisque «la fin de la Loi et des Prophètes est bien
le Christ», deux tâches s'imposent à l'exégète: celle d' «étudier le texte
(biblique) dans son authenticité historique» et celle d'«en montrer le sens
spirituel, afin que jaillisse de tous les passages un bienfait pour les lecteurs
et que l'explication du sens soit exhaustive» (Préface au Commentaire sur
Isaïe, PG 70, 9, citée par M. Fiedrowicz, Principes de l'interprétation de
l'Écriture, n° 98, p. 169). La revalorisation du sens historique au sein de la
tradition alexandrine est une concession aux critiques des Antiochiens.
Encore faut-il préciser que par «sens littéral» Cyrille envisage ce qui est de
l'ordre de l'humain et du sensible, tandis que par «sens spirituel» il désigne
ce qui se rapporte aux dogmes divins et au mystère du Christ. C'est qu'en
définitive, le but (ctko7TÔç) de l'Écriture est de signifier le mystère du Christ
au moyen de faits ou d'objets multiples (cf. PG 69, 308 C). La distinction
entre sens littéral et sens spirituel se situe donc davantage au niveau des
objets considérés qu'au niveau des intentions de l'auteur (humain ou divin).
Le sens spirituel est d'ordre dogmatique; Cyrille parle à ce propos de
Gecopia 7uvei)|i(mKT| (cf., entre autres nombreux textes, la Préface au
Commentaire sur Jonas, citée par M. Fiedrowicz, Principes de
l'interprétation de l'Écriture, n° 97, p. 167-169), c'est-à-dire de la «considération»
ou de la «contemplation» du sens scripturaire que l'Esprit Saint accorde au
LA BIBLE ET LES PÈRES 197

lecteur pour qu'il puisse atteindre le mystère du Christ contenu dans


l'Écriture. Les passages qui ne peuvent être rapportés au mystère du Christ n'ont
pas de sens spirituel. Cyrille rompt ici avec une des principales convictions
d'Origène, selon qui le sens littéral n'existe pas toujours, tandis que le sens
moral et le sens spirituel ne font jamais défaut (par exemple Traité des
Principes IV, 2, 5).

V. Augustin

Bruno Clément, L'invention du commentaire: Augustin, Jacques Derrida


(coll. Écriture). Paris, Presses Universitaires de France, 2000. 178 p.
21,5 x 15,5. 128 Frf. Isbn 2-13-050567-8.
En 1991, paraissait, sous le titre Jacques Derrida, un ouvrage à deux
voix où Geoffrey Bennington entreprenait de décrire «sinon la totalité de la
pensée de J. Derrida, du moins le système général de cette pensée» et où
J. Derrida «écri[vait] à son tour quelque chose qui échappe à la
systématisation ainsi proposée, qui la surprenne» {op. laud., p. 3). Les deux textes
sont disposés de telle manière que la «Derridabase» de G. Bennington
occupe la partie supérieure des pages, tandis que la réplique derridienne
couvre le tiers inférieur. Derrida a intitulé son texte «Circonfession», par
allusion aux Confessions de son «compatriote» Augustin, qu'il cite
scrupuleusement en latin, tout en les détournant tout aussi scrupuleusement de leur
visée première. Ce constat est à l'origine du livre de B. Clément. La
présentation du texte de Derrida aide le lecteur à faire son chemin à travers des
"ma"
«périodes circoncision,
et périphrases»
que setouffues,
rassemblecomme
l'opuspar
autobiothanatohétérographique
exemple: «c'est sur ce ci, la
ininterrompu, la seule confidence qui m'ait jamais intéressé, mais pour
qui?» (op. laud., p. 198, cité par B. Clément, p. 90). Les pages consacrées
aux Confessions d'Augustin font comprendre pourquoi le récit
autobiographique (qui s'achève à la fin du livre IX avec la mort de Monique) est
immédiatement suivi par un commentaire du récit de la création, qui relance
la question de l'origine.
À partir de la page 111, l'A. développe des considérations intéressantes
(à défaut d'être originales) sur le commentaire «qui est par nature
allégorique» (p. 114), sur la pluralité des sens du texte biblique, sur le nécessaire
effacement de l'écrivain devant son texte (p. 118; cf. p. 140: «l'auteur n'est
pas le détenteur de la vérité de son texte, ni même le mieux placé pour y
parvenir»), sur le rapport entre «commentant» et «commenté» (p. 121), sur
le commentaire comme «métaphore du récit» (p. 125) et sur l'objet du
commentaire, qui, parce que choisi, «ne saurait être... un pur objet» (p. 147).

Augustine: Biblical Exegete, edited by Frederick Van Fleteren & Joseph


C. Schnaubelt (coll. Augustinian Historical Institute. Collectanea
Augustiniana, [5]). New York, Peter Lang, 2001. xvn-397 p. 23,5 x
15,5. 69,95 $. Isbn 0-8204-2292-4.
198 J.-M. AUWERS

Cet excellent ouvrage s'ouvre sur une présentation des principes


généraux de l'herméneutique augustinienne, due à la plume de Fr. Van Fleteren
(p. 1-32). Suivent dix-sept études dont chacune veut éclairer un point
particulier de l'exégèse pratiquée par l'évêque d'Hippone. Certaines
contributions se concentrent sur une œuvre particulière d'Augustin: les Enarrationes
in psalmos (VJ. Bourke, p. 55-70; Th. Renna, p. 279-298, sur Sion et
Jérusalem), le De consensu evangelistarum (C. Harrison, p. 157-173), les
Tractatus in Iohannis Evangelium (J. Norris, p. 215-231, à propos de la
théorie du signe), les Sermones 151-156 sur Rm 7-8 (E. TeSelle, p. 313-
345, sur le rapport entre la liberté et la grâce). A. Bastiaensen (p. 33-54) et
J. Patout Burns (p. 71-97) traitent de deux sources possibles de
l'herméneutique augustinienne, à savoir respectivement Y Ambrosiaster et le De para-
diso d'Ambroise de Milan. D'autres contributions sont centrées sur des
thèmes augustiniens (R. Herrera, p. 175-188, sur la présence, trop
méconnue, de l'Afrique dans l'exégèse d'Augustin; M. Djuth, p. 129-143, au sujet
de la recta via chez Augustin et Prosper d'Aquitaine et de la via regia chez
Cassien; Fr. Posset, p. 253-278, à propos des sens spirituels chez Augustin
et dans la spiritualité médiévale), sur des personnages bibliques (J.T. Lien-
hard, p. 197-213, à propos de Jean-Baptiste) ou sur des péricopes scriptu-
raires (R.J. O'Connell, p. 233-252, à propos de Sir 10,9-14; R. Teske,
p. 347-367, sur l'interprétation christologique et l'interprétation morale de
la parabole du Bon Samaritain — l'A. aurait dû tenir compte du Sermon
Dolbeau 26, §43). Plusieurs auteurs rappellent fort à propos que l'exégèse
augustinienne s'est développée dans un contexte polémique (G.R. Evans,
p. 145-156; K.B. Steinhauser, p. 299-311, sur Job dans la controverse péla-
gienne; M. Cameron, p. 99-127, sur l'emploi du Cantique contre les
Donatistes - voir aussi, sur le même sujet: J.-M. Vercruysse, «Auster et
aquilon: géographie biblique et lectures patristiques du Cantique des
cantiques», dans Graphe 8, 1999, p. 71-102). Parmi les articles qui viennent
d'être évoqués, plusieurs suggèrent la fécondité de l'exégèse augustinienne.
C'est encore ce que montre J.F. Kelly à propos de VHexaemeron de Bède le
Vénérable (p. 189-196). Par leur qualité et leur diversité, ces contributions
donnent une vue d'ensemble pertinente des rapports du maître d'Hippone à
l'Écriture.

VI. Chaînes sur la Genèse et l'Exode

La chaîne sur la Genèse. Édition intégrale. III. Chapitres 12 à 28. Texte


établi par Françoise Petit (coll. Traditio exegetica Graeca, 3).
Louvain, Peeters, 1995. xxi-423 p. 24,5 x 16. 95 €. Isbn 90-6831-723-
7.
La chaîne sur la Genèse. Édition intégrale. IV. Chapitres 29 à 50. Texte
établi par Françoise Petit (coll. Traditio exegetica Graeca, 4).
Louvain, Peeters, 1996. xiv-505 p. 24,5 x 16. 105 €. Isbn 90-6831-
817-9.
LA BIBLE ET LES PÈRES 199

«La chaîne sur la Genèse est une entreprise anonyme, transmise sans
titre, préface ou conclusion. C'est un commentaire fait de citations
juxtaposées, puisées aux exégètes des cinq premiers siècles de l'ère chrétienne.
Conservée dans bon nombre de manuscrits bibliques, elle accompagne pas à
pas le texte sacré, intercalée entre les sections de celui-ci ou notée dans les
marges extérieures»7. On y trouve deux genres de morceaux: d'abord une
série de courtes notes anonymes, d'origines diverses et d'ordre critique (en
particulier des variantes hexaplaires), historique ou géographique (on peut
penser que ces notes figuraient déjà en marge des éditions bibliques
antérieures au travail des caténistes); ensuite (et surtout) des extraits patristiques
d'intention exégétique, habituellement dotés d'une attribution. Ces extraits
sont empruntés à toutes les écoles exégétiques, et les caténistes n'ont pas
hésité à accueillir des auteurs plus ou moins suspects d'hérésie, sans aucun
souci de controverse. La chaîne sur la Genèse fournit ainsi un vaste
panorama de l'exégèse ancienne, couvrant une trentaine d'auteurs allant de
Philon à Cyrille d'Alexandrie (t 444) et représentant une soixantaine
d'œuvres (les extraits de Sévère d'Antioche, mort en 538, ont été insérés
après coup dans la chaîne, de même d'ailleurs que les emprunts faits aux
Homélies sur la Genèse de Jean Chrysostome).
Au cours du temps, le tronc initial de la chaîne sur la Genèse s'est
diversifié en branches, caractérisées par des apports nouveaux, des sélections et
des remaniements textuels. Les travaux de Fr. P. ont permis d'établir qu'il
fallait distinguer fondamentalement la tradition primaire (connue par quatre
manuscrits) et la tradition secondaire (qui comprend plus de trente
manuscrits). Par rapport à la tradition primaire, celle-ci comporte nettement moins
d'extraits exégétiques (à peine la moitié), dans un état textuel médiocre, et
souvent dans une rédaction remaniée ou abrégée; c'est donc une tradition
dérivée. Mais elle mêle à ces extraits une collection exégétique à forte
coloration antiochienne, de manière à obtenir un commentaire biblique continu.
Cette collection antiochienne (centrée sur les Questions de Théodoret de
Cyr, t 459/460) existe à l'état indépendant et a été éditée par Fr. P. en 1986
sous le titre Collectio Coisliniana in Genesim (CC SG 15)8; elle constitue le
fonds principal et le plus intéressant de la tradition secondaire (type III du
catalogue de Karo-Lietzmann).
L'édition de la tradition primaire, qui comporte quatre volumes, a
commencé en 1991, avec un premier volume consacré aux trois premiers
chapitres de la Genèse, suivi l'année suivante par un deuxième volume portant
sur les chapitres 4—11. Au fil des quatre volumes, la technique d'édition est
restée la même: pour chaque pièce, l'éditrice indique les manuscrits qui

7 Fr. Petit, «La chaîne grecque sur la Genèse, miroir de l'exégèse ancienne»,
dans Stimuli. Exégèse und ihre Hermeneutik in Antike und Christentum. Festschrift
fur Ernst Dassmann, hrsg. von G. Schôllgen & Cl. Scholten (coll. Jahrbuch fur
Antike und Christentum, Ergânzungsband 23), Munster, 1996, p. 243-253 (p. 243).
8 La Collectio Coisliniana tient son nom du premier manuscrit où son existence
a été signalée: Paris, B.N., Coislin 1 13. Ce n'est ni le seul manuscrit qui atteste cette
collection, ni même le plus ancien.
200 J.-M. AUWERS

transmettent le texte, en signalant le lemme d'attribution qui figure dans


chacun d'eux; elle précise le verset de la Genèse auquel se rapporte l'extrait
patristique; suivent l'édition du fragment et son apparat critique, le parallèle
éventuel de Procope de Gaza et l'identification du fragment (avec renvoi
aux éditions modernes) quand celle-ci a été possible, ce qui n'est
malheureusement pas toujours le cas, en dépit de l'érudition de l'A. Au total, ce ne
sont pas moins de 2270 textes patristiques qui sont ici rassemblés. Si une
grande partie des fragments est attestée en tradition directe, d'autres ne
sont conservés en grec que par la chaîne: c'est le cas des extraits d'auteurs
comme Philon d'Alexandrie (Questions sur la Genèse), Eusèbe de Césarée,
Eusèbe d'Émèse et Théodore de Mopsueste, dont au moins une partie des
textes sont conservés par ailleurs en traduction, ou encore Hippolyte,
Origène (Commentarii in Genesim) et Diodore de Tarse, dont les textes sont
inconnus par ailleurs. L'intérêt documentaire de la chaîne est d'autant plus
évident que le compilateur s'est effacé devant ses sources: son intention
était de donner des citations littérales, assez brèves et empruntées
directement aux sources désignées. Ce sont d'ailleurs les indications caténiques qui
ont permis de restituer à Théodore de Mopsueste les débris d'une version
syriaque, à Didyme le commentaire conservé dans un des papyrus de Toura,
à Eusèbe d'Émèse un commentaire transmis dans une version arménienne
sous le nom de Cyrille d'Alexandrie. Du point de vue documentaire,
l'apport le plus remarquable de la chaîne est ce qu'elle a sauvé de l'exégèse
antiochienne (en particulier Eusèbe d'Émèse, Diodore de Tarse et Théodore
de Mopsueste). Philon est cité jusqu'en Gn 27,35; Didyme jusqu'en Gn
17,1. Pour les derniers chapitres de la Genèse, le caténiste a surtout exploité,
à côté des Scolies d'Origène et du Commentaire d'Eusèbe d'Émèse, les
Glaphyres de Cyrille d'Alexandrie et les homélies qu'il a pu trouver. La
chaîne reprend vigueur au chapitre 49 en faisant de nouveau alterner des
voix diverses: notamment celles d'Hippolyte et d'Apollinaire (qu'elle a
sauvées de l'oubli) et celle d'Eusèbe d'Emèse.
À côté de son intérêt documentaire, la chaîne a aussi sa valeur propre: la
juxtaposition des divers commentaires à propos d'un même texte biblique
donne un tableau contrasté de l'exégèse des premiers siècles avec ses
différentes écoles. Elle fait voir la part d'originalité de chaque commentateur, en
même temps que la profonde influence de Philon sur l'exégèse ancienne et
la dépendance étroite de Diodore de Tarse par rapport à Eusèbe d'Émèse.
La chaîne veut ouvrir le plus largement possible l'interprétation du texte
biblique et permettre une étude comparative et une option documentée.
Dans sa diversité, cet instrument de travail reflète fidèlement la culture
biblique du milieu du Ve siècle. À ce titre, il est un phénomène de culture qui
mérite une étude sérieuse.
Un travail parallèle a été entrepris par Procope de Gaza (| 538) dans
son Commentaire de l'Octateuque (aussi appelé Epitomé). Pour la Genèse,
les sources des deux ouvrages sont globalement les mêmes, mais Procope
a refondu les textes en un exposé exégétique continu, où le bien de chaque
commentateur (non mentionné) est parfois difficile à discerner. La
question de l'interdépendance de ces deux travaux reste débattue. Selon Fr. P.,
LA BIBLE ET LES PÈRES 201

l'hypothèse la plus probable est que Procope a utilisé une chaîne composée
avant lui - celle que nous connaissons ou son ébauche - tout en la
complétant (essentiellement à partir des mêmes sources que le caténiste, ce qui
suggère que les deux érudits auraient pu avoir accès à la même bibliothèque)9.
La chaîne ici éditée n'intéressera pas seulement les patrologues et les
historiens de l'exégèse, mais aussi les biblistes, en raison du matériel hexa-
plaire et des nombreuses citations scripturaires qu'elle contient.

La chaîne sur l'Exode. I. Fragments de Sévère d'Antioche. Texte grec établi


et traduit par Françoise Petit. Glossaire syriaque par Lucas van
Rompay (coll. Traditio exegetica Graeca, 9). Louvain, Peeters, 1999.
xxvn-209 p. 25 x 16,5. 50 €. Isbn 90-429-0736-3.
La chaîne sur l'Exode. Édition intégrale. IL Collectio Coisliniana. III.
Fonds caténique ancien (Exode 1,1-15,21). Texte établi par Françoise
Petit (coll. Traditio exegetica Graeca, 10). Louvain, Peeters, 2000.
xxxi-357 p. 25 x 16,5. 95 €. Isbn 90-429-0893-9.
La chaîne sur l'Exode. Édition intégrale. IV. Fonds caténique ancien
(Exode 15,22-^0,32). Texte établi par Françoise Petit (coll. Traditio
exegetica Graeca, 11). Louvain, Peeters, 2001. xiv-359 p. 25 x 16,5.
95 €. Isbn 90-429-0993-5.
Nous présenterons le contenu de ces trois ouvrages en le restituant dans
l'ordre chronologique, à savoir: 1. le fonds caténique ancien; 2. la Collectio
Coisliniana; 3. les fragments de Sévère d'Antioche.
1. La distinction entre tradition primaire et tradition secondaire s'impose
pour l'Exode tout autant que pour la Genèse. Toutefois, pour l'Exode, la
tradition primaire de la chaîne ne s'est pas ramifiée; elle n'est plus accessible
aujourd'hui qu'à travers trois manuscrits, dont le principal (Bâle, Univer-
sitàtsbibliothek 1, du Xe s.) s'interrompt brusquement à la fin du chapitre
14; le manuscrit de Leningrad (Bibliothèque publique, gr. 124, du XIIIe s.) ne
contient qu'une brève section caténique sur le Cantique de Moïse (Ex 15,1-
21). Le deuxième volume ici présenté contient donc, dans sa seconde partie,
le texte de la chaîne directement accessible en tradition primaire. Le
troisième volume présente la partie de la chaîne qui peut être reconstituée
d'après la tradition hybride confrontée à Procope. Bien que transmise dans
des conditions médiocres, cette section a sauvé de l'oubli bon nombre de
renseignements hexaplaires, de textes mis au nom d'Origène et de Didyme,
ainsi que des fragments des Questions sur l'Exode de Philon d'Alexandrie et
du Commentaire d'Eusèbe d'Émèse.
Dans son fonds primitif, la chaîne sur l'Exode présente les mêmes
caractéristiques que celle de la Genèse et a probablement le même auteur.
À l'exception de rares textes attribués à Hésychius de Jérusalem (f vers
451) ou à Théodoret de Cyr (t 459/460), l'auteur le plus récent cité par la

9 Fr. Petit, «La chaîne grecque sur la Genèse», p. 244-245.


202 J.-M. AUWERS

chaîne primitive est Cyrille d'Alexandrie (t 444). Ceci permet de situer


l'activité du caténiste dans la seconde moitié du Ve siècle.
2. La tradition hybride (ou secondaire) est attestée par une vingtaine de
manuscrits. Elle reprend à la tradition primaire un choix d'extraits caté-
niques (à travers un exemplaire apparenté au manuscrit de Bâle, mais plus
complet), en les remaniant délibérément; ces réécritures ne remplacent pas
toujours le texte premier, mais s'y ajoutent parfois, constituant donc des
doublets. La tradition secondaire mêle ces extraits caténiques à la série des
Questions de Théodoret, elle-même augmentée d'une collection exégétique
majoritairement antiochienne destinée à éclairer, semble-t-il, la position
de l'évêque de Cyr; c'est même cet ensemble antiochien — la Collectio
Coisliniana - qui constitue l'ossature de la tradition secondaire. En dehors
de Théodoret, l'auteur le plus mis à contribution est Diodore de Tarse. Rien
n'indique que la Collectio Coisliniana, dans laquelle l'auteur le plus récent
est Gennade de Constantinople (t 471), soit postérieure au dernier quart du
Ve siècle. Cette Collectio Coisliniana méritait d'être éditée pour elle-même,
sans toutefois les Questions de Théodoret qui ont été publiées par N. Fer-
nândez Marcos et A. Sâenz-Badillos en 1979.
Le livre de l'Exode, particulièrement à partir du ch. 15, a été moins
commenté dans l'Église chrétienne que celui de la Genèse. La Collectio
Coisliniana ne contient que vingt-six extraits ajoutés aux Questions de
Théodoret, alors que pour la Genèse elle en comptait trois cent huit. La
même réduction quantitative s'observe dans la chaîne proprement dite: «le
caténiste a trouvé peu d'ouvrages aussi techniques que le De Pascha
d'Origène ou le Commentaire d'Eusèbe d'Émèse, et a dû recourir à des
œuvres plus littéraires: des synthèses comme la Vie de Moïse de Philon ou
celle de Grégoire de Nysse, diverses homélies, enfin et surtout les Glaphyra
et le De adoratione de Cyrille d'Alexandrie» {Édition intégrale,
Avant-propos).
La position de Procope vis-à-vis de la chaîne de l'Exode se présente dans
les mêmes termes que pour la Genèse. Selon Fr. P., Procope a connu la
chaîne dans son état premier (sans les fragments de Sévère) et a remanié
les textes qu'il lui empruntait, en recourant parfois aux sources du
caténiste pour donner aux extraits un contexte plus étendu ou en augmenter le
nombre.
3. Un lot important de citations de Sévère d'Antioche a été inséré après
coup dans la chaîne sur l'Exode, de même que dans certains témoins
caténiques de la Genèse, sans doute peu de temps après la mort de l'évêque
d'Antioche (538); ils méritaient d'être publiés séparément: «Ils fournissent
l'exemple accompli d'une théologie soucieuse de la preuve scripturaire.
Sévère ne vise pas à expliquer le texte sacré mais cherche en lui des appuis
pour étayer ses positions doctrinales» {Fragments de Sévère d'Antioche,
p. xn). Les textes sévériens sont empruntés aux Homélies cathédrales
prononcées par Sévère au cours des années 512-518 qui furent celles de son
patriarcat à Antioche (quarante-six citations), aux écrits polémiques
composés contre Julien d'Halicarnasse entre 520 et 527 (trois citations) et à sa
correspondance (cinq citations); ces œuvres n'ont pas été transmises en
LA BIBLE ET LES PÈRES 203

tradition directe (suite à leur condamnation par le synode de Constantinople


en 536); la confrontation avec la version syriaque, quand elle a pu être faite
(les lettres ne sont que très incomplètement publiées dans leur version
orientale), garantit la fidélité littérale des citations sévériennes. À ce total de
cinquante-quatre citations explicites, il faut encore ajouter dix-neuf parallèles
et récritures. En appendice à l'édition des fragments sévériens, L. Van
Rompay signe une mise au point sur les versions syriaques de l'œuvre de
Sévère (p. 111-131) et un double glossaire (grec-syriaque, p. 133-167;
syriaque-grec, p. 169-208).
Œuvre d'une orfèvre en la matière, accompagnée des indispensables
index et de tableaux synoptiques sur le contenu respectif des différents
témoins et sur les parallèles de Procope, l'édition des chaînes de la Genèse
et de l'Exode est en tout point remarquable et servira de modèle pour les
éditions ultérieures de textes caténiques10. Le recenseur n'a qu'un souhait:
c'est que l'éditrice envisage une editio minor où les textes seraient traduits
(comme c'est le cas pour les fragments de Sévère), de manière à être rendus
accessibles au public le plus large.

7. Varia

Nova Doctrina Vetusque. Essays on Early Christianity in Honor of Frédéric


W. Schlatter, S.J., edited by Douglas Kries and Catherine Brown
Tkacz (coll. American University Studies. Séries VII Theology and
Religion, 207). New York, Peter Lang, 1999. xi-291 p. 23,5 x 16. 49,95 $.
Isbn 0-8204-4136-8.
Ce Festschrift en l'honneur du philologue et historien américain de
l'Église ancienne, Fr.W. Schlatter, rassemble seize contributions, dont
plusieurs se rapportent explicitement à l'exégèse patristique. Ch. Kannengiesser
présente de manière détaillée l'exégèse de la prosopopée de la Sagesse (Prov
8) qu'Athanase a élaborée, au deuxième livre du Contra Arianos, dans le
contexte de la controverse arienne; il apparaît que, si l'évêque d'Alexandrie
n'a laissé aucun écrit à proprement parler exégétique, c'est néanmoins à lui
que nous devons le commentaire patristique le plus détaillé de cette page des
Proverbes («Lady Wisdom's Final Call», p. 65-77). C. Brown Tkacz fait le
point sur les réminiscences de poètes et auteurs classiques qui affleurent dans
le texte de la Vulgate («Quid facit cum Psalterio Horatius?», p. 93-104),
tandis que E.A. Synan montre en quoi la «Vulgate» latine mérite son nom
(«The Vulgarity of the Vulgate», p. 105-119; l'A. examine les échanges
epistolaires entre Jérôme, Damase et Augustin à propos de la traduction de la
Bible). A.P. Carriker analyse, toujours à travers la correspondance entre

10 Je profite de cette présentation pour signaler que, grâce au soutien financier du


Fonds de la Recherche Fondamentale Collective (fonds associé au F.N.R.S.),
l'édition de l'Epitomé sur le Cantique des Cantiques attribué à Procope a pu être mise en
chantier à Louvain-la-Neuve. Voir le site http://www.teco.ucl.ac.be/recherche.
204 J.-M. AUWERS

Augustin et Jérôme, la controverse qui opposa les deux hommes à propos de


l'interprétation de l'incident d'Antioche relaté par Paul en Ga 2,11-14 (p.
121-138). Dans une autre contribution également consacrée à l'évêque
d'Hippone, R.J. Teske cherche à préciser la définition augustinienne du
sacrifice, telle qu'elle peut être saisie à partir du De Civitate Dei (p. 153-167:
«Augustine may hâve emphasized the spiritual and interior character of the
Christian understanding of sacrifice in a way that would allow contemporary
Platonists to see that Christianity was capable of incorporating the highest
ideals of Platonic spiritualism», p. 159). On retiendra également, parmi les
autres contributions, l'article de R. Taft sur les symboles rituels de
communion ecclésiale durant la période patristique («One Bread, One Body», p. 23-
50), celui où W.H.C. Frend brosse à grands traits l'évolution de l'archéologie
paléo-chrétienne («From Confessional Propaganda to International
Scholarship», p. 9-21) et celui de D.J. Nodes sur la présence d'Origène chez
les humanistes de la Renaissance (p. 51-64).

The Use of Sacred Books in the Ancient World, edited by L.V. Rutgers,
P.W. van der Horst, H.W. Havelaar, L. Teugels (coll.
Contributions to Biblical Exegesis and Theology, 22). Louvain, Peeters, 1998.
316 p. 23 x 15. 32 €. Isbn 90-429-0696-0.
Ce volume constitue les Actes d'un Symposium organisé à l'Université
d'Utrecht en janvier 1998 et consacré à la sacralité dans les textes
classiques, paléo-chrétiens et rabbiniques. Par mode d'introduction, G.G.
Stroumsa montre comment les premiers chrétiens ont élaboré un double
système de référence, basé d'une part sur les Écritures judéo-chrétiennes et
d'autre part sur ce qu'ils ont pu récupérer de la culture gréco-latine - et
comment l'herméneutique chrétienne a pu intégrer cet héritage à la foi au
Christ («The Christian Hermeneutical Révolution and its Double Hélix»,
p. 9-28). Dans une perspective comparatiste, Ph.S. Alexander cherche à
préciser la place que l'épopée homérique et la Torah mosaïque tiennent
respectivement dans la culture hellénistique et dans le judaïsme rabbinique
(«Homer the Prophet of Ail and Moses our Teacher», p. 127-142). Sur les
seize contributions ici rassemblées, plus de la moitié proviennent de scho-
lars de l'Université invitante; on ne s'étonnera pas que ces articles reflètent
les caractéristiques de «l'école d'Utrecht», à savoir l'étude du Nouveau
Testament et de l'ancienne littérature chrétienne dans son contexte juif et
son contexte gréco-romain (par exemple B. Cozinsen, «A Critical
Contribution to the Corpus Hellenisticum Novi Testamenti: Jude and Hesiod», p.
79-109 ou J. den Boeft, «Nullius disciplinae expers: Virgil's Authority in
[Late] Antiquity», p. 175-186 ou encore l'article de P.W. van der Horst qui,
sous le titre «Sortes: Sacred Books as Instant Oracles in Late Antiquity»,
p. 143-173, fait le point sur la divination en milieu juif, chrétien ou païen et
sur le recours aux écrits sacrés dans le contexte des pratiques oraculaires).
Touchant à l'exégèse du Nouveau Testament, on retiendra également
l'article de Br. Chilton sur Jacques, frère du Seigneur, qui aurait été nazir
(p. 29-48), celui de G. Mussies sur les formules introductives des citations
LA BIBLE ET LES PÈRES 205

de l'Ancien Testament dans les évangiles et les Actes (p. 49-60), les pages
de M.J.J. Menken consacrées à la citation de Ps 77 (78 TM),2 en Mt 13,35
(p. 61-77), l'étude de M. Misset van de Weg sur la figure de Sarah dans la
prima Pétri (p. 111-126). Touchant à l'exégèse paléo-chrétienne, on
signalera l'article d'A. van den Hoek sur l'interprétation du Ps 81 (82 TM) chez
Justin, Théophile, Irénée et Clément (p. 203-219), celui de H.W. Havelaar
sur le recours à l'Écriture dans YApocalypse de Pierre retrouvée à Nag
Hammadi (p. 221-233; l'auteur de cette apocalypse connaît au moins les
évangiles de Mt, Le et Jn, probablement aussi 2 Co et Hb, mais ne
reconnaît pas l'autorité de ces écrits en tant que cadre interprétatif de la vie de
Jésus), les pages d'A. Salvesen sur le texte biblique syriaque de 2 Samuel
cité par Jacques d'Édesse (p. 235-245) et, enfin, l'étude de L.V. Rutgers sur
l'interprétation de 2 M chez les auteurs antiochiens des ive-ve siècles
(p. 287-303).

Interprétations of the Flood, edited by Florentino Garcia Martïnez &


Gérard P. Luttikhuizen (coll. Thèmes in Biblical Narrative. Jewish
and Christian Traditions, 1). Leyde, Brill, 1998. xi-202 p. 24,5 x 16.
148,5 Nlg. Isbn 90-04-11253-7.
Cet ouvrage rassemble dix contributions qui éclairent le récit biblique du
déluge (Gn 6-9) et l'histoire de son interprétation. E. Noort replace le récit
dans le contexte du Proche-Orient ancien (p. 1-38); J.N. Bremmer étudie de
près la version grecque du déluge rapportée dans la Bibliothèque attribuée
au mythographe Apollodore (p. 39-55); A. Hilhorst démontre que le récit
biblique sur Noé était bel et bien connu dans le monde gréco-romain (p. 56-
65). J.T.A.G.M. van Ruiten et FI. Garcia Martïnez présentent les
interprétations du récit biblique qui apparaissent respectivement dans le livre des
Jubilés (p. 66-87) et à Qumrân (p. 86-108). G.P. Luttikhuizen fait voir
comment la mythologie gnostique classique a repris et relu l'histoire du déluge
(p. 109-123). Avec W.J. van Bekkum et H.S. Benjamins, le lecteur entre
dans le domaine des traditions rabbiniques (p. 124-133) et dans celui de la
patristique grecque et latine jusqu'à Origène (p. 134-149). Les deux
dernières contributions font faire au lecteur un bond de quelques siècles: R.
Vermij montre comment et pourquoi, à l'époque de la révolution
scientifique, l'ecclésiastique anglican Thomas Burnet a tiré argument du récit du
déluge dans sa Telluris theoria sacra (1681-1689) pour fonder sa thèse de la
«providence naturelle» (p. 150-166); quant à P. Vandermeersch, il relit le
récit biblique de son point de vue de psychanalyste (p. 167-193).
L'ensemble de ces contributions fournit un panorama intéressant. G.P.
Luttikhuizen a publié depuis, dans la même collection, un recueil similaire
consacré aux chapitres 2-3 de la Genèse (Paradise Interpreted, 1999).

The Impact of Scripture in Early Christianity, edited by J. Den Boeft &


M.-L. van Poll - van de Lisdonk (coll. Suppléments to Vigiliae
Christianae, 44). Leyde, Brill, 1999. xm-278 p. 25 x 16. Isbn 90-04-
11143-3.
206 J.-M. AUWERS

Cet ouvrage rassemble quatorze communications qui furent présentées


par autant d'érudits belges ou néerlandais lors du trente-cinquième
anniversaire de la Dutch Foundation for Early Christian Studies. Dans la
contribution liminaire («Biblical Scholarship in the Early Church», p. 1-19),
A. Hilhorst brosse un rapide tableau de l'état des études bibliques dans
l'antiquité chrétienne (sont évoqués: les Hexaples d'Origène, les Canons
d'Eusèbe, l'Introduction aux saintes Écritures d'Hadrien, les traductions de
Jérôme, l'herméneutique origénienne, les Questions et réponses du Pseudo-
Césaire, etc.). B. Dehandschutter («Example and Discipleship», p. 20-26)
rappelle les fondements bibliques de la théologie du martyre dans l'Église
ancienne. G. Bartelink («Die Rolle der Bibel in den asketischen Kreisen des
vierten und fiinften Jahrhunderts», p. 27-38) montre tout ce que les premiers
moines ont puisé dans la Bible: modèles à imiter, prières, textes de
méditation... A.A.R. Bastiaensen («Die Bibel in den Gebetsformeln der
Lateinischen Kirche», p. 39-57) s'intéresse à l' arrière-fond biblique des
prières de l'ancienne liturgie romaine, en particulier des préfaces et des
oraisons. M. Parmentier («The Gifts of the Spirit in Early Christianity», p. 58-
78) retrace l'histoire ancienne de l'interprétation du thème des dons de
l'Esprit (cf. Is 11,2-3 et 1 Co 12,8-11; Le 11,23 et Me 9,40; Ac 2,6 et 1 Co
14,14; Me 16,17-18 et Le 17,21; Mt 5,48 et 1 Co 12,7 - tous ces textes
bibliques allant, selon l'A., par paire) et rappelle inévitablement la
confusion entre la glossolalie et le don des langues accordé aux Apôtres au jour
de la Pentecôte. Les trois contributions suivantes sont consacrées à l'image:
A. Provoost étudie «le caractère et l'évolution des images bibliques dans
l'art chrétien primitif» (p. 79-101); I. Spatharakis («Early Christian Illus-
trated Gospel Books from the East», p. 102-121) passe en revue les
plus anciens manuscrits grecs et syriaques enluminés des Évangiles
(notamment le fameux Codex purpureus Rossanensis, du début du VIe siècle) et
cherche à préciser la source d'inspiration des artistes (ceux-ci ont plus d'une
fois pris modèle sur des représentations peintes sur les murs des églises).
P.CJ. van Dael («Biblical Cycles on Church Walls: pro lectione pictura»,
p. 122-132) replace dans son contexte l'affirmation de Grégoire le Grand
selon laquelle l'image est aux illettrés ce que l'Écriture est à ceux qui savent
lire (première et deuxième lettre à Serenus, dans Registrum epistularum, IX,
209 et XI, 10; CCSL 140A, p. 768 et 874). W. Evenepoel («Paulinus
Nolanus, Carmen 26», p. 133-160) présente un assez long poème de Paulin
en l'honneur de saint Félix de Noie, dont Paulin espère la protection à
l'approche des Wisigoths d'Alaric (402); la référence à la Bible, en particulier
à l'Ancien Testament, y est constante (le texte du poème est reproduit
p. 151-160; une traduction aurait été la bienvenue). G. Partoens («Deus agri-
colam confirmât», p. 161-186) étudie l'élaboration de la parabole du semeur
par Prudence {Contre Symmaque, II, 1020-1063): le poète «a transformé la
parabole en une série de praecepta adressés à des coloni pour en faire la
base biblique de leur nouveau style de vie. À travers la parabole du semeur,
il leur conseille de lire dans leur propre travail sur les champs le message
que Dieu y a caché» (p. 185-186). A. Davids («Cyril of Alexandria's First
Épiscopal Years», p. 187-201) situe la première Lettre festale (414) de
LA BIBLE ET LES PÈRES 207

Cyrille d'Alexandrie dans le contexte du début de l'épiscopat et étudie la


place qu'y tient l'Ancien Testament, en particulier à l'appui de la polémique
anti-juive. P. Van Deun («Eu%fi distingué de npoceuxTl», p. 202-222) suit
l'opposition explicite entre &\)%r\ et npo<5£V%r\ depuis Origène jusqu'au XIe-
XIIe s.; c'est ainsi qu'au vne s. Maxime le Confesseur, qui se réclame ici de
l'enseignement des «Pères inspirés par Dieu», définit la 7Tpoasi)%f| comme
«une demande des choses que Dieu a l'habitude d'offrir aux hommes
pour leur salut», tandis que l'8D%f| serait «la promesse de ces dons que les
hommes offrent à Dieu sur base d'un engagement» (Questions à Thalassios,
50,87-90 cité p. 211). Les deux dernières contributions touchent à des
problèmes herméneutiques: H. Welzen («Reader Response», p. 223-244)
rappelle les principaux déplacements que l'exégèse biblique récente a opérés
(notamment la valorisation du rôle du lecteur et de Fintertextualité) et
dégage les présupposés de l'interprétation du Ps 94 (95 TM) par l'auteur de
la lettre aux Hébreux (Hb 3,7^4,11). Enfin, I. Sluiter («Communication,
Eloquence and Entertainment in Augustine's De Doctrina Christiana» ,
p. 245-267) décrit l' arrière-plan de l'herméneutique augustinienne, en
particulier la théorie de la communication et de la transmission du savoir.

Biblical Figures outside the Bible, edited by Michael E. Stone & Théodore
A. Bergren. Harrisbourg, PA, Trinity Press International, 1998. xm-
433 p. 23,5 x 15,5. 35 US$. Isbn 1-56338-247-4.
Les personnages bibliques ont une survie - ou, pour mieux dire, une
seconde vie - au-delà du texte canonique. La découverte de la bibliothèque
de Nag Hammadi et celle des manuscrits de la mer Morte ont fourni une
documentation de première main pour étudier le devenir des figures
bibliques par-delà la Bible. Le présent recueil rassemble treize études
consacrées à Adam et Eve (à travers la Vita latine, ses sources et ses parallèles),
la figure gnostique de Seth, Hénoch (revisité par les Pères et les rabbins,
puis présenté à partir de la littérature qui lui est attribuée: 1-3 Hénoch, ainsi
que dans les Jubilés), Noé et ses fils (avec un bref appendice sur le Livre de
Noé), la conversion d'Abraham (un thème qui apparaît dans Jubilés 11-12
et se retrouve, entre autres, chez Flavius Josèphe, Philon et Paul),
Melchisédech (dans le judaïsme et le christianisme anciens et dans le gnos-
ticisme), Lévi (d'après les pseudépigraphes d'Ancien Testament), Joseph
(dans le judaïsme hellénistique et chez les premiers auteurs chrétiens),
Baruch (dans la littérature apocalyptique), Ezéchiel (d'après la
littérature pseudépigraphique, puis d'après les sources musulmanes), Esdras et
Néhémie (tels qu'ils apparaissent en particulier dans les apocryphes). Ces
parcours à travers la littérature post-biblique ne manquent jamais d'être fort
intéressants. On voit ainsi, par exemple, comment le personnage de Baruch,
que le livre de Jérémie (TM) présente comme le scribe du prophète, est
devenu successivement son successeur (dans Jérémie LXX), un sage qui
prêche la pénitence à son peuple (dans le livre canonique de Baruch), un
interprète inspiré de la Torah (dans l'Apocalypse syriaque de Baruch), un
homme qui est monté aux cieux et en est redescendu pour révéler ce qu'il a
208 J.-M. AUWERS

découvert des secrets divins (dans l'Apocalypse grecque). Ce bel ouvrage, à


la présentation soignée, est utilement complété par une bibliographie
cumulative et par de riches index.

Maria Cristina Pennacchio, Propheta insaniens. L'esegesi patristica di


Osea traprofezia e storia (coll. Studia Ephemeridis Augustinianum, 81).
Rome, Institutum Patristicum Augustinianum, 2002. 326 p. 24 x 16.
Isbn 88-7961-012-0.
Cet ouvrage offre une présentation synthétique des principaux
commentaires patristiques grecs et latins du livre d'Osée. Après un premier chapitre
consacré aux précurseurs (en particulier Irénée, Origène et Eusèbe), l'A.
passe en revue les commentaires de Théodore de Mopsueste, Théodoret de
Cyr, Cyrille d'Alexandrie, Jérôme et Julien d'Éclane. À travers la
présentation des données, l'A. cherche à préciser ce qui sépare les traditions
d'interprétation alexandrine et antiochienne. Un dernier chapitre confronte les
exégèses anciennes de sept versets d'Osée particulièrement significatifs.
Le premier commentaire systématique dont il nous reste des traces est
celui d' Origène. Origène donne du mariage d'Osée à la fois une
interprétation ecclésiologique (à la suite d' Irénée, qui voyait déjà en Gomer une
figure de l'Église issue des Nations) et une interprétation individualisée (qui
évoque la relation entre le Logos et l'âme de chaque croyant). Ceci rappelle
que l'opposition du collectif et de l'individuel n'était pas pertinente pour les
Pères: dans leur perspective, l'Église est épouse parce que les personnes qui
la composent sont épouses et, parce qu'elle est épouse, l'Église permet aux
âmes d'être épouses: le collectif se réalise à travers l'individuel et,
réciproquement, l'individuel à cause du collectif. Aussi Origène passe-t-il tout
naturellement et sans problème d'une signification à l'autre. Il est
remarquable que les «trois jours» d'Os 6,2, s'ils sont - de manière attendue - une
annonce du séjour du Christ au tombeau, évoquent aussi à l'esprit d 'Origène
le chemin qui conduit le chrétien au baptême, sacrement dans lequel
s'accomplit la participation du fidèle à la mort et à la résurrection du Christ.
L'exégèse du livre d'Osée proposée par Eusèbe remploie les acquis ori-
géniens dans une visée essentiellement apologétique et doctrinale, qui
caractérise toute l'œuvre de cet auteur. Pour réfuter les accusations des
philosophes païens qui reprochent aux exégètes chrétiens un usage intempestif de
la méthode allégorique, Eusèbe s'efforce d'extraire le sens christologique
hors de la lettre du texte, en tenant compte du contexte (àKOÀ-ouGia).
Le Commentaire de Théodore sur les petits Prophètes est une des rares
œuvres de l'évêque de Mopsueste qui nous soit parvenue en grec. On y
trouve à l'état pur les caractéristiques de l'exégèse antiochienne, dont
Théodore est le représentant le plus typique. S'il n'exclut pas a priori que
certains passages de l'Ancien Testament puissent préfigurer des faits et des
personnages du Nouveau, son commentaire d'Osée ne contient aucune
interprétation typologique: pour lui, les promesses de bonheur contenues dans la
lettre du texte biblique ont trouvé leur réalisation lors du retour d'exil.
La priorité absolue de l'interprétation littérale trouve son fondement dans
LA BIBLE ET LES PÈRES 209

la théologie de l'histoire propre à un auteur qui considère le Premier


Testament comme l'expression d'une économie fermée sur elle-même, celle
du monothéisme judaïque, par opposition au polythéisme païen et au trinita-
risme chrétien qui s'exprime dans le Nouveau Testament. Ses fondements
théologiques et la volonté de réagir contre l'allégorisme des Alexandrins
prédisposaient Théodore à minimiser la présence du Christ dans la
révélation vétéro-testamentaire et à privilégier une exégèse de type philologique.
M.C. Pennacchio met bien en valeur la tendance antiochienne à attribuer
aux textes bibliques un sens précis et clairement défini, tandis que les
schémas platoniciens qui sont à l' arrière-plan de l'exégèse alexandrine
entraînent celle-ci dans la quête indéfinie d'un sens de plus en plus profond.
Théodoret de Cyr se rattache à la tradition antiochienne par son souci
d'établir la lettre du texte (en confrontant ses variantes) et de l'expliquer en
fonction de l'histoire d'Israël. Toutefois, lorsque Théodoret ne trouve pas,
dans l'économie vétérotestamentaire, d'événement qui puisse être considéré
comme le véritable accomplissement des prophéties d'Osée, il en cherche la
réalisation dans la nouvelle alliance, ce qui lui permet de «récupérer» un
certain nombre d'exégèses christologiques. Sans rien abandonner des
principes fondamentaux de 1' «école d'Antioche», l'évêque de Cyr a su réaliser
une synthèse cohérente entre les deux courants exégétiques, dont il refuse
les expressions les plus radicales.
De son côté, si l'exégèse pratiquée par Cyrille d'Alexandrie est conduite
selon des critères typiquement alexandrins (conception du gkotiôç de
l'Écriture; distinction des différents niveaux d'interprétation: littéral,
moral, typologique), elle tient cependant compte des critiques des Antio-
chiens contre l'allégorisme excessif des Alexandrins. Certes, la préface du
commentaire sur Osée réaffirme le primat du sens spirituel, mais Cyrille se
sépare d'Origène en renonçant à interpréter comme préfiguration et
anticipation allégorique chaque détail particulier du texte; il préfère limiter ce type
d'interprétation aux passages qui s'y prêtent le mieux. Cyrille est donc un
Alexandrin «de la deuxième génération»: si l'Ancien Testament
n'intéressait guère ses prédécesseurs que dans la mesure où il annonçait le Christ de
manière plus ou moins voilée, les événements de l'histoire d'Israël retiennent
l'attention de Cyrille en tant que tels, d'où la présence de plusieurs
développements sur l'histoire du Proche-Orient dans ses commentaires des petits
Prophètes.
Jérôme est le premier exégète de langue latine à avoir commenté
systématiquement les petits prophètes (entre 392 et 406; le commentaire sur Osée
est un des derniers). Le solitaire de Bethléem propose une exégèse
«différentielle», qui compare la teneur du texte hébreu à celle de la Septante et des
versions hexaplaires. La volonté de remonter à Yhebraica veritas et d'en
rendre compte sans en esquiver les difficultés donne au commentaire un
caractère érudit («scientifique»), que Jérôme combine avec une étude
spirituelle, dont la source principale reste Origène. Jérôme partage avec ce dernier
la conception de l'Écriture comme Incarnation du Verbe. Arrivé au dernier
verset d'Osée, Jérôme écrit: «Nous savons que les voies du Seigneur, c'est
la lecture de l'Ancien et du Nouveau Testament, c'est l'intelligence des
210 J.-M. AUWERS

saintes Écritures. Qui marche dans ces voies, s'il ne revient pas au Seigneur
et si ne lui est pas enlevé le voile qui était devant les yeux de Moïse, ne
pourra trouver le droit chemin. Mais s'il dit avec David: "Enlève le voile de
mes yeux et je contemplerai les merveilles de ta loi" (Ps 118,18), il
marchera dans ces voies et trouvera le Christ». Les merveilles des Écritures ne
sont donc accessibles qu'à ceux qui marchent dans les voies du Seigneur,
c'est-à-dire ceux à qui le Christ les dévoile. Nous voilà au cœur de la lecture
hiéronymienne des Écritures, à travers la double référence au Psaume 1 18 et
à l'image du voile placé sur le visage de Moïse (cf. 2 Co 3,13).
On lira avec intérêt les pages consacrées à Julien d'Éclane et à sa
conception de la theoria (p. 217-238). Selon M.C. Pennacchio, Julien aurait
composé son commentaire des petits prophètes avant sa condamnation en 418.
L'évêque d'Éclane entend rompre aussi bien avec les fines allégories
qu'avec les «fables judaïques»; il renvoie ainsi Origène et Jérôme dos à dos
et prétend s'en tenir à la seule portée historique, que détermine la conse-
quentia du texte (un principe qui rappelle fort râ,KOÀ,ou9ia des Antio-
chiens). C'est donc avant tout la cohérence du tissu narratif qui sert de fil
conducteur à l'interprétation du texte, à moins que celui-ci n'ait visiblement
une dimension prophétique, auquel cas il se peut que la prophétie, après
avoir trouvé une réalisation partielle dans l'histoire d'Israël, pointe vers le
Christ, qui lui donne son plein accomplissement. Il importe à Julien que ce
sens christologique puisse être tiré de la lettre même du texte. C'est ici
qu'intervient la notion de theoria, reprise aux Antiochiens, mais dont Julien
donne une définition concise (p. 233). Si la datation que l'A. assigne au
commentaire de Julien exclut la possibilité d'un contact direct avec celui de
Théodore de Mopsueste, il n'en va pas de même pour celui de Jérôme (p. 291-
296). - Au total, un ouvrage bien conçu, écrit avec clarté et fort intéressant,
qui revisite deux siècles d'exégèse patristique.
*

Ces publications se situent dans le prolongement d'études publiées les


années précédentes, qui proposent des histoires générales de l'exégèse, des
portraits des exégètes anciens, des études sur la tradition exégétique des
livres bibliques, sur les méthodes de l'exégèse patristique et sur leur
dépendance à l'égard de l'exégèse juive ancienne11. Tous ces travaux donnent une
image contrastée du rapport des Pères à l'Écriture.

11 Quelques titres importants: The Cambridge History ofthe Bible, vol. 1 : From
the Beginning to Jérôme, éd. par P.R. Ackroyd & CF. Evans, Cambridge, 1970;
B. DE Margerie, Introduction à l'histoire de l'exégèse, 4 vol., Paris, 1980-1990;
Bible de tous les temps, vol. 1 : Le monde grec ancien et la Bible, éd. par
Cl. Mondésert; vol. 2: Le monde latin antique et la Bible, éd. par J. Fontaine &
Ch. Piétri; vol. 3: Saint-Augustin et la Bible, éd. par A. -M. La Bonnardière,
Paris, 1984-1986; M. Simonetti, Lettera elo Allegoria. Un contributo alla storia
dell'esegesi patristica (coll. Studia Ephemeridis Augustinianum, 23), Rome, 1985;
LA BIBLE ET LES PÈRES 211

On le voit: l'exégèse patristique est un champ de recherches en pleine


expansion - et c'est à juste titre: les interprétations de la Bible qu'ont
produites les chrétiens des premiers siècles appartiennent à la «mémoire»
chrétienne et, indépendamment même de toute conviction religieuse, elles font
partie de l'histoire de la culture. Cela dit, le débat reste ouvert de savoir ce
que l'herméneutique des Pères - en particulier la lecture typologique de
l'Ancien Testament, qui en constitue la caractéristique la plus significative -
peut apporter à la pratique exégétique actuelle12. Au moins avons-nous
appris aujourd'hui, à travers l'œuvre d'un H.-G. Gadamer ou d'un P. Ricœur,
que l'histoire d'un texte n'est pas extrinsèque à celui-ci13.

B - 1348 Louvain-la-Neuve, Jean-Marie Auwers


Grand-Place 45. Professeur à la Faculté
de théologie de VU. CL.

Résumé - L'exégèse patristique constitue un des aspects essentiels de


l'ancienne pensée chrétienne et «la forme principale qu'a longtemps revêtue la
synthèse chrétienne» (H. de Lubac). L'intérêt pour l'exégèse des Pères est
devenu aujourd'hui un des principaux moteurs des études patristiques. On
salue ici la publication des chaînes exégetiques sur la Genèse et sur l'Exode
(éditées par Fr. Petit) et on présente une vingtaine de monographies qui
donnent une image contrastée du rapport des Pères à l'Écriture.

Summary - Patristic exegesis constitutes one of the essential aspects of


ancient Christian thought and is «the principal form which the Christian
synthesis took on» (H. de Lubac). Interest for the Fathers' exegesis has
become today one of the principal motors of patristic studies. The
publication of the exegetical catenae on Genesis and Exodus (edited by Fr. Petit) is
welcomed hère and a présentation is given of about twenty monographs
which give a varied image of the relationship of the Fathers to Scripture.

H. Reventlow, Epochen der Bibelauslegung, vol. 1-2, Munich, 1990-1994; Hebrew


Bible I Old Testament. The History oflts Interprétation, vol. 1 : From the Beginnings
to the Middle Ages (Until 1300), Part 1. Antiquity, éd. par M. SiEB0 et alii, Gottingen,
1996.
12 Sur ce sujet, voir la réflexion amorcée récemment dans Typologie biblique. De
quelques figures vives, éd. par R. Kuntzmann, Paris, 2002 (en particulier la synthèse
finale de D. Duval et R. Kuntzmann, p. 261 -21 A) et les travaux de P. Beauchamp, en
particulier Le récit, la lettre et le corps. Essais bibliques (coll. Cogitatio fidei, 114),
Paris, 1982.
13 Voir en particulier: H.-G. Gadamer, Vérité et méthode. Les grandes lignes
d'une herméneutique philosophique, Paris, 1976; P. RlCŒUR, Temps et récit, t. 3: Le
temps raconté, Paris, 1985 et L'Herméneutique biblique, Paris, 2001.

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