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Résumé
L'exégèse patristique constitue un des aspects essentiels de l'ancienne pensée chrétienne et «la forme principale qu'a
longtemps revêtue la synthèse chrétienne» (H. de Lubac). L'intérêt pour l'exégèse des Pères est devenu aujourd'hui un des
principaux moteurs des études patristiques. On salue ici la publication des chaînes exégetiques sur la Genèse et sur l'Exode
(éditées par Fr. Petit) et on présente une vingtaine de monographies qui donnent une image contrastée du rapport des Pères à
l'Écriture.
Abstract
Patristic exegesis constitutes one of the essential aspects of ancient Christian thought and is «the principal form which the
Christian synthesis took on» (H. de Lubac). Interest for the Fathers' exegesis has become today one of the principal motors of
patristic studies. The publication of the exegetical catenae on Genesis and Exodus (edited by Fr. Petit) is welcomed here and a
presentation is given of about twenty monographs which give a varied image of the relationship of the Fathers to Scripture.
Auwers Jean-Marie. La Bible et les Pères. Chronique d'exégèse patristique. In: Revue théologique de Louvain, 34ᵉ année,
fasc. 2, 2003. pp. 187-211;
doi : 10.2143/RTL.34.2.2017471
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2003_num_34_2_3290
exégèse chrétienne est bien autre chose qu'une ancienne forme d'exégèse.
C'est la "trame" de la littérature chrétienne et de l'art chrétien. C'est, sous
l'un de ses aspects essentiels, l'ancienne pensée chrétienne. C'est la forme
principale qu'a longtemps revêtue la synthèse chrétienne. C'est au moins
l'instrument qui lui a permis de se construire, et c'est aujourd'hui l'un des
biais par où on peut le plus utilement l'aborder»3.
Les publications dont on va rendre compte à présent témoignent, à leur
manière et par leur variété, de la pertinence de ces propos.
I. Généralités4
d'un large choix de citations patristiques (p. 15-18). C. H. propose ici une
introduction à l'esprit de l'exégèse patristique. Dans un chapitre intitulé
«The Modem Mind and Biblical Interprétation» (p. 19-42), l'A. règle ses
comptes aussi bien avec le fondamentalisme protestant qu'avec l'exégèse
critique et fait sien l'argument apologétique selon lequel les Écritures ne
peuvent être interprétées que dans l'Église: «The best exegesis occurs
within the community of the church. The Scriptures hâve been given to the
church, are read, preached, heard and comprehended within the community
of the church, and are safely interpreted only by those whose character is
continually being formed by prayer, worship, méditation, self-examination,
confession and other means by which Christ 's grâce is communicated to his
body» (p. 42). Après avoir rappelé sur quels critères certains auteurs
ecclésiastiques anciens sont reconnus «Pères de l'Église» (p. 49-55) et avoir
signalé les grandes figures féminines qui leur ont servi de modèles et de
mentors (p. 43-49), l'A. passe en revue les quatre «grands» Pères de l'Église
d'Orient (Athanase, Grégoire de Nazianze, Basile le Grand, Jean Chry-
sostome) et les quatre «grands» Pères de l'Église d'Occident (Ambroise,
Jérôme, Augustin, Grégoire le Grand), ce qui lui permet de dresser un
tableau assez diversifié de l'exégèse ancienne. L'A. cherche à rendre
compte de cette diversité à l'aide d'une systématisation des caractéristiques
de l'école alexandrine (voir la présentation d'Origène, p. 141-155) et de
l'école antiochienne. Le dernier chapitre («Making Sensé of Patristic
Exegesis», p. 177-200) est assez personnel. L'A. s'efforce d'y montrer ce
que la fréquentation des Pères peut apporter à tout lecteur de l'Écriture pris
individuellement, ainsi qu'aux Églises constituées. Ces pages, qui tiennent
lieu de conclusion, sont écrites avec beaucoup de conviction, mais je crains
qu'elles n'emportent guère l'adhésion que de ceux qui sont par avance gagnés
aux idées de l'A.
1892), un premier corpus, la Torah, aurait été fixé à l'époque d'Esdras, soit
vers 450 ou vers 400 av. J.-C; le corpus des Prophètes (entendus au sens
large] aurait été fixé peu avant la révolte des Maccabées; enfin, la clôture
des Écrits, concomitante de celle de l'ensemble du canon de la Bible
hébraïque, serait le résultat des décisions du soi-disant «Concile de Jamnia»
qui est à situer entre 90 et 105 ap. J.-C. Si cette théorie est aujourd'hui
contestée, elle n'est pas encore remplacée5. L'A. note également qu'à
l'intérieur même de l'Ancien Testament et plus tard, dans la communauté de
Qumrân, des processus de remaniement et d'interprétation typologique de
l'Écriture ont vu le jour, processus dont les premiers chrétiens ont hérité. La
deuxième partie de l'ouvrage offre un état de la question très bien informé
sur les recherches consacrées aux citations de l'Ancien Testament dans le
Nouveau. L'A. observe un déplacement important de la recherche ces
dernières décennies, les problèmes textuels étant de plus en plus considérés
comme un aspect de la question herméneutique; les critiques ont pris en
compte le fait que les variations significatives pouvaient être des altérations
délibérées. La troisième partie, qui est aussi la plus importante (p. 105-162),
déploie le large éventail des méthodes exégétiques mises en œuvre par le
Nouveau Testament, méthodes dont l'A. montre l'enracinement juif (voir la
présentation des «sept règles» de Hillel, p. 117-122; cf. aussi p. 169-172),
en particulier pour l'exégèse midrashique. La spécificité de l'exégèse
chrétienne ne tient pas à ses méthodes, mais à son orientation résolument chris-
tologique; le mystère du Christ est bien ce qui commande cette exégèse.
Deux importants appendices sont consacrés, l'un à «la Bible de Jésus» et à
sa méthode exégétique, l'autre aux débats autour de la lecture typologique
de l'Ancien Testament. L'ouvrage est fort bien documenté et est écrit sans
technicité excessive. Il défend parfois des positions nettement tranchées.
5 On se fera une idée des débats en cours en consultant Jean-Marie Auwers &
Henk Jan DE Jonge (éd.), The Biblical Canons (coll. Bibliotheca Ephemeridum
Theologicarum Lovaniensium, 163), Leuven, University Press — Peeters, 2003 (sous
presse).
LA BIBLE ET LES PÈRES 191
Reidar Hvalvik, The Struggle for Scripture and Covenant. The Purpose of
the Epistle of Barnabas and Jewish-Christian Compétition in the
Second Century (coll. Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen
Testament. 2 Reihe, 82). Tubingen, J.C.B. Mohr, 1996. xm-415 p. 23 x
15,5. Isbn 3-16-146534-2.
Dans cette version révisée de sa dissertation doctorale, l'A. entend
combler une lacune: depuis quelques années, la recherche s'est surtout focalisée
sur les sources et les traditions utilisées par YÉpître de Barnabe. L'A.
entend revenir aux questions centrales. La première partie de l'ouvrage
dresse un état de la question sur la date, la provenance (la partie orientale,
hellénophone, du bassin méditerranéen), l'auteur (un didascale itinérant et
charismatique) et les destinataires de YÉpître (des pagano-chrétiens).
Concernant la datation, l'A. croit pouvoir tirer argument du passage où il y
est dit que le Temple est démoli, mais que ses destructeurs veulent
maintenant le reconstruire (16,3-4). Il y aurait ici une allusion à la construction
d'un temple en l'honneur de Jupiter Capitolin sur l'emplacement même du
temple détruit en 70. Comme ce projet a été mis en œuvre dans les années
130-132, puis repris en 135, l'A. en conclut que YÉpître a été rédigée dans
les années 130-132 (plutôt qu'en 135, puisque YÉpître ne fait pas allusion à
la révolte de Bar Kochba). L'argument n'est toutefois pas décisif: dès lors
que, pour Barnabe, le seul temple digne de Dieu est le cœur de l'homme, on
peut se demander si le passage en question ne veut pas évoquer le
remplacement du temple matériel par le temple spirituel, auquel œuvrent les
pagano-chrétiens (cf. P. Prigent, SC 172, p. 190-191). La deuxième partie de
l'ouvrage aborde la question du propos de YÉpître, dont l'A. dégage les
idées maîtresses et le genre littéraire (plutôt qu'une épître fictive, il s'agit
bel et bien d'une lettre, mais «littéraire», p. 78-81), avant de dégager et de
commenter les passages-clefs (1,5; 2,9; 3,6; 4,6-7). L'A. défend la thèse
que YÉpître s'adresse à des chrétiens issus du paganisme mais tentés par
le judaïsme, lequel, en dépit des revers qu'il a connus, gardait une force
d'attraction susceptible d'attirer les païens et d'influencer les communautés
chrétiennes. C'est pourquoi YÉpître met en place une herméneutique
d'après laquelle l'Ancien Testament parle directement de Jésus-Christ, bien
que sous une forme allégorique. Toute l'Écriture appartient aux chrétiens
(cf. 4,7: «les Juifs ont définitivement perdu l'alliance que Moïse avait
reçue»); seuls les textes qui parlent du péché visaient l'Israël de jadis et
s'adressent encore aux Juifs d'aujourd'hui. Cette herméneutique fait de
YÉpître de Barnabe un moment important de l'expropriation de l'identité
religieuse du judaïsme par et en faveur des chrétiens. Le thème des «deux
voies», qui est développé dans la deuxième partie de YÉpître (18-21), sert
à asseoir une ferme opposition entre «nous» (les chrétiens) et «eux» (les
Juifs idolâtres, qui ont rejeté l'alliance que Dieu leur avait proposée). D'où
l'impérieuse nécessité d'un choix entre le judaïsme et le christianisme. La
troisième partie de l'ouvrage de R.H. fait la synthèse des témoignages
192 J.-M. AUWERS
III. Origène
6 Cf. Origène, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, III, 5, 14-15; trad.
L. BrÉsard et H. Crouzel (coll. Sources chrétiennes, 376), Paris, Cerf, 1992,
p. 533: «Quant à nous, nous sommes étrangers à leur ombre (= celle des Juifs qui
vivaient sous le régime de la Loi), car "nous ne sommes pas sous la Loi mais sous
la grâce" (Rm 6,15). Mais, bien que nous ne soyons pas sous cette ombre que faisait
la lettre de la Loi, nous sommes toutefois sous une ombre meilleure. Car "nous
194 J.-M. AUWERS
V. Augustin
«La chaîne sur la Genèse est une entreprise anonyme, transmise sans
titre, préface ou conclusion. C'est un commentaire fait de citations
juxtaposées, puisées aux exégètes des cinq premiers siècles de l'ère chrétienne.
Conservée dans bon nombre de manuscrits bibliques, elle accompagne pas à
pas le texte sacré, intercalée entre les sections de celui-ci ou notée dans les
marges extérieures»7. On y trouve deux genres de morceaux: d'abord une
série de courtes notes anonymes, d'origines diverses et d'ordre critique (en
particulier des variantes hexaplaires), historique ou géographique (on peut
penser que ces notes figuraient déjà en marge des éditions bibliques
antérieures au travail des caténistes); ensuite (et surtout) des extraits patristiques
d'intention exégétique, habituellement dotés d'une attribution. Ces extraits
sont empruntés à toutes les écoles exégétiques, et les caténistes n'ont pas
hésité à accueillir des auteurs plus ou moins suspects d'hérésie, sans aucun
souci de controverse. La chaîne sur la Genèse fournit ainsi un vaste
panorama de l'exégèse ancienne, couvrant une trentaine d'auteurs allant de
Philon à Cyrille d'Alexandrie (t 444) et représentant une soixantaine
d'œuvres (les extraits de Sévère d'Antioche, mort en 538, ont été insérés
après coup dans la chaîne, de même d'ailleurs que les emprunts faits aux
Homélies sur la Genèse de Jean Chrysostome).
Au cours du temps, le tronc initial de la chaîne sur la Genèse s'est
diversifié en branches, caractérisées par des apports nouveaux, des sélections et
des remaniements textuels. Les travaux de Fr. P. ont permis d'établir qu'il
fallait distinguer fondamentalement la tradition primaire (connue par quatre
manuscrits) et la tradition secondaire (qui comprend plus de trente
manuscrits). Par rapport à la tradition primaire, celle-ci comporte nettement moins
d'extraits exégétiques (à peine la moitié), dans un état textuel médiocre, et
souvent dans une rédaction remaniée ou abrégée; c'est donc une tradition
dérivée. Mais elle mêle à ces extraits une collection exégétique à forte
coloration antiochienne, de manière à obtenir un commentaire biblique continu.
Cette collection antiochienne (centrée sur les Questions de Théodoret de
Cyr, t 459/460) existe à l'état indépendant et a été éditée par Fr. P. en 1986
sous le titre Collectio Coisliniana in Genesim (CC SG 15)8; elle constitue le
fonds principal et le plus intéressant de la tradition secondaire (type III du
catalogue de Karo-Lietzmann).
L'édition de la tradition primaire, qui comporte quatre volumes, a
commencé en 1991, avec un premier volume consacré aux trois premiers
chapitres de la Genèse, suivi l'année suivante par un deuxième volume portant
sur les chapitres 4—11. Au fil des quatre volumes, la technique d'édition est
restée la même: pour chaque pièce, l'éditrice indique les manuscrits qui
7 Fr. Petit, «La chaîne grecque sur la Genèse, miroir de l'exégèse ancienne»,
dans Stimuli. Exégèse und ihre Hermeneutik in Antike und Christentum. Festschrift
fur Ernst Dassmann, hrsg. von G. Schôllgen & Cl. Scholten (coll. Jahrbuch fur
Antike und Christentum, Ergânzungsband 23), Munster, 1996, p. 243-253 (p. 243).
8 La Collectio Coisliniana tient son nom du premier manuscrit où son existence
a été signalée: Paris, B.N., Coislin 1 13. Ce n'est ni le seul manuscrit qui atteste cette
collection, ni même le plus ancien.
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l'hypothèse la plus probable est que Procope a utilisé une chaîne composée
avant lui - celle que nous connaissons ou son ébauche - tout en la
complétant (essentiellement à partir des mêmes sources que le caténiste, ce qui
suggère que les deux érudits auraient pu avoir accès à la même bibliothèque)9.
La chaîne ici éditée n'intéressera pas seulement les patrologues et les
historiens de l'exégèse, mais aussi les biblistes, en raison du matériel hexa-
plaire et des nombreuses citations scripturaires qu'elle contient.
7. Varia
The Use of Sacred Books in the Ancient World, edited by L.V. Rutgers,
P.W. van der Horst, H.W. Havelaar, L. Teugels (coll.
Contributions to Biblical Exegesis and Theology, 22). Louvain, Peeters, 1998.
316 p. 23 x 15. 32 €. Isbn 90-429-0696-0.
Ce volume constitue les Actes d'un Symposium organisé à l'Université
d'Utrecht en janvier 1998 et consacré à la sacralité dans les textes
classiques, paléo-chrétiens et rabbiniques. Par mode d'introduction, G.G.
Stroumsa montre comment les premiers chrétiens ont élaboré un double
système de référence, basé d'une part sur les Écritures judéo-chrétiennes et
d'autre part sur ce qu'ils ont pu récupérer de la culture gréco-latine - et
comment l'herméneutique chrétienne a pu intégrer cet héritage à la foi au
Christ («The Christian Hermeneutical Révolution and its Double Hélix»,
p. 9-28). Dans une perspective comparatiste, Ph.S. Alexander cherche à
préciser la place que l'épopée homérique et la Torah mosaïque tiennent
respectivement dans la culture hellénistique et dans le judaïsme rabbinique
(«Homer the Prophet of Ail and Moses our Teacher», p. 127-142). Sur les
seize contributions ici rassemblées, plus de la moitié proviennent de scho-
lars de l'Université invitante; on ne s'étonnera pas que ces articles reflètent
les caractéristiques de «l'école d'Utrecht», à savoir l'étude du Nouveau
Testament et de l'ancienne littérature chrétienne dans son contexte juif et
son contexte gréco-romain (par exemple B. Cozinsen, «A Critical
Contribution to the Corpus Hellenisticum Novi Testamenti: Jude and Hesiod», p.
79-109 ou J. den Boeft, «Nullius disciplinae expers: Virgil's Authority in
[Late] Antiquity», p. 175-186 ou encore l'article de P.W. van der Horst qui,
sous le titre «Sortes: Sacred Books as Instant Oracles in Late Antiquity»,
p. 143-173, fait le point sur la divination en milieu juif, chrétien ou païen et
sur le recours aux écrits sacrés dans le contexte des pratiques oraculaires).
Touchant à l'exégèse du Nouveau Testament, on retiendra également
l'article de Br. Chilton sur Jacques, frère du Seigneur, qui aurait été nazir
(p. 29-48), celui de G. Mussies sur les formules introductives des citations
LA BIBLE ET LES PÈRES 205
de l'Ancien Testament dans les évangiles et les Actes (p. 49-60), les pages
de M.J.J. Menken consacrées à la citation de Ps 77 (78 TM),2 en Mt 13,35
(p. 61-77), l'étude de M. Misset van de Weg sur la figure de Sarah dans la
prima Pétri (p. 111-126). Touchant à l'exégèse paléo-chrétienne, on
signalera l'article d'A. van den Hoek sur l'interprétation du Ps 81 (82 TM) chez
Justin, Théophile, Irénée et Clément (p. 203-219), celui de H.W. Havelaar
sur le recours à l'Écriture dans YApocalypse de Pierre retrouvée à Nag
Hammadi (p. 221-233; l'auteur de cette apocalypse connaît au moins les
évangiles de Mt, Le et Jn, probablement aussi 2 Co et Hb, mais ne
reconnaît pas l'autorité de ces écrits en tant que cadre interprétatif de la vie de
Jésus), les pages d'A. Salvesen sur le texte biblique syriaque de 2 Samuel
cité par Jacques d'Édesse (p. 235-245) et, enfin, l'étude de L.V. Rutgers sur
l'interprétation de 2 M chez les auteurs antiochiens des ive-ve siècles
(p. 287-303).
Biblical Figures outside the Bible, edited by Michael E. Stone & Théodore
A. Bergren. Harrisbourg, PA, Trinity Press International, 1998. xm-
433 p. 23,5 x 15,5. 35 US$. Isbn 1-56338-247-4.
Les personnages bibliques ont une survie - ou, pour mieux dire, une
seconde vie - au-delà du texte canonique. La découverte de la bibliothèque
de Nag Hammadi et celle des manuscrits de la mer Morte ont fourni une
documentation de première main pour étudier le devenir des figures
bibliques par-delà la Bible. Le présent recueil rassemble treize études
consacrées à Adam et Eve (à travers la Vita latine, ses sources et ses parallèles),
la figure gnostique de Seth, Hénoch (revisité par les Pères et les rabbins,
puis présenté à partir de la littérature qui lui est attribuée: 1-3 Hénoch, ainsi
que dans les Jubilés), Noé et ses fils (avec un bref appendice sur le Livre de
Noé), la conversion d'Abraham (un thème qui apparaît dans Jubilés 11-12
et se retrouve, entre autres, chez Flavius Josèphe, Philon et Paul),
Melchisédech (dans le judaïsme et le christianisme anciens et dans le gnos-
ticisme), Lévi (d'après les pseudépigraphes d'Ancien Testament), Joseph
(dans le judaïsme hellénistique et chez les premiers auteurs chrétiens),
Baruch (dans la littérature apocalyptique), Ezéchiel (d'après la
littérature pseudépigraphique, puis d'après les sources musulmanes), Esdras et
Néhémie (tels qu'ils apparaissent en particulier dans les apocryphes). Ces
parcours à travers la littérature post-biblique ne manquent jamais d'être fort
intéressants. On voit ainsi, par exemple, comment le personnage de Baruch,
que le livre de Jérémie (TM) présente comme le scribe du prophète, est
devenu successivement son successeur (dans Jérémie LXX), un sage qui
prêche la pénitence à son peuple (dans le livre canonique de Baruch), un
interprète inspiré de la Torah (dans l'Apocalypse syriaque de Baruch), un
homme qui est monté aux cieux et en est redescendu pour révéler ce qu'il a
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saintes Écritures. Qui marche dans ces voies, s'il ne revient pas au Seigneur
et si ne lui est pas enlevé le voile qui était devant les yeux de Moïse, ne
pourra trouver le droit chemin. Mais s'il dit avec David: "Enlève le voile de
mes yeux et je contemplerai les merveilles de ta loi" (Ps 118,18), il
marchera dans ces voies et trouvera le Christ». Les merveilles des Écritures ne
sont donc accessibles qu'à ceux qui marchent dans les voies du Seigneur,
c'est-à-dire ceux à qui le Christ les dévoile. Nous voilà au cœur de la lecture
hiéronymienne des Écritures, à travers la double référence au Psaume 1 18 et
à l'image du voile placé sur le visage de Moïse (cf. 2 Co 3,13).
On lira avec intérêt les pages consacrées à Julien d'Éclane et à sa
conception de la theoria (p. 217-238). Selon M.C. Pennacchio, Julien aurait
composé son commentaire des petits prophètes avant sa condamnation en 418.
L'évêque d'Éclane entend rompre aussi bien avec les fines allégories
qu'avec les «fables judaïques»; il renvoie ainsi Origène et Jérôme dos à dos
et prétend s'en tenir à la seule portée historique, que détermine la conse-
quentia du texte (un principe qui rappelle fort râ,KOÀ,ou9ia des Antio-
chiens). C'est donc avant tout la cohérence du tissu narratif qui sert de fil
conducteur à l'interprétation du texte, à moins que celui-ci n'ait visiblement
une dimension prophétique, auquel cas il se peut que la prophétie, après
avoir trouvé une réalisation partielle dans l'histoire d'Israël, pointe vers le
Christ, qui lui donne son plein accomplissement. Il importe à Julien que ce
sens christologique puisse être tiré de la lettre même du texte. C'est ici
qu'intervient la notion de theoria, reprise aux Antiochiens, mais dont Julien
donne une définition concise (p. 233). Si la datation que l'A. assigne au
commentaire de Julien exclut la possibilité d'un contact direct avec celui de
Théodore de Mopsueste, il n'en va pas de même pour celui de Jérôme (p. 291-
296). - Au total, un ouvrage bien conçu, écrit avec clarté et fort intéressant,
qui revisite deux siècles d'exégèse patristique.
*
11 Quelques titres importants: The Cambridge History ofthe Bible, vol. 1 : From
the Beginning to Jérôme, éd. par P.R. Ackroyd & CF. Evans, Cambridge, 1970;
B. DE Margerie, Introduction à l'histoire de l'exégèse, 4 vol., Paris, 1980-1990;
Bible de tous les temps, vol. 1 : Le monde grec ancien et la Bible, éd. par
Cl. Mondésert; vol. 2: Le monde latin antique et la Bible, éd. par J. Fontaine &
Ch. Piétri; vol. 3: Saint-Augustin et la Bible, éd. par A. -M. La Bonnardière,
Paris, 1984-1986; M. Simonetti, Lettera elo Allegoria. Un contributo alla storia
dell'esegesi patristica (coll. Studia Ephemeridis Augustinianum, 23), Rome, 1985;
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